Idrissi, Iles Atlantiques et Safi, v.1150 n-è

ASFΠ:
-l’île des deux frères magiciens. On raconte que ces deux frères, dont l’un s’appelait Chirhâm et l’autre Chirâm, exerçaient la piraterie sur tous les vaisseaux qui venaient à passer auprès de l’île ; ils faisaient périr les navigateurs et s’emparaient de leurs biens ; mais Dieu, pour les punir, les métamorphosa en deux rochers que l’on voit s’élever sur les bords de la mer. Ce ne fut qu’après cet événement que l’île devint peuplée. Elle est située en face du port d’Asafî et à une distance telle que, lorsque l’atmosphère est tout à fait sans brouillard, on peut, dit-on, apercevoir du continent la fumée qui s’élève de l’île. Cette particularité ayant été racontée à Ahmed bn ‘Umar surnommé Raqam al‑Iwaz, que le Amîr al-Muslimîn ‘Alî bn Yûsuf bn Tâshfîn avait chargé du commandement de toute sa flotte, il voulait y aborder avec les navires qui l’accompagnaient ; mais la mort le surprit avant qu’il eût pu accomplir ce projet. On a recueilli des détails curieux, relativement à cette île et à la raison pourquoi le port d’Asafî reçut ce nom, de la bouche des aventuriers (al‑mugharrirûn), voyageurs de la ville de Lisbonne en Espagne, qui y abordèrent. Le récit de cette aventure est assez long, et nous aurons l’occasion d’y revenir quand il sera question de Lisbonne.

L’île de Lâqa, autre île de cette mer, produit, dit-on, beaucoup de bois d’aloës ; on prétend qu’il est sans odeur sur les lieux, mais qu’il acquiert du parfum aussitôt qu’il est exporté et qu’il a traversé la mer. Ce bois est noir et très lourd. Autrefois les marchands se rendaient à cette île pour se procurer du bois d’Aloës qu’ils vendaient ensuite aux rois du Maghrib Extrême. On raconte qu’elle était alors habitée et même bien peuplée ; mais elle a cessé de l’être, et les serpents ont envahi l’île entière, tellement qu’a présent on n’y saurait aborder sans danger. D’après ce que nous apprend Ptolémée le Claudien, cette mer renferme 27,000 îles peuplées et non peuplées. Nous n’avons parlé ici que de quelques-unes d’entre elles qui sont situées dans le voisinage de la terre ferme et qui jouissent d’un certain degré de culture et de civilisation ; quant aux autres, il n’y a rien qui nous engage à les mentionner.

Asafî était anciennement la dernière station des navires ; de nos jours, on la dépasse de plus de 4 journées maritimes (c’est-à-dire de 400 milles). Le pays adjacent est cultivé et peuplé de Berbers Rajrâja, Zawda et autres. Les vaisseaux, après avoir opéré leur chargement, ne remettent à la voile que dans la saison favorable, aussitôt que le temps est calme et la mer Ténébreuse tranquille.
Le nom d’Asafî fut donné à ce port, à cause d’un événement que nous raconterons quand nous aurons à parler de la ville de Lisbonne, située dans la partie occidentale de l’Espagne, persuadés que nous sommes que le mieux est de traiter chaque chose en son lieu.
Dieu soit loué !