M. Park, les “Safi” ou Porte-Bonheurs, 1799

Après 3 heures de marche, nous arrivâmes à Konjour, petit village où nous nous déterminâmes à passer la nuit. J’achetai là un très beau mouton pour quelques grains de verroterie. Les Serawoullis de ma suite le tuèrent avec toutes les cérémonies prescrites par leur religion, et nous en fîmes cuire une partie pour notre souper. Une dispute s’éleva alors entre un des Serawoullis et mon interprète Johnson. Le premier prétendait que, comme il nous avait servi de boucher, les cornes du mouton lui appartenaient. L’autre soutenait le contraire. Je terminai le différend en leur donnant une corne à chacun.

Je fais mention de ce léger incident, parce qu’il me donne occasion de faire connaître un des usages de ces contrées. Les cornes qui faisaient l’objet de la dispute étaient du nombre de celles qu’on estime beaucoup, attendu qu’on en fait aisément des espèces d’étuis dans lesquels on renferme des charmes ou amulettes, que les Nègres appellent saphis et qu’ils portent constamment sur eux. Ces saphis sont des versets du Koran, que les prêtres mahométans écrivent sur de petits morceaux de papier, et vendent aux Nègres, et ceux-ci ont la stupidité de croire que ces morceaux de papier possèdent une vertu extraordinaire. Il y a des Nègres qui les portent pour se préserver de la morsure des serpents ou des crocodiles, et alors le saphi est ordinairement enveloppé dans un morceau de peau de serpent ou de crocodile et attaché au bas de la jambe. D’autres s’en servent en temps de guerre, dans l’idée que cela peut les mettre à l’abri de l’atteinte des armes de leurs ennemis. Mais, ce qui fait surtout employer les saphis, c’est qu’on croit qu’ils préviennent et guérissent les maladies, qu’ils empêchent qu’on n’éprouve la faim et la soif, et que dans toutes les circonstances ils attirent sur celui qui les porte la bienveillance des puissances célestes.

Je crois que dans toutes les parties de l’Afrique on porte de semblables charmes ou amulettes, sous les noms de dominis, de grigris, de fétiches.

Il est impossible de ne pas admirer en cela combien la superstition est contagieuse. Quoique la plupart des Nègres soient païens et rejettent absolument la doctrine de Mahomet, je n’en ai pas vu un seul, soit buschréen, soit kafir, qui ne fût pleinement persuadé du pouvoir des amulettes. La cause en est que tous ceux de cette partie de l’Afrique considèrent l’art d’écrire comme une espèce de magie. Ce n’est donc point dans les sentences du prophète, mais dans le talent du magicien, qu’ils placent leur confiance. On verra, par la suite, que dans des circonstances très fâcheuses je fus assez heureux pour pouvoir me servir avec avantage de cette sorte de préjugé.