Guillaume de Tyr, Templiers (1118-…) v. 1170

Dans le cours de la même année, quelques nobles chevaliers, hommes dévoués à Dieu et animés de sentiments religieux, se consacrèrent au service du Christ, et firent profession entre les mains du patriarche de vivre à jamais, ainsi que les chanoines réguliers, dans la chasteté, l’obéissance et la pauvreté. Les premiers et les plus distingués d’entre eux furent deux hommes vénérables, Hugues de Pains et Geoffroi de Saint-Aldemar.

Comme ils n’avaient ni église, ni résidence fixe, le roi leur concéda pour un certain temps un logement dans le palais qui est situé auprès du temple du Seigneur, du côté du midi. Les chanoines de ce temple leur concédèrent aussi à de certaines conditions, et comme champ d’exercice, la place qui leur appartenait tout près du palais. Le roi et les grands, le seigneur patriarche et les prélats des églises leur donnèrent en outre, sur leurs propres domaines, certains bénéfices, les uns à terme, les autres à perpétuité, et ces bénéfices furent destinés à leur assurer les moyens de se couvrir et de se vêtir. Lorsqu’ils firent leur première profession, il leur fut enjoint par le seigneur patriarche, et par les autres évêques, de travailler de toutes leurs forces, et pour la rémission de leurs péchés, à protéger les voies et les chemins, et de s’appliquer à défendre les pèlerins contre les attaques ou les embûches des voleurs et des maraudeurs.

Durant les neuf premières années de leur institution, ils portèrent l’habit séculier, et n’eurent jamais d’autres vêtements que ceux que le peuple leur donnait par charité. Dans le cours de la neuvième année, et lors du concile qui fut tenu en France à Troyes[3], auquel assistèrent les seigneurs archevêques de Rheims et de Sens, et leurs suffragants, l’évêque d’Albano, légat du siège apostolique, les abbés de Cîteaux, de Clairvaux et de Pontigny, et plusieurs autres encore, on institua une règle pour les nouveaux chevaliers, et on leur assigna un costume, qui fut le vêtement blanc, en vertu des ordres du seigneur pape Honoré, et du seigneur Etienne, patriarche de Jérusalem. Depuis neuf ans qu’ils avaient fait leur première profession, ils n’étaient encore que neuf : mais alors leur nombre commença à s’augmenter, et ils acquirent aussi des propriétés plus considérables.

Dans la suite, et sous le pontificat du seigneur pape Eugène, à ce qu’on rapporte, ils commencèrent à faire attacher sur leurs manteaux des croix faites en drap rouge, qui devaient servir à les distinguer entre tous les autres hommes, et ces croix étaient, également portées par les chevaliers et par leurs frères inférieurs en rang, qui étaient appelés servants. Leurs affaires ont prospéré si bien qu’ils ont en ce moment dans leur couvent 300 chevaliers plus ou moins, tous revêtus de manteaux blancs, sans compter les frères servants, dont le nombre est presque infini.

On dit qu’ils ont d’immenses propriétés, tant au-delà qu’en deçà de la mer, et qu’il n’y a pas dans le monde chrétien une seule province qui ne leur ait assigné une portion quelconque de biens ; eu sorte que leurs richesses sont, à ce qu’on assure, égales à celles des rois. Comme le lieu de leur résidence est dans le palais royal qui se trouve situé près du temple du Seigneur, on les appelle Frères chevaliers du Temple.

Ils se sont pendant longtemps maintenus convenablement dans l’objet de leur institution, et ont accompli les lois de leur première profession ; mais oubliant ensuite le devoir de l’humilité, qui est comme on sait la gardienne de toutes les vertus, et qui préserve de tout malheur tant qu’on la conserve volontairement au fond du cœur, ils se sont soustraits à l’autorité du seigneur patriarche de Jérusalem, qui leur avait donné la première institution et les premiers bénéfices, et lui ont refusé l’obéissance que leurs prédécesseurs lui avaient d’abord engagée. Ils se sont aussi rendus extrêmement incommodes aux églises de Dieu, en leur enlevant les dîmes et les premiers fruits de la terre, et les troublant fort injustement dans leurs possessions.

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