Al-Idrissi, Détroit, Ceuta, Tanger, Azila, Tetouan, leur pays, v. 1150 n-è

La longueur du détroit connu sous le nom d’az-Zuqâc est de 12 milles. Sur ses bords, du côté du levant, est la ville d’al-Jazîrat a1-Khadrâ, et du côté du couchant celle de Jazîrat Tarif, vis-à-vis de laquelle, sur la rive opposée, est le port Al-Qaçr, dit Qaçr Maçmuda. Vis-à-vis d’Algéziras , sur la même rive, est la ville de Ceuta (Sebta), située à 18 milles de distance.

Entre Tarifa et Caçr Maçmouda, la distance est de 12 milles. Telle est également la largeur du bras de mer qui sépare ces deux points. Le flux et le reflux ont lieu deux fois par jour dans cette mer, et cela constamment, par un effet de la toute-puissance et de la sagesse du Créateur.

Au nombre des villes dépendantes de la présente section et situées sur les bords de la grande mer, on remarque Tanger (Tandja), Ceuta (Sebta) , Nakur , Bâdis, al-Mazemma , Malila , Hunain , Banu Wazlàr, Oran (Wahrân) et Mustaghânim.

La ville de Ceuta, située vis-à-vis d’Algéziras, est bâtie sur 7 collines qui se touchent. Elle est bien peuplée, et sa longueur, de l’ouest à l’est, est d’environ 1 mille. On voit à 2 milles de distance le Jbal Mûsâ, montagne ainsi nommé à cause de Musâ ibn Nuçair, personnage qui fit la conquête de l’Espagne dans les premiers temps de l’islamisme. Ceuta est entourée de jardins et de vergers qui produisent des fruits en abondance. On y cultive la canne à sucre, et le citronnier dont les fruits sont transportés aux villes voisines. La contrée qui produit tout cela porte le nom de Balyunish ; il y a de l’eau courante, des sources d’eau vive et de bons pâturages.

Il existe à l’orient de cette ville une montagne dite Jbal al-Mina, et sur le plateau qui couronne cette montagne , une muraille construite par ordre de Muhammad ibn abi Amir, lorsqu’il passa d’Espagne à Ceuta. Il voulait transférer la ville sur ce plateau ; mais la mort le surprit lorsqu’il venait d’en achever les murs Les habitants de Ceuta n’eurent pas la possibilité de se transporter à al-Mina ; ils demeurèrent dans leur ville et al-Mina resta privée de population. Les murs d’al-Mîna subsistent encore ; ils sont d’une blancheur extraordinaire, de sorte qu’on peut les distinguer de la côte Espagnole ; mais une riche végétation a couvert tout le lieu; au centre de la ville est une source d’eau petite mais qui ne tarit jamais.

Quant au nom de Sebta, il lui fut donné parce qu’en effet elle est bâtie sur une presqu’île close par la mer de toutes parts, excepté du côté du couchant, en sorte qu’il ne reste à sec qu’un isthme de la largeur de moins d’un jet de flèche. (lat : saeplum)

La mer qui baigne ses murs au nord se nomme mer du Détroit ; celle du côté du midi porte le nom de mer de Busul. Ceuta est un port excellent où l’on est à l’abri de tous les vents.

Il existe auprès de Ceuta des lieux où l’on pêche de gros poissons.

Nulle côte n’est plus productive soit sous le rapport de l’abondance, soit celui du commerce de poisson. On en compte environ cent espèces différentes, et l’on se livre particulièrement à la pèche du gros poisson qui s’appelle le thon et qui se multiplie beaucoup dans ces parages. On le prend au moyen de harpons munis à l’extrémité de crochets saillants qui pénètrent dans le corps du poisson et n’en sortent plus. Le bois du harpon est garni de longues ficelles de chantre. Ces pécheurs sont tellement exercés et tellement habiles dans leur métier, qu’ils n’ont au monde point de rivaux.

On pèche également aux environs de Ceuta du corail dont la beauté surpasse ce qu’on peut voir de plus admirable en ce genre dans toutes les autres mers. Il s’y trouve un bazar où l’on s’occupe à tailler, à polir, à arrondir, à percer et enfin à enfiler le corail. C’est un des principaux articles d’exportation; la majeure partie en est transportée à Ghana et autres villes du Soudan où l’on en fait grand usage.

On compte 12 milles de Ceuta à Qaçr Maçmuda, château considérable sur le bord de la mer, où l’on construit des navires et des barques destinés à passer ceux qui veulent se rendre en Espagne. Ce fort est bâti sur le point de la côte le plus voisin de l’Espagne.

De Qaçr Maçmouda à Tanger » on compte 20 milles en se dirigeant vers l’ouest. Cette dernière ville est très ancienne et a donné son nom à tout le pays environnant. Bâtie sur une haute montagne qui domine la mer, ses habitations sont situées à mi-côte et s’étendent jusqu’au rivage. Cette ville est jolie : ses habitants sont commerçants et industrieux. On y construit des navires et le port est très fréquenté.
La plaine qui touche au territoire de Tanger est très fertile et habitée par des Berbers appartenant à la tribu de Çanhâdja.

A partir de Tanger, la mer Océane forme un coude et se dirigeant vers le midi, atteint le pays de Tochommoch dont le chef-lieu fut autrefois considérable. Entourée de murs en pierre cette ville est située sur les bords de la ritière de Safdad, à près d’un mille de la mer. Les villages des environs furent jadis très peuplés , mais les divisions intestines et les guerres continuelles les ont ruinés et réduit le nombre des habitants qui sont d’origine berbère.

De Tochonunos on se rend à Qaçr Abd-l-Karim, petite ville située dans le voisinage de la mer , à 2 journées de distance de Tanger, et sur les bords de la rivière de Loccos (Luccus). Il y a des baxan dont l’importance est proportionnée a celle de l’endroit et plusieurs sources de bien-être.

De Tanger à Azilâ on compte une très faible journée. Asilà est une très petite ville dont il ne reste actuellement que peu de chose. Par endroits on voit des marchés qui sont proches l’un de l’autre. On l’appelle aussi Acilâ ; elle est ceinte de murs, et située à l’extrémité du détroit d’az-Zuqaq. On y boit de l’eau de puits. Non loin d’ Asila, entre elle et al-Qaçr, est l’embouchure du Safdad , rivière assez considérable pour recevoir des navires ; ses eaux sont douces , et les habitants de Tochommoch, ville dont nous venons de parler en font usage. Elle est formée par la réunion de deux affluents, dont l’un prend sa source dans le pays des Canhâdja dans les montagnes d’al-Baçra, et l’autre dans le pays des Kutâma. Les habitants d’al-Baçra naviguent sur cette rivière et s’en servent pour transporter leurs marchandises à l’embouchure, d’où ils continuent leur voyage par mer aux lieux de leur destination.