III : Religion et Mythologie :

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Durant les dernières années de la république romaine, Virgile tente une synthèse mythologique de la Grèce, de Rome et de Carthage, il y inclut sans aucun doute des éléments mythologique Lybo-phéniciens, mais remaniés afin de coincider avec la glorieuse aventure d’Enée.

A : Les cultes Solaires, Lunaires et Océaniques :

On apprend notamment qu’un certain Hiarbas, ancêtre des dynasties numides, marié contractuellement à Didon, est répudié par la fondatrice mythique de Carthage qui lui préfère le beau Enée.

Il est le fils d’une nymphe garamantide (peuple mythique s’il en est, ancêtre symbolique des Libyques) et de Zeus-Hammon, c’est-à-dire de Ba‘al, le père des Dieux, associé au Dieu Suprême solaire égyptien Ammon.

Or on sait depuis Hérodote que les Libyens vénèrent en priorité le soleil, comme leurs voisins du Nil. Et c’est par cette association qu’on commence à l’époque à appeler le promontoire Soloeis de Mazagan ou de Safi, le promontoire de Sol, jusqu’alors consacré à Poséidon.

Il y a également une source du Soleil en Cyrénaïque.

Les libo-phéniciens vénèrent aussi la Lune, appelée Tanit chez les Carthaginois qui, sans doute influencés par les indigènes de l’arrière pays, se sont détournés de la grande Astarté. Elle ressurgira à l’époque romaine comme Cereres, divinité afro-romaine tutélaire.

Cereres est aussi proche d’Athèna, dont le culte est associé à Poséidon dans le golfe de Gabès, où on le retrouve comme Père des Dieux, et père de la déesse.

Ba‘l, enfin est aussi associé tardivement à Kronos et donc à Saturne, et les sanctuaires primitifs, comme celui de Volubilis, lui sont consacré.

B : Atlas

Atlas, le Géant légendaire, condamné à supporter et à faire « rouler » le monde, est associé très tôt au monde Libyque, chez Hérodote vivent à son pied les mythiques Atlantes. Il est donc évident que dès l’âge grec classique, on admet l’association entre la Grande Chaîne divinisée par les Ethiopiens indigènes et le Géant Hellénique.

Hérodote dit ainsi :

Le mont Atlas […] est étroit et rond de tous côtés, mais si haut, qu’il est, dit-on, impossible d’en voir le sommet, à cause des nuages dont il est toujours couvert l’été comme l’hiver. Les habitants du pays disent que c’est une colonne du ciel.

On a dans Virgile la plus belle description de la divinité-montagne :

« Près des limites de l’Océan, là où se couche le Soleil, il est un lieu, aux confins de l’Éthiopie, où le géant Atlas fait tourner sur ses épaules l’axe semé d’étoiles de feu »

Et encore :

« [Mercure] distingue le sommet et les flancs escarpés de l’abrupt Atlas qui  sur le sommet de sa tête soutient le ciel, de l’Atlas, à la cime plantée de pins, ceinte éternellement de sombres nuages, battue par les vents et les orages ; une neige épaisse lui couvre les épaules ; des torrents dévalent, du menton du vieux, à la barbe raide et hérissée de glace. »

Pomponius Mela est légèrement plus prosaïque, il explique l’origine du mythe d’un Géant qui porte le Monde.

« Au milieu des sables s’élève l’Atlas, montagne massive, escarpée, inaccessible, et s’amoindrissant à mesure qu’elle s’élève; et telle est sa hauteur, que sa cime se dérobe aux regards et se perd dans les nues ce qui a fait dire, non seulement que l’Atlas touchait aux astres, mais même qu’il portait le ciel. »

C : Hercule et Milqart

Le culte d’Hercule est relié au culte de Milk-Qart, « Roi de la Cité », Dieu poliade de Tyr et roi mythologique dont le plus évident marqueur sont les fameuses « Colonnes d’Hercule ».

Il est réputé y être venu en quête des Hesperides, placées sur la côte des Syrtes par les « Périples », mais aussi dans la péninsule Tingitane, chez les auteurs greco-latins. Il aurait ainsi retrouvé le fameux jardin aux pommes d’or.

La légende de la conquête militaire du roi Hercule nous vient sans doute du mythe phénicien. Confronté au roi de Libye Antée, qui régnait depuis Tanger (dont on a vu qu’en dépit des géographes, elle n’est pas si ancienne) à en croire les informateurs de Plutarque qui rapportent que ce sont les indigènes Metagonites qui associèrent d’eux même un Géant de leur propre univers légendaire au personnage grec d’Antée lors de la venue de Sertorius.

Comme preuve de ce fait, repris par les géographes, le fameux tombeau d’Antée, une colline située non loin de Lixos (plus probablement à l’origine l’antique cité du roi mythique), définie comme un Tumulus dont le général romain aurait exhumé les ossements, mais aussi le fameux bouclier géant conservé par les Tingitans.
Hercule et Antée

Le mythe grec rapporte qu’Heraklès l’aurait provoqué en duel dans son palais (donc à Tanger) et n’aurait pu le vaincre qu’en le soulevant.

Au passage, on attribue l’ouverture du détroit des « colonnes » à son œuvre, il aurait ainsi permis au Dieu Okéanos, père des Néréides et des Hespérides, à s’immiscer au cœur de l’Oekoumène, et de séparer la Libye de l’Europe.

Salluste nous assure que la croyance en une mort d’Hercule en Espagne est une « croyance africaine ». On lui associe un culte local, sans doute au Melqart maure, même si jusqu’alors, le promontoire du cap Spartel était appelé promontoire d’Hermès.

Les colonnes sont parfois définies comme les promontoires de Gibraltar et de Ceuta, mais plus fréquemment comme les deux montagnes d’Abyla et de Calpé, qui sont décrites comme très élevées, Abyla ne serait autre que le Jbel Moussa. A côté, une légende locale est vouée à une longue postérité, 7 frères, enterrés sous 7 tumuli géants, donnèrent leur nom au promontoire de Ceuta : Septem Fratres.

D : La Divination Maurusienne

On apprend chez Virgile que les Maurusiens sont les spécialistes de la magie, et on sait par Procope de Césarée (sur lequel nous reviendrons) que le divination chez les maures est une affaire de femmes, d’oracles sur le modèle pythiques. Didon emploie donc les services d’une grande prêtresse afin de détourner la fureur de Hiarbas, elle convoque à elle les Esprits et les Mânes Nocturnes. Hérodote associe également la divination chez les Nasamons au culte des Ancêtres, encore présent dans la culture Maure à l’époque d’Augustin.

E : Mythes Fondateurs

Dans Salluste on apprend que les Africains de l’époque romaine se considèrent descendre deux groupes parents, les pacifiques Libyens de la côte et les farouches Gétules de l’intérieur, que certains Libyens se mêlèrent aux Mèdes, qui par corruption aurait donné son nom aux Maures, mais aussi la forme de leurs bateaux aux cases maurusiennes.

Les Perses s’unirent aussi aux libyques côtiers (dont pourtant Hérodote nous rapporte qu’ils n’avaient cures des Achéménides, même si par ailleurs il observe les similarités de comportement avec les Massagètes de Transoxiane), aux Arméniens et aux Mèdes et les Gétules aux Perses « nomades ».

Cette association est issue d’un récit en Punique du roi Massul- Hiempsal, contemporain de Sertorius.

Il explique surtout que les Numides (« nomades ») sont issus de la génération des fils qui, jaloux de leur pères, ont fondé en migrant leurs propres entités politiques, en conquérant notamment les pacifiques Lybiens de la côte (ceux qu’Hérodote appelait les « laboureurs »).

Cette construction politique légendaire reflète peut être la nécessité pour les Gétules récemment sédentarisés en marge du monde mauruso-numide de se présenter comme les ancêtres des numides. Il s’agit aussi sans doute d’une association proprement phénicienne, qui voit dans l’ennemi Libyque des descendants de l’ennemi Perse de leurs cités d’origines.

En tout état de cause, cette démarche de rechercher une origine orientale aux Africains se reproduira aux périodes chrétiennes et islamiques, nous y reviendrons.

F : Polygamie et alliances matrimoniales

Achevons cette description sur un point fondamental, la logique matrimoniale. Strabon, expliquant les liens maritaux relâchés et multiples des Nasamons, les fait semblables à ce titre aux arabes. Cette approche du couple et de la polygamie se retrouvent de manière répétitive.

Régulièrement, les rois numides et maures épousent les filles de leurs rivaux, ou des femmes de la noblesse carthaginoise, ainsi la femme punique de Syphax, qui, à l’entrée de Massinissa dans son palais de Cirta, épouse le nouvel homme fort du Constantinois, ou encore les alliances de Iugurtha et des rois maures.

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