Strabon, VI, 2, 6, Etat de la Sicile sous Rome, v. 30 av. n-è

6. Dans l’intérieur de l’île, la ville d’Enna, où est ce fameux temple de Cérès, ne compte plus aussi qu’un petit nombre d’habitants : elle est située sur une montagne entourée de vastes plateaux, tous d’une extrême fertilité. Rien n’a plus contribué à ruiner cette ville que le siège soutenu autrefois dans ses murs par les bandes d’esclaves fugitifs qui formaient l’armée d’Eunus et que les Romains eurent tant de peine à réduire. La même guerre fit beaucoup de mal à Catane, à Tauromenium et à plusieurs autres villes encore.

Partout ailleurs, dans l’intérieur [et sur le littoral] on ne trouverait guère que des habitations de bergers, car il n’y a plus, que je sache, de vrai centre de population, ni à Himera, ni à Gela, ni à Callipolis, ni à Sélinonte, ni à Euboea, etc., toutes villes dont l’origine est grecque, puisqu’elles ont été fondées, Himera par les Zancléens de Mylae, [Géla par les Rhodiens], Callipolis par les Naxiens, Sélinonte par les Mégariens de Sicile, et Euboea par les Léontins.

Quant aux villes fondées par les Barbares, comme était Camici, résidence de ce roi Cocalus chez qui la tradition fait périr Minos assassiné, elles ont aussi pour la plupart complètement disparu. Frappés de cet abandon du pays, de riches Romains se rendirent acquéreurs des montagnes et de la meilleure partie des plaines et livrèrent ces terres à des éleveurs de chevaux, de boeufs et de brebis, leurs esclaves. Mais la présence de cette nouvelle population fit courir plus d’une fois aux Siciliens de grands dangers ; car ces pâtres, qui ne s’étaient d’abord livrés qu’à des actes de brigandage isolés, individuels, finirent par former des bandes qui portèrent la dévastation jusque dans les villes, comme l’atteste l’occupation d’Enna par la bande d’Eunus.

De nos jours, tout dernièrement même, on a amené à Rome un certain Selurus, dit le fils de l’Aetna, parce qu’à la tête d’une véritable armée il avait longtemps couru et dévasté les environs de cette montagne, et nous l’avons vu dans le cirque, à la suite d’un combat de gladiateurs, déchirer par les bêtes. On l’avait placé sur un échafaudage très élevé qui figurait l’Aetna ; tout à coup l’échafaudage se disloqua, s’écroula, et lui-même fut précipité au milieu de cages remplies de bêtes féroces qu’on avait placées au-dessous, mais qu’on avait faites exprès assez fragiles pour que ces bêtes n’eussent aucune peine à les rompre.