Strabon, VI, 2, 10-11, Iles Liparéennes, v. 30 av. n-è

10. Des faits de même nature que ceux-ci, de même nature aussi que les phénomènes volcaniques de la Sicile, s’observent dans les îles dites des Liparaeens, notamment dans l’île de Lipara. Le groupe comprend 7 îles. Lipara, colonie cnidienne, est la plus grande ; elle est aussi la plus rapprochée de la Sicile, du moins après Thermesse. Son nom primitif était Meligunis. Il fut un temps où, maîtresse des îles qui l’avoisinent et qu’on désigne aujourd’hui sous le nom d’îles des Liparaeens, voire quelquefois sous le nom d’îles d’Aeole, cette île pouvait mettre sur pied de véritables flottes, qui, courant les mers, repoussèrent longtemps les descentes ou incursions des Tyrrhènes. Plus d’une fois même elle envoya à Delphes la dépouille des vaisseaux ennemis pour orner le temple d’Apollon. Indépendamment d’un sol fertile, cette île possède une mine d’alun qui est d’un grand rapport et des sources thermales. Ajoutons qu’il s’y trouve un volcan en activité. [Thermesse], ou, comme on l’appelle actuellement, Hiera, l’île sacrée de Vulcain, est située à peu près à mi-chemin entre Lipara et la Sicile ; le sol en est partout rocheux, nu et volcanique. On y voit le feu jaillir par trois orifices, autrement dit par trois cratères. Le plus grand ne vomit pas seulement des flammes, mais aussi des masses ou blocs ignés qui ont déjà comblé une bonne partie du détroit. D’après l’ensemble des faits observés, on croit généralement que ce sont les vents qui provoquent et suscitent les éruptions du volcan de Thermesse, de même qu’ils suscitent celles de l’Aetna, et que, quand les vents cessent, ses éruptions cessent aussi. Cette opinion, suivant nous, n’est nullement déraisonnable. Quel est en effet le principe, l’élément qui donne naissance aux vents et qui les alimente ? L’évaporation de la mer. Il n’y a donc rien d’étonnant, pour qui a assisté une fois à ce genre de spectacle, que ce soit un principe, un élément congénère qui allume le feu des volcans. Polybe trouva l’un de ces trois cratères affaissé déjà en partie sur lui-même, mais les deux autres encore intacts. Le plus grand avait cinq stades de tour à sa marge extérieure, puis allait se rétrécissant peu à peu jusqu’à ne plus avoir qu’un diamètre de cinquante pieds à un stade au-dessus du niveau de la mer, laquelle s’apercevait du reste très bien d’en haut pour peu que le temps fût calme. Voici maintenant ce qu’ajoute Polybe relativement aux vents : si c’est le Notus qui doit souffler, une noire vapeur, assez épaisse pour dérober même la vue de la Sicile, se répand autour de la petite île ; le Borée au contraire s’annonce par des flammes très claires, qu’on voit jaillir du sein dudit cratère et par des détonations plus fortes qu’à l’ordinaire ; quant aux signes qui annoncent le Zéphyr, ils tiennent le milieu en quelque sorte entre les signes avant-coureurs du Notus et les signes qui précèdent Borée. Les deux autres cratères ont la même forme, le même aspect que celui-là, mais une force éruptive beaucoup moindre, et l’on peut, d’après la différence d’intensité des détonations et d’après le point de départ des éruptions de flammes ou de fumée, pronostiquer à coup sûr le temps qu’il fera trois jours après. C’est ainsi que des gens de Lipara annoncèrent à Polybe, alors retenu à terre par un gros temps qui empêchait de mettre à la voile, que tel autre vent se lèverait bientôt, et la chose arriva effectivement comme ils l’avaient annoncée. De tout ce qui précède Polybe conclut qu’Homère, en faisant d’Aeole le dispensateur des vents (ce qui peut paraître au premier abord une fable dans toute l’acception du mot), ne nous a pas donné une pure fiction, mais bien la vérité même sous un ingénieux déguisement. On a vu au début de cet ouvrage ce que nous pensions à cet égard ; reprenons donc la suite de notre description du point où cette digression l’a interrompue.

11. Et, comme nous avons déjà décrit Lipara et Thermesse, passons à Strongyle. Cette île tire son nom de sa forme arrondie ; elle est aussi de nature volcanique, mais ses éruptions, très inférieures à celles des deux autres îles en intensité, l’emportent beaucoup par l’éclat et la splendeur des feux. Aussi les mythographes en avaient-ils fait la demeure même d’Aeole. Didyme, la quatrième île du groupe, tire, comme Strongyle, le nom qu’elle porte de sa configuration. Quant à Ericussa et à Phoenicussa, qui viennent ensuite, c’est de la nature de leurs plantations qu’elles ont tiré les leurs ; elles sont d’ailleurs l’une et l’autre affectées uniquement à l’élève et au pâturage des bestiaux. Enfin, si la septième, qui est située plus au large que les autres et qui se trouve être complètement déserte, a été appelée Evonymos, c’est parce qu’on l’a juste à sa gauche quand on se rend de Lipara en Sicile. Il n’est pas rare non plus dans ces parages de voir des flammes courir à la surface de la mer, par suite apparemment de l’ouverture de quelque cratère sous-marin due aux efforts que fait incessamment le feu intérieur pour se frayer de nouvelles issues au dehors. Posidonius décrit un autre phénomène observé de son temps. «Un jour, dit-il, à l’époque du solstice d’été, on vit, dès le lever de l’aurore, la mer entre Hiera et Evonymos se gonfler d’une façon prodigieuse, continuer encore un certain temps à grossir, puis cesser tout à coup ; des embarcations se dirigèrent aussitôt de ce côté, mais la vue d’une quantité de poissons morts apportés par le flot, jointe à l’excès de la chaleur et à l’odeur infecte qui s’exhalait de la mer, effraya ceux qui les montaient et les força à s’enfuir ; une seule embarcation, pour s’être approchée davantage, perdit une partie de son monde et ramena le reste à grand’peine à Lipara et encore dans un état pitoyable, en proie à des accès de délire (d’un délire analogue à celui des épileptiques), suivis il est vrai de brusques réveils de la raison. Quelques jours après, il se forma à la surface de la mer comme qui dirait des efflorescences boueuses, accompagnées sur certains points d’un dégagement de flammes, de vapeurs et de fumée, puis cette boue durcit et forma un îlot ayant la consistance et l’aspect de la pierre meulière. Le préteur de la Sicile, Titus Flamininus, se hâta de porter le fait à la connaissance du sénat, qui à son tour envoya une députation pour célébrer sur le nouvel îlot, ainsi qu’à Lipara, un double sacrifice en l’honneur des dieux infernaux et des divinités de la mer». – D’Ericôdès à Phoynicôdès, la table chorographique marque 10 milles, puis 30 milles jusqu’à Didyme, 29 milles ensuite de Didyme à Lipara, en allant droit au N., enfin 19 milles de Lipara à la côte de Sicile ou 16 seulement en partant de Strongyle. – En face de Pachynus sont situées deux îles, l’île de Mélité, d’où l’on tire cette petite race de chiens connus sous le nom de mélitaeens, et l’île de Gaudos, l’une et l’autre à 88 milles dudit promontoire. Une autre île, nommée Cossura, se trouve placée entre le promontoire Lilybaeum et le port d’Aspis, autrement dit de Clypea, sur la côte carthaginoise, à une distance aussi de 88 milles de l’un et de l’autre points. De même Agimurus et le groupe de petites îles qui l’entourent se trouvent à portée à la fois des côtes de la Sicile et de celles de la Libye. – Ici se termine ce que nous avions à dire des îles.