Oussama b. Munqidh

Mystérieuses sont les œuvres du Créateur, l’auteur de toutes choses ! Quand on en vient à relater des cas concernant les Francs, on ne peut que glorifier Dieu (exalté soit-il!) Et le sanctifier, car il les considère comme des animaux possédant les vertus du courage et du combat, mais rien d’autre ; tout comme les animaux n’ont que des vertus de la force et de porter des charges :

Je vais maintenant donner quelques exemples de leurs actions et leur curieuse mentalité.

L’invitation de mon fils :

Dans l’armée du roi Foulques, fils de Foulques, était un chevalier franc qui venait d’arriver de leurs terres afin de faire le saint pèlerinage avant de retourner chez eux. Il était de mes intimes et était resté constamment auprès de moi si bien qu’il a commencé à m’appeler «mon frère». Il y avait entre nous des obligations mutuelles d’amitié. Quand il se résolut à rentrer par mer dans sa patrie, il me dit:

“Mon frère, je pars pour mon pays et je voudrais que tu le laisse ton fils (mon fils, qui était alors âgé de 14 ans, était à ce moment-là de mon voyage ) dans notre pays, où il pourra voir les chevaliers et apprendre la sagesse et la chevalerie. Lorsqu’il reviendra, il sera un homme sage.”

Ainsi, tombèrent sur mes oreilles des paroles qui ne serait jamais sorti de la tête d’un homme de bon sens, car, même si mon fils devait être fait prisonnier, sa captivité ne pourrait pas lui apporter pire malheur que de le porter en terre des Francs. Cependant, je répondit à cet homme:

Par ta vie, j’avais l’exacte même idée, la seule chose, pourtant, qui m’a empêché de la concrétiser était que sa grand-mère, ma mère, l’aime tant et ne me la laissé accompagner qu’en lui prêtant serment de le lui ramener.

Alors il demanda: « Ta mère est-elle encore en vie?” ” “Oui.”répondis-je . “Bien, dit-il, ne lui désobéis pas ! »

La médecine des Francs :

Le seigneur d’al-Munaytira écrivit à mon oncle pour lui demander d’envoyer un médecin pour traiter certains de ses sujets malades. Mon oncle lui envoya son médecin chrétien, appelé Thâbit. Thabit s’absenta 10 jours puis revint à nous… et nous lui dîmes : « Comme tu les as rapidement guéris ! Il répondit alors :

«  Ils ont apporté devant moi un chevalier dont la jambe avait un abcès grossi, et une femme atteinte d’imbécillité. Pour le chevalier j’ai appliqué un petit cataplasme sur l’abcès afin de l’ouvrir et qu’il s’améliore, et la femme que je lui ait prescrit une diète qui a amélioré son humeur.

C’est alors qu’un médecin franc débarqua en s’exclamant : « Cet homme ne sait nullement les traiter.” Il demanda alors au chevalier: « Que préfères-tun vivre avec une seule jambe ou mourir avec les deux ? ” Ce à quoi le chevalier répondit : Vivre avec une seule ! »

Le médecin s’écria : «Apportez-moi un chevalier solide et une hâche tranchante.” Le chevalier arriva avec la hâche, je me trouvai là…

Ensuite, le médecin posa les pieds du patient sur un bloc de bois et dit au chevalier de trancher sa jambe à la hache et en un seul coup. Par conséquent, il l’a frappé un seul coups, alors que je regardais, mais la jambe n’a pas cédée !

Il donna un second coup violent, qui fit couler la moelle de la jambe du patient qui décéda sur le coup. Il a ensuite examiné la femme et dit: « Il s’agit d’une femme dont un démon tente de s’emparer. Rasez-lui les cheveux.”

Ils les lui rasèrent et la femme retourna une fois à son régime ordinaire d’ail et de moutarde, et sa débilité ne fit qu’empirer, ead.” Le médecin dit alors: «Le diable a pénétré sa tête » Sur quoi il empoigna un rasoir, et fit une incision cruciforme et profonde, avant de peler sa peau au niveau de l’incision jusqu’à l’os du crâne, qui fut exposé et frotté avec du sel. La femme expira instantanément. Je leur ai alors demandé si mes services n’étaient plus nécessaires, et lorsqu’ils me répondirent par la négative je rentrai chez moi, ayant appris de leur médecine ce

[…]

Le fanatique du Temple :

Une preuve de la dureté des Francs, (que Dieu les flétrisse !), est ce qui m’arriva lorsque je visitai Jerusalem (v.1140) ; […] Lorsque j’entrai dans la M al-Aqçâ, occupée par les Templiers, mes amis, ils m’assignèrent une petit mosquée transformée en église pour mes prières. Un jour, j’y entrai, je fis le Takbir, plongé dans ma prière, un Franc se rua sur moi, m’empoigna et me tourna la face vers l’Orient : »C’est ainsi qu’on prit » s’exclama-t-il. Les templiers se précipitèrent sur lui, se saisirent de sa personne et l’expulsèrent. Je repris ma prière, pourtant, échappant à leur surveillance, le même homme fondit à nouveau sur moi et me retourna le visage vers l’Est, répétant : « C’est ainsi qu’on prie ! ». Les templiers s’élancèrenbt à nouveau sur lui et l’expulsèrent puis vinrent s’excuser : « C’est un étranger, il est arrivé récemment du pays des Francs, il n’a jamais vu prier personne qui ne fut tourné vers l’Orient ! » Je répondis : « j’ai assez prié », je sortis, en constatant combien ce démon avait le visage décomposé, comme il tremblait et quelle impression il avait ressentie à voir quelqu’un prier en direction de la Qibla !

« Les Francs ignorent le sentiment de jalousie »

L’un d’eux peut se promener avec sa femme, rencontrent-ils un autre homme qui prend sa femme par la main et s’écarte pour converser avec elle, le mari l’attend, sur le côté qu’ils aient finit leur conversation ; si elle s’attarde trop longtemps pour lui, il la laisse là et s’en va !

Quand j’avais l’habitude de visiter Naplouse, je prennais toujours domicile chez un homme nommé Mu’izz, dont la maison était une auberge pour les musulmans. La maison avait des fenêtres qui ouvraient sur la rue, et il y avait en face d’elle de l’autre côté de la rue, une maison appartenant à un Franc qui vendait du vin pour les marchands. Il prenait un peu de vin dans une bouteille et faisait le tour pour annoncer en criant: « Oyé, le vendeur vient d’ouvrir un tonneau plein de ce vin. A celui qui veut en acheter, il se trouve à tel ou tel endroit. » La paie pour cette annonce était le vin dans la bouteille.

Un jour, ce franc rentra chez lui et trouva un homme avec sa femme dans le même lit. Il lui demanda:

« Comment avez-vous pu entrer dans la chambre de ma femme? »

– j’étais épuisé et je me suis allongé ici… » 

-Mais comment  es-tu entré dans mon lit ? »

-J’ai trouvé le lit fait, alors j’y ai dormi ! »

– Mais, ma femme a dormi avec toi !? »

-Eh bien, c’est son lit, comment pourrais-je l’empêcher d’utiliser son propre lit? »

– Par la vérité de ma Loi, si tu le refais, nous aurons à nous battre ! »

Telle fut toute l’expression de désaprobation du Franc et la limite de sa jalousie.

Aux thermes de Ma ‘arat:

Nous avions chez nous un baigneur, nommé Sâlim, originaire de Ma‘arrat an-Nu‘mân, employé au service de mon père […], il nous dit un jour : « J’avais installé des bains à Ma‘arat, pour en vivre, un chevalier Franc y entra, or ils ont une répugnance contre notre usage d’avoir au bain le caleçon serré à la ceinture. Mon client étendit la main et détacha mon caleçon et le jeta ; il me découvrit alors, or j’avais, il y a peu de temps, rasé mes poils pubiens ; […] il étendit la main sur mon pubis et dit : « Sâlim, c’est magnifique ! Par la Vérité de ma Loi, fais-en moi autant ! » Il s’étendit sur le dos, et la partie du corps dont il s’agissait ressemblait chez lui à sa barbe. Je lui rasai ce membre. Il y passa la main et s’apperçut que la peau y était devenue lisse. Il me dit alors : « O Sâlim, par ta Loi, je t’en conjure, fais cette même opération à la Dâmâ ! » Or, dans leur langue, la Dâmâ est l’épouse. […] Il envoya un de ses serviteurs prévenir la Dâmâ pour qu’elle vint […] et la fit entrer, à son tour, elle s’allongea sur le dos. […] Je lui rasais ces mêmes poils, pendant que son mari était assis, me regardant faire. Celui-ci me remercia et me remit ensuite le salaire pour ma peine.

Considérez cette contradiction absolue, voilà des hommes sans jalousie et sans point d’honneur, mais doués d’un grand courage, qui, en général, tire son origine uniquement […] du soucis que l’on a à éviter toute atteinte à sa réputation !

Aux Thermes de Tyr :

Je suis entré aux thermes, à Tyr et pris ma place dans une partie isolée. Un de mes esclaves me dit-alors: « Il y a avec une femme dans le bain » En sortant, je m’asseyai sur un banc de pierre et voilà que la femme qui était dans la salle de bain était sortie toute habillée et se tenait avec son père juste en face de moi. Mais je ne pouvais pas être sûr que c’était une femme ». Je demandai alors à un de mes compagnons: « Par Dieu, vas voir si c’est une femme ! », ce qui signifiait qu’il devait demander à son sujet… Mais il y alla, alors que je le regardais, souleva sa robe et l’examina attentivement ; sur quoi son père se tourna vers moi et me dit: « C’est ma fille. Sa mère est morte et elle n’a personne pour lui laver les cheveux. Je l’ai donc amenée pour le bain et laver sa tête.” Je répondis : « Tu as bien fait, c’est une chose pour laquelle tu Dieu te récompensera ! »

La justice des Francs :

Je suis allé en compagnie du Amîr Mu‘in ad-Din […] à Jérusalem. Nous nous arrêtâmes à Naplouse. Là, un aveugle, musulman, encore jeune et bien habillé, se présenta devant le Amir avec des présents pour lui et lui demanda la permission d’être admis dans son service à Damas, ce à quoi il consentit. Je m’enquis à son propos et on m’informa que sa mere avaitr é pousé un Franc et l’avait tué. Son fils avait coutume de pratiquer des ruses contre les pélerins francs et coopérait avec sa mère pour les assassiner. Des plaintes furent finalement déposées contre lui et la cause fut jugée par la procédure franque.

Ils avaient installé un énorme tonneau rempli d’eau en travers duquel ils avaient placé une planche de bois.Ils saisirent ensuite les bras de l’homme en cause, attachèrent une corde autour de ses épaules et le jettèrent dans le tonneau, leur idée étant que, au cas où il serait innocent, il s’enfoncerait dans l’eau et il devraient alors le tirer avec la corde pour qu’il ne se noie pas, et au cas où il aurait été coupable, il aurait flotté sur l’eau. Cet homme fit de son mieux pour couler […] mais n’y parvenait pas. Aussi eut-il à se soumettre à leur sentence (que la malédiction de Dieu soit sur eux!) Ils lui percèrent les prunelles avec des aiguilles chauffées à rouge !

Plus tard l’homme arriva à Damas. Le Amir Mu’in-al-[…] lui assigna un bon traitement pour satisfaire à tous ses besoins et dit à un de ses esclave :

« Conduisez-le à Burhan ad-Din al-Balkhi […] et qu’il lui soit demandé en mon nom que quelqu’un lui enseigne le Qur’ân et des éléments de Fiqh »

Entendant ceci, l’aveugle s’exclama :

« Que le triomphe te la Victoire soient à toi ! mais telle n’a jamais été mon souhait ! »

-Que pensais-tu que j’allais faire de toi ? demanda Mu‘in-ad-Din. »

-Je pensais que tu allais me donner un cheval, un mulet et une armure et me faire chevalier. »

– Je n’ai jamais imaginé qu’un aveugle pouvait devenir chevalier.

Le Poulain d’Antioche :

Parmi les Francs il s’en trouvent qui se sont acclimaté et sociabilisés avec les musulmans. Ils sont bien meilleurs que les immigrants récents des terres franques. Mais ils constituent l’exception et ne peuvent être définis comme règle.

J’envoyai un de mes hommes à Antioche pour affaires. Il y avait à Antioche à cette époque le Râ’is Theodore Sophien (‘Atâ Allah Sufyân), avec qui j’étais lié par amitié réciproque. Il était d’une influence supérieure à Antioche. Il dit un jour à mon client : “Je suis invité par un ami Franc. Tu devrais venir avec moi pour voir leurs coutumes. “

Mon client rapporta l’histoire en ces termes :

Je suis allé avec lui et nous sommes arrivés à la demeure d’un chevalier qui appartenait à l’ancienne catégorie des chevaliers venus avec les premiers raids Francs. Il était alors radié du registre et exempté de service, et possédait à Antioche une rente duquel revenu il vivait. Le chevalier nous présenta une excellente table, avec de la nourriture très propre et délicieuse. Voyant que je m’abstenait de manger, il dit :

«Mange ! Fais bonne chère ! Je ne mange jamais de plats francs, et j’ai une cuisinière égyptienne et ne mange rien sauf ces repas ! D’ailleurs, le porc n’entre jamais dans ma maison.” Je mangeai, mais prudemment, puis nous nous sommes quittés.

Je passais sur le marché et une femme franque s’accrocha tout à coup à mes vêtements et commença à me murmurer des mots de leur langue, que je ne comprenais pas. Ce qui me mit immédiatement au centre d’une grande foule de Francs. J’étais persuadé que ma mort était proche. Mais tout à coup le même chevalier approcha. En me voyant, il s’approcha et demanda à cette femme :

« Quelle est l’affaire qui te lies à ce musulman ? »

-C’est lui qui a tué mon frère Hurso”.

Cet Hurso était un chevalier d’Apamée tué par quelqu’un de l’armée de Hamâ. Le chrétien la frappa et dit :

« C’est un bourgeois qui n’a jamais combattu ni même assisté à un combat. »

Il a également réprimandé les gens assemblés, et tous se dispersèrent. Puis il me prit 

Puis il me prit par la main et nous nous en allâmes. Ainsi, par ce repas j’ai été délivré d’une mort certaine.