AL-BAKRI, De Draa et Sijilmassa à Awdaghust

La ville de Derâ, nommée Tiumktin, est le chef-lieu de la province de Derâ. Nous avons déjà mentionné que le Wadi Derâ prend sa source dans le Deren (l’Atlas). Cette ville renferme une nombreuse population, un Jâmi’ et plusieurs bazars très-fréquentés; elle jouit aussi d’un commerce florissant. Elle est située sur un coteau, au nord d’une rivière qui coule de l’est à l’ouest, et qui se précipite du haut d’une colline rougeâtre avant d’arriver auprès de la ville. Ali, fils d’Ahmed, fils d’Idrîs, fils de Yahya, fils d’Idrîs, était autrefois seigneur de Derà.

 De là on met une journée pour se rendre à Tameddjathet, localité qui produit une espèce d’arbre ainsi nommée, dont les feuilles sont larges et persistantes comme celles du tamarisc. Les écuelles dont on se sert à Derâ, à Sidjilmessa et dans les contrées voisines, sont faites avec le bois de cet arbre. A une journée de là on trouve un endroit nommé Aman Tîssen, c’est-à-dire « l’eau salée ». Le jour suivant conduit à Tin Udaden ; ce nom signifie « le puits des cerfs » ; on y trouve une mine de cuivre. La journée suivante s’achève à Agru. Tous ces lieux sont situés dans le territoire des Serta, peuple qui forme une branche de la tribu des Sanhaja. A une journée plus loin se trouve Touwennîn an-oguellîd, c’est-à-dire « les puits du roi »; de là on se rend au lieu nommé Aman issîd, c’est-à-dire «l’eau des autruches»; puis à Agger-n-Wushan, c’est-à-dire « le champ des chacals » ; ensuite on arrive à Amerghad, endroit où commencent les jardins de Sijilmessa, ville qui est à 6 milles plus loin.

ROUTE DF TAMÉDELT À AOUDAGHAST.

A 1 journée de Tamédelt se trouve Bîr Al Jamâlîn« le puits aux chameliers », qui a quatre toises de profondeur. H est un de ces puits dont on doit la construction à Abd er-Rahman ibn Habîb Parti de là, le voyageur s’engage dans un défilé étroit où, pendant toute la journée, les chameaux doivent marcher à la file. Les 3 journées suivantes s’emploient à traverser I’azouer, montagne dont la surface pierreuse fait beaucoup de mal aux pieds des chameaux. L’Umm-ghilan « mimosa gommier » croît dans cette localité. Si l’on s’écarte de la route, on trouve des masses de fer poreux qui ne fondent pas au feu. Cette montagne est remplie de gros serpents; elle s’étend en longueur l’espace de 10 journées, à partir du commencement de la route de Sidjilmessa jusqu’au bord de l’océan Environnant. On dit que I’Azouer se prolonge jusqu’au Nefouça, l’une des montagnes de Tripoli, et cela me porte à l’identifier avec le Deren (Atlas), au pied duquel le Ouadi Dera prend sa source, ainsi que je l’ai dit ailleurs. Après avoir marché pendant 3 jours dans cette montagne, on arrive à Ten-defès, endroit qui fournit de l’eau. Pour s’en procurer, les voyageurs n’ont qu’à creuser le sol; mais ces puits ne tardent pas à se combler par suite de l’éboulement des terres. A trois journées plus loin, on rencontre un grand puits nommé Ouéinou Heiloun « puits de Heiloun »; on marche ensuite pendant l’espace de 3 jours dans une plaine unie et déserte où l’on peut quelquefois se procurer un reste d’eau pluviale, retenue sous les sables par une couche de rocher. Plus loin on arrive à une source peu abondante que l’on nomme Tazecca, c’est-à-dire « la maison ». 1 journée de plus amène le voyageur à un puits de quatre toises de profondeur, creusé dans une roche noire et dure par les soins d’Abd er-Rahman ibn Habib. A 3 journées plus loin, on trouve un grand puits nommé Ouittounan, qui ne tarit jamais, mais dont l’eau, fortement imprégnée de sel, purge les hommes et les animaux qui en boivent. Ce puits a trois toises de profondeur; il est encore un de ceux que l’on doit à la prévoyance d’Abd er-Rahman ibn Habib. Une marche de 4 jours conduit le voyageur de là à un endroit nommé Awgazent, dont le sol a une teinte bleuâtre. Les caravanes y trouvent de l’eau en creusant à une profondeur de deux ou trois coudées. On emploie quatre journées de plus à franchir un désert formé de grosses collines de sable qui coupent le chemin et qui n’offrent pas une goutte d’eau. Sur toute la route d’Awdaghast, il n’y a pas d’endroit plus difficile à passer que celui-ci. Arrivé ensuite au lieu appelé Wanu Zamîn, on trouve plusieurs puits qui ont peu de profondeur et qui fournissent, les uns de l’eau douce, les autres de l’eau saumâtre. Cette localité est située au pied d’une montagne escarpée, qui s’étend en longueur, et qui est remplie d’animaux sauvages. Toutes les routes qui vont au pays des noirs se réunissent auprès de Wanu Zamîn. C’est un endroit fort dangereux, car les Lemta et les Guezoula y attaquent très-souvent les caravanes; ils s’y tiennent eq embuscade, sachant que les routes du désert viennent aboutir dans cette localité , et que les voyageurs ont besoin d’y faire une provision d’eau. Ensuite on marche pendant 5 jours dans le territoire de Waran, région déserte et remplie de collines de sable. Arrivé sur la limite du pays occupé par les Bani Warith, tribu sanhajienne, on trouve un grand puits, ombragé par un arbre nommé as-sakni, qui est tout à fait semblable à l’Ihlîlej «le mirobolanier », si ce n’est qu’il ne porte pas de fruits. Après avoir marché encore 2 journées, on arrive à quelques puits d’eau saumâtre, auxquels on a donné le nom d’Agharef. Les Sanhaja amènent leurs chameaux dans ce lieu pour les faire boire, afin de leur rétablir et conserver la santé : l’on sait que toutes les eaux salées conviennent parfaitement aux chameaux. Plus loin, à la distance de journées, on trouve un endroit nommé Agguer Tendi, c’est-à-dire « amas d’eau »; on y voit un grand nombre d’arbres de diverses espèces, et, de plus, le Henna et le Habuk « basilic ». La journée suivante se passe dans une montagne nommée Azgunan, où les noirs viennent pour intercepter et piller les caravanes. Pendant la journée suivante on traverse un pays sablonneux et boisé, jusqu’à ce qu’on arrive à un puits d’eau saumâtre nommé Bir-Waran. On marche ensuite pendant 3 jours dans un pays appartenant aux Sanhaja, où l’on trouve de l’eau de puits en grande quantité. De là on se dirige pendant 1 journée vers une haute colline qui domine Awdaghast. On y voit beaucoup d’oiseaux qui ressemblent à des pigeons et à des colombes, si ce n’est qu’ils ont la tête plus petite et le bec plus gros. On y remarque aussi des arbres à gomme, dont le produit est envoyé en Espagne, où il sert à lustrer les étoffes de soie.

Awdaghost

De là on arrive à Awdaghast, ville grande et très-peuplée, qui est bâtie dans une plaine sablonneuse, au pied d’une montagne absolument stérile et dépourvue de végétation. Awdaghast renferme un djamê, plusieurs mosquées et une nombreuse population. Dans ces établissements on trouve des maîtres qui enseignent à lire le Coran. Tout autour de la ville s’étendent des jardins de dattiers. On y cultive le blé à la bêche et on l’arrose à la main. Il n’y a que les princes et les gens riches qui en mangent; la grande majorité de ia population se nourrit dedorra. Les cucurbitacées y viennent très-bien. On y trouve quelques figuiers de petite taille et quelques pieds de vigne. Les jardins consacrés à la culture du henna sont d’un bon rapport. Awdaghast possède des puits qui fournissent de l’eau douce. Les bœufs et les moutons y abondent à un tel point, que l’on peut acheter dix béliers, et même plus, pour un mithcal (pièce d’or). Le miel esl aussi très abondant, mais on le tire du pays des noirs. Les habitants vivent dans l’aisance et possèdent de grandes richesses. A toute heure le marché est rempli de monde ; la foule est si grande et le bourdonnement si fort, qu’à peine peut-on entendre les paroles de celui qui est assis à côté de soi. Les achats se font avec de la poudre d’or; car on ne trouve pas d’argént chez ce peuple. La ville renferme de beaux édif1ces et des maisons très-élégantes. Tous les habitants ont le teint jaunâtre; à peine en trouve-t on un seul qui ne soit atteint d’une des maladies dominantes, ia fièvre et les affections de la rate. Malgré la distance, on fait venir des pays musulmans du blé, des fruits et des raisins secs. Le blé s’y vend ordinairement à raison de six mithcals le Idntar « quintal »; il en est de même pour les fruits et les raisins secs. La population d’Aoudaghast se compose de natifs de l’Ifrîkiya, et d’individus appartenant aux tribus des Bercadjenna, des Nefouça, des Louata, des Zenata et surtout des Nefzaoua ; on y voit aussi, mais en petit nombre, des gens appartenant à toutes les grandes cités. On y trouve des négresses, cuisinières très habiles, dont chacune se vend cent pièces d’or ou plus ; elles savent apprêter des mets très apétissants, tels que le Juzīnkat (gâteau de noix), les Katayf (macarons au miel) et toutes espèces de sucreries. On y voit aussi des jeunes filles d’une belle figure, d’un teint blanc, d’une taille légère et svelte ; elles ont les seins fermes, la taille fine, la partie inférieure du dos bien arrondie et les épaules très larges ; elles sont tellement favorisées par la nature qu’elles offrent roujours à l’homme qui les possède les attraits qui n’appartiennent qu’à une vierge.

A ce sujet, Mohammed b. Yūsuf fait le récit suivant : « Abū Bakr Aḥmad b. Ḵallūf, natif de Fās et homme de bien, déjà avancé en âge, qui avait fait le pèlerinage de la Mekke, m’a raconté qu’un marchand de Nafūsa, nommé Abū Rustam, et qui allait régulièrement à Awdaghust pour le commerce avait déclaré qu’il avait vu dans ce pays une femme couchée sur le côté, position qu’elles prennent ordinairement plutôt que de rester assises et de comprimer ainsi la partie la plus arrondie de leur corps, et que l’enfant de cette femme s’amusait à lui passer sous les reins et à sortir de l’autre côté, sans que la mère se dérangeât en aucune manière, tant elle avait la taille fine et la partie inférieure du dos ample et développée. »

L’animal dont la dépouille sert à faire des boucliers est très commun aux environs d’Awdaghust. On expédie à cette ville des cuivres travaillés et des tubba (manteaux) à grands pans, teints en rouge et en bleu; on exporte de l’ambre gris, moelleux au toucher, dont la qualité est excellente, vu la proximité de l’océan Environnant (l’Atlantique); on exporte aussi de l’or raffiné et réduit en fils tordus. A Aoudaghast, ce métal est meilleur et plus pur qu’en aucun autre pays du monde.

Entre les années 35o/961 et 360/971, Awdaghast avait pour roi un Sanhadjien nommé Tîn Yerutan, qui était fils de Wîshenu et petit fils de Nizar. Plus de 20 rois nègres le reconnaissaient pour leur souverain et lui payaient la capitation. Son empire s’étendait sur un pays habité dont la longueur et la largeur étaient de 2 mois de marche. Ce monarque pouvait mettre en campagne 100 000 chameaux de race.

Invité par Târîn, le roi de Makîn, à le soutenir contre le roi Awgham, il lui fournit 50 000 chameaux. Cette armée envahit les états d’Awgham, dont les troupes ne s’attendaient pas à une attaque, et livra tout le pays aux flammes et au pillage. Awgham, voyant la ruine de son pays, ne voulut pas survivre à un tel malheur; il jeta son bouclier, détacha la selle de sa monture, et, s’y étant assis, il se laissa tuer par les soldats de Tîn Yerutan. Les femmes d’Awgham furent remplies de douleur en voyant le corps inanimé de leur seigneur, et, trop fières pour se laisser tomber au pouvoir des hommes blancs, elles s’ôtèrent la vie en se précipitant dans des puits, ou par d’autres genres de mort.

ROUTE D’AOUDAGHAST A SIDJILMESSA.

D’Awdaghast à Tamedelt on suit la route que nous venons de décrire, et qui est de quarante journées de marche; de Tamedelt à Sijilmessa , par la route indiquée ailleurs, il y a 11 journées de marche; cela fait un total de 51 journées.

D’Awdaghast à Qayrwân, il y a 110 journées de marche.

ROUTE DU DERÂ AU DESERT (SAHRA), ET DE LÀ AU PAYS DES NOIRS.

On met cinq journées pour se rendre du Wadi Darâ à Wadi Targa’, rivière qui marque le commencement du grand désert. Entré dans cette vaste région, le voyageur trouve de l’eau chaque second ou troisième jour de marche, jusqu’à ce qu’il arrive à ‘ Ras Al-Majaba « commencement de la solitude»; puis il arrive à un puits nommé Teza??et, qui renferme une source dont l’eau, plutôt salée que douce, jaillit d’une roche très-dure. Ce puits est un ouvrage des anciens, bien qu’on dise qu’il fut construit par les Oméïades. A l’orient de cet endroit est un puits nommé Bîr Al-Jamâlîn, et dans le voisinage de la même localité est un autre puits appelé Nalil; ni l’un ni l’autre ne fournit de l’eau douce. Entre ces trois puits et le pays occupé par les musulmans, il y a quatre journées de marche. De là on se rend à une montagne nommée, en langue berbère, Idrar-n-Wazzal, c’est-à-dire «la montagne de fer».