Procope, X, Origine des Maures, v. 570 n-è

2. Puisque le plan de notre histoire nous a conduit à parler des Maures, il ne sera pas hors de propos de reprendre les choses de plus haut, et de dire d’où ils sont partis pour venir en Afrique, et de quelle manière ils s’y sont établis.

Lorsque les Hébreux, après leur sortie d’Égypte, atteignirent les frontières de la Palestine, ils perdirent Moyse, leur sage législateur, qui les avait conduits pendant le voyage. Il eut pour successeur Jésus, fils de Navé, qui, ayant introduit sa nation dans la Palestine, s’empara de cette contrée, et, déployant dans la guerre une valeur surhumaine, subjugua tous les indigènes, se rendit facilement maître de leurs villes, et s’acquit la réputation d’un général invincible. Alors, toute la région maritime qui s’étend depuis Sidon jusqu’aux frontières de l’Égypte se nommait Phénicie ; elle avait de tout temps obéi à un seul roi, ainsi que l’attestent tous les auteurs qui ont écrit sur les antiquités phéniciennes. Là, vivaient un grand nombre de peuplades différentes, les Gergéséens, les Jébuséens, et d’autres dont les noms sont inscrits dans les livres historiques des Hébreux. Lorsqu’elles virent qu’elles ne pouvaient résister aux armes du conquérant, elles abandonnèrent leur patrie, et se retirèrent d’abord en Égypte. Mais s’y trouvant trop à l’étroit, parce que, depuis fort longtemps, ce royaume était encombré d’une population considérable, ils passèrent en Afrique, occupèrent ce pays jusqu’au détroit de Cadix, et y fondèrent de nombreuses villes, dont les habitants parlent encore aujourd’hui la langue phénicienne. Ils construisirent aussi un fort dans une ville nommée alors Numidie, qui porte aujourd’hui le nom de Tigisis. Là, près d’une source très abondante, s’élèvent deux colonnes de marbre blanc, portant, gravée en lettres phéniciennes, une inscription dont le sens est: « Nous sommes ceux qui avons fui loin de la face du brigand Jésus, fils de Navé. » Avant leur arrivée, l’Afrique était habitée par d’autres peuples qui, s’y trouvant tirés depuis des siècles, étaient appelés les enfants du pays. C’est de là qu’on a donné le nom de fils de la terre à Antée, leur roi, avec lequel Hercule soutint une lutte à Clipea.

Dans la suite, ceux qui émigrèrent de Phénicie avec Didon allèrent retrouver les habitants de l’Afrique, qui leur étaient unis par la communauté d’origine, et, avec leur consentement, ils fondèrent Carthage, et s’y établirent. Ces Carthaginois étant devenus dans la suite des temps puissants en nombre et en richesses, firent la guerre à leurs voisins, qui, comme nous venons de le dire, étaient les premiers arrivés de Palestine, et qu’on appelle aujourd’hui les Maures, les battirent en plusieurs rencontres, et les forcèrent à transporter leurs foyers bien loin de Carthage. Plus tard, les Romains, après avoir subjugué les uns et les autres, assignèrent pour demeures aux Maures les régions les plus éloignées de l’Afrique habitable, et soumirent au tribut les Carthaginois et les autres peuples libyens. Enfin les maures, après avoir souvent défait les Vandales, s’emparèrent du pays nommé aujourd’hui Mauritanie, qui s’étend depuis le détroit de Cadix jusqu’à la ville de Césarée, et de la plus grande partie du reste de l’Afrique.