Ibn Khaldun, I, p.1-50, Histoire des Invasions Hilaliennes au Maghreb, v. 1400 n-è

[Décadence des arabes, pouvoir des émirs et de leurs mercenaires,  nouvelles races (turques)]

Lorsque la tribu des Coreich et les autres grandes familles descendues de Moder eurent établi l’empire de l’Islam avec l’aide des Ansar, peuple originaire du Yémen, auxquels s’étaient joints leurs frères et coreligionnaires de la tribu de Rebiâ et les autres peuplades sorties de la même souche, — lorsqu’elles eurent subjugué les nations voisines, dompté les autres peuples et conquis leurs villes , — elles échangèrent la rudesse de la vie nomade et la simplicité de mœurs qui les distinguait aux premiers temps du khalifat, contre les grandeurs de la domination et la mollesse de la vie sédentaire ; et s’étant empressées d’abandonner les localités du Désert qu’elles avaient jusqu’alors fréquentées, elles se répandirent dans les régions éloignées et jusqu’aux dernières limites de l’empire musulman. Arrivés là, les membres de ces tribus s’établirent, soit par bandes, soit isolément; formant ainsi des garnisons et des postes avancés sur la frontière ennemie, pendant que l’empire fondé par leurs armes passait de race en race et de famille en famille.

Portés au faîte de la puissance en Irac, sous la dynastie des Oméïades, redoutables encore sous celle des Abbacides, parvenus à la plus haute fortune en Espagne, sous la seconde dynastie oméïade, les Arabes se virent en possession d’une gloire et d’un bien-être qui n’avaient jamais été le partage d’aucun autre peuple. Entourés des biens du monde et livrés aux plaisirs, ils s’étendirent sur la couche de la mollesse, et, savourant les délices de la vie, ils tombèrent dans un long sommeil à l’ombre de la gloire et de la paix.

S’étant ainsi accoutumé aux demeures fixes, le peuple arabe oublia la vie du Désert et perdit les facultés qui l’avaient aidé à conquérir le pouvoir et à subjuguer les nations; il ne lui resta plus ni la simplicité des premiers temps de la religion, ni les mœurs agrestes auxquelles il s’était formé dans le Désert: tout chez lui s’émoussa jusqu’au tranchant de son épée.

Alors le guerrier ne se distingua plus de l’artisan que par son inaptitude au travail, et l’individu de race nomade ne différa du citadin que par l’habillement. Le souverain ne souffrit plus la présence de chefs capables de rivaliser avec lui par la gloire et par la naissance ; il abaissa l’ambition de leurs princes et de leurs grandes familles ; et, pour dompter leur esprit turbulent, il appuya son autorité sur des troupes domestiques, corps formé d’esclaves tirés de l’étranger et de créatures attachées à la fortune du maître. Avec ces bandes, il accabla les Arabes, fondateurs de l’empire, champions de la foi et soutiens du khalifat ; il leur fit goûter l’amertume de la servitude ; il détruisit chez eux, le souvenir de leur ancienne gloire et des douceurs de la domination; il leur enleva cet esprit de corps qui faisait leur plus ferme appui : de sorte que ce peuple, trop morcelé pour se défendre, devint le serviteur de tout homme puissant qui voulut l’employer; ou bien, accablé et brisé par le malheur, il se dispersa parmi les autres nations.

L‘autorité passa alors entre les mains d’esclaves et d’affranchis qui, séduits enfin par l’exercice du pouvoir, osèrent aspirer à l’empire ; et, devenus maîtres de la personne du khalife, ils s’assirent eux-mêmes sur le trône et commandèrent en souverains.

Pendant ce temps, les Arabes chargés de la garde des provinces étaient tombés dans la dégradation la plus grande : ils ne purent ressaisir les bonnes qualités qu’ils devaient à la vie nomade, — elles étaient perdues depuis trop longtemps; ils ne purent se rappeler leur origine, —les noms de leurs aïeux s’étaient effacés de leur mémoire; ils disparurent enfin du monde à l’exemple des peuples qui les avaient précédés et comme disparaîtront leurs successeurs.

Telles sont, en effet, les voies de Dieu envers ses créatures ; et, qui pourra changer les voies de Dieu ‘?

Dans les premiers temps de l’Islam, de nombreuses tribus arabes avaient contribué à poser les fondements et à construire l’édifice de l’empire, en faisant triompher la vraie foi, en raffermissant le khalifat et en soumettant les villes et les provinces occupées par les autres peuples. On y remarqua les tribus descendues de Moder, telles que les Coreich, les Kinana, les Khozâa, les Beni-Aced, les Hodeil, les Temîm, lesGhatafan et les Soleim , ainsi que les Houazen et leurs frères, les Thakîf, les Sâd-IbnBekr, etlesAmer-Ibn-Sâsâ. Toutes ces peuplades s’y trouvaient avec leurs subdivisions, familles, parents, confédérés et amis.

Les tribus descendues de Rebiâ concoururent aussi à cette bonne œuvre: on y vit les Taghleb-Ibn-Ouaïl, les Bekr-IbnOuaïl et toutes leurs ramifications, telles que les Yechkor, les Hanîfa, les Idjl, les Dohl, les Cheiban et les Teim-Allah; puis les tribus de Nimr-Ibn-Cacet et d’Abd-Caïs avec leurs alliés.

Parmi les tribus originaires du Yémen et descendues de Kehlan, fils de Seba, on remarqua les Ansar, dont les aïeux , Aous et Khazredj, eurent pour mère Caila , femme appartenant à une famille dela tribu de Ghassan; on compta aussi les Azd, les Hemdan, les Khathâm, les Bedjîla , les Medhedj avec leurs subdivisions : Ans, Morad, Zobeid, Nekhâa, les Achâri, les Beni’l-Hareth-Ibn-Kâb, puis la tribu de Taï et celle de Lakhm avec leurs diverses branches, et enfin celle de Kinda avec ses rois ‘.

Un autre peuple yémenite qui prêta son appui à l’Islamisme fut celui formé par les tribus descendues de Codâa, chef qui eut pour aïeul Himyer, fils de Seba. Les différentes branches et familles de toutes ces tribus ainsi que de leurs confédérés, y participèrent également.

Mais, en s’appuyant sur le peuple arabe, l’empire musulman consuma les forces de toutes ces tribus : les unes périrent aux postes avancés, sur la frontière ennemie, et les autres succombèrent dans des pays éloignés, ou dans ces grandes batailles dont on garde encore le souvenir. On ne trouve plus dans le Désert un seul de leurs campements hospitaliers ; pas une de leurs familles ne stationne maintenant dans les pâturages ; il n’en existe plus une qui soit connue et dont on puisse citer le nom. Il est disparu ce noble esprit qui obligeait le patron à répondre des forfaits commis par ses clients ; il est disparu aussi cet esprit de corps qui portait tous les membres de la nation à se soutenir entre eux.

De ces anciennes tribus il ne reste plus que les noms, et encore ne les rencontre-t-on que dans les généalogies de quelques individus qui mènent une vie obscure, éparpillés dans les villes de l’empire, derniers débris d’un grand peuple, maintenant dispersé et perdu dans la foule. Ces malheureux, tenus dans l’avilissement, sont les humbles serviteurs des émirs : semblables aux vils troupeaux, ils obéissent à la baguette du maître, ou bien ils exercent quelque métier pour vivre.

Une autre race était devenue l’appui de l’état et de la religion ; d’autres mains avaient recueilli la puissance et l’autorité ; d’autres patrons s’étaient chargés d’encourager les sciences et les arts. Ainsi, du côté de l’Orient, les Deilemites, les Seldjoukides, les Kurdes, les Ghozz et les Turcs, peuples d’origine étrangère, ont successivement exercé leur domination dans l’empire musulman, jusqu’à nos jours. Il en est de même dans l’Occident, où les Zenata et les autres peuples berbères se sont alternativement emparés du pouvoir, et le conservent encore , ainsi que nous le raconterons dans cet ouvrage.

Quant aux tribus arabes qui avaient autrefois joui de l’autorité, la majeure partie a péri, et leur souvenir a disparu avec elles. Toutefois, un débris de ce peuple est toujours resté dans le Désert, où il s’adonne à la vie nomade. Fortement attachées à leurs lieux de parcours, ces peuplades ont conservé la rudesse des mœurs et les habitudes agrestes qui naissent de la vie pastorale : elles ne se sont pas jetées dans l’abîme du luxe ; elles ne sont pas allées se noyer dans l’océan de la mollesse, et elles n’ont pas voulu s’établir dans des demeures fixes ni s’ensevelir dans des villes. Aussi, un de leurs poètes a dit :

Qui peut trouver du plaisir à vivre dans une ville ? Quel homme du Désert s’est jamais livré à la mollesse?

Et le poète El-Mutanabbi a reproduit le même sentiment dans une pièce de vers composée en l’honneur de Seif-ed-Dola ; il dit, en parlant des Arabes dont ce prince avait châtié les brigandages:

Nourris dans le Désert, ils effrayaient les princes qui, semblables aux herbes aquatiques, ne savaient vivre sans eau. Ils osèrent vous provoquer, vous qui, dans le Désert, dirigez votre course mieux que le Cata (tetrao alchata, oiseau nomade) ne dirige la sienne! vous qui établissez vos tentesdans les solitudes éloignées où les autruches mêmes ne s’aventurent pas pour y faire leurs nids.

Les tribus dont nous parlons se sont établies dans les déserts méridionaux de l’Occident et de l’Orient : en Afrique, en Syrie, dans le Hidjaz, en Irac et en Kirman. Elles y mènent le même genre de vie que celui auquel leurs ancêtres, les descendants de Rebiâ, de Moder et de Kehlan, s’étaient adonnés dans les temps antérieurs à l’Islam. Pendant qu’elles s’y multiplièrent, l’empire arabo-musulman se désorganisa et tomba enfin dans la décrépitude qui l’attendait. Alors plusieurs familles de race étrangère, habitants des contrées de l’Orient et de l’Occident, atteignirent à la puissance et entrèrent au service de l’État. Ces nouveaux alliés obtinrent en récompense de leur dévouement le commandement des tribus dont ils faisaient partie, et reçurent des apanages composés de villes ou de certaines portions de la campagne et des montagnes (tell). Favorisées de la sorte, ces familles s’élevèrent au rang de nations, et dominèrent par leur nombre les autres peuplades de la même origine. L’autorité dont elles étaient revêtues leur donna le moyen de se constituer en dynasties, et, à raison de cette circonstance, leur histoire mérite de prendre place avec celle des Arabes, leurs prédécesseurs.

La langue arabe, telle qu’on la parlait dans la tribu de Moder, et qui, dans le Coran, offre une excellence de style qu’aucun effort humain ne saurait atteindre, s’est corrompue chez les Arabes de nos jours. Ils en ont altéré les inflexions grammaticales, en se laissant aller aux solécismes, bien que primitivement ils en eussent employé les formes correctes. Ces altérations étant des barbarismes (‘ajama), ceux qui se les permettent méritent l’appellation d’Arabes musta ‘jam (barbarisants).

[Invasion des Banu Hilâl]

Nous allons maintenant nous occuper des tribus arabes qui habitent encore l’Orient et l’Occident ; nous ferons une mention particulière de celles qui se sont adonnées à la vie pastorale ou qui ont acquis de l’illustration par leur puissance ; mais nous passerons sous silence les noms des peuplades qui se sont incorporées dans d’autres tribus. Nous reprendrons ensuite les tribus qui ont passé dans le nord de l’Afrique, et nous en donnerons l’histoire détaillée.

Car il ne faut pas croire que les Arabes nomades aient habité ce pays dans les temps anciens : ce fut seulement vers le milieu du cinquième siècle de l’hégire que l’Afrique fut envahie par les bandes de la tribu de Hilal et de celle de Soleim.

Dès leur arrivée, elles eurent des relations avec les gouvernements établis dans ce pays ; et comme leur histoire se lie ainsi à celle des puissances qui y ont régné, nous devons nécessairement la traiter à fond.

Jusqu’à l’époque que nous venons d’indiquer, les Arabes nomades n’avaient pas eu de stations au-delà de Barca, province où les Beni-Corra, branche de la tribu de Hilal-Ibn-Amer, étaient venus s’établir. Les Beni-Corra figurent dans l’histoire des Fatemides ; et l’on connaît les circonstances de leur révolte, lors du règne d’El-Hakem, quand ils proclamèrent khalife un descendant des Oméïades espagnols, nommé Abou-Racoua. Nous avons indiqué cet événement d’une manière sommaire dans notre chapitre sur les Fatemides.

Quand les Hilal et les Soleim passèrent en Afrique, ils se réunirent aux Beni-Corra, établis alors aux environs de Barca. Ils partirent ensuite avec eux pour l’Afrique septentrionale, comme nous le raconterons plus loin, en traitant de l’entrée des Arabes nomades en Ifrîkïa et en Maghreb.

[Tribus arabo-berbères du désert de Libye]

Toutefois, les Beni Jâfer ont continué, jusqu’aux temps actuels, à occuper leurs anciennes stations près de Barca. Vers le milieu de ce siècle, le huitième de l’hégire, ils eurent pour chefs Abou-Dîb et son frère Hamed, fils de Kemîl. Ils se donnent une origine arabe, disant tantôt qu’ils descendent de Kâb-lbn-SoIeim, aïeul d’une tribu qui forme une branche de celle d’El-Azza ‘, et tantôt, qu’ils appartiennent à la tribu de Héïb ou à celle de Fezara. Mais la vérité est qu’ils sortent de la famille des Misrata, branche de la tribu berbère de Hawara. Je tiens ce renseignement de plusieurs de leurs généalogistes.

Plus loin, entre Barca et El-Acaba-el-Kebîra, se trouvent les Aulad-Selam, et entre ce dernier lieu et Alexandrie habitent les Aulad-Mocaddem. Ceux-ci forment deux branches, celle des Aulad-et-Torkïa et celle qui renferme les Faïd, les Mocaddem et les Selam. Ils font remonter leur origine à Lebîd qui, selon quelques uns d’entre eux, fut fils de Hîna, fils de Djâfer, fils de Kilab, fils deRebiâ, fils d’Amer. Quelques-uns encore disent que Mocad, l’aïeul de la tribu du même nom, fut fils d’Azaz, fils de Kâb, fils de Soleim ; mais, j’ai appris de Selam, chef des Aulad et-Torkïa, que les Mocaddem descendent de Rebiâ-Ibn-Nizar, tribu très-illustre de l’Arabie.

Avec ces peuplades se trouve aussi la tribu de Mohareb. Elle prétend descendre de Djâfer, fils d’Abou-Taleb, gendre de Mahomet ; mais on assure que c’est de Djafer-Ibn-Kilab qu’elle tire son origine. On y rencontre de plus la tribu de Rouaha, branche, soit de celle de Zobeid, soit de celle de Djâfer. Les familles nomades qui font partie de ces tribus se rendent vers le midi, jusqu’aux Oasis (Ouahat), pour y prendre leurs quartiers d’hiver. lbn-Saîd (Grenade-Tunis, 1214-1286) dit: « Parmi les descendants de Ghatafan, il se trouve à Barca, les Héïb, les Rouaha et les Fezara » les faisant ainsi appartenir à la tribu de Ghatafan ; mais Dieu sait si cela est exact !

Dans la province d’El-Bahîra, entre Alexandrie et le vieux Caire, on rencontre plusieurs peuplades nomades. Elles s’y arrêtent pour faire leurs semailles ; mais, à l’approche de l’hiver, elles passent dans les environs de l’Acaba et de Barca. Elles appartiennent aux tribus berbères de Mezata, Hawara, et Zenara : cette dernière est une branche de celle des Luwata. Ces nomades paient une taxe au gouvernement pour la permission de cultiver la terre. Un nombre considérable d’autres familles, tant arabes que berbères, sont venues se fondre avec eux. Dans le ça’îd (Haute-Egypte) se trouvent plusieurs tribus arabes descendues de Hilal et de Kilab Ibn-Rebia. Elles ont des chevaux pour montures et vont toujours armées. Bien qu’elles s’adonnent à l’agriculture et paient l’impôt (kharaj) au sultan, elles se livrent à des querelles et à des guerres intestines telles qu’on n’en voit pas parmi les tribus du Désert.

Dans le Saïd supérieur, depuis Syène jusqu’à la Nubie, et de là jusqu’à l’Abyssinie, se trouvent des tribus nombreuses et des familles isolées, appartenant toutes à la tribu arabe de Djoheina, branche de celle de Codâa. Elles pullulent dans les déserts de ce pays, et elles ont conquis les contrées habitées par les Nubiens. Elles serrent de près les Abyssiniens et partagent avec eux la jouissance des terrains limitrophes. Parmi ces tribus, celle qui habite les environs de Syène s’appelle les fils de Kenz-Ed-Dola, personnage qui acquit une certaine célébrité par sa longue lutte avec le gouvernement égyptien ‘.

Depuis Syène jusqu’à Cous, le pays est habité par les Kenz et les Beni-Djâfer-Ibn-Abi-Taleb. Ceux-ci vinrent s’y établir lors de leur expulsion du terrritoire de Médine par les Beni-‘lHocein *. Les Beni-Djâfer sont connus parmi leurs voisins sous le] nom des Chérifs Djâférides. Ils s’adonnent principalement au commerce.

[…]

[Avant l’émigration des Hilal]

Lors de la promulgation de l’Islam, toutes ces tribus passèrent en Mésopotamie : les Nomaïr prirent possession de Harran et de la contrée voisine ; les Hilal se fixèrent en Syrie et continuèrent à y demeurer jusqu’au moment où ils émigrèrent dans le Maghreb ; événement dont nous aurons bientôt l’occasion de parler. Toutefois, une fraction de la tribu de Hilal resta dans la montagne où se trouve le château de Sarkhad  et qui porte encore le nom de Montagne des Beni-Hilal. Elle s’y adonna principalement à la culture de la terre. La tribu de Kilab-Ibn-Rebiâ s’empara du territoire et de la ville d’Alep, comme nous venons de le dire. Quatre branches de la tribu de Kâb-Ibn-Rebiâ entrèrent en Syrie, savoir : Ocaïl, Cochaïr, el-Harîch et Djâda. Trois d’entre elles s’éteignirent dans les temps islamiques ; Ibn Hazm, en parlant de celle d’Ocaïl, la quatrième, dit qu’elle égalait en nombre toutes les tribus moderites prises ensemble. Les Beni Mocalled, une famille de cette tribu, prirent possession de Mosul, ville où la famille de Hamdan et celle de Taghleb avaient déjà régné. Elle demeura maîtresse de Mosul et de ses environs, ainsi que d’Alep. jusqu’à l’époque où elle perdit sa puissance et reprit la vie nomade. Alors elle s’empara de plusieurs territoires situés de tous côtés, se faisant l’héritière des Arabes bédouins, les anciens propriétaires. C’est de la tribu d’Ocaïl que la famille d’El-Montafic tire son origine. Amer, le père d’El-Montafic, fils d’Ocaïl. Ses descendants habitent le pays de Teinia, dans le Nedjd. Encore aujourd’hui la tribu d’El-Montafic occupe la portion du territoire de Basra que forment les marais boisés situés entre cette ville et Koufa et que l’on appelle les Bas-fonds (El-Bataïh).

Les Montafic sont gouvernés par la famille d’El-Mârouf. On trouve dans le Maghreb quelques tribus sorties de celle d’El-Montafic et qui entrèrent dans ce pays avec la tribu de Hilal-Ibn-Amer. Elles occupent cette partie du Maghreb-el-Acsa qui est située entre les villes de Fez et de Maroc. On les appelle El-Kholt, nom, dit El-Djordjani qui est commun à tous les descendants d’El-Montafic.

A côté des Beni-‘l-Montafic, au midi de Basra, se trouve une tribu sœur de celle-ci ; on la nomme Beni-Amer. Son aïeul, Amer, était fils d’Auf, fils de Malek, fils d’Auf, fils d’Amer, père d’El-Montafic. Les Beni-Amer enlevèrent les provinces de Bahrein et d’Oman à Abou-l’-Hocein-el-Asghar, de la tribu de Taghleb. Ces localités avaient appartenu aux tribus d’El-Azd, Temîm et Abd-Caïs, avant de devenir l’héritage des Beni-Amer. Nous apprenons d’Ibn-Saîd que cette même tribu enleva la province de Yémama aux Beni-Kilab, et qu’en l’an 650 (1252-3) elle reconnaissait pour chefs les Beni-Asfour. Parmi les descendants d’Ocaïl on remarqua les Beni-Khafadja, dont l’aïeul Khafadja était fils d’Amr et petit-fils d’Ocaïl. Les Beni-Khafadja allèrent s’emparer des plaines de l’Izac et s’y établirent. Dans les nombreuses guerres qu’ils eurent à soutenir, ils parvinrent à se faire une certaine renommée. De nos jours, cette tribu habite les pays situés entre le Tigre etl’Euphrate, et se distingue autant par sa puissance que par son nombre. Une autre branche de la tribu d’Ocaïl est celle d’Abbada-Ibn-Ocaïl. Ou l’appelle aussi El-Akha il parce que Abbada lui-même portait le sobriquet d’El-Akhial ‘. Cette tribu demeure maintenant en Irac, au milieu des Beni-‘lMontafic, et dans cette portion d’El-Bataïh qui est située entre Basra, Koufa et Ouacet. D’après ce que nous avons entendu dire, le chef qui exerce le commandement chez elle est soutenu par de nombreux guerriers : il s’appelle Kîan-Ibn-Saleh, mais nous ne savons s’il appartient, par la naissance, à la famille des Mârouf, émirs d’El-Bataïh, ou à celle des Abbada-el-Akhaïl.

Telles sont les notions que nous pouvons fournir relativement aux descendants d’Amer-Ibn-Sâsâ et à la manière dont ils obtinrent possession des territoires occupés précédemment par les Arabes sortis des souches de Kehlan, de Rebiâ et de Moder. En ce qui touche Kehlan, il ne s’y trouve plus aujourd’hui, à notre connaissance, aucune tribu qui tire son origine de lui. Quant aux descendants de Rebiâ, ils ont traversé les provinces de Fars et de Kirman et font paître maintenant leurs troupeaux entre ce dernier pays et Khoraçan. Un très-petit nombre d’entre eux est resté dans l’Irac et s’est établi à El-Bataïh. Les Beni-Meïah, une de leurs familles, se regardent comme parents des Kerfa. Avec eux habite un mélange de familles sortiesdes grandes tribus d’Aous et de Khazredj. L’émir actuel de la tribu de Rebiâ s’intitule le Cheikh Ouéli, et celui des Aous et Khazredj porte le nom de Taher-Ibn-Khidr.

[Le Maghreb avant les Hilal]

Voilà les renseignements qu’après les recherches les plus diligentes, nous sommes parvenus à réunir sur l’état actuel des tribus arabes de la troisième catégorie qui habitent l’Orient. Nous allons maintenant indiquer les branches de ces tribus qui sont passées dans le Maghreb.

Les Arabes ne s’étaient jamais établis en Maghreb, ni antérieurement ni postérieurement à l’Islam. La raison en était que la race berbère occupait ce pays et empêchait les autres peuples de s’y fixer. Il est vrai qu’Ifrîcos-Ibn-Saïfi, ce prince de la dynastie des Tobba, qui donna son nom à l’Ifrîkïa, y avait conduit une expédition et s’en était rendu maître ; mais, après y avoir laissé les tribus himyerites de Ketama et de Sanhadja, il s’en alla. Ces deux peuples devinrent graduellement Berbères et se confondirent avec cette race, de sorte que l’autorité des Arabes en Ifrîkïa disparut tout-à-fait.

Lors de la promulgation de l’Islam, le progrès de cette religion mit les Arabes en état de vaincre les autres nations. Leurs armées pénétrèrent dans le Maghreb et prirent toutes les villes de ce pays. Ils eurent alors beaucoup à souffrir dans leurs guerres contre les Berbères, qui, comme nous l’avons rapporté ailleurs, sur l’autorité d’Ibn-Abi-Yezîd (général allié d’Al-Mansûr), apostasièrent jusqu’à douze fois avant que la vraie religion eût pris racine chez eux. Aussi, les Arabes ne s’y établirent point comme habitans de tentes et comme tribus nomades : le besoin d’assurer leur domination dans ce pays les ayant obligés à se tenir dans les villes.

Ainsi, comme nous venons de le dire, les Arabes n’avaient pas habité les plaines du Maghreb ; ce ne fut qu’au milieu du cinquième siècle qu’ils vinrent y faire leur demeure et se disperser par tribus, pour aller camper dans toutes les parties de cette vaste région. (

Nous allons maintenant exposer en détail les causes de cette migration

[Transfert des Hilal et Sulaym au Sa‘îd]

Depuis l’avènement de la dynastie abbacide, les tribus formant les deux grandes familles moderites de Hilal et de Soleim avaient continué à vivre en nomades et à parcourir avec leurs troupeaux, les déserts du Hidjaz qui touchent à la province du Nedjd. Les Soleim fréquentaient les environs de Médine, et les Hilal se tenaient sur le Ghazouan, montagne près de Taïf. Quelquefois, cependant, ils allaient prendre leurs quartiers d’été aux frontières de l’Irac et de la Syrie, d’où ils faisaient des incursions dans les cantons voisins pour y dévaliser les voyageurs et piller les caravanes. Les Soleim se permettaient même d’attaquer les pèlerins de la Mecque aux jours où l’on remplissait les grands devoirs de la religion, et de les dépouiller sur le territoire de Médine pendant qu’ils visitaient le tombeau du Prophète. Les khalifes de Baghdad ne cessaient d’expédier des troupes pour punir ces méfaits et protéger les pèlerins contre de pareils outrages.

Plus tard, les Beni-Soleim et un grand nombre des tribus descendues de Rebiâ-Ibn-Amer allèrent se joindre aux Carmats, lors de la première apparition de ces sectaires, et ils les servirent en qualité de milices, dans les provinces de Bahrein et d’Oman.

Quand les princes Fatemides, descendants d’Obeid-Allah al-Mehdi, eurent subjugué l’Egypte et la Syrie, El-Azîz, un des souverains de cette dynastie, enleva aux Carmats les villes dont ils s’étaient emparées dans ce dernier pays, et les ayant refoulés jusqu’à la province de Bahrein, il transporta dans le Sa‘îd leurs partisans, les Arabes des tribus de Hilal et de Soleim. Bien que la présence de ces nomades dût nuire à la prospérité de cette région, il prit le parti de les y établir, en les installant sur le bord oriental du Nil.

[Les Zirides adoptent le malekisme]

En l’an 408, El-Moëiz devint souverain des Sanhadja de Cairouan ; ayant reçu son investiture d’Ed-Daher-li-Dîn-illah-Ali, fils d’El-Hakem-bi-Amr-illah-Mansur, fils d’El-Azîz-billah-Nizar, fils d’El-Moezz-li-Dîn-illah Mâdd, émir de l’Ifrîkïa. (titré « Chéref-ed-Dola » par al-Hakam)

Ainsi, de même que ses pères, il tenait son autorité des souverains Fatemides, fait sur lequel nous aurons occasion de revenir. Agé seulement de huit ans, il n’avait aucune connaissance des principes du gouvernement, aucune expérience des affaires, mais il appartenait à une famille très puissante et très-fière. Ed-Daher mourut en 427 (1036) et eut pour successeur son fils El-Mustancer-billah-Mâdd, celui qui régna plus longtemps qu’aucun des khalifes de l’Islam ; ayant gouverné 75 ans, disent les uns, 65, disent les autres. La vérité est qu’il régna 73 ans, puisqu’il mourut vers la fin du cinquième siècle de l’hégire.

El-Moëzz, fils de Badîs, eut pour les doctrines sonnites un certain penchant qu’il laissa quelquefois paraîtreAinsi, vers le commencement de son règne, il lui arriva, en faisant une promenade, d’invoquer à haute voix le secours des deux cheikhs Abou-Bekr et Omar, dans un moment où il voyait que son cheval allait s’abattre sous lui. Les gens du peuple ayant entendu ces paroles, commencèrent à massacrer les Rafédites, et à proclamer hautement la doctrine orthodoxe : ils en firent publiquement la profession et supprimèrent les paroles venez à l’excellente œuvre (hai ala khair il âmel) que les Fatemides avaient insérées dans l’adan, ou appel à la prière.

[Ibn-el-Athîr dit, dans ses Annales, sous l’année 406, qu’El-Moëzz porta le peuple de l’Ifrikïa à adopter le rite de Malek, eux qui auparavant avaient suivi celui d’Abou-Hanîfa.]

Ed-Daher ferma les yeux sur cet événement ; son fils et successeur, El-Mostancer, ne parut y faire aucune attention non plus ; aussi, El-Moézz, en ayant rejeté tout le blâme sur le peuple, vit agréer ses excuses. Dès-lors, ce prince continua à faire la prière au nom du khalife et à lui envoyer les présents d’usage. Pendant tout ce temps, il entretenait une correspondance écrite avec Abou-‘l-Cacem-Ahmed-el-Djerdjeraï, vizir de ces deux souverains, gouverneur de leur empire et directeur de toutes leurs affaires. Cherchant ainsi à le mettre dans ses intérêts, il lançait des sarcasmes contre les descendants d’Obeid-Allah et contre leurs partisans. El-Djerdjeraï fut surnommé El-Actâ‘ parce qu’El-Hakem lui avait fait couper les mains pour crime de péculat. Lors de cet événement, toute l’autorité dont ce vizir avait disposé passa entre les mains de Sitt el-Molk, [sœur d’El-Hakem et grand-tante d’El-Mostancer] En l’an 414 (1023), après la mort de cette princesse, El-Djerdjeraï rentra au pouvoir, et il y resta jusqu’à la fin de ses jours. Il mourut en 436 (1044). Son successeur dans le vizirat, Abou-Mohammed-el-Hacen-Ibn-Ali, portait le surnom d’El-Yazouri, parce qu’il était originaire d’un village de la Palestine, où son père avait été matelot/paysan.

Quand El-Yazouri fut élevé à ces hautes fonctions, les gouverneurs des provinces se dispensèrent de lui donner, dans leurs dépêches, le titre de Mawlay, ce qui le piqua au vif. Il en fit même des reproches à Thomal-Ibn-Saleh, seigneur d’Alep, et à Moèzz-Ibn-Badîs, seigneur de l’Ifrîkïa. Dès lors, ces deux princes le prirent en aversion. El-Moézz fit même serment de répudier la souveraineté des Fatemides, de faire la prière publique au nom des Abbacides, et d’empêcher que celui du khalife obeidite, fût prononcé du haut d’aucune chaire dans tout son empire. Ayant persisté à remplir son vœu, il fit couper aux robes de cérémonie et aux étendards la bordure dans laquelle les noms des princes fatemides se trouvaient tissés, et ayant reconnu pour souverain Abou-Djâfer-el-Caïm, fils d’El Cader, l’Abbacide, il ordonna qu’on fît le khotba au nom de ce khalife et que l’on offrît des prières pour sa prospérité du haut de toutes les chaires. Ceci eut lieu en 437 (1045).

Le khalife de Baghdad ayant reçu l’acte par lequel El-Moëzz reconnaissait son autorité, lui envoya, par Abou-l’-Fadl-el-Baghdadi le diplôme d’investiture et les robes d’honneur. On fit la lecture de cette pièce dans la grande mosquée de Cairouan ; on y déploya les étendards noirs et on démolit la maison des Ismaïliens.

Quand cette nouvelle parvint à El-Mostancer, khalife de l’Egypte, et à ses sectateurs, les rafédites ketamiens, amsi qu’aux autres partisans de la dynastie fatemide, ils en ressentirent une douleur extrême, et dans le trouble que cet événement leur inspira, ils demeurèrent frappés de consternation.

[Al-Yazûrî envoie les Hilal et Sulaym contre Mu’azz b. Bâdis]

Nous avons déjà fait observer que les tribus hilaliennes se trouvaient cantonnées dans le Saïd. Elles se composaient des Djochem, des El-Athbedj, desZoghba, des Riah, des Rebia et des Adi; populations dont la présence sur ce territoire y répandait la dévastation et nuisait non seulement à la province mais à l’empire. Le vizir El-Yazouri donna le conseil de gagner ces tribus; d’en revêtir les chefs du commandement des provinces de l’Ifrîkïa et de les envoyer faire la guerre à la dynastie des Sanhadja.

« De cette manière, disait-il, les Arabes deviendront amis dévoués des Fatemides et formeront une excellente armée pour la protection de l’empire. Si, comme on le doit espérer, ils réussissent à vaincre El-Moëzz, ils s’attacheront à notre cause et se chargeront d’administrer l’Ifrîkïa en notre nom ; de plus, notre khalife se sera débarrassé d’eux. Si, au contraire, l’entreprise ne réussit pas, peu nous importe ! Dans tous les cas, mieux vaut avoir affaire à des Arabes nomades qu’à une dynastie sanhzdjite. »

Cet avis fut accueilli avec transport.

On a raconté, mais à tort, que ce fut Abou-l’-Cacem-el-Djerdjeraï qui donna ce conseil et qui fit entrer les Arabes en Ifrîkïa.

En conséquence de la décision que l’on venait de prendre, El Monstancer, en l’an 441 (1049), envoya son vizir auprès des Arabes. Ce ministre commença par faire des dons peu considérables aux chefs, une fourrure et une pièce d’or à chaque individu, ensuite il les autorisa à passer le Nil en leur adressant ces paroles :

« Je vous fais cadeau du Maghreb et du royaume d’El-Moè’zz-Ibn-Badîs le sanhadjite, esclave qui s’est soustrait à l’autorité de son maître. Ainsi, dorénavant, vous ne serez plus dans le besoin ! »

Il écrivit alors au gouvernement du Maghreb une lettre ainsi conçue:

Nous vous envoyons — Des coursiers rapides — Et des hommes intrépides — Pour accomplir telle chose — Que le destin décide.

Les Arabes, animés par l’espoir du butin, franchirent le Nil et allèrent occuper la province de Barca. Ayant pris et saccagé les villes de cette région, ils adressèrent à leurs frères qu’ils avaient laissés sur la rive droite du Nil, une description attrayante du pays qu’ils venaient d’envahir. Les retardataires s’empressèrent d’acheter la permission de passer le fleuve ; et comme cette faveur leur coûta une pièce d’or pour chaque individu, le gouvernement égyptien obtint non seulement le remboursement des sommes qu’il venait de leur distribuer, mais encore bien au-delà.

Ces envahisseurs se partagèrent alors le pays, de sorte que la partie orientale en échut aux Soleim et la partie occidentale aux Hilal. Ils dévastèrent ensuite El-Medina-t-el-Hamra, Adjedabia, Asmou et Sort. La tribu soleimide de Héïb se fixa sur le territoire de Barca avec ses confédérés, les Rouaha, les Nacera et les Omeira ; mais les Debbab, les Auf, les Zoghb et toutes les familles hilaliennes se précipitèrent sur l’Ifrîkïa comme une nuée de sauterelles, abîmant et détruisant tout ce qui se trouvait sur leur passage.

Ce fut en l’an 443 (1051) que les Arabes entrèrent en Ifrîkïa. Mounès-Ibn-Yahya-es-Sinberi, émir des Rîah, fut le premier qui y pénétra. El-Moëzz chercha aussitôt à gagner l’appui . / iilL^e œ ene^’ et l’ayant fait venir auprès de lui, il le déclara son ami et épousa sa sœur.

Ensuite, il lui proposa d’attirer les Arabes des stations éloignées où ils s’étaient arrêtés, afin de pouvoir accabler par leur nombre et avec leur secours [les princes de la famille de Hammad] ses collatéraux, qui se tenaient en révolte contre lui dans la partie occidentale de l’empire. Après quelque hésitation, Mounès y donna son consentement et appela les Arabes. Ces nomades se mirent aussitôt à dévaster le pays en proclamant partout l’autorité d’El-Mostancer-Billah, le khalife. Ils défirent aussi l’armée sanhadjienne et les corps de troupes alliées qu’El-Moëzz avait fait marcher contre eux. Ce prince si rempli d’orgueil, fut outré de cet échec ; transporté de colère, il arrêta le frère de Mounès, et ayant dressé son camp en dehors de Cairouan, il envoya demander des secours à son cousin El-Caïd-Ibn-Hammad-Ibn-Bologguîn , seigneur de la Calâ des Beni-Hammad. El-Caïd leva une troupe de 1000 cavaliers et la lui envoya. Les Zenata nomades, auxquels il avait aussi adressé un appel, lui en envoyèrent un autre millier, tous tirés de la famille d’El-Montacer-Ibn-Khazroun-el-Maghraoui et commandés par lui-même. El-Montacer était un des chefs les plus puissants de la nation zenatienne, et au moment où on lui demanda sa coopération, il se trouvait, avec ses nomades, dans les campagnes de l’Ifrîkïa.

El-Moëzz se mit alors en marche avec ses alliés, les partisans de sa famille, ses domestiques, ses amis, et le petit nombre des descendants des conquérants arabes qui habitaient encore son pays. Cette troupe s’accrut ensuite des contingents berbères, de sorte qu’El-Moëzz put aller à la rencontre de l’ennemi avec une armée très-nombreuse, composée, dit-on, d’environ 30 000 combattants.

[Ravage de la Tunisie]

Les tribus arabes de Rîah, Zoghba et Adi se postèrent au midi de Haideran, lieu des environs de Cabes. Quand les deux armées se trouvèrent en présence, l’ancien esprit national porta les descendants des Arabes qui, les premiers, avaient subjugué le Maghreb, à se détacher d’El-Moëzz pour passer aux Hilal. Alors, les Zenata et les Sanhadja l’abandonnèrent aussi, de sorte qu’il dut s’enfuir avec les gens de sa maison, et se réfugier dans Cairouan. Ses trésors, ses bagages et ses tentes devinrent la proie des vainqueurs. L’on dit que dans cette affaire , les Sanhadjiens perdirent, à eux seuls 3300 hommes. Ce fut à propos de cette journée qu’Ali-Ibn-Rizc, de la tribu de Rîah, prononça le poème qui commence ainsi:

L’image d’Omaima, [ma bien-aimee], se présenta à minuit auprès de ma couche; [mais j’étais déjà parti] et nos montures couraient en pressantle pas.C’est dans cette pièce que l’on trouve les vers suivants:

Oui ! le fils de Badis est un excellent roi, mais ses sujets ne sont pas des hommes. Trente mille d’entre eux furent mis en déroute par trois mille des nôtres ! ce fut là un coup à faire perdre l’esprit.

Quelques personnes attribuent ce poème à Ibn-Cheddad. Les Arabes vinrent alors bloquer El-Moëzz dans Cairouan, et pendant ce long siége, ils portèrent la dévastation dans les campagnes et les villages des alentours. Ils n’épargnèrent même pas les lieux où la vengeance d’El-Moëzz s’était déjà fait sentir, parce qu’il en avait soupçonné les habitans d’être d’accord avec eux.

Les gens dela campagne se réfugièrent dans Cairouan , et comme les Arabes continuaient à en presser le siége et à commettre des ravages épouvantables, les habitants finirent par s’enfuir à Tunis et à Souça.

Toute la province de l’Ifrîkïa fut pillée et saccagée, et en l’an 445(1053), les villes d’Obba et de Laribus tombèrent au pouvoir des Arabes. Pendant ce temps, les Zoghba et les Rîah se tenaient aux environs de Cairouan. Mounès étant alors venu camper sous les murs de la ville, accorda sa protection aux membres de la famille Zîri, et les conduisit à Cabes et autres lieux. Les Arabes s’emparèrent ensuite du pays de Castîlïa, et un de leurs chefs, Abed-Ibn-Abi-‘l-Ghaïth, ayant entrepris une expédition contre les Zenata et les Maghraoua, s’en revint avec un fort butin.

En l’an 446 (1054-5), les Arabes se partagèrent les villes de l’Ifrîkïa : la tribu de Zoghba s’appropria la ville et la province de Tripoli, pendant que la tribu de Mirdas, branche de celle des Rîah, occupa Bedja et les lieux voisins. Un nouveau partage se fit plus tard, et la région située au couchant de Cabes devint la propriété des tribus de Rîah, Zoghba, Makil, Djochem, Corra, Athbedj, Cheddad, Kholt et Sofyan, branches de la grande tribu de Hilal. De cette manière, l’empire d’El-Moëzz se morcela et lui échappa. Abed-Ibn-Abi-‘l-Ghaïth s’empara de Tunis et réduisit les habitants en esclavage, pendant qu’Abou-Masoud, un autre de leurs chefs, prit la ville de ‘Anaba par capitulation.

Quant à El-Moëzz, il chercha sa sûreté en mariant ses trois filles aux émirs arabes, Farès-Ibn-Abi-‘l-Ghaïth, Abed-Ibn-Abi’l-Ghaïth et El-Fadl-ben-Bou-Ali, le mirdacide. En l’an 448, il donna à son fils Temîm le commandement d’El-Mehdïa, et l’année suivante, il se fit escorter à Cairouan, par les chefs arabes, ses gendres. Comme les Arabes ne tardèrent pas à l’y suivre , il s’embarqua et partit [pour Tunis]. Le lendemain, son fils El-Mansour [qu’il avait laissé à Cairouan], informa les habitants du départ de leur sultan. Alors ceux-ci évacuèrent la ville sous la conduite d’El-Mansour et de la troupe des nègres [que le gouvernement sanhadjien entretenait à son service ]. Les Arabes y pénétrèrent aussitôt après, et commencèrent l’œuvre de dévastation, pillant les boutiques, abattant les édifices publics, et saccageant les maisons ; de sorte qu’ils détruisirent toute la beauté, tout l’éclat des monuments de Cairouan. Rien de ce que les princes sanhadjiens avaient laissé dans leurs palais n’échappa à l’avidité de ces brigands : tout ce qu’il y avait dans la ville fut emporté ou détruit; les habitants se dispersèrent au loin, et ainsi fut consommée cette grande catastrophe.

Les Arabes marchèrent ensuite contre El-Mehdïa et réduisirent cette ville à la dernière extrémité en lui coupant les commu- ‘nications et les vivres.

Après avoir renversé le pouvoir des Sanhadja, les envahisseurs tournèrent leurs armes contre les Zenata et leur enlevèrent tout le pays ouvert. La guerre entre ces deux peuples ne se termina pas de si tôt, et un descendant de Mohammed-Ibn-Khazer, qui régnait à Tlemcen, plaça un corps de troupes sous les ordres de son vizir Abou-Soda-Khalîfa-el-Ifréni, et l’envoya combattre les Arabes. Il s’ensuivit une longue série d’hostilités ; mais , dans une dernière bataille, l’armée d’Abou-Soda fut mise en déroute et lui-même y perdit la vie.

Tous ces événements ébranlèrent profondément la prospérité de l’Ifrîkïa ; la dévastation s’étendit partout, et une foule de brigands interceptaient les routes et dépouillaient les voyageurs.

A cette époque, le commandement des Zenata et des Berbères nomades était partagé entre quatre grandes familles, les Ifren, les Maghraoua , les Ouémannou et les Ilouman. Après avoir vaincu les Sanhadja et enlevé aux Zenata les pays ouverts de l’Ifrîkïa, les Arabes conquirent encore la province du Zab ; et ayant subjugué tous les Berbères de cette région, ils les accablèrent d’impôts et de contributions.

Lors de leur entrée en Ifrîkïa, les Arabes avaient à leur tête plusieurs chefs de grand renom. De ces personnages, les plus célèbres furent Hacen-Ibn-Serhan, son frère, Bedr-Ibn-Serhan et Fadl-Ibn-Nahed (ces trois guerriers tiraient leur origine de Doreid, un descendant d’Athbedj); puis, Madi-Ibn-Mocreb de la tiibu deCorra, Selama-lbn-Rizc, de la famille de Kethîr (branche de Kerfa, tribu qui forme une subdivision de la grande tribu des Athbedj), Chebana-Ibn-Ohaïmer, son frère Solaïcel (que l’on dit appartenir aux Beni-Atïa, branche des Kerfa), Dîab-Ibn Ghanem de la tribu de Thaur, et Mounès-Ibn-Yahya , que l’on fait descendre de Mirdas; c’est-à-dire, Mirdas de la tribu de Rîah, personnage qu’il ne faut pas confondre avec Mirdas de la tribu de Soleim. En effet, il appartenait aux Sinber, famille de la tribu de Mirdas le rîahide. Les autres chefs marquants étaientZeid-Ibn-Zîdan, de la tribu de Dahhak, Tholeïdjan-Ibn-Abes de celle deHimyer, Zeid-el-Addjadj-Ibn-Fadel, que l’on dit être mort avant l’arrivée de sa tribu [en Ifrîkïal], Farès-IbnAbi-‘l-Ghaïth, son frère Abed, et El-Fadl-Ibn-Abi-Ali, chefs que leurs historiens font descendre de Mirdas (c’est-à-dire, Mirdas le rîahide).

Tous les personnages que nous venons de nommer sont mentionnés dans les poèmes de ces Arabes. Le Dîab-Ibn-Ghanem de cette liste leur servit d’éclaireur lors de l’invasion de l’Ifrîkïa, et pour cette raison ils lui avaient donné le surnom d’Abou-Mokheiber (l’homme aux renseignements).

A cette époque, les Arabes envahisseurs formaient 4 grandes tribus, toutes issues de Hilal-Ibn-Amer ; savoir, Zoghba, Rîah, El-Athbedj et Corra. Quelquefois on désigne la tribu d’Adi comme ayant été avec elles, mais nous n’avons rien pu découvrir de son histoire, et on ne connaît actuellement aucune peuplade qui tire son origine de cette famille. On peut donc supposer qu’elle s’est éteinte, ou, qu’étant numériquement fort réduite, elle s’est dispersée dans les autres tribus. On cite aussi parmi elles la tribu de Rebiâ, mais nous ne connaissons à présent aucune peuplade de ce nom, à moins que ce soit celle qu’on appelle les Makil, ainsi que le lecteur verra plus tard.

Avec la tribu de Hilal, il entra en Ifrîkïa une foule mélangée, composée d’Arabes appartenant aux tribus des Fezara et d’Achedja (branches de celle de Ghatafan), de Djochem-Ibn-Moàouïa-Ibn Bekr-Ibn-Houazen, de Seloul-Ibn-Morra-Ibn-Sâsâ-Ibn-Moaouïa, d’El-Makil, branche de la grande famille des Arabes yémenites, d’Anéza-Ibn-Aced-Ibn-Rebiâ-Ibn-Nizar, de Thaur-Ibn-Moaouïa Ibn-Abbada-Ibn-Rebiât-el-Bokka-Ibn-Amer-Ibn-Sâsâ, d’Adouan-Ibn-Omar-Ibn-Caïs-Ibn-Ghaïlan, et de Matroud, famille dela tribu de Fehm-Ibn-Caïs ‘.

Mais toutes ces fractions de tribu étaient, pour ainsi dire, englobées dans la tribu de Hilal et surtout dans la tribu-branche d’El-Athbedj, parce que cette famille exerçait le commandement sur toutes les autres lors de leur entrée eu Ifrîkïa.

[Les Qurra en Cyrénaïque]

Quant à la tribu de Corra, autre branche de celle de Hilal, ce ne fut ni sous l’administration d’El-Yazouri ni sous celle d’El-Djerdjeraï qu’elle passa le Nil pour se rendre en Ifrîkïa ; vu qu’elle était déjà à Barca, lors du règne d’El-Hakem le fatemide. L’on sait que le souvenir de ses démêlés avec la dynastie fatemide-égyptienne et avec celle des Sanhadja subsiste encore. Elle fait remonter son origine à Abd-Menaf-Ibn-Hilal, comme on le voit par les vers suivants d’un poète appartenant à la race des Arabes nomades:

Nous trouvâmes en eux cette indulgence que nous avions sollicitée ; et certes, des Arabes aussi doux que braves n’ont aucun défaut.

Mais Corra, [descendue] de Menaf, et toute sa race se voient maintenant repoussées loin de là : ainsi nous sûmes obtenir ce que leurs rusesn’avaient pas pu atteindre.

Trois mille d’entre les Corra perdirent la vie; véritable consolation pour le cœur de nos blessés.

Et un autre de leurs poètes a dit:

Seigneur! protège tes créatures contre chaque malheur qui les menace; mais ne protège point la tribu qui garde [ces terres contre nous].

Ces vers ainsi que les suivants sont remplis de fautes de toute nature ; les auteurs y ont violé d’une manière vraiment barbare les règles de la grammaire, de la prosodie et de l’orthographe ; et malgré toutes ces licences, ils n’ont pas pu exprimer leur pensée d’une manière claire.

Distingue par ta faveur Corra [descendue] de Menaf, et toute sa race !

Que cette tribu, guidée par les conseils, soit toujours disposée à fournir de l’eau aux peuplades nomades.

On voit que ces poètes représentent les Corra comme descendants de Menaf, et cependant, il n’y a aucun Menaf dans la généalogie de la tribu de Hilal. Il y a bien un Abd-Menaf, et c’est sans doute lui qu’ils ont voulu désigner.

Lors du règne d’El-Hakem, la tribu de Corra eut pour chef Mokhtar-Ibn-el-Cacem. Quand El-Hakem envoya Yahya-Ibn- Ali-el-Andaloci à Tripoli pour secourir Felfoul-Ibn-Saîd-Ibn Khazroun contre les Sanhadja (événement dont nous parlerons dans l’histoire des Beni-Khazroun), il transmit aux Corra l’ordre d’accompagner ce général. Ils se rendirent donc à Tripoli, mais plus tard, ils rentrèrent à Barca après avoir contribué à la défaite deYahya-Ibn-Ali en l’abandonnant à l’heure du combat. El-Hakem somma alors leurs chefs de c omparaître devant lui, et sur leur refus, il leur expédia des lettres de grâce. Par ce moyen il les attira à Alexandrie où il les fit tous mettre à mort. Ceci se passa en 394 (1003-4).

Il se trouvait alors dans cette tribu un homme qui enseignait le Coran et qui tirait son origine d’El-Moghaïra-Ibn-Abd-er-Rahman l’oméïade. Cet individu, qui se nommait El-Ouélîd-Ibn Hicham [Abou-Racoua] prétendait savoir par inspiration qu’il remonterait sur le trône de ses ancêtres. Les tribus berbères de Mezata, Zenata et Louata ajoutèrent foi à ses paroles, et l’on s’entretint beaucoup à son sujet. Enfin, en l’an 395, les Beni-Corra le proclamèrent khalife et s’emparèrent de la ville de Barca. A cette nouvelle, El-Hakem envoya des troupes contre la tribu révoltée, mais El-Ouélîd-Ibn-Hicham les mit en déroute et tua leur commandant qui était turc de nation. S’étant ensuite dirigé contre l’Egypte, le vainqueur y essuya une défaite et dut chercher un refuge chez les Bédja, dans le pays des Noirs. Trahi par ceux dont il avait espéré la protection, il se vit emmener prisonnier au Caire où il subit la peine capitale.

Plus tard, les Beni Corra parvinrent à obtenir leur grâce. En l’an 402 (4014-2) ils interceptèrent les présents que Badîs-Ibn-el-Mansour, roi des Sanhadja, envoyait en Égypte ; puis ils allèrent s’emparer de Barca. Le gouverneur de cette ville prit la fuite, monta sur un navire et partit.

Telle était encore la position où ils se trouvaient quand leurs frères de la tribu de Hilal, les Zoghba, les Rîah et les Athbedj, pénétrèrent en Ifrîkïa avec leurs dépendants) Ils se mirent en marche avec eux, ayant au nombre de leurs chefs ce Madi-Ibn Mocreb dont le nom se fait remarquer dans l’histoire de la tribu de Hilal.

[Tradition Hilalienne du passage en Afrique]

On conserve chez les Hilaliens des récits fort étranges au sujet de leur entrée en Ifrîkïa. Ainsi, ils prétendent que le chérif Ibn Hicham, prince de Hidjaz, et appelé, selon eux, Chokr-Ibn-Abi l’-Fotouh, contracta une alliance avec [leur chef] Hacen-Ibn-Serhan, dont il épousa la sœur El-Djazia, et que de ce mariage naquit un fils appelé Mohammed. Des querelles et des dissentions s’étant ensuite élevées entre le chérif et les membres de la tribu, ceux-ci prirent la résolution de passer en Afrique. Mais, d’abord, ils usèrent de ruse afin de pouvoir emmener la femme du chérif. D’après leurs conseils, elle demanda à son mari la permission d’aller visiter ses parents. Il y donna son consentement et l’accompagna jusqu’au lieu où la tribu était campée. On partit alors, emmenant le chérif et son épouse, avec l’intention apparente de le conduire à un endroit où l’on se livrerait, le lendemain, au plaisir de la chasse, et de revenir au campement aussitôt que les tentes y seraient dressées de nouveau. Tant qu’ils se trouvèrent sur le territoire du chérif, ils lui cachèrent leur véritable projet, mais, lorsqu’ils eurent atteint les terres situées hors de la juridiction de ce chef, ils le renvoyèrent à la Mecque, le cœur rempli de douleur en se voyant enlever la personne qu’il aimait tant. Sa femme continua à ressentir pour lui un amour égal à celui qui le tourmentait, et elle mourut enfin, victime de sa passion.

Encore aujourd’hui, dans la tribu de Hilal, on raconte au sujet de ces deux amants des histoires à faire oublier celles de Caïs et de Kotheïer. On rapporte aussi un grand nombre de vers attribués au chérif et à sa femme. Bien que ces morceaux ne manquent pas de régularité et de cadence, ainsi que d’une certaine facilité d’expression, on y remarque des interpolations, des altérations et des passages controuvés. Les règles de la syntaxe désinentielle y sont tout-à-fait négligées ; mais, nous avons déjà établi, dans nos Prolégomènes, que l’absence des inflexions grammaticales n’influe nullement sur la juste expression de la pensée. Il est vrai que les gens instruits, habitants des villes, n’aiment pas à entendre réciter de tels poèmes, parce que les désinences grammaticales n’y sont pas toujours exactes ; un tel défaut, selon leur idée, est radicalement subversif de la précision et de la clarté ; mais je ne suis pas de leur avis.

Comme nous l’avons dit, ces poèmes renferment des interpolations nombreuses, et, dans l’absence des preuves qui pourraient attester qu’ils nous ont été transmis sans altération, on ne doit y mettre aucune confiance. Il en serait bien autrement si nous avions la certitude de leur authenticité et l’assurance que la tradition orale les eût conservés dans leur intégrité primitive : alors on y trouverait des passages propres à confirmer l’histoire des guerres de cette tribu avec les Zenata, à déterminer les noms de ses chefs et à établir bien des circonstances qui la regardent. Quant à nous, il nous est impossible d’admettre que le texte de ces poèmes se soit conservé intact ; nous pensons même que tout esprit cultivé y reconnaîtra facilement des passages interpolés. Voilà tout ce que l’on peut dire à ce sujet.

Quoi qu’il en soit, les membres de la tribu de Hilal s’accordent depuis plusieurs générations, à regarder comme vrai l’histoire du chérif et d’El-Djazia ; et quiconque serait assez hardi pour en contester l’authenticité ou même exprimer des doutes, s’exposerait à être accusé de folie ou d’ignorance : tant cette tradition est générale chez eux.

Le chérif dont il s’agit, appartenait à la famille des Houachem. Il se nommait Chokr. On rapporte ainsi sa généalogie: Chokr, fils d’Abou-‘l-Fotouh-El-Hacen, fils de Djâfer, fils d’AbouHachem-Mohammed, fils de Mouça, fils d’Abd-Allah-Abou-‘l-Kiram, fils de Mouça-el-Djoun, fils d’Abd-Allah, fils d’Idrîs . Son père Abou-‘l-Fotouh, fut le même qui, sous le règne d’El-Hakem, se proclama indépendant à la Mecque. Il reçut alors les hommages des Beni-‘l-Djerrah, émirs de la tribu de Taï en Syrie, et cédant à leur invitation, il se rendit au milieu de leurs campements. Tous les Arabes nomades, s’empressèrent de lui prêter le serment de fidélité, mais ses partisans ayant été vaincus par les troupes d’El-Hakem, il rentra à la Mecque où il mourut en 430 (1038-9). Il eut pour successeur son fils Chokr, celui dont il vient d’être question. Chokr mourut en 453 (1061), et sa place fut remplie par son fils Mohammed, le même que les membres de la tribu de Hilal prétendent être né de leur parente El-Djazia. Du reste, nous avons parlé de tout cela dans l’histoire des Alides -. Sa généalogie, telle que nous venons de la donner, est celle que lui assigne Ibn-Hazm ; mais Ibn-Saîd le regarde comme descendant des Soleimanides, étant fils de Mohammed, fils de Soleiman, fils de Dawoud, fils deHacen, fils d’El-Hacen-es-Sibt [petit fils de Mahomet par sa fille Fatema]. Ce fut lui3 qu’Abou-‘s-Seraïa-s-Chaibani proclama khalife, lors de la mort d’Ibn-Tabataba. Il prit alors le surnom de Nahedet s’étant rendu à Médine, il s’empara de tout le Hidjaz, et transmit le gouvernement de la Mecque dans sa famille. Ses descendants furent détrônés par les Houachem.

[Tel est le récit d’Ibn-Said], mais les paroles d’Ibn-Hazm sont plus conformes à la vérité, puisque tout le monde s’accorde à désigner ce chérif comme fils de Hachem, afin de le distinguer de tous les autres chérifs ; et une telle dénomination n’aurait pas été exacte à moins qu’il ne se trouvât un Hachem ou un Abou-Hachem au nombre de ses ancêtres, et plus rapproché de lui qu’El-Hacen et Hocein [les deux aïeux de tous les chérifs]. Quant à Hachem, le plus ancien de tous [et l’arrière-grand père de Mahomet], il ne peut être question de lui dans ce cas, puisque tous les chérifs sont également ses descendants, et que le nom de fils de Hachem ne pourrait alors servir à les distinguer les uns des autres.

Un membre de la tribu de Hilal, homme dont la parole me paraît digne de foi, m’a informé qu’il visita le pays habité autrefois par le chérif Chokr :

« C’est, dit-il, le plateau du Nedjd qui avoisine l’Euphrate, et les descendants de cet émir s’y trouvent encore de nos jours. »

Les membres de cette tribu prétendent qu’El-Djazia, après avoir été séparée du chérif, épousa, en Ifrîkïa, un de leur chefs nommé Madi-Ibn-Mocreb, de la tribu de Doreid.

[Partage de l’Afrique]

Quand El-Mostancer envoya les Hilal en Ifrîkïa, il investit leurs chefs du commandement des villes et des forteresses de ce pays, ainsi que de l’administration des provinces qu’ils allaient conquérir. Ce fut alors qu’il nomma Mounès-Ibn-Yahya-el-Mirdaci, gouverneur de Cairouan et de Beja ; Hacen-Ibn-Serhan, gouverneur de Constantine, et rendit la tribu de Zoghba maîtresse de Tripoli et de Cabes.

Ces Arabes ayant enlevé au peuple sanhadjien toutes ses villes, établirent leur autorité sur les lieux que le khalife leur avait assignés, et firent subir, sans relâche, à leurs nouveaux sujets, toute espèce de vexations et de tyrannie. En effet, cette race arabe n’a jamais eu un chef capable de la diriger et de la contenir.

Expulsés bientôt après des grandes villes, dont ils avaient poussé à bout les habitants par leur insolence et leur injustice, ces bandits allèrent s’emparer des campagnes ; et la, ils ont continué, jusqu’à nos jours, à opprimer les populations, à piller les voyageurs et à tourmenter le pays parleur esprit de rapine et de brigandage.

Quand la tribu de Hilal eut vaincu les Sanhadja, une nation voisine, les Zenata, s’apprêta à lui faire une vigoureuse résistance. Ce peuple, que ses habitudes nomades avaient rendu très belliqueux, se mit en marche de l’Ifrîkïa et du Maghreb central pour repousser les Arabes ; et le prince de la famille Khazer qui régnait à Tlemcen, fit partir son général Abou-Soda-el-Ifreni, chargé d’une mission semblable. Abou-Soda leur livra plusieurs batailles, mais il perdit enfin la vie dans la province du Zab.

La tribu de Hilal se rendit alors maîtresse de tout le pays ouvert ; les Zenata ne purent plus leur résister, ni dans l’Ifrîkïa, ni dans le Zab, et dorénavant, le Mont-Rached [le Djebel-Amour] et le pays du Mozab, dans le Maghreb central, formèrent la ligne de séparation entre les deux peuples.

Restée victorieuse, la tribu de Hilal cessa de se livrer à la guerre ; et les Sanhadja purent conclure la paix avec elle, mais sous la dure condition de lui céder les campagnes [et de ne garder pour eux que les villes]. Dès-lors ils se mirent à fomenter des dissentions entre ces Arabes, et ils aidèrent les Athbedj contre les Rîah et les Zoghba.

En-Nacer-Ibn-Alennas, prince de la Calâ des Beni-Hammad, réunit des troupes pour soutenir les Athbedj, et El-Moëzz-Ibn Zîri de la tribu de Maghraoua et souverain de Fez, vint se joindre à lui avec les Zenata. Ils prirent position à Laribus, et ensuite, ils eurent une rencontre avec les Rîah et les Zoghba à Sebîba. Dans ce combat, El-Moézz-Ibn-Zîri abandonna son allié ; cédant, à ce qu’on prétend, aux inspirations de Temîm-Ibn-el-Moëzz- lbn-Badîs, prince de Cairouan. Cette trahison en’raîna la défaite d’Ibn-Alennas qui dut abandonner aux Arabes et aux Zenata ses trésors et son camp, après avoir perdu son frère El-Cacem dans la mêlée. Il se réfugia à Constantine, vivement poursuivi par la tribu de Hilal, et, plus tard, il atteignit la Calâ des Beni-Hammad, où il se vit bientôt bloqué par l’ennemi. Les assiégeants, après avoir dévasté les jardins et coupé tous les bois qui entouraient la place, allèrent insulter les autres villes de la province. Ayant mis en ruine celles de Tobna et d’El-Mecîla, dont ils avaient chassé les habitants, ils se jetèrent sur les caravansérails, les villages, les fermes et les villes ; abattant tout à ras de terre et changeant ces lieux en une vaste solitude, après en avoir comblé les puits et coupé les arbres.

De cette manière, ils répandirent la désolation partout, et ayant forcé les Sanhadja, princes de l’Ifrîkïa et du Maghreb, ainsi que leurs administrateurs dans les provinces, à s’enfermer dans les grandes villes, ils leur enlevèrent peu à peu les territoires qui leur restaient. Toujours guettant les moments favorables pour les surprendre, ils leur firent acheter par un tribut, la permission de se servir de leurs propres terres.

Fidèles à leurs habitudes destructives, les Arabes ne cessèrent de se livrer à toute espèce de brigandage, au point qu’ils forcèrent En-Nacer d’abandonner la Calâ et de se transporter, avec ses trésors, à Bougie, ville qu’il avait bâtie sur le bord de la mer pour y établir sa résidence.

El-Mansour, son fils et successeur, fit aussi sa demeure à Bougie afin de se soustraire à l’oppression et aux brigandages que la race arabe exerçait dans les plaines : les montagnes de Bougie étant d’un accès fort difficile, et les chemins étant presqu’impraticables pour des chameaux, mettaient son territoire à l’abri de toute insulte.

Tant que la dynastie des Sanhadja conserva le pouvoir, elle reconnut aux Athbedj le droit d’exercer le commandement sur les autres Arabes; mais, quand elle cessa de régner, la tribu qu’elle avait ainsi favorisée perdit toute son autorité et se désorganisa.

[Soumission aux Almohades]

En l’an 541 (1146-7), les Almohades subjuguèrent les royaumes de l’Afrique septentrionale, et plus tard, leur cheikh, Abd el-Moumen, entreprit une expédition en Ifrîkïa. Arrivé à Alger, il reçut la visite de deux chefs de ces Arabes nomades : l’un était Abou-‘l-Khalîl-Ibn-Keslan, émir de la tribu d’Athbedj, et l’autre, Habbas-Ibn-Mochcifer, personnage notable de la tribu de Djochem. Il leur fit un excellent accueil, et les ayant nommés au commandement de leurs tribus respectives, il reprit sa marche et s’empara de Bougie, en l’an 559 [sic : 547].

Plus tard, les Hilaliens se révoltèrent [contre les Almohades] et embrassèrent le parti des Sanhadja. S’étant placés sous les ordres de l’émir des Rîah, Mahrez-Ibn-Zîad, membre de la famille Fadegh, [brandie de la tribu des Beni-Ali, fraction des Rîah], ils rencontrèrent à Setîf les troupes almohades qui s’avançaient contre eux sous la conduite d’Abd-Allah, [un des] fils d’Abd-el-Moumen. [Décidés à vaincre ou à mourir], ils coupèrent les jarrets de leurs montures [pour s’ôter leur seul moyen de fuite], et pendant trois jours ils se tinrent de pied ferme au milieu d’un champ de carnage. Le quatrième jour, ils reculèrent en désordre, après avoir essuyé des pertes énormes. Leurs troupeaux, leurs femmes et leurs chefs les plus distingués tombèrent au pouvoir des vainqueurs. Une fuite précipitée put seule soustraire les débris de l’armée arabe à une poursuite qui ne s’arrêta qu’à la plaine de Tebessa.

Cette rude leçon leur inspira des sentiments plus sages, et ils s’empressèrent de reconnaître l’autorité des Almohades et d’adopter la cause de ce peuple en partisans dévoués.

Abd-el-Moumen leur rendit alors les prisonniers qu’on leur avait faits, et depuis lors, les Arabes continuèrent à servir fidèlement la dynastie almohade. Ils lui fournirent même des troupes pour l’aider à faire la guerre sainte en Espagne. Les appels qu’Abd-el-Moumen leur adressait pour les excitera cet acte de religion étaient quelquefois rédigés en vers.

Ils combattirent en Espagne sous Abd-el-Moumen et sous son fils Youçof, comme on le verra dans l’histoire de la dynastie almohade, et jusqu’à l’an 581 (H85-6) ils demeurèrent fidèles à cette famille.

[Ghanides de Mayorque contre Ya’qub a-Mansûr]

Yacoub-el-Mansour [fils de Youçof] venait de monter sur le trône quand les fils de Ghanîa, émirs de Maïorque et membres de la tribu [almoravide] des Messoufa, traversèrent la mer avec une flotte et surprirent la ville de Bougie. Levant alors le masque, ils se déclarèrent les adversaires des Almohades, et ayant fait un appel au peuplearabe, ils l’entraînèrent dans ses anciennes habitudes de révolte. Parmi les tribus hilaliennes, on vit celles de Djochem et de Rîah, ainsi que tous les Athbedj, répondre à cette invitation; mais la tribu de Zoghba se joignit aux troupes que le gouvernement almohade envoya en Ifrîkïa pour étouffer l’insurrection.

Les fils de Ghanîa se rendirent à Cabes avec toute la tribu de Djochem et toute celle de Rîah. Arrivés là, ils rallièrent autour d’eux les débris de leur peuple ; les Messoufa, ainsi que leurs frères de la tribu de Lemtouna, accoururent de l’extrémité du pays et proclamèrent la suprématie des Abbacides, principe que les émirs de la famille de Tachefîn avaient toujours soutenu dans le Maghreb et propagé chez tous les peuples et dans tous les royaumes qui reconnaissaient leur autorité. Installés à Cabes, les fils de Ghanîa firent demander au khalife El-Mostancer (sic : an-Nacir), le renouvellement de l’acte qui assurait à leurs aïeux le droit de régner sur le Maghreb. Leur secrétaire Abd-el-Berr-Ibn-Ferçan, se rendit à la cour de Baghdad et obtint pour Ibn-Ghanîa, la reconnaissance de son autorité et l’autorisation de faire la guerre aux Almohades.

Ali-Ibn-Ghanîa, ayant réuni sous ses drapeaux toutes les branches de la tribu de Soleim-Ibn-Mansour (peuplade qui avait passé en Afrique à la suite des Hilal) et se trouvant appuyé par Caracoch l’arménien (personnage dont nous raconterons les aventures plus tard) et par un corps très-nombreux d’Almoravides, d’Arabes et de Ghozz, se rendit maître de la campagne, et soumit Cafsa, Touzer, Nefta et les autres villes du Jerîd.

El-Mansour marcha contre lui, et partit de Maroc, traînant à sa suite les populations du Maghreb. Son armée renfermait des troupes zenatiennes et masmoudiennes, celles de la tribu de Zoghba et la grande majorité de la tribu d’El-Athbedj. Son avant garde ayant été écrasée par Ibn-Ghanîa, dans la plaine d’Omra, aux environs de Cafsa, il sortit lui-même de Tunis pour aller à la rencontre des insurgés. Les ayant mis en déroute, il les refoula dans le désert de Barca, et leur enleva le pays de Castîlïa ainsi que les villes de Cabes et de Cafsa.

Les tribus de Djochem et de Rîah s’étant alors empressées de faire leur soumission, il les déporta dans le Maghreb-el-Acsa où il établit la première dans la province de Temsna, et la seconde dans le canton d’El-Hebet et dans les régions maritimes d’Azghar, province située entre Tanger et Salé.

Plus tard, Masoud-Ibn-Soltan-Ibn-Zemam , émir des Rîah, s’évada d’El-Hebet [avec une portion de la tribu qui avait été déportée en Maghreb]. Après s’être arrêté chez les Zoghba et les Debbab, branches de la tribu de Soleim, il alla avec ses Rîah au secours de Caracoch et assista, sous ses ordres, à la prise de Tripoli, où il mourut. Le commandement de sa tribu passa alors à son fils Mohammed. Abou-Mohammed-Abd-el-Ouahed le hafside, ayant établi son indépendance en Ifrîkïa, marcha contre el-Maïorki et le défit à El-Hamma. Cette bataille coûta la vie à un grand nombre de partisans d’Ibn-Ghania, et la liberté à plusieurs parents de Mohammed, fils de Masoud. Dans le nombre des prisonniers se trouvèrent son fils Abd-Allah, son cousin paternel Haracat-Ibn-es-Cheikh-Ibn-Açaker-Ibn-Soltan, et le grand cheikh de la tribu de Corra. Abd-el-Ouahed leur fit trancher la tète à tous, et Yahya-Ibn-Ghanîa s’enfuit dans le Désert, sa retraite ordinaire.

[Confédération pro-almohade Zenata-Badîn et Hilal-Zoghba]

Depuis la défaite des Zenata par la tribu de Hilal, le Mozab, territoire situé entre le Désert de l’Ifrikïa et celui du Maghreb central, devint un pays limitrophe, servant à séparer ces deux peuples. On y voit encore plusieurs bourgades érigées par les Zenata et dont chacune porte le nom de la famille qui l’avait fondée.

La portion des Zenata appelée les Beni-Badîn et qui se composa des Beni-Abd-el-Ouad, des Toudjîn, des Mozab, des Beni Zerdal et des Beni-Rached se montra partisan dévoué des Almohades, dès le commencement de leur puissance. Les Beni Badîn s’étaient beaucoup plus rapprochés de cette dynastie que leurs rivaux, les Beni-Merîn : dans le Maghreb central ils possédaient une plus grande étendue des plateaux et du littoral qu’aucune autre section des Zenata , et, dans leurs courses d’été, ils y pénétraient plus avant qu’il n’aurait été permis à aucune autre tribu nomade de le faire ; bien plus, ils formaient une partie de l’armée almohade et du corps de troupes chargé de protéger les frontières de cet empire. A l’époque dont nous parlons, ils étaient sous les ordres du prince du sang, gouverneur de Tlemcen.

Ce fut chez ce peuple que les Zoghba allèrent s’établir quand on obligea leurs frères [les Djochem et les Rîah] à se transporter [dans leMaghreb-el-Acsa]. Cette tribu passa alors dans le Mozab et le Djebel-Rached, localités situées au sud du Maghreb central ; elle qui, auparavant, avait obtenu en partage les villes de Cabes et de Tripoli ; elle, qui avait soutenu des guerres contre les Beni-Khazroun, souverains de Tripoli, et tué Saîd-Ibn-Khazroun, un des princes de cette famille. Ainsi, la révolte suscitée par Ibn-Ghanîa et la préférence que les Zoghba montrèrent en cette occasion pour la dynastie almohade, eurent pour résultat leur établissement dans cette région.

Ils formèrent alors une confédération avec les Beni-Badîn. Les deux peuples s’obligèrent par serment, à vivre en bons voisins et à se prêter mutuellement secours pour la défense de leur territoire, qui était toujours exposé aux attaques de leurs ennemis. Leur alliance s’étant ainsi opérée par un contrat formel et par l’influence du voisinage, les Zoghba s’établirent dans le Désert, et les Beni-Badîn sur les plateaux et dans les plaines du Maghreb.