Mungo Park, Koulikorro, il devient écrivain de Saphi-s, 1799

j’arrivai à Koulikorro, ville considérable et grand marché de sel. Là, je logeai chez un Bambara qui jadis avait été l’esclave d’un Maure et en cette qualité avait été à Aroan, à Towdini (Taoudenni) et dans plusieurs autres endroits du désert. Mais, s’étant fait musulman, et son maître étant mort à Jenné, il avait obtenu sa liberté et s’était établi dans cette ville où il faisait un commerce considérable de sel, d’étoffes de coton, etc. L’usage du monde et des affaires n’avait point affaibli la confiance superstitieuse dont il avait été imbu dans son enfance pour les saphis et les sortilèges. Il n’eut pas plutôt su que j’étais chrétien qu’il pensa à se procurer un saphi. A cet effet, il m’apporta son walha, ou tablette à écrire, me promettant qu’il allait m’apprêter un souper de riz si je voulais lui écrire un saphi pour le protéger contre les méchants. La proposition m’était trop avantageuse pour que je la refusasse. Je remplis donc d’écriture toute la tablette, du haut en bas et des deux côtés. Mon hôte, pour être sûr d’avoir à son usage toute la force du charme, lava l’écriture de dessus la tablette avec un peu d’eau qu’il recueillit dans une calebasse et, ayant dit dessus quelques prières, il avala ce merveilleux breuvage ; après quoi, de peur qu’il lui en échappât un seul mot, il lécha la tablette jusqu’à ce qu’elle fût absolument sèche. Un écrivain de saphis était un personnage de trop grande conséquence pour rester longtemps caché. Cette grande nouvelle fut portée au douty, qui m’envoya son fils avec une demi-feuille de papier, me priant de lui écrire un naphula saphi, c’est-à-dire un charme pour se procurer des richesses. Lui-même m’apporta en présent un peu de farine et de lait. Lorsque j’eus fini le saphi et que je lui eus lu à intelligible voix, il parut fort content de son marché et promit de m’apporter le matin du lait pour mon déjeuner. Quand j’eus fini mon souper de riz et de sel, je me couchai sur une peau de bœuf et je dormis fort tranquillement jusqu’au matin. C’était le premier bon repas que j’eusse fait et la première bonne nuit que j’eusse passée depuis longtemps.