Procope de Césarée, De Aedificis Iustiniani, v. 550 n-è

Bas-Khâbûr :

1. Il y a dans la Mésopotamie, à l’endroit ou le fleuve Aborras se décharge dans l’Euphrate, un fort nommé Circésion, qui relève des Romains, & qui fut autrefois construit par l’Empereur Dioclétien. Mais Justinien voyant qu’il avait été tellement ruiné par le temps; qu’il était abandonné, le rebâtit, & en fit une ville fort grande, & fort considérable. On ne l’avait pas enclos tout à fait de murailles au temps de Dioclétien, mais seulement jusques sur le bord de l’Euphrate, où l’on avait élevé deux tours aux deux côtés dans la croyance que ce fleuve le défendrait assez de ce côté-là. L’Euphrate ayant miné par la suite du temps le pied de la tour qui était du côté de Midi, de telle sorte qu’elle semblait prête à tomber à moins qu’on la réparât promptement, Justinien, à qui Dieu avait réservé la gloire d’être le restaurateur de toutes les parties de l’Empire, soutint la tour, & continua la muraille le long de l’Euphrate. Il en éleva une autre en dehors, à l’endroit où les deux fleuves se rencontrent, & il rendit la place imprenable. De plus il y laissa une sorte garnison sous un vaillant commandant. Il répara encore le bain public qui ne pouvait plus servir, & il l’embellit de tous les ornements qu’il a maintenant. Le cours de la rivière ayant affaibli, par la suite des années, l’Edifice qui avait été bâti au dessus des fourneaux, Justinien le fit réparer de telle sorte que l’eau ne le peut plus endommager, & il conserva de la sorte le divertissement du bain à la garnison.*

2. Il y a ensuite un vieux château nommé Anucas, dont Justinien ayant trouvé les murailles à demi-ruinées il les rétablit avec une telle magnificence, qu’elles ne cèdent en rien aux fortifications des plus grandes villes. Il répara de même façon tous les forts qui sont aux environs de Théodosiopole, si bien qu’au lieu qu’ils faisaient autrefois pitié, ils impriment aujourd’hui de la terreur. En voici les noms. Magdalat avec deux autres petits. Le grand, & le petit Tannurion ; Bismidéon, Témére, Bidame, Dausare, Thiolle, Philas, Zamarthe & d’autres. Il y avait près da grand Tannurion un endroit dont les Sarrasins, ennemis irréconciliables des Romains, pouvaient aisément s’emparer en traversant le fleuve Aborras, & en gagnant ensuite une montagne & une forêt qui étaient proches. Justinien leur ferma l’entrée de ce coté-là par le moyen d’un fort qu’il y bâtit de pierres dures & d’une garnison qu’il y établit.

Halabyia :

1. Après avoir décrit ces ouvrages que Justinien a fait faire dans la Mésopotamie & dans l’Osrhoène. Il est à propos de considérer la Province qui est à la droite de l’Euphrate. Par tout ailleurs, lesRomains & les Perses habitent dans le voisinage les uns des autres le long de leurs frontières, & en sortant de leur pays, ilsse trouvent aussitôt dans le pays ennemi, soitqu’ils y aillent pour y exercer des actes d’hostilité, ou pour y faire trafic de leurs marchandises. Mais dans le pays qu’on appelait autrefois Comagène & qu’on appelé aujourd’hui Euphratèse, ils n’en usent pas de la même sorte, parce qu’ils sont séparés par une vaste étendue de terres désertes, qui ne produisent rien qui puisse être le prix, ou le sujet de la guerre. Les uns &les autres ont élevé divers forts de terre, chacun au côtéde ce désert qu’ils habitent : mais ces forts n’ont jamais souffert d’attaque, parce qu’ils n’ont jamais rien enfermé qui fut digne de l’envie des ennemis. Dioclétien y en avait autrefois fait bâtir trois, l’un, desquels s’appelait Mambri. Mais comme le temps l’avait presque ruiné, Justinien le répara.

Zenobie

2. Zénobie, femme d’Odonat, prince des Sarrasins, fonda autrefois à cinq miles de ce fort une ville, qu’elle appela de son nom ; mais comme le temps en avait ruinées les fortifications; & que les Romains n’avaient pas pris le soin de les retirer, elle était devenue déserte ce qui était cause que les Perses faisaient des courses quand ils voulaient & qu’ils prévenaient par leur vitesse le bruit de leur marche. Justinien rebâtit entièrement cette ville, la peupla d’habitants, y fit de bonnes fortifications, y établit une puissante garnison, &la rendit un des boulevards de l’Empire. Il ne se contenta pas desidées de ceux qui l’avaient bâtie dans le commencement, il en chercha d’autres pour la rendre plus forte qu’elle n’avait jamais été. Comme les rochers qui l’environnent pouvaient donner moyen à des assiégeants de tirer sur ceux oui défendaient lesmurailles, il inventa certains ouvrages qu’on appelé des Aîles, parce qu’ils sont étendus pour couvrir les soldats. Il n’y a point de discours qui puisse dignement exprimer les avantages que ce Prince a procurés à cette ville, en la fortifiant avec d’autant plus de soin que les autres, qu’elle était plus éloignée de secours, & plus exposée au danger. Je ne laisserai pas néanmoins d’en marquer une partie.

3. L’Euphrate coule le long de la ville de Zénobie, du côté d’Orient, mais comme il est pressé par de hautes montagnes, &qu’il n’a pas d’espace pour s’étendre, lorsque les pluies le grossissent, il s’élève jusqu’au haut des murailles, sépare les pierres, les ébranle, & en rompt la structure. Justinien fit construire une chaussée d’une longueur égale à telle de la muraille, &réduisit ce fleuve à écumer inutilement, sans pouvoir faire aucun dommage, ayant reconnu qu’il y avait du côté de Septentrion une partie de la grande muraille qui menaçait de ruine, il la fit abattre, de même que le petit mur, & ensuite rebâtir sur un plus beau & plus vaste dessin que n’était le premier : car comme les maisons étaient trop étroites, & qu’elles déplaisaient pour ce sujet aux habitants, il accrut la ville.

4. De plus, comme il y avait du côté d’Occident une colline dont les Barbares se pouvaient aisément emparer, & ensuite tirer de dessus jusqu’au milieu de la ville, Justinien l’enferma dedans, & fit escarper les côtés, &bâtir un mur au dessus, de telle sorte qu’il n’y avait plus d’endroit par où les ennemis pussent venir, le terrain qui est au dessous de la colline étant trop bas, & les montagnes qui sont du côté d’Occident étant trop éloignées.

5. L’Empereur ne se contenta pas de pourvoir de la sorte à la sureté de cette ville, il contribua encore à son ornement en bâtissant de magnifiques églises, des bains publics, des galeries, & des logements pour les soldats. Il se servit pour ces ouvrages de deux architectes, dont l’un qui était de Constantinople se nommait Jean, & l’autre qui était Milésien se nommait Isidore, & était neveu de l’autre Isidore dont j’ai ci-devant parlé. Quoi qu’ils ne fussent que dans la fleur de la jeunesse, ilsne laissaient pas d’être fort habiles, & d’avoir une grande expérience.

Rusafa

 

2. Il y a dans l’Euphratèse une Eglise de Saint Serge, qui est honoré avec tant de piété par ceux du pays, qu’ils ont donné son nom à leur ville, en l’appelant Sergiopole; ils l’avaient autrefois entourée d’une muraille qui était fort basse & qui n’était qu’aussi forte qu’il fallait pour soutenir l’attaque des Sarrasins : car ils ne savent point faire de sièges, & une muraille de boue suffit pour les arrêter. Depuis ce temps-là l’Eglise est devenue fort célèbre par la richesse de ses ornements, ce qui a porté Justinien à entourer la Ville d’une muraille très solide, à amasser de l’eau dans les réservoirs, à y bâtir des maisons, desportiques, des galeries & d’autres ouvrages semblables, qui contribuent plus que les autres à la décoration des villes. Chosroès brûlant autrefois d’envie de la prendre, l’assiégea avec une puissante armée, mais la solidité des murailles, & des tours l’obligea à lever le siège.

Palmyre

 

5. Voila comment il procura la sureté, & le bonheur des Syriens. Il y a en Phénicie, qui est proche du Liban, une ville nommée Palmyre, qui a été autrefois bâtie dans un désert en une situation fort commode pour observer les Sarrasins qui sont nos ennemis, & pour découvrir les courses qu’ils font sur nos terres. Comme elle était presque ruinée par le temps, Justinien l’a réparée, y a mis une puissante garnison, l’a pourvue d’eau, & a réprimé par ce moyen les irruptions de ces peuples.