Zuqnîn, Gouvernement de Mûsâ b. Muç’âb à Mossoul (770-774) et pressions fiscales des ‘perses’ sur ‘les arabes et les syriens’, v. 775 n-è

1078/767 :

Toutes les armées des Perses et des Arabes se mirent en mouvement et e précipitèrent sur la région septentrionale. ‘Abbâs, frère du roi, qui était en ce temps-là émir de Mésopotaie, envaht Edesse, ‘Abdîn et Tell Dakûm ; le général Hassan b. Qa‘taba, avec une autre armée, et un autre général qui commandait l’armée royale et s’appelait Ibn Asa‘ad, remontèrent le Tigre et parvinrent à Amid avec des troupes innombrables. […]

Cette armée était composée de divers peuples, différents d’aspect, de tous els cultes. Parmi eux, les uns adoraient le feu, d’autres le soleil ; le matin ils se tournaient et adoraient au levant, au milieu du jour ils adoraient au midi, et le soir au couchant, d’autres adoraient la lune, d’autres les étoiles, d’autres les chevaux ; d’autres s’étaient fabriqué divers simulacres de toute espèce d’idoles qu’ils portaient avec eux pour les adorer, en sorte que chacun avait encorre avec lui et adorait es faux Dieux de son pays et de sa nation. Cette armée était un mélange de tous les peuples et était appelée pour cela « la Plénitude Royale ». Il y avait en effet parmi eux des Sindhiens, des Alains, des Khazars, des Mèdes, des Perses, des ‘Aqûlites, des Arabes, des Kûsânites, des Turcs ; en sorte que nous pouvons dire que c’était un essaim de sauterelles de toutes les variétés !

[…Ils envahissent l’Arménie Romaine, on construit une forteresse à Kharput…]

« A cette époque, en effet, une cruelle épreuve pesait sur le peuple des Syriens. Ils n’avaient point à travailler, parce que leurs terres étaient vendues par les Arabes, car ces arabes ne recevant pas la gzîtâ qu’on avait coutume de leur donner, vendirent les terres et les grains et travaillèrent pour eux-mêmes, de sorte que tout trafic cessa pour les paysans (PLH’). C’est pourquoi ils se rassemblaient en troupes nombreuses et s’en allaient à Anzeta chercher de la Garance. » 

[…Désastreuse campagne abbasside d’Arménie…]

L’autre général, Malik b. Tûf s’enfuit vers Raqqa avec 5000 hommes.

[…retraite de ‘Abbâs et l’armée des Perses, ils émettent de l’argent…]

Toute la terre de Mésopotamie était remarquable par ses vignes, ses champs, son nombreux bétail. Il n’y a avait pas même un pauvre misérable dans un village qui ne possédât un champ, des ânes et des chèvres. Il n’y avait pas un lieu plus ou moins cultivable qui ne fût ensemencé ou planté de vignes ; même dans la montagne, tout endroit où la charrue pouvait passer était planté de vignes. L’avarice s’empara d’eux à tel point qu’ils usurpaient tout ce qui avait été donné par leurs ancêtres aux églises et au monastères. Il y eut du blé et du vin en quantité. A cause de l’abondance des récoltes, les querelles, les disputes, les procès se multiplièrent à propos des limites, au point que, maintes fois, ils en vinrent au meurtre. Les gouverneurs des villes eux-mêms furent sans autorité à cause des procès qu’ils avaient entre eux. La terre fut remplie de pêtres à cause l’abondance des pâturages.

[…]

De cette grande fortune en bétail, en champs en esclaves et en servantes, les propriétaires tombèrent dans une telle misère qu’on voyait des hommes qui avaient eu des milliers de chèvres et de brebis, des champs, des chameaux, des chevaux des serviteurs et des servantes, qui montaient sur des chevaux arabes (Tayyayê) pendant que leurs serviteurs montés sur des mulets sonnaient de la trompette devant eux, à la manière des païens, qu’on les voyait, dis-je, eux et leurs semblables, porter leurs enfants sur leurs épaules, courbés, nus, affamés, altérés, quêtant de porte en porte un morceau de pain, chassés d’un lieu dans un autre lieu, d’un endroit dans un autre endroit ;qu’on voyait des maîtresses de maison dépouillées, abandonnées, portant leurs petits enfants suspendus à leu cou, languissantes errant de village en village, de ville en ville.

[…]

Aussi commencèrent-ils à bâtir des édifices et à restaurer les églises.

[Dispute entre les évêques en 1078/767]

Comme nous l’avons dit plus haut, les évêques de la Mésopotamie se séparèrent et s’éloignèrent de Georges et des Occidentaux, et firent patriarche le vénérable Jean. Or, celui-ci étant mort, les vénérables évêques craignant Dieu voulurent expulser du milieu d’eux les perturbateurs et ne former qu’un seule peuple obéissant à un seul chef, selon la loi portée et sanctionnée par les Saints Pères. Comme toutes les villes avaient fait leur soumission à Georges, avaient mis son nom dans les diptyques, et l’aimaient, tous les évêques de la Mésopotamie et les Occidentaux finirent par se réunir dans la région de Sarûj, avec le vénérable Georges, en l’an 1076/765 d’Alexandre.

[…]

Craignant que la division n’arrivât de son temps ans ce siège d’Antioche, il accepta et accorda tout ce que demandèrent les évêques de la Mésopotamie excepté au sujet des évêques ordonnés par Jean, du monastère de Qarqafta, qu’ils avaient fait patriarche.

[Georges leur propose d’être muté au Sijistan et au Harab (Herat ?)]

Quand le synode fut terminé, chacun retourna dans son pays. Le vénérable Georges descendit à son monastère. Ces hommes misérables, de leur côté, s’en allèrent dans une profonde ignominie et une grande confusion ; mais non pas comme des hommes qui cherchent à cacher leur honte et à demeurer oubliés dans leurs monastères. Ils remuaient toute pierre ; ils excitaient et agitaient beaucoup de monde ; ils cherchaient comment il tireraient vengeance de Georges et de ceux de son parti.

[Georges est convié dans la région d’Amid]

Quelques uns de ces hommes dont nous avons parlé plus haut descendirent vers le roi et tinrent des discours méchants sont le vénérable Georges et contre tous les évêques  « Ils ont même dit que c’était lui le roi et non pas toi ! »

[…]

La colère du Roi, en entendant ces choses, monta comme la fumée ; il rugit comme un lion après sa proie, et envoya des messagers rapides et pleins d’ardeur chercher Georges et es évêques de la Mésopotamie.

Il était encore à Tell Dakûm ; ils le transferrèrent de là à Harrân, où ils ne lui permirent pas même d’entrer dans le monastère ; et tous les évêques furent rassemblés en cette ville. De ce lieu, ils descendirent près du roi, à Bagdad, où ils demeurait à cete époque. Il était impossible à ce roi, dès qu’il avait appris qu’un homme remuait la main ou le pied, dans toute l’étendue de son empre, de trouver le calme et le repos avant de l’avoir fait périr, que ce fut un Persan, un Arabe ou un Syrien. Il regardait comme son plus grand ami quiconque venait lui faire connaître un homme qui possédait quelque chose.

Quand ceux-ci arrivèrent, ils furent introduits devant le roi. En les voyant, il rugit contre eux comme un loup qui veut dévorer sa proie, leur adressa de violentes paroles et les chassa de sa présence. Il fit emprisonner et jeter dans les fers le vénérable Georges.

Après quelques temps, il donna cet ordre aux évêques : « Choisissez-vous parmi vous celui qui est digne, mettez-le à votre tête et allez-vous en ! »

Il usait ainsi de miséricorde envers eux. Ils voulurent élire David de Dara. On dit que tout cela venait de ce dernier. C’était un homme âgé, et tous disaient : « Si c’est  autre, il ne se soumettra pas à lui. D’ailleurs il ne vivra pas longtemps et lui succédera. » David n’ignorait pas ces choses ; et qu’il l’ait voulu ou non, il devint patriarche. Le roi lui donna des diplômes pour emprisonner, frapper et faire périr quiconque, à leur vue, ne se soumettrait pas à lui. Quant à Georges, il reste enchaîné dans la prison.

[…]

Or le vénérable David s’en alla avec les évêques ses partisans. Il vint à Mossoul, puis à Tikrît. Au lieu de lui faire une réception patriarcale, on vintt au devant de lui avec des injures et des opprobres. On l’appelait même assassin et sanguinaire. Mais lui ne se fâchit contre personne ; il ne se plaignait pas, mais offrait tout à Dieu en le prenant à témoin qu’ils le caomniaient en ces choses. « Si, disait-il, j’ai trempé dans l’affaire de Georges, que je reçoive un châtiment exemplaire ! »

[…]

1079/768 : [Reconstruction d’Arsamosate…]

‘Abbas envoya des lettres dans toutes les villes pour ordonner aux Arabes de la Mésopotamie de descendre tous, grands et petits, à Harrân. Ils se réunirent donc et descendirent en abandonnant leurs récoltes sans les moissonner, car ils étaient pressés de gagner des Zûz. Tout le peuple afflua et descendit, grands et petits, mais ils ne recueillirent que de la perte car il est difficile à un méchant de devenir bon !

Ils attendiren longtemps, jusqu’à ce que leur récolte fut perdue et détruite, il assigna environ 600 hommes d’entre eux aux forteresses et renvoya le reste. Ils ne remportèrent chez eux que des pertes.

[…]

Mort de Etienne de Habûra-Qarqisiya

p. 90 : [1080/769 : troisième année d’abondance]

Zayd vint sévir contre les usuriers (‘L’ SQT’ ’T’ ZYD). Ceux-ci lui donnèrent 1 Zûz par dînar ; il prit ce tribut (W-ShQL’) et s’en alla sans avoir molesté personne d’autre.

[… ]

Le gouvernorat de Mûsa b. Muç‘âb : 1081-5/770-774

1081/ 770 :

Il y eut pour gouverneur à Mossoul un home méchant et cruel du nom de Mûsâ b. Muç‘âb. […] Cet homme n’aurait pu trouver son semblable ni parmi les rois païens ni parmi les mages, ni parmi les Manichéens. Il jeta la terre dans une tribulation telle que depuis que le monde est créé jusqu’à ce jour, elle n’avait pas vu de tribulation semblable à celle qu’il lui fit voir. Si quelqu’un veut l’appeler Antéchrist, et ses ministres messagers du fils de perdition, il ne le calomniera pas, mais l’appellera de son vrai nom.

« Isaïe, XIV, 17 : Quand le Roi est inique, tous ses ministres sont iniques. »

Comme nous l’avons dit plus haut, le respectable habit monastique fut méprisé, les évêques et les moines furent accablés d’opprobres. L’audace se portait jusque sur le saint sacrifice. Aussi les moines tremblaient-ils de sortir dans les rues, à cause des insultes, surtout de la part du peuple de Tikrît, d’Arsidonie et de Mossoul.

C’est pourquoi ce fléau les fappa en premier. Il s’avança contre eux et les fit passer dans des contrées lointaines.

Le roi ne trouvait pas un homme, selon son cœur, en dehors de celui-ci. […] ‘Abd Allah b. Muhammad trouva dans un Mûsâ un homme selon son cœur, qui accomplissait tous les jours l’iniquité devant lui.

Quand Mûsâ devint gouverneur de Mossoul, il rugit comme un lion sur sa proie en disant :

« Maintenant je poursuivrai mes ennemis et je les atteindrai ; je ne retournerai pas avant de les avoir achevés, de les avoir frappés de telle sorte qu’ils ne puissent se relever. Ils tomberont sous mes pieds ; ils crierons et personne ne viendra les délivrer ; ils appelleront le Seigneur et il ne leur répondra point. Je les broierai comme la poussière à la face du vent, je les foulerai aux pieds comme la boue des places publiques. (Psaumes, XVIII, 38-43)

Il persécuta en effet la région, fit périr les hommes qui se trouvaient dans l’univers ; il les frappa et ils ne purent tenir devant lui ; ils tombèrent sous ses pieds et il les foula comme le limon des places publiques des villes ; il les réduisit à l’état de la poussière dans un tourbillon. Ils s’en allaient de lieu en lieu en implorant le secours du Seigneur, qui ne les arracha pas aux mains de cet homme, qui ne les délivra pas de leurs angoisses. Leurs yeux se fermaient en attendant le libérateur.

Mûsâ demanda au roi, sous prétexte de pacifier la contrée, de lui donner la permission d’envoyer rechercher de tous côtés le peuple qui s’était enfui de Mossoul.

Il écrivit dans toute la région que personne n’osât s’opposer à lui ou à ses lieutenants. Il envoya un homme pour chaque groupe de trois villes de la Mésopotamie, car il avait sous ses ordres un peuple nombreux.

A Amid, Arzûn et Mayafariqîn vint un homme aussi méchant que celui qui l’avait envoyé, du nom de Adam b. Yazîd, homme avare qui ne pensait point à Dieu. Le peuple Mossoulien, qui habitait dans la terre de Mésopotamie, était extrêmement riche à cette époque, car il profitait de tout le travail des habitants de la contrée qu’il dévorait par des rachats injustes et des usures. Tandis que le Seigneur a dit : « Tu ne prendras point d’intérêt à ton frère ; tu ne donneras point ton argent à usure ! » eux faisaient tout le contraire : ils prêtaient à usure, donnaient leur argent pour des rachats et à tarifs ; ils devinrent maîtres d’esclaves et de servantes ; ils possédaient les biens meubles, les vignes et les terres ; et ils allaient posséder toute la terre qui parle la langue des fils d’Aram, et tout la Mésopotamie était sur le point d’appartenir aux habitants de Narsanbad

Ils siégeaient dans les places publiques comme des dictateurs et les maîtres du pays ; ils se considéraient comme les chefs des églises et ils les administraient eux-mêmes. Ils ne se sont pas souvenus qu’ils étaient des nouveaux \enus, des étrangers et des pèlerins dans ce pays. » S’ils ont ruiné leur propre pays, comment auraient-ils pu faire prospérer celui de leurs voisins ?

 

[…]

 

Quand celui dont nous avons parlé plus haut vint pour entrer dans ces villes et les occuper, tous s’enfuirent devant lui. Tous étant des marchands ou des grainetiers ne possédant pas grand’chose, ils cachèrent leurs effets, emportèrent leurs enfants sur leurs épaules et prirent, la fuite. Il y avait de quoi pleurer sur eux. Ils erraient à travers les montagnes, dénudés, affamés, tourmentés comme un fétu de paille pendant la tempête.

 

D’autres étaient entrés dans les chambres les plus reculées et restaient enfermés, comme des morts, dans des pièces secrètes et obscures ; ils eurent des ulcères et perdirent l’aspect humain, ils avaient l’apparence des morts qui sont dans les tombeaux.

C’était l’été : ce qui aggrava leurs souffrances. Ceux qui avaient fui moururent de faim avec leurs enfants dans les montagnes et dans les cavernes, tandis qu ils erraient d’une montagne à l’autre. Ceux qui étaient cachés dans les maisons périrent par la fièvre, la frayeur, le chagrin, la chaleur ; et ceux chez lesquels ils étaient cachés craignaient encore plus qu’eux, car, partout où l’on en trouvait un, on accablait le receleur de cruelles afflictions, ainsi que la maison où il était trouvé. Un héraut annonça aussi que :

« Quiconque cache un habitant de Mossoul payera telle amende, et tout ce qu’il possède sera vendu. »

 

Dès lors on eut peur, et chacun renvoya celui qu’il avait chez soi. On proclama encore :

« Celui qui prendra un homme de Mossoul recevra pour sa récompense 40 Zûz.» Quand le peuple cruel et sans Dieu des tondus, des misérables Arabes,

entendit cela, ce fut pour eux l’occasion d’un lucre. Ils épiaient l’endroit où quelqu’un d’eux était caché, et s’il venait à sortir, même pendant la nuit, ils s’en emparaient sans pitié et le sollicitaient en disant :

« Donne-nous, ou nous t’emmènerons et nous recevrons la récompense de 40 Zûz. »

Et bon gré, mal gré, ils lui extorquaient et le renvoyaient ensuite ; et il arrivait qu'il tombait après cela de nouveau entre les mains d'autres plus méchants que les premiers.

Comme c’était un homme rusé et astucieux, il n’ignorait pas plus l’endroit où quelqu’un d’entre eux avait caché quelque chose que si la chose elle-même lui eût crié :

« Je suis ici, j’appartiens à un tel. »

Il trouvait tout, et tout se découvrait à lui, comme il est écrit du fils de perdition, aussi promptement que si lui-même eût caché ou déposé ces objets.

 

Quant à ceux qui avaient pris des femmes et avaient engendré des enfants syriens, étaient mêlés avec les Syriens et n’étaient pas connus des Araméens, lui les découvrait facilement. Il saisissait les cheiks du village dans lequel ils habitaient, et faisait pleuvoir sur leur corps de cruelles bastonnades, jusqu’à ce qu’ils eussent fourni des cautions et les lui eussent livrés.

 

Il s'empara ainsi d'eux tous et les obligea à répondre l'un pour l'autre ; il vendit aussi tout ce qu'ils possédaient et s'en attribua le prix ; il les pressura tous, comme fait le teinturier, puis il les emmena et les reconduisit à leur pays.

Là, il les enferma. La famine sévit sur eux avec diverses maladies et des épidémies, de sorte qu'un petit nombre seulement d'entre eux survécut. Les riches et les grands qui se trouvaient parmi eux vendirent ce qu'ils possédaient, lui en livrèrent le prix et demeurèrent dépouillés de tout; il ne resta rien à aucun d'entre eux.

Ce scélérat ayant promis par serment de ne prendre à aucun d’eux 1 Zûz ou une obole, il exigeait d’eux des Dinars d’or. Il y en avait parmi eux qui, même en vendant tout ce qu’ils possédaient, pouvaient à peine former la somme qu’il exigeait d’eux.


[1080/769 : début des catastrophes]

 

Du peuple qui monta de la région inférieure, en l’an 1078, et qu’on appelait Géant dans la langue primitive.

 

 

 

A cette époque, le roi envoya de la région de Perse un peuple qui monta s’établir sur la frontière des Romains. C’étaient des hommes sans vêtements et sans chaussures, ainsi que leurs femmes et leurs enfants, car ils ne savaient rien faire. Ils n’apprenaient rien à leurs enfants ; leurs femmes mêmes ne savaient pas travailler la laine. Tout leur art consistait à se cacher jour et nuit sur les chemins pour tuer et dépouiller, et pour couper les routes. Comme ils habitaient dans des montagnes inaccessibles, personne ne pouvait les dompter. Us poussèrent l’audace jusqu’à s’élever contre le roi et à couper la route au trésor du prince des croyants.

 

Parce qu’ils avaient fait cela, et aussi parce que toute la contrée était soulevée par eux, le roi envoya contre eux une forte armée.

Il les dévasta, les pilla, les enchaîna; il les rassembla tous, voulant les faire périr par le glaive. Déjà il avait fait crucifier leurs chefs, et se disposait’à mettre son projet à exécution, lorsque des hommes craignant Dieu lui conseillèrent de les envoyer aux frontières contre les ennemis, afin qu’ils demeurassent là ou qu’ils fussent tués par les Romains. Il mit promptement à exécution le conseil qu’il avait reçu, les envoya et les fit monter pour habiter dans la région agitée, en face de QamaH.

 

Ils étaient environ 300 000. Mais ils s’enfuirent et se répandirent sur toute la région ; il n’en resta là qu’un petit nombre, et, comme le pays était froid et qu’ils étaient nus, la plupart moururent au premier hiver qui les saisit. Mais ceux qui restèrent ne cessèrent pas leurs premiers méfaits.

 

[…]

 

A cette époque parut un édit du roi ordonnant de saisir les supérieurs des monastères et des églises, et de recenser les biens de leurs monastères, de leurs églises et des temples.

 

Voici la cause de cet édit :

 

Satan, qui s'était choisi un disciple dans le saint collège des Apôtres, Judas Iscarioto, se choisit aussi maintenant un homme du saint monastère de Mar Mattaï, dans la région de Mossoul, qui s'appelait Zu'ara.

 

A cause d’une querelle qu’il avait eue avec le supérieur de ce monastère, il imita Judas, son maître, qui livra Notre-Seigneur à la mort. Il ne resta pas au-dessous de ce traître. Satan lui inspira non seulement de faire comme lui, mais de le dépasser; d’occasionner non pas un, mais plusieurs meurtres; de perdre non seulement un, mais plusieurs lieux ; il ne voulut pas démolir seulement un, mais plusieurs couvents.

 

Celui-ci, séparé comme un loup d’avec les brebis, descendit auprès de Ja‘ffar fils du roi, et lui dit :

 

« Tout l’or de la famille de Hisham et de la famille de Marwan se trouve dans tel monastère. »

 

Et il ne laissa rien de ce monastère sans le lui faire connaître.

 

Ja‘ffar envoya au monastère des serviteurs cruels qui prirent tout ce qu’il y avait dedans, et même tous les ornements sacrés, qui enchaînèrent les moines dans de dures entraves et les conduisirent près de leur maître. Ja‘ffar les tortura et les emprisonna cruellement, en leur réclamant ce dont lui avait parlé ce second Judas.

 

C’est à cette occasion que parut l’édit ordonnant de faire dans toute la contrée le recensement des biens des monastères.

 

Tandis que tout le monde croyait qu’on allait les confisquer, il arriva à Ja‘ffar ce qui était arrivé à Balthazar qui, lui aussi, profana les vases des divins mystères et voulut s’en servir pour lui et ses concubines. Ici non plus, Dieu ne détourna pas les yeux de son Église et de son peuple : il envoya à Ja‘ffar l’esprit malin qui le suffoquait. Ja‘ffar renvoya alors les moines qui reprirent leur bien et retournèrent à leur monastère.

 

Ainsi se termina cette affaire. On ne fit plus ensuite d’autre perquisition, car l’esprit malin fit périr Ja‘ffar.

 

Voulant faire connaître les angoisses qu’a supportées la contrée, nous ferons d’abord connaître sa prospérité, et nous montrerons d’où et jusqu’où est tombée celle qui était riche et glorieuse.

 

En ce temps, la contrée fut très prospère, surtout la Mésopotamie et la région septentrionale. Elle était remarquable par les céréales, les vignes, la multitude du bétail. Toute la terre fut remplie de bandes de chevaux, de troupeaux de chèvres. Les hommes possédèrent des provisions en abondance. De sorte que le vin s’accumulait sur le vin et le blé sur le blé. […] Mais ils se jetèrent sur les biens des monastères et des églises en disant:

« De quoi l’Église a-t-elle besoin ? Nous en avons besoin, nous qui payons l’impôt et avons des enfants. »

Ils avaient en effet beaucoup d’enfants ; ils s’enrichirent considérablement et possédèrent tous des biens ; ils devinrent alors hautains, orgueilleux, jaloux, adultères, fornicateurs, ivrognes, voleurs, faux témoins, de sorte qu’ils allaient tomber dans l’abîme de tous les vices, si Il ne « leur avait envoyé l’ange vengeur qui traça au milieu d’eux de cruels sillons ».

 

Quand un homme avait un procès avec son voisin, et que le juge exigeait de lui des témoins, il allait sur la place publique, et en rencontrant un voisin, il lui disait : « Un tel, veux-tu témoigner en ma faveur ? »

Celui-ci répondait promptement et disait :

« Je le jure sur la parole de Dieu. De quoi s’agit-il? »

Et il faisait les serments avant de connaître l’affaire.

 

Que méritait un tel peuple, sinon ce qui arriva? —

[…] Les habitants d’un village entre eux, ou d’un village avec un autre village, se faisaient continuellement des procès au sujet des limites de leurs champs, et les malheureux ne savaient pas que dans peu de temps le fléau viendrait sur eux ; qu’ils ne posséderaient plus alors ni vignes, ni maisons, ni champs, mais que leurs propriétés seraient dévastées sans personne qui les traverse ou les habite.

 

L’institution monastique même sortit en dehors de toute convenance. Les moines, au lieu de « Prends ta croix et suis-moi » acquirent des chevaux, des troupeaux de bœufs, des troupes de chèvres et de moutons ; ils achetèrent des champs, chacun personnellement en dehors de la propriété de la communauté ; ils sortirent dehors pour acquérir des vignes et des maisons dans les villages; pour monter en selle comme des payens, pour vivre selon leur bon plaisir, sans obéir au supérieur qui leur avait été imposé par Dieu.

 

Ne pense pas, ô sage, que c’est parce que j’aime à accuser les hommes que je raconte ces choses; mais je veux montrer la bonté, la miséricorde, la douceur, la longanimité de Dieu.

 

Considère et comprends après cela dans quel abime nous sommes descendus et quelles angoisses nous ont atteints.

 

Des esclaves qui se révoltèrent à Harran, ville de la Mésopotamie.

 

A cette époque, dé nombreux esclaves s’entendirent secrètement, se réunirent au nombre d’environ 500 hommes : Mèdes, Sindhiens et Khazares, prirent les armes et envahirent au milieu du jour la ville de Harran. Ils dirigèrent leurs efforts contre le trésor royal et passèrent au fil de l’épée tout ce qu’ils rencontrèrent devant eux. Ils voulaient envahir le trésor et prendre ce qu’il contenait. ‘Abbas en apprenant cela fut effrayé ; il rassembla une armée considérable et vint à leur rencontre. Dans le combat qu’ils engagèrent, il y eut beaucoup d’hommes tués des deux côtés, mais les esclaves eurent enfin peur et prirent la fuite. Beaucoup d’entre eux furent tués, d’autres furent faits prisonniers et le reste s’enfuit. ‘Abbas saisit aussi leurs maîtres; il en frappa et fît périr plusieurs.

 

De l’expédition du roi dans la région septentrionale ; de la reconstruction de Raqqa ; de l’origine de tous les maux qui vinrent sur la terre.

 

Puisque nous avons fait connaître la richesse et la fertilité de la contrée et tous les bienfaits, nous parlerons aussi du peuple cruel, et de l’origine de tous les maux.

[…]

 

Cette année-là, le prince quitta l’endroitoii il demeurait avec tous ses grands et vint se cantonner dans la région septentrionale avec des troupes innombrables. Il vint à Mossoul. Tous les habitants, grands et petits, se réunirent et se plaignirent à lui des maux, des déprédations, des tourments et du ravage que leur infligeait Mûsâ b. Muç‘âb. Mais comme le roi se complaisait beaucoup plus dans la dévastation que dans la paix, il les chassa de sa présence, et fit même subir des châtiments sévères aux principaux d’entre eux. Il se félicita et se réjouit d’avoir trouvé en Mûsâ un homme selon son cœur :

« J’ai trouvé, dit-il, un homme selon mon cœur, qui accomplira toutes mes volontés et fera tout ce que je désire. Dorénavant, il marchera devant moi dans l’iniquité pendant toute ma vie. »

 

Tandis que le prince s’apprêtait à entrer en Mésopotamie, ‘Abbas, son frère, émir de la Mésopotamie, apprit cela. Il savait que c’était un homme plus ami de la dévastation que de la paix. Or, la région mésopotamienne était riche en vignes, en céréales, et elle était très peuplée au temps de ‘Abbas, car, c’était un homme miséricordieux et pacifique. Il envoya dire promptement en tous lieux :

 

« Fuyez et laissez les villages sans habitants en sa présence. »

 

Mais les paysans ne comprirent point et ne saisirent point ce qu’on leur disait; ils restèrent tranquilles.

 

Lorsque le prince entra, il vit une région fertile et abondante, belle, pleine de biens, car c’était au mois de mai et toutes les récoltes étaient encore sur la terre.

Or, quand il vit et considéra cette région fertile et très peuplée, il n’agit pas comme il convenait à l’égard de sou frère. En voyant le pays prospère sous le gouvernement de ce dernier, au lieu de l’en remercier, il rugit contre lui comme un lion qui veut saisir sa proie, et quand celui-ci vint au-devant de lui pour le recevoir avec pompe comme il convient à un roi, il le chassa de sa présence, le repoussa comme un vil rejeton et ne lui permit pas même de se présenter devant lui.

«Où est, dit-il, ce désert de Mésopotamie dont tu m’as parlé ? »

 

Il lui retira son gouvernement, lui prit tout ce qu’il avait et usa envers lui de tous les mauvais traitements. Après avoir fait cela à son frère, il vint à Nisibe, puis à Kafar-Tûta et s’avança jusqu’à Raqqa.

 

De la reconstruction de Raqqa

 

Cet homme avait une propension à suivre les magiciens et les devins. Il écoutait et faisait tout ce qu’ils lui disaient. Il les consulta donc sur les temps et les règnes. Ceux-ci ramassèrent des paroles sottes et insipides qu’ils lui offrirent et lui donnèrent, comme c’est d’ailleurs la coutume des démons d’induire en erreur ceux qui les écoutent. Ils lui dirent : « I1 y aura un roi fort, qui bâtira une ville à côté de Raqqa ; il ira ensuite à Jérusalem et y bâtira une mosquée. Il doit régner 40 ans. »

 

Ce misérable dit :

« C’est moi ! »

Il fit venir des ouvriers de toute la Mésopotamie ; il leur ordonna de faire des briques, et aux architectes de bâtir le mur.

 

De la fuite des Arméniens du territoire des Romains, et de la défaite que les Arabes infligèrent aux Romains.

 

Tandis que le roi était à Callinice, les Arméniens sortirent du territoire des Romains. Ils vinrent demander au gouverneur qui était alors préposé aux forteresses de l’intérieur de venir au-devant d’eux. Ils voulaient rentrer en Mésopotamie. Ils étaient de ceux qui avaient pénétré avec Kousan, Ils prirent donc leurs familles et s’en allèrent, et les Arabes de leur côté vinrent au-devant d’eux.

 

Le gouverneur de Qamah, eu apprenant ces choses, organisa une armée, se mit à leur poursuite, et les rejoignit avec leurs familles tandis qu’ils campaient dans une plaine.

 

Or, les Arméniens sont fourbes dès l’origine et vivent toujours de fourberie. Quelques-uns d’entre eux s’échappèrent et firent savoir aux Arabes où ils étaient cnmpés : car ils n’étaient pas très éloignés.

 

Tandis que les Romains eux-mêmes campaient et dormaient sans précaution, les Arabes les joignirent à la seconde veille de la nuit et tombèrent sur eux àl’improviste. Ils les passèrent au fil de l’épée et en prirent un grand nombre. Ils firent conduire à Callinice, près du roi, ceux qui étaient captifs et les têtes de ceux qui avaient été tués. Ils espéraient obtenir de celui-ci un présent en même temps que de la renommée et de la gloire. Mais au lieu de leur donner un présent, il les reçut au contraire très mal. On dit même qu’il confisqua leurs biens.

 

Du recenseur (M’DLN’) envoyé dans le pays.

 

Quand le roi vit la contrée bien peuplée, il voulut faire le ta’dil (‘DYL’), non pas parce qu’il se réjouissait de voir la contrée fertile et prospère, mais pour inscrire beaucoup d’hommes comme soumis à la capitation (B-KSF RYSh’, et pour accroître le tribut (L’R‘)et les tribulations de ce pays.

Il fit venir des hommes méchants et astucieux qu’il établit gouverneurs(‘ML’), et les envoya dans le pays inscrire tous les hommes pour la Gzîtâ.

 

Du Cawfî et du dêcimateur (M’SRN’)quil envoya aussi dans le pays.

 

Le prince établit ensuite des hommes cruels pour le Cawfî et la

Dîme (‘WSR’).

 

Le gouverneur préposé au Cawfî était un mage, homme sans Dieu et sans miséricorde. Il parcourut toutes les villes de la Mésopotamie. Il recensa les places publiques et tous les lieux dans lesquels on vendait quelque chose ainsi que les boutiques du marché. Toute boutique de la place publique qui ne se trouvait pas comprise dans le ta’dil, fut confisquée comme appartenant au roi ; tout moulin pareillement.

 

Il mesurait au cordeau les places publiques d’une porte de la ville à l’autre, de l’orient à l’occident et du nord au sud, et en dehors de la place publique, il mesurait 40 coudées de côté et d’autre et il occupait soit les maisons, soit les boutiques qui se trouvaient dans ces 40 coudées et les recensait. Il inscrivait au Cawfî, comme appartenant au roi, tout endroit qui n’avait point été inscrit dans le ta’dil, soit jardin, soit moulin, soit champ cultivable.

 

11 recensa même le mur de la ville dans toute son étendue avec ses tours, et il inscrivit également 40 coudées autour, tout le long de la ville.

 

Ainsi fit-il dans toutes les villes de la Mésopotamie et de la région occidentale, car il parcourut la Mésopotamie, l’Occident et même l’Arménie IV.

 

D’autres personnes reçurent ces lieux de lui à ferme, et lui-même descendit à Harran.

 

Il n’y avait plus que vol et rapine. Celui qui s’en allait était pris ; celui qui venait était pris de même, plumé et dépouillé de tout ce qu’il avait avec lui ; ils s’emparaient de quiconque avait quelque chose, soit acheteur, soit vendeur, et lui enlevaient son bien. Ils sortaient aussi dans les champs et sur les routes et saisissaient tous les voyageurs.

 

Du décimateur (M‘SRN’)

 

Le roi établit aussi un autre ‘Âmil de la dîme (‘WSR’) qu’il envoya dévaster la contrée.

 

Celui-ci vint, entra dans les villes et pénétra dans les boutiques. Il inscrivait ce qu’il trouvait dedans. S’il yen avait pour 100 Zûz il en inscrivait 200, et il prenait une dîme de 5 Zûz pour cent, et quand il pouvait de 10. Ils occupaient aussi les routes et ils dépouillaient quiconque venait, passait ou allait.

 

Les misérables qui étaient dans les villes sortaient et se répandaient la nuit sur les routes. Ils entraient et se dissimulaient dans les vignes situées sur le passage de la grande route, et saisissaient violemment les pauvres marchands qui passaient, de même que ceux qui entraient pour chercher de la garance.

 

Ils leur disaient :

« Donne-nous tant, ou nous te conduirons à l’émir. »

Et ils leur extorquaient ainsi autant qu’ils voulaient. Ils prenaient également les pauvres gens qui étaient venus pour chercher de la garance ; ils leur enlevaient tout ce qu’ils avaient avec eux, et quand ceux-ci les suppliaient de leur permettre d’arracher, ils leur disaient :

« Allez et arrachez moyennant un zûz pendant 3 jours ou 4. »

Chacun comptait avec eux comme s’ils l’arrachaient dans son propre jardin. Encore avaient-ils grand’peine à sauver une partie de ce qu’ils avaient arraché, car après avoir échappé à celui ci, ils étaient saisis par un second, et quand ils étaient délivrés de celui-ci, par un troisième.

 

Ceux qui avaient évité la dîme étaient pris par le çanphi, et ainsi en tous lieux les hommes dépouillaient les pauvres.

Les voleurs eux-mêmes se faisaient passer pour les décimateurs partout où ils rencontraient de pauvres voyageurs, et ils les dépouillaient. Dès lors ils n’eurent plus besoin de se cacher la nuit sur les routes, mais ils accomplirent leurs volontés et leurs desseins en plein jour.

 

Ils inscrivirent aussi le froment que les hommes possédaient, et quand quelqu’un en avait 50 gribè, ils en inscrivaient 1000 ! Ils inscrivaient ainsi selon leur bon plaisir ; mais cette année-là, rien ne fit défaut.

 

Des stigmatiseurs (MKRKDN’)et des marques (TB‘’).

 

Il établit un autre ‘Âmil pour stigmatiser et marquer les hommes au haut du cou, comme des esclaves. […] Mais ici ce n’est plus seulement sur le front qu’ils le portaient, mais sur les deux mains, sur la poitrine et même sur le dos.

 

Ce gouverneur vint donc, et plus que tous ceux qui l’avaient précédé, il fit trembler la région, à son arrivée. Il avait ordre, en effet, de marquer les habitants, sur les mains, d’un signe qui ne s’effacerait point et ne quitterait point sa place, de toute la vie de l’homme.

 

Quand il pénétra dans les villes, tous les hommes furent saisis de frayeur et prirent la fuite devant lui. Les boutiques furent fermées ; il n’y eut plus ni achat ni vente dans les marchés ; ni allant ni venant dans les rues. Ceux qui voulaient entrer s’arrêtèrent par crainte du mal; ceux qui en voulaient sortir, s’arrêtèrent également parce qu’on ferma les portes de la ville et qu’on ne permit plus à personne d’en sortir.

 

Quand il eut agi ainsi pendant une semaine, personne ne paraissait dans la rue, que personne ne venait du pays dans la ville, les ‘âmil de la Gzîtâ envoyèrent auprès de celui qui avait remplacé ‘Abbas dans la perception de la Gzîta, et lui firent dire :

« Le peuple s’enfuit devant le marqueur, et si ce dernier ne part d’ici, il sera impossible de lever l’impôt. »

 

Celui-ci, en entendant ces choses, envoya un écrit au marqueur qui descendit.

 

Les hommes jouirent d’un peu de repos de ce côté, car il périt en route.

 

De l’exil.

 

Il établit aussi un autre ‘Âmil pour faire reconduire chacun dans son pays, à la maison de son père. Celui-ci, à son tour, établit d’autres gouverneurs qu’il envoya dans les villes. Il n’en envoya pas un pour chaque ville, mais il envoyait le gouverneur d’une ville quelconque dans une autre, de sorte que les gouverneurs de toutes les villes de la Mésopotamie se trouvaient parfois réunis ensemble dans un même lieu, à propos de l’exil.

 

Dès lors il n’y eut plus de salut d’aucune part ; mais partout le pillage, la méchanceté, l’iniquité, l’impiété, toutes les actions mauvaises, les calomnies, les injustices, les vengeances des hommes les uns contre les autres : non seulement des étrangers, mais des familiers. Le frère tendait des embûches à son frère; celui-ci livrait celui-là.

 

Khalil b. Zidân

Il établit un Persan à Marda pour y ramener les fugitifs et y percevoir le tribut. Là, plus qu'en tout autre lieu, la population s'était enfuie, et la région entière était occupée par les Arabes, car les Syriens avaient fui devant eux. 

 

Cet homme s’appelait Khalil b. Zidân.

Il fit subir beaucoup de maux aux Arabes. On ne trouverait pas son pareil, ni avant, ni après lui, pour son animosité contre les Arabes. Il expédia quelques émirs dans toutes les villes. Si on apprenait qu’un homme, ou son père, ou son grand-père avait été à Marda, même 40 ou 50 ans auparavant, on l’arrachait de sa maison, de son village, de son pays, et on le reconduisait dans cette ville

 

Avec cet homme le présent n’était point accepté, la persuasion était sans effet ; bien peu échappaient. De la sorte, il rassembla dans cette région une si grande multitude qu’il n’y avait pas un lieu, pas un

village, pas une maison qui ne fût remplie et ne regorgeât d’habitants.

 

Il fit passer les Arabes d’une région dans une autre et prit tout ce qu’ils avaient.

 

Il remplit leurs terres et leurs maisons de Syriens, et fit semer leurs blés par ces derniers.

 

Il s’empara de ceux d’entre eux qui étaient riches et usa sans pitié à leur égard de tourments et de supplices de tout genre. Il faisait venir l’un d’entre eux, faisait passer le rasoir sur ses cheveux et sur sa barbe, lui faisait une couronne de pâte, la lui mettait sur la tête et le faisait exposer au soleil.

 

Il lui jetait ensuite de l’huile sur la tête de manière à ce qu’elle coulât peu à peu sur ses yeux, et ainsi sa tête était saisie de vives douleurs. Puis il le serrait dans des entraves, aux cuisses, aux doigts, aux bras, et il lui mettait sur les yeux des noix de fer. Il usait ainsi sans pitié à leur égard des tourments, et il en fit périr de la sorte un grand nombre. Les autres s’enfuirent et passèrent d’un lieu dans un autre.

 

[…]

 

Quiconque avait échappé au Cawfî était saisi par le décimateur, quiconque avait échappé au décimateur était pris par celui qui recherchait les fugitifs, quiconque échappait à l’exil était saisi par les brigands.

 

Les paysans surtout étaient cruels à l’égard de ceux qu’ils dépouillaient en toute occasion et de toute façon. Et comme les gouverneurs chargés des fugitifs qui remplissaient toute la contrée, craignaient de paraître devant rantorilé, eux-mêmes, ces gouverneurs iniques, saisissaient, dépouillaient tous ceux qu’ils voyaient, et prenaient leur bien, ou encore ils les conduisaient et les livraient au gouverneur [chargé] des fugitifs de leur région. De sorte que personne n’échappa à l’un des maux ; car chacun était pris par l’un ou l’autre [de ces gouverneurs].

 

Ceux-ci ne se préoccupaient pas beaucoup du départ des exilés.

Mais, quand ils avaient dépouillé quelqu’un, [nu] comme les doigts, ils s’éloignaient de lui quelque peu afin de lui permettre de s’enfuir pour qu’il n’allât pas avec eux et ne les accusât pas d’avoir volé son bien. Et s’ils le saisissaient de nouveau, ils se montraient encore plus cruels à son égard que la première fois.

 

Cette calamité sévissait également dans toutes les régions de la Mésopotamie.

 

Le prince défendit aussi que quelqu’un, soit Arabe, soit Syrien,

moissonnât.

 

Il défendit de moissonner ou de battre le blé avant son entrée

en Mésopotamie, parce qu’il voulait voir par lui-même toute la

récolte. Or, cette année-là, il y avait partout abondance de froment.

 

Quand il fut arrivé et eut tout examiné, après avoir fait subir toute sorte de maux à ‘Abbas, il établit d’autres gouverneurs pour percevoir le Zakî (Zakât), c’est-à-dire le Zadaq almal-â (Cadaqat al-mâl) et les envoya dans ces pays.

 

Dès que [ces gouverneurs] eurent reçu cet ordre, ils l’appliquèrent rigoureusement, sans pitié. Ils entraient dans les champs des Arabes, et tout ce qu’ils y trouvaient, soit aux Arabes, soit aux Syriens, ils l’inscrivaient.

Ils n'inscrivaient pas les pommes, les meules, les gerbes de froment et d'orge selon la réalité, mais, s'il y en avait 100 gribè, ils en inscrivaient 300. Ainsi, rien de ce qui était aux Syriens ou aux Arabes dans les propriétés de ces derniers, ne fut omis dans le recensement : ni jardin, ni champ ensemencé, ni bête de somme. Ils allaient ensuite à la ville et exigeaient le tribut de ces choses.

Beaucoup d'entre les Arabes, après avoir vendu leur froment, leurs champs, leur âne, s'ils en possédaient un, n'avaient pas encore trouvé la somme qu'on leur demandait, car on avait inscrit à un homme tant de champs produisant une récolte de tant de gribè ; on lui avait inscrit des champs bien remplis, alors qu'il n'avait pas récolté plus de 5 jribè.

 

Les Arabes subissaient ainsi des épreuves plus cruelles que celles des Syriens.

 

Quant à ceux-ci, le ‘Âmil de la Gzîtâ leur ordonna de se réunir. Il prit un répondant pour chaque village et les laissa libres d’aller battre leur blé.

 

Des Emirs (’MYRN’), scribes (KTWB’), changeurs (SGSTR’), chefs de district (RYShY QLYM’) et Sultans(ShLYTN’).

 

Avant de passer au delà de Nisibe, il ordonna que tout émir, scribe, changeur, chef de district (rîsh qalîm-â) ou sultan (ShalîT-â), qui avait été en fonctions du temps de ‘Abbas, descendît près de lui avec les notables du pays.

 

Y aurait-il eu dans un village 20 Shalîtin-ê, tous auraient dû descendre avec leurs livres. Les ‘Âmil qui avaient été accusés descendirent ainsi près de lui à Nisibe. Il les enchaîna et les emmena avec lui. Les scribes et les changeurs s’en allèrent aussi avec lui. Ils restituèrent et furent réduits à manger leur propre chair sans pouvoir obtenir leur délivrance.

 

Ils restèrent longtemps en cet endroit, mais ils ne furent point inquiétés, car ils remontèrent sans sa permission. Ils ne furent pas non plus inquiétés après son départ.

 

Après avoir fait ces choses en Mésopotamie, il s’attaqua à Raqqa.

 

Celui-ci s’attaqua à Raqqa et passa dans la région occidentale pour aller à Jérusalem (Le-Awrîshalem). Il l’agita, la renversa, la terrifia, la dévasta encore plus que la Mésopotamie. Il fit selon ce que Daniel prophétisa de l’Antéchrist lui-méme.

 

I1 convertit le temple (Heykal-â) en mosquée, car le peu qui restait de celui de Salomon devint une mosquée (Bêth Masgid-â) pour les Arabes. Il prit une femme. Il répara les ruines de Jérusalem. Il s'attaqua aux hommes, prit leur bien et leur bétail, surtout les buffles. Il n'en laissa volontairement aucun à qui que ce fût.

Quand il eut causé là toute sorte de maux comme dans la Mésopotamie, il revint à l’entrée de l’hiver en Mésopotamie pour y séjourner et continuer sa destruction.

 

Avant son retour d’Occident, il établit pour percevoir la Gzîtâ un Persan nommé Abû ‘Aûn, et d’autres gouverneurs pour percevoir d’autres impôts. De là l’origine des maux. De même que des bêtes féroces qui s’attaquent à un cadavre chacune par un côté, ainsi, 5 gouverneurs, quelquefois 6 ou 7, et même jusqu’à 10, entraient le même jour dans un village, et chacun d’eux tiraillait de son côté les habitants de ce village qui ne parvenaient à s’échapper et n’évitaient la mort qu’au moyen de dépenses considérables. Il arrivait parfois que, quand ces premiers étaient partis, d’autres venaient en cet endroit, et alors il n’y avait plus moyen d’éviter leurs exactions.

[…]

Si quelqu’un appelle ceux-ci bêtes sauvages, il ne les calomnie pas, car ils étaient plus méchants que les oiseaux de proie et que les bêtes sauvages.

[…]

Aussi commencèrent-ils à fuir de village en village, mais ils n’étaient pas sauvés de la sorte. Dès qu’ils avaient échappé à l’un un autre les saisissait et les dépouillait. S’ils éclinppaient à ces gouverneurs scélérats, les chefs du village dans lequel ils se réfugiaient les livraient, et remplissaient eux-mêmes l’office des voleurs et des brigands. Celui qui s’y distinguait et qui était désigné comme chef et comme guide, celui-là était le chef d’une caverne de brigands.

 

Lorsque des malheureux allaient pour se cacher dans ce village, il leur creusait lui-même une fosse de toute manière. Tous les maux découlaient de lui et sur les proches et sur les éloignés, et sur ceux de la maison et sur ceux du dehors.

 

Tous les chefs de village se conduisaient ainsi. —

« Tes grands sont inlidèles et compagnons de voleurs. Tous aiment les présents et poursuivent les récompenses. Ils ne rendent pas justice aux orphelins, ils n’ont point pitié des veuves. »

 

Le jugement de Dieu n’était pas placé devant leurs yeux.

 

[…]

 

De ce que les hommes se mirent à violer les sépultures.

 

Les maux se multiplièrent, l’un poussant l’autre, l’aile contre l’aile, la main dans la main. Un cri lamentable s’élevait de toute part. Personne d’entre les vivants ne pensait pouvoir échappera cette grande calamité qui dépouilla ceux qui jouissaient de la vie corporelle aussi bien que ceux qui étaient réduits en poussière. Ceux qui avaient l’amour du vol et l’intention de piller les tombeaux purent maintenant accomplir leur désir.

 

Or, comme ce vase de péché, ce fils de perdition, cet avocat du diable, celui qui s’élève contre tout ce qui est divin et respectable, celui qui tire son origine et sa race de là tribu maudite appartenant au peuple qui voulut lapider Moïse, Mûsâ b. Muç’âb n’était pas encore parti, nous éprouvâmes à cette époque un accroissement de maux, parce que nous avons péché.

 

Jusqu’alors, à l’exception des pauvres de la région inférieure et de la foule des étrangers qui se trouvaient dans ce pays, les hommes n’avaient pas beaucoup souffert. Il les opprima, les ruina, les fit périr en cette année. Ils prirent leurs enfants à leur cou et se mirent à errer de village en village.

 

En cette année, nous reçûmes de contrées éloignées la nouvelle lamentable que dans certains lieux les hommes avaient violé les tombeaux et en avaient retiré de l’argent et de l’or. Il ne nous semblait pas croyable, à cause de l’énormité de la chose, que les hommes pussent faire cela à l’égard des morts, et bien que quiconque venait rapportât le fait, disant qu’ils en retiraient de l’or, nous ne voulions pas croire que cela fût vrai. Mais la chose ne tarda pas à être manifeste à nos yeux, dans nos contrées, sur nos pères et nos frères qui étaient morts auparavant. Nous rapporterons ici la chose en son temps, telle qu’elle fut.

 

[…]

 

Les hommes furent dispersés : ils devinrent errants en tous lieux; les champs furent dévastés, les campagnes furent pillées; le

peuple s’en alla de pays en pays.

 

[…]

 

De la manière dont fut payé l’impot de capitation, et de l’emprisonnement dans une église.

 

Comme on demandait à chacun plus qu'il ne pouvait donner, l’émir prit les répondants et répartit entre eux autant qu'il put à chacun également. Ceux-ci les répartirent à leur tour entre leurs villages.

 

Comme les gouverneurs établis par ‘Abbas n’étaient pas encore destitués, et que le principe de tous les maux n’était pas encore venu, ils ne commirent pas d’injustice, ne dépassèrent pas les limites de l’équité et demandèrent dans le pays la somme fixée.

 

Comme l’affaire n’avait pas réussi, on fit une nouvelle répartition entre les répondants; mais cela ne suffit pas non plus. Et pourtant ces garants pillèrent les pauvres, les orphelins, les veuves qui étaient dans leurs villages. Ils n’épargnèrent point les orphelins et n’eurent point pitié des veuves. Ils ne firent point cela par ordre de l’autorité, mais d’eux-mêmes.

 

[…]

Ils s’empressèrent de vendre le mobilier, le bétail, les objets des pauvres de leur village ; ils remplirent leurs maisons, ils devinrent riches comme ils le désiraient, car on leur donnait pour les rachats et les intérêts sans ménagement, en sorte qu’ils étaient sur le point de posséder, selon leur désir, les enfants des pauvres comme esclaves et comme servantes. Ils ne savaient pas, les malheureux, que la fin des impies c’est la ruine.

 

Ils donnaient en froment, pour un dinar 50 gribè, ou même 60, et quelques-uns 70. A quiconque présentait un Zûz, ils souscrivaient la quantité qu’il voulait. Ils donnaient du vin, pour un dinar 50 kailté, quelques-uns 60, 70 ou, même 80. Au marché, le froment se vendait 30 ou 35 gribê pour un dinar, et monta jusqu’à 40 ; le vin dans les mêmes proportions ; un agneau, un Zûz ; une chèvre, un Zûz ; une vache, 5 Zûz ; un âne, 4 Zûz ; et toutes choses étaient bon marché.

 

Comme l’affaire languissait et ne réussissait pas, l’émir rassembla les habitants de l’endroit. Cet émir était un homme détestable, impie et inique. Il ne se laissait flatter par personne, non plus que les satellites qu’il envoyait dans le district. II rassembla les habitants dé l’endroit et les renferma tous dans une grande éfflise.

 

De l’emprisonnement dans l’église.

 

Quand un héraut proclama l’ordre de se rassembler dans l’église, des satellites pleins d’ardeur sortirent et enfermèrent quiconque était soupçonné d’avoir quelques Zûz.

 

[…]

 

On rassembla tous les hommes libres et même les femmes dont les maris étaient éloignés ou momentanément absents à cause de cette persécution. On tira celles-ci de leurs maisons. On les entraîna, on les fit descendre dans les rues, et on les renferma dans cette église. Des femmes qui n’avaient jamais paru sur la rue furent contraintes de descendre et furent placées sans pudeur au milieu des hommes.

Ils firent de même à l’égard des femmes arabes.

 

Tous les Arabes indistinctement furent contraints de descendre. Si quelqu’un était absent, ils emmenaient ses femmes ou ses filles. Ils s’emparaient successivement de chaque village. Ou bien ils prenaient une caution et emmenaient les habitants; ou bien ils les tuaient, soit en les frappant, soit à l’aide des entraves aux pieds et aux doigts.

 

L’iniquité audacieuse s’éleva et s’assit sur le siège sublime qui est en face de la table du sanctuaire divin. Ils poussèrent l’audace jusqu’à monter sur la table sainte, pour faire leur prière qui irrite le Seigneur, et ils foulaient de leurs pieds impurs cette auguste table. Dans le sanctuaire même, ils lavaient les souillures de leurs membres, et ils y commettaient beaucoup d’autres impuretés. Au milieu de l’église, tout ce peuple, hommes et femmes, déposaient leurs excréments, sans pudeur, en présence les uns des autres.

 

Ils restèrent ainsi trois jours et trois nuits dans cette église. Il s’éleva du milieu d’elle une clameur douloureuse, et au lieu de la fumée odoriférante des parfums de choix, s’éleva l’odeur de la putréfaction, avec la clameur douloureuse de ceux qui y étaient enfermés.

 

Poussés par la nécessité, ils se jetèrent sur les biens des églises et des monastères, de sorte que même les églises éloignées, bien qu’on n’y sentît point l’odeur infecte, eurent à souffrir de cette profanation dont avait été victime la grande église de la ville, maîtresse de toutes celles de la contrée; car elles furent dépouillées par les habitants, de leurs biens, de leur mobilier, de leurs vases sacrés qui furent mis en gage entre les mains des païens.

 

[…]

 

Le gouverneur usait envers eux de toute sorte de supplices et de tourments; il opprimait, selon son bon plaisir, Arabes et Syriens, marchands et boutiquiers. C’est pourquoi il n’y avait plus en ces jours sur le marché, ni vendeur ni acheteur ; sur les routes, ni allant ni venant, parce que les portes de la ville étaient fermées.

 

Quand les hommes qui craignent Dieu virent toutes les souillures que commettaient ces impudiques au milieu du saint temple, ils s’adonnèrent à une profonde douleur, crièrent vers le Seigneur et dirent: « Pourquoi, Seigneur, nous as-tu ainsi oubliés etta colère s’est-elle appesantie sur le troupeau de ta bergerie?

 

[…]

 

Lorsqu’ils eurent opprimé tout le monde la somme totale fut réunie, après que les paysans eurent emprunté dans le voisinage, de ceux même qui pouvaient prêter même un dinar, car ils ne consentaient point à sortir pour aller se faire payer dans les villages. Ainsi le gouverneur (‘ML’)dépouilla le pays, puis il se rendit auprès de l’émir des croyants (‘MYR’ D-MHYMN’), à Nisibe.

 

C’est à son retour d’Occident qu’il avait sévi de nouveau contre toutes les églises des villes. Celle d’Édesse eut à souffrir plus que toutes les autres et perdit ses biens.

 

[…]

 

De l’imposteur qui parut dans la Mésopolamie, l’an 1081/770

 

[…]

En ce temps donc, survint un homme de la région de Tagrit, du village de Beit Rama. Étant resté sans père ni mère, à l'âge adulte, il eut le désir d'embrasser la vie chaste du monachisme. Il partit et s'en alla au saint monastère de Mar Mattaï, dans la région de Mossoul. Après qu'il y eut passé deux ou trois ans, le Malin l'excita à retourner à son premier vomissement. Comme il n'avait pas encore dissipé ce qui lui revenait de ses parents, ainsi que Judas, il le séduisit par l'amour des pauvres, des étrangers, des malheureux, des affligés, et par beaucoup d'autres choses. Mais au lieu de ses belles promesses, il fiuit par lui procurer, comme à celui-ci, la strangulation.

 

Étant donc retourné à sa maison, au lieu de s’occuper des œuvres du monachisme, du soin des pauvres et des affligés, il imita les jeunes gens de son âge, et tout ce qu’ils faisaient, il le faisait avec eux. Au lieu de distribuer son bien aux pauvres, il le dissipa dans la luxure, vivant avec prodigalité au milieu des débauches. A la fin, il tourna au paganisme et apostasia.

 

Quand il eut dissipé toute sa fortune en vivant ainsi prodigalement, quand il eut tout consacré à ses débauches et qu’il fut ruiné, il revint à lui-même et se dit : « Malheureux que je suis ! Qu’ai-je fait de moi-même ! » et il partit pour aller au désert de Singara près d’un illustre solitaire qui se trouvait là. Celui-ci l’ayant admis près de lui, il s’adonna aux plus grands et plus durs labeurs.

 

Il appliqua son corps au jeûne et à de nombreuses prières. Bien qu’il se fût déjà livré à ces œuvres l’espace d’environ cinq ans, au point que sa chair était émaciée, qu’il était devenu comme un Éthiopien et que tout son

visage était changé par l’ardeur du soleil, alors même le démon ne cessa de le tourmenter. 11 commença à se montrer à lui sous l’aspect d’anges qui exaltaient ses labeurs et lui faisaient connaître les choses futures. Saint Mar Zo’ara en entendant cela, lui dit :

« Mon fils, prends garde aux ruses du séducteur. Toutes ces choses viennent

du démon. »

Le vénérable Zo’ara était en effet à cette époque le supérieur des moines de cet endroit. Le vénérable lui disait constamment de ne pas faire attention à ces choses, de les mépriser toutes, parce que toutes venaient du Mauvais.

 

Le moine cependant ne l’écouta point, mais il s’y laissa prendre, et entraîna des hommes à sa suite. Il disait :

« Ceci et cela aura lieu. Un tel fera telle chose. Aujourd’hui, les hommes de tel endroit viendront me trouver. »

C’est un fait connu des sages qu’il n’est pas difficile au démon, lorsqu’il a suggéré à quelqu’un de faire une chose que celui-ci fera réellement, de manifester extérieuremeni son dessein sur cet homme. Il ne dit pas des choses qui n’arrivent pas, mais des choses qui arrivent par son conseil. Il est appelé trompeur parce qu’il fait connaître les choses secrètes. Il est écrit que le trompeur manifeste les secrets. N’est-il pas vrai que si un homme est déjà en route, et si un envoyé rapide vient, et qu’il dise :

 

« « Un tel viendra aujourd'hui à tel endroit, » il ne manifeste pas des choses futures, mais des choses qui s'accomplissent actuellement ? Ainsi ce malheureux fut induit en erreur, fut trompé et entraîné dans l'iniquité par les visions diaboliques. Un peuple nombreux commença à errer à sa suite, car il tomba dans l'erreur et la démence.

 

En apprenant ces choses, et en voyant qu’il méprisait les conseils qu’on lui donnait, qu’il se mettait même à dénigrer les religieux en disant:

 

« Ils sont jaloux de moi, » le bienheureux Mar Zo’ara le saisit et le frappa, le chassa de là et lui défendit, sous peine d’anathème, d’habiter dans toute la région de Mossoul. Il sortit donc de ce pays et vint en Mésopotamie, dans la région de Dara.

 

Il y avait dans cette région de Dara un grand et important village renfermant une nombreuse population. Les habitants de ce village étaient des hommes simples, des travailleurs plus laborieux que tous ceux des environs. Ils étaient fidèles plus que tous ceux de leur contrée; ils étaient très attachés aux moines et honoraient leurs prêtres comme des anges. Comme ces gens étaient éloignés de toute perfidie mondaine et s’occupaient uniquement de leur travail, le démon dirigea son artisan vers un tel peuple. Quand il entra dans ce village et qu’ils le virent couvert d’un vêtement pauvre, le corps desséché et noirci, ils le reçurent comme un ange. Il se mit à leur dire qu’il était envoyé par Dieu pour leur annoncer que leur village était sur le point d’être renversé et enseveli sous la terre, que la terre le recouvrirait et qu’il ne serait plus jamais habité. Les habitants le reçurent dans leur simplicité, et écoutèrent dans l’innocence de leur cœur tout ce qu’il leur dit. Le nom de ce village était Hani, dans le Tour ‘Abdin. Il leur disait constamment « Faites pénitence, priez, jeûnez, avant que la terre n’ouvre sa bouche et ne vous engloutisse. Car la mesure de vos péchés est comble, votre iniquité est plus grande que celle de Sodome ou de Gomorrhe, vous n’avez plus qu’à attendre le jugement de Dieu, sans miséricorde. »

 

Ce peuple simple, en entendant [cela] et en voyant le miel dans lequel était mélangé le poison, ne reconnut point, à cause delà douceur du miel, l’amertume du venin mortel. Ils n’écoutèrent ni Notre Seigneur, ni les prophètes, ni les Apôtres, ni leurs évêques. A cause de ces paroles :

« Jeûnez et priez, » ils ne reconnurent pas la ruse du Malin. A quiconque leur disait :

« Craignez Dieu, cet homme est un imposteur » ils répondaient : « Que dit-il de mal? Il ne dit autre chose que : ‘Jeûnez et priez’. »

Ils ne voulurent écouter personne, mais ils errèrent à sa suite et entraînèrent dans l'erreur toute la contrée. Ils s'adonnèrent aux lamentations et aux larmes, ils abandonnèrent leur travail et laissèrent leurs charups et leurs vignes incultes pour s'appliquer à la prière.

 

Bientôt ils commencèrent à dire de cet homme qu’il faisait toute sorte de prodiges comme Notre-Seigneur. Ses envoyés, c’est-à-dire les démons, allèrent répandre sa renommée dans toute la Mésopotamie. La contrée septentrionale fut troublée, de même que le Sud avec l’Orient et l’Occident. Tout le monde se trompait complètement à son sujet. Lorsqu’une caravane venait de quelque côté et en rencontrait une autre qui s’en retournait d’auprès de lui, ceux qui venaient demandaient à ceux qui s’en allaient :

« Comment avez-vous trouvé cet homme? »

 

Ceux-ci disaient :

« On ne connaît rien de comparable dans tout l’univers à ce que fait cet homme. »

 

Ils montraient leurs membres et disaient :

 

« Celui-ci était paralysé, celui-là avait le bras desséché, celui-ci était lépreux, celui-ci aveugle, et maintenant, comme vous voyez, nous sommes tous sans infirmité ni maladie. Voyez nos yeux ouverts, nos mains souples, nos pieds guéris. Ne vous refusez pas à nous [croire], mais soyez afïerrais dans votre foi, et allez près de lui. Tout ce que vous demanderez vous l’obliendn^z de lui. » Et ainsi, ils continuaient leur route et s’en allaient près de lui. [Les démons] allaient ainsi au-devant de toutes les caravanes qui venaient vers lui et attestaient :

« Nous l’avons vu de nos propres yeux. Il chasse les démons ; il ouvre les yeux des aveugles, fait entendre les sourds et marcher les paralytiques. »

 

A d’autres ils disaient : « Nous l’avons vu, nous, ressusciter un mort, et il a fait toutes sortes de prodiges en notre présence. »

 

Sois sûr, lecteur ou auditeur, que ceux qui apparaissaient aux hommes se rendant en cet endroit, qui se rencontraient avec eux en grand nombre sur leurs ânes, leurs mulets, leurs chevaux, et qui montraient leurs membres guéris par lui, n’étaient pas des hommes, mais bien des démons. Sachons aussi, d’après cela, que jamais on ne vit un homme qui eût recouvré la santé auprès de lui.

 

[Les démons] apparaissaient à d’autres et leur disaient :

« Nous sommes des anges. Nous sommes enchaînés par la prière de Mar Marûta, car ils l’appelaient Marûta, — s’il nous laisse faire, et nous amènerons le grillon et la sauterelle. »

 

A d’autres ils apparaissaient et disaient: « Les dragons viendront sur la tejre et ne laisseront personne vivant, si Mar Marouta nous laisse faire. »

 

Les démons rebelles ne cessaient de faire entendre de semblables propos dans toute la Mésopotamie. Et dès lors il n'y eut plus d'interruption sur les routes qui conduisaient à cet endroit.

 

Comprends, ô sage, que lorsque le fils de perdition viendra, il n’agira pas de suite par lui même, mais ses ministres iront ainsi publier sa renommée par toute la terre ; ils se montreront corporellement à chacun et crieront: « Un tel était paralysé, un tel aveugle, un tel lépreux, et celui-ci les a guéris. »

 

Ils se faisaient eux-mêmes morts, paralytiques, lépreux, aveugles et infirmes de toute façon et venaient près de lui. Dès qu’il commandait à un paralytique de marcher, il marchait, et celui qui était comme réellement paralysé se mettait à marcher. Les malheureux qui avaient abandonné les Livres saints et allaient à sa suite ne savaient pas que ceux-ci étaient des démons, et qu’aucun des hommes qui vinrent le trouver ne fut jamais guéri par lui ; à moins qu’il ne fût frappé par le Malin, et alors, lorsque le démon le quittait, il paraissait guéri.

 

Ils disaient :

 

« Parce que tu n’as pas la foi, tu n’es pas guéri. Nous avons vu ces choses et nous les attestons. Chacun de ceux que nous avons vus revenir d’auprès de lui, à qui l’on demandait : Es-tu guéri ? disait : Je suis guéri. »

 

Il ne disait jamais rien de plus que :

« Si tu as la foi, dans quarante jours tu seras guéri. »

 

Et sous cette condition d’attendre la guérison pendant quarante jours, il les renvoyait.

 

Ainsi tous les pays se mettaient en mouvement et venaient vers lui. On lui apportait des billets, avec de l’or, de l’argent, des objets précieux. Il faisait des aumônes, de longues prières, puis se levait et aspergeait le peuple de cendre, en disant :

« Que Dieu soit apaisé ! »

Il se tenait sur un siège élevé comme un évêque, bien qu’il eût seulement reçu l’ordre du diaconat. Il est prescrit par les canons apostoliques que le prêtre ne soit bénit que par son confrère prêtre ou par l’évéque, et qu’il ne reçoive la bénédiction que de ceux-ci. Cet audacieux, non seulement bénissait, mais il faisait même le signe de la croix et imposait la main sur la tête des prêtres. Il faisait aussi l’huile delà prière, lors même que plusieurs prêtres se trouvaient réunis près de lui, et la leur donnait. Il faisait l’huile de cette manière : il récitait dessus une prière, puis il crachait dedans et la consacrait par son crachat.

 

Un évêque ou un moine ne pouvait aller là, ni dire quelque chose, sans s’exposer à être tué par les habitants de ce village qui disaient :

 

« Vous êtes jaloux de lui. »

 

Saint Mar Cyriaque, évêque de l’endroit, voyant que son troupeau était détenu captif parle Malin, qu’ils n’écoutaient point ses paroles et voulaient même le mettre à mort, se rendit près du vénérable patriarche David et lui fit connaître tout cela.

 

Le vénérable David, en apprenant ces choses, fit enlever le séducteur et l’enferma dans la prison de Harran. Cela ne mit pas fin à ses impostures, car beaucoup de gens venaient le trouver dans la prison et cet impie faisait de l’huile et la leur donnait après l’avoir consacrée par ses crachats.

 

Nous omettons plusieurs faits et nous passons à d’autres choses, car nous voulons faire connaître les années de calamité que le pays a souffertes.

 

De la première année de calamité qui fut l’an 1084/773

 

Et d’abord des scribes, des goucerneurs, des changeurs.

 

Quand le roi revint de la région de Jérusalem, il fit saisir ‘Abbas, le dépouilla de tout ce qu’il avait et mit à sa place Mûsâ b. Muç’ab, dont nous avons parlé plus haut. Il livra à ce dernier les gouverneurs, les scribes, les changeurs qui avaient été en fonctions du temps de ‘Abbas, pour qu’il leur fît rendre compte : puis il descendit à Bagdad.

 

Ce tyran, ayant reçu cet ordre, fit amener quiconque avait été gouverneur, scribe ou changeur du temps de ‘Abbas. Comme il n’était pas encore parti de Mossoul, il les fit descendre à Balad et les fit emprisonner dans cette ville avec un gros boulet de fer. Or, il ne leur fit point rendre compte et ne fit point d’enquête dans le pays pour savoir combien ils avaient pris. Mais cet homme rusé dans le mal fit venir près de lui, de chacune des villes, des hommes traîtres et avares qui n’avaient point Dieu devant les yeux, des hommes tels que le fils de perdition s’en choisira, des calomniateurs semblables à lui. Il les honorait en paroles et en œuvres et leur promettait de grandes choses, comme Satan en promet à ceux qui marchent à sa suite et auxquels il procure, après tout, une fin déplorable et l’enfer. Par ses paroles il les trompait tous, et ils lui faisaient connaître qui était de leur ville : soit notaire, soit gouverneur, soit changeur, ce qu’il possédait et ce qu’il ne possédait pas, quelles étaient ses richesses, ses maisons, ses propriétés.

 

Il fut ainsi renseigné sur chacun et éclairé sur leurs biens. Les traîtres n’obtinrent pas de lui une brillante récompense, mais Dieu les livra entre les mains de l’impie qu’ils chérissaient, et celui-ci les maltraita plus que personne autre.

 

Ce tyran tint donc les fonctionnaires qui avaient été sous les ordres de ‘Abbas enfermés pendant cinq ou six mois, jusqu’à ce qu’il eût été renseigné sur leurs actions par ces impies qu’il avait choisis. Lorsqu’il ne reçut plus de dénonciation d’aucun pays, il les fit sortir un à un, et selon ce qu’il avait appris des calomniateurs, il taxait sans pitié chacun d’eux pour une somme d’or qu’ils devaient lui donner ; les uns : deux mille [dinars], les autres quatre, les autres dix, les autres quinze, les autres vingt, les autres trente, les autres quarante. Il les taxait ainsi non parce qu’ils étaient débiteurs [de ces sommes], mais pour satisfaire son avarice et sa rage. Il torturait les pieds et les mains de chacun d’eux, jusqu’à ce qu’il eût reçu la somme pour laquelle il avait taxé cet individu.

 

Et quand celui-ci avait consenti, il le renvoyait enchaîné à sa ville avec un cavalier et des répondants, pour en rapporter cette somme.

 

Il ordonna ensuite aux censeurs d’aller inscrire tout ce qui leur restait.

 

Cet homme pervers, voyant que le roi (MLK’) l’exaltait et ajoutait encore aux honneurs dont il l’avait précédemment comblé, et sachant que ce roi se complaisait plus dans la destruction que dans la paix, rugit comme un lion en présence de sa proie. Il commença à pressurer la contrée, comme autrefois Pharaon les enfants d’Israël.

 

Il ordonna d’abord aux censeurs (M‘DLN’)de recenser (N‘DLWN) leurs pays. Ces censeurs apprirent près de lui à être avares, et lui-même ne donna pas l’ordre de faire le recensement par un sentiment de bienveillance, mais par avarice, et pour se faire une réputation par un nouveau ta’dil. Cela est manifeste d’après ce qui arriva ensuite, c’est-à-dire que celui qui se trouvait imposé davantage devait payer selon le nouveau recensement, celui qui se trouvait moins imposé devait payer selon l’ancien. Les censeurs eux-mêmes demandaient ouvertement, sans pudeur et sans crainte, des présents et des dons.

 

Ils recensèrent ainsi le pays et ne laissèrent rien autre chose que les nombreuses ruines causées par leur brigandage et leur avarice.

 

Des stigmatitieurs (MKTBDN’) et des marques (TB‘’).

 

Il envoya aussi avec les censeurs des stigmatiseurs et des marques pour que, sur l’ordre des premiers, ceux-ci marquassent sur quiconque serait pris le nom de sa ville et de son village, afin qu’il fût ensuite reconduit à son village et à son pays. Ils s’appliquèrent moins à cela qu’à satisfaire leur avarice. Non seulement ils imprimaient ces marques, mais ils surajoutèj-ent d’eux-mêmes beaucoup d’autres choses. Le stigmatiseur saisissait tout d’abord les notables d’un endroit, et leur disait :

 

« Que chacun conduise les siens à la ville et que personne ne sorte; vous êtes responsables. »

 

Quand ces notables avaient conduit tous ceux do leur village, il les marquait. Sur la main droite il inscrivait le nom de la ville et sur la gauche : « Gezirtâ. »

 

Il suspendait au cou de chacun deux médailles dont l’une portait le nom de la ville et l’autre celui du district. Il percevait dès le principe 1 Zûz pour chaque groupe de 3 hommes. Il inscrivait aussi le nom de l’individu, sa ressemblance, son portrait, de quel village et de quel district il était. Cela troubla fortement les gens, car on s’empara de beaucoup d’étjangers, et quel que fût le lieu qu’ils indiquassent, on les marquait du nom de l’endroit où parfois ils n’étaient jamais entrés. Et si ce recensement eût été achevé, il eût causé plus de mal que tous les précédents.

 

Le marqueur, voyant que son œuvre n’était pas complète, sortit dans le pays et s’empara de tous les allants et venants. Il parcourut la région plus de vingt fois et ne s’arrêta que quand il eût pris tous les habitants et que personne ne lui eut échappé.

 

[…]

 

Des dècimateurs.

 

Il envoya d’autres gouverneurs pour la dime, et ceux-ci troublèrent de nouveau la contiéo. Étant entrés dans les villes, ils passaient dans une boutique pour voir ce qui s’y trouvait. Quand un homme pauvre avait pour 100 Zûz, ils en inscrivaient 500 ; s’il en avait pour 1000, ils en inscrivaient 5000.

 

Ils passèrent dans les maisons des Syriens et des Arabes, et partout où il y avait du froment, de l’orge, ou d’autres choses de même nature, ils les consignèrent. Sans même regarder, ils inscrivaient : tant de milliers pour un tel ! Ils exigeaient un jarîb par 10 gribé. On était d’accord avec eux à Bagdad.

 

Si cela eût continué, la contrée eût été ruinée, car souvent [150] ils inscrivaient 10 000 à quelqu’un qui n’en possédait pas 20 ; car ces calomniateurs iniques dont nous avons parlé plus haut avaient été leurs maîtres dans le mal.

 

Mûsâ lui-même les faisait appeler constamment, et ils descendaient près de lui pour le renseigner sur ce qu’il y avait dans la ville de chacun d’eux. Dès lors, les hommes comblaient le décimateur de leur ville de présents et d’honneurs afin de lui fermer la bouche.

 

A cause de cette manière de faire des décimateurs, et aussi à cause des délateurs, les pauvres furent complètement ruinés et encore à peine purent-ils détourner ce fléau.

 

Dès lors, ils sorti/ent sur les routes et les passages, et ils dépouillèrent quiconque allait ou venait. Ils se plaçaient en embuscade la nuit sur les routes, comme des voleurs, et prenaient le bien des hommes qui fuyaient pour éviter la dîme ou le çawfî. Nous sommes, disaient-ils, les décimateurs. »

 

Comme un mal incalculable commençait à ravager tout le pays, et qu’il n’y avait plus ni allant ni venant sur les routes, les hommes descendirent se plaindre à Mousa. Celui-ci défendit de saisir quelqu’un en dehors de la place publique; mais à peine cessèrent-ils alors leurs méfaits.

 

Du Cawfî.

 

[…]

De même que l’enfer et le démon ne sont jamais rassasiés, ainsi ce fils de l’enfer et du démon n’était pas rassasié de tous les hommes, de leurs vignes, de leur bétail, de leurs champs. Ils travaillaient pour lui, et cela ne lui suffisait pas. Il exerça son avarice sur les routes, les montagnes, les eaux qui coulent dans les fleuves, et jusque sur les morts. Il remua de leur place et dispersa, comme le fumier à la face de la terre, les ossements de ceux qui reposaient dans les tombeaux depuis deux ou trois mille ans.

 

Malheur à toi. Seul! de même? que tu n’es pas rassasié des cadavres que chaque jour tu recueilles dans ton sein, de même ceux que lu as engendrés et qui sont liens ne soni jamais rassasiés, jusqu’à ce que la mort ferme leur palais glouton.

 

Quand ceux qui avaient été préposés au çawfî arrivèrent, ils occupèrent les places publiques et les rues. et arrêtèrent tous les passants. Ils s’emparèrent aussi des rivières, [occupèrent] les gués pour empêcher de passer, et [interdirent] aux pêcheurs de pêcher du poisson. Ils mesurèrent au cordeau les places publiques du nord au sud et de l’orient à l’occident : quarante coudées d’un côté et quarante coudées de l’autre côté. Ils envahirent beaucoup de maisons, de boutiques, de cours; ils confisquèrent toute boutique qu’ils ne trouvèrent point inscrite dans l’ancien recensement et contraignirent les habitants à évacuer leurs demeures.

 

Et après que ce principe de tous les maux eut ainsi beaucoup fait souffrir les uns et les autres, la calamité cessa à peine. Ils mesurèrent le mur de la ville et s’emparèrent des tours et de son circuit, afin de satisfaire en toute manière leur cupidité et leur avarice. Ils envoyèrent un héraut annoncer :

« Que quiconque veut louer une boutique ou une tour aille trouver le ‘amil du çawfi. »

 

Ils causèrent beaucoup de dommages aux propriétaires de celles-ci, et à peine revint-il à un homme quelque chose de son bien. Ils s’emparèrent, en outre, de tous les entrepôts où se faisait le commerce extérieur avec le pays.

 

Comme beaucoup de gens vivaient de la pèche du poisson des rivières et en vendaient pour payer le tribut odieux qui leur était imposé, un héraut fut envoyé: « Que quiconque pécherait du poisson dans la rivière, ou placerait dedans des engins ou des nasses sans la permission du çawfi, serait puni

de mort. Les hommes furent ainsi empêchés de pêcher. Et si on parvenait à saisir un homme qui introduisît du poisson ou qui jetât le filet, ils le frappaient de coups jusqu’à le faire mourir et prenaient son bien. Ils exigeaient de celui qui voulait pêcher la moitié de ce qu’il pourrait prendre. Alors que la pêche était ainsi partout prohibée, des envoyés vinrent pour exiger des pêcheurs l’impôt dont ils étaient frappés. Ceux-ci l’impulèrent aux campagnes situées sur le fleuve. La même chose eut lieu sur toutes les rivières. On savait où et combien chacun prenait, car ils occupaient les barques des passages, et on prélevait la moitié du produit.

 

Dès lors ce fut l’angoisse pour tous et de tous côtés. Quiconque échappait à la dîme était pris par le çawfî, et parfois tous les deux saisissaient un homme en même temps que ceux qui recherchaient les fugitifs et ne laissaient de repos à personne.

 

De ceux qui recherchaient les fugitifs et du mal qu’ils faisaient.

 

Cette racinede persécution produisit un rejeton dans lequel, plus que dans tous les précédents, se trouvait un poison mortel et pernicieux.

 

Il établit sur toute la Mésopotamie un gouverneur chargé de faire reconduire chacun à son pays. Quand celui-ci reçut cet ordre, il se disposa à causer tous les maux. [1531 II se choisit des hommes impies qu’on peut appeler sans les calomnier bêtes féroces et oiseaux de proie. Il les choisit et les envoya dans les villes. Il statua aussi combien d’or chacun lui rapporterait de chaque ville. Il établissait beaucoup de gouverneurs qu’il envoyait dans les villes de la Mésopotamie. Il en faisait un pour chaque ville et les envoyait dans toutes les villes, de sorte que dans un seul jour ou une seule semaine dix gouverneurs entraient dans la même ville à propos de l’exil.

 

Us s’attaquaient aux hommes comme des bêtes féroces, les déchiraient sans pitié, vendaient tout ce qu’ils possédaient ou le gardaient pour leur récompense.

 

Ils les faisaient entrer et les enfermaient dans les maisons jusqu’à ce qu’ils périssent de faim. Beaucoup mouraient de faim, de froid et des coups dont ils les accablaient afin de leur faire donner des Zûz; car tout ce que possédaient ces pauvres gens ne suffisait pas pour assouvir la cupidité de cet oiseau de proie qui s’était abattu sur eux. Ils ne se contentaient pas de cela, mais ils s’attaquaient même aux habitants du pays, alléguant comme prétexte : « Quelqu’un des nôtres est chez vous. »

 

Leurs exactions et leurs dépenses s’élevaient au delà de ce qu’ils percevaient pour la capitation et l’impôt. Quand quelqu’un entrait dans un village ou dans une campagne, il y trouvait plus de quatre ou i-inq gouxerneurs. Si un houiuie s’enfuyait d’un village pour aller dans un autre, afin d’échapper, quelle que fût la route par laquelle il s’en allât, il tombait entre les mains soitde celui qui recherchait les captifs, soit de ceux préposés à la capitation, soit des voleurs, car dès lors ceux-ci pillaient ouvertement vi non plus seulement la nuit. Et s’il échappait à ceux-ci, les paysans eux-mêmes lui faisaient subir tous les maux, sans craindre Dieu.

 

[…]

 

Sache, ô homme judicieux, que toutes ces choses se trouvaient en eux, principalement une fureur qu’on ne pouvait calmer, mais qui était comme le feu. Ils n’avaient point de pitié, mais ils étaient comme des loups dévorants blessés par un trait.

 

Les gouverneurs de la contrée étaient de ces chiens muets, qui ne peuvent aboyer et se font les complices des voleurs. Ils leur donnaient la main pour tous les maux et toutes les iniquités, et si un pauvre dont le bien avait été volé venait se plaindre à eux, il n’oblenaitaucun soulagement, car ils étaient assourdis par l’avarice, et incapables de i-ectitude, parce qu’ils étaient sortis des voies de la justice. Ils s’ingéniaient à saisir tout ce qu’ils rencontraient et ravissaient le bien des pauvres qu’ils pillaient.

 

Nous ferons aussi connaître les maux qui accablèrent les Arabes car personne n’échappa à la calamité qui survint à cette époque, à cause de nos nombreux péchés.

 

Du gouverneur préposé au zdaq al-malâ des Arabes.

 

Toutes les habitudes d’un loup rapace sont pleines de fureur : de même, toutes les tendances et toutes les démarches de celui-ci étaient pleines d’oppression et de fureur.

 

Il établit donc un gouverneur pour le sadàqat al-mâl des Arabes.

Celui ci fit de leurs personnes et de leurs propriétés un recensement analogue à celui qu’on avait fait pour les Syriens. Il inscrivit leurs cliamps, leur bétail, les produits de toute nature appartenant à chacun d’eux. Si quelqu’un possédait un jardin de légumes, de lin, ou même de pois chiches, on l’inscrivait.

 

Comme rien de tel ne se trouvait dans leurs lois ou dans les constitutions de leurs premiers rois, cette chose leur parut méprisable et ils ne s’en préoccupèrent pas.

 

Quand il eut achevé d’inscrire tout leur bien, il s’arrêta, compta, t fixa le montant de l’impôt. Il estima l’acre à 24 Zûz. 11 fixa la dime à percevoir des chèvres, des moutons, des bœufs et des autres produits au taux élevé qui lui plut. De même pour le blé. Il ne leur laissa rien sans le recenser : ni les abeilles, ni les pigeons, ni les poules. Et s’il se trouvait dans les terres d’un Arabe un champ ensemencé de pois chiches, ils l’inscrivaient comme un champ de froment ou d’orge, ou comme jardin.

 

Quand ils eurent réglé l’impôt, et taxé chacun selon son bien, alors arrivèrent des gens de ‘Aqûla et de Baçra, plus méchants que la vipère, des gens violents, impies, sans miséricorde, qui ne craignaient point le jugement de Dieu, qui ne respectaient point les vieillards, n’avaient point pitié des veuves et dépouillaient les orphelins. De telles gens vinrent percevoir l’impôt. Dès lors on ne voyait plus qu’arrestation et emprisonnement d’hommes honorables et de vieillards. Ils les accablaient de coups et de tourments de tous genres. Ils suspendaient à une corde, par un bras, des hommes lourds et corpulents, jusqu’à ce qu’ils fussent près de mourir.

 

En théorie, ils devaient prendre le dixième ; mais [de fait] quand les Arabes vendaient tout ce qu’ils possédaient, ils ne parvenaient pas à réunir ce qu’on leur demandait. Ils essayaient de leur persuader de prendre suivant la loi établie par Mohammed, leur chef et législateur, et par les premiers rois, c’est- à-direde prendre à chacun selon ce qu’il possédait, du blé à celui qui avait du blé, du bétail à celui qui avait du bétail. Mais ils n’y consentaient point et leur disaient: « Allez-vous-en. Vendez votre bien comme vous l’entendrez, et donnez-nous de l’or. »

 

En vérité ici le méchant fut puni par le méchant. Il y a une parole profane qui dit que les maléfices sont vaincus par les maléfices, et les drogues’ par d’autres drogues qui sont plus aniéres et plus violentes que les aspics.

 

Ces Arabes pénétraient, comme lever dans le bois, au milieu de ces malheureux paysans, et prenaient leurs terres, leurs maisons, leurs semences et leur bétail, de sorte qu’ils étaient sur le point de les prendre eux-mêmes ainsi que leurs enfants, comme esclaves ; en tout ce qu’ils possédaient, ces paysans travaillaient pour eux comme des esclaves. Ils ne trouvaient aucune sécurité près du serpent tortueux, c’est-à-dire près de Mûsâ b. Muç‘âb, qui mit en œuvre toutes ses ruses pour les perdre.

 

On n’entendait parler de tous côtés que de coups et de cruels supplices, et parfois, de plus, les Arabes firent périr les paysans qui habitaient dans leurs terres, car ils les imposaient et les forçaient à payer avec eux, jusqu’à ce qu’ils les eussent ruinés et qu’ils se fussent emparés de tout ce qu’ils possédaient. Ils s’enfuirent de leurs demeures. Comme c’était le début de la calamité elle commencement de la dévastation, et qu’il y avait encore des ressources suffisantes, ils ne furent pas absolument réduits à périr ; mais ces gouverneurs pervers ne se rassasiaient pas non plus. Ils estimèrent un acre à 24 Zûz ; 30 bœufs pour une génisse de choix, et chaque génisse à 12 zûz ; 40 bœufs pour une vache, et chaque vache à 24 zûz, alors qu’au marché elle n’en valait pas 4 ; ils taxèrent chaque ruche d’abeilles à un zûz.

 

Leur malice ne s’en tint pas là et ne cessa pas pour cela. Ils taxèrent tous les autres revenus, un à un, selon leur gré.

 

Comme ils traitaient les habitants sans pitié et sans respect pour les vieillards et les hommes honorables qui étaient parmi eux, quelques-uns descendirent près de Mûsâ pour se plaindre et les accuser. Celui-ci leur fit remise de 12 000. Mais comme il est écrit :

« Le méchant ne peut devenir bon ; et si par hasard il devient bon, c’est parce qu’il s’oublie, » ainsi celui-ci s’oublia, en faisant le bien ; mais il rentra en lui-même et leur réclama de nouveau ces 12 000. C’est chose diflîcile, en effet, que le fiel devienne doux, et que les épines produisent des dattes.

 

Et parce que toute cette sordide fureur qui fondit sur les hommes dans la perception de la capitation a duré longtemps, que personne, mes frères, ne blâme l’écrivain s’il passe sous silence le récit de la plupart des maux qui s’abattirent sur nous ; car, si tous les hommes devenaient chroniqueurs, si tout le bois était changé en calâmes, et tout le vin en encre, ils resteraient encore en deçà de la fin des maux qui accablèrent la région, et ne suffiraient pas pour écrire et raconter ce qui arriva dans la contrée.

 

Nous passons donc maintenant à d’autres choses, afin d’en laisser quelque souvenir à ceux qui viendront après nous dans le monde.

 

[…]

 

De la perception de l’impôt de capitation en cette première année de calamité.

 

[…]

 

Venons-en maintenant à l’époque [indiquée] et montrons ce qui s’est passé.

 

D’abord survint un gouverneur pour percevoir la capitation. Il proclama la paix et dit :

 

« Restez en paix et ne craignez point. Je viens percevoir le nouveau cens et je ne prendrai pas un district pour un autre, ni un village pour un autre, ni un homme pour un autre. »

 

Ils pensèrent que la vérité était sur sa langue. Ils le crurent et ils restèrent. « Ses paroles sont plus douces que le miel et ce sont des dards ».

 

Or, il prit la capitation et la fit percevoir de chacun dans son village. Il leur envoya de nombreux gouverneurs, et établit dans chaque village deux ou trois préfets qui établirent à leur tour un intendant par dix hommes, et deux chefs de district pour chaque district, avec plusieurs auxiliaires. Ainsi ils sortirent comme des loups dévorants qui tombent sur un troupeau de moutons. Les routes étaient pleines de courriers qui allaient et venaient, rapides comme l’éclair. De sorte que s’il y avait dans un village dix ou vingt exacteurs, ou bien il fallait leur donner ce qu’ils demandaient, ou bien ils éventraient les sacs et prenaient ce qu’ils voulaient: et il n’y avait personne pour leur en demander compte. Ils pillèrent et dépouillèrent les veuves et les orphelins. Ils emmenèrent tout le bétail et le vendirent. Les paysans eux-mêmes maltraitèrent les pauvres qui se trouvaient parmi eux.

 

On paya le premier tiers : et il n’était pas encore soldé complètement lorsqu’arriva un autre gouverneur qui congédia le premier et demanda le second tiers. Mais celui qui avait exigé et fait payer le premier tiers, demandait audacieusement et sans pudeur à être indemnisé de ses dépenses. Il perçut ainsi et s’en alla « comme le vent qui va et ne revient pas », alors qu’on croyait à son retour. Si quelqu’un dit que dans ce premier tiers, les envoyés perçurent un autre tiers, il ne se trompe pas ; sans parler du brigandage du gouverneur, des chefs de district et des préfets.

 

Du second gourerneur.

 

Celui-ci fut un homme rusé et astucieux, rapace, avare, compagnon des voleurs, de sorte que manifestement et sans pudeur, il était avide de prendre le bien des gens. Quand quelqu’un venait le trouver pour obtenir justice, il s’attribuait et prenait tout ce qu’il faisait rendre au voleur. Ses paroles étaient alléchantes comme le miel, et à la fin elles étaient pires que l’absinthe et le fiel. Il se choisit pour courir devant lui, des hommes qui avaient banni la crainte de Dieu de devant leurs yeux, et les envoya comme des loups, dans le pays.

 

Il prescrivit aux préfets de percevoir d’abord la part de l’émir quand ils feraient la perception. Quand les chefs de district et les gouverneurs entraient dans un village, ils saisissaient le préfet de l’endroit et lui faisaient- apporter tout ce qu’il avait perçu. Ils perçaient le sac et en prenaient ce qu’ils voulaient en disant : « Ceci est la part de l’émir. » Ils frappaient sans pitié des hommes honorables et des vieillards aux cheveux blancs. On n’entendait plus dès lors de tous côtés qu’un cri lamentable.

 

Il prêtait aussi la main à tous les gouverneurs chargés de rechercher les fugitifs : car il était complice de leur brigandage. Il les envoya jusqu’aux frontières extrêmes et les chargea du triple ou du quadruple droit de capitation. Il s’ingénia à faire subir au peuple de Dieu toutes sortes de maux cruels.

 

Les grands de la ville eux-mêmes lui donnaient la main, parce qu’il leur promettait de grandes choses. Partout il exigeait le tribut pour lui-même et non pour le trésor royal.

 

Les maux se multiplièrent sur la contrée : l’exil, les exacteurs qui réclamaient ce qui était dû par un homme mort depuis vingt ans, et en prenaient sans miséiicorde plusieurs; bien des maux encore, [tels que] les taxes exagérées, et d’autres qu’il est impossible d’énumérer à cause de leur grande multitude.

 

Cet homme était enclin au mal. On n’avait pas encore perçu le premier et le second tiers, quand ce pervers fit faire un état de la totalité du pays des Arabes et des Syriens. Personne n’en eut connaissance, excepté quelques-uns de ceux qui étaient aussi pervei’s que lui, et qui participaient à ses rapines.

Il écrivit dans ce livre :

 

« Nous nous contentons dans notre bonne volonté décent 20 000. Nous n’admettons ni privilège, ni absence, ni réclamation » Il écrivit aussi dans ce même livre le nom et le bien de chaque chef de village, et il envoya le livre au principe de tous les maux, à Ibn Muc‘âb. Je suppose que tout ce mal provenait de ce principe : car tous les gouverneurs qu’il avait établis faisaient la même chose.

 

Le gouverneur reçut un ordre lui prescrivant de descendre, avec les notables du pays, près de Mûsâ. Il rassembla donc les notables et les envoya près de celui-ci. Il conclut en même temps un pacte avec ceux de la ville qui descendaient, leur promettant de belles choses pour qu’ils fissent son éloge en présence de Mûsâ, quand ils seraient descendus. Il leur donna même les frais du voyage. Mais ce dessein n’échappa pas aux habitants de la campagne et dès lors ils devinrent mutuellement adversaires et ennemis. Et ainsi pendant’ toute la route, ils se disputèrent entre eux ; car les habitants de la ville l’aimaient et ceux de la campagne en demandaient un autre. A la fin, le parti des paysans l’emporta sur celui des citadins, surtout quand ceux-ci eurent appris le mal qui les menaçait par cet état de la fortune qu’il avait dressé et envoyé à Ibn Muç’âb. Ils cessèrent de le demander et en amenèrent un autre qui fit avec eux une convention pour 70 000 et se mit en route.

 

Du troisième gouverneur.

 

Celui-ci fut le complément de la trinité de colère. Il fut plus mauvais que ses compagnons : car il était poussé sur une racine mauvaise où il avait puisé la force et l’habileté pour tous les maux.

Et s’il n’ajouta point aux maux causés par ses prédécesseurs, il ne les diminua en rien. Il fut, comme ses compagnons, voleur et associé de voleurs. Il fit subir aux pauvres toute sorte de maux et de calamités. Il s’empara de leur bien et fit vendre tout ce qu’ils possédaient. Il répandit l’injustice sur beaucoup de gens. Car ils s’emparaient d’un pauvre et le faisaient périr par divers supplices. Quand ils savaient qu’il ne pouvait rien donner parce qu’il ne possédait rien, ces gouverneurs qui étaient des juges iniques, lui disaient :

 

« Sors sur la place publique, observe quelqu’un que lu saches posséder quelque chose et dis : J’ai déposé mon bien chez cet homme, ou encore : Il est mon débiteur. »

 

Et ce malheureux, opprimé à droite et à gauche, par devant et par derrière, en haut et en bas, était poussé par la crainte de Dieu à ne pas porter un témoignage inique contre cet homme, et il était empêché de s’en abstenir par les supplices que lui infligeaient ces juges impies. Et alors il prenait Dieu à témoin qu’il élait contraint de faire ces choses, et que ce n’était pas de sa propre volonté qu’il était conduit à porter un témoignage inique contre ceux qu’il n’avait jamais vus ou qu’il ne connaissait pas. Et que dire à ce sujet, si ce n’est qu’il préférait le mal au bien et le mensonge aux paroles de justice ; et qu’en vérité ces juges aimaient ceux qui tiennent des discours mensongers, que les langues trompeuses leur étaient plus agréables que celles qui disent la vérité, que tous prononçaient l’injustice, que leurs mains trempaient dans toutes les œuvres iniques? S’il se trouvait un homme qui ne connaissait pas et ne pratiquait pas l’impiété, ils lui enseignaient toute sorte de voies détestables.

 

Cet impie alla dans toutes les villes montrant bien qu’il avait pris racine sur Mûsâ. Il réunit toutes les chèvres, les moutons, les bœufs, tout le bien des pauvres gens. Il vendait 2 chèvres pleines pour un zûz, deux ou trois brebis pour un Zûz, cinq boucs pour un zûz, un âne pour deux Zûz, un bœuf de labour pour trois Zûz, une vache forte et prête à mettre bas pour trois ou quatre Zûz. Le froment s’étiolait et périssait dans les champs à cause de la sécheresse dont nous parlerons. Les hommes se tendaient mutuellement des embiÀches. Toutes les langues étaient remplies de fausseté, tous marchaient dans le mensonge.

 

[…]

 

Parce qu’ils étaient réunis pour la fraude et y persistaient, à cause de leur iniquité, ils ne connurent point le Seigneur. Tous étaient fourbes, tous étaient pleins de perversité; tous couraient dans le mal; il n’y avait personne qui fit le bien. Ils ont erré tous ensemble. Ils ont été répudiés, car leurs chefs allaient de malice en malice et couraient d’iniquité en iniquité. Ils dépouillaient et pillaient les pauvres qui étaient parmi eux comme des agneaux tom- bés au milieu des loups; ils leur firent subir toute sorte de maux et vendirent leur bien qui suffit à peine pour payer la capitation, sans parler des autres calamités qu’ils eurent à souffrir : de ceux qui recherchent les exilés, de ceux qui enlevaient le bétail, de la dime, au çawfi, au ta’dil. Quiconque se trouvait plus imposé par le nouveau ta’dil devait payer selon le nouveau ; celui qui se trouvait moins imposé devait payer selon l’ancien. De sorte que de tous côtés c’était l’oppression et l’amertume.

 

De la convention (CWLH’) de cette année.

 

Nous irons de maux en maux. Celui qui échappera à l’un sera saisi par un autre pire que le premier. Les exacteurs, persuadés que personne ne leur en demanderait compte, taillaient et imposaient les gens sans pitié ni miséricorde. Les chefs des villages étaient eux-mêmes compagnons des voleurs et pires que ceux-ci.

 

Ils avaient recueilli les 70 000, mais ils exigèrent sans pitié trois fois autant. Ils disaient :

« Tel village est ruiné et ne peut être imposé » et ils demandaient de nouveau ce qu’ils avaient tiré de ce village, et le dévoraient de concert avec les chefs.

 

Quand ils sortirent pour percevoir le tribut, après avoir statué ce qui incombait à chacun, tous les pauvres furent livrés au pillage. Ils prirent le bien des riches qui se trouvait dans leurs campagnes, et il ne resta rien à aucun d’entre eux. S’il se trouvait que quelqu’un possédant du bétail était d’un autre village, ils ne lui laissaient rien, prenaient et vendaient tout.

 

Ils se jetèrent aussi sur les passants. Us saisissaient quiconque allait ou venait, prenaient son bétail et son bien et le vendaient. Sept brigands sortaient ensemble et formaient une troupe à l’instar de l’émir. Ils prenaient ouvertement le bien de tous ceux qu’ils rencontraient, en disant :

« Nous exigeons ta contribution. »

 

Dès lors on n’entendait plus de toute part que le cri des lamentations.

Si quelqu'un s'enfuyait du village, ils le dépouillaient sur la route. S'il échappait sans être dépouillé sur la route, le village méme où il courait chercher un refuge remplissait àson égard l'officedes brigands, des assassins, des détrousseurs de chemins. Si quelqu'un sortait dans le désert, les voleurs arrivaient à sa rencontre comme des lions ; s'il circulait dans le pays habité, il en trouvait d'autres semblables à des loups. S'il entrait dans un village, les paysans le mordaient comme des serpents; s'il allait près des notables pour trouver du secours, ils remplissaient vis-à-vis de lui l'office de scorpions, et le dépouillaient. Le préfet' le traitait trois fois plus mal que le gouverneur ou le voleur, il exigeait trois fois plus qu'il ne devait. On disait à l'autorité : « Cet homme doit tant, » et on le frappait à mort en disant : « Paie. » Et personne ne demandait compte au préfet de son brigandage.

 

De misérables gens d’entre les Arabes et les Syriens sortaient dans les environs de la ville, sur les routes ou dans les moulins, et s’emparaient des pauvres. Ils leur disaient :

« Venez, voici que l’émir vous demande. Venez payer votre contribution. » Et ils dépouillaient et dévalisaient complètement tout le monde. Chacun s’enfuyait des environs de la ville comme d’une fosse pleine de serpents.

 

Les pauvres eurent encore à souffrir d’une autre calamité. Quand étaient venus les marqueurs, ils s’étaient enfuis et avaient cherché un refuge près des préfets et des chefs de district, et comme ils crîiignaient les exacteurs et ceux qui recherchaient les exilés, ils leur demandèrent à se mettre sous leur protection. Or, quand eut lieu la répartition, les préfets les imposèrent et remplirent à leur égard l’office des exacteurs et de ceux qui recherchaient les exilés. Quelqu’un qui n’était jamais entré dans le village était taxé pour 30 ou 40.

 

A Édesse, plus que dans toute autre ville, les notables eurent à souffrir de cette répartition. On avait établi sur eux un homme cruel nommé Razin. Quand il avait pris et jugé un pauvre qu’il savait ne rien posséder, il le faisait accompagner de deux gardes et lui disait :

« Sors sur la placepublique, cherche quelqu'un et dis-lui : Réponds pour moi ; puis prends la fuite. »
Celui-ci consentait à cela, descendait sur la place et abordait quelqu'un. Alors [les gardes] le laissaient s'enfuir et s'emparaient de l'homme ; et sans que celui-ci eùt dit un mot, ils l'entraînaient et le conduisaient à l'émir.
« Tu as répondu pour celui là, disaient-ils, donne ce qu'il doit. »
L'autre jurait :
« Je n'ai pas répondu pour lui ; je ne le connais pas même. »

Mais ils lui mettaient des entraves aux pieds au point que ses jambes étaient brisées, et ne le lâchaient pas avant qu’il eût apporté la somme fixée.

 

[…]

 

Sur son ordre, tout le peuple fut rassemblé et enfermé dans une église de la ville.

 

De l’emprisonnement dans une église qui eut lieu en cette année.

Quand l’inique gouverneur leur ordonna de se rassembler et décréta que quiconque cacherait un homme serait puni de mort, des satellites sortirent pour réunir tout le peuple de la ville.

Ils firent des perquisitions dans les maisons et contraignirent tout le monde d’entrer dans l’église : riches et pauvres. Si le maître de la maison étaitabsent, ils faisaient descendre sa famille. S’ils trouvaientun homme caché, ils le tuaient en le frappant ainsi que le maître de la maison dans laquelle il était caché, et ils vendaient tout ce qu’il possédait.

 

Ainsi ils furent tous enfermés, Arabes et Syriens, depuis le plus petit jusqu’au plus grand. Ces impies montèrent et siégèrent au milieu du sanctuaire. Ils s’emparèrent de quiconque avait la réputation de posséder une obole et la lui enlevèrent. [Ces malheureux] obéraient même leur bien et celui de leurs femmes, pour payer ce qu’ils ne devaient pas; car on leur

di.sait :

 

« Tu dois payer pour tel village. »

 

L’iniquité a levé la tête parce que la vérité a péri. Le mensonge s’étale au grand jour parce que la justice n’est plus. Il fit donc subir aux hommes tous les maux. Il vendit tout ce qu’ils possédaient et s’en attribua le prix. Ils souillèrent l’intérieur de l’église, parce que tous, hommes et femm^’s, y déposèrent leurs excréments, car ils y restèrent trois jours et trois nuits. Ils la dévastèrent, et il s’éleva d’elle une odeur de putréfaction au lieu du parfum agréable. C’est ici que les gentils sont entrés dans l’héritage de Dieu, qu’ils ont souillé le temple saint, qu’ils ont converti en latrines l’église sainte.

 

Les marchands et ceux qui avaient fourni la somme totale demandèrent aux paysans de leur écrire une reconnaissance ; mais aucun n’y consentit. Les premiers se plaignirent vivement au gouverneur inique qui dit aux paysans : « Écrivez-leur, si vous voulez. »

Et ainsi ceux qui voulurent bien écrivirent, et ceux qui ne voulurent pas n’écrivirent pas. D’ailleurs, ce qui fut écrit ne servit à rien, car il parut un édit et un héraut publia :

« Que personne n’ait à payer, que personne n’ait à réclamer une dette ancienne ou récente. »

 

Alors les marchands et les habitants de la ville qui avaient été traités injustement descendirent près de Mûsâ b. Muç‘âb pour se plaindre de l’injustice dont ils avaient été victimes. Mais ils étaient dans l’erreur et l’aberration de l’esprit : car ils demandaient justice à un homme inique, et ils pensaient que tout cela ne venait pas de celui-ci. Non seulement il ne leur rendit pas leur bien, mais il s’emporta contre le gouverneur parce qu’il n’avait pas demandé trois fois plus.

 

Ibn Muç‘âb descendit près du roi à Bagdad. Tout le peuple de la région de Mossoul et de la Mésopotamie se réunit pour descendre à sa suite près du roi. Ils étaient là des milliers et des myriades, qui se lamentèrent et déplorèrent devant le prince, pendant plus de cinq ou six mois, l’injustice dont ils avaient été victimes de la part d’Ibn Muç‘âb.

 

Personne ne trouva de secours, mais ils furent pris du mal des entrailles et de diverses maladies, et il n’en remonta pas la moitié. Ils revinrent delà sans avoir fait autre chose que du mal à eux-mêmes et à leurs contrées.

« Quand le roi est inique, tous ses ministres sont iniques. »

 

 

Des divers supplices que les hommes eurent à subir à cette époque.

 

[…]

 

Les prophètes ont annoncé ces choses d’avance, et nous, nous en avons vu la réalisation sous nos yeux, nous l’avons touchée de nos mains, sentie sur notre corps. Maintenant nous n’en avons plus l’audition, mais bien la sensation.

 

D’abord ils se fabriquaient des bois larges de quatre doigts et plats des deux côtés, puis ils étendaient un homme le visage contre terre, et ils se plaçaient un sur sa tête, un autre sur ses pieds, tandis qu’un troisième frappait sans pitié sur ses cuisses, comme sur une peau. Et alors ceci fut accomplie : « Ils ont placé la tribulation sur nos épaules, » et celle-ci : « Tu as fait monter des hommes sur notre téte »

 

En second lieu, ils apportaient deux bâtons, les serraient d’un bout avec des fers, elles appliquaient aux cuisses d’un individu, un par-dessus et l’autre par-dessous, puis un homme robuste se plaçait à l’autre extrémité, jusqu’à ce que les cuisses fussent brisées.

 

Et ainsi ceci fut accomplie  :

« Il a placé mes pieds dans des entraves. »

 

En troisième lieu, ils les suspendaient par les bras, jusqu’à ce que leurs membres se disloquassent, et même les femmes par leurs mamelles, jusqu’à ce qu’elles s’arrachassent.

 

En quatrième lieu, ils les dépouillaient de leurs vêtements, les chargeaient de pierres et les plongeaient ainsi dans la neige et dans la glace. Ils versaient aussi sur eux de l’eau froide jusqu’à ce qu’ils devinssent inertes et tombassent la face contre terre.

 

Cinquièmement, ils prenaient cinq bois, ils les fendaient tous par un bout, faisaient entrer dans cette fente les doigts de quelqu’un, et serraient l’autre bout jusqu’à ce que les deux parties fussent réunies et les doigls brisés. Ils prenaient aussi deux planches qu’ils liaient ensemble par un bout et les plaçaient une sous les reins, l’autre sur le ventre, puis un homme se tenait sur l’autre bout jusqu’à ce que les côtes fussent brisées et les entrailles sur le point de sortir.

 

Ils fabriquaient des entraves pour les bras et pour chaque membre, lis aiguisaient des roseaux et les faisaient entrer sous les ongles. Ils faisaient des sortes de boulettes qu’ils plaçaient dans la cavité oculaire jusqu’à ce que les yeux fussent sur le point de sortir. Ils les faisaient se tenir pieds nus et sans vêtement dans la neige et dans l’eau jusqu’à ce qu’ils devinssent pâles comme des morts. Ils tournoyaient de gros bâtons et les frappaient sans pitié tandis qu’ils étaient étendus à terre.

Pour eux, les fouets étaient inutiles, et la prison n’était pas nécessaire.

 

« Des princes ont été suspendus par les mains, » dit le prophète. Qu’il vienne et qu’il voie ici les princes suspendus. Et non seulement cela, mais suspendus entre ciel et terre, tandis que les uns les frappent à coups de gros bâtons, et les autres leur mettent des entraves aux pieds.

 

Ils n’attendaient pas qu’ils aient fini d’infliger un supplice pour passer à un autre. Et « ils grinçaient des dents et battaient des mains » Ils voulaient accumuler à la fois tous les genres de supplices sur leurs corps. Ils les jetaient nus dans la neige; ils rassemblaient de grosses pierres qu’ils plaçaient sur leur dos jusqu’à ce que leurs entrailles crevassent, que leurs côtes et leur épine dorsale fussent brisées. Ils chauffaient le bain au point de le rendre brûlant comme le feu, ils le remplissaient de fumée et les y enfermaient nus ; puis ils amenaient des chats qu’ils jetaient au milieu d’eux, et comme ces chats se brûlaient, ils se jetaient sur eux et les déchiraient avec leurs ongles. Ils les enfermaient dans des chambres obscures où ne pénétrait jamais un seul rayon de lumière.

 

Il est écrit dans l’Écriture :

« J’amènerai sur toi, même les fléaux qui ne sont pas indiqués dans ce livre. »

 

Ils accablaient les pauvres gens de tous ces tourments et de tous ces supplices, à l’occasion de l’impôt.

 

Si cette calamité n’avait été universelle, comprenant, mêlés ensemble, dos chrétiens et des païens, des juifs et des samaritains, des adorateurs du feu et du soleil, des mages et des musulmans, des sabéens et des manichéens, les dieux et les déesses ne se seraient- ils pas glorifiés de cette persécution amère ? Mais l’affaire n’avait rien à voir avec la foi, et ne touchait pas plus celui qui adore au levant que celui qui adore au couchant. Le nom de l’adoration du Sud disparut avec celui de du Nord.

Si les chrétiens avaient été seuls l’objet de cette persécution, je pourrais, à bon droit, glorifier les martyres de notre époque plus que tous les martyres précédents : car la mort rapide par le glaive est plus douce que les tourments prolongés qui ne finissent pas.

« Je n’ai jamais vu, dit saint Basile, quelqu’un conduit en prison ou au supplice à cause de sa pauvreté. »

Qu’il vienne maintenant et qu’il en voie des milliers et des myriades : Arabes et Syriens, coupables et innocents, pauvres et riches, tous indistinctement.

Un calice d’amertume et une nourriture de colère étaient préparés pour tous les hommes également; pour les grands et les petits, pour les riches et les pauvres, comme dit le prophète. Le riche mangeait continuellement l’amertume, parce qu’ils prenaient injustement ce qu’il possédait et que ses os étaient brisés par les coups ; le pauvre, parce qu’ils exigeaient de lui ce qu’il ne possédait pas, qu’il ne pouvait emprunter et que personne ne le faisait travailler dans son champ ou sa vigne. C’est pourquoi ils mangèrent l’absinthe et burent des eaux amères.

« Il leur donna l’absinthe pour nourriture. »

 

Que personne ne pense, mes frères, que j’ai exagéré ici, mais qu’on sache que tous les calâmes et tout le papier de l’univers ne suffiraient pas pour écrire les maux qui de notre temps ont accablé les hommes. Qu’on ne nous blâme pas non plus de les avoir diminués, car nous sommes incapables de penser à tout, et ces calamités ne sont pas arrivées dans une seule ville.

 

De la sécheresse et de la famine qui eurent lieu en cette année; et de l’invasion du peuple méridional (‘M-’ T-YMNY-’)et oriental (M-DNHY-’) dans la contrée du Nord (GRBYWT’).

 

[…]

 

Toutes ces choses sont arrivées de notre temps.

 

La pluie qui avait coutume de tomber en hiver a été retenue au ciel, et il n’y a point eu d’humidité. Aucune semence ne germa et ce qui germa se dessécha : surtout dans la contrée méridionale et orientale, et dans tout le désert. Il n’y eut que peu de chose dans les vallées des montagnes.

 

Et ainsi toutes les confessions sortaient en procession pour faire des Rogations ; et toute langue, toute nation criait, d’un même accord, dans cette grande aflliction.

 

Les hommes, voyant que la pluie ne tombait pas, devinrent sans pitié et ne voulurent plus faire sortir leur blé, pas même pour le vendre. C’est pourquoi 1 acheteur commença à venir le chercher. De là les pauvres tombèrent dans une immense misère.

 

Aussi ceux qui avaient accumulé du blé depuis longtemps se réjouirent-ils et tressaillirent-ils d’allégresse, ceux contre lesquels le prophète s’indigne quand il dit :

 

« Écoutez, vous qui méprisez le pauvre et faites défaillir le malheureux de la terre, disant: Quand le mois sera passé nous vendrons notre froment, quand le sabbat sera passé nous ouvrirons les greniers, nous diminuerons les mesures, nous augmenterons les prix, nous vendrons aux pauvres et aux malheureux les rebuts du blé. Le Seigneur, la Force de Jacob, a juré : Non certes, je n’oublierai jamais toutes leurs œuvres; Reconvertirai leurs fêtes en deuil et tous leurs cantiques en lamentations. »

 

Ceux donc qui possédaient du froment, sachant que le ciel était fermé, serrèrent leurs mains et ne vendirent point de blé ; ils attendirent que les hommes fussent malheureux et opprimés.

 

L’autorité (ShWLTN’) ordonna que tout peuple (‘M’) et toute nation (LShN’) sortît en procession (NFWQ) pour faire des Rogations(B‘WT’). Peut-être, se disait-on, le Seigneur voudrat-il être clément (MRHM) envers nous et nous ouvrir la porte de ses miséricordes(RHMW-HY).

 

Ainsi donc, les chrétiens sortirent ayant leurs évêques à leur tête, les Juifs avec leurs trompettes, et les Arabes pareillement.

 

Or, il plut au Seigneur d’avoir pitié de nous. Il y eut de la pluie et de la récolte en certains lieux.

[…]

A Mossoul, ce fléau sévit et toute la récolte se dessécha; il en fut de même à l’Orient et au Midi, et, comme de plus ces contrées avaient été désolées par la méchanceté d’Ibn Muç‘âb, les habitants les abandonnèrent et se répandirent dans cette région septentrionale.

 

Les Taglibites, les Ma’déens montèrent tous avec leurs troupeaux, leurs chameaux, leurs familles, et tout leur bien; ils remplirent la région et la dévastèrent tellement qu’il ne resta plus rien pour la pâture des bêtes. La terre était comme si on l’avait balayée avec un balai. A cause de cela, tout le bétail de la région septentrionale périt dans l’hiver suivant. Los campagnes et les villes étaient ravagées. Entre autres, dans la province de Mossoul : Bayt Garmay, Haz, Marj, Kuny-Shabûr, Dasîn, Qûq, Salah, et plusieurs autres lieux que les habitants des campagnes abandonnèrent pour monter dans les pays du Nord, de sorte que là les hommes n’avaient pas la place de se promener dans les villes ni dans les campagnes et que la famine était sur le point d’arriver à cause de leur grand nombre.

 

Ainsi fut accompli sur eux ce qui est écrit :

« J’enverrai après eux la famine, la captivité et la peste. »

Toutes ces choses vinrent avec eux et après eux. Nous raconterons en son temps la calamité qui les atteignit par la maladie, la captivité et la peste qui vint sur eux.

 

L’an 1084/773, moururent saint Paul, évêque de Tagrit, Zeinan de Kerma et Jonas de Beit Nouhadra. — A cause de leur mécontentement contre David, ces villes ne voulurent pas recevoir d’autres évêques de sa part. Elles restèrent ainsi sans évêque en attendant la sortie de prison de Georges.

 

Celte année-là, le roi ordonna de faire un mur autour de ‘Aqûla.

 

Ce fameux scélérat tomba dans l’avarice.

 

« Or, l’amour de l’argent est la racine de tous les maux »

 

Il ne lui suffisait pas des hommes, des vignes, des terres, des animaux, des bestiaux, des montagnes pour se procurer de l’or et de l’argent, mais il usait constamment d’artifices vis-à-vis de tout le monde, surtout pour empêcher qu’il ne sortît un Zûz de chez lui.

 

Quand il ordonna la construction du mur de ‘Aqûla, il usa de ruse avec les habitants de la ville ; il expédia des hommes chargés de mesurer la maison de chacun d’eux: sa longueur, sa largeur, sa hauteur, et d’envoyer le maître de cette maison bâtir une pareille longueur, largeur et hauteur du mur : toute la dépense devait incomber au propriétaire de la maison. Il fit ainsi entourer toute la ville de ‘Aqûla d’un mur élevé et solide, sans dépenser une obole.

 

De la profanation des tombeaux que commirent les hommes en déterrant et jetant les ossements qu’ils renfermaient à la face de la terre.

 

Les maux se multiplièrent, ils se poussaient l’un l’autre, l’aile contre l’aile, la main dans la main. La tribulation s’aggrava outre mesure sur tous les hommes. On vendait tout ce qu’ils possédaient, on leur en prenait le prix, et ils ne savaient que faire, car on les persécutait pour les obliger à rapporter et à livrer des biens que ni leurs pères ni eux-mêmes n’avaient jamais possédés.

 

Cette oppression s’étendit sur toute race ; elle atteignit même les animaux, les oiseaux, les poissons de la mer. A cause de l’iniquité de leurs princes, les hommes devinrent si audacieux qu’ils en arrivèrent à une grande et terrible impiété.

 

Ils se jetèrent sur les tombeaux où des morts gisaient depuis longtemps ; ils les retournèrent, remuèrent, retirèrent leurs ossements de leur place et les répandirent comme le fumier à la surface de la terre.

 

Tout ce que nous avions appris de loin à ce sujet, est arrivé chez nous ; nous constatons maintenant de nos yeux et non par ouï-dire que les hommes dispersent à la face de la terre les ossements de ceux qui dorment et reposent dans les tombeaux depuis les temps antérieurs à la venue du Christ, et qu’ils s’empressent d’en retirer de l’or et de l’argent.

 

Ils renversaient ainsi des sépulcres dont quelques-uns renfermaient plus de 500 cadavres, et ils en jetaient les ossements au dehors. En maints endroits, il y avait des tombeaux anciens au-dessus desquels le sol était nivelé et qu’on ne connaissait pas. Satan les leur indiqua. Et ainsi ils creusèrent ; ils retirèrent et dispersèrent les ossements qui s’y trouvaient. Or, des vieillards nés dans le pays disaient avec serment :

 

« Nous n’avons jamais entendu dire par nos pères, et nous n’avons jamais

su qu’il y avait des tombeaux en ces endroits. »

 

Ceci donnait à comprendre aux sages que Satan dirigeait ces hommes et les leur faisait trouver. Ce même Satan, afin de les pousser tous dans cette impiété, répandait de tous côtés la nouvelle que tel village avait trouvé de l’or et de l’argent pour une somme de tant de milliers, tel individu tant de bijoux.

 

Les sages n’ignorent pas que dans un sépulcre où il y a un millier d’hommes, il a dû entrer avec quelques-uns d’entre eux, à cause de la grande mortalité ou par l’inattention desensevelisseurs, des bracelets ou des boucles d’oreilles, ou des monnaies dans les ceintures. Parmi un millier il peut s’en trouver plus ou moins. Et il arriva aussi qu’on trouva un bracelet en cuivre et que Satan le fit passer pour de l’or, et non pas pour petit, mais pour grand et merveilleux, et il protdaniait cela dans la contrée; s’il était de fer, il le faisait passer pour de l’argent, afin d’exciter tout le monde à renverser les tombeaux.

 

Et par toutes ces calamités que supportèrent les hommes, les bêtes des champs, les oiseaux du ciel, les poissons de la mer, les arbres et tout ce qui est sur la terre, et même ceux qui étaient sous la terre.

 

« la colère du Seigneur ne fut pas détournée, mais il étendit de nouveau sa main ! »

 

En cette même année, on se révolta contre le patrice de là Grande-Arménie et on le tua par le glaive. On dit que cet homme avait plus de 100 000 esclaves. On prit aussi tout son bien que l’on fit conduire au roi.

 

Des maux qui se multiplièrent sur la terre par suite des faux témoignages; du mensonge; des débiteurs et des créanciers; des délations, et de la miséricorde de Dieu qui supporte avec patience nos provocations.

 

Il ne faut pas omettre les choses que nous plaçons dans ce triste chapitre, car ceux qui viendront après nous, en voyant les nombreux écueils sur lesquels nous sommes tombés, et quelles afflictions nous avons supportées à cause de notre malice, s’en éloigneront peut-être, et n’iront pas comme nous en dehors des chemins et des sentiers battus ; et les bêtes féroces ne les environneront pas, comme il nous est arrivé à nous-mêmes.

 

[…]

 

Nous voulons rapporter toutes ces choses une à une, afin que nos enfants, comprenant notre châtiment, ne fassent pas comme nous avons fait, de peur que cette verge amère ne les atteigne aussi.

 

D’abord des faux témoignages qui eurent lieu parmi nous.

 

[…]

 

Quand un homme avait un procès avec son voisin, il allait dans la place publique et appelait quelqu’un :

 

« Hé, maître un tel! témoignes-tu en ma faveur? »

Celui-ci, lui laissant à peine achever sa parole, répondait brusquement et disait :

« Par la parole de Dieu, je suis d’accord avec toi. De quoi s’agit-il? »

Et il avait juré avant de connaître la question.

 

Ce n’étaient pas seulement les païens (HNF’)qui faisaient cela, mais aussi les chrétiens et des hommes âgés. En toute cause, quelle qu’elle fût, si quelqu’un voulait, pour un Zûz, il achetait des faux témoins autant qu’il en désirait. Ils ne plaçaient point le jugement de Dieu devant leurs yeux, mais en un instant ils faisaient disparaître le pauvre de la terre.

 

Des débiteurs et des créanciers ; du mensonge.

 

[…]

 

« Ne donne point ton argent à usure, et ne prends pas d’intérêt à ton prochain. Si tu prêtes de l’argent parmi mon peuple au pauvre qui est avec toi, tu ne seras point un créancier pour lui et tu ne lui prendras point d’intérêt. »

 

Et David dit : « Celui qui n’a pas donné son argent à usure ; qui fait un serment à son prochain ! ne le trompe pas. »

 

Toutes ces choses n’existent plus chez nous.

 

Les hommes des campagnes, opprimés par des exactions cruelles, venaient dans les villes et apportaient des présents à ceux qui prêtaient à usure.

 

Ceux-ci, en les voyant, leur disaient :

« Sois le bienvenu » et avec des paroles bienveillantes ils ajoutaient :

« Je te donnerai tout ce dont tu as besoin. N’aie pas de souci ; tant que je vivrai, je te donnerai ; tu n’auras besoin de personne. Je ne te demande pas de témoin, ni de caution, ni de gage : je ne demande ni intérêt ni rachat. Prends, et quand la récolte sera rentrée, tu me rapporteras mon bien ou tu me donneras du froment ou du vin, au cours de cette époque. Va maintenant, et reviens dans quelques jours. »

 

Cet affligé ayant entendu ces paroles consolantes s’en retournait en grande liesse à sa maison et se réjouissait, car il ignorait que Satan ne permettrait pas à l’autre d’accomplir ce qui était sorti de sa bouche :

« Ses paroles sont plus douces que le miel, et elles sont des dards ; à leur suite sont des fiels amers. »

 

Ce malheureux, confiant dans les paroles consolantes par lesquelles l’usurier l’avait rassuré, n’était plus tourmenté pour courir ramasser de l’argent pour l’impôt de capitation. Il demeurait tranquille dans sa maison jusqu’à l’arrivée des exacteurs. Dès que ceux-ci le surprenaient, il leur disait :

« Attendez moi un peu, je vais vous l’apporter, » et il s’en allait en hâte chez celui qui lui avait fait espérer qu’il lelui donnerait.

« Veuille, seigneur, lui disait-il, me donner ce que je te demande, afin qu’ils ne frappent pas du fouet. »

Celui-ci lui répondait : « Attends-moi un peu, » et, ou bien il le laissait et s’en allait, ou bien il se moquait de lui en paroles, en lui disant :

« Va aujourd’hui, et reviens demain matin. Pour le moment je n’ai pas suffisamment pour toi. »

Il agissait de la sorte avec lui pendant plusieurs jours; et quand celui-ci en était affligé jusqu’à la mort, après qu’il avait fait intervenir de nombreux intercesseurs, l’autre se contentait de lui dire : « Je ne te donne pas parce que je n’ai pas de quoi te donner, » ou bien il lui disait : « J’exige de toi un écrit. »

« Je le fais, » disait-il ; et quand l’écrit était fait, il le renvoyait encore avec des paroles et lui disait:

« Va ce soir, et reviens demain matin. »

 

Et quand ceux-ci revenaient de bon matin, il leur disait:

« Je ne vous donne pas, si vous ne me donnez un gage. »

Quand ils lui avaient donné le gage, il ajoutait :

« Combien me donnez-vous d’intérêt pour cet argent ? Et pour le rachat, combien me donnerez-vous de blé ? car je ne le prends pas au prix courant. »

 

A cause de leur embarras, ils lui en accordaient autant que sa bouche demandait. Ils lui donnaient aussi un écrit ; et il leur demandait ensuite des cautions.

Et ainsi, démentant toutes les paroles qu’il leur avait données au commencement, il leur prenait des gages, ils lui donnaient un écrit et souscrivaient des intérêts, il exigeait un rachat et demandait des cautions.

 

A peine les avait-il secourus en leur donnant, que non seulement ils embrassaient ses mains, mais ils léchaient la plante de ses pieds, en disant:

« Si d’ici tant de jours nous ne te rapportons pas ton bien, nous sommes débiteurs de tout ce qui est noté dans cet écrit. »

 

Et alors ils s’en allaient promptement, vendaient leur bien, et rassemblaient leur argent ; mais, quand ils le prenaient et allaient pour payer et se libérer dignement, Satan, cet ennemi de tout bien, venait et commençait à les attaquer violemment par ses suggestions :

« Comment donnes-tu cet argent maintenant ? On viendra le demander et tu n’auras rien à donner, puisque tu as vendu tout ton bien. Celui-là n’en manque pas, il ne peut te faire du mal ; d’ailleurs ton gage reste auprès de lui, et si tu le reprends tu devras le placer chez un autre, il vaut donc mieux qu’il reste chez lui. »

 

Tels étaient les conseils pernicieux que conseillait le diable aux débiteurs, de peur qu’ils ne tinssent leur parole, qu’ils n’inspirassent confiance au créancier, et qu’ensuite celui-ci ne les soulageât. Il les portait à lui rendre les mensonges dont il s’était servi vis-à-vis d’eux.

 

Ces conseils iniques venaient également de la conseillère, fille de celle d’Adam ; et alors ceci s’accomplit dans le temps présent :

« Des femmes ont dominé sur nous. »

Ce sont elles qui gouvernaient les hommes. Elles conseillaient :

« Fais telle ou telle chose, » et le mari disait : « Tu m’as bien conseillé ; » car ces hommes ne considéraient pas les promesses et les serments faits au nom de Dieu, ni ce qui leur arriverait, c’est-à-dire que quand ils demanderaient de nouveau on ne leur donnerait plus; mais le conseil de Satan et de leurs femmes leur plaisait avant tout ; il arrivait même que quand l’un d’entre eux tenait son argent dans sa main, et que le créancier le pressait : « Rends-moi mon bien, » parce que Satan était dans son coeur il refusait énergiquement [en disant] : « Je n’ai rien » On l’emprisonnait, on le frappait du fouet, et il ne rendait pas! C’est à de telles gens que s’adresse le Psalmiste quand il dit :

« L’impie emprunte et ne rend pas. »

 

Au lieu que l’emprunteur aille àla porte du préteur, celui-ci vient lui-même à la porte de son débiteur et le supplie ; et s’il arrive que la moitié de la créance soit payée, il s’estime très heureux. Ainsi, chez tout homme, le mensonge dominait complètement.

 

De la délation ; de l’oppression; du pillage réciproque et des faux témoignages.

 

Quand les liabitanis du pays venaient solder le tribut, ils formaient des attroupements comme ceux de Caïphe. Ils circulaient dans les villes et s’informaient du lieu où se trouvait un homme possédant quelque chose en réserve : soit du blé, soit du vin, soit des objets mobiliers. Puis ils allaient trouver l’émir et lui disaient :

« Un tel doit payer une part de notre tribut. Il possède telle chose, chez un tel, et depuis tant d’années il n’a pas payé le tribut. »

L’émir donnait alors cet ordre :

« Allez, vendez son bien. »

 

Si cet homme ou si quelque autre personne voulait s’opposer à eux, le gouverneur demandait [aux premiers] : « Avez-vous des témoins contre lui? » Il en venait alors d’entre ceux de leur village qui témoignaient contre lui, bien qu’ils ne l’eussent jamais vu.

Et ainsi, tandis qu’il se lamentait, ils faisaient vendre tout ce qu’il possédait et ne lui permettaient pas même d’approcher de son bien.

Les uns lui disaient :

« Tu nous as répondu pour un tel; »

les autres disaient :

« Tu as dans notre village une vigne, ou un jardin, ou un champ d’oliviers, et depuis tant d’années tu n’as pas payé ton tribut »

et bien que celui-ci jurât : « Je ne suis jamais entré dans votre village ; je n’ai pas de jardin chez vous, » les autres cependant ne le relâchaient pas avant d’avoir fait vendre tout ce qu’il possédait. Le gouverneur lui-même les dirigeait dans cette voie.

 

Pour cette raison, les hommes craignaient de paraître dans les rues, mais ils n’échappaient pas ainsi à ces scélérats ; car ceux-ci les recherchaient, et quand l’un d’eux avait surpris quelqu’un, il lui disait : « Donne-moi tant, ou je te conduis à l’émir. »

 

De la sorte, cette affaire était devenue un commerce très lucratif pour beaucoup d’hommes de la ville. Aussi remplirent-ils leurs maisons de rapine et de fraude.

 

[…]

 

Or, ces rapines et ces pillages étaient commis dans la ville par ces chiens enragés, paysans et citadins. Leurs bouches étaient ouvertes comme des sépulcres infects. De sorte que quand un de ces pauvres qu’ils avaient saisi leur avait échappé, d’autres le prenaient aussitôt, et après ceux-ci, d’autres encore.

 

[…]

 

Quelle est celle d’entre ces choses qui ne nous est pas survenue ?

Où sont l’huile, le blé et le vin, dont vivent les travailleurs ?

 

Mais les pillards eux-mêmes furent atteints par le fléau plus cruellement que n’importe qui.

 

La première année, les pauvres de la région inférieure et les étrangers périrent, comme nous l’avons indiqué plus haut ; la seconde, ceux qui habitaient au-dessus des premiers ; la troisième, ceux qui étaient au-dessus de ceux-ci ; la quatrième enfin, ces hommes rapaces et pillards périrent eux mêmes et il ne leur resta rien, soit de leur bien, soit de ce qu’ils avaient pillé et rassemblé.

 

Ces choses, d’autres semblables et de pires encore que celles prédites par les prophètes, furent opérées et accomplies par les hommes les uns à l’égard des autres.

 

Les campagnards surtout les multiplièrent.

 

Les citadins et les marchands commencèrent à mal faire, car ils s’empressèrent d’acheter le bien des campagnards : leurs vignes, leurs champs, tout leur travail ; mais ils n’en jouirent pas longtemps, car les paysans se tournèrent contre eux, et si l’un de ces citadins avait dans quelqu’un de leurs villages du vin ou du froment, ils l’emportaient pour le vendre ou le manger.

 

Or, le gouverneur prétait la main à tous ces méfaits et ne punissait personne.

 

Quant aux marchands, les paysans ne se contentaient pas de les piller et de prendre leur bien. Ils les saisissaient et les conduisaient au gouverneur en disant: « Tout notre travail a été enlevé par cet homme, ordonne-lui de payer pour le village »

Et le gouverneur l’opprimait jusqu’à ce qu’il le fît disparaître de sur la terre, et il prenait tout ce qu’il possédait, aussi bien ce qu’il avait pillé que ce qu’il n’avait pas pillé.

 

Les riches s’enfuyaient devant les paysans comme un troupeau devant les loups, et ils se cachaient, abandonnant les vignes et tout ce qu’ils leur avaient pris.

 

Il arrivait aussi parfois que des hommes allaient loyalement acheter du vin au pressoir. Ceux-ci allaient alors porter plainte à l’émir. Si le vin se trouvait encore dans leur village, le gouverneur faisait mettre les scellés dessus; s’il était déjà introduit dans la ville, il s’en emparait. Ainsi, et le vin et son prix étaient perdus.

 

Quand bien même nous multiplierions le récit des maux qui sont arrivés ou que les hommes se sont fait nmtuellement, nous resterions toujours en deçà de la totalité; car il est impossible à quelqu’un de les écrire à cause de leur grand nombre. Mais ce peu suffit aux sages.

 

[…]

 

De la deuxième année de calamité, qui fut l’an 1085/774.

 

Comme nous avons écrit et fait connaître plus haut les calamités

cruelles, les rapines commises sans pitié par les administrateurs établis dans le pays pour le sadaqat al-mâl des Arabes, le çawfî, la dime, l’exil et beaucoup d’autres causes que nous avons indiquées ci-dessus, il n’est pas nécessaire de répéter ici aux hommes prudents, car ils le comprennent, que cette année ajouta avec beaucoup d’intensité ses malheurs à tous ceux de la précédente et de la suivante ; et cela non seulement du côté de la terre et des hommes, mais du côté du ciel et du Seigneur.

 

L’intendant du çawfi demandait impitoyablement deux pour un ; les décimateurs se précipitaient sur les passagers comme des chiens enragés et dépouillaient sans pitié les allants et venants ; ceux qui recherchaient les fugitifs, plus avides que les vautours qui guettent la chute des cadavres, attendaient ardemment que les hommes tombassent entre leurs mains. Ils tiraillaient les pauvres comme des vautours autour d’un cadavre.

 

Que dirai-je du renversement des sépulcres, sinon ce que disait Jérémie qui cous a prédit la violation des tombeaux et la dispersion des ossements comme le fumier sur la face de la terre, sans qu’il y ait quelqu’un pour les recueillir?

 

[…]

 

Il n’est pas nécessaire que nous racontions ces choses à nouveau. Nous passerons dessus d’un pas rapide; nous nous tournerons vers l’accroissement des maux que cette année a surajoutés aux autres [et nous parlerons] de l’hiver rude, du froid rigoureux, du défaut de pâturage, de la diminution du fourrage pour les animaux domestiques, de la mortalité de tout le bétail, de la famine, des maladies cruelles, de la peste qui consumait les hommes et les bêtes comme des sauterelles ; de la violence que les habitants des villages exerçaient les uns sur les autres, du pillage des hommes, des meurtres commis à cause du manque de pain, de l’interception des routes, de la nécessité où furent les chrétiens de manger de la viande pendant les jours de jeûne, et même des cadavres, par défaut de pain.

 

Telles sont les choses dont je parlerai, que je raconterai, que j’écrirai pour ceux qui viendront après nous.

 

D’abord de l’hiver rigoureux ; de la mortalité du bétail, des animaux et des oiseaux, et des cents violents qui eurent lieu en cet hiver.

 

[…]

 

 

De la destruction du bétail et des animaux, qui survint en cette année ; du manque de fourrage pour la nourriture des animaux.

 

Il y eut une grande sécheresse, ainsi que nous l’avons dit plus haut, et les tribus des Taglibites et des Ma’déens s’assemblèrent avec leurs troupeaux, leurs chameaux, leurs familles et envahirent la région septentrionale.

 

Ils envahirent également la contrée du sud et la dévastèrent. Ils achetèrent tous les grains et les firent descendre dans la région inférieure. Tous les pâturages de l’extérieur furent occupés, et la terre fut balayée comme avec un balai. La litière et la nourriture étaient en petite quantité. Comme il n’y avait pas de pâturages au dehors, et peu de récoltes seulement à l’intérieur, tout le bétail des pâturages et des étables périt : les moutons, les chèvres, le gros bétail.

 

Quand un propriétaire faisait sortir ses animaux pour les conduire au pâturage, ils ne trouvaient pas à manger, car il n’y avait autre chose que la poussière : pas même une feuille dans les arbres qui n’ei^it été consumée par la chaleur. Les animaux qui vivent dehors avaient mangé ce que l’on ramasse pour ceux qui vivent dans les étables ; et ensuite ils périrent les uns et les autres, car l’hiver se prolongea longtemps et le froid fut rigoureux. Au dehors le froid : au dedans la famine. C’est pourquoi tout le bétail de la région septentrionale périt : les troupeaux, les bœufs, les chevaux, les ânes De sorte que les campagnes étaient infectées de leurs cadavres en putréfaction, au point de répandre une odeur fétide plus que des tombeaux.

 

Du vent violent qui eut lieu en cette année.

 

[…]

 

De la grèle qui tomba cette année-là.

 

[…]

Du retour dans la contrée de Mûsâ b. Muç‘âb ; des gouverneurs quil établit, et des maux que les hommes eurent à souffrir de leur part.

 

Comme nous l’avons dit plus haut, lorsque l’année de ce pervers, qui était l’année précédente, fut achevée tous les [habitants] des contrées de la Mésopotamie et de Mossoul s’assemblèrent et descendirent pour se plaindre des maux qu’il leur infligeait. Mais ils se trompèrent en pensant que la justice résidait auprès d’un homme inique et ami des voleurs.

 

Au lieu de trouver le bien qu’ils espéraient, ils ne firent qu’exciter sur eux sa malice. Non seulement il ne les écouta pas, mais il réunit toutes les pétitions que les pauvres gens lui avaient fait parvenir pour se plaindre de leurs maux, et il les remit à Mûsâ. Il le combla d’honneurs et lui donna le pas sur tous ses grands. Il lui prescrivit d’établir des gouverneurs choisis parmi eux-mêmes ; chaque ville devait elle-même en fournir un.

 

Quand il eut reçu cet ordre, il revint en fureur, rugissant comme un lion sur sa proie. De même qu’une béte sauvage ajoute à ses premiers méfaits lorsqu’elle parvient à s’échapper du piège où elle était tombée, ainsi cet homme redoubla de iftalice lorsque le roi l’eut soutenu par sa parole.

 

Dieu lui-même lui tendit la main, comme dit Jérémie […]

 

En vérité, le Seigneur est entré en jugement avec tous les habitants de la terre, en cette année; car il n’y eut aucun peuple, aucun royaume qui fût en paix, mais tous pareillement furent saisis par la calamité, tous burent le calice de la main du Seigneur !

 

Les Perses furent excités et se soulevèrent parce qu’on ne leur donnait rien ; les Arabes furent écrasés par les exactions; les Juifs les Chrétiens et avec eux les Égyptiens, les Arméniens, les Sindhiens et tous les peuples furent accablés d’un lourd impôt.

 

Ceci montre déjà qu’ils ont bu à ce calice. « Tu as fait voir à ton peuple des choses dures; tu leur as fait boire un vin troublé. »

 

Le territoire des Romains ne fut pas exempt de cette cruelle affliction. Mais, comme ceux de nos nations, leurs chefs tombèrent également dans l’avarice ; car la potion d’un même calice est pour tous les peuples.

« J’ai rassasié le misérable de préférence à l’homme noble. »

 

Habacuc a dit encore : […]

 

« Voici que je place dans Sion un écueil, une pierre d’achoppement : quiconque tombera sur elle sera brisé; et celui sur qui elle tombera sera écrasé. » Cela se réalisa dans Mûsâ. Ceux qui le recevaient attiraient sur eux la colère, et ceux qui ne le recevaient pas, le glaive. De tous côtés des maux.

 

Il revint, comme nous l’avons dit plus haut, et le Seigneur posa des écueils à tous les peuples par sou intermédiaire, et il les accabla par le froid, la gelée, la neige, la glace, en sorte qu’ils ne pouvaient sortir pour fuir en sa présence, à cause de la grande violence du froid. Si l’un d’eux parvenait à s’enfuir, il revenait promptement, sans que personne courût après lui, et avec autant d’empressement que celui qui l’instant d’auparavant était en prison, et s’en va à sa demeure.

 

[…]

 

Le Seigneur a prophétisé ce qui devrait nous arriver. Quand celui-là revint, il rugit comme un lion sur sa proie. Il chercha et trouva des hommes violents et sans pitié, qu’il établit gouverneurs dans leurs propres villes.

Cela surtout fut nuisible pour les pauvres gens, car ils ne pouvaient pas le tromper quand il était originaire de l’endroit et pour qui rien n’était caché.

Ceux-ci, à leur tour, choisirent les notables de la ville et de la contrée et se les associèrent. Dès lors ils se livrèrent ouvertement au brigandage : eux et le gouverneur ; et personne ne leur en demandait compte.

 

Les pauvres furent profondément affligés, leurs mains faiblirent, leur cœur défaillit, leurs reins furent brisés en apprenant l’arrivée de ce scélérat, et leur espoir s’évanouit.

[…]

 

Il les établit donc gouverneurs: un pour chaque village. Avec cet homme, il y en avait beaucoup d’autres. Leurs exactions surpassaient l’impôt de capitation qu’ils percevaient : car c’étaient des voleurs, des brigands, des détrousseurs de grands chemins. Il choisit ces hommes-là pour les établir juges ! — Il est écrit : « Quand les rois sont iniques, tous leurs ministres sont iniques. »

 

Ainsi donc ils commettaient leurs exactions sur les pauvres gens avec une grande violence, des coups et des châtiments cruels. Ils recevaient pour récompense plus de la moitié de ce qu’ils avaient extorqué, et ensuite ils revenaient de nouveau prendre un certain nombre de Zûz, pour leur peine. Ils les forçaient à vendre leur bien pour en faire leur proie. Ils le vendaient, et ceux-ci le prenaient pour leur récompense. Ils remplirent ainsi leurs maisons du bien des orphelins et des veuves, et vendirent leurs chèvres leurs bœufs et tout ce qu’ils possédaient. Parfois l’un d’entre eux se rendait dans un lieu qui ne possédait rien. Il commençait par exiger sa récompense, et ensuite il opprimait les habitants et vendait leur bien. Aurait-on trouvé un homme plus criminel ? Les chefs de district et les préfets étaient complices de cette impiété. C’étaient eux surtout qui pratiquaient le brigandage.

 

« Tes princes sont infidèles et compagnons de voleurs. »

Ils exigeaient de ces malheureux avec dureté un ou deux tiers ; ils ne connaissaient ni commencement ni fin. Ils ne faisaient point savoir ce qu’ils enlevaient ; on ignorait ce qu’ils arrachaient ou ce qu’ils abandonnaient. Ils agissaient comme des voleurs, des brigands, des détrousseurs de grands chemins. Ils s’emparaient des notables et des hommes libres du pays et vendaient leur bétail avec tout ce qu’ils possédaient: ils les faisaient périr et les faisaient disparaître de la face de la terre. Il ne leur suffisait pas de prendre tout ce qu’ils possédaient, ils exigeaient même d’eux ce qu’ils ne possédaient pas.

 

Il établit des intendants pour les nombreux impôts du sadàqat al-màl des Arabes, et ceux-ci les réclamèrent plusieurs fois. Ils firent payer les tributs anciens. A quiconque était imposé pour 10 Zûz, ils en demandèrent 30 et parfois 40. Ils créaient de leur propre chef des contributions extérieures qu’ils imposaient au pays, en dehors des villes, sur les passants et sur les routes. Il arriva qu’ils en frappaient les étrangers établis dans le pays et qu’ils les réclamaient des Mahgrê aussi bien que des chrétiens ; car ils ne se préoccupaient pas de l’intérêt de l’Islam (KTYLWT’ D-MShLMN’), mais bien de satisfaire leur cupidité et leur avarice.

Ils fixaient et imposaient sans pitié les taxes au pays et aux champs des Arabes, sans connaître l’importance des récoltes.

 

Tels étaient le fondement et la base des maux. Les gouverneurs y ajoutèrent ensuite, et les chefs de district pareillement, enfin les courriers et les préfets les aggravèrent de nouveau. Et ainsi, en eux tous, dominaient sans pitié le brigandage, la fraude et l’injustice.

 

[…]

 

Personne ne se révoltera, personne n’échappera à l’impiété petite ou grande. Il a tendu son filet et tous les enfants d’Adam se sont pris dedans. Sa main est comme un nid dans lequel sont rassemblés tous les peuples. Personne, ni évêque, ni prêtre, ni juge, n’est exempt de péché, ou de calomnie, ou de rapine, ou de dénonciation, ou d’injure, ou de malédiction, ou de haine, ou de murmure, ou de brigandage, ou d’adultère, ou de violation des sépultures. Toutes les semences du diable sont maintenant semées dans tous les hommes. Chacun s’efforce de mal faire selon son rang et son pouvoir.

 

[…]

 

La joie a passé, la danse a cessé : au lieu d’elles ce sont la désolation, la misère, les amertumes.

 

Ces choses ne sont pas venues jusqu’à nous par la renommée, mais nous les voyons devant nos yeux.

 

Les hommes se firent mutuellement tous les maux. Ils osèrent s’attaquer aux moines, aux reclus, aux stylites ; ils en firent descendre plusieurs de leurs colonnes, ils en firent sortir de leurs cellules de réclusion. Les moines qui vivaient chastement et saintement dans les pieuses congrégations des monastères eurent principalement à souffrir l’oppression, la persécution, les coups violents, à propos des exactions de ces juges. Que celui qui lit sache et comprenne que jamais on n’a vu dans le monde persécution plus violente que celle de cette année. Si elle n’avait été mêlée, de sorte que tous les peuples furent opprimés et eurent à en souffrir plus que de toutes les précédentes, j’aurais à glorifier les martyres d’aujourd’hui.

 

Si quelqu’un possédait quelque chose et voulait fuir, il était emprisonné comme dans des liens, jusqu’à ce qu’il fût dépouillé de tout et qu’il ne lui restât plus rien. Dès qu’il était spolié de tout, il pouvait s’enfuir, mais tant qu’il avait quelque chose il ne le pouvait. S’il prenait la fuite, la route elle-même le dépouillait. S’il arrivait qu’il déposât quelque chose dans la terre, l’endroit même le dénonçait :

« Voici le bien d’un tel; venez, prenez le. »

S’il confiait sou dépôt à quelqu’un, celui-ci se faisait son spoliateur et lui prenait son bien au lieu des voleurs et des brigands.

 

[…]

 

Tout le bétail de lacontrée fut vendu. Les marchands de bestiaux devinrent plus nombreux que les étoiles du ciel, comme nous dit le prophète Nahum. Deux ou trois chèvres pleines pour un Zûz, autant de brebis ou un bœuf pour un Zûz, un âne pour un Zûz, un mulet pour 10 Zûz. Tout ce qui restait de l’épizootie s’en allait au vent. Leurs objets précieux et magnifiques qui avaient été pillés par les juges, étaient aussi vendus pour rien. Un objet qui valait vingt ou 30 Zûz, s’en allait pour deux ou trois.

 

Quand la contrée fut ainsi anéantie, on était à l’approche des saints jours du carême, et on entrait dans les semaines appelées « de joie» et que nous n’appellerons pas, nous, a de joie » mais d’amertume, de tristesse, d’angoisse ; car alors la calamité fut plus grande que dans tout le reste de l’année.

 

Le fléau se prolongea ainsi pendant tout le saint carême jusqu’après le dimanche « nouveau ». Il n’y eut ni fête ni dimanche : on ne fit point les prières qu’on avait coutume de faire pendant les jours du carême et des Rameaux, même les dimanches. Les chrétiens arrachèrent tous les ustensiles  de fer ou de bois de leurs maisons et les vendirent ; ils en arrachèrent les portes et les vendirent, attendant un temps meilleur ; enfin ils arrachèrent même les solives de leurs maisons et les vendirent, puis ils abandonnèrent les ruines de leurs demeures et s’en allèrent dénudés, errant de village en village, d’un lieu dans un autre. C’est ici qu’il faut dire avec le prophète Jérémie : « Le peuple a mangé de l’absinthe, il a bu des eaux amères ; ils ont été dispersés parmi des nations inconnues à eux et à leurs pères. Le glaive a été envoyé à leur suite jusqu’à ce qu’ils fussent consumés. »[…]

 

Nous ne devons pas seulenient dire que « le sacrifice et la libation sont bannis de la maison du Seigneur » mais que les livres liturgiques des églises ont été arraches et vendus, que le reste a été brûlé dans le feu, que leurs vases sacrés ont été détruits. Les vignes ont été dévastées ; la vendange a pleuré. Les champs ont produit des épines et des ronces ; les figuiers se sont desséchés ; les oliviers furent détruits; les grenadiers, les dattiers, les pommiers, et tous les arbres ont péri. C’est pourquoi la joie a disparu de parmi les hommes ; les travailleurs se sont enfuis et leurs maisons sont devenues la demeure des bëtes sauvages.

 

De la calamité qu’eurent à subir les habitants des campagnes par suite de la déprédation, et des maux causés par le fait des paysans eux-mêmes.

 

Nous n’avons pas voulu non plus laisser cela en dehors de ce récit lamentable plein d’angoisse et de cruelle douleur.

 

Déjà j’ai dit plus haut que l’établissement de gouverneurs originaires du pays fut plus nuisible que tous les maux antérieurs et postérieurs. Comme si sa propre, rapacité ne suffisait pas, il se choisit comme auxiliaires les gens les plus vils et les plus misérables qui ne laissèrent pas mime un clou dans la muraille sans l’enlever, car ils étaient rapaces comme les loups du soir. Ils ne possédaient rien, et là ils acquirent des richesses par leur brigandage avec la complicité de leur gouverneur. Ceux qui jusqu’alors avaient été assassins, détrousseurs dechemins, ivrognes, impudiques, tendeurs d’embûches pendant la nuit, crocheteurs de maisons, sont aujourd’hui juges !

Voyez, mes frères, l’œuvre des péchés, et entre les mains de qui ils jettent ceuxqui les commettent. Ainsi qu’il est dit : Le méchant sera vengé par le méchant. Voici entre les mains de qui nos péchés nous ont jetés, et ce que furent pour nous ces exacteurs avares et impitoyables.

 

En percevant l’impôt de capitation et beaucoup d’autres, ils en exigeaient plusieurs fois le montant. Ils vendaient tout ce que possédaient les hommes et ils en prenaient. Non seulement ils exigeaient dans un lien l’impôt qui était dû, mais plnsieurs fois le même impôt. Il n’y avait ni commencement, ni milieu, ni fin. Ils tombaient et se jetaient sur les pays en disant :

« La part de tel village est de tant ; il reste tant de milliers. »

Et ils allaient l’imposer de nouveau. Quand par la violence ils avaient obtenu la somme, ils recommencaient à l’exiger. Personne n’osait prendre la parole, car tout le monde craignait d’être surtaxé par le juge. Ils s’emparaient des notables et les pressuraient sans pitié : au point qu’ils en firent périr et en détruisirent plusieurs.

 

Les paysans eux-mêmes donnèrent la main aux malfaiteurs. Ils s’attaquaient aux hommes, enlevaient et vendaient tout ce qu’ils possédaient. Ils disaient, en mentant :

« Tu as dans notre pays une vigne, ou un jardin, un bois, un champ d’oliviers, » ou :

« Tu as répondu pour quelqu’un, » ou :

« Tu es soumis chez nous à la capitation, et voici tant d’années que tu n’as pas payé le tribut. Paie maintenant que nous sommes gênés. »

 

Pour de tels ou de semblables motifs, les paysans saisissaient les hommes pauvres et les pillaient. Le juge lui-même leur apprenait à agir ainsi, il leur prêtait la main et ne leur demandait pas compte de ce qu’ils faisaient. Ils tombaient sur un passant, s’en emparaient, suscitaient contm lui de faux témoins [qui disaient] :

« Celui-ci est solidaire de notre tribut »

Il affirmait avec serment :

« Jamais je n’ai vu ces hommes, ni eux ne m’ont vu. »

Ceux-ci disaient :

« Il est solidaire de notre tribut. »

Et il se trouvait parmi eux des faux témoins qu’ils produisaient contre lui. Ainsi ils vendaient son bétail, son bien et tout ce qu’il possédait. Ils circulaient dans les villes comme des chiens qui flairent par terre les traces de leurs maîtres, des animaux ou des troupeaux. Ils s’informaient de ceux qui avaient quelque dépôt : soit du froment, soit du fer soit toute autre marchandise, et ils s’en emparaient. Il fallait les voir circuler dans les villes, par troupes, épiant un homme et disant :

« Un tel est des nôtres. »

Celui qui échappait à l’un était saisi par d’autres, qui le conduisaient chez d’autres encore. S’il arrivait qu’il eût caché quelque chose, soit dans la terre, soit chez quelqu’un, l’endroit même le criait, comme une femme enceinte saisie par les douleurs de l’enfantement. C’est dans ces circonstances ou dans des circonstances semblables ou dans des circonstances analogues que les hommes passèrent les saints jours du carême.

 

Venons-en maintenant aux autres maux que les villageois se firent entre eux.

 

[…]

 

De l’amertume que les hommes éprouvèrent par suite de la convention ; et du pillage que les villageois exercèrent les uns contre les autres.

 

Puisque le Seigneur causa la destruction et le retranchement sur toute la terre* », on put voir ici la destruction de toute chose. Et la colère du Seigneur ne s’éloigna pas encore de nous, parce que nous n’avons pas cessé de commettre de nombreux péchés ; mais de jour en jour nous ajoutons k nos fautes, comme un homme qui s’est imposé une charge considérable et qui, au lieu de l’alléger, y ajoute au contraire. Le Seigneur s’est quelque peu indigné : et nous, nous avons continué à mal faire.

[…]

Maintenant le Seigneur nous a chassés de sa présence ; et ni l’oblation, ni l’expiation, ni les hommes justes qui sont parmi nous, n’ont pu réconcilier le Seigneur avec nous. Mais il a dévasté la contrée. Les hommes sortirent de leurs maisons, des chiens tombèrent sur eux pour les déchirer, des oiseaux pour les dévorer sans pitié. Et même eux étaient pires que les chiens et les oiseaux, car ceux-ci, quand ils ont mangé et sont rassasiés, cessent de déchirer.

En dehors de cela, il ne dévore pas, ne broie pas, ne piétine pas ce qui reste. Ces bêtes rapaces au contraire ont dévoré : elles se sont rassasiées, et ont emporté dans leurs demeures ce qui restait.

 

Ce n’est pas assez de tous les maux que nous avons racontés.

Il faut encore y ajouter ceux-ci. Lorsque l’impôt de capitation était déjà presque entièrement soldé, un homme cruel nommé, celui-là même dont nous avons parlé plus haut, fut envoyé dans le pays. Il vint à Amida, à Arzûn et à Mayyafariqîn. A Amida, parmi les gens du pays se trouvaient des hommes méprisables et avares qui

 

[….nouvelles pressions fiscales]

 

Quand les pauvres virent que ce brigandage manifeste ne cessait pas, que [ces exacteurs] n’avaient ni honte, ni crainte de Dieu, que ce principe de tous les maux ne leur demandait pas compte des méfaits qu’ils commettaient perpétuellement dans la contrée, ils se révoltèrent. « Nous avons donné, disaient-ils, pour nous et pour nos voisins ; nous avons payé notre impôt et celui qui n’était pas dû par nous. Quand donc seront-ils rassasiés de notre chair ? Nous ne donnerons plus rien, car nous ne savons où prendre

de quoi leur donner. »

 

Quand le gouverneur entendit cela, il frappa des mains, grinça des dents et, comme un lion, devint avide de sang. Il rassembla contre eux tous les brigands et les assassins de la ville. Il envoya son lieutenant, et avec lui des hommes criminels et sanguinaires, les notables du pays, des paysans scélérats et sans pitié. Celui-ci réunit parmi les campagnards une troupe nombreuse armée de lances et de frondes et s’avança contre eux. Les paysans de leur côté firent beaucoup de mal à tous les assassins et à tous les voleurs qui se trouvaient parmi eux, et ils firent subir à leurs frères des maux tels que la langue est impuissante à les narrer.

 

Dr, le lien qui s’était révolté se trouvait dans les montagnes et dans la région septentrionale. Il s’appelait Toutis. Le peuple était composé de SyriiMis et d’Ourtéens qui se partageaient la région, c’est-à-dire l’Arménie IV. Il y avait dans cette région un endroit qui fournissait du plomb, de l’argent et d’autres minerais de fer. A cause de la grande calamité qui s'<!tait emparée de toute la terre, des hommes se rassemblèrent en si grand nombre dans ce lieu où il y avait du plomb, que l’endroit devint un vaste camp et que le roi y établit même un gouverneur. De tous lieux les hommes se réunirent en cet endroit et y creusèrent des fosses grandes et profondes pour chercher le plomb.

 

Or, l’armée des paysans se dirigea vers le lieu que nous avons désigné. Ils voulaient leur imposer la contribution. Mais les gouverneurs persans ne voulurent pas y consentir.

« La plupart d’entre eux, disaient-ils, sont de votre pays ; ils paient le tribut et l’impôt. »

Ceux-ci ne se laissèrent pas convaincre ; ils se disposèrent à se battre avec acharnement et à piller tout ce qui appartenait aux autres. Les Perses donnèrent l’ordre à ceux qui habitaient le camp de se préparer à les combattre et à les empêcher d’entrer près d’eux, s’ils ne voulaient pas être massacrés.

 

Quand ceux qui n’étaient pas du camp fondirent sur eux et commencèrent à les tuer, tous ceux qui travaillaient le plomb prirent la fuite en présence du glaive. Comme on était encore en hiver, il y a\ait dans cette région une neige épaisse; la glace s’était même fixée sur l’orifice des fosses, et les excavations qui étaient remplies d’eau à cause des neiges ne se reconnaissaient pas. Beaucoup d’hommes tombèrent en fuyant dans ces fossés et la plupart d’entre eux furent suffoqués et périrent ensevelis sous la glace au fond de ces excavations. Ils en tuèrent aussi beaucoup par le glaive ; ils ne leur firent point grâce et les dépouillèrent. Ils pillèrent tout le camp.

 

Que le prophète Jérémie vienne donc en personne et qu’il dise à ce propos : « Tous nos ennemis ont ouvert leur bouche contre nous. Nous sommes dans la crainte, l’effroi, la fosse et la ruine. Mes yeux ont laissé couler des ruisseaux d’eau à cause du brisement de la fille de mon peuple. Mes ennemis, sans motif, m’ont pris à la chasse. Ma vie est tombée dans la fosse. Ils ont jeté sur moi des pierres. Les eaux ont débordé au-dessus de ma tête. » Qu’il ajoute encore ce qui fut dit par un autre :

« Celui qui fuira à la voix de l’effroi tombera dans la fosse; celui qui s’échappera de la fosse tombera sous le glaive ; celui qui évitera le glaive tombera dans la captivité. » Rien de tout cela n’a manqué ici.

Les chrétiens n’eurent pas même pitié de leurs compagnons qui avaient été suffoqués ou tués, et ne les retirèrent |3as pour les enSevelir. Si par hasard ils en reliraient un, c’êlait pour le dépouiller de ses vêtements, et ils l’abandonnaient nu à l’oiifice de la fosse.

 

Quant aux maux qu’ils firent dans cette contrée, il conviendrait de n’en point parler, d’abord parce que peut-être personne ne nous croira, à cause de leur malice ; ensuite de peur que les païens n’en aient connaissance et ne disent que les chrétiens ne craignent point Dieu, puisque leurs œuvres sont pires que celles des mages. Cependant, afin de faire connaître quelles sont les causes qui ont amené sur nous cette calamité, pour que ceux qui verront nos oeuvres prennent garde à eux, et aussi afin de montrer les miséricordes de Dieu qui supporte avec patience nos provocations et la multitude de nos malices, nous en dirons quelque chose.

 

Ils s’avancèrent donc sur eux, et à cause de la neige abondante qui se trouvait sur la terre, ils ne purent s’enfuir. Et s’il arrivait qu’ils s’enfuissent, les autres allaient sur leurs traces, les trouvaient et les jetaient dans la neige, eux, leurs biens, leurs femmes, leurs enfants. Ceux-ci tremblaient et devenaient pâles comme le sel, à cause de la rigueur du froid. Et au lieu d’avoir pitié d’eux, ils dépouillaient les hommes, les femmes, les enfants, et les laissaient nus, sans vêtement ni chaussures. Ils leur enlevaient même leurs caleçons et ne craignaient pas de découvrir la nature. Ils commettaient même sans honte des impudicités sur leurs femmes et leurs filles, en pré.sence les uns des autres. Le scélérat qui était à leur tête statua que tout ce qu’un homme saisirait appartiendrait à cet homme. En sorte que lui-même et ces brigands qui s’étaient adjoints à lui et étaient venus avec lui, purent satisfaire et accomplir leur convoitise et leur rage.

 

Les paysans et leurs chefs étaient plus durs que les païens et n’eurent pas la moindre pitié pour leurs frères. Ils firent subir leur malice à ceux qui étaient respectables aux yeux de tous. Ces détrousseurs de grands chemins détruisirent tous les objets à l’usage des hommes ; ils consumèrent par le feu ceux qui étaient en bois, brisèrent ceux de terre, prirent pour eux-mêmes ceux d’airain ou de fer. Ils ne laissèrent ni lit, ni porte, ni vase, ni bassin, sans le détruire par le feu. Ils brisèrent les amphores, les outres, les marmites, les cruches. Ils burent du vin qui s’y trouvait autant qu’ils firent, et répandirent le reste à la surface de la terre. S’il arrivait qu’un récipient fût enfoncé dans le sol et qu’ils ne pussent le briser, l’un d’eux, saisissant sa lance, en perforait le fond, et le vin s’écoulait au soin de la terre. Ils firent de même pour le miel : ils eu mangèrent tant qu’ils purent et répandirent le reste sur la terre. Ils brisèrent les ruches des abeilles et les plongèrent dans l’eau, de sorte qu’elles périrent toutes. Ils eurent l’audace de faire cela par le conseil de Satan qui leur traça la voie pour en venir à être pires que les païens qui se trouvaient parmi eux. Ils osèrent manger de la viande et du fromage pendant les saints jours du carême et firent beaucoup d’autres actions pernicieuses. En sorte que quand le bruit de ce qu’ils avaient fait à leurs frères arriva jusqu’à nous, nous fûmes plongés dans une grande douleur, dans les pleurs et dans une profonde angoisse, et nous nous étonnâmes en voyant jusqu’à quel point le Malin séduit les hommes.

 

Ils osèrent même s’attaquer à l’église qu’ils dépouillèrent ; ils enlevèrent ses livres et tous les objets du culte sacré. Comme ils avaient renfermé leurs femmes dans les églises, les païens y entraient eux-mêmes et usaient d’elles au milieu des temples. C’est ici qu’il faut pleurer avec Jérémie et dire : « Sion, — c’est-à-dire la sainte Église, — a perdu sa beauté. Ses prêtres sont humiliés, et elle-même est plongée dans l’amertume. L’eimemi s’est levé, l’oppresseur a porté la main sur toutes ses choses précieuses. Elle a vu entrer dans ton sanctuaire les Gentils que tu avais défendu de laisser entrer dans ton assemblée. » Et encore : « Ils ont humilié les femmes de Sion. »

 

Ces calamités eurent lieu dans cette région. Ils emmenèrent les hommes enchaînés comme des assassins, rassemblèrent tout leur bétail et le conduisirent avec eux. Ils parcoururent ainsi de nombreux villages, chassant les paysans, pillant et entraînant les habitants.

 

Razin passa à Arzûn et à Mayyafariqin et quand il vit le brigandage des gouverneurs de ces villes, il les condamna à de grands tourments et à de violents supplices; au point qu’ils furent rongés de vermine et moururent. Il brisa leurs mains et leurs pieds dans des entraves, et il enleva tout ce qu’ils avaient pillé.

 

Dieu les livra aux mains de ce cruel scélérat, et toutes les souillures qu’ils avaient commises retombèrent sur eux-mêmes. On disait d’eux qu’ils s’emparaient dans les rues des jeunes imberbes et les souillaient. Les scribes et les changeurs impies, qui étaient chrétiens, faisaient prendre et amener des jeunes filles qu’ils souillaient, aussi bien les filles du peuple que les filles des notables. En vérité, ils n’avaient point de honte, et ne connaissaient point de réserve, ceux qui osèrent s’attaquer aux fiancées du Christ.

Dieu les livra aux mains d’un plus méchant qu’eux-mêmes.

« Le méchant tire vengeance du méchant, et le Seigneur d’eux deux. »

Celui ci donc, ayant vu leurs œuvres mauvaises, les fit venir, leur perça les narines et leur mil un frein, connue aux chameaux ; il leur fit un trou au iront, y suspendit des tablettes et leur fit attacher des chaînes par lesquelles on les tirait.

 

Celui il le livrait au valet pour qu’il le tournât en dérision sur la place publique. Il les jeta ensuite en prison. Il ne leur donnait du pain que pour leur conserver la vie. Il s’élevait de toute part de la maison dans laquelle ils étaient enfermés une odeur de putréfaction pire que celle d’un tombeau. J’ai noté quelques-unes de ces choses afin qu’en les voyant les chefs placent Dieu en face de leur conscience, qu’ils n’agissent pas selon leur gré et contrairement à l’honnêteté ; et aussi afin qu’ils sachent qu’il y a une loi, même pour celui qui fait la loi, et qu’ils comprennent que le prince qui se conduit d’une manière déréglée perd promptement et rapidement le titre de prince, qui fait sa gloire, et reçoit en échange celui de tyran, qui est plein d’insanités ; ce qui est le commencement de la démence.

 

De la famine qui sévit sur les hommes ; de la cruelle maladie et de la grande peste qui survinrent en cette année.

 

Il est écrit dans le prophète : « Voici que je nourrirai ce peuple d’absinthe, et je lui ferai boire des eaux amères ; et je le disperserai parmi des nations qu’il n’a point connues. J’enverrai après eux la faim, la peste, la captivité et le glaive. »

 

Toutes les choses prédites par le prophète arrivèrent ; et non pas moindres, mais bien plutôt pires. Il y eut une grande affliction dans les pays du Sud, à cause de la sécheresse dont nous avons parlé plus haut.

 

Toute la contrée méridionale et orientale fut soulevée par la cruauté et la persécution de Mûsâ b. Muç‘âb. Leurs habitants envahirent la Mésopotamie. Les villages et les villes, les maisons et les champs en furent remplis : au point qu’on ne pouvait circuler ou se fixer quelque part à cause d’eux.

 

Cela aggrava l’affliction qui pesait sur les pauvres et les ouvriers de la Mésopotamie, car personne ne leur donnait de salaire, personne n’employait un seul d’entre eux.

 

Si quelqu’uu offrait de travailler au prix de sa seule nourriture, il s’en trouvait parmi eux, autant qu’on voulait, qui consentaient à travailler, alors même qu’on ne leur donnait pas le pain suffisant. Ils circulaient autour des maisons, hommes et femmes, enfants et vieillards, tout le jour sans cesser ; quand ils apercevaient quelque part une porte ouverte, 30 ou 40 d’entre eux s’y précipitaient à la fois. Au commencement, tout le monde leur faisait l’aumône. Mais quand la foule de ces pauvres, de ces étrangers, de ces affamés, se fut accrue outre mesure, on cessa de leur donner ; car les habitants craignaient de manquer eux-mêmes et de devenir plus malheureux que ceux-ci, et de plus, le gouverneur, par la fraude et le vol, avait enlevé tout le froment des propriétaires et l’avait fait vendre.

 

Les pauvres eux-mêmes ne furent pas exempts de péché. Parmi eux, des jeunes gens valides se firent des vêtements comme pour des lépreux, des infirmes, des aveugles, et avec une audace sans pudeur, ils circulaient courbés comme des infirmes et ils se jetaient sur celui qui ne leur donnait pas et le frappaient à mort. Un individu ne s’éloignait pas d’une porte avant d’avoir obtenu ce qu’il demandait. A cause de leurs imprécations, les hommes avaient peur d’ouvrir leurs portes. Les scélérats qui agissaient de la sorte descendaient ensuite au marché vendre le pain qu’ils avaient mendié et s’acheter de la viande et du vin. De sorte que les hommes, voyant cela, cessèrent de nouveau de secourir les pauvres ; mais ils tombèrent dans une grande affliction, car les scélérats dépourvus d’humanité qui faisaient ces choses et considéraient cela comme un métier, ils attaquèrent les maisons, les moulins et tous les endroits. Les habitants des diverses contrées de la Mésopotamie se réunirent et gagnèrent les villes à cause de la famine. Tout leur bien était vendu et personne ne voulait leur prêter. Ils mangèrent de la viande ei du laitage pendant tout le carême. A cause du vil prix du bétail, partout on leur donnait de la viande tant qu’ils voulaient. En certains lieux cette famine s’aggrava sur les indigènes, à cause de la multitude des étrangers, au point qu’ils s’attaquèrent aux cadavres des morts.

 

Les étrangers qui avaient abandonné leur pays à cause de la famine, pour ne pas y périr, étaient précédés, accompagnés et suivis, partout où ils allaient et venaient, du glaive et de la peste.

 

[…]

 

Cette maladie s’abattit, sur les villes, et, les habitants commencèrent à succomber comme des sauterelles. On redoutait d’y entrer par crainte tant de l’autorité que des maladies et de la peste. Ils se jetèrent sur les hommes, attaquèrent les routes et détroussèrent les passants. Ils se jetaient sur eux, les pillaient, les dépouillaient, les tuaient, non pas tant pour courir après l’or ou l’argent que pour avoir du pain ; de sorte que beaucoup d’hommes furent tués parce que l’un d’eux portait et conduisait aux siens de la farine ou du froment. Pour un c/oji/ii:a ov\ cinq, ils versaient sans piiié le sang d’un homme.

 

Des contrées entières osèrent envahir et piller d’autres contrées, couper les routes et dévaliser les passants. La couleur de ces gens, quand ils abandonnaient leur pays, était comme celle de l’herbe verte. Ils allaient vendre le fruit de leur travail pour s’acheter du pain ; ils en mangeaient sans mesure et bien tôt tombaient aux portes de la mort. Parfois, tandis que l’un d’entre eux tenait le pain dans sa main et mangeait, il devenait noir comme un sac, se repliait en arrière, tombait et rendait ràmc. Cela arriva à beaucoup d’entre eux. Ils commencèrent à mourir en si grand nombre que les hommes ne pouvaient suffire à les ensevelir pendant tout le jour.

 

Dieu n’abandonna pas les pauvres. Sa bonté et sa miséricorde s’étendit sur eux. Ils furent saisis et tombèrent les premiers dans cette maladie, au ])oint que les rues et tous les lieux en étaient infectés. Ainsi à ce moment où les hommes possédaient encore quelque chose, chacun prenait soin d’eux selon ses moyens. Ceux d’entre eux qui mouraient étaient ensevelis avec grand honneur.

Les habitants apportaient des cercueils et des linceuls dont ils les revêtaient ; ils les accompagnaient et les déposaient dans leurs propres tombeaux, au milieu des ollices et des psaumes, comme il convient à des chrétiens. Ils rassemblèrent aussi ceux qui étaient frappés et gisaient dans les rues, accablés par la maladie, la faim et la soif; ils les firententrer dans un grand édifice, où ilsétablirent quelqu’un pour prendre soin d’eux. Chacun selon sa force les prenait et les transportait. Mais quand la calamité envahit le pays, tous furent également dans le besoin. Ceux qui avaient été riches étaient devenus des mendiants.

« Ceux qui se nourrissaient délicieusement sont maintenant étendus dans les rues ; ceux qui ont grandi dans la pourpre dorment maintenant sur les immondices ».

 

[…]

 

Quand arriva l’époque de la moisson dans le Beit’Arabayê, tout le peuple de la contrée septentrionale, même les étrangers, s’assembla pour descendre moissonner, au seul prix de leur pain. Les femmes et les serviteurs descendirent aussi. C’est l’hahitude chez ce peuple du Nord que les jeunes gens descendent moissonner ; mais à cette époque, les vieillards et les serviteurs, les femmes et les enfants descendirent, à cause de la grande calamité qui pesait alors sur eux.

 

Lors donc qu’ils furent descendus et eurent mangé du pain à satiété, tous tombèrent dans diverses maladies. En sorte que les routes et les chemins, les hauteurs et les bas fonds en étaient remplis ; à la ville, à la campagne, partout, ils tombaient comme la sauterelle.

 

Ils n’avaient d’autre salaire que le pain nécessaire à chacun d’eux. Beaucoup, dit-on, s’en allaient dans les champs, et dès qu’ils avaient mangé et étaient rassasiés, ils tombaient morts. De sorte qu’il en sortait vingt et en rentrait cinq. Quand les propriétaires de la moisson apprirent cela, ils ne laissèrent plus entrer dans leurs champs que ceux qui avaient bonne mine et étaient valides. Ils leur donnaient pour salaire 5 oboles par jour, ou tout au plus 10. Ainsi, les hommes firent moissonner leur moisson qui était abondante, sans pitié pour les forces de ces malheureux ; et ils ne leur donnaient pas même du pain sec à satiété, non pas à cause de la disette, mais parce qu’ils avaient mauvais vouloir.

 

Nous ferons aussi connaître les maux causés par les hommes, et la violation des sépultures et des défunts.

 

De la violation des tombeaux et de la spoliation des défunts.

 

[…]

 

Satan s’est attaqué vivement à nous, à cause de nos péchés, qui sont plus nombreux que les siècles, les temps et les nombres nombreux, et qui ont fait que nous avons subi cela.

 

Ils retournèrent les hommes et jetèrent sans pitié leurs ossements hors des tombeaux. Comme un homme tire une pierre de la maison et la jette dehors: ainsi tiraient-ils et jetaient-ils leurs ossements hors de leurs tombeaux. Ils ne se préoccupaient point de les remettre en place quand ils avaient satisfait sur eux leur rage et leur avarice. S’il se trouvait des hommes vertueux et craignant Dieu pour les blâmer à cause de cette malice, de cette iniquité, de cette impiété, ils disaient: « Quel mal faisons-nous? » ou bien: « Où prendre pour donner [l’impôt] ? »

Lorsqu’on leur demandait :

« Trouvez-vous quelque chose ? » ils répondaient aussitôt, d’accord avec les paroles de Satan leur père et leur chef : « Nous trouvons. »

Kt quand on en interrogeait un : « Toi-même, qu’as-tu trouvé? » il disait : « Moi, je n’ai encore rien trou\é; mais un tel a trouvé tant et tant de pendants doreilles, de ceintures, de colliers d’or ; et dans tel village on a retiré tant d’or ou d’argent. » Satan leur apprenait à dire ces paroles futiles, pour leur honte. Et quand on interrogeait celui que l’on prétendait avoir fait une découverte, sa trouvaille était ou un pendant d’oreille en cuivre ou une ceinture de fer.

 

Telles étaient leurs découvertes; mais Satan, au moyen de ses ouvriers, les proclamait des merveilles par milliers et par myriades, afin que tout le monde s’associât à lui dans cette impiété. Il leur donna pour récompense le feu de l’enfer.

 

Comme les générations fidèles dés temps passés lui avaient résisté et qu’il n’avait pu exercer ses desseins sur elles pendant leur vie, ses ministres le satisfirent et accomplirent maintenant ses désirs en dispersant leurs ossements. L’ennemi de tout bien se joua de nous et de nos ancêtres : de ceux-ci, parce que leurs ossements furent dispersés; de nous, parce que nous accomplîmes nous-mêmes cette œuvre.

 

De même que ceux-là avaient succombé à divers fléaux : de même diverses maladies tombèrent sur les hommes, et la parole de l’Écriture disant que quand les tombeaux sont ouverts, de nombreuses pestes envahissent les villes, s’accomplit.

 

Par suite de la grande liberté que les hommes avaient prise de violer les sépulcres, ils en vinrent à spolier même les morts que l’on ensevelissait actuellement. Au point que quand les ensevelisseurs enterraient un mort et retournaient chercher son voisin, lorsqu’ils revenaient, le premier était déjà dépouillé.

Ils retournaient de même les fosses des Arabes et des Juifs.

Quand ils avaient spolié un mort, il l’enterraient de nouveau pour qu’on ne s’en aperçût pas, ou ils l’abandonnaient nu, étendu sur sa face, et s’en allaient. Aussi, dès que les gens s’aperçurent de cela, soit parce qu’ils sur- prirent quelques-uns des violateurs de sépultures, soit parce qu’ils trouvèrent les objets des défunts chez eux, ils ne laissèrent plus le mort qui venait d’être enseveli sans gardien, ni jour ni nuit, jusqu’à ce qu’il tombât en putréfaction. Ils couvraient de chaux, jusqu’à ce qu’ils fussent dévorés par la teigne, les vêtements précieux dans lesquels il était enveloppé, et les imbibaient d’huile de cèdre.

 

Pour ce motif, il y avait de nombreux veilleurs au milieu des cimetières des Syriens, des Arabes et des Juifs ; car ils n’abandonnaient pas un mort sans gardien avant qu’il tombât en pourriture et en putréfaction. Ces scélérats et ces voleurs n’épargnaient pas même un pauvre qui avait été enseveli avec une chemise usée ou un lambeau de vêtement.

 

Nous trouvons mention dans le prophète de la violation des sépultures, mais non pas de la spoliation des morts. Mais nous autres, nous avons surpassé par nos impiétés et nos iniquités tous les maux mentionnés et non mentionnés dans les Ecritures. Confessons donc la bonté incommensurable et incompréhensible du Seigneur vis-à-vis de ses enfants égarés, qui supporte nos provocations et la ffi-andeur de notre malice.

 

De la destruction causée par la peste, et des bêtes féroces qui sortirent ensuite.

 

[…]

 

Ils s’emparaient aussi des Arabes et des Syriens à propos des héritages elles vexaient cruellement et amèrement. Ils n’admettaient point la parenté selon ce qui est écrit dans la loi des rois ; ni qu’on établit d’héritiers, excepté le fils son père, le père son fils, l’oncle son neveu, et le neveu son oncle.

 

On échappait avec difficulté à ces bêtes féroces […]

 

Ici, il arriva que ce que il enleva, et ce qui resta fut extorqué par l’émir préposé aux héritages. Il dépouilla les hommes, et leurs rejetons blanchiront dénués de tout.

 

Sixièmement : de la mort de l’émir d’Amid ; du livre qui avait été rédigé ; du soulagement qui en résulta pour les notables du pays qui étaient emprisonnés.

 

Le temps nous fait défaut pour raconter les maux qui survinrent à Amid en cette année, car elle souffrit alors de cette calamité plus que toutes les autres villes. Mais comme la tribulation n’est encore qu’au début et n’a pas pris fin, je parlerai du commencement de ce fléau.

 

[…]

 

Ces maux et de pires encore se multiplièrent en cette année à Amid, ville de la Mésopotamie par le fait de cet émir indigne et despote qui y était venu.

 

Or, il arriva qu’un gouverneur, originaire de Raqqa et nommé Mabdûl, s’y rendit. C’était un homme impie, avare, qui ne se préoccupait point de Dieu dans ses actions.

 

[…]

 

Les hommes ne pouvaient pas passer ni approcher des environs de cette maison, à cause de la forte odeur de putréfaction qui en sortait et se répandait très loin. Si quelqu’un était contraint d’aller jusque-là, parce que quelqu’un des siens s’y trouvait, il était incommodé par cette odeur pendant un jour ou deux.

 

[…]

Les Arabes et les Syriens, les grands et les petits, les maîtres du pays et les étrangers furent rassemblés sans qu’il y eût quelqu’un pour remuer l’aile, ouvrir la bouche et parler.

 

{…]

 

On pouvait voir ici leurs excréments et leurs vomissements, leurs tables de toutes parts couvertes d’excréments.

 

Quelles larmes, quelle douleur peuvent suffire lorsqu’on voit des hommes nobles et délicats prendre leur pain dans leurs mains pour manger et, devant eux, le fumier accunmlé sur le fumier ; alors que d’autres auparavant étaient sortis à cause de la répugnance de cet endroit!

 

A propos de ces choses le prophète Joël dit et s’écrie : « Prêtres, ceignez-vous et pleurez; hurlez, ministres de l’autel; entrez, couchez-vous dans les sacs, ministres de mon Dieu; » non « parce que la libation et le sacrifice ont disparu, » mais parce que l’église fut rejetée et abandonnée par le Seigneur aux mains des étrangers !

 

Alors que tous les hommes étaient plongés dans cette grande affliction, cet impie prit le livre écrit au commencement de l’année, sous forme de ta’dil. Quiconque n’y était pas inscrit ou n’était pas marqué sur les mains, fut frappé d’une amende de 48 Zûz, qui était portée à 60, ou de 30, ou de 25 ou de 15. Il en fit ainsi sortir beaucoup ; mais les pauvres et les indigents restèrent en prison et eurent à souffrir de la faim et de cette odeur de putréfaction.

 

Il saisit les notables à la place de leurs enfants, de leurs frères, de leurs parents qui n’étaient pas inscrits sur ce livre détaillé, et il les frappa d’amendes. Il s’empara aussi de ceux qui étaient inscrits, et leur causa des dommages considérables. Il choisit des hommes débauchés et ivrognes et se les associa. Ceux-ci dénonçaient petits et grands; ils les recherchaient et les lui amenaient. De la sorte personne n’échappa sans qu’il l’eût obligé à payer, soit pour lui-même, soit pour ses parents, ou sans qu’il lui eût cherché querelle.

 

Il s’empara de nouveau des habitants de la contrée et les força à traiter avec lui ; et à ce sujet il y eut beaucoup de contestations.

 

Il frappa leurs chefs jusqu’à les faire mourir; il dépouilla et pilla chacun selon son bon plaisir, sans que personne le blâmât ou lui demandât : « Que fais-tu? » La fidélité ou la véracité ne se trouvait chez aucun d’eux. Ils saisirent, en effet, les habitants de la ville et firent un raité avec eux relativement à leurs enfants et à leurs parents moyennant 2000 [dinars]. Quand ils les eurent reçus, ils ne cessèrent pas de mal faire, mais ils leur infligèrent des amendes. Ils leur suscitaient des difficultés de tout genre. Ils sortaient sur les routes et les chemins, et quand ils s’emparaient des usuriers ou de ceux qui ne l’étaient pas, ils les dépouillaient également et leur enlevaient tout ce qu’ils avaient.

 

Dieu, dans sa miséricorde, fit que cette calamité eut lieu au mois de mai ; dès lors les hommes se cachaient dans les montagnes, comme des colombes dans les anfractuosités. Il n’y eut plus sur les routes ni allant ni venant, car cette persécution s’étendait en tous lieux. Les hommes périssaient de faim et craignaient d’entrer dans une ville ou un village. Si parfois quelques-uns d’entre eux avaient quelque chose à vendre pour s’acheter du pain, ils amenaient avec eux leurs femmes, et dès qu’ils approchaient de la ville, ils envoyaient celles-ci dans la cité, tandis qu’eux-mêmes restaient cachés dans les moissons, mourant de faim, attendant [le retour de] celles qu’ils avaient envoyées, les uns deux jours, les autres trois, les autres quatre, ou même d’un dimanche à l’autre; ils se tenaient dissimulés, comme des colombes, dans les tombeaux et les récoltes, torturés par la faim; et parfois quand [la femme] revenait, c’était en vain qu’elle avait fait son acquisition. C’est maintenant que nous pouvons dire : « Au dehors siégera le glaive et la famine, et à rintéiieur la crainte ‘. »

 

Cette fureur s’appesantit aussi sur les habitants de Téla, d’Edesse, de Harran. — Le prophète dit, en effet- : « C’est la malédiction qui sort sur la face de toute la terre. »

 

Quand ce fléau cruel arriva sur les habitants de Xisibe, voyant qu’on les taxait sans miséricorde, qu’on s’emparait de tout al huit ou venant, qu’on se jetait sans pitié sur les campagnes, les notables du pays s’assemblèrentet descendirent trouver Mousa. Ils essayèrent de lui persuader de faire une convention avec eux, mais il ne le voulut pas. Ils lui demandèrent de racheter les contributions extérieures que leur avaient infligées ses envoj^ès, et qu’au moins ces chiens rapaces ne pussent entrer dans leur pays. Il ne leur accorda pas cela; mais il s’empara d’eux, les jeta en prison, à Mossoul, et les fit charger de chaînes. Il jura sur sa personne que tant qu’il tiendrait le pouvoir ils ne sortiraient pas de là. Beaucoup de gens intercédèrent pour eux, mais il ne les écouta point.

Ils restèrent en prison jusqu’à ce que le Seigneur les délivrât et que ce tyran reçût le châtiment qui lui était dû.

 

Il est temps maintenant de nous détourner de cette calamité pour nous tourner vers un autre fléau.

 

Dixièmement : des émirs préposés à la dime et des émirs préposés an çawfî.

 

Je parlerai du serpent qui naquit de cette vipère, et des fruits détestables qu’elle répandit sur nous.

 

Ceux que cette vipère envoyait dans le pays étaient plus mauvais que le serpent. Ils vinrent, entrèrent dans la ville et firent recenser sans pitié tout ce qui appartenait aux habitants. Si un homme n’avait ni froment ni orge, mais en achetait au marché pour manger, ils lui en inscrivaient 1000 gribè, à un autre 2000, à un autre 5, à un autre 10, et jusqu’à 40 ou 50 000 gribè. Sans entrer dans la maison de chacun pour voir ce qu’il y avait, ils inscrivaient ce que le diable leur suggérait. Ils firent de même à l’égard des boutiquiers, des grainetiers, des marchands d’huile, des négociants de toute sorte qui étaient dans le marché. Ils les [taxaient] sans pitié et leur réclamaient l’impôt. De sorte que si l’un d’eux vendait tout ce qu’il y avait dans sa boutique, il n’obtenait pas plus de la moitié de ce qu’on lui demandait. Et, tandis que les hommes subissaient cette grande, oppression à cause de l’impôt, du décimateur, de la capitation, le çauphi faisait de son côté autant de mal qu’il pouvait, saisissant et pillant tous ceux qui entraient ou sortaient.

 

[…]

 

Du second émir préposé aux étables.

 

Quand Khalil b. Zidân, l’émir des étables dont nous avons parlé plus haut, mourut, Abû ‘Awn prit sa place. Les gouverneurs établis par Ibn Mûsâ s’opposèrent aux siens et les chassèrent de la ville. Alors vint un Persan envoyé par le roi, homme violent, dur, sanguinaire, qui troubla tout le pays.

Tous les Arabes de la contrée eurent à souffrir de sa part, car il se mit à faire ce que les Persans n’avaient pas coutume de faire.

 

L’usage des Persans à l’origine était d’emprisonner longtemps sans miséricorde. Celui-ci se mit à tuer en frappant, et même à crucifier. Une grande calamité s’empara des Syriens, partout où il alla, tant à cause du logement des bêtes de somme que des dépenses causées par sa troupe ; car ils logeaient chez les habitants et toute leur nourriture ainsi que celle de leurs bêtes de somme était aux frais de ceux-ci.

 

Le prophète a dit : « Tous viennent au butin. »

Avant d’aller imposer une ville, il envoyait en avant un courrier préparer un endroit et y remiser les bêtes de somme. Cet envoyé arrivait à la ville 20 jours d’avance on commettait toute sorte de maux et de déprédations. Il sortait [avec ses soldats] sur les routes et les campagnes, et ils saisissaient les mulets et les chevaux, emmenaient même les colons et les enfermaient dans des maisons ou des cours. Ils relâchaient quiconque leur donnait 2 Zûz par mulet ou par cheval, et s’emparaient de son voisin. Ils allaient aussi sur les routes et dans les khans, au dehors de la ville, pour s’emparer des ânes des pauvres. Ils leur prenaient un Zûz par âne et les relâchaient. Ils sortaient aussi dans la contrée et exigeaient des hommes qu’ils amenassent leurs bêtes de somme. Quand ils les avaient amenées, ils se mettaient à leur demander des Zûz : 2 Zûz par mulet, un Zûz par âne. Ils emmenaient les bétes de somme de tous ceux qui ne les leur donnaient pas. Ils emmenèrent de la sorte beaucoup de bétes de somme, prises dans le pays, sur les routes, au marché, et ils les enfermèrent dans des cours. Les hommes avaient ainsi beaucoup à souffrir à cause de leurs dépenses et de celles de leurs bétes de somme, et lorsque nombreux, lui-même arrivait. On prenait aussi les bêtes de somme des marchands et des passants. On saisit ainsi beaucoup d’animaux appartenant aux pauvres, pendant des jours et des mois nombreux, et on ne les relâcha point avant qu’ils eussent vendu tout ce qu’ils possédaient pour subvenir à leurs dépenses. On ne voulut leur laisser ni leur donner quoi que ce soit. — L’Ecriture dit : « Ils sont plus empressés que les loups du soir; ils voleront comme un aigle affamé vers sa nourriture;» et encore :

« Tous viennent au butin. »

 

Disons aussi quelque chose au sujet de cet homme lui-même.

 

Quand on entendait parler de lui dans la contrée, la frayeur et le tremblement s’emparaient de tout le monde. Il commença à frapper sans pitié, à tuer et même à crucifier. Dans chaque ville où il entrait, il faisait crucifier deux, trois ou cinq personnes, et les hommes tremblaient en sa présence. Ils disaient qu’il ne faisait périr que [les voleurs], les assassins, les détrousseurs de grands chemins; or, nous avons appris pour la plupiirt, mais aussi des Messaliens qu’on appelle zélateurs, mendiants et

 

Il traversa toutes les villes de la région inférieure de la Mésopotamie, frappant, tuant, crucifiant, et parvint à Amid.

 

Il y resta longtemps et y fit crucifier quatre hommes ; puis il passa à Mayyafariqin, et de là il revint à Amid où il se fixa.

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