Musulmans = Arabes

Idée reçue n°7 :

Les musulmans sont  des arabes

 Historiquement, cette proposition est correcte, de même que les juifs sont des judéens (une ethnie du sud de la Syrie-Palestine romaine) et que les chrétiens sont des galiléens (une ethnie du centre de la Syrie-Palestine romaine).

Il convient de s’interroger sur le principe même de l’identité arabe, qui recouvre plus qu’une ethnie régionale antique, mais n’englobe pas forcément toutes les composantes d’une « nation ».

Qui sont les arabes ?

 On a pu parler pour la période pré-islamique de « kulturnation », qui, à l’instar des grecs, aurait en commun un univers mythologie, des pratiques, des coutumes, des festivals et des dialectes apparentés.

Cependant, jusqu’à la fin du régime Omeyyade, les « arabes » sont considérés par opposition aux sédentaires syro-araméens du croissant fertile. Et, de fait, l’identité arabe découle de la racine sémitique ‘RB qui désigne le commerçant, le nomade. Ainsi, il y a au nord de l’Iraq un Bêth ‘Arabay-ê, peuplé anciennement de nomades assyrophones catégorisés comme arabes. Les sujets de la République Nabatéenne de Pétra étaient appelés en grec « araboi » et leur pays donnera le nom de Province « Arabia », pourtant, ils ne nous ont laissé que des textes en araméens et, de plus, le terme Nabat désigne, en « langue arabe » classique… les sédentaires syro-araméens.

L’arabie est donc avant tout un territoire, ce qui est à la suite de la « Provincia Arabia » de Transjordanie, elle s’étend donc, comme l’Afrique (historiquement la Tunisie) ou l’Asie (historiquement la côte Turque) aux immensités continentales qui la prolonge. Ainsi, le Yemen, massif montagneux subtropical est appelé Arabie Heureuse, en raison de sa situation géographique, alors que sa population est à dominante sédentaire et que sa langue diffère fortement des dialectes bédouins. Eux-même ne se considèrent nullement arabes, mais Sabéens, Himyarites, Hadramawtiens etc…

Les arabes sont donc les bédouins ; et les sédentaires d’oasis et cités de la péninsule sont naturellement intégrées à cet espace culturel à dominante bédouine. Pourtant, ces bédouins et ces groupes sédentaires se définissent selon leur « peuple », Kinda, Lakhm, Ghassan, Quraysh, Yamama, Rabi‘a, Khuza‘a, Kalb etc… eux même subdivisé en tribus (qabîla, du sud-sémitique QBL désignant le district). Ces arabes parlent une infinité de dialecte, qui forment un continuum linguistique d’une richesse infinie, entre les contreforts du Yemen et le monde syro-araméen ; ils se comprennent cependant dans une langue diplomatique et poétique, appelée la « Fasiha » dont ils usent lors de leurs festivals et panégyries, les Moussems.

Aux fondements arabes de l’Islam

Le texte coranique affirme avoir été révélé en « langue arabe », être un « Lectionnaire en Arabe », il convient ici de traduire « en langue bédouine », car c’est « afin que vous compreniez » que ce langage bien peu classique a été employé.

Le prophète Muhammad est lui-même un « arabe », puisqu’il appartient à cette « nation culturelle » au titre de son appartenance au peuple des Quraysh qui contrôle la place de Moussem de La Mekke. La république médinoise fondée en 622 regroupe autour de sa magistrature des clans et tribus « arabes » de confession païenne ou judaïsante.

Lorsque les conquérants Muhammadiens envahissent le Croissant Fertile, ils sont perçus immédiatement, en langue syriaque, comme des Tayyay-ê, nom de peuple arabe (Tayy), devenu, par extension, celui de tous les « arabo-bédouins ». Pour les grecophones, ils sont des Sarrakenoi, autre apellation traditionnelle des arabes de l’intérieur (par opposition aux arabes de Nabatènes, araméophones rappelons-le).

Rapidement, cependant, ces arabes qui ont fondé une Madîna (Médine), une cité Etat, et qui cherchent à acquérir le degré de civilisation, rejettent le qualificatif Arabe et revendiquent celui de « Muhajir ». Pour le Coran aussi, avec une orthographe légèrement différente, les ’A‘râb sont des êtres sans grande valeur spirituelle. Le texte fondateur de l’Islam dénonce ainsi les arabes comme étant de piètres croyants…

Peu à peu, cependant, l’idéologie omeyyade va construire une identification positive de l’arabité, et va distinguer le terme coranique du terme générique ‘arab (peut être par une réforme orthographique). Le « califat » omeyyade est bel et bien un « royaume arabe » tel que le perçoivent les sources « externes ».

De sanglants conflits inter-ethniques agitent cette « nation arabe » entre les années 680 et 720, peu à peu résumée en une guerre des « Nordistes » (qui commencent à se prétendre descendant d’Ismael) contre les « Yemenites » (qui, eux, se prétendent « vrais arabes »).

Aux origines non arabes de l’Islam classique

A la même époque, pourtant, de nombreux syro-araméens irakiens et syriens, des iraniens, des égyptiens et des berbères se sont acclimaté à l’univers culturel et légal des arabes. Ils vont militer pour obtenir les même privilèges fiscaux que ce peuple à peine constitué, considéré comme possesseur de la terre par droit de conquête.

En quelques décennies, ces non-arabes, appelés les « clients » (Mawâlî) deviennent majoritaire au sein de l’Islam en construction, et ils soutiennent de multiples rébellions contre l’autorité arabo-omeyyade.

La révolution abbasside, qui renverse en 750 le « royaume arabe » est considérée selon les sources chrétiennes comme une conquête iranienne et la dynastie de Baghdad est dénommée le « royaume des Perses ». Dès lors les bases institutionnelles, juridiques, rituelles et les débats théologiques se structurent au sein de « musulmans » d’origine non-arabe, mais en langue arabe, devenue la langue de culture. En à peine un siècle, l’identité arabe sera rétrogradée au mépris qui l’accablait avant les conquête des années 634-644… alors que la langue arabe obtiendra la gloire éternelle, devenant dès la fin du VIIIème siècle la langue même des juifs, mazdéens et chrétiens du « Dâr al-Islâm ».

Langue arabe et peuples arabes

En résumé, l’arabe est la langue sacrée de l’Islam de par le Coran, le prophète est arabe et ses descendants, considérés comme nobles le sont aussi, en théorie (pas forcément de langue), les langues de culture, de ville, de civilisation est l’arabe standard omeyyade… mais les arabes en tant que peuple sont profondément méprisés, car ils sont non-civilisés, nomades, sauvages, malpropres, en mot, barbares et impies… Ce mépris leur colle à la peau même au Maghreb, où pourtant le rattachement à la culture arabe orientale est très fort parmi une population d’ascendance exclusivement berbère, mais qui se cherche des ancêtres parmi les compagnons (arabes) du Prophète. Au XIème siècle, l’arrivée des arabes Banu Hillal dans l’occident musulman sera une véritable apocalypse pour la société maghrébine arabophone, qui considérera toujours cette invasion comme une attaque du paganisme et de la sauvagerie contre la piété islamique et la civilisation.

Au Xème siècle, les syro-irakiens, la majorité des égyptiens, les tunisiens de la côte, une partie des mésopotamiens, quelques citadins du Maghreb, de l’Espagne, de la Sicile, de l’Iran ou de l’Asie Centrale (Transoxiane) et bien sûr les habitants de la péninsule sont arabophones, mais bien peu se revendiquent arabes. Dans les campagnes cependant, on parle encore largement le copte en Egypte, même dans les milieux musulmans, le persan en Iran et en Transoxiane, le roman en Espagne et l’Amazighe au Maghreb, sans compter le monde turc ou indien dont l’islamisation non-arabe commence, au gré du commerce iranien.

Alors que l’élite des communautés « protégées » (non-musulmans) parle l’arabe citadin et écrit dans cette langue, souvent, les langues pré-islamiques (copte, syriaque, persan, arménien) restent les langues liturgiques des communautés et les langues vernaculaires de la paysannerie non-musulmane.

On peu, à ce titre, à nouveau identifier l’arabe citadin à l’Islam, même si tous les citadins, et au XIVème siècle, presque tous les ruraux, quelque soit leur religion, sont arabophones dans ce qui constitue aujourd’hui, le monde arabe. Il y a pourtant aujourd’hui encore, 10 à 15% de chrétiens dans chacun des pays arabes du Moyen-Orient, et ils sont, à d’infimes exceptions (assyriens, araméens de Maaloula) totalement arabophones…

Langues Islamiques non-arabes

Entre temps, le nouveau Persan au Xème siècle, puis le Turc Caghatay au XIVème siècle et l’Ourdou (Hindi islamisé) au XVème siècle, puis le Malais, le Turc Ottoman et le Ki-Swahili (Bantoue de la côte orientale) sont devenu des langues vernaculaires et de culture islamique au même titre, et parfois plus encore, que l’arabe.

Leur identité islamique est marquée par un vocabulaire technique arabe classique abondant, jusqu’à 40% de la syntaxe dans certains cas, mais les formes dialectales de ces langues islamiques secondaires comprennent également un lexique arabe très développé.

La spécificité du Maghreb et du l’Afrique de l’Ouest est l’absence, dans ces pays purement musulmans, d’autre langue littéraire que l’arabe, les Berbère, le Songhay, le Haoussa, le Kanouri, le Four, le Malinké n’ont, semble-t-il quasiment jamais été rédigé et les populations citadines y ont conservé l’arabe comme marque distinctive de leur degré de civilisation, d’éducation et d’islamité…

Conclusion

Pour conclure, il y a aujourd’hui 1 milliards quatre cent millions de musulmans, seulement 250 millions sont arabophones et à peine 200 possèdent l’arabe comme langue maternelle…

Les musulmans ne sont donc pas des arabes, mais ils sont arabophones, et pourtant 80% d’entre eux ne parlent pas l’arabe ; alors que l’Islam primitif vient des arabes, l’Islam médiéval méprise les arabes en tant que peuple, mais vénère la littérature arabe.