Guillaume de Tyr, Abbassides (Perses) et Fatimides (Egyptiens), v. 1170

Durant ce temps, les Égyptiens et les perses soutinrent avec acharnement une longue querelle de rivalité et de puissance; leurs haines mutuelles étaient entretenues et animées par l’attachement de chacun de ces peuples à des traditions contradictoires. Aujourd’hui encore, par suite de ces croyances diverses, chacun des deux traite l’autre de sacrilège; ils n’ont aucune relation entre eux, et vont jusqu’à vouloir aussi être distingués par des noms divers. Ceux qui suivent la superstition des Orientaux s’appellent dans leur langue sunni; ceux qui préfèrent les traditions des Égyptiens se nomment siha, et ceux-ci paraissent s’accorder mieux avec notre foi.

Il serait hors de notre sujet d’exposer leurs différentes erreurs.

Avec le temps, le royaume d’Égypte s’étant fort accru, et ayant enfin occupé les provinces et toutes les contrées qui s’étendent jusqu’à Antioche, la ville sainte tomba aussi en son pouvoir, et fût soumise à la loi commune.

Elle commença, sous ce nouveau gouvernement, à respirer un peu de ses longues angoisses, comme il arrive parfois aux captifs de trouver quelque adoucissement à leur sort. Mais enfin la méchanceté toujours croissante des hommes appela le règne du calife Hakem en Égypte. Il se montra beaucoup plus pervers que tous ses prédécesseurs et ses successeurs, et il est devenu un objet de scandale pour tous ceux qui ont pu lire l’histoire de ses folies.

 Son impiété et sa méchanceté l’ont tellement distingué entre tous les autres, que sa vie, également odieuse à Dieu et aux hommes, ne pourrait être racontée que dans un ouvrage tout particulier. Entre plusieurs ordres également funestes qu’il fit exécuter, il prescrivit de détruire de fond en comble l’église de la Résurrection du Seigneur, qui avait été construite par le vénérable Maxime, évêque de Jérusalem, d’après les ordres de l’empereur Constantin, et que le respectable Modeste avait fait réparer sous le règne de l’empereur Héraclius. […] A la même époque, cette église était gouvernée par le vénérable Oreste, oncle maternel de ce méchant roi. On dit que ce prince se porta à cette mesure pour donner à ses peuples infidèles un gage de son infidélité; on lui reprochait d’être chrétien, parce qu’il était né d’une mère chrétienne. […] Un citoyen de la classe des infidèles, animé d’une haine insatiable contre les nôtres, homme perfide et méchant, cherchant un moyen de jeter la mort dans leurs rangs, vint en secret déposer le cadavre d’un chien à la porte d’un temple.

Les gardiens et tous les habitants de la ville mettaient un grand prix à conserver cette entrée pure de toute souillure. Le lendemain matin, ceux qui se rendaient à ce temple pour la prière ayant rencontré ce cadavre immonde et puant, devinrent presque fous, et remplirent toute la ville de leurs clameurs. Un peuple immense accourt aussitôt, et de toutes parts on affirme que ce sont les chrétiens qui ont commis ce crime. Qu’est-il besoin d’en dire davantage ? On déclare qu’un tel forfait ne peut être expié que par la mort; on ordonne que tous les fidèles subiront le supplice. Ceux-ci, se confiant en leur innocence, étaient tout préparés à périr pour le Christ. Tandis que les soldats armés de leurs épées s’avançaient pour donner la mort aux chrétiens, un jeune homme plein de courage dit à ses compagnons: « Mes frères, il serait trop dangereux que l’Église toute entière vînt à périr; il est plus convenable qu’un seul meure pour le peuple, et que la race soit sauvée. Promettez-moi d’accorder tous les ans des bénédictions à ma mémoire, et de rendre éternellement à ma famille les honneurs qui lui seront dus. Pour moi, avec l’aide de Dieu, je vais détourner le carnage de vos têtes ». Les fidèles accueillent ces paroles avec reconnaissance, et lui promettent d’accomplir ce qu’il a demandé. En conséquence, ils arrêtent que, pour conserver éternellement sa mémoire, les gens de sa tribu porteront désormais dans la procession solennelle, et au milieu des rameaux de palmier, l’olive qui est le signe de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Aussitôt le jeune homme se présente devant les magistrats, et se déclarant coupable, affirme en même temps l’innocence de tous les autres. Les juges ayant entendu sa déposition, prononcent l’acquittement de tous les fidèles, et envoient le jeune homme à la mort. Renonçant à la vie pour le salut de ses frères, il s’endormit avec piété, car il avait choisi la meilleure part dans le sein du Seigneur […]