Stravon, VI, 2, 2-3 : Villes de Sicile : Messine, Taormine et Catane (+Etna), v. 30 av. n-è

2. Les principales villes de la Sicile, en commençant par le côté qui forme le détroit, sont Messéné d’abord, puis Tauromenium, Catane et Syracuse. Entre ces deux dernières villes s’élevaient naguère Naxos et Mégare ; elles ont aujourd’hui disparu l’une et l’autre. C’est aussi entre Catane et Syracuse qu’on voit déboucher à la mer, au fond d’estuaires qui sont autant d’excellents ports naturels, le [Symaethus] et le Panta[cias], deux cours d’eau descendus de L’Etna. De cette même partie du littoral se détache la pointe de Xiphonie.

Naxos et Mégare, suivant Ephore, ont été les premières villes grecques bâties en Sicile et leur fondation ne date que de la dixième génération après la guerre de Troie. Jusque-là, par crainte des pirateries des Tyrrhéniens et de la férocité des Barbares, habitants de la Sicile, les Grecs n’avaient pas même osé y venir faire de trafic.

Enfin, l’Athénien Théoclès, qu’une tempête avait jeté sur cette côte, reconnut la faiblesse des populations indigènes en même temps que la richesse du sol ; il se hâta de regagner son pays, et, comme il ne put vaincre l’incrédulité des Athéniens, ce fut avec une bande composée principalement de Chalcidiens de l’Eubée, mais aussi d’un certain nombre d’Ioniens et de Doriens (de Doriens de Mégare pour la plupart), qu’il reparut en Sicile. Les Chalcidiens, ajoute Ephore, bâtirent Naxos, et les Doriens Mégare, ou, pour mieux dire, Hybla, car ce fut là le nom primitif de l’établissement. Aujourd’hui, je le répète, ces villes n’existent plus ; et, si le nom d’Hybla a survécu, c’est grâce à la supériorité du miel dit hybléen.

3. Revenons aux villes actuellement subsistantes qui se succèdent le long de ce côté de la Sicile.

Messéné, qui s’offre à nous la première, est située au fond d’un golfe, sorte d’angle très aigu et en façon d’aisselle, que forme le Pelorias en se repliant brusquement à l’est. Le trajet de Messéné à Rhegium mesure 60 stades, celui de Messéné à Colonne-Rhégine est beaucoup moindre. C’est une colonie de Messéniens du Péloponnèse, qui, en s’établissant dans cette ville, lui a donné le nom qu’elle porte actuellement ; antérieurement, elle avait porté celui de Zanclé, qui rappelait la disposition oblique, anguleuse du lieu qu’elle occupait (et en effet zagklos est un vieux mot qui a le même sens que skolios), et c’étaient les Naxiens des environs de Catane qui l’avaient bâtie.

Plus tard les Mamertins, Campaniens d’origine, vinrent augmenter le nombre de ses habitants ; puis les Romains en firent leur place d’armes dans cette première guerre contre les Carthaginois, dont la Sicile fut le théâtre ; enfin Sextus Pompée y eut le gros de sa flotte tout le temps qu’il lutta contre César-Auguste, et c’est de là qu’il s’enfuit, lorsqu’il vit qu’il ne pouvait plus tenir en Sicile. Un peu au-dessus de la ville, au sein même du Détroit, se trouve le gouffre de Charybde, gouffre sans fond, dans les tourbillons duquel sont entraînées et viennent se perdre inévitablement les embarcations qui se sont laissé surprendre par les courants contraires du détroit. Les débris de tous ces naufrages sont ensuite portés vers la plage de Tauromenium, et celle-ci en a reçu le surnom de Copria.

Les Mamertins, avec le temps, ont su prendre un tel ascendant sur les Messéniens qu’ils sont devenus, on peut dire, les maîtres de la ville : aussi n’est-ce plus le nom de Messéniens qu’on emploie aujourd’hui pour désigner les habitants de Messéné, mais toujours le nom de Mamertins. Le vin même de cet excellent cru, capable, on le sait, de rivaliser avec les meilleurs vins d’Italie, n’est plus connu sous le nom de Messénien, mais bien sous celui de Mamertin. La ville d’ailleurs est passablement peuplée, moins pourtant que Catane, depuis que celle-ci a reçu des colons romains.

Tauromenium est la moins peuplée des trois ; et, tandis que Catane a eu, comme Zanclé, les Naxiens mêmes pour fondateurs, ce sont les Zancléens d’Hybla qui l’ont bâtie. Catane, du reste, perdit momentanément sa population naxienne, elle reçut à la place une colonie qu’avait envoyée Hiéron, tyran de Syracuse, et vit du même coup substituer le nom d’Aetna à son nom primitif. C’est à cette fondation de Hiéron que Pindare fait allusion dans le passage suivant :

«Prête l’oreille à ce que je vais dire, grand roi, dont le nom rappelle nos pieux sacrifices, grand roi, fondateur d’Aetna».

Mais, après la mort de Hiéron, les Catanéens rentrèrent dans la ville, en chassèrent les nouveau-venus et renversèrent le tombeau du tyran. Ainsi expulsés, les Aetnéens allèrent s’établir dans un canton de l’Aetna, appelé Innesa, à 80 stades de distance de Catane, et y bâtirent une autre ville qu’ils appelèrent de ce même nom d’Aetna et qu’ils placèrent, tout comme s’il l’eût fondée, sous les auspices de Hiéron. Catane se trouvant située juste au pied de l’Aetna, c’est son territoire qui a le plus à souffrir des éruptions du volcan : la proximité est telle en effet que tout y est de prime abord envahi par la lave. On connaît le pieux dévouement d’Amphinomos et d’Anapias, chargeant leur père et leur mère sur leurs épaules et les sauvant ainsi des dangers d’une éruption : c’est ici, à Catane même, que la tradition place cette scène touchante. Suivant Posidonius, à chaque éruption de l’Aetna, la plaine de Catane disparaît tout entière sous une épaisse couche de cendre ; mais cette cendre volcanique, qui dans le premier moment gâte et détruit tout, fait avec le temps à la terre un bien infini : il est constant, par exemple, que les vignes et les campagnes de Catane lui doivent leur incomparable richesse, car nulle part ailleurs dans le pays la vigne n’est aussi productive. Il en est de même de l’herbe qui pousse ici dans les terrains que les cendres volcaniques ont recouverts, elle engraisse tellement le bétail qu’il suffoquerait, dit-on, si, tous les quarante ou cinquante jours, on ne le saignait aux oreilles, précaution que nous avons déjà observée à Erythie. La lave, en se figeant, forme à la surface du sol une croûte pierreuse tellement épaisse qu’il faut la couper comme on fait la pierre dans les carrières, si l’on veut mettre à découvert le sol primitif. C’est en effet la roche même, liquéfiée au fond du cratère, qui, par suite de l’ébullition, déborde et se répand sous la forme d’une boue noirâtre le long des flancs de la montagne ; après quoi, elle se refroidit, durcit de nouveau et prend l’aspect et la consistance de la pierre meulière, sans perdre la couleur qu’elle avait à l’état liquide. Mais la combustion des roches, tout comme celle du bois, produit de la cendre ; et si la cendre de bois est un excellent engrais pour certaines plantes (pour la rue, par exemple), on conçoit que les cendres de l’Aetna puissent exercer sur la vigne une action analogue.