Plutarque, Sertorius, 9-10, Description des Iles Canaries par les commerçants Gadériens, v. 110 n-è

Étant parti de là, il passa le détroit de Cadix, et, tournant à droite, il prit terre sur les côtes d’Espagne, un peu au-dessus de l’embouchure du fleuve Bétis, qui, se déchargeant dans la mer Atlantique, donne son nom à la partie de l’Espagne qu’il arrose.

Il y rencontra des patrons de navires qui arrivaient tout récemment des îles Atlantiques. Ce sont deux îles séparées l’une de l’autre par un espace de mer fort étroit et éloignées de l’Afrique de 10 000 stades ; on les appelle les îles Fortunées. Les pluies y sont rares et douces ; il n’y souffle ordinairement que des vents agréables, qui, apportant des rosées bienfaisantes, engraissent la terre, et la rendent propre non seulement à produire tout ce qu’on veut semer ou planter, mais encore à donner spontanément d’excellents fruits, et avec assez d’abondance pour nourrir, sans travail et sans peine, un peuple heureux qui passe sa vie au sein du plus doux loisir. La température des saisons, dont les changements sont toujours modérés, y entretient un air pur et sain. Les vents de nord et d’est, qui soufflent de notre continent, ne tombant sur cette vaste mer qu’après avoir parcouru un espace immense, se dissipent dans cette vaste étendue, et ont perdu toute leur force lorsqu’ils arrivent dans ces îles. Les vents de mer, tels que ceux du couchant et du midi, y apportent quelquefois des pluies douces qui arrosent les terres ; mais le plus souvent ils n’y versent que des vapeurs rafraîchissantes qui suffisent pour les féconder.

Tous ces avantages ont établi, même chez les Barbares, cette opinion généralement reçue, que ces îles renferment les champs Élysées, ce séjour des âmes heureuses, célébré par Homère.

Sertorius, à qui l’on raconta ces merveilles, conçut le plus ardent désir d’aller habiter ces îles, et d’y vivre en repos, affranchi de la tyrannie et délivré de toutes les guerres.