Geoffroy Malaterra, Geste de Roger de Sicile, Prise de Malte, v. 1090 n-è

IV, 16

Ainsi donc, le comte organisa sagement toute la Sicile comme il le souhaitait.

Mais, habitué à des opérations militaires, impatient en temps de paix, soucieux dans le travail et âpre au gain, refusant de laisser son corps s’envelopper de paresse à cause du manque de son exercice habituel, il considéra avec le plus grand soin quel royaume d’outre mer il pourrait être en mesure de conquérir. Parce qu’il savait que l’île de Malte était plus à portée de main que d’autres pays, qu’il pourrait se l’approprier, il ordonna à sa flotte de voguer sur elle et de l’attaquer : il demanda à ses chevaliers de participer à cette même opération.

[… contretemps]

Là, après avoir consulté ses conseillers, il congédia son armée pour une brève période, ordonnant que tout ses gens rentrent chez eux et se préparent pour l’expédition de Malte.

Après 15 jours de temp, ils devaient le rencontrer à Capo Scalambri, où il avait ordonné à sa flotte de se rassembler […eau douce dans le port] Au jour fixé, au corus de Juillet, une grande armée de toute la Sicile et la Calabre se réunit, et au soir le comte se hâta de les faire embarquer sur les navires.

Alors que la flotte était en cours de préparation, le fils du comte, Jourdain, pensa que son père ne souhaitait pas vraiment aller à Malte, mais qu’il allait lui déléguer la tâche de diriger la flotte. Cependant, alors qu’il allait embarquer, le comte le convoqua et lui ordonna de rester à la garde de la Sicile, avec certains hommes qu’il avait choisis personnellement. Jourdain ne devait entrer dans aucune cité ou Castrum avant son retour de Malte mais devait loger sous la tente quelque part en Sicile, pour la défendre et de soutenir cette invasion en se tenant prêt à  se porter à son secours si cela s’avèrait nécessaire.

Ayant ouïe son père qui lui disait de faire quelque chose de très différent de ce qu’il avait pensé, il fut pris d’un grand étonnement, et essaya de dissuader son père du projet qu’il avait édicté. Il déclara, les larmes aux yeux, qu’il serait bien mieux, si tel était le bon plaisir de son père, qu’il lui confiat cette mission, étant plus jeune, tandis que son père devrait profiter des bienfaits du repos et se détendre après ses nombreux ouvrages, comme un homme qui reçoit les récompenses de la vieillesse, qu’il serait moins terrible que ce soit lui, un jeune homme de peu de valeur, qui périsse dans cette très périlleuse entreprise, plutôt qu’un homme d’une telle autorité et d’une telle sagesse.

Le comte était furieux des dires de son fils. Il répondit que personne, fusse son fils ou quiconque, ne devrait oser à l’avenir lui infliger de telles injures publiques, et que puisqu’il il voulait être le premier à posséder cette propriété, il était donc logique qu’il soit le tout premier à l’acquérir.

Ainsi, alors que de nombreux hommes restèrent en arrière et furent émus aux larmes de leur pieuse affection, le comte s’embarqua. Avec les trompettes sonnant sur ​​son ordre et de nombreux autres types d’instrument de musique, selon les compétences du joueur, les ancres furent relevées et, après une préparation minutieuse, ils levèrent les voile.

Le second jour, grâce à un vent favorable, ils atteignirent Malte. Le vaisseau du comte avait navigué plus vite que tous les autres et fut le premier à toucher terre. Lui-même et 13 chevaliers débarquèrent, enfourchèrent leurs chevaux et attaquèrent une grande foule d’habitants qui étaient venus à leur rencontre pour leur barrer la route. Le comte en tua un grand nombre et le reste prit la fuite ; il les poursuivit sur une distance considérable, abattant les traînards. Il retourna de cette course, en soirée etl passa cette nuit au bord de la mer avec le reste de son armée.

Au lever du jour, le lendemain matin, il marcha sur la Cité qu’il assiégea, en envoyant des groupes razzier sur toute la surface de l’île. Ni le Qaïd qui régnait sur la Cité et sur l’île, ni ses administrés n’étaient coutumiers des activités militaires, et ils étaient terrifiés par la présence de leurs ennemis.

Ils demandèrent, de leur propre gré, un sauf-conduit pour venir négocier avec le comte : il  accepta et ils se rendirent sous sa tente pour lui demander des clauses de paix.

Ils tentèrent de contouner le sujet, mais ils se rendirent finalement compte qu’ils ne pourraient pas tromper ce prince habile.

Sur requête du comte, ils durent en premier lieu libérer les prisonniers chrétiens qu’ils retenaient dans la ville, et ils offrir au comte chevaux et mules, toutes leurs armes, ainsi qu’une énorme somme d’ argent .

Ils spécifièrent la somme annuelle qu’ils allaient payer, et promirent l’obéissance de la Cité au comte, prêtèrent serment selon leur propre loi, et se lièrent à lui. Les prisonniers chrétiens quittèrent la ville, versant des larmes de joie et transporté au tréfond de leurs coeurs par leur liberté. Ils brandirent des croix de bois ou de roseaux dans la main droite, en fonction de ce qu’ils ramassèrent le plus vite et entonnèrent le Kyrie Eleison, avant de se jeter aux pieds du comte.

Voyant cela, nos hommes ont été baignés dans des flots de larmes par un tel spectacle pieux. S’étant lié la cité de la sorte, le comte emporta les captifs et les embarqua sur ​​les navires, et ce fut un retour très rapide, et quelque peu anxieux, tant le poids des captifs était lourd qu’il craignait de sombrer.

Mais la Droite de Dieu, à laquelle nous croyons, se manifesta durant cet événement, en maintenant les navires à flots et les portant même d’une coudée plus haut, dans la mer, comme s’ils pesaient moins lourd qu’à l’aller !

Alors qu’il faisait voile forcée pour rentrer à travers flots, il vit au loin une île appelée Gozo, et il tourna ses voiles dans cette direction avec l’intention de la conquérir. Il y débarqua, l’attaqua et la ravagea, sachant que, par ce moyen, il garantierait sa reddition et la placerait sous sa suzeraineté.

De là, il vogua en toute sécurité vers la Sicile, rapportant un énorme butin pour ses fidèles sujets qui l’attendait. Il ramena également les captifs qu’il avait sauvé de la captivité.

Il les réunit tous ensemble et les affranchi, et offrit à ceux qui le désiraient de rester avec lui en Sicile et de leur construire un village à ses propres frais, à l’endroit de leur choix, et qu’il pourvoierait à tout le nécessaire pour son fonds de dotation, à ses frais : il serait appelé «Villafranca», c’est-à-dire « village libre », qui seraient exemptés de tout tribut ou corvée servile, à perpétuité.

Ceux qui voulaient revoir leurs propres terres et amis, il leur donna permission d’aller où il leur plaisait, leur offrit le nécessaire pour traverser ses terres et libre passage du détroit de Messina. Ces derniers rendirent joyeusement grâce à Dieu et au comte pour leur liberté, et ils purent tous rentrer chez eux à travers nombre de pays différents, en fonction des lieux de leurs terres natales, étendant au loin la bonne réputation du comte.