Mawlay Slîmân, Lettre aux Ahl al-Fâs, v. 1818

Lettre du Sultan Mawlay Slîmân à Ahl al-Fâs, (vers 1818)

Au nom de Dieu le Clément, le Miséricordieux.
Que Dieu prie sur notre Seigneur Muhammad et sur sa famille et leur donne le salut
Aux habitants de Fâs, que le salut soit sur vous, ainsi que la miséricorde de Dieu et ses bénédictions, ensuite,

L’Ottoman réside à Constantinople et ses ordres sont exécutés à Tlemcen, dans l’Inde et dans le Yemen. Les populations de ces régions ne l’ont jamais vu, et cependant elles se soumettent aux ordres de Dieu « O vous qui croyez, obéissez à Dieu, obéissez à son Prophète et à celui d’entre vous qui vous gouverne ».

Le Prophète (Dieu prie pour lui et lui donne le salut !) ne rendait pas le mal pour le mal, mais il pardonnait généreusement :
“Sachez qu’il y a trois espèces de ‘âmil-s, le ‘âmil qui se nourrit de gains illicites et les fait partager aux coquins et aux mauvais sujets, le ‘âmil qui ne mange pas, qui ne fait pas manger les autres, et qui fait rendre justice par l’oppresseur ; enfin, le ‘âmil qui mange seul et ne fait manger personne.
-Le premier de ces ‘âmil-s est aimé de la populace et des mauvais sujets, mais est haï de Dieu, du Sultan et des honnêtes gens.
-Le second est aimé de Dieu et il lui suffit d’être investi de la charge de faire exécuter les ordres du Sultan.
-Le troisième, qui, comme les ‘âmil-s d’aujourd’hui, mange seul, n’aide personne et ne soutient pas l’opprimé, est haï de Dieu, de son Prophète, du Sultan et de tout le monde.”

Tel est le sens du hadîth « Ne convoite pas le bien d’autrui, tu seras aimé de ton prochain… » et du hadîth : « Il y trois sortes de ‘âmil-s… »

Si donc As-Saffâr avait eu chez lui une table garnie de vins et de mets enlevés dans les marchés, si les mauvais sujets et les libertins étaient venus déjeuner et dîner chez lui, s’il avait invité aujourd’hui Ben Kîrân, demain Ben Shaqrûn, et ensuite Bennis et Ben Jallûn, et qu’il ait partagé avec eux les amendes, ils l’auraient aimé et ne se seraient pas révoltés contre lui. Si vous aviez voulu vous montrer fidèles envers Dieu, son Prophète et son mandataire, vous auriez dû envoyer auprès de nous 3 d’entre vous, ou bien faire part de vos griefs à notre fils Mawlay ‘Ali (Dieu le rende vertueux !), qui nous en aurait informé.

Dites à As-Saffâr que les chiens ne se battent entre eux que pour la nourriture et les charognes. Quand vous voyez un chien à la porte de son maître, sans qu’il ait quelque chose devant lui, ne vous arrêtez pas mais quand vous le voyez manger, s’il fait semblant de ne pas vous voir, et vous laisse prendre votre part de sa nourriture, mangez avec lui et taisez-vous. Si, au contraire, il plisse le front et montre les dents, précipitez-vous sur lui et enlevez-lui ce qu’il tient entre ses pattes. Cet As-Saffâr n’a pas craint Dieu, il n’a pas observé la tempérance qui attire l’appui de Dieu, il n’a pas montré à ceux qui venaient le voir un visage souriant, et c’est pourquoi Dieu a permis qu’il fut ainsi renversé.

Yùsuf ibn Tâshfîn, voyant la prospérité de Ibn ‘Abbâd, dit :
« Tous ses serviteurs et ses auxiliaires ne sont-ils pas comme lui ?
-Non, lui répondit-on.
-Ils le détesteront tous, répartit-il, et lui susciteront toutes sortes de contrariétés parce qu’il garde tout pour lui. »

C’est que, pour supprimer le mal, il faut observer des règles que seuls comprennent les savants. Que de fois ne vous avons-Nous pas dit que ce sont les savants qui nient ce qui doit être nié et Nous faire part de ce qui se passe. Mais c’est la mollesse, l’inoccupation, l’inobservance de la prière qui vous ont amené à faire des choses dont il vous était interdit de parler.

La jeunesse, l’inoccupation et la fortune corrompent l’homme, et de quelle corruption !
Quant au trésor de Dieu et des Hubûs, Dieu en demandera compte à ceux qui y auront opéré des changements.

D’autre il était question avec vous du Maks, de la soie, de la cochenille, etc. Eh bien ! Je vois que Dieu en a fait justice. Pour la perversion, elle est habituellement le fait de ceux qui s’élèvent dans la révolte. Que de fois j’ai désiré y mettre un terme, mais je n’en ai pas trouvé le moyen.

C’est que les principaux d’entre vous veulent rester dans leurs maisons et leurs jardins, et que je ne puis vous donner comme ‘Âmil que des étrangers, parce que vous ne leur portez pas envie, même s’ils mangent seuls (l’envieux ne désire-t-il pas la mauvaise fortune de celui qu’il envie ?), et des négociants ; parce que le négociant ne convoite le bien de personne et se contente de la considération et du respect pour augmenter ses biens.

Examinez ce que je vous ai répondu et ce que vous Nous avez écrit, et soumettez-le à vos docteurs. Celui qui dira la vérité sera pour Nous : celui qui mentira prendra part à la révolte.