René Caillié, Coutumes maritales chez les maures, 1828

Le 12, un jeune homme d’une tente voisine, ayant une maîtresse dans un camp de la tribu de Oulad Biéry, m’engagea à l’accompagner chez sa prétendue, avec quelques-uns de ses amis : ce camp était à un mille au N. du nôtre ; j’acceptai, car je recherchais toujours les occasions qui pouvaient me fournir quelque trait du caractère ou des usages de ce peuple. Je fus très bien reçu : toutes les femmes se réunirent autour de moi, m’entretinrent longtemps, me firent beaucoup de questions ; et comme notre conversation était assez gaie, elles me demandèrent si je voulais me marier ; sur ma réponse affirmative, elles m’engagèrent à choisir une femme parmi elles, et me pressèrent de leur dire à laquelle je donnerais la préférence. Je leur répondis que le choix m’embarrasserait trop; que je préférais les épouser toutes, car je les trouvais toutes également belles et aimables. Cette plaisanterie les amusa beaucoup ; elles parurent m’en savoir gré, et m’adressèrent même des remerciemens. M’étant aperçu de l’absence du marabout amoureux, je demandai où il était ; mais je ne pus le savoir : on me répondit simplement qu’il ne reviendrait qu’à la nuit. Plusieurs femmes étaient occupées à parer la fiancée ; elles venaient de lui mettre le henné, pour la rendre plus belle aux yeux de son amant.

Le henné, lawsonia inermis, croît abondamment dans l’intérieur ; les Mauresses pilent ses feuilles, qui procurent une couleur rouge pâle, en usage pour leur parure. Les feuilles étant pilées et réduites en pâte, cette pâte est appliquée sur la partie du corps que Ton veut colorer; on la préserve de faction de l’air en la couvrant, et on l’arrose souvent avec de l’eau, dans laquelle on a fait macérer de la fiente de chameau. La couleur est cinq à six heures à se fixer ; après ce temps, on enlève le marc, et la partie qui en a été recouverte reste teinte d’un très beau rouge. Elles se mettent le henné sur les ongles, sur les pieds et dans les mains, où elles se font toute sorte de dessins; je n’en ai jamais vu mettre à la ligure. Cette couleur reste un mois sans s’altérer, et ne s’efface qu’au bout de deux mois. C’est, chez les Maures, non seulement un très bel ornement, mais encore un usage consacré par la religion, pour les femmes qui se marient. Lorsqu’on a mis le henné à une femme, elle affecte de le faire voir ; elle a soin, en parlant, de faire remarquer ses mains et ses pieds, pour qu’on lui fasse compliment. Partout les femmes sont coquettes.

La parure des Mauresses ne consiste pas seulement dans le henné. Notre fiancée se fit aussi coiffer : ses cheveux, enduits d’une pommade faite avec du beurre, du girofle pilé et de l’eau, furent mis en tresses qui lui retombaient sur les épaules, et garnies de boules d’ambre, de corail et de verroteries de diverses couleurs. C’était la première fois que je voyais une Mauresse ainsi parée.

A la fin du jour, je cherchai l’amant ; un jeune Maure m’accompagna. Nous le rencontrâmes près du camp : je crus qu’il se rendrait directement chez sa future ; mais au contraire, il évita de passer devant sa tente, et alla chez un de ses amis. Je lui en témoignai mon étonnement ; il me dit qu’il évitait de voir ceux qui allaient devenir ses parens. Nous eûmes sur ce sujet une conversation très étendue ; en voici le résumé.

 Lorsqu’un jeune homme devient amoureux d’une fille et qu’il veut l’épouser, il cherche en secret à obtenir son consentement. Dès qu’il en est assuré, il charge un marabout de négocier les conditions du mariage avec les parens de la fille; celui-ci convient des présens que devra faire le prétendu, du nombre de bœufs qu’il donnera à sa belle mère, etc. Quand les conditions sont réglées, le négociateur en instruit les autres marabouts, lorsqu’ils se réunissent à la prière et en présence de l’amant. Dès ce moment, il est privé pour toujours de voir le père et la mère de celle qui doit être son épouse ; il a grand soin de les éviter; ceux-ci, quand ils aperçoivent leur gendre futur, se couvrent la figure ; enfin, de part et d’autre, les liens de l’amitié semblent rompus : coutume bizarre dont j’ai en vain tâché de découvrir la source; on m’a toujours répondu : C’est l’usage.

 Il serait pénible de penser qu’une alliance détruisît les sentimens d’amitié et d’estime entre les familles ; c’est ce dont je cherchai à m’assurer avec le plus grand soin. Je parlais quelquefois d’un gendre à son beau-père, et réciproquement : j’ai toujours remarqué que l’indifférence n’était que feinte; ils conservent les mêmes sentimens d’affection, et tâchent au contraire, dans la conversation, de rehausser le mérite l’un de l’autre.

 Cet usage ne concerne pas seulement les parens ; mais quand l’amant est d’un camp étranger, il se cache à tous les habitans, excepté à quelques amis intimes, chez lesquels il lui est permis d’aller. On lui fait ordinairement une petite tente sous laquelle il se tient renfermé toute la journée ; et lorsqu’il est obligé de sortir ou de traverser le camp, il se couvre le visage.

Il ne peut voir sa future pendant le jour ; ce n’est que la nuit, quand tout le monde repose, qu’il se glisse dans la tente qu’elle habite, y passe la nuit avec elle, et ne s’en sépare qu’à la pointe du jour. Cette manière peu décente de faire l’amour dure un ou deux mois ; puis le mariage est célébré par un marabout. La mère de la mariée donne une fête ; elle tue un bœuf, si elle en a les moyens ; puis fait faire beaucoup de couscous et de sanglé pour régaler les convives, qui sont toujours nombreux. Les femmes se réunissent autour de la jeune épouse, chantent ses louanges, et se divertissent toute la journée. Je ne les ai jamais vues danser.

 Les hassanes ne s’assujettissent pas à l’usage de se cacher des parens; ils continuent de se voir après comme avant le mariage. Leurs fêtes sont aussi plus gaies et plus brillantes; ils y admettent les guéhués. Enfin, quels que soient les usages dans l’une ou l’autre classe, la femme y est soumise, comme son mari, envers les parens de ce dernier.

 Lorsque le mariage est célébré, si le mari possède un chameau, il peut emmener de suite sa femme : alors sa belle-mère se charge de l’équipement de la monture; elle fournit le berceau et le tapis qui le recouvre; elle pare sa fille de ses plus beaux ornemens, lui donne une natte pour se coucher, et une couverture en peau de mouton; le mari conduit le chameau, et se tient la figure cachée jusqu’à ce qu’il soit hors du camp. S’il n’a point de chameau, il laisse son épouse dans le camp jusqu’à ce qu’il en ait acquis un; car ce serait un grand déshonneur pour une femme de se rendre au camp de son mari montée sur un bœuf. Quelquefois il se fixe dans le camp de sa femme; alors il fait venir ses troupeaux, devient habitant du camp, et cesse de se cacher.

 Il arrive souvent que les époux ne peuvent s’accorder ensemble, ou désirent de se séparer : alors l’un d’eux suscite une querelle à l’autre, et ils se quittent sans avoir recours aux marabouts qui les ont unis. Celui qui veut rompre, fait un cadeau à l’autre. Quand il y a des enfans, les garçons suivent le père, les filles restent avec la mère ; si elle est enceinte, et que, lors de l’accouchement, il naisse un garçon, il est envoyé à son père, qui le fait allaiter par une femme zénague.

 Si le mari vient à mourir, la femme prend le deuil, et le porte quatre mois et dix jours ; pendant tout ce temps, elle se couvre de ses plus mauvais vêtemens, ne reçoit sous sa tente que ses plus proches parens, et ne sort que le visage couvert. Le mari ne porte point le deuil de sa femme, et peut se remarier dès le lendemain, si cela lui plaît. Voici comment se règlent les successions.

 A la mort d’un homme, sa femme reçoit le quart de son héritage ; la mère du défunt retire le dixième des trois autres quarts, ensuite le père prend encore le quart du reste : la part des enfans, ainsi réduite de moitié, est partagée de manière que la part de chaque garçon soit double de celle de chaque fille. Si le mari succède, il prend la moitié de la succession de sa femme, et l’autre moitié est partagée entre les aïeuls et les petits-enfans dans les proportions ci-dessus. Si les deux époux meurent sans enfans, la succession retourne aux ascendans ; les collatéraux n’héritent jamais. 

Après la mort de l’un des époux, les enfans sont confiés à un oncle du défunt, qui en prend soin jusqu’à l’âge de 18 ans, âge auquel ils deviennent majeurs ; jusque-là, leurs bœufs sont déposés chez leurs aïeuls. Ceux qui sont encore à la mamelle, sont mis chez les zénagues jusqu’à l’âge de deux ans, puis reviennent chez leur oncle.