Al-Idrisî, L’ouverture du Détroit de Gribraltar par Alexandre le Grand, v. 1150 n-è

La Méditerranée , d’après ce qu’on raconte , était autrefois un lac fermé » comme Test aujourd’hui la mer du Tabaristân dont les eaux n’ont aucune communication avec celles des autres mers, de sorte que les habitants du Maghrib occidental faisaient des invasions chez les peuples de l’Espagne et leur occasionnaient toute sorte de dommages.

Ces derniers, à leur tour résistaient aux Africains et les combattaient de tout leur pouvoir. Les choses demeurèrent ainsi jusqu’à l’époque où Alexandre pénétra dans l’Espagne et apprit des habitants qu’ils étaient en guerre continuelle avec ceux du Sûs.

Ce prince fit venir des ingénieurs et des mineurs et leur indiqua le lieu où est actuellement le Détroit, mais dont le terrain était sec à cette époque, leur prescrivit de le mesurer avec le niveau et d’en comparer la hauteur avec celle de la surface de chacune des deux mers. Ceux-ci trouvèrent que le niveau de la grande mer était plus élevé que celui de la Méditerranée d’une quantité peu considérable. On exhaussa donc les terrains sur le littoral de cette mer, et on les transporta de bas en haut; puis on creusa un canal entre Tanger (Tanja) et l’Espagne, et l’on poursuivit le creusement jusqu’à ce qu’on eût atteint les montagnes de la partie inférieure de l’Espagne. Là on construisit une digue en pierres et en chaux.

La longueur de cette digue était de 12 milles, distance égale à celle qui séparait les deux mers ; on en construisit une autre en face, c’est-à-dire du côté de Tanger , en sorte que l’espace existant entre les deux digues était de 6 milles seulement. Lorsque ces ouvrages furent achevés, on ouvrit le passage aux eaux de l’océan, et celles-ci, par la force du courant, s’écoulèrent entre les deux digues et entrèrent dans la Méditerranée. Elles occasionnèrent une inondation par suite de laquelle plusieurs villes situées sur les deux rives furent abîmées, et un grand nombre de leurs habitants périrent submergés, car les eaux s’élevèrent à la hauteur d’environ 11 brasses au-dessus des digues. Celui de ces ouvrages qui avait été construit sur la côte d’Andalousie est encore parfaitement visible, dans les jours que la mer est claire, près du lieu nommé aç-Çafïha (le Plateau). Il s’étend en ligne droite et ar-Rabi l’a fait mesurer. Nous l’avons vu de nos propres yeux, et nous avons navigué tout le long du détroit à côté de cette construction que les habitants des deux îles (algeciras et tarifa) appellent al-Qantara (le pont) et dont le milieu correspond au lieu nommé la Roche du Cerf (Hadjar l-Aiyil), près de la mer. Quant à la digue construite par Alexandre du côté du pays de Tanger, les eaux y ayant pénétré et ayant creusé le terrain qui se trouvait derrière, l’ouvrage s’est entièrement écroulé, en sorte que la mer touche aux montagnes des deux côtés.