Nous passâmes la nuit autour d’un petit feu, et le lendemain notre situation fut véritablement affligeante. Il nous était impossible de nous procurer des provisions sans les payer, et je savais que si je montrais de la verroterie ou de l’ambre le roi en serait aussitôt informé et me ferait probablement ôter le peu d’effets que j’avais cachés.
Vers le soir, j’étais assis sur le bentang, tristement occupé à réfléchir, lorsqu’une vieille femme esclave passa avec un panier sur la tête. Elle me demanda si j’avais dîné. Comme je crus qu’elle voulait se moquer de moi, je ne lui répondis pas. Mais mon domestique, qui était assis à mes côtés, parla pour moi et lui dit que des gens envoyés par le roi m’avaient dérobé tout mon argent. La bonne femme paraissait extrêmement touchée de mon désastre, mit son panier à terre et, me montrant qu’il contenait des pistaches, elle me demanda si je pouvais en manger. Je lui dis que oui. Aussitôt elle m’en donna quelques poignées, et s’éloigna avant que j’eusse le temps de la remercier d’un secours venu si à propos.
Quoique cet incident fût de peu de conséquence, il me causa beaucoup de satisfaction. Je considérai avec plaisir la conduite d’une pauvre esclave privée d’instruction, laquelle, sans me connaître, n’avait eu besoin pour me secourir que de céder à l’impulsion de son cœur. Elle savait par expérience que la faim était une chose cruelle, et ses propres maux l’avaient rendue sensible à ceux des autres.