Ambassadeur Marocain en Espagne, La Manche, Auberges et Courriers, 1691

Revenons maintenant à la description de la ville de Linarès où nous avons vu ces religieuses. Ainsi que nous l’avons dit, c’est une ville de moyenne grandeur et conservant des vestiges de civilisation. Ses habitants sont affables. Par suite de leur affabilité et de leurs habitudes hospitalières, tous, hommes et femmes, se rassemblèrent et apportèrent des instruments de musique. Ils ont coutume de danser, homme et femme ensemble. Ainsi, l’homme qui désire danser se lève et choisit sa danseuse, jeune ou âgée; il la salue en étant le chapeau qu’il a sur la tête et lui donne la main en signe d’accord ; elle ne peut absolument refuser. Les habitants de cette ville sont pour le plus grand nombre adonnés au labourage et à l’agriculture. Il n’y existe aucune maison de commerce, ni aucun objet de trafic, car elle n’est pas comptée parmi les cités civilisées.

 

De cette ville de Linarès (nous nous dirigeâmes) vers le hameau de Torre Juan Abad, qui est un grand hameau dont les habitants sont plutôt nomades. Leur genre dévie est semblable à celui de nos Berbers qui habitent les montagnes de Fahs et leurs environs. Ils sortirent à notre rencontre le jour de notre arrivée chez eux ; une bande de leurs femmes tenaient à la main des espèces de guitares et des tambours de basque, suivant la coutume des Berbers de notre pays. Leur chant diffère de celui des chrétiens qui habitent les villes civilisées. Nous fîmes notre entrée dans ce hameau le jour de notre départ de Linarès, jour où nous quittâmes la contrée appelée Andalousie pour entrer dans la Manche, dont nous avons déjà parlé et qui est un pays rude, montagneux, plein de pierres et de sentiers raboteux, de marais aux épais fourrés, d’arbres et de rivières

desséchées ; car cette région nommée Manche est une contrée très sèche où il ne pousse que de l’absinthe. C’est surtout un pays sec relativement à l’Andalousie ; il est presque entièrement dépourvu d’eaux, sa terre est rouge et ses villes sont dans un état primitif, contrairement à ce qu’on trouve dans l’Andalousie.

 

Auberges

 

Du hameau de Torre Juan Abad, le mot torre veut dire « tour, » nous arri-

vâmes à une maison disposée pour recevoir les voyageurs, près d’une ville qu’on appelle Shukalâna (Socalana) ; car celle-ci est située au pied d’une montagne et écartée de la route. Telles sont les coutumes espagnoles dans toute cette province d’Andalousie et autres lieux du pays de l’adwa : à chaque deux ou trois étapes, ils établissent un Funduq (hôtellerie) ou une maison propre à loger les hôtes et les voyageurs. Quand le voyageur arrive dans l’un de ces établissements, il y descend et trouve telle nourriture qu’il désire, à des

prix variés, suivant ses moyens de fortune; il trouve aussi du fourrage pour ses montures et un lit pour lui. Il mange, se repose et nourrit ses bêtes, si c’est pendant le jour. Si la nuit est venue, il n’a qu’à parler et à faire connaître ce qu’il préfère et désire.

Quand il veut partir, la femme ou la fille de celui qui est chargé du fondoq ou de la maison installée pour les voyageurs vient à lui tenant à la main une note sur laquelle elle a calculé le prix de sa nourriture et

de l’entretien des bêtes de somme, le loyer de la chambre et du lit. Il ne peut refuser de donner tout ce qu’on lui a compté, sans éplucher la note^ le maître de l’hôtellerie ou de l’établissement payant au roi pour

cette installation une redevance déterminée. Aussi ne rencontre-t-on aucun

voyageur en ce pays, son trajet soit-il court ou long, qui passe la nuit en pleine campagne ou qui fasse la sieste là où l’envie l’en prend. Le voyage ne s’accomplit que dans un temps donné, pour un parcours fixé, attendu qu’en partant il sait qu’il fera la sieste dans tel endroit et passera la nuit dans tel autre. Le voyageur ne porte avec lui, pendant la durée de son

voyage, ni provisions, ni aliments quelconques; il n’a besoin que de se munir d’argent pour ses dépenses. Ces dépenses sont très fortes à cause des prix toujours élevés. Ainsi tu rencontres en Espagne tel homme désirant vivre sans aucun excès dans le boire ni le manger et recherchant l’économie sans prodigalité.

Eh bien ! malgré tous ses efforts, un écu ne lui suffit pas. Quant à ceux qui aiment à faire bonne chère, leurs dépenses sont très grandes, et ils ont besoin de beaucoup d’argent.

 

En dépit de cette prospérité et du grand nombre de hameaux, villages et villes qui existent en Espagne, personne ne peut voyager seul pendant la durée des travaux agricoles dans la Sierra Morena et dans toute la province de la Manche, tant est grande la crainte qui y règne, tant il y a de brigands. Les chrétiens qui étaient chargés du soin de nous conduire prenaient leurs précautions et se tenaient prêts, dès que nous parvînmes dans cette région. Ils n’aimaient pas qu’aucun de nos compagnons et de nos gens allât en avant ou restât en arrière, de peur des accidents.

 

Rencontrions-nous trois ou quatre individus, nous leur demandions pourquoi ils passaient par petits groupes.

« C’est que, disaient-ils, de pareilles gens sont à redouter, car quand ils en trouvent l’occasion, dans ces régions peu sûres, ils agissent comme les brigands et il est impossible de découvrir même leur trace. Quant aux brigands, il n’y en a là que rarement. »

 

Je rencontrai à Torre Juan Abad, pendant que je revenais de Madrid, un

homme d’un village appelé Qusara, distant de quelques milles dudit Torre.

M’ayant salué et souhaité la bienvenue il me dit qu’il était lié de grande amitié avec don Alonso, le petit-neveu du roi de Grenade et prétendit qu’il lui avait écrit de Madrid une lettre dans laquelle il lui imposait l’obligation de nous accompagner dans cet endroit dangereux, et le pressait de ne pas nous quitter pendant notre trajet à travers ce pays, où l’on s’attend constamment à quelque attaque. Cet homme était du nombre des brigands de cette montagne.

 

Il était très fort et très courageux. On raconte qu’à l’époque où il se livrait au brigandage, le roi d’Espagne envoya un jour un détachement de 300 archers pour le saisir. Il se cacha dans un coin de ces montagnes, et les hommes s’en retournèrent sans avoir pu mettre la main sur lui. Il revint alors dans sa maison à Qusara et, aujourd’hui, il y habite sans

rien craindre ni pour sa personne, ni pour ses biens. Cependant il désirerait obtenir du roi un sauf-conduit au moyen duquel il serait en sûreté et qu’il garderait en signe de réhabilitation et de grâce. Quant

à lui, pour sa personne, il n’a peur de rien. Nous avons vu ses pâturages et ses chevaux paissant librement sur une grande étendue de terrain, près de la ville.

Ils étaient laissés en liberté au milieu des pâturages. Lui-même nous a cité les actes de brigandage qu’il a commis dans cette montagne ; mais actuellement il en témoigne du repentir. « Si j’étais prêt pour le voyage, me dit-il, je me rendrais avec toi chez Mawlay Isma’îl et lui demanderais

une lettre de recommandation pour le roi d’Espagne afin qu’il m’accorde ma grâce et que mon esprit soit tranquille. Si dans la suite, quelqu’un arrivait dans ce pays, je l’accompagnerais et viendrais avec lui. »

Lorsqu’il voulut mettre à exécution le projet pour lequel il était venu, c’est-à-dire nous accompagner, nous lui dîmes :

« Nous n’avons pas besoin que tu nous accompagnes ; il vaut mieux que tu t’en retournes chez toi. »

 

Nous insistâmes pour le renvoyer; mais il refusa et voulut absolument venir avec nous et nous tenir compagnie. Nous le laissâmes donc faire, tant pour qu’il satisfît son désir qu’à cause de l’amitié de don Alonso dont il se

prévalait. Il nous accompagna une journée ainsi qu’un de ses amis, et nous quitta après avoir pris de nous l’engagement de retourner à sa demeure.

 

Dans ces hôtelleries (Fanâdiq) disposées pour les voyageurs se trouvent des chevaux préparés pour les agents en mission et les courriers du ouvernement qui, en une heure, parcourent une grande distance Voici ce qui a lieu : A peine un courrier approche-t-il dudit établissement, qu’ils appellent dans leur langue « Benta », qu’on fait sortir un cheval tout sellé et on le lui amène à la porte de l’hôtellerie. On lui présente un verre de vin et deux œufs de poule. Après avoir bu, le courrier échange son cheval contre celui qu’on lui a amené. Le chef de l’établissement le fait accompagner par un autre homme, également à cheval, de telle sorte que, quand il se trouve à proximité de l’hôtellerie suivante, il sonne de la trompette qu’il porte avec lui et qui lui sert à donner le signal. Le courrier, à peine arrivé,

trouve le cheval préparé ainsi que le vin et le reste qu’il a l’habitude de prendre. Il remet à son compagnon de route le cheval sur lequel il est venu, pour qu’il le rende à son propriétaire, et en prend un autre en emmenant également un autre homme. Il agit de même à chaque deux ou trois étapes. C’est pourquoi il franchit en un seul jour une distance considérable.

 

Pendant que nous nous trouvions dans la ville de San Lucar, sur l’Océan’, il nous arrivait de Madrid des lettres du cardinal et des ministres d’Espagne, qui avaient trois jours de date. Nous en étions émerveillés, la distance entre les deux villes étant de plus de 300 milles.

 

C’est de cette manière que les choses se passent dans les autres pays d’Europe. Toutefois le courrier est obligé, à la première étape, de produire une pièce signée par celui qui l’expédie, attestant qu’il est envoyé dans tel pays, pour que l’hôtelier lui donne le cheval et l’homme qui doit l’accompagner. Une fois qu’il a remis ce certificat au premier hôtelier, ce que lui donne celui-ci est comme une garantie et une caution, dans la crainte qu’on n’ait affaire à quelqu’un qui s’enfuit à cause d’une mauvaise action qu’il aurait commise ou d’un acte quelconque du même genre, et contre lequel il est nécessaire de se prémunir. Dans ce cas les hôteliers encourraient une peine ou seraient taxés d’inexpérience. Le courrier n’a donc plus besoin, après la première étape, ni de certificat, ni de constatation. Le loyer du cheval et du domestique qui l’accompagne

est fixé chez eux pour chaque heure.

 

L’hôtelier est tenu de pourvoir à tout le nécessaire. Il acquitte une redevance déterminée entre les mains de l’agent préposé aux perceptions de ce genre, lesquelles font partie des droits d’octroi et revenus du roi. Le courrier paye ce qu’il doit et l’hôtelier donne ce à quoi il est tenu pour ce service particulier, qu’il afferme au commencement de chaque année. La plupart des revenus des européens proviennent des droits d’octroi et autres semblables.

 

De cette maison située près de Socolana (nous nous dirigeâmes) vers une

autre hôtellerie disposée également pour le logement des voyageurs et qu’on appelle Fenta de San Andrés. Les voyageurs y descendent suivant la coutume. Elle est située à proximité de villages attenant les uns aux autres et de hameaux très peuplés. Les habitants de ces hameaux, hommes et femmes, vinrent nous trouver, et aussi leur gouverneur, père de grandes filles,

très belles et de fils en bas âge. Il les amena d’une distance de 300 milles. Ces gens sont plutôt nomades que civilisés, par suite de leur éloignement des grandes cités, foyers de la civilisation.

 

A quatre milles de cette hôtellerie, on trouve un endroit où il y a un petit fleuve, et une autre hôtellerie pour loger les voyageurs, ainsi qu’une église à laquelle accourent les chrétiens de toutes les localités, villages ou villes. Cette église possède un merveilleux jardin contenant une source d’eau douce et occupant un vaste espace à perte de vue. Dans cet espace se tient une fois Tan un marché, le premier jour du mois de… Les voyageurs, les commerçants et les trafiquants s’y rendent de tous côtés et s’y réunissent de tous les points. Pendant 15 jours le centre de cette contrée est habité sans qu’on élève aucune construction; puis on se disperse et il n’est de nouveau repeuplé que l’année suivante au jour fixé du même mois. Ils appellent cela, dans leur langue, une « feria » une foire; ce qui signifie « un suq »

De l’endroit de ce marché (nous arrivâmes) à une ville nommée Almenbrilla.

C’est une ville qui témoigne d’une ancienne civilisation. La plupart de ces villes portent aujourd’hui le nom de village, parce que les habitants sont devenus nomades et qu’elles ont perdu la signification attachée au mot de ville ; en effet, comme les chrétiens que Dieu les extermine! ne prennent aucun soin de construire des remparts et ne les réparent point lorsqu’ils tombent en ruines, il n’est plus resté aux villes que le nom de village. Le

territoire d’Almenbrilla se compose de terres labourables et cultivables. Elle a très peu d’eau, à l’exception des sâqiah qui se trouvent dans ses jardins.

A un mille de cette ville on en rencontre une autre qu’on appelle Manzanarès. Ses jardins touchent ceux d’ Almenbrilla. Elle est plus civilisée que cette dernière. Quand nous en fûmes proche, il arriva

à notre rencontre des 100 d’entre les habitants notables d’une ville nommée Almagro, située à neuf milles de Manzanares. C’étaient les gendres du chrétien Halabi, l’interprète venu de la part du roi d’Espagne en qualité d’ambassadeur. Ils arrivèrent de leur susdite ville et descendirent dans la maison d’un clerc, leur cousin.

 

Le clerc chez les chrétiens est l’étudiant qui a lu leurs sciences, mais qui n’est pas moine. Toutefois le clerc est

aussi assimilé au moine en ce qu’il ne se marie pas. Son costume diffère de celui des moines et des autres chrétiens. Ce sont ces clercs qui disent les messes, ce qui signifie les prières, jouent de l’instrument de musique dans les « Masjid » et récitent les livres de leurs prières en chantant. Il en est parmi eux qu’on a mutilés pour rendre leur voix plus belle et plus douce. J’ai vu à Madrid, chez le roi, deux jeunes étudiants qu’on avait soumis à la mutilation : ils étaient attachés au palais pour chanter les prières avec accompagnement de musique, ce que les Espagnols aiment beaucoup.

 

Ces gens qui arrivèrent d’Almagro étaient des notables de la ville, où ils jouissaient d’une grande considération. Ils venaient à notre rencontre. Après nous avoir salués et nous avoir souhaité la bienvenue, ils nous emmenèrent à la maison de leur cousin. Ils avaient préparé un autre logis pour les chrétiens qui nous accompagnaient. Ils dépensèrent pour la circonstance une somme considérable. A notre arrivée dans la ville, nous trouvâmes celle-ci jolie. A son extrémité est une petite qasbah fortifiée et munie d’un mur élevé et de tours ; ce mur est entouré d’une seconde muraille, et le tout, d’un fossé servant de défense et habilement creusé.

La ville elle-même n’a pas de muraille.

 

Nous entrcâmes donc dans la maison du clerc, qui nous témoigna une grande

joie et nous montra tous les tableaux et autres objets du même genre qu’il avait et dont il était grand amateur. Il nous pria et nous supplia de boire avec lui du vin dont il nous fît un pompeux éloge, nous assurant qu’il était chez lui depuis longtemps et vieux de nombre d’années. Nous lui répondîmes :

 

« Dans notre religion il ne nous est pas licite de boire du vin et notre Madhhab ne nous le permet pas. »

 

Il se mît alors à s’apitoyer sur ce que nous buvions de l’eau froide toute pure. Nous passâmes la nuit chez lui : il avait fait venir ses parentes

telles que ses cousines et ses sœurs, attendu qu’il était célibataire. Le lendemain ses cousins sortirent avec nous pour nous reconduire. Après être parvenus jusqu’au dehors de la ville, ils retournèrent dans leurs maisons et leur pays.

 

De cette ville appelée Manzanarès (nous nous dirigeâmes) vers une autre

ville qu’on nomme Mora, c’est-à-dire « Musulmane. » Le motif de cette appellation est, si je ne me trompe, que peut-être elle embrassa le christianisme plus tard que les villes de son voisinage. L’espace compris entre les deux villes est complanté d’un nombre incalculable de vignes ; nous voyageâmes, en effet, la majeure partie de cette journée au milieu

de vignobles, car dans la plupart de ces districts il n’y a d’autres arbres que les vignes, et cela à cause de la proximité où les habitants de cette contrée se trouvent de Madrid. Ils en ont multiplié la plantation parce que les habitants de la capitale en font une consommation constante, de tous les moments, et quand ils prennent leurs repas. Le vin est leur principale boisson. Tu trouves dans ce pays bien peu de gens buvant de l’eau. Et cependant, malgré la quantité de vin qu’ils absorbent, tu ne rencontres aucun d’eux pris de vin, ou ivre, ou ayant perdu la raison. Celui qui en boit beaucoup au point de s’enivrer est méprisé et n’est compté chez eux absolument pour rien.

Ce vin qu’ils boivent, les uns le mélangent avec de l’eau ; d’autres le boivent pur en petite quantité. A cause de la prodigieuse consommation qu’ils en font et de la population considérable que renferme Madrid, population composée tant des habitants que de ceux qui y viennent pour séjourner, se fixer ou faire le commerce, le vin s’y vend à un prix très élevé. Il est frappé, à la porte de la ville, d’un droit égal aux deux tiers de sa valeur, mais les gens n’y font pas attention, parce qu’ils ne peuvent en aucun temps se passer de vin, habitués qu’ils sont tous à en fliire usage, hommes, femmes et enfants des deux sexes, grands et gens

du peuple, religieux, prêtres, diacres, moines, etc. Tout le monde en boit;

personne ne s’en prive.

 

Mora est une ville de moyenne grandeur, plutôt petite. Les habitants sont au même degré de civilisation que ceux de Manzanarès et leur ressemblent. Quand nous eûmes quitté la ville de Mora, après y avoir passé une nuit, et que nous eûmes fait environ quinze milles, nous arrivâmes sur les bords d’un grand fleuve qu’on appelle le Wadî Takhu (Tajo) ; c’est celui qui passe devant la ville de Tolède, située à environ six milles sur la gauche du chemin que nous suivons.

 

La ville s’aperçoit de ce point, à l’horizon, étant située sur une colline qui domine ce fleuve. En cet endroit du fleuve, par lequel nous passâmes, est un grand palais appartenant au roi et où il descend quand il vient chasser sur les bords du fleuve et aux alentours. En effet en passant on a à sa droite, des deux côtés du fleuve des marais et des fourrés d’arbres. L’accès en est prohibé et ils sont gardés pour la chasse du roi ; c’est pourquoi personne ne peut y pénétrer, ni y chasser. Comme ce chemin est celui que l’on suit pour aller à Madrid, dans la Castille et ailleurs,

et qu’il n’y a pas de pont sur le fleuve pour le franchir, on a placé de grandes poutres reliées les unes aux autres et on y a attaché des cordes aux deux rives. Lorsqu’il arrive une caravane, une troupe de gens, une voiture ou un convoi de charrettes \ le bac est approché du rivage du fleuve et les bêtes de somme y descendent sans peine ni fatigue. Un seul homme tire le bac de l’autre bord.

Pendant qu’on est dans sa voiture ou sur sa monture, on n’a pas le temps de s’apercevoir qu’on a déjà traversé le fleuve et atteint la rive opposée avec la plus grande facilité. On paye pour le passage un prix minime, sans importance. Ce fleuve est d’un aspect grandiose ; il occupe un grand espace et coule à larges bords. Ses rives sont occupées par des constructions, des hameaux, des moulins en grand nombre, des métairies en quantité incalculable. On y pèche du poisson, en très petite quantité toutefois.

A la distance de six milles de ce fleuve est un village nomade, sans civilisation, que l’on appelle Bentas. Les habitants portent sur eux pour la plupart le cachet de leur état nomade. C’est là que nous passâmes la nuit, lorsque nous eûmes traversé le fleuve, et c’est de ce village que nous nous mîmes en route le jour qui fut celui de notre entrée à Madrid, cette dernière n’en étant séparée que par une distance de vingt milles. En deçà de la ville de Madrid, à 6 milles, est une grande ville qu’on appelle Getafé ; elle est très grande ; néanmoins à cause de sa

proximité de la capitale Madrid, c’est celle-ci qui est actuellement la capitale. Là demeurent jusqu’à présent les rois d’Espagne. La civilisation de cette ville de Getafé et d’autres parmi toutes les grandes cités de l’Espagne s’est transportée à Madrid.