Jean de Nikiû, 120-2 : (643-4) Capitulation d’Alexandrie, Unification de l’Egypte, Maintien des Fonctionnaires Grecs, retour du patriarche Copte, v. 700 n-è

Cyrus, le patriarche chalcédonien, n’était pas seul à désirer la paix : les habitants, les gouverneurs et Domentianus, qui était en faveur auprès de l’impératrice Martine, se réunirent et délibérèrent avec le patriarche Cyrus, pour conclure la paix avec les musulmans.

Tout le clergé se prononçait contre le gouvernement d’Heraclius le jeune, disant qu’il était injuste que le trône fût occupé par un empereur issu d’une union réprouvée, et que l’empire devait revenir aux fils de Constantin, qui était né d’Eudocie. Et on rejeta le testament d’Heraclius l’ancien. Valentin, voyant que tout le monde était hostile à Martine et à ses enfants, prit de grandes sommes d’argent provenant du trésor impérial de Philagrius et les distribua à l’armée et l’excita contre Martine et ses enfants. Alors les troupes cessèrent de combattre les musulmans et se tournèrent contre leurs concitoyens.
Puis on envoya, en secret, un messager à l’île de Rhodes pour engager les troupes qui étaient parties avec le patriarche Cyrus, à revenir dans la capitale, et l’on fit dire à Théodore, préfet d’Alexandrie :
« N’écoutez pas Martine et n’obéissez pas aux ordres de ses fils. »

Des messages pareils furent envoyés en Afrique et dans toutes les provinces soumises à l’empire romain. Le général Théodore, très satisfait de ces nouvelles, les tint secrètes et partit pendant la nuit, en se cachant de tout le monde, pour se rendre de l’île de Rhodes à la Pentapolis. Mais le capitaine de vaisseau, le seul à qui il communiqua son dessein, prétendait que le vent leur était contraire. Il arriva donc à Alexandrie, dans la nuit du 17ième jour du mois de maskaram, fête de la Sainte-Croix. Tous les habitants de la ville, hommes et femmes, jeunes et vieux, accoururent auprès du patriarche Cyrus, et manifestèrent leur joie de son retour. Théodore se rendit, en secret, avec le patriarche, à l’église des Tabionnésiotes, dont il fit fermer la porte, envoya chercher Menas, le nomma général, et chassa Domentianus de la ville. Tous les, habitants criaient : « Hors de la ville ! »

[…]

Le patriarche Cyrus se rendit ensuite à Babylone, auprès des musulmans, pour leur demander la paix, en offrant de leur payer tribut, afin qu’ils fissent cesser la guerre en Egypte. Amr l’accueillit avec bienveillance et lui dit :

« Tu as bien fait de venir vers nous. »

Cyrus lui répondit :

« Dieu vous a donné ce pays ; que dorénavant il n’y ait plus d’hostilité entre vous et les Romains. Autrefois nous n’avons jamais eu d’hostilités prolongées avec vous. »

On stipula, en fixant le tribut qu’il paierait, que les Ismaélites n’interviendraient en aucune façon et qu’ils demeureraient isolés pendant 11 mois ; que les soldats romains à Alexandrie s’embarqueraient en emportant leurs biens et leurs objets précieux ; qu’aucune autre armée romaine n’y reviendrait ; que ceux qui voudraient partir par la voie de terre paieraient un tribut mensuel, que les musulmans prendraient comme otages 150 militaires et 50 habitants, et qu’ils feraient la paix ; que les Romains cesseraient de combattre les musulmans, et ceux-ci ne prendraient plus les églises et ne se mêleraient point des affaires des chrétiens ; enfin qu’ils laisseraient les juifs demeurer à Alexandrie.

Après avoir terminé cette négociation, le patriarche retourna à Alexandrie et en fit part à Théodore et au général Constantin, en les invitant à communiquer ces conditions à l’empereur Heraclius et à les appuyer auprès de lui. Ensuite (les chefs de) l’armée et des citoyens d’Alexandrie, ainsi que Théodore l’Augustal, se rendirent chez le patriarche Cyrus et lui présentèrent leurs hommages. Il leur exposa l’arrangement qu’il avait conclu, avec les musulmans et les engagea tous à l’accepter.

Sur ces entrefaites, les musulmans arrivèrent pour recevoir le tribut, tandis que les habitants d’Alexandrie ignoraient encore. Voyant paraître l’ennemi, les habitants se préparèrent à la résistance. Mais l’armée et les généraux, persistant dans la résolution prise, déclaraient qu’il leur était impossible de lutter contre les musulmans et qu’il fallait suivre l’avis du patriarche Cyrus. Alors la population se souleva contre le patriarche et voulut le lapider. Cyrus parla aux émeutiers et leur dit :

« J’ai fait cet arrangement afin de vous sauver, vous et vos enfants. »

Et il les implora, en versant des larmes, et en manifestant une grande douleur. Les gens d’Alexandrie eurent honte et lui offrirent beaucoup d’or, pour le remettre aux Ismaélites avec le tribut qui leur avait été imposé.

Les Egyptiens qui, par crainte des musulmans, étaient venus se réfugier à Alexandrie, demandèrent au patriarche d’obtenir des musulmans qu’ils pussent, en se soumettant à leur domination, retourner dans leur province. Cyrus négocia pour eux, selon leur demande. Et les musulmans prirent possession de toute l’Egypte, du midi et du nord, et triplèrent l’impôt.

Un homme, nommé Menas, qui avait été nommé par l’empereur Heraclius préfet de la basse Egypte, homme présomptueux tout en étant illettré, qui détestait profondément les Égyptiens, fut, après la prise de possession du pays par les musulmans, maintenu par eux à son poste. Ils en choisirent un autre, nommé Sînôdâ, comme préfet de la province du Rif, et un nommé Philoxenos, comme préfet d’Arcadie ou Faiyûm.

Ces trois hommes aimaient les païens et détestaient les chrétiens ; ils forçaient ceux-ci de porter du fourrage pour les bêtes, et exigeaient d’eux de fournir du lait, du miel, des fruits, du poireau et beaucoup d’autres objets, en dehors des rations ordinaires. Les Égyptiens exécutaient ces ordres, étant sous le coup d’une terreur incessante.

Ils les forcèrent à creuser le canal de Trajan qui était détruit depuis longtemps, afin de conduire l’eau depuis Babylone d’Egypte jusqu’à la mer Rouge. Le joug qu’ils faisaient peser sur les Égyptiens était plus lourd que celui qui avait été imposé à Israël par Pharaon, que Dieu punit d’un juste châtiment en le précipitant dans les flots de la mer Rouge, lui et son armée, après avoir infligé aux Égyptiens beaucoup de plaies, tant aux hommes qu’au bétail. Que le châtiment de Dieu frappe ces Ismaélites et qu’il leur fasse comme il a fait à l’ancien Pharaon ! C’est à cause de nos péchés qu’il permet qu’ils nous traitent ainsi. Mais dans sa longanimité, Notre-Seigneur et Sauveur Jésus-Christ nous regardera et nous sauvera ; et, de plus, nous espérons qu’il anéantira les ennemis de la Croix, comme il est écrit dans le livre véridique.

Amr, après avoir réduit l’Egypte, envoya les troupes de ce pays contre les habitants de la Pentapolis (Cyrénaïque), et, après avoir vaincu ces derniers, il ne les y laissa pas demeurer ; il enleva seulement de ce pays un immense butin et un grand nombre de captifs, Apollonios, gouverneur de la Pentapolis, ses troupes et les principaux de la province s’étaient retirés dans la ville de Teucheira, qui était solidement fortifiée et s’y étaient enfermés. Les musulmans s’en retournèrent dans leur pays avec le butin et les captifs.

Le patriarche Cyrus était profondément affligé des calamités de l’Egypte» En effet, Amr traitait les Égyptiens sans pitié et n’exécutait pas les conventions qui avaient été stipulées avec lui ; car il était de race barbare. Le jour, de ; la fête des Palmiers, Cyrus, accablé par le chagrin, tomba malade d’une dysenterie, et mourut le jeudi de Pâques, le vingt-cinquième jour du mois de magâbît. Ainsi que les chrétiens l’avaient prédit, il ne vit plus la fête de la Sainte-Résurrection de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Cet événement eut lieu sous le règne de Constantin, fils d’Heraclius.

[…]

Cyrus, le patriarche chalcédonien d’Alexandrie, fut profondément affligé en apprenant ces événements : l’exil de Martine et de ses enfants, qui l’avaient ramené lui-même de l’exil ; la déposition de Pyrrhus, patriarche de Constantinople et le retour de Philagrius, qui était son ennemi ; la mort de l’évêque Arcadius et le triomphe et la puissance de Valentin. Il pleurait sans cesse ; car il craignait qu’il ne lui arrivât ce qui lui était déjà arrivé précédemment, et, dans cette affliction, il mourut selon la loi naturelle. Mais son plus grand chagrin avait été de voir les musulmans ne point accueillir ses demandes en faveur des Égyptiens. Avant sa mort, il faisait œuvre d’hérétique et persécutait les chrétiens ; et Dieu, le juste juge, le punit pour le mal qu’il avait fait.

Le général Valentin et ses troupes ne pouvaient porter aucun secours aux Égyptiens. Ceux-ci, au contraire, notamment la ville d’Alexandrie, continuaient à être en butte aux sévices des musulmans, et ils succombaient sous la charge des contributions qu’ils exigeaient. Les riches de la ville se cachèrent pendant dix mois dans les îles.

Ensuite, Théodore l’Augustal, et Constantin, général de l’armée, et les soldats qui restaient, ainsi que ceux qui avaient été entre les mains des musulmans comme otages, s’embarquèrent et vinrent à Alexandrie. Après la fête de la Croix, le 20 du mois de hamlê, fête de saint Théodore, martyr, ils nommèrent le diacre Pierre, patriarche, et l’installèrent sur le siège pontifical. Le 20 du mois de maskaram, Théodore quitta la ville d’Alexandrie, avec toutes les troupes et les officiers, et se rendit à l’île de Chypre. ‘Amr, le chef des musulmans, entra dans la ville d’Alexandrie sans coup férir. Les habitants, dans leur malheur et dans leur affliction, l’accueillirent avec respect.

121 :
Abbâ Benjamin, patriarche des Egyptiens, revint à Alexandrie, 13 ans après qu’il eut pris la fuite pour échapper aux Romains, et il visita toutes ses églises. Tout le monde disait que l’expulsion et la victoire des musulmans avaient été amenées par la tyrannie de l’empereur Heraclius et par les vexations qu’il avait fait subir aux orthodoxes et dont l’instrument avait été le patriarche Cyrus ; voilà, disait-on, les causes de la ruine des Romains et voilà pourquoi les musulmans devinrent les maîtres de l’Egypte.

La situation d’Amr devenait de jour en jour plus forte. Il levait l’impôt qui avait été stipulé ; mais il ne prenait rien des biens des églises et ne commettait aucun acte de spoliation ni de pillage, et les protégea pendant toute la durée de son gouvernement.

Après avoir pris possession d’Alexandrie, il fit dessécher le canal de la ville, suivant l’exemple donné par Théodore l’hérétique. Il porta le tribut à la somme de 22 batr d’or, de sorte que les habitants, pliant sous la charge et hors d’état de payer, se cachèrent.

Dans la deuxième année du cycle (644),arriva Jean, de Damiette, qui, au moment où ‘Amr fit son entrée dans la ville, avait été nommé préfet d’Alexandrie par Théodore l’Augustal, et prêta son concours aux musulmans, afin qu’ils ne détruisissent pas la ville.
Jean, plein de pitié pour les pauvres, leur donnait largement de son propre bien, et voyant la triste situation des habitants, il les consolait et plaignait leur sort.

‘Amr destitua Menas et le remplaça par Jean. En effet, Menas avait augmenté la contribution de la ville, fixée par ‘Amr à la somme de 22 000 deniers d’or ; au lieu de cette somme, Menas l’hérétique avait réuni et remis aux Ismaélites 32 057 deniers d’or.

Il est impossible de raconter le deuil et les gémissements qui remplissaient la ville ; les habitants arrivèrent à offrir leurs enfants en échange des sommes énormes qu’ils avaient à payer chaque mois. Personne n’était là pour les secourir, Dieu les abandonna et livra les chrétiens entre les mains de leurs ennemis. Toutefois la bonté puissante de Dieu confondra ceux qui nous font souffrir, fera triompher son amour pour les hommes sur nos péchés et mettra à néant les mauvais desseins de nos oppresseurs, qui n’ont pas voulu accepter le règne du Roi des Rois, du Seigneur des Seigneurs, Jésus-Christ, notre Dieu véritable. Et ces vils esclaves, il les fera périr d’une façon terrible, ainsi qu’il est dit dans le saint Évangile :

« Mes ennemis, ceux qui n’ont pas voulu accepter mon règne, amenez-les devant moi. »

Or beaucoup d’Egyptiens, qui étaient de faux chrétiens, renièrent la sainte religion orthodoxe et le baptême qui donne la vie, embrassèrent la religion des musulmans, les ennemis de Dieu, et acceptèrent la détestable doctrine de ce monstre, c’est-à-dire de Mahomet ; ils partagèrent l’égarement de ces idolâtres et prirent les armes contre les chrétiens. L’un d’eux, nommé Jean, un Chalcédonien du couvent de Sinaï, ayant quitté son habit monacal et embrassé l’islamisme, et s’étant armé d’un sabre, persécutait les chrétiens demeurés fidèles à Notre-Seigneur Jésus-Christ.

Maintenant glorifions Notre-Seigneur Jésus-Christ, et célébrons son saint nom en tout temps ; car il nous a préservés, nous autres chrétiens, jusqu’à cette heure, de l’égarement des païens imposteurs et de la chute des hérétiques perfides. Qu’il nous donne aussi la force et qu’il nous aide, par l’espérance en sa divine promesse, à supporter ces calamités. Qu’il nous rende dignes de recevoir, exempts de confusion, l’héritage de son royaume céleste, éternel et impérissable. Louons aussi son Père, éminemment bon, et son Saint-Esprit qui donne la vie éternellement, amen !