Moise de Khorene, Fondation de la dynastie Parthe Arsacide (selon Mar Apas Catina), Vème s.

CH. I.HISTOIRE DES TEMPS INTERMÉDIAIRES DE NOS ANCÊTRES.

Je vais maintenant, dans ce second livre, te raconter l’histoire particulière de notre pays, depuis le règne d’Alexandre jusqu’à celui du saisit et vaillant Tiridate (Dertad) le Grand.

Je te dirai successivement les actes de valeur et d’éclat, les ordonnances et les institutions de chacun des princes qui sont issus d’Arsace (Arshag), roi des Perses, et notamment de Valarsace (Vagharshag), son frère par lui roi de notre nation ;  enfin, de tous les monarques de sa race qui se sont succédé sur le trône de père en fils, et ont été appelés Arsacides (Arshaguni) du nom d’Arsace. Ses descendants se multiplient et forment une nombreuse lignée ; mais, d’après l’ordre établi, il n’y a qu’un seul prince d’appelé à ce pouvoir suprême. D’ailleurs, j’écris rapidement ce qui nous intéresse, et je néglige le reste, car, pour les autres nations, ce qu’ont dit une foule d’historiens suffit.

Alexandre de Macédoine, fils de Philippe et d’Olympias, 24ème descendant d’Achille, après avoir soumis à ses lois le monde entier, laisse par son testament son empire à plusieurs, de telle sorte que l’empire de tous est appelé l’empire des Macédoniens ; puis il meurt. Ensuite, Séleucos, régnant à Babylone, ravit les États de ses compagnons. Il soumet les Parthes, après une guerre terrible, et fut appelé par cette raison Nicator (Nicanor). Après 31 ans de règne, il laissa le royaume à son fils Antiokhos Soter, qui régna 19 ans. Antiochus Théus, lui succède [et règne] 10 ans; mais, la 11ème année, les Parthes secouent le joug des Macédoniens, et par suite le brave Arsace monte sur le trône. Il était de la race d’Abraham, du lignage de Cétura, en accomplissement de la parole du Seigneur à Abraham: « De toi sortiront les rois des nations. »

CH. II.RÈGNE D’ARSACE ET DE SES FILS. — GUERRE CONTRE LES MACÉDONIENS. — AMITIÉ AREC LES ROMAINS.

60 ans après la mort d’Alexandre, le brave Arsace régna, comme nous l’avons dit, sur les Parthes, dans la ville appelée Pahl (Balkh)Aravadin, au pays des Kuschans. Il fait une guerre épouvantable, s’empare de l’orient tout entier, et chasse de Babylone les Macédoniens.

Il apprend que les Romains sont maîtres de l’occident et de la mer, qu’ils ont enlevé aux Hispaniens les mines d’où l’on tire l’or et l’argent, qu’ils ont rendu tributaires les Galates et les royaumes de l’Asie ; il envoie des ambassadeurs et sollicite une alliance en vertu de laquelle tout secours sera refusé aux Macédoniens. Il ne consent point à payer tribut aux Romains, mais il leur donne chaque année un présent de 100 talents (kankar).

Arsace règne ainsi 31 ans ; Ardaschès, son fils, 26 ans. A celui-ci succède le fils d’Ardaschès, Arsace, surnommé le Grand. Ce dernier fait la guerre à Démétrios et à Antigone, fils de Démétrios. Antigone vient fondre sur Arsace à Babylone avec une armée macédonienne et lui livre combat ; mais, fait prisonnier par Arsace, il fut conduit en Parthie chargé de fers, d’où lui vint le surnom de Sidérités. Son frère, Antiochus Sidétès, prévenu de la marche d’Arsace, vient occuper la Syrie. Arsace revient contre lui avec 120 000 hommes. Antiochus, pressé par la rigueur de l’hiver, contraint de livrer bataille dans un étroit défilé, périt avec toute son armée. Alors Arsace commande en maître dans la troisième partie du monde, comme nous l’apprend le quatrième livre des histoires véridiques d’Hérodote, qui traite de la division de l’univers en trois parties : l’une appelée Europe, l’autre Libye, la troisième Asie, sur laquelle domine Arsace.

CH. III.VALARSACE EST ÉTABLI ROI DANS LE PAYS DES ARMÉNIENS.

En ce temps-là, Arsace établit son frère Valarsace roi de notre pays, lui donnant pour États le nord et l’occident. Valarsace, ainsi que nous l’avons dit dans notre premier livre, prince brave et vertueux, étendit bientôt son empire. Il organisa autant qu’il put les institutions civiles, créa des satrapies, à la tête desquelles il plaça des dynastes, personnages illustres, de la race de notre ancêtre Haïg et des autres chefs.

Le Parthe magnanime, ayant dompté les Macédoniens et mis fin à la guerre, donne un large cours à sa bienfaisance. D’abord, il songe à récompenser les services du judéen Shampa Pakarad, homme puissant et sage ; il lui confère, ainsi qu’à ses descendants, le privilège de couronner les Arsacides. (Thakatir) Il accorde à sa race le droit de s’appeler Bagratides (Pakraduni), satrapie considérable existant encore aujourd’hui en Arménie. Ce Pakarad s’était dévoué volontairement au service de Valarsace, avant la guerre d’Arsace contre les Macédoniens. Il est créé aussi [chef] de la porte royale ; et, à l’extrémité du royaume où se parle encore la langue arménienne, (il est nommé) préfet et prince de 11 000 hommes à l’occident.

Mais retournons en arrière, et racontons la guerre de Valarsace contre les habitants du Pont et ensuite contre ceux de la Phrygie, enfin sa victoire.

CH. IV.COMMENT VALARSACE, APRÈS AVOIR RÉUNI L’ÉLITE DES ARMÉNIENS,MARCHE CONTRE LES ALLIÉS DES MACÉDONIENS.

Après la guerre d’Arsace contre les Macédoniens et la conquête de Babylone et de la partie orientale et occidentale de l’Assyrie, Valarsace lève dans l’Aderbadagan et l’Arménie centrale des guerriers renommés et valeureux, et convoque Pakarad et ses braves, avec la jeunesse du littoral, les descendants de Kégham, des Cananéens, de Shara, de Kuchar, leurs voisins de Sissag et de Gatmos, enfin presque la moitié du pays. Valarsace arrive au milieu de l’Arménie, au-dessus des sources du Grand Marais (Medz-Amor),  au bord de l’Araxe (Eraskh), près de la colline d’Armavir. Là, il s’arrête plusieurs jours, parce que, comme il convient de le dire, ses troupes n’étaient pas au fait de la discipline.

Ayant encore levé des troupes en Chaldie,— car la Lazique, le Pont, la Phrygie, Majak (Mazaka : Kayseri)et les autres provinces, ne sachant rien de la guerre d’Arsace et soumises à l’empire des Macédoniens,  gardaient scrupuleusement les traités, — un certain Morphilig, soulevant toutes ces provinces, livre bataille à Valarsace. Les deux armées se rencontrèrent près d’une haute colline rocheuse, aujourd’hui appelée Colonia,  et, s’approchant l’une de l’autre de quelques stades, elles se fortifièrent des deux côtés pendant plusieurs jours.

CH. VI.

VALARSACE ORGANISE LES PARTIES OCCIDENTALES ET SEPTENTRIONALES DE NOTRE PAYS.

L’expédition ainsi terminée, Valarsace organisa les provinces de Mazaka, du Pont et des Colches (Ekératzi). Il va au pied du Barkhar dans le Daïk, dans des lieux marécageux, couverts de brouillards et remplis de forêts et de mousses. Il donne à la contrée une forme nouvelle, aplanit les terrains accidentés, change la brûlante chaleur en une douce température et en fait le séjour de délices de son empire. Là il prépare des résidences d’été quand il ira au nord. Il transforme en parcs deux plaines boisées, entourées de collines, pour le plaisir de la chasse. Il destine le climat chaud de Gogh aux plants de vignes de l’Arménie et à des jardins. Je voudrais ici, pour un prince si cher, dire toutes choses avec détail et clarté; mais j’ai seulement signalé en passant les localités, laissant de côté les particularités et les formes du style, afin de conserver indissolubles les liens de mon amour pour un aussi admirable prince.

Alors Valarsace convoque les populations étrangères et barbares, celles du nord de la plaine, celle de la base de la grande chaine du Caucase, celles qui sont les plus enfoncées dans les vallées d’une large et profonde étendue, en descendant de la montagne qui est au sud jusqu’à l’entrée de la grande plaine.

Valarsace ordonne à cette multitude de renoncer à ses brigandages et à ses ruses, et de se soumettre aux lois et aux tributs royaux, afin qu’en la revoyant, il puisse lui donner des chefs, des princes et une bonne organisation. Puis il la renvoie sous la conduite de prudents inspecteurs de son choix. Ayant ainsi congédié les hommes de l’occident, il descend dans les prairies verdoyants, près des domaines de Schara, que les anciens appelaient Pasène supérieure et déboisée. Plus tard, et par suite de l’établissement dans ces lieux de la colonie de Veghentur Bulgar de Vount, le pays fut appelé de son nom Vanant ; et les villages sont appelés jusqu’à présent du nom de ses frères et de ses descendants.

[Valarsace], afin de se soustraire au souffle glacé du nord, descend dans une immense plaine ; là, il campe au bord du Medzamor, à l’endroit où le grand fleuve, sortant du lac septentrional, va se perdre dans le Grand Marais. Puis il organise les milices du pays, laisse des inspecteurs, et, emmenant avec lui les plus notables, il se rend à Medzpine.

CH. VII.ORGANISATION DU ROYAUME. — D’OÙ VALARSACE TIRE TOUTES SES SATRAPIES?  — COMMENT IL RÈGLE SES INSTITUTIONS.

Voici un important chapitre, tout rempli de détails historiques et digne de la plus claire et de la plus complète exposition; car il y a beaucoup à dire sur les institutions, les règlements, les familles, les races, les villes, les bourgs, les établissements, et en général sur l’organisation entière d’un royaume, sur tout ce qui le concerne, les armées, les généraux, les gouverneurs de provinces et les autres officiers.

En premier lieu, le roi règle tout ce qui concerne sa personne et sa maison, et commence par sa tête et sa couronne. Voulant récompenser le Judéen Pakarad de son ancien dévouement, de sa fidélité et de sa valeur, il confère, ainsi que nous l’avons dit, à lui et à sa descendance, le titre de grand feudataire, le privilège de mettre la couronne sur la tête du roi, de s’appeler Thakatir et général de la cavalerie, de porter le diadème avec trois rangs de perles, sans or ni pierreries, quand il se trouvait à la cour ou dans l’appartement du roi.

Valarsace choisit parmi les descendants des Cananéens un certain Tzerès, chargé de lui mettre ses ornements royaux, et donne à sa race le nom de Kentuni.

[…etc, noms, fonctions, satrapies]

CH. VIII.SECONDE DIGNITÉ DU ROYAUME, CONFÉRÉE AUX DESCENDANTS D’ASTYAGE ROI DES MÈDES.

La maison du roi ayant été organisée, la seconde dignité du royaume fut donnée aux descendants d’Astyage roi des Mèdes, appelés à présent Mouratzan ; car le chef de cette race ne s’appelle pas Mouratzan-der, mais Maratzuotz-der (seigneur des Mèdes). Valarsace abandonne à ce chef tous les villages pris sur les Mèdes. Il établit en orient, aux frontières de la langue arménienne, les chefs des descendants des deux dynasties de Sissag et de Gatmos, dont nous avons donné les noms dans la première partie.

[…]

Ayant fait toutes ces dispositions, Valarsace bâtit un temple à Armavir où il met les images du Soleil (Arékagen), de la Lune (Lusin), et celles de ses ancêtres. Schampa Pakarad le juif, investi de la dignité de thakatir et de général de la cavalerie, est invité et pressé d’abandonner la foi judaïque et d’adorer les idoles; mais s’y étant refusé, le roi Valarsace le laisse libre.

Valarsace fait reconstruire la ville de Sémiramis et élever dans beaucoup d’endroits, pour des populations nombreuses, des bourgs importants.

Il fait régner également un ordre parfait, fixe les heures d’audience, des conseils et des divertissements. Il divise la milice en première, seconde, troisième classe et ainsi de suite. Il nomme deux rapporteurs chargés de rappeler par écrit au roi, l’un, le bien à faire; l’autre, les vengeances à exercer. Il enjoint au premier de prévenir le roi, dans sa colère, qu’il donne des ordres iniques, et de le rappeler à la justice et à la philanthropie. Il crée des justiciers dans les villes et les campagnes. Il ordonne aux citadins de tenir un rang supérieur à celui des paysans, à ceux-ci d’honorer les citadins comme leurs supérieurs, enfin aux gens des villes de ne pas être hautains envers les paysans, mais de se conduire en frères pour maintenir le bon ordre et conserver l’harmonie, sans jalousie, ce qui est la cause du bonheur et de la tranquillité de la vie. Il établit encore d’autres institutions du même genre.

 

CH. IX.

DE NOTRE ARSACE (ARSCHAG) PREMIER. — SES FAITS ET GESTES.

Arsace, fils de Valarsace, règne treize ans sur les Arméniens. Jaloux de suivre les traces des vertus de son père, il fit aussi beaucoup de sages institutions, déclara la guerre aux habitants du Pont, et laissa sur le rivage de la grande mer une marque de sa victoire. Prenant sa lance dont la pointe était bien affilée et qui était trempée dans le sang des reptiles, il la brandit, étant à pied, d’un bras vigoureux et la fait pénétrer profondément dans une colonne de pierre très dure qu’il érigea au bord de la mer.

A cette époque de son règne, surviennent de grands troubles dans les gorges de la chaîne du Caucase, au pays des Boulgars; grand nombre d’habitants émigrèrent dans notre pays, se fixèrent au-dessous de Gog, dans des plaines très fertiles et abondantes en blé et y restèrent longtemps.

Les fils de Pakarad, inquiétés par Arsace [qui voulait les contraindre] à adorer les idoles, périrent noblement au nombre de deux, martyrs de la foi de leurs pères. Je n’hésite pas à proclamer qu’ils ont suivi l’exemple des Ananéens et des Eléazaréens. Les autres (membres de cette famille) consentent seulement à chevaucher le jour du sabbat pour aller à la chasse ou en expédition, et à ne plus faire circoncire leurs enfants dam l’avenir. Comme ils n’étaient pas mariés, Arsace fit défense dans toutes les satrapies de leur donner des femmes en mariage, s’ils ne faisaient serment de renoncer à la circoncision.

Ils se soumettent seulement à ces deux conditions, mais ils refusent d’adorer les idoles.

FIN DE MAR APAS CATINA