Thucydide, VI, 1-5, Histoire des peuplements de la Sicile, v. 410 av. n-è

Le même hiver, les Athéniens conçurent le projet de retourner en Sicile avec des forces supérieures à celles de Lakhès et d’Eurymédôn et de soumettre, s’ils le pouvaient, l’île à leur domination. La plupart d’entre eux ignoraient la grandeur de l’île et le nombre de ses habitants, Grecs et Barbares. Aussi ne se rendaient-ils pas compte que la guerre qu’ils entreprenaient comportait à peu de chose près autant de difficultés que celle du Péloponnèse.

Un navire de commerce ne met guère moins de 8 jours pour faire le tour de l’île. En dépit de ses grandes dimensions, elle n’est séparée du continent que par un bras de mer large tout au plus de 20 stades.

2. – Voici quels furent primitivement ses habitants et les différents peuples qui l’occupèrent. Les Cyclopes et les Lestrygons passent pour avoir été les plus anciens habitants d’une partie de l’île. Pour moi, il m’est impossible de dire à quelle race ils appartenaient, d’où ils venaient et où ils se sont retirés. Il faut se contenter de ce qu’ont dit d’eux les poètes et des détails qui sont connus de tous.

Après eux les Sikanes, semble-t-il, y ont formé les premiers établissements. C’est du moins ce qu’ils affirment et, comme ils se prétendent autochtones, ils auraient même été les tout premiers. Mais il est établi que c’étaient des Ibères, chassés par les Lygiens des bords du fleuve Sikanos en Ibérie. C’est d’eux que l’île, qui s’appelait Trinakria, tira son nom de Sikanie. Aujourd’hui encore ils habitent l’ouest de la Sicile.

Après la prise d’Ilion, des Troyens, pour échapper aux Akhéens, arrivèrent par mer en Sicile et s’établirent aux confins des Sikanes ; tous ces peuples prirent le nom d’Elymes ; leurs villes sont Eryx et Egeste. Il vint se joindre à eux quelques Phôkidiens que la tempête avait au retour de Troie jetés sur les côtes de Libye et de là en Sicile.

Des Sicules, primitivement installés en Italie, passèrent en Sicile pour fuir les Opiques. On dit, non sans vraisemblance, qu’ils franchirent le détroit sur des radeaux, en profitant d’un vent favorable. Peut-être employèrent-ils un autre moyen. Aujourd’hui encore, il se trouve en Italie des Sicules. Ce pays a pris son nom d’un roi Sicule, nommé Italos.

Arrivés en Sicile avec des forces considérables, ils bataillèrent contre les Sikanes, les défirent et les repoussèrent vers le sud et l’ouest de l’île. Celle-ci changeant de nom cessa de s’appeler Sikanie et devint la Sicile.

Ils en occupèrent les parties les plus fertiles ; leur arrivée eut lieu environ 300 ans avant la venue des Grecs. Actuellement encore, ils habitent le centre et le nord de l’île.

Des Phéniciens avaient également créé des établissements sur tout le pourtour de la Sicile ; ils s’étaient emparés des hauteurs dominant la mer et des îles voisines de la côte, pour faciliter leur commerce avec les Sicules. Mais après l’arrivée en nombre des Grecs en Sicile, ils évacuèrent la plupart de ces établissements et se concentrèrent à Motyè, à Soloïs et à Panormos, au voisinage des Elymes. Ainsi ils pouvaient s’appuyer sur l’alliance des Elymes et ils se trouvaient au point de la Sicile le plus rapproché de Carthage.

Tels furent les peuples barbares qui habitèrent la Sicile.

3.Khalkis fonde Naxos

Les premiers Grecs qui arrivèrent en Sicile furent des Khalkidiens de l’Eubée, conduits par Thouklès. Ils fondèrent Naxos et élevèrent l’autel d’Apollon Arkhégétès, qui se trouve actuellement en dehors de la ville et où les Théôres, partant de Sicile, au moment d’embarquer, offrent les premiers sacrifices.

Corinthe fonde Syracuse :

L’année suivante, Arkhias, qui appartenait à la famille corinthienne des Héraklides, fonda Syracuse ; il avait commencé par chasser les Sicules de l’île qui, maintenant rattachée à la terre, forme l’intérieur de la ville. Par la suite la ville extérieure, réunie à l’autre par un mur, vit s’accroître considérablement sa population.

Naxos-Khalkis fonde Leontion et Katanè

Thouklès et les Khalkidiens, 5 ans après la fondation de Syracuse, partirent de Naxos, firent la guerre aux Sicules, les chassèrent et fondèrent d’abord Léontion, puis Katanè. Les habitants de cette ville choisirent parmi eux comme fondateur Evarkhos.

4. Mégariens fondent Selinonte 100 ans après

Vers la même époque, Lamis, à la tête d’une colonie de Mégariens, arriva en Sicile. Il fonda au delà du fleuve Pantakyas une ville appelée Trôtilos ; par la suite, il s’installa à Léontion et, pendant quelque temps, y partagea le pouvoir avec les Khalkidiens ; mais ils finirent par l’en chasser ; c’est alors qu’il fonda Thapsos, où il mourut.

Les Mégariens, chassés de Thapsos, obéirent à l’appel du roi sicule Hyblôn, qui leur concéda une partie du pays. Ils y fondèrent Mégara d’Hybla.

Après une occupation de 245 ans, ils furent chassés de la ville et de son territoire par Gélôn, tyran de Syracuse. Mais, avant leur expulsion, 100 ans après la fondation de Mégara d’Hybla, ils avaient envoyé Pamillos fonder Sélinonte. C’est Mégare, leur métropole, qui leur avait délégué ce personnage pour présider à la colonisation.

Rhodo-Crétois fondent Gela et Agrigente 108 ans après

Géla fut fondée par Antiphémos de Rhodes et Entimos de Crète ; ils y amenèrent des colons, 45 ans après la fondation de Syracuse. Le fleuve Géla donna son nom à la ville. Mais l’emplacement, où s’élève actuellement la citadelle et qui fut dès le début entouré d’une muraille, s’appelle Lindies. On donna à la ville des institutions doriennes.

Environ 108 ans après sa fondation, les habitants de Géla fondèrent Agrigente, dont le nom vient du fleuve Akragas. Les fondateurs en furent Aristonoos et Pystilos ; on donna à la ville les institutions de Géla.

De Zanklè à Messénè

Des pirates, venus de la ville khalkidienne de Kymè au pays des Opiques, fondèrent Zanklè. Plus tard des gens partis de Khalkis et du reste de l’Eubée vinrent se partager avec eux le territoire. Les fondateurs furent Périérès et Krataeménès, originaires l’un de Kymè, l’autre de Khalkis. Le nom primitif de Zanklè lui avait été donné par les Sicules, parce que l’emplacement de la ville a la forme d’une faux et que le nom de la faux en dialecte sicule est zanklon ; par la suite des Samiens et d’autres Ioniens, qui fuyaient les Mèdes et avaient abordé en Sicile, en chassèrent les habitants.

Peu de temps après, Anaxilas, tyran de Rhegion, chassa les Samiens, installa dans la ville une population mélée et l’appela Messénè, du nom de son ancienne patrie.

5. – Himéra est une colonie de Zanklè, dont les fondateurs furent Eukléidès, Simos et Sakôn. Sa population état en majeure partie khalkidienne, mais il vint s’y adjoindre des bannis de Syracuse, victimes d’une faction politique ; on les appelait Mylétides. La langue qu’on y parlait était un mélange de khalkidien et de dorien ; mais ce furent les institutions khalkidiennes qui y eurent force de loi.

Colonies Syracusaines : Kamarina passe aux Gelo-Agrigentiens

Ils fondèrent Akræ et Kasménè, Akræ 70 ans après Syracuse, Kasménè environ 20 ans après Akræ. Kamarina elle aussi dut sa première fondation aux Syracusains, environ 135 ans après celle de Syracuse. Ses fondateurs furent Daskôn et Ménékôlos. Sa défection servit de prétexte à Syracuse pour faire la guerre aux gens de Kamarina et pour les expulser. Plus tard Hippokratès tyran de Géla se fit donner le territoire de Kamarina comme rançon des Syracusains prisonniers de guerre et fonda à nouveau la ville. Elle fut à nouveau dépeuplée par Gélôn, puis relevée une troisième fois par les habitants de Géla.