M. Park, Procès entre un appelant animiste et un défendeur musulman, 1799

Le troisième jour après le départ de son fils, Tiggity Sego (le gouverneur et frère d roi) tint un palaver (parlement) pour juger une affaire très singulière. J’y assistai, et l’on plaida des deux côtés avec beaucoup d’intelligence et de finesse. Voici de quoi il s’agissait.

Un jeune et riche kafir, récemment marié à une jeune et belle femme, s’adressa à un prêtre buschréen ou musulman, très attaché à sa secte, pour qu’il lui procurât des saphis qui le garantissent des périls de la guerre dont on était menacé. Le buschréen qui faisait profession d’être son ami, lui donna les saphis, et lui dit que pour en rendre la vertu plus efficace il fallait qu’il restât pendant six semaines sans jouir avec sa jeune épouse des droits que lui donnait l’hymen. Quelque rigoureuse que fût cette privation, le jeune homme s’y soumit, sans faire connaître à sa femme le motif qui l’engageait à s’éloigner d’elle.

Cependant on commença bientôt dans Tiesie à se dire tout bas que le buschréen, qui faisait régulièrement ses prières à la porte du kafir, paraissait être avec la femme de ce dernier dans une plus grande familiarité qu’il ne le devait. Ce bruit parvint jusqu’à l’oreille du kafir, mais ce bon jeune homme refusa d’abord de croire à la déloyauté de son dévot ami, et il s’écoula un mois entier avant que les soupçons de la jalousie troublassent son âme. Mais, l’éclat que faisait cette aventure augmentant, il se détermina à interroger sa femme, qui lui avoua naïvement que le buschréen l’avait séduite. Alors le kafir renferma sa femme, et demanda un palaver pour juger la conduite du buschréen qui, étant convaincu du crime dont on l’accusait, se vit condamné à être réduit en captivité et vendu, ou à fournir deux esclaves pour son rachat, si le kafir y consentait.

Mais le kafir, ne voulant pas user de tous ses droits contre son coupable ami, demanda pour toute satisfaction qu’il fût fouetté devant la porte de Tiggity Sego. On y consentit, et la sentence fut aussitôt exécutée. On conduisit le coupable auprès d’un grand poteau, auquel on l’attacha par les mains. Après quoi le bourreau s’arma d’une longue baguette noire, la fit plusieurs fois tourner au-dessus de sa tête, et en frappa le buschréen avec tant de force que ce malheureux poussa des cris qui firent retentir les bois. La foule des spectateurs prouvait par des éclats de rire et par des huées combien elle était satisfaite de la punition de ce vieux séducteur, et ce qu’il y a de très remarquable c’est que le nombre des coups de baguette qu’il reçut fut précisément le même que celui qui est ordonné par la loi de Moïse, quarante moins un.