Polybe, Hiéronyme, son père Gélon et son grand-père Hiéron II, v. 200 av. n-è

Quelques historiens qui ont écrit la mort d’Hiéronyme, ont, pour exciter l’étonnement, employé une profusion de descriptions verbeuses, soit qu’ils rapportent les prodiges qui ont précédé et annoncé sa tyrannie ainsi que les maux des Syracusains, soit qu’ils fassent un détail exagéré, à la manière des poètes tragiques, de la cruauté de son caractère, de ses actions impies, et enfin des événements inaccoutumés et atroces qui se sont passés à sa mort; au point que l’on croirait que ni les Phalaris, ni les Apollodore, ni aucun des tyrans qui ont existé, ne l’ont surpassé en cruauté. Et cependant ce prince était encore enfant lorsqu’il monta sur le trône, et il ne régna pas plus de treize mois, au bout desquels il mourut. Or, dans cet espace de temps il a certainement pu arriver que l’un ou l’autre ait été livré à la torture; que quelques-uns de ses propres amis ou du reste des Syracusains aient été mis à mort; mais quant à cette cruauté particulière à Hiéronyme , quant à cette impiété inouïe qu’on lui attribue, elles sont peu croyables. Il faut, il est vrai, reconnaître complètement qu’il était d’un caractère léger et injuste; mais cependant on ne peut le comparer à aucun des tyrans que j’ai cités précédemment. Les auteurs qui écrivent des histoires particulières, n’ayant à traiter que des sujets courts et resserrés dans d’étroites limites, sont, je le crois, forcés, par la disette de faits qui les accable, d’exagérer des choses de peu d’importance, et de faire de longs récits d’autres faits qui ne méritaient pas même d’être mentionnés. D’autres historiens tombent aussi dans le même défaut pal marque de jugement. Combien, avec plus de justesse et d’éloquence, n’aurait-on pas pu écrire plutôt sur Hiéron et Gélon, en passant sous silence Hiéronyrne, de ces réflexions, que l’on ajoute comme complément au récit historique pour remplir les livres? Ce sujet aurait été bien plus agréable et plus utile aux hommes avides de lire et de s’instruire.

En effet, Hiéron parvint d’abord à régner sur les Syracusains et leurs alliés par son propre mérite ; car la fortune ne lui avait donné ni la richesse, ni un nom illustre, ni aucun autre bien. En outre, son plus grand titre à notre admiration, c’est qu’il devint roi des Syracusains par la force seule de son génie, sans mettre à mort aucun citoyen, sans en envoyer aucun en exil et sans faire de tort à personne.

Une chose non moins admirable, c’est que non seulement il acquit ainsi le trône, mais que ce fut encore par les mêmes moyens qu’il le conserva. Pendant cinquante-quatre ans que dura son règne, il procura à sa patrie une paix constante, et à lui une existence exempte de toute crainte de conspirations, et parvint même à échapper à l’envie qui s’attache ordinairement à tout ce qui est grand. et noble. Souvent il voulut abdiquer le pouvoir, mais il en fut toujours empêché par tous les citoyens en masse. Comme il se montrait très libéral envers les Grecs, et très avide de s’acquérir de la gloire chez eux., il obtint ainsi pour lui une grande célébrité et pour les Syracusains un grand sentiment de bienveillance de la part de tous. Enfin, vivant au milieu de toutes les délices que procure l’abondance de tous les biens et des richesses immenses, il prolongea cependant son existence au-delà de quatre-vingt-dix ans, et conserva tous ses sens et tous ses membres sains et valides ; ce qui; à mon avis, est la preuve la plus certaine de tempérance.

Quant à Gélon, pendant tout le cours de sa vie, qui fut de plus de cinquante ans, il se proposa, comme le but le plus noble qu’il put atteindre, d’imiter son père, et de ne pas faire plus de cas des richesses, de la majesté royale, ni d’aucun autre bien, que de la tendresse et de la confiance que l’on doit aux auteurs de ses jours.