AZ-ZARAKHSHI, CHRONIQUE DES ALMOHADES ET DES HAFSIDES, v. 1310

Louanges soient à Dieu, auteur des vicissitudes des temps, qui confie à certains hommes Tautorité sur d’autres, qui dépose dans le cœur des humains des convoitises « dont ils ne demandent pas le changement )) (Koran, XVIII, 108).

L’Imam et Mahdi se nomme Moh’ammed ben ‘Abd
Allah ben ‘Abd er-Rah’mân ben Hoûd ben Khâlid
ben Temmâm ben ‘Adnân ben Cha’bân ben Çafwân
ben Djébir ben ‘ At’â ben Rebâh’ ben Moh’ammed ben
Soieymân ben *Abd Allah ben el-H’oseyn ben ‘Ali
benAboûT’éleb(l). C’est ainsi du moins qu’est établie
sa généalogie dans la chronique du secrétaire Aboû
‘Abd Allah Moh’ammed ben Nakhîl (2). Audire d’Ibn

 

(1) Sur cette généalogie, que nous reproduisons telle quelle, yoir
Ibn Khaldoûn (Histoire des Berbères, trad. de Slane, ii, 161) et *Abd
el-Wâhid Merrâkechi (trad. française, p. 155).

(2) Le texte imprimé à Tunis porte Nadjtl dans presque tous les
passages où ce nom figure. On voit par le nom tel qu’il est donné
ici que le chroniqueur et le secrétaire d’Aboû Moh’ammed le Hafcide
ne font qu’un, ainsi que Ta conjecturé M. de Slane (Berbères, ii,
293; cf. rindex, s, v. Ibn Nakhil).

 

— 2 —

Sa’îd dans son El-Bayân el-Moghrib (1), le père du
Mahdi s’appelle ‘Abd Allah, Toùmert et Amghâr (2), et
rimâm lui-même naquit en 491 (8 déc. 1097). Sa
naissance est fixée par Ibn Khallikôn à 484, par Ibn
el-Khat’îb Andalosi à 486, par El-Gharnât’i à 471.

11 reçut d’abord à Cordoue les leçons du k’àd’i
Ibn H’amdoùn, puis il gagna Mehdiyya et y suivit
les cours de Timâm El-Mâzeri (3) ; il arriva ensuite à
Alexandrie à Tàge de dix-huit ans et y eût pour
maître Timâm Aboû Bekr T’ort’oûchi (4) ; il gagna
enfin Baghdâd, où il reçut renseignement de Timâm
Ghazzâli (5). Quand le livre de celui-ci intitulé la
Vivification (Ih’yâ ‘oloûm ed-dîn) arriva au Maghreb,
quelqu’un donna au prince des Lamtoùna le conseil
de faire mettre ce livre en pièces. Cela arriva aux
oreilles de Ghazzâli, qui s’écria : « O mon Dieu ! dé-
chire de même leur pouvoir. — Par mes mains, sei-
gneur ? dit le Mahdi. — « Oui, » dit Ghazzâli, (( par

 

(1) Peut-être s’agit-il de la chronique dont le seul fragment connu,
qui s’arrête avant la période almohade, a été publié par Dozy sous
ce titre. Dans son Introduction (Histoire de l’Afrique et de l’Espa-
gne, intitulée: Al-Bayano ‘l-Mogrih» t. i, p. 78), Dozy combat l’at-
tribution, que fait notre auteur, de cet ouvrage à Ibn Sa’id.

(2) Le nom d’Amghâr est attribué à Ibn Toûmert lui-même (Ber-
bères, II, 161 de la traduction) ; mais le texte arabe (i, 298, 1. 4) ne
comporte pas nécessairement ce sens.

(3) Aboû *Abd Allah Moh’ammed ben ‘Ali ben ‘Omar Temîmi Mâ-
zeri, connu pour sa science juridique et médicale, était établi à Meh-
diyya et mourut en 536, à plus de bO ans. 11 était élève du célèbre
juriste Lakhmi, et sans avoir été le professeur du k’âd’i *lyâd*, il lui
conféra la licence (voir Sidi Khalîl, p. 6, 1. 17, et les commentaires
ad h. l. ; ms. 2877, Sup. ar. de la Bibl. nationale, f» 118, v» ; ms.
1377, Ane. fonds, f» 232; Ibn Khallikân, m, 4; Amari, Bibliotcca,
trad., II, 586). La localité de Sicile d’où il est originaire est orthogra-

ghiée Mâzar par le Mcrâçid, Mâzara ou Mâzira par Derdir et
iharachi.

(4) Aboû Bekr Moh’ammed ben Welîd, -|- 520, est l’auteur du Sirâdj
el-Moloûk (ms. 2877 précité, f* 117, v» ; Ibn Khallikân, ii, 665).

(5) Certains chroniqueurs mettent ce fait en doute (Berbères, u,
163). Le passage depuis a sa naissance… » est cité par Rousseau^
Journal asiatique, 1852, ii, 170.

 

– 3 —

tes mains ! » Ce vœu du maître confirma ce que pen-
sait déjà le futur réformateur à ce sujet.

11 regagna le Maghret après cinq ans de séjour en
Orient ou, selon d*autres, en Ifrîk’iyya, en 514 (1®” avril
1120). Il passa par Mehdiyya et y améliora les mœurs,
sous le règne d”Ali ben Yah’ya ben Temîm ben el-
Mo’izz [P. 3] Çanhâdji. il y a à Zav^îla une mosquée
qui porte son nom. Le cheykh Aboû ‘1-H’asan
Bat’erni (1) raconte avoir ouï dire à son cheykh Khalîl
Mezdoûri : Le vertueux chevkh Aboû ‘Abd Allâh
Moh’ammed Çak*alli (2), enterré à Abar, dans le can-
ton de Mornàk’, l’un des bourgs dépendant de Tunis
(3), m’a rapporté ceci : « L’Imam et Mahdi passa au-
près de moi pendant que j’étais à Zawîla et me dit :
Chevkh, Timâm Aboû H’àmid te salue ! » El-Bat’erni
ajoute qu’il a ouï dire que Çak’alli vécut 313 ans.

Le Mahdi se rendit ensuite à Tunis du temps que
les BenoûKhorâsân (4) gouvernaient cette ville, et de là
à Bougie, qu’administrait alors un délégué d’El-‘Azîz
benel-Mançoûrben en-Nâçirben’Alennâs benH’ammâd
Çanhâdji. Ilsetenaitd’ordinairesurune roche de l’acco-
tement de la route, proche des habitations de Mellâla

 

(1) L’orthographe de ce nom ethnique (Bat’erna est une localité
espagnole citée par Edrisi, éd. Dozy et de Gœje, p. 242) est fixée par
les voyelles qu’a ajoutées le copiste du ms d’Ahmed Bâbâ (n» 1738
du Catalogue des mss. d’Alger). Aboû *1-H’asan Moh’ammed ben
Ah’med ben Moûsa Ançâri Bat’erni Toûnesi naquit en 703 (f” 97;
cf. K’arâfi, ms. 2455, Supp. ar. de la Bibl. nation., f» 86). Ces deux
auteurs (f* 114 du premier; f” 70, v», du second) parlent aussi d’un
Aboû ‘Abd Allâh Moh’ammed ben Sâlim ben H’asan Bat’erni, + 848.
Voir également p. 49 du texte arabe de notre chronique.

(2) Un savant de ce nom mourut à Grenade en 518 (Ahen Pascua-
lis Assila, p. 548).

f (3) Il est parlé de Moinâk* dans Bekri (trad. de Slane, p. 92) et
dans Tidjâni {Journ. as , 1852, ii, 76). Ce nom est orthographié Mer-
nac dans la Table géographique de 1’^. des Berbères, et Mirnâq
dans la Bibl. ar.-sicula d’Amari, trad., ii, 267.

(4) Nous avons rétabli ce nom, qui esi défiguré dans le texte im-
primé et les mss., d’après Ibn Khaldoun (Berbères, ii, 29).

 

— 4 _

et que Ton nomme de son nom encore de nos jours.
C’est pendant qu’il était là qu’il trouva ‘Abd el-Mou’min
ben ‘Ali en train de faire le pèlerinage en compagnie
de son oncle. Le voyageur, séduit par ce qu’il vit des
actes du maître, renonça à son projet et reçut avec
zèle le nouvel enseignement (1). L’Iraâm accompa-
gné de son disciple s’en alla vers le Maghreb et
s’installa à Wâncherîs, où se joignirent à lui des
Berbères qui devinrent les principaux de ses compa-
gnons; de là il se rendit à Tlemcen, alors que déjà
ce qui le concernait faisait le sujet des conversa-
tions. 11 gagna Fez, puis Miknâs (Mequinez), où il
proscrivit les choses répréhensibles, mais où il fut battu
par les méchants, de sorte qu’il s’installa à Merràkech
au milieu de rebî’ i 515 (juin 1121). 11 y rencontra
le prince de cette ville, ‘Ali ben Yoûsof Lamtoûni
[l’AlmoravideJ, dans la mosquée principale au mo-
ment de la prière du vendredi et lui adressa des
avertissements conçus dans des termes très vifs.
‘Ali conféra à ce propos avec les juristes que rem-
plissaient la peur et la jalousie du nouveau venu, car
il professait, en opposition avec eux, les doctrines
ach’arites pour l’interprétation des semblables. A la
suite d’une controverse qu’il dut soutenir avec eux
en présence d’ ‘Ali ben Yoûsof et où la victoire lui
resta, il s’enfuit le jour même de Merràkech et alla
s’installer à Aghmât^ où, selon son habitude, il ré-
forma les choses blâmables. Mais les habitants exci-
tèrent ‘Ali ben Yoûsof contre lui, et le réformateur

 

(1^ D’après une autre version, ‘Abd el-Mou’min s’était mis à la
recherche d’Ibn Toûmert pour profiter de son enseignement (Berbè^
res, I, 253; cf. ma traduction d’Abd el-Wâhid Merrakechi, p. 156).

 

— 5 —

dut se retirer avec ses disciples d’abord à Mesfîwa (1),
puis chez les Hinlâta,où il rencontra un de leurs chefs,
Aboù H*afç ‘Omar benYah’ya, qui devint plus tard un
de ses cheykhs. Il passa ensuite, toujours dans la mê-
me année 515, à Iglîz (2), chez les Hergha^ ses com-
patriotes où il éleva un couvent à Tusage des reli-
gieux ; les étudiants et les tribus [berbères] s’assem-
blaient autour de lui pour entendre son enseigne-
ment de rUnitarisme. Le k’âd’i de Merrâkech, Mâlik
ben Woheyb (3), qui était astrologue, avertit Témîr
‘Ali ben Yoûsof : « Précautionne-toi, lui dit-il, con-
tre cet homme en ce qui a trait à ton gouverne-
ment ; mets-le hors d’état d’agir [P. 4] pour qu’il ne
fasse pas un jour résonner le tambour à tes oreilles,
car je crois que c’est lui qui est l’homme au dirhem
carré. » ‘Ali dépêcha des cavaliers pour l’arrêter,
mais il leur échappa. Alors Aboû Bekr ben Moh’am-
med Lamtoùni, gouverneur de Soûs, aposta des gens
des Hergha pour le faire tuer, mais les autres furent
prévenus, emmenèrent le Mahdi dans leur citadelle
de refuge et massacrèrent les conjurés. Ils invitèrent
ensuite les Maçmoùda à lui prêter serment de fidé-
lité en reconnaissant la doctrine unitaire et en s’en-
gageant à combattre les anthropomorphistes, et cette
cérémonie eut lieu le vendredi 14 ramad’àn 515, à
l’ombre d’un caroubier. Ce furent les dix Compa-
gnons qui commencèrent, savoir : ‘Abd el-Mou’min

 

(1) Je corrige «^Xjjx*»*^ des mss . et de rimprimé en «jJ^m»^ d’après
YHist, des Berbères (ii, 168 ; table géogr., dito ; texte, i, 301).

(2) A fj^-^} ; B {j:}^} ; C manque ; D ^Jt^’ ; Berbères, 1. 1.

(3) Voir Ibn Khallikân, ii, 265; Histoire des Almohades do Mer^
râkechi, trad. fr., p. !60.

 

– 6 —

ben ‘Ali, le cheykh Aboû *Ali ‘Omar Çanhâdji, le
cheykh Aboû H’afç ‘Omar Hintàti, Ismâ’îl ben Ma-
khloûf, Ibrâhîm ben Ismâ’îl Herghi , Ismû’îl ben
Moûsa, Aboû Yahya ben Mekîth, Moh’ammed ben
Soleymân, Aboù Moh’ammed ‘Abd Allah ben Me-
loùtât, Aboû Moirammed ‘Abd Allah ben ‘Abd el-
Wàh’id, surnommé El-Bechîr. Vinrent ensuite par-
mi les Hintâta Yoûsof ben Wânoûdîn, Ibn Yagh-
moûr, Ibn Yâsîn et ceux qui tiraient leur origine
d”Omar ben Tâferâdjîn (1), puis toute la tribu de
Hergha. Ensuite, il se mêla à ses fidèles qui, l’en-
tourant, lui adressèrent leurs témoignages de consi-
dération et lui décernèreni le titre de Mahdi, au lieu
de celui d’Imàm qu’il avait porté jusque-là.

Trois ans après son intronisation, il alla s’établir
dans la montagne de Tînmelel ; il s’y fit construire
une habitation^ ainsi qu’une mosquée* dans les envi-
rons de la source du Wâdi-Niflfîs*(2), et il combattit
les Maçmoûda qui avaient refusé de le reconnaître jus-
qu’à ce qu’ils fissent leur soumission. Voulant en-
suite combattre les Lamtoûna, il marcha contre eux
avec tous ses partisans maçmoûdites*de Tînmeler(3),
les battit et les poursuivit jusqu’à Aghmât ; mais là
il se heurta aux troupes des Lamtoûna que com-
mandaient Beggoû ben ‘Ali ben Yoûsor et Ibrâhîm
ben Tâ’abbâset* (4) ; il les battit à leur tour et les

 

(1) A, B et C présentent sous une forme plus ou moins corrom-
pue une leçon qui se rapproche de celle des Berbères (ii, 17C), c’est-
à-dire : «… Ibn Yâsîn; parmi ceux de Tînmelel, ‘Omar ben Tâ-
ferâdjîn. »

(2; Ces mots ne figurent que dans D ; cf. Berbères, ii, 171. L’or-
thographe Niffîs est fixée par Bekri ; cf. Ibn Khallikan, iv, 470.

(3) D’après A, B, C.

(4) D’après D seul; A, B, C lisent j& au lieu de Beggoû; cf. Ber-
bères, 11, 17i.

 

— 7 —

poursuivit dans la direction de Merrâkech jusqu’à
El-Boh’eyra. L’armée almohade, qui comptait plus
de 40,000 fantassins, mais seulement 40 ou, selon
d’autres, * 400 cavaliers, mit le siège devant cette
place et la serra de très près pendant quarante jours
environ , en 524 (14 déc. 1129). Mais alors ‘Ali ben
Yoûsof sortit à la tète de la population par la porte
diteBâb-Aylân, et battit les assiégeants, à qui il tua
beaucoup de monde et enleva un riche butin. Parmi
les compagnons du Mahdi, El-Bechîr disparut et ^Abd
el-Mou’min ben ‘Ali déploya une valeur qui fut remar-
quée. Le Mahdi s’éloigna de Merrâkech et mourut
quatre mois après, la nuit du mercredi 13 ramad’én
524, à ce que raconte Ibn Nakhîl dans sa chronique;
il y avait neuf ans qu^on lui avait prêté le serment
de fidélité. D’après Ibn Khaldoun, sa mort arriva
[P. 5] en 522. 11 était, dit ce chroniqueur, d’une con-
tinence absolue et portait un manteau ( «pUô ) ra-
piécé ; par la mortification des sens et la pratique de
la dévotion, il était parvenu à un haut degré de per-
fection spirituelle. On ne pouvait reprocher à sa doc-
trine d’autre tendance hétérodoxe que de se trouver
d’accord avec les Imâmiens chî’ites en ce qui con-
cerne l’imâm impeccable. On l’enterra dans la mos-
quée attenant à la demeure qu’il occupait à Tînme-
lel (1).

Ses compagnons cachèrent sa mort et prêtèrent
serment de fidélité au cheykh Aboû ‘Ali ‘Omar Çan-
hâdji, surnommé Açnâk, qui leur dit au bout de
peu de temps que celui qui avait été désigné par
rimâm pour lui servir de successeur était ‘Abd el-

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(1) Voir Berbères, ii, 173 et 496.

 

— 8 —

Mou’min ben ‘Ali. Celui-ci fut en effet reconnu par
eux ; il conquit une grande partie du Maghreb, diri-
gea les Almohades et envoya ses guerriers partout ;
sa grande campagne du Maghreb dura de 534 à 541
(1139-1146). 11 partit de Tînmelel, et, de son côté,
Tàchefîn ben ‘Ali ben Yoùsof ben Tàchefîn, qui ré-
gnait à Merrâkech, se mit en campagne ; mais les
populations fuyaient celui-ci pour se joindre à ‘Abd
el-Mou’min et, à la faveur de la guerre, se refu-
saient à payer les impôts. Au cours de ces événe-
ments, le 3 redjeb 537, ‘Ali ben Yoûsof de Merrâkech
vint à mourir. C’est lui qui bâtit Merrâkech en 520
(1126); il l’entoura de murailles, construisit le réser-
voir, la mosquée-cathédrale et le palais royal ; grâce
à lui, les maisons couvrirent une étendue de sept
milles. Cet emplacement était auparavant un fourré
habité par les Berbères, à qui son père Yoûsof ben
Tâchefin l’acheta moyennant soixante-dix dirhems ;
il y éleva une petite mosquée de briques cuites, et les
Berbères ayant, sur son ordre, continué d’y habiter,
y installèrent des palissades de branchages (1); cet
état de choses dura jusqu’à la fondation de la ville.

‘Abd el-Mou’min s’avança avec son armée de
Tlemcen vers Oran, et battit l’armée almoravide qui
l’assaillit. Tàchefîn alors alla se cacher dans un cou-
vent (râbit’a) qui se trouve de ce côté et voulut s’en-
fuir quand la nuit fut venue ; mais il tomba de che-
val et se tua sur l’un des flancs de la montagne, le

(1) Le mot Çjpy^ figure sous la forme accusative Lojâ. dans A

C D ; dans B, une surcharge Ta transformé en toUsâ.) ; voir aussi
le Kartâs» p. 32, 1. 11, elle Supplément de Dozy^. Le sens que j’ai
attribué à ce mot repose sur Texplication d’un indigène instruit et

oonsciencieux : J-=fc*^’ ^j^ {J^ jr \£^Jt^ C^J-^** O*-^

 

– 9 –

27 ramad’ân 539 (1). Tandis que sa tête était en-
voyée à Ttnmelel par *Abd el-Mou’min, les débris de
son armée se jetaient dans Oran, où ils étaient as-
siégés avec les habitants ; noais le manque d’eau les
força tous à reconnaître l’autorité d”Abd el-Mou’-
min, le jour de la rupture du jeûne de cette même
année ; le vainqueur fit ruiner et démanteler la ville.
II envoya ensuite un corps d’armée s’emparer de
Tlemcen et se rendit à Fez, où il reçut le serment
de fidélité envoyé par les habitants de Ceuta ; il nom-
ma Yoûsof ben Makhloûf Hintâti gouverneur de cette
dernière ville et alla ensuite conquérir Salé. De là^ il
se dirigea sur Merrâkech, où commandait alors Is-
h’âk ben ‘Ali ben Yoûsof, que l’on avait, malgré son
extrême jeunesse, placé sur le trône à la suite de la
mort de son frère. Après avoir subi un siège de
neuf mois (2), les habitants poussés par la faim ten-
tèrent une sortie [P. 6] où ils furent battus et pour-
suivis par les Almohades ; la ville fut prise vers la fin
de chawwâl 541, et Ish’âk’, qui avait d’abord pu
s’échapper, fut ensuite massacré le 18 de ce mois.’Abd
el-Mou’min resta ainsi maître de tout le Maghreb,
d’où la dynastie des Lamtoûna [Almoravides] dis-
parut.

Il reçut à Merrâkech une députation sévillane con-
duite par le k’âd’i Aboû Bekr ben el-‘Arabi, dont le
fils ‘Abd Allah avait péri lors de la prise de Séville ;
il accueillit leur soumission et congédia ces députés
en 542 (1 juin 1147) après leur avoir accordé des gra-
tifications et des fiefs (3). Le k’âd’i Aboû Bekr mou-
Ci) Voir Merrâkechi, p. 177 de la trad. fr.

(2) A B C D lisent neuf; Iba Khaldoun, dont les expressions sont
identiques à celles de Zerkechi , dit sept (ii, 181 ; texte, i, 308, 1. 5).

(3) Voir sur c«s éyénements les Berbères, n, 184 et 18^

 

— 10 —

rut à Tàge de 75 ans, en djomâda lî 542, en arrivant
à Fez pour retourner en Espagne ; il fut enterré dans
cette ville dans la Rawd’at ed-djeyyâch. Selon d’autres,
il mourut le 7 rebî’ I, ou en rebî’ II 543 d’après Ibn
H’abech [ou Djeych ?j ; une autre version dit qu’il fut
empoisonné ou à Fez ou à Ceuta. Au dire d’Ibn ed-
Debbâgh, il rendit des felvas (consultations juridiques)
pendant quarante ans.

En 542 également mourut le k’âd’i et imâm Aboû
Moh’ammed ‘Abd el-H’ak’k’ ben Ghâlib, connu sous
le nom d’Ibn ‘At’iya, exégète du Koran (1). El-Gho-
brîni dit dans V’Onwân (2) qu’il mourut en 541. J’ai
entendu notre cheykh le k’âd’i et mufti Ah’med ben
Moh’ammed K’aldjàni raconter ceci. Un littérateur
s’étant rendu au camp d’^Abd el-Mou’min, y trouva
des habitants d’Alméria qui se plaignaient de leur
k’àd’i ‘Abd el-H’ak’k’ ben Ghâlib et l’accusaient de
dualisme (zendak’a) ; il leur cita alors ses deux vers :

[Basît’]. On a dil qu^Abd el-H*ak’k* esl dualiste. « Non, ai-je ré-
pondu, il n’est pas dualiste ! Puissent-ils être voués au malheur,
ces gens d^Alméria qui accusent d’impiété des k’àd’is vertueux ! »

La nuit du vendredi 7 djomâda II 544 mourut à
Merrâkechle k’âd’i Aboû’l-Fad’riyâd'(3); selon d’au-
tres, ce fut en ramad’àn. Ibn Sa’îd place sa mort en
542, Ibn ‘Ati et Tidjâni adoptent la première opinion.
Il était né à Ceuta le 15 cha’bàn 476, d’après Ibn
Bachkowâl et son petit-fils (h’ajid), en 475 d’après

 

(1) Il est parlé de ce savant dans Ahen Pascualis Assila» p. 380,
et dans Dhabbi, éd. Codera, p. 376.

(2) Voir sur cet ouvrage le Catalogue des mss. d’Alger, n» 1734.

(3) Il est très fréquemment parlé de ce savant, sur qui l’on peut
voir entre autres les notices d’Ibn Khallikân, ii. 417 ; d’Ibn Bach-
kowâl, p. 446; de Dhabbi, p. 425, ainsi que le long et prolixe pané-
gyrique renfermé dans le n* 1377, Ane. fonds de la Bibl. nat. (2106
au Catalogue imprimé).

 

— ii —

Ibn Sa’îd. Nommé k’âd’i à Ceuta en 525, il le fut en-
suite à Grenade en çafar 531 et le resta jusqu’en ra-
mad’ân 533 ; Ceuta le i*evit de nouveau comme k’â-
d’i en 539. [P. 7] Il fut peu de temps, dit Ibn el-Mo’-
allem, k’âd’i à Cordoue, le redevint ensuite, puis fut
de nouveau nommé dans sa ville natale. ‘Abd el-
Mou’min, quand il alla le trouver, était peu favorable-
ment disposé à son égard, mais finit, grôce à ce que
lui écrivit le k’âd’i en prose et en vers, par revenir à
de meilleurs sentiments et à lui pardonner. Ibn ‘lyôd’
resta quelque temps à la cour, puis fut renvoyé dans
la capitale Merrâkech, où la mort le frappa huit jours
plus tard. Voici des vers de lui sur un ^té froid :

[Bastt’]. On dirait que janvier a gratifié juillet de plusieurs
des vêtements qu’il emploie. Le soleil troublé recule- t-il devant
la longueur de sa course et ne sait-il plus distinguer l’étoile po-
laire et le Bélier?

Décrivant des tiges de blé qu’écrasaient des trou-
pes à leur passage (1), il dit entre autres choses :

[Sart*]. Vois les tiges de blé courbant leur taille élancée sous
le souffle des vents : on dirait d’un noir escadron mis en dé-
route et où les blessures sont figurées par les anémones.

Pendant qu”Abd el-Mou’min se préparait à la
guerre sainte et avait installé son camp à Salé, il re-
çut dans cette ville, en 553 (!*’* fôv. H58), une dépulation
d’Espagne dont faisait partie H’afça, femme de lettres
connue sous le nom de Bint el-H*àddj er-Rekoûni. Il
avait entendu parler de son éclatante beauté et de
son brillant talent. Il la fit venir et lui dit : « C’est
toi qui es la poétesse H’afça ? — En effet ; ta ser-

(1) D seul fournit cette leçon (il y faudrait ^jj w’^^à. ), que ne

donne pas non plus Ibn Khallikàn (ii, 418), où Ton retrouve ces
deux yers.

S

 

-la-
vante est venue chercher la bénédiction auprès de
ton éclat fortuné », et s’inclina nt, elle lui baisa la
main ; puis lui récita des vers pour lui demander un
diplôme l’investissant du lieu [de sa naissance]. Elle
exprima son désir en ces termes :

[Modjtalthl. Seigneur des humains, 6 toi dont les mortels
attendent les bienfaits (i) ! gratifie-moi d’un billet qui me servira
à toujours de viatique et où ta main tracera les mots : Louanges
à Dieu seul !

Elle plut à ‘Abd el-Mou*min qui, par un rescrit,
lui accorda le bourg de Rekoûna, d’où elle était ori-
ginaire et où elle put mener une existence princière.

Le 12 redjeb 554, ce prince alla assiéger Mehdiyya ;
se rendant compte de la solidité de ses bastions du
côté de la terre, il en fit le tour par mer avec El-H’asan
ben ‘Ali Çanhâdji, qui avait régné en cette ville, et à
qui il demanda comment il avait pu abandonner une
citadelle aussi redoutable : « C’a été, répondit H’asan,
à cause du peu de guerriers à qui je pouvais me
fier, de mon impuissance et aussi de la décision du
destin (2). » Gomme les chrétiens avaient évacué Za-
wîla, [P. 8] il y fit installer les marchés du camp et
des soldats en nombre suffisant pour y reconstituer
sur-le-champ une ville florissante; lui-même habitait
sa tente dans la journée, mais il allait coucher dans
une maison à l’intérieur de Zaw^îla. Quand, après un
siège par terre et par mer qui dura six mois, il entra à
Mehdiyya en moh’arrem 555 (11 janv. 1160) et la rendit
à rislâm, il en fit réparer les fortifications et en nom-
ma gouverneur Moh’ammed ben Faradj Koùmi, au-

(1) On trouve dans A B la leçon correcte ^/^^ ; le mètre exige
la seconde forme.

(i) Comparez Ibn el-Athir (texte, xi, p. 160) ; Amari, Biblioteca,
trad., I, 488; Berbères, ii« 591.

 

— 13 –

près de qui il laissa Tancien chef de cette ville, Kl-H’a-
san ben ‘Ali Çanhâdji. ‘Abd el-Mou’min reçut aussi
la visite du cheykh de Sfax, ‘Omar ben Aboû ‘1-H’a-
san Feryâni, qui s’était débarrassé par trahison des
chrétiens de cette ville, laquelle vint ainsi s’ajouter à
ses possessions. La même démarche fut accomplie
par Ibn Mat’roûh, cheykh de Tripoli, qui s’était ré-
volté contre les Francs installés dans cette ville. ‘Abd
el-Mou’min les accueillit bien et les récompensa gé-
néreusement. Il reçut également Yah’ya ben Temîm
ben el-Mo’tazz ben er-Rend, seigneur de Gafça, qui
était, de même que son fils, un guerrier renommé et
qui tirait son origine des Maghrâwa habitant Nef-
zàwa. ‘Abd el-Mou’min, après l’avoir bien reçu et lui
avoir fait^des présents, l’envoya 5 Bougie avec sa fa-
mille et son entourage ; ils y restèrent assez long-
temps, puis El-Mo’tazz, grand-père de Yah’ya, qui
était un vieillard très âgé et aveugle et qui accom-
pagnait son petit-fils, étant venu à mourir, Yah’ya
retourna à Gafça (1).

Le prince’ almohade reçut aussi la soumission de
tous les chefs qui s’étaient révoltés en Ifrîk’iyya, en-
tre autres de celui de Bizerte, ‘Isa ben Mok’arreb
ben T’arrâd ben el-Ward Lakhmi (2). Il fut égale-
ment reconnu par Menî’ ben Bezoûkech (3) Çanhâdji,
seigneur de Zer’a et de T’ebourba. 11 était arrivé une
aventure curieuse au père de Menî’, qui était l’un
des héros des Çanhâdja et dont la sœur était [com-

(1) Voir Ibn Khaldoun, Berbères, ii, 33 et 39.

(2) Ibld., Il, 40.

(3). A ïX^jjJ ^ ; B ^Jji ^ ; C ^Ijji ; Berbères
(texte^ r, 219) (^j**^jji ; voir la trad. ii, 40 et 103.

 

-li-
me épouse] auprès d’El-‘Azîz ben el-Mançoûr, sei-
gneur de Bougie. El-‘Azîz, qui le recevait à ses au-
diences du soir, se mit une fois à vanter Tautorité
dont il jouissait et qu’il tenait de ses aïeux. Bezoû-
kech à son tour se mit à parler de ses prouesses et
des vicissitudes (1) par où il avait passé, puis appuya-
ses dires du vers que voici :;3

[Khaftf]. C’est à nous au’il a assigné la lutte et le massacre,
et aux coquettes le soin d étaler leurs traînes (i).

El-‘Azîz prit cette dernière partie du vers comme
s’adressant à lui ; mais bien qu’il ne manifestât pas
aussitôt son sentiment, la sœur de Bezoûkech com-
prit que son orgueil était blessé et fit dire à son
frère : « Tu restes encore dans le territoire d’un
prince dont tu t’es attiré la haine ! Veille donc à ta sé-
curité ! ») 11 s’enfuit alors à Bâdja, dont le cheykh le
reçut avec honneur et l’envoya gouverner Zer’a.

Moh’ammed ben ‘Omar Teyfâchi (3) vint également
trouver le prince almohade en déclamant :

[P. 9 ; Basîf ]. Au milieu des épées et des lances, nul ne se
démène comme le khalife ‘Âbd el-Mou’min ben ‘Âli. I

L’année 555 (1 160 J .-C), où eut lieu la conquête de Meh-
diyya, reçut le nom d’année des quints (4). ^Abd el-Mou’-
rain retourna ensuite au Maghreb après avoir laissé
comme gouverneur de l’Ifrîk’iyya son fils Aboû Ish’âk’
Ibrâhîm et comme gouverneur de Tunis le cheykh

(1) A seul JilvUll ^ J^\jài\

(2)AB J^iJI^oUUJI

(3) Aboû ‘Abd AUâh Moh’ammed ben Aboû ‘l-‘Abbàs, comme rap-
pelle Ibn Khallikân en reproduisant ce vers (n, 183) ; cf. Ibn â-
Athir, XI, i61.

(4) Cest-à-dire desjparts de butin attribuées au prince.

 

– 15 –

Aboû Moh’ammed ‘Abd Allah ben Aboû Yerfiyân (1)
Herghi ; il confia les domaines de l’État v>*^ J’^’
à Aboù H*afç ‘Omar ben Fôkhir ‘Abderi. Il convo-
qua les émirs arabes et leur fit jurer sur le Koran
d’Othmân ben ‘Affân de lui obéir et de l’accompa-
gner en Espagne pour y combattre les chrétiens ;
mais ces émirs se retirèrent, violant ainsi le serment
qu’ils venaient de prêter (2). Aboù ‘1-H’asan ‘Ali ben
Ah’med Obbi, k’âd’i de Tunis, dit dans une longue
poésie relative à la défaite qui fut infligée à ces Ara-
bes :

[Basil’]. La jeunesse a fui devant la vieillesse, celle-ci mon-
trant de l’ardeur dans l’attaque et celle-là dans la fuite.

En 558 (9 déc. 1162), ‘Abdel-Mou’min rappela d’Espa-
gne à Merrâkech son fils Aboû Ya’k’oûb Yoûsof pour
le faire reconnaître comme héritier présomptif au lieu
de son autre fils Moh ammed (3). Yoûsof habita alors
Merrâkech, mais fit la guerre sainte avec son père,
qui mourut à Salé la nuit du (mercredi au) jeudi 10
djomâda II 558 (16 mai 1163), après un règne de trente-
trois ans huit mois et quinze jours ; il laissait seize
fils et deux filles, et fut enterré à Tînmelel dans un
endroit faisant face au tombeau du Mahdi.

Il eut pour successeur l’héritier présomptif dési-
gné, son fils Aboû Ya’k’oûb Yoûsof ben ‘Abd el-
Mou’min ben ‘Ali. En 575 (7 juin 1179), mourut le vizir
Aboû H’afç ‘Omar ben ‘Abd el-Mou’min. En la même
année, Yoûsof apprit la révolte à Gafça d”Ali ben el-

(i) A, Yoûsân ; B C, Yoûflyân.

(2) Ibn el-A.thîr (xi, 162) fournit un récit plus détaillé et plus in-
telligible.

(3) Voir Ibn Khallikan, iv, 470.

 

– 16 —

Mo’izz, dit et-T’awîl (1), descendant des Benoû’ r-
Rend qui avaient régné en cette ville ; il partit de
Merràkech et marcha contre lui jusqu’à Bougie, où,
à la suite des dénonciations qu’il reçut contre ‘Ali
ben el-Monlaçer (2), il arrêta ce personnage et s’em-
para de ses biens. Il alla ensuite assiéger Gafça et
reçut pendant la durée du siège les offres de soumis-
sion, qu’il accueillit, des cheykhs arabes des Riyèh’.
*Ali ben el-Mo’izz dut finir par se rendre, et Yoûsof
retourna alors à Tunis ; il confia le gouvernement de
rifilk’iyya et du Zab à son frère Aboù ‘Ali et celui de
Bougie à Aboû Moûsa. Après quoi il regagna Merrô-
kech, d’où il se rendit en 577 (16 mai 1181) à Salé;
il fut rejoint dans celte dernière ville [P. 10] par Aboù
Moh’ammed ben Ish’âk’ ben Djâmi’ (3) qui lui amena
de rifrîk’iyya des troupes arabes. — En la même an-
née, il nomma k’àd’i de Cordoue Aboù ‘1-Welîd ben
Rochd, le petit-fils (Averroès). En çafar 578, il s’em-
barqua à Ceuta pour Djebel-el-Fath’ (Gibraltar), d’où
il se rendit à Séville. Il en repartit pour attaquer
Santarem et, après en avoir fait le siège pendant
quelques jours, il se retira ; mais à l’aube du jour
où Ton décampait, une sortie que firent les chrétiens
trouva le khalife dépourvu de défenseurs, et il eut
avec son entourage immédiat à subir une attaque
des plus vives ; les chrétiens se retirèrent, mais le
prince mourut le jour même de la blessure que lui
avait faite une flèche dans le combat. Ibn el-Khat’îb
dit de lui :

 

(1) Cf. Ibn Khaldoûn (II, 34el203) ; Histoire des Almohades, trad.,
p. 218.

(2; A B G D sic; lire el-Mo’iazz (Bcrbi’res, ii, 203, n. 3).

(3) Ibn Ahi Ishak, selon les Bcrbùrcs (ii, 205) ; mais Ahi doit être
de trop (voir p. 204, 1. 11).

 

– 17 —

[Redjez]. Le martyre bien connu dont Dieu l’a gratifié a senri
de sceau à ses belles actions.

D’après une autre version, c’est à la maladie qu’il
faudrait attribuer sa mort, survenue le samedi 18
rebf II 580 (29 juillet 1184), après un règne de vingt-
un ans dix mois et huit jours (1). Il fut enterré dans
le Ribât’ el-Fath’ (Rabat). Il laissa dix-huit enfants
mâles.

Son successeur fut l’un d’eux, Aboû Yoûsof Ya’-
k’oûb el-Mançoûr, qui était né dans la dernière dé-
cade de dhoûM-h-iddja 554, et qui fut proclamé dans
le camp même, après la mort de son père. Quand il
fut rentré à Séville avec les troupes, il fit procéder à
son intronisation dans les règles et choisit pour vizir
le cheykh Aboû Moh’ammed ‘Abd el-Wâh’id, fils du
cheykh Aboû H’afç ; puis il fit, de concert avec son
frère Aboû Yah’ya, de nouvelles levées, et pénétra
assez loin en territoire infidèle, où il conquit des pla-
ces fortes. Ensuite, Ya’k’oûb s’embarqua et retourna
à Merrâkech, où il mit fin aux actes illicites, fit ré-
gner la justice et s’occupa lui-même de juger ; il
était savant et très habile à rédiger ses ordres sous
forme de réponses (2). Il avait un jour demandé à
son k’âd’i de lui chercher un ou deux maîtres pour
instruire un de ses enfants et pour consigner ses
ordres, et deux hommes lui furent envoyés, dont le
k’âd’i disait dans un billet : « L’un est (ferme com-
me) un continent en fait de religion, l’autre est une
mer de science. » Mais le prince, les ayant lui-même

 

(1) Voir Dozy, Recherches, 3« éd., ii, 443; Hist. des Almohades,
trad., p. 222 ; Berbères, ii, 205. La date du 7 redjeb esl plus vrai-
semblable.

(2) Voir réloge que fait de lui Ibn Khallikan, iv, 336.

 

— 18 –

mis à répreuve, trouva ces éloges mensongers et
peu conformes à la réalité, de soi’te qu’il ajouta sur le
billet du k’âd’i : « Je me réfugie auprès de Dieu con-
tre Satan le lapidé ! Sur le continent comme dans la
mer, la corruption s’est manifestée. » Voilà certes un
étrange rescrit royal, mais des mieux tournés! (1).

En çafar 581 (mai H85), ‘Ali ben Ish’âk’ [P. 11] ben
Moh’ammed ben Ghèniya le Mayorcain partit de
Mayorque avec ses frères et trente-deux bâtiments, et
s’empara de Bougie par surprise, grâce à l’absence
momentanée d’Aboû ‘Abd Allah Moh’ammed ben
‘Abd el-Mou’min, alors gouverneur de cette ville.

En cette même année ou, selon d’autres, en 582,
mourut à Bougie le célèbre juriste, k’âd’i et imâm
Aboû Moh’ammed ‘Abd el-H’ak’k’ Ichbîli, auteur
des Ah’kâm, de Vâk’iba, etc. (2).

En apprenant ce qui se passait en Ifrîk’iyya, Ya’-
k’oùb el-Mançoùr partit de Merrâkech en 583 à l’effet
de couper court aux progrès du mal. Après s’être
d’abord reposé à Tunis, il envoya son avant-garde,
commandée par Aboù Yoûsof Ya’k’oûb ben Aboû
H’afç ben ‘Abd el-Mou’min, contre Ibn Ghâniya, qui
battit les Almohades et s’empara de leurs bagages.
Mais alors El-Mançoûr marcha lui-même contre
Ibn Ghâniya et K’arak’oûch (3), les rencontra en de-
hors d’El-H’âmma en cha’bân et les mit en déroute ;
puis il reçut la soumission des habitants de Gabès,
qui avaient mis la main sur les Almohades de cette

(1) Cette anecdote se retrouve dans K’ayrawâni (texte, p. 117).

(2) Hist. des Almohades, p. 235.

(3) Voir ib., p. 250 ; Journal asiatique, 1852, ii, p. 159.

 

^ 19 –

ville, et les avaient renvoyés à Merrâkech (1). El-
Mançoûr se dirigea vers Tawzer, dont les habitants
s’empressèrent de faire leur soumission, et de là alla
assiéger Gafça, qui dut se rendre; les troupes qui y
tenaient garnison furent massacrées, et les habitants
obtinrent la vie sauve^ mais ne .conservèrent leurs
propriétés qu’en qualité de colons partiaires.

Il fît ensuite contre les Arabes une expédition qui
fut très meurtrière pour eux, puis retourna au Ma-
ghreb en 584 (1®** fév. 1188), en laissant comme gouver-
neur de rifrîk’iyya Aboû Zeyd ben Aboû H’afç ben
‘Abd el-Mou’min.

Vers 590 [lisez : en 594], mourut le cheykh, Thom-
me vertueux, l’ami de Dieu, le pôle Aboû Medyen
Cho’avb ben el-H’asan Andalosi, à Tlemcen, au lieu
dit El-‘Obbâd, où il fut enterré ; il était parti de Bou-
gie pour se rendre à Merrâkech, où l’appelait le kha-
life à cause de la notoriété dont il jouissait dans la
première de ces villes.

En 595, un ordre d’El-Mançoùr enjoignit aux juifs
d’employer le signe distinctif (2) et de porter des tu-

 

(1) Le manque de précision du texte peut aussi permettre de com-
prendre : Par suite de la soumission de Gabès, les Almobades de
cette ville repassèrent aux mains du vainqueur, et les [habitants 7]
furent transportés à Merrâkech. Cf. Ibn el-Atbir, xi, 343 et 344 ;
Journal as,, 1. 1.^ p. 153.

(2) AlxfiJI J-^ Le verbe à la première forme a le sens, dans la
langue pailée, de a pratiquer, mettre en pratique » ; il a donc à peu
près la valeur de la x% et aussi de /’•^j placer. Quant au mot

A-*>A il peut signifier « forme, figure » et il est permis de supposer
^u’il s’agit ici d une chose analogue à Ja roue ou rouelle imposée aux
juifs d’hurope (voir Reçue des études juices, t. vi, pp. 8t et 268 ; vu,
94). L’indigène dont j’ai parlé (p. 8) me fournit cette note : a La chckla

est un signe A^J*fi variable d’après les régions ; elle consiste entre
autres dans la nécessité pour les juifs de se raser la tête, sauf aux
tempes. » Le sens exact du mot parait, autant que j’ai pu m’en assu-
rer, n’être plus connu des Tunisiens mêmes. Mais le souvenir s’en

 

– 20 -^

niques d’une coudée de long sur autant de large,
ainsi que des burnous et des bonnets bleus.

Sa mort est diversement racontée. D’après les uns,
la maladie qui Tenleva le frappa au commencement de
595 (2 nov. 1198;; il fit alors son testament bien connu,
mourut la nuit du jeudi au vendredi 22 rebî’ I 595 et
fut enterré dans le salon du palais qu’il habitait à Mer-
râkech, puis plus tard son cadavre fut transféré dans
le monastère de Tînmelel. D’autres disent qu’il abdi-
qua [P. 12] et alla faire la guerre sainte sur les fron-
tières d’Espagne. Selon Aboù Sa’îd, il alla faire à
pied le pèlerinage. Le h’âddj Ibn Mozeyyina m’a ra-
conté tenir d’un habitant de l’Orient que le tombeau
de Ya’k’oûb el-Mançoûr est en Syrie et que l’on s’y
rend pour obtenir les faveurs célestes.

Son règne avait duré quatorze ans onze mois et
quatre jours.

 

est néanmoins conservé en Afrique, témoin le brocard injurieux en-
core en usage à Ténès :

n existe encore à Consiantine une famille juive nommée Bou-Che-
kila. Merrâkechi (trad. p. 264) donne plus de détails sur les mesures
prises par El-Mançour contre les sectateurs de Vloïse, mais sans em-
ployer ce mot. Nous verrons plus loin qu’en 648, un ordre nouveau
rappela aux juifs de 1 unis l’usage, sans doute tombé en désuétude,
de la chekla. K’ayrawâui (lextè, p. 128. 1. 4) rapporte le même fait
en ces termes : « En celte année [648], la chekla fut [de nouveau]
imposée aux juifs, qui eurent à supporter toutes les humiliations
possibles. » (Comparez la trad. Pellissier-Rémusat, p. 424;. On peut
se faire une idée des avanies auxquelles étaient encore soumis les
juifs à Tunis plusieurs siècles plus tard, vers 1080 hég.. par l’expres-
sion du même chroniqueur (p. 553, 1. 14), qui, pour pemdre l’exas-
pération des Tunisiens contre les Arabes nomades et leurs dépréda-
tions, dit que les Awlâd Sa’id aimaient mieux se dire juifs qu’avouer
leur origine.

C’est le moi j\^ qui est employé chez les écrivains orientaux, les-
quels, à ma connaissance, ne se servent pas du mot chekla (Chrest.
ar. de Sacy, i, 97, 144 et 181 ; Religion des Druzes, du même, p.
cccix, etc.).

 

– 21 —

Des huit garçons qu’il laissa, il eut pour successeur
Aboù ‘Abd Allah Moh’ammed ben Ya’k’oûb el-Man-
çoûr, à qui Ton prêta serment de fidélité, le jour mê-
me de la mort de son père, sous le nom d’En-Nâçir
li-dîn Allah. Il prit d’abord comme vizir Aboù Zeyd
ben Aboû H*ayyân [lisez : ben Youwoddjân], fils du
frère du cheykh Aboû H’afç ; il le remplaça ensuite
par le cheykh Aboû Moh’ammed ‘Abd el-Wàh’id, fils
du même cheykh (1). La nouvelle qu’Ibn Ghàniya,
installé en Ifrîk’iyya, y causait des troubles, fut cause
que le prince, en redoutant les suites, partit pour ce pays
en 601 (28 août 1204). Ibn Ghéniya, sitôt quMl connut sa
venue, dirigea ses trésors sur Mehdiyya, dont le gou-
verneur était son cousin (2) ‘Ali ben el-Ghàzi. Lui-
même sortit de Tunis pour se rendre d’abord à K’ay-
rawân, puis à Gafça. Les Arabes faisaient cause
commune avec lui et lui avaient livré des otages pour
garantir leur concours. Il assiégea et livra au pillage
T’orra, l’un des chàteaux-forts des Nefzàw^a, puis de
là se rendit à H’âmma des Mat’màt’a (3). Quant à
En-Nâçir, arrivé d’abord à Tunis, il se porta succes-
sivement à Gafça, puis à Gabès ; mais Ibn Ghâniya
se retrancha dans la montagne de Demmer, et son
adversaire, renonçant à l’y poursuivre, alla assiéger
Mehdiyya. II envoya en 602 le cheykh Aboû Mo-
h’ammed ‘Abd el-Wâh’id, fils du cheykh Aboû H’afç,
à la tête d’un corps de 4,000 Almohades pour com-
battre Ibn Ghâniya ; la rencontre, qui eut lieu dans

(1) Cf. Merrâkechi, trad., p. 268; Berbères, ii, 216.

(2) Les Berbères (ii, 221, 1. 6; l’appellent son neceu, et (ib. 1. dern.)
son cousin.

(3) Voir Merrâkechi, trad., p. 236; Journal asiatique, 1852, ii,
185 ; Berbères, ii, 99 et 221.

 

– 22 —

la montagne de Tâdjoûra (t), dans la région de Ga-
bès, donna la victoire au cheykh Aboû Moh’ammed :
Djebbâra ben Ish’ak’, frère d*Ibn Ghaniya, fut tué,
tout le cam|) des rebelles fut emporté, et plusieurs
Almoliades retenus en captivité dans leur forteresse
furent rendus à la liberté, entre autres Aboû Zeyd,
qui était gouverneur de Tunis lors de la prise de
cette ville par Ibn Ghaniya.

En-Nâçir poursuivit le siège de Mehdiyya jusqu’au
samedi 27 djomâda I 602 (9 janv. 1206), où elle lui
fut livrée par celui qui y commandait, ‘Ali ben el-
Ghâzi, cousin d*Ibn Ghaniya ; ce chef fut bien reçu
et traité honorablement par son vainqueur, qu’il ne
quitta plus jusqu’au jour où il trouva la mort du
martyre (2).

Après avoir nommé gouverneur de Mehdiyya TAl-
mohade Moh’ammed ben Na’moùn (3), En-Nàçir re-
gagna Tunis, où il séjourna un an, jusqu’au milieu
de 603 (7 août 1206). Dans cet intervalle, il fit pour-
suivre les fauteurs de troubles par son frère Aboû
Ish’àk’, qui fit des conquêtes jusque par-delà Tripoli,
s’approcha de [P. 13] Sort et de Bark’a et poussa
jusqu’à Soweyk’at Ibn Methkoùd (4). Ibn Ghaniya
s’enfonça dans le désert de Bark’a et l’on n’entendit
plus parler de lui, de sorte qu’Aboù Ish’âk’ rentra à
Tunis.

 

(1) Tadjera des Berbères, ii, 99, 221, 286 ; nous avons suivi Tor-
thograpbe de B et de C.

(2) A la bataille d’El- Ok’âb (Berbères, ii, 222^

(3) Orthograpbe d’A B D, et peut-être de C ; dans les Berbères
(îi, 100, J822j, Yagbmor

(4) jy^ dans A B C D et le texte arabe des Berbères ; mais

voyez la traduction m, pp. 103, 222, 287) ; Edrisi (texte, pp. 130 et
133), et le Merâcid (n, 72/.

 

— 23 —

Quand En-Nàçir voulut retourner au Maghreb et
qu’il songea à qui il pourrait confier le gouverne-
ment de rifrîk’iyya, il arrêta son choix en 603 sur
son vizir, le cheykh Aboû Moh’ammed ‘Abd el-Wâ-
h’id, fils du cheykh Aboû H’afç. Mais ce personnage
fit d’abord quelque résistance, et le prince dut lui
faire dire par son propre fils Yoûsof : « Il faut de
deux choses Tune : ou que tu partes pour le Ma-
ghreb tandis que je resterai ici, ou bien que tu res-
tes tandis que moi je m’en irai. » Aboû Moh’ammed
finit par consentir, mais en posant pour conditions
qu’il retournerait rester au Maghreb après avoir,
dans un délai de trois ans, réglé les affaires impor-
tantes de rifrîk’iyya, qu’il choisirait librement ceux
des Almohades qu’il voudrait garder avec lui pour
l’assister dans les conjonctures difficiles, et qu’il ne
serait nullement inquiété pour les nominations et les
révocations de son ressort. Ces conditions furent ac-
ceptées par le prince, qui quitta Tunis en ramad’ân
003 et rentra à Merrâkech en rebî’ 604 (sept.-oct.
1207).

Aboû Moh’ammed choisit comme secrétaire le ju-
riste Aboû ‘Abd Allah Moh’ammed ben Ah’med ben
Nakhîl (1), dont on reconnaissait la générosité, la
souplesse de moyens et le talent d’administrateur. Il
(Ibn Nakhîl ?) rétablit l’ordre, organisa les troupes et
installa le bureau d’hospitalisation pour les députa-
tions. Tous les samedis, il tenait une audience où le
peuple pouvait exposer ses griefs ; c’était un homme
instruit, distingué, brave, bienfaisant et à l’intelligence
fine.

(1) A B C D, Nedjîl ; voir plus haut, p. 1, n. 2).

 

– 24 –

Ibn Ghâniya, à la lêle des Arabes Dawâwida et
autres, marcha contre Tunis où étaient les Almoha-
des, et le cheykh Aboû Moh’ammed ‘Abd el-Wàh’id
s’avança contre eux à la tête des Benoû ‘Awf, tribu
Soleymide ; dans les environs de Tébessa (1) eut
lieu, en 604 (27 juil. 1207j, une bataille à la suite de
laquelle Ibn Ghâniya, vaincu, se retira du côté de
Tripoli. Yah’ya ben Ghâniya, voyant la tournure des
choses en Ifrîk*iyya et Tapaisemeni qui s’y faisait,
répétait le vers proverbial sur H’addjâdj :

[Wâfir]. Le désordre qui régnait dans T’Iràk a disparu, grâce
au frère de Thakif.

En-Nâçir s’occupa ensuite de faire en Espagne la
guerre sainte avec plus de décision qu’aucun prince
avant lui. Il s’était installé à Rabat (2) près de Salé
quand il fut surpris par la mort, ce qui détruisit la
cohésion et provoqua la dispersion des troupes. 11
mourut le mardi 10 cha’bân 610 (25 déc. 1213), des
suites de la morsure qu’un chien lui fit au pied, après
un règne de quinze ans [P. 14] quatre mois et dix-
neuf jours.

Des deux fils qu’il laissa, Yoûsof et Yah’ya, ce fut
son fils Yoûsof ben Aboû ‘Abd Allah Moh’ammed
en-Nâçir qui lui succéda et qui fut intronisé le jour
même de la mort de son père. Il était âgé de dix ans
et fut surnommé El-Montaçir billâh (3). Ibn Djâmi’

 

(.1) A Chebrou, d’après les Berbères fii, 100, 288j.

(2) A Merrâkech, au dire de Merrâkechi et du Kartâs ; sur les
circonstances dans lesquelles il mourut, cf. Berbères, ii, 226 ; Mer-
r^echi, p. 281.

(3) Merrâkechi (ibid,) lui donne seize ans et le fait naître en 594 ;
Ibn Khaldoûn est d’accord avec lui (n, 227). Ibn Khallikân (iv, 346)
place aussi la naissance de ce prince à Tannée 594. A B D rappellent
ici, et plus bas, el-Montaçir, G el-Mostançir ; cf. Merrâkechi, p. 28J,
n. 2.

 

– 25 «

et les cheykhs Almohades le dominèrent complète-
ment et détinrent l’administration. Le jeune ôge du
nouveau prince fut cause du retard que mit Aboû
Moh’ammed ‘Abd el-Wâh’id ben Aboù H’afç à le re-
connaître ; ce personnage finit cependant par se dé-
cider à la suite des cori*espondances que lui envoyè-
rent le vizir Ibn Djâmi’ et le ministre des finances
‘Abd el-‘Azîz ben Aboù Zeyd.

En 610 (:2 mai 1213), un an après la naissance
d’Aboû Yoûsof Ya’k’oûb ben ‘Abd el-ffak’k\ les Be-
noû Merîn, alors au nombre de quatre cents cava-
liers environ, commencèrent à se montrer (1).

Le jeudi l**” moh’arrem et premier jour de Tannée 618
(25 fév. 1221), mourut à Tunis le cheykh Aboû Moh’am-
med ‘Abd el-WâhMd, fils du cheykh Aboû H’afç ; on
Tenterra dans la k’açba de cette ville, après la prière
de Taurore. Il laissa pour tout héritage un petit
nombre de sacs dont chacun portait l’étiquette « K’a-
bra », ce qui voulait dire que cet argent provenait de
K’abra (2), localité de la région de Cordoue qui fai-
sait partie des parts princières de butin qui lui
étaient échues ; or, tout l’argent qui avait semblable
origine était par lui réuni et envoyé aux deux Villes
saintes. Ce gouverneur eut pour successeur le seyyid
Aboû ‘l-‘Alâ Idrîs ben Yoûsof ben ‘Abd el-Mou’min.

Après la mort du cheykh Aboû Moh’ammed, le
rebelle Ibn Ghâniya reparut et obtint beaucoup de
succès. Mais Aboû Zeyd marcha contre lui et le
battit dans la banlieue de Tunis, au commencement

 

(1) En 613, d’après Ibn Khaldoûn (n, 228). YaVoûb ben *Abd el-
H’ak’k’ est le deuxième prince mérinide, dont le règne commença
en 657 (Berbères, iv, 45).

(2) Voir Edrisi, p. 253 de la trad.

 

– 26 —

de l’année 621 (23 janv. 1224) ; un immense butin
resta aux mains des Almohades. Les Hawwâra (1)
et leur chef, un jeune homme du nom de H’an-
nàch (2), se distinguèrent particulièrement dans cette
rencontre. Aboû Zeyd Mochammer était à K’ay-
rawân quand il reçut la nouvelle que son père était
mort à Tunis en cha’bân 620 (sept. 1223), ce qui fut
cause de son retour dans cette dernière ville.

Un samedi de dhoû ‘1-h’iddja de cette même année
(nov.-déc. 1223), El-Montaçir mourut empoisonné par
le vizir Aboû Sa’îd ben Djâmi’, qui avait pour complice le
page (J^) Mesroûr (3). Cette version, qui est celle
du Terdjomân el-‘iber [d’Ibn Khaldoûn], diffère de celle
d’ibn el-Khat*îb Andalosi, d’après qui ce prince,
amateur de combats d’animaux, se trouva un jour
au milieu d’un troupeau de vaches dont Tune, de-
venue rétive, lui donna un coup de corne et le tua. Il
avait régné dix ans quatre mois et deux jours.

Il eut pour successeur [P. 15] Toncle de son père,
Aboû Moh’ammed ‘Abd el-Wâh’id ben Yoûsof ben
‘Abd el-Mou’min, lequel était frère d’El-Mançoûr et est
connu sous le nom d’El-Makhloû’ (le déposé). A la
mort d’El-Montaçir, Ibn Djâmi’ et les Almohades
réunis à Merrâkech lui prêtèrent serment de fidélité,
ce qui lui assura le pouvoir, puis il confirma son
frère Aboû ‘l-‘Alâ en qualité de gouverneur d’Ifrî-
k’iyya. Ensuite, les Almohades déposèrent leur nou-

(1) Le redoublement de la seconde consonne de ce mot représente
la prononciation actuelle des indigènes.

(2) Ba’ra ben H’annâch, d*après Ibn Khaldoûn (ii, 295), qui place
le lieu de la rencontre à Medjdoul.

(3) Ibn Khaldoûn (ii, 229) place sa mort au 10 dhoû’l-h’iddja ; cf.
Merràkechi, p. 281. Sur rortnographe £l-MontaQir et El-Mostançir,
Toir plus haut.

 

— 27 —

veau prince à Merrâkech le samedi 20 cha’bân 621
(7 sept. 1224), après un règne de huit mois et neuf
jours.

Les Almohades envoyèrent alors leur promesse
de le reconnaître comme khalife à El-‘Adil^ gouver-
neur de Murcie, dont le nom est Aboû Moh’ammed
‘Abd AUâh ben Ya’k’oùb el-Mançoûr ben Aboû Ya’-
k’oùb Yoûsof ben ‘Abd el-Mou’min ben ‘Ali. El-*Adil
reçut en outre du vizir Aboû Zakariyyâ Yah’ya
ech-Chehîd, fils du cheykh Aboû H’afç (1), Tavis
qu’on ne reconnaissait plus El-Makhloû’ et qu’on
l’abandonnait. La jalousie d’Ël-Bayâsi [Aboû Mo-
h’ammed, descendant d”Abd el-Mou’min] se trouvant
ainsi excitée, il refusa d’obéir plus longtemps à El-
‘Adil et se proclama indépendant, de sorte qu’El-
‘Adil dut s’occuper de lui et faire mettre le siège de-
vant Baëza par son frère Aboû ‘I-‘AIâ (2); après
quoi il confia au dit Aboû ‘l-‘Alâ le gouvernement de
l’Espagne. Débarqué à K’açr el-Medjâz, il y trouva
Aboû Moh’ammed ‘Abd Allah, dit ‘Obboû ben Aboû
H’afç, qui répondit à la question relative à sa santé
par la citation du vers que voici :

[Kâmil]. Mon élat est tel que, dès qu’il sera connu d*Ibn
Mançoûr, la fortune honteuse mo reviendra (3).

El-‘Adil, qui était fils d’El-Mançoûr, fut charmé
de l’à-propos et nomma gouverneur d’Ifrîk’iyya ce-

 

ci) Lisez : Aboû Zakariyyâ Yah’ya ben Aboû Yah’ya ech-Chehid
ben Aboû H’afç (Berbères, ii, 231, 1. 6 et 20).

(2) n faut lire ^^’ dans le texte. Ces événements sont expo-
sés par Ibn Khaldoûn (ii, 230 et 231) d’une manière un peu plus in-
telligible.

(3) Ce vers figure dans Ibn Khaldoûn (texte, i, 341 ; trad., ii, 232)

ayec la variante ‘^^ au lieu de v3’

8

 

— 28 —

lui qui lui avait fait cette citation. Il écrivit à Aboû
Zeyd Mochammer, fils de son oncle paternel Aboû
‘l-‘Alâ Idrîs, de venir le rejoindre à Merrâkech.

Quant à ‘Obboû, il se mit en route et arriva, pré-
cédé de son frère Témlr Aboû Zakariyyâ Yah’ya, à
Tunis le samedi 17 dhoû ‘l-k*a’da 623. Il confia au
dit Yah’ya le gouvernement de Gabès auquel il joi-
gnit celui d’El-H’âmma et de tout ce pays, et nom-
ma son autre frère Aboû Ibràhtm gouverneur de
Tawzer, de Nefl’a et de toute la province de K’ast’î-
liya. Mais une brouille étant survenue entre ‘Obboû
et Yah’ya, le premier enleva au second le gouverne-
ment de Gabès et de ses dépendances, et écrivit à Aboû
Ibrôhîm, gouverneur de K’ast’îliya, d’aller à Gabès
s’assurer de la personne de Yah’ya, Pendant qu’ Aboû
Ibréhtm était en route à cet effet, il apprit que [P. 16]
Yah’ya avait reconnu Ma’moûn [ben el-Mançoûr], ce
qui le fit se détourner sur Mehdiyya, en même temps
qu’il informa ‘Obboû de ce qui se passait.

Aboû Zakariyyâ Yah’ya ben Aboû Yah’ya ech-
Chehîd et Yoûsof ben Aboû ‘1-H’asan ‘Ali rejoigni-
rent leurs tribus respectives ; s’étant mis d’accord
pour déposer El-‘Adil et reconnaître Yah’ya ben en-
Nâçir, ils marchèrent sur Merrâkech, pénétrèrent de
vive force dans le palais et le mirent au pillage ; El-
‘Adil lui-même fut étranglé le 22 chawwâl 624 (6 oct.
1227), après un règne qui, compté du jour de son
intronisation à Murcie, avait duré trois ans huit mois
et dix jours (1).

On proclama ensuite à Merrâkech Aboû Zakariyyâ

(1) Ibn Khaldoûn (ii, 233) place ]a mort de ce prince au commen-
cement de chawwâl ; le Kartàs (texte, p. 164) dit le 21 de ce mois et
donne à son règne la durée de 3 ans 7 mois 9 jours. Voir aussi Ibn
Khaldoûn (ii, W).

 

— 29 —

Yah’ya el-Mo’taçîm ben Aboû ‘Abd Allâh en-Nâçir
ben Ya’k’oûb el-Mançoûr ben Yoûsof ben *Abd el-
Mou’min.

Quand Aboû ‘l-‘Alè el-Ma’moûn apprit la révolte des
Almohades et des Arabes contre son frère El-‘Adil et
l’anéantissement du pouvoir de celui-ci, il se fit pro-
clamer souverain à Séville, où on lui prêta serment de
fidélité le jeudi 2 chawwrâl 624 (15 sept. 1227). La plus
grande partie de TEspagne le reconnut, et entre au-
tres le seyyid Aboû Zeyd, gouverneur de Valence et
de TEspagne orientale.

A la suite du meurtre commis par les Almohades
sur El-‘Adil et de Tavènement de Yah’ya, fils de son
frère En-Nâçir, Ma’moûn écrivit secrètement à Ibn
Youwoddjân pour qu’il suscitât des embarras au
gouvernement marocain ; ce ministre pousôa, en
effet, les Heskoûra et les Arabes à faire dans les en-
virons de la capitale des courses où les troupes Al-
mohades furent défaites. Mais Aboû Zakariyyâ Yah’-
ya ben Aboû Yah’ya ech-Ghehîd se rendit compte
des manœuvres (1) d’Aboû Zeyd ben Youwoddjân
et alla le tuer chez lui.

Yah’ya ben en-Nâçir ayant gagné [Tînmelel], son lieu
de refuge, fut déposé à Merrâkech par les Almoha-
des, qui envoyèrent leur adhésion au prince de Sé-
ville, El-Ma’moûn, c’est-à-dire Aboû l-‘Alâ Idrîs ben
Ya’k’oûb el-Mançoûr ben Aboû Ya’k’oûb Yoûsof ben
‘Abd el-Mou’min ben ‘Ali. Les principaux meneurs
de ce double mouvement furent H’asan Koreyk’eri (2)

(1) Je lis jiH^ avec A B G ei le texte d’Ibn Khaldoûn, au lieu de
JZ^^ de D.

(2) A G ^^’ ; B ^J«J^’ ; Ibn Khaldoûn yj^l

 

— 30 –

et Aboû H’afç ben Aboû H’afç ben ‘Abd el-Mou’min.
A cette nouvelle, Yah’ya ben en-Nâçir, Ibn ech-
Chehîd et leurs partisans descendirent à Merrâkech
et tuèrent ces deux chefs, en 626 (29 nov. 1228).

El-Ma*moûn fut reconnu par les habitants de Fez,
par Moh’ammed ben Aboû Zeyd ben Youwoddjân,
gouverneur de Tlemcen, par Aboû Moûsa ben el-
Mançoûr, gouverneur de Ceuta, et par le gouverneur
de Bougie, Ibn el-At1as, fils de la sœur du précé-
dent (1).

El-Ma’moûn adressa un messager au gouverneur
d’Ifrîk’iyya, Aboû Moh’ammed ‘Abd Allah, fils du
cheykh Aboû Moh’ammed ‘Abd [P. 17] el-Wâh’id,
pour réclamer sa soumission. Mais ‘Abd Allah, qui
soupçonnait quelque machination, s’abstint et répon-
dit qu’il continuerait à reconnaître El-‘Adil et que, la
mort de celui-ci étant bien établie, il reconnaîtrait
son frère, de sorte que le messager d’El-Ma’moûn
dut partir sans lettre ni réponse formelle. El-M’a-
moùn investit alors par écrit Aboû Zakariyyâ Yah’ya
ben Aboû Moh’ammed ‘Abd el-Wâh’id ben Aboû
H’afç, gouverneur de Gabès, du gouvernement de
rifrîk’iyya aux lieu et place de son frère Aboû Mo-
h’ammed ‘Abd Allah ‘Obboû, déposé à cause de son
refus d’obéissance. Aboû Zakariyyâ Yah’ya s’em-
pressa de reconnaître El-Ma’moûn, et ‘Obboû l’ap-
prenant sortit de Tunis pour marcher contre lui.
Arrivé à K’ayrawân, il réunit les cheykhs almoha-
des qui l’accompagnaient et leur annonça son inten-
tion de combattre son frère ; mais l’amour que ces
cheykhs portaient à Aboû Zakariyyâ leur fit mani-

(1) B G et Ibn Khaldoûn lisent « el-At’t’âs », A « At’Us », D « el-
Arlas » ; B et Ibn Khaldoûn, « fils du frère ».

 

– 31 –

fester leur répugnance, et ils s’excusèrent. Sans
vouloir les entendre, il se mit à leur adresser de
très vifs reproches, mais tous se levèrent comme un
seul homme, Tinjurièrent et lui lancèrent des pierres,
si bien que ses enfants durent le couvrir de leur
corps pour lui permettre de rentrer dans sa tente (1).
Quelques-uns de ces cheykhs furent envovés à Aboû
Zakariyyâ pour l’informer de ce qui se passait et le
prier de hâter son arrivée; ce prince revint avec les
messagers, et l’armée s’étant assurée de la personne
de son frère, il Temmena sous bonne garde à Tunis,
où il le fit entrer nuitamment et garder prisonnier
dans le palais dit K’açr Ibn Fâkhir. Cette entrée à
Tunis eut lieu le mercredi 24 redjeb 625 (30 juin
1228). Aboû Zakariyyâ s’occupa tout d’abord de
mettre la main sur Aboû ‘Omar, qui était le secré-
taire de son frère et qui l’avait excité contre lui ; il
le fit mourir dans les supplices et fit jeter son cada-
vre à la voirie. Il embarqua ensuite ‘Obboû pour le
Maghreb.

L’envoi à Tunis de collecteurs d’impôts (2) par El-
Ma’moûn déplut à Aboû Zakariyyâ, qui les fit re-
tourner d’où ils venaient et qui fit faire à Tunis la
khotba au nom d’Aboû Zakariyyâ Yah’ya el-Mo’taçim
ben en-Nàçir, concurrent d’El-Ma’moûn au khalifat ;
il écrivit en centre dans les diverses localités d’Ifrî-
k’ivya de ne plus reconnaître El-Ma’moùn. Mais en-
suite il cessa de faire dire en Ifrîk’iyya la khotba au
nom d’El-Mo’taçim, et se borna à faire invoquer dans
la prière le nom du Mahdi et celui des khalifes légi-

(1) Voir Ibn Khaldoûn, ii, 297 et 298.

d) Le mot arabe ‘âmil peut aussi se prendre dans le sens de
« fonctionnaires ».

 

– 3-2 —

times (er-râchidin). Ce premier pas dans la voie de
rindépendance [P. 18] remonte au commencement de
Tannée 627 (1). Il prit le titre d’émîr, qu’il employa
dans ses en-têtes de lettres, mais que, par prudence
et à cause de Texpérience qu’il avait des choses d’Ifrî-
k’iyya, il ne fit pas figurer dans la khotba. Comme il
vit que cela ne soulevait aucune protestation, il se
déclara tout h fait indépendant et se fit publiquement
reconnaître (2) en 634 (3 sept. 1236), ainsi que nous
le dirons.

Le 30 ramad’ân 625, Aboû Zakariyyâ Yah’ya ré-
voqua, après en avoir demandé r(autorisation) au sul-
tan, le grand k’âd’i de Tunis et nomma à cette
charge Aboû ‘Abd Allah ben Ziyâdet Allah K’ébesi.

Ensuite Yah’ya ben en-Néçir s’étant avancé con-
tre El-Ma’moûn, celui-ci marcha contre lui, le battit,
tua ses partisans et exposa leurs têtes à Merrâkech,
de sorte que Yah’ya ben en-Nâçir se tint confiné
dans le pays des Hergha et de Sidjilmâsa.

En 627 (19 nov. 1229) eut lieu à Tunis et dans cette
région l’intronisation du sultan et émîr Aboû Zaka-
riyyâ Yah’ya (3), fils du cheykh Aboû Moh’ammed ‘Abd
el-Wâh’id ben Aboû H’afç ‘Omar. Ce dernier (c’est-
à-dire ‘Omar) était fils de Yah’ya ben Moh’ammed
ben Wènoûdîn ben ‘Ali ben Ah’med ben Welàl ben
Idrîs ben Khalid ben Elîsa’ ben Elyès ben ‘Omar
ben Yâsîn ben Moh’ammed ben Nedjba ben Ka’b

(1) En 626 (29 nov. 12â8), d’après Ibn Khaldoûn (ii, ^.

(2) i;»U)l ïxJI , dans Ibn Khaldoûn ïjuJI ^JUa^ ; voir Histoire
des Almohades, p. !272, n.

(3) A seul présente celte leçon, qui est la bonne ; B G D lisent :
Aboû Yah’ya Zakariyyâ. Cet événement eut lieu en 634, ainsi que
noire auteur vient de le dire, et cela est confirmé par Ibn Khaldoûn
(11, 299;.

 

– 33 –

ben Sâlim ben ‘Abd Allah, fils d”Omar ben el-
Khat’t’âb le khalife. Cette généalogie provient d’ibn
Nakhîl et d’autres chroniqueurs, et est rapportée par
Ibn Khaldoûn dans sa chronique, le Terdjomdn el-
Hber fî akhbdr el-arab wal-berber. Comme paraphe il
écrivit de sa propre main : « Louanges à Dieu I re-
connaissance à Dieu ! » ; mais le nom du Mahdi
continua de figurer au prône et ailleurs, et celui
du nouveau prince ne fut pas prononcé au prône. Il
savait le droit, était pieux (‘àrif), fin, auteur de
poésies nombreuses et formant un divan, en outre
de sa connaissance des affaires ; il maintint le bon
ordre, le prix des vivres s’abaissa, les routes devin-
rent sûres, et il fit des provisions d’armes et d’ar-
gent plus grandes que personne avant lui.

En la même année, il construisit le moçalla en de-
hors de la porte dite Bdb el-mendra à Tunis, et le mu-
nit de tours et de créneaux, tout comme une petite
ville ; ses dimensions sont à peu près celles de Bi-
zerte, il n’y a guère de différence entre les deux.

Après s’être soustrait à l’autorité des Almohades,
Yah’ya en 628 (1) alla assiéger Constantine ; au bout
de quelques jours, Ibn ‘Alennâs s’aboucha avec lui,
et en lui livrant le point dominant (2) lui permit d’y
pénétrer. Le vainqueur s’assura de la personne du
gouverneur, [P. 19] qu’il remplaça par Ibn en-No’-
mân. De là il alla conquérir Bougie, dont il fit aussi
prisonnier le gouverneur ; il envoya l’un et l’autre

 

(1) En 626 (29 noy. \2^U d’après Ibn Khaldoûn.

(2) A B C D et Ibn Khaldoûn (i, 386, 1. 2, ad, /.) l^ ^ ;
M. de Slane (Berbères, ii, 3C0 « … un endroit mal gardé » ) semble

prendre ce mot comme synonyme de 5^ jo , tandis que nous lui
avons gardé son sens étymologique.

 

— 31 —

par mer à Mehdiyya, laiidis que leurs femmes et
leurs enfants étaient expédiés on Espagne, où ils
s’installèrent à Séville. A Mehdiyya furent aussi
transportés leur partisan (1) Moh’ammed ben Djômi’
et le fils de son frère Djâbir ben ‘Abboûn ben Djà-
mi’, qui étaient des cheykhs des Mirdûs ben ‘Awf,
ainsi quUbn Aboù’ ch-Cheykh ben ‘Asûker, l’un des
cheykhs Dawàwida. Tous furent enfermés dans la
prison de Mehdiyya.

Aboû ‘Abd AUàh Lih’yàni, fils d’Aboù Moh’am-
med ‘Abd el-Wàh’id ben Aboû H’afç, était ministre
des finances à Bougie; à la suite de la prise de
celte ville par son frère Aboû Zakariyyà, il embrassa
le parti de celui-ci, qui lui confia plus tard de hau-
tes charges et qui, quand il s’éloignait de Tunis, s’y
faisait remplacer par lui. Aboû Zakariyyà confisqua
ensuite les biens de son vizir Meymoûn ben Moûsa
et l’envoya à Gabès, où il le garda longtemps pri-
sonnier, puis lui permit de se retirer à Alexandrie. Il
le remplaça en qualité de vizir par Aboû Yah’ya ben
Aboû ‘l-‘Alà ben Djâmi’, qui garda ces fonctions
toute sa vie, et qui eut pour successeur Idiîs (2), fils
de son frère ‘Ali, qui mourut en place et à qui suc-
céda Aboû Zeyd, fils de son frère cadet Moh’ammed,
lequel conserva également ces fonctions toute sa vie.

Dans la nuit du dimanche au lundi 16 cha’bàn 028
mourut à Tunis le vertueux chevkh Aboû Sa’îd
Khalaf ben Yah’ya Temîmi Bàdji, qui fut enterré

 

(1) A B D l^^^Uo ; je lis avec C U.^>^1^ . Le nom ‘Abboùn,

qui vient après, est ainsi orthographié dans A H C D, au lieu de *Awn
des Berbères, l. l,

(2) Le nom d’idrîs n’est pas cité par Ibn Khaldoûn (n, 301), qui
place la révocation de Meymoùn à Tannée 626.

 

-^ 35 –

dans le cimetière qui porte son nom, sur le Djebel
el-Mersa, proche du minaret.

En 629 (28 oct. 1231), le sultan Aboû Zakariyyâ
Yah’ya commença la construction de la grande mos-
quée de la K’açba à Tunis, et fit refaire les plans de
la K’açba. Quand, en ramad’ân 630, le minaret de
cette mosquée fut achevé, il y monta lui-même la
nuit et cria Tappel à la prière.

En la dite année, Aboû Moûsa, frère d’El-Ma’moûn
souverain de Merràkech, se révolta à Ceuta contre
El-Ma’moûn et se fit proclamer sous le nom d’El-
Mo’ayyed. El-Ma’moûn, qui s’était mis en route,
mourut près du Wôdi Oumm Rebî’ le samedi 29
dhou l-hMddja 629 (1), ayant régné depuis sa procla-
mation à Séville cinq ans et trois mois, et laissant
en fait d’enfants mâles ‘Abd el-Wâh’id et Es-Sa’îd.

On reconnut comme son successeur, le jour
même de sa mort, son fils Aboû Moh’ammed
‘Abd el-Wàh^d ben Aboû ‘î-‘Ala Idrîs el-Ma’moûn
ben Aboû Yoûsof Ya*k’oûb el-Mançoûr ben Yoûsof
ben ‘Abd el-Mou’min ben ‘Ali, et on lui donna le
surnom d’Er-Rechîd. Ses partisans cachèrent la
mort [P. 20] de son père, et Ton pressa la marche
vers Merràkech. En roule Tarmée se heurta contre
Yah’ya ben en-Nâçir, qui avait laissé dans cette ville
Aboû Sa’îd ben Wânoûdîn, et le battit : la plupart
de ses soldats furent tués, le reste fut fait prisonnier
et tout ce qu’ils avaient fut livré au pillage. Er-Re-
chîd était dès le matin à Merràkech, dont les habi-
tants ne résistèrent que peu, puis allèrent au camp
lui jurer fidélité.

 

(1) Voir Berbères, ii, 237.

 

– 36-

Le vendredi 7 çafar 633, la construction de la
grande mosquée de la K’açba, à Tunis, fut termi-
née (1).

En 634 (3 sept. 1236), Aboù Zakariyyâ fit figurer
dans la khotba son nom après celui de rimàm [Mahdi]
en le faisant accompagner du seul titre d’Émîr ; il
procéda aussi à la seconde et définitive intronisation,
à laquelle personne ne chercha à se soustraire. Il ne
prit pas le titre d’Émîr des croyants, et un poète Ty
ayant invité en ces termes :

[Wâûr]. Courage I ajoute le mot el-mQu’ininin à celui d*éinîr,
car personne n’est plus digne de ce titre que toi ! (^),

il le désavoua : « A quel titre donc, dit-il, les poètes
se mêlent-ils de cela ? »

La reconnaissance par les Valenciens d’Aboû Zà-
kariyyè eut lieu le 4 moharrem 636 (17 août 1238), à
la suite d’une grande bataille où fut entre autres tué,
le 20 dhoûM’-h’iddja 634, le h^â/iz’ AboûV-Rebf
ben Sàlem, et à la suite de laquelle l’ennemi serra
la ville de très près, si bien que Zeiyyân ben Mer-
denîch, qui y commandait, dut réclamer le secours
d’ Aboù Zakariyyâ; il envoya porter sa soumission
par des gens de sa cour, où figurait entre autres
son secrétaire le célèbre juriste Aboû ‘Abd Allah
Moh’ammed ben ‘Abd Allah ben Aboû Bekr ben el-
Abbâr K’od’à’i (3). Cette députation étant arrivée à
Tunis, Ibn el-Abbâr récita devant le prince, le mardi
30 redjeb 636 , son célèbre poème qui compte
soixante-six vers et qui débute ainsi :

(1) Le minaret en fut achevé dès 630, ainsi qu’on l’a vu plus haut.

(2) La mesure de ce vers exige la lecture adoptée dans les Berbè-
res (texte, I, p. 386 ; cf. l’errata) et à peu près reproduite dans A
et C.

(3) Sur ces événements, voir Berbères, ii, 306. Sur Ibn el-Abbâr,
ibid., pp. 307, 347 et 350 ; il s’agit de l’auteur de la Tekmila, éditée
par Codera, 2 vol. 8», Madrid, 1887-89.

 

– 37 -^

[Basir]. Rends-toi en Espagne avec ta cavalerie, la cavalerie
de Dieu ; pour délivrer ce pays, la route est frayée devant toi !
Porte à l’Espagne suppliante un généreux secours ; les opprimés
toujours ont invoqué ton aide puissante ! (1)

Aboû Zakariyyâ fit sur le champ et aussi vite que
possible réunir des vivres et du bétail pour une va-
leur de cent mille dinars ; mais la prise de la ville
devança l’arrivée de ces secours. Quant à Ibn el-
Abbâr, rifrîk’iyya lui plut, et il retourna [P. 21] en
Espagne pour en ramener sa famille et se fixer à
Tunis ; il fut bien accueilli par Aboù Zakariyyâ, qui
le nomma son secrétaire, et après la mort d’Aboû
‘Abd Allah ben el-Djelâ il obtint de l’avancement et
fut chargé d’écrire le paraphe officiel.

En la dite année (2), Aboû Zakariyyâ quitta Tunis
pour marcher contre les Zenâta daqs le Maghreb
central ; il se rendit d’abord à Bougie, puis conquit
Alger et y nomma un gouverneur. Il se dirigea en-
suite vers le pays des Maghrâwa, et les Benoû Men-
dîl firent leur soumission. Comme les Benoû Toûdjîn
se préparaient ouvertement à l’attaquer, il leur infli-
gea une défaite et s’empara de leur chef ‘Abd el-
K’awi ben el-Fâsi (3), qu’il envoya en captivité à
Tunis. Puis il reprit lui-même le chemin de cette
ville, et en passant par Bougie, y installa comme
gouverneur son fils, l’émîr Aboû Yah’ya Zakariyyâ.

Le jeudi 2 redjeb 638 (16 janv. 1241), Aboû Zaka-

i^iyyâ fit reconnaître ce dernier comme son héritier

présomptif, et dans toutes les chaires d’Ifrîk’iyya le

. nom d’Aboû Yah’ya Zakariyyâ figura dans la khotba.

(1) Le poème entier figure dans Ibn Khaldouûn (trad., ii, 307).

(2) En 63^ d’après Ibn Kbaldoûn \n, 301).

(3) ‘Abd el-K’awi ben el-‘Abbâs, dit Ibn Kbaldoûn (ii, 302-, et
aussi ben ‘Abd el-‘Abbâs (ii> 316; cl. m, 346).

 

– 38 —

La môme année [mourut Aboû ‘Abd AUâh Mo-
h’ammed ben Moh’ammed ben el-Djelô’ Bedjè’i, qui
était à Tunis directeur de la chancellerie et du sceau.
Aboù Zakariyyâ lui donna pour successeur le ju-
riste Aboû ‘Abd Allah Moh’ammed ben ‘Abd Allah
ben el-Abbar, qui ne garda pas cette situation long-
temps ù cause de son mauvais caractère et de l’abus
qu’il fit du sceau en l’apposant indûment sur certai-
nes pièces. Ah’med ben Ibrâhîm Ghassâni fut alors
choisi par Aboù Zakariyyâ et resta en place jusqu’à
la fin du règne. Ghnssâni traçait en écriture orientale
le paraphe consistant en ces mots : De la part de Vémir
Aboû Zakariyyâ ben Aboû Moliammed, fils du cheykh
Aboû IVafç.

lùi chawwàl 039, Aboû Zakariyyâ marcha contre

Tlemcen h la tète d’une armée de 64,000 cavaliers;
après un siège qui dura jusqu’en rebî’ I 640 (sept. 1242),
il l’emporta de vive force, du côté de la porte de Kech-
choût’, sur Yaghmoràsen ben Zeyyân, prince ‘Abd
el-wftdite. Quand celui-c: vit celte situation, il se jeta
en armes à la tête de ses courtisans du côté de la
porte de la K’açba H); triomphant de la résistance
que lui opposaient les troupes almohades, il abattit
plusieurs de leurs plus braves guerriers, et se frayant
un passage se jeta dans le désert. Les vainqueurs se
précipitèrent alors dans la ville de tous les côtés et
y exercèrent de grands ravages. Quand le tumulte
eut fait place au calme, Aboû Zakariyyâ songea à
chercher un homme à qui confier le gouvernement

 

(1) Par la porte de la Côte, bàh el-ak’abay dit Ibn Khaldoûn fin,
345). Sur les portes de Tlemcen, voir Bekri. p. 179; Barges, Tlem-
ccïiy p. 175, et Histoire des Béni Zeiyan, pp. 69 et 70; Géographie
d*Aboul/éda, ii, 189 ; Berbères, m, 353 et 387 ; Delpech, ap. Reoue
africaine, 1883, pp. 393 et 394.

 

— 39 —

[P. 22] de Tlemcen et du Maghreb moyen. Mais
alors Yaghmorâsen ayant envoyé à son vainqueur
une députation pour lui faire connaître le désir qu’il
avait de reconnaître à Tlemcen Tautorité des Hafçi-
des, Aboû Zakariyyâ consentit à ce qu’il proposait
et à s’allier avec lui contre le souverain de Merrâ-
kech; Soût’ en-Nisà, mère de Yaghmorâsen, qui se
rendit auprès de lui pour régler et ratifier les condi-
tions du traité, reçut de grands honneurs tant à son
arrivée qu’à son départ, ainsi que de magnifiques
cadeaux. Le prince ‘Abd el-wàdite se réinstalla alors
à Tlemcen, tandis que le Hafçide regagnait Tunis
après une absence de neuf mois.

En la dite année (639), Moh’ammed ben Moh’am-
med Djawheri (1), ministre des finances à Tunis,
fut arrêté. Il avait obtenu cette place, qui jusqu’alors
avait toujours élé confiée à un Almohade, grâce à
l’influence que lui avait donnée sur le prince l’habi-
leté avec laquelle il avait perçu les impôts sur les
nomades, tandis que jusqu’alors les percepteurs de
ces revenus s’v étaient indûment enrichis. Sa haute
situation lui permit d’acquérir de la fortune, et il se
constitua une garde militaire ( Jtay” ^^Wj ), avec l’in-
tention, s’il lui survenait mésaventure, de se retirer
auprès des cavaliers qu’il s’était ainsi ménagés. Il
s’attira l’inimitié du haut fonctionnaire (2) Aboù ‘Ali
ben en-No’mân et d’Aboû ‘Abd Allah ben el-H’o-
seyn(3), lesquels rapportèrent au prince ce qui se disait
des projets de son ministre. Parmi les plus ardents

•(1) B G D orthographient Djawâhiri.

(2) iJ^jJI |»**j^ a peut-être une acception plus précise.

(3) A B C D orthographient ainsi ce nom, qu’Ibn Khaldoûn (ii,
313) écrit Aboû ‘Obeyd All&h ben Aboû 1-H’aaan.

 

– 40 –

détracteurs de celui-ci figurait aussi le vizir Aboû
Yah’ya ben Aboû ‘1-H’asan ben Djâmi’, qui vint à
mourir, et Djawheri, se refusant à croire qu’il fût
mort, prononça ce vers :

[T’awtl]. C’est beaucoup que de survivre, ne fût-ce qu’un
instant, à son ennemi.

C’était de sa propre destinée qu’il parlait, car sa
fin approchait. Quelque temps après, il fut arrêté et
emprisonné dans un endroit de la K’açba qui porte
encore maintenant son nom ; bientôt arriva Tordre
de le mettre à la torture pour tirer de lui Taveu de
sa fortune ; la bastonnade ne put le faire parler, et
un matin on le trouva mort dans sa prison, où il
s’était étranglé à Taide de la mousseline de son tur-
ban. Son cadavre fut traîné hors de la ville, et ses
ennemis allèrent en cet endroit se repaître de ce
spectacle.

En 640 (30 juin 1242), Aboû Zakariyyâ révoqua
Aboû’ 1-K’âsim el-Merîch, kèdi de Tunis, et le rem-
plaça par ‘Abd er-Rah’mân ben ‘Omar ben Nefîs (1).

Le vendredi 10 djomâda II 640 (5 déc. 1242), Er-
Rechîd, souverain de Merrâkech, se noya, dit-on, dans
un des réservoirs (2) du palais ; on raconte qu’on le
sortit encore vivant de l’eau et qu’il était mort [P. 23]

 

(1) B lit El-Merîchi, — et ensuite ben ‘Amr, au lieu de ben ‘Omar ;
TOir note 2 de la p. 41.

(2) Le Kaftâs (texte, p. 171, 1. 2i donne la date de jeudi 9 djo-
mâda, et appelle çahrtdj ce que nous traduisons par « réservoirs ; »
Zerkechi emploie le pluriel djawàhi et Ibn Khaldoun (texte, i, p. 348,
1. 13> le pluriel h*awâ’iz. Ce dernier mot, comme d’ailleurs plusieurs
autres du même auteur, n’a pas été relevé dans le Supplément de
DozT ; l’acception en est établie par les passages parallèles cités^ et
on le retrouve ailleurs (p. ex. ibid., i, 41 3« 1. li« et au singulier,
h’â*i$, à la 1. 13 de la même page).

 

– 41 —

avant d’être ramené au bord (1). Il avait régné dix
ans cinq mois et dix jours.

Il eut pour successeur son frère Aboû ‘1-H’asan
‘Ali es-Sa’îd ben Aboû ‘l-‘Alâ Idrîs el-Ma’moûn ben
Ya’k’oûb el-Mançoûr, qui fut proclamé le jour même
de la mort d’Er-Rechîd sous le nom d’El-MoHad’id,
et qui prit comme vizir Aboû Ish’âk* ben Ibrâhtm,
ce dernier frère d’El-Mançoûr.

En 646 (25 avril 1248) mourut à Bougie Aboû Za-
kariyyè, prince de Tunis, qui avait désigné comme
son successeur son fils El-Mostançir.

Le mercredi 2 çafar de la dite année, Aboû
Zakariyyâ révoqua le k’âd’i de Tunis, ‘Abd er-Rah’-
mân ben ‘Omar (2) ben Nefîs, et le remplaça par
‘Abd er-Rah’mèn ben ‘Ali Tawzeri, connu sous le
nom d’ibn eç-Çâ*igh.

Es-Sa’td et son fils furent tués dans une affaire
trop longue à raconter (3), et à la suite de laquelle les
Abd el-wâdites s’emparèrent de tous leurs bagages.
Yaghmorèsen se réserva la tente du sultan et son
contenu, où figurait entre autres trésors le Koran
d”Olhmân ben ‘Affân (4), Tun des exemplaires, dit-
on, qui furent transcrits sous le règne de ce kha-
life. Il passa des trésors de Cordoue, où le gardaient
les descendants d”Abd er-Rah’mân, premier omeyya-
de d’Espagne, dans ceux des Almoravides ; de ceux-
ci il passa aux Almohades, et il figure maintenant à

(1) A seul lit /i^j , comme Ibn Khaldoûn (texte, i, 348, 1. 13 ;

trad.. Il, 243, « il en fut retiré vivant, mais une âèvre le saisit à
rinstant et l’emporta ») ; B C O lisent .^^^j

(î) Je lis ben ‘Omar avec B G ; A omet ces mots ; D, ben ‘Awf.

(3) Ibn Khaldoûn raconte ces événements (m, 348).

(4) Voir ce qae dit de oe Koran Merrâkeehi (trad., p. 918).

 

– « –

Fez dans le trésor des Mérinides, qui renlevèrent
aux Abd el-wàdites lorsqu’ils s’emparèrent de Tlem-
cen, ainsi que nous le dirons.

Yaghmorâsen veilla à ce qu’on enterrât convena-
blement Es-Sa’îd et le fit transporter sur un bran-
card jusqu’à El-‘Obbâd dans le cimetière du cheykh
Aboû Medyen. Ce prince fut tué le mardi dernier
jour de çafar 646 (23 juin 1248), après un règne de
cinq ans huit mois et vingt jours.

Leur chef mort, les troupes d’Es-Sa’îd s’enfuirent
vers Merrâkech, après que tout le monde eut re-
connu son fils ‘Abd Allah. La nouvelle de ces évé-
nements arriva à l’émîr Mérinide Yah’ya ben ‘Abd
el-H’ak’k’, qui était alors dans la région des Benoû
Iznâsen, et à qui son cousin Aboù ‘Ayyâd venait
d’amener le corps de troupes mérinides qu’il com-
mandait. L’occasion étant favorable, ce chef guetta
Tennemi, lui infligea à Kersîf une défaite complète
et fit un butin considérable tant en bagages qu’en
armes ; la milice chrétienne et les archers Ghozz
passèrent de son côté ; l’équipage royal fut pris, et
l’émîr ‘Abd Allah ben es-Sa’îd perdit la vie dans
cette sanglante aff’aire (1).

Quand la mort d’Es-Sa’îd et de son fils fut connue
à Merrâkech [P. 24], l’assemblée des Almohades
prêta serment de fidélité à Aboû H’afç ‘Omar ben
Aboù Ish’âk’ ben Aboû Ya’k’oûb Yoûsof ben ‘Abd
el-Mou’min, bien qu’il fût absent. Le nouveau prince
quitta Salé sur leur invitation (2) pour se rendre dans

(1) Berbères, ii, 247 ; iv, 36 et s. J’ai lu Kersîf d’après Ibn Khal-
doûn (voir Guercif dans la Table géographique ; Bekri, 206 et 337) : A

(2) Corrigez O et lisez avec A B G et Ibn Khaldoûn (texte, i, 351, 1. 9)

 

– 43 —

la capitale, entouré des cheykhs Arabes ; à Tàmesnâ
il rencontra la députation qui lui était envoyée et qui
lui prêta serment sous le nom d’El-Mortad’a. Son
arrivée à Merrâkech eut lieu en djomâda II 646 (sept.-
cet. 1248).

En 647 (15 avril 1249), El-Fransîs, roi des chrétiens
[S*- Louis], mit le siège devant le Kaire et le poussa d’a-
bord très vigoureusement. Mais il finit lui-même par
être fait prisonnier, et il envoya un messager au sultan
El-Melik el-Mo’az’z’em ben el-Melik eç-Çàlih’ ben el-
Melik el-Kâmil ben el-Melik el-‘Adil ben Nedjm ed-
Dîn Ayyoùb le Kurde, qui fut le dernier prince
Ayyoubide (1), pour lui faire offrir comme rançon une
somme considérable et dont il faisait ressortir Tim-
portance. El-Mo’az’z’em prit Tavis des Turcs, qui
voulaient la mort du captif; mais ce n’était pas l’o-
pinion du prince, qui penchait à traiter secrètement.
Les Turcs qui le devinèrent voulurent le tuer, et il
dut se réfugier dans une tour à laquelle ils mirent le
feu ; El-Mo’az’z’em se jeta de là dans le Nil, où il fut
massacré, de sorte qu’il périt à la fois par le fer et
par l’eau. Ainsi finit, après une durée de quatre-
vingts ans quatre mois et quelques jours, la dynas-
tie Ayyoubide^ qui fut remplacée par les Turcs Bah-
rites.

La nuit du jeudi au vendredi 22 (2) djomâda II
647 (2 octobre 1249), mourut dans son camp, en de-
hors de Bône, le prince de Tunis Aboù Zakariyyâ
Yah’ya ; enterré le lendemain dans la grande mos-
quée de Bône, près du cheykh vertueux Aboû Mer-

 

(1) Corrigez D et lisez wji’ ^ ^^0^^’ ^ J
(i) D et Ibn Khaldoûn lisent le 92; A B G, le S8.

 

— u —

wàn, il fut ensuite transporté et définitivement inhu-
mé à Constantine (1). Né à Merràkech en 599, i’
était âgé de 49 ans et avait régné à Tunis vingt ans
et demi.

11 eut pour successeur son fils et héritier désigné
Aboû ‘Abd Allah Moh’ammed ben Aboû Zakariyyâ
Yah’va ben Aboû Moh’ammed ‘Abd el-Wâh’id ben

m

Aboû H’afç, qui fut d’abord reconnu à Bône par les
grands et par le reste de Tarmée, dont le serment
fut recueilli par les soins de son oncle Moh’ammed
Lih’yàni, ainsi nommé à cause de sa grande barbe.
De Bône il retourna à Tunis, où son intronisation
eut lieu le mardi 3 redjeb 647 (12 oct. 1249). Il était
âgé de 22 ans [P. 25] et avait pour mère une chré-
tienne nommée ‘Atï. Il ne prit que le titre d’Emir,
auquel il ajouta el-Mouminln le lundi 24 dhoû’ 1-h’iddja
650, alors que la Mekke^ grâce aux soins d”Abd
el-H’ak*k’ ben Sab’în, eut reconnu son autorité (2).
*La Syrie et l’Espagne le reconnurent également* (3),
et il prit le surnom d’EI-Mostançir billâh. Le secré-
taire chargé d’écrire son paraphe était Aboû ‘l-‘Abbâs
Ah’med ben Ibrahim Ghassâni, qui avait exercé cette
charge sous le règne précédent.

Il prit comme vizir [Aboû ‘Abd Allah] Moh’am-
med ben Aboû Mehdi Hintâti. Le 28 de redjeb, pre-
mier mois de son règne, il fit arrêter le k’â’id Kâ-
foûr et renvoya à la prison de Mehdiyya.

En 048 (5 avr. 1250) eut lieu à Tunis la révolte de son
cousin, Aboû ‘Abd AUâh [ben] Moh’ammed Lih’yâni,
de connivence avec le vizir Ibn Aboû Mehdi. El-Mos-

(1) En 666 ‘Ibn Khaldoûn, ii. 333).

(3) Voir Berbères, ii, 344 ; K’ayrawâni, texte, p. 128.

(3) Ces mots ne figurent que dans B et O.

 

– 45 ~

tançir fit marcher contre eux des troupes comman-
dées par le k’â’id Z’âfer, qui en vint aux mains avec
eux dans le Moçalla, en dehors du Bâb el-Menâra
(porte du Minaret), et qui tua le rebelle, ainsi qu’lbn
Aboù Mehdi et leurs partisans. Z’àfer alla ensuite
égorger dans son palais Lih’yâni, Toncle du souve-
rain ; il en fit autant de son frère Aboù Ibrahim, fils
du cheykh Aboû Moh’ammed fils d’Aboû H’afç, et
apporta leurs têtes à El-Mostançir.

Après que cette révolte eut été étouffée, on des-
servit auprès d’El-Mostançir son affranchi le général
Z’âfer en faisant ressortir qu’il avait tué sans ordre
Lih’yàni, qui était innocent. Z’âfer, qui en fut in-
formé, se retira chez les Daw^âw^ida pour se mettre
à Tabri de quelque surprise funeste, et le plus actif
de ses dénonciateurs, Hilâl, affranchi du sultan (1),
reçut de ce dernier la place ainsi laissée vacante.

En la même année fut construit le bassin (ib-Aw) à
l’est de la mosquée Ez-Zitoûna, et commencèrent les
bâtisses dans les jardins d’Aboû Fehr (2). A la même
époque aussi, la marque distinctive ( ^^) fut impo-
sée aux juifs de Tunis (3).

En djomâda II de la dite année, on installa la

mak’çoûra (tribune) dans la grande mosquée des Al-

mohades.

Le lundi 24 dhoù’ 1-h’iddja 650 (24 fév. 1253), El^

Mostançir, jugeant que le simple titre d’émîr était in-
suffisant, prit celui dVmîr c/-mou’mmin, qu’il fit ajouter
à son nom tant au prône que sur les monnaies d’or.
Ce même jour, il se fit appeler El-Mostançir billâh

(1) Du sulian, et non de Z*âfer (cf. Berbères, ii, 338 et 356;.

(2) La description en est donnée dans les Berbères, ii, 339 et s.

(3) C seul (T^J^ Ï^*J^ vj^-l*?^ (sic) ; plus haut, p. 19.

 

– 46 –

et prît pour paraphe : « Louange à Dieu ! Recon-
naissance à Dieu ! » ; on procéda à son intronisation
publique sous ce tilre, puis une audience fut consa-
crée 5 recevoir les plaintes des opprimés (1). Or, il
se trouva que la pluie, qui se faisait attendre depuis
longtemps, tomba le troisième jour de Tmaugura-
tion, et les poètes en félicitèrent le prince.

Plus tard, le cheykh ed-daicla Aboù Sa’îd ‘Othmàn
[ben Moh’ammed Hinlàti], dit El-‘Awd er-Rat’ab, à
la suite des dispositions prises relativement au pa-
raphe, [P. 26] et remarquant que les ordres du
prince portaient sur des affaires de minime impor-
tance où l’intervention de la chancellerie n’était pas
indispensable, divisa cette dernière en petit et en
grand sceau : les rescrits importants et émanant du
khalife portèrent le paraphe qui avait été choisi, les
affaires d*un intérêt trop médiocre pour nécessiter
rintervention du khalife furent rédigées par des
fonctionnaires que nommait le prince et revêtues
d’un paraphe différent, mais indiquant l’authenticité
de la provenance. Il y eut donc le grand et le petit
paraphe, le premier apposé en tête de la pièce et
après le bismillah, le second apposé à la fin et certi-
fiant la provenance officielle.

Le jeudi 5 rebî’ I de la dite année, mourut à Tu-
nis le vertueux cheykh El-H’àddj Aboù Hilàl ‘Ayyàd
ben Makhioûf Temîmi ZeNvàt, qui fut enterré dans
le cimetière qui porte son nom, au nord du cimetière
du vertueux cheykh Aboù Zeyd ‘Abd er-Rah’màn
Monât’ik’i.

En 651 (2 mars 1253) fut élevé le pavillon d’au-

(1) Cf. Berbères, ii, 335.

 

– 47 —

dience situé à Tunis à Asârèk (1) et dominant la
porte Intedjemi (2), ainsi qu’une allée qui se dirigeait
de la K’açba à Râs et-T’âbiya et rejoignait les jar-
dins d’Aboù Fehr, de façon que les femmes du ha-
rem pouvaient y passer sans être vues.

Au début de 656 (7 janv. 1258), le Khàkân [Holagou],
roi des Tatares, marcha contre Baghdâd pour Tenlever
à El-Mosta’çim (3) qui y régnait. Ce khalife était
tellement amateur de pigeons qu’il en avait réuni
vingt mille. La cause de sa perte fut le choix qu’il
fit, en qualité de vizir (4), d’un Râféd’ite qui injuriait
publiquement et sans se cacher les khalifes Aboù
Bekr et ‘Omar. Il avait [cependant] H3,000 hommes
de troupes (5). Quand l’armée Tatare se fut emparée
du Khorasân, ce maudit vizir travailla à faire chas-
ser les Abbassides de l’Irak. Le Khàkàn s’empara
d’El-Mosta’çim qu’il mit ft mort avec 13,000 fak’îh
(juristes), sans compter ceux à qui il infligea des
tortures trop longues à raconter. Cet événement eut
lieu le lundi 17 çafar 656 (6); pendant une huitaine
de jours encore, Baghdéd fut livrée au meurtre et au

 

(1) « Ce mot appartient à Ja langue des Maçmoûda et signifie largo
et caste M ilbn Khaldoûn, ii, 339).

(2) W s’agit, ainsi qu’on le verra, d’une porte de la K’açba plusieurs
fois citée par Zerkechi ; quant aux portes de Tunis mémo, Housseau
les a énumérées, à deux reprises et dans des termes presque identi-
ques, dans le Journal asiatique, 1849, i, 313 ; 1853, i, 409.

(3) A B G D, ici et plus bas, w^^U^t

(4) Je lis avec B «ilab^l aJUS ^_^^ %(f • ; A G D lisent

• ‘* Il t^ ‘ ^^

^JÎJJ ^-^^’j (D ^^ ^^*j* ^^ j . « Il était sunnite et prit en

qualité, etc. » ; sur la chute de la dynastie Abbasside, voir M. d’Ohs-
son, Hist. des Mongols, m, 207.

(5) Le vague de la tournure arabe permet aussi de croire qu’il
s’agit du nombre des Tatares.

(6) Usez, le lundi 7 çafar Î3 fév, 1258..

 

-. 48 –

pillage. Ce fut la fin de la dynastie et du pouvoir des
Abbassides, qui avaient, depuis Es-Safîâh’, fourni
quarante princes pendant une période de 524 ans,
moins trente-quatre jours.

En 657, le sultan révoqua le k’âd’i de Tunis,
‘Abd er-Rah’màn, et le remplaça par le juriste
Aboù ‘1-K’âsim ben ‘Ali ben el-Berrâ Mehdewi, à
la place duquel il nomma bientôt [P. 27J Aboû
Moùsa ‘Amràn ben Mo’ammer T’arâbolousi, juriste
vertueux, de bonnes mœurs, d’abord facile, très
versé dans le rite, bien au courant des questions
spéciales et pénétrant dans ses décisions ; il fut ap-
pelé de Tripoli, son lieu natal, où il était k’âd’i, kha-
t’îb et imâm de la grande mosquée, et il resta k’âd’i
de Tunis depuis 658 jusqu’à sa mort.

Le malin du mardi 21 moh’arrem 658, El-Mostan-
çir fit exécuter le juriste, le littérateur savant et ha-
bile en poésie et en prose, Vargument (h’oddja) Aboû
‘Abd Allah Moh’ammed ben Aboû Bekr Kod’ô’i, dit
Ibn el-Abbàr, après’ l’avoir préalablement soumis à
la flagellation, dans le cabinet (mak’çoûra) du préfet
de police de Tunis, en dehors de la porte d’intedjemi.
Mais le prince plus tard eut à regretter cette exécu-
fion, qui eut pour cause le fait suivant. Comme un
jour on avait parlé chez le prince de la naissance de
son fils El-Walhik’, le poète dressa le lendemain le
thème astrologique relatif à la naissance et à l’horos-
cope de ce prince. El-Mostançir, qui en fut informé, dé-
clara que c’était de l’indiscrétion de sa part de s’ingérer
dans les affaires royales, qui ne le regardaient pas.
Il le fit emprisonner dans le corps de garde ( ^3:^-»)
de la K’açba et envoya Ghassàni perquisitionner chez
lui ; or il existait entre ces deux hommes l’animo-

 

— 49 —

site qui divise deux fonctionnaires dont Tun a sup-
planté Tautre. Ghassani trouva dans les notes d’Ibn
el-Abbâr certains vers, parmi lesquels celui-ci :

[Bastr]. A Tunis domine un sot tyran qu’à tort on dénomme
khalife.

La lecture de ces vers fut cause que le sultan le
fit d’abord bâtonner, puis tuer à coups de lance ; les
livres et les notes du coupable, formant environ qua-
rante-cinq ouvrages, furent brûlés sur le lieu de son
supplice. D’après Morâdi, le vers où le khalife était
attaqué est celui-ci :

[Sarî*]. Désobéissant à son père, grossier envers sa mère, il
est resté silencieux devant la chute de son oncle.

Le l**- moh’arrem 659 (5 déc. 1260), le sultan fît arrê-
ter Aboû ‘I-‘Abbàs Ah’med Luliyàni (1). Originaire de
Luliyân, localité dépendant de Mehdiyya, ce person-
nage, qui s’était adonné à l’étude de la littérature et
du droit, y avait acquis de la notoriété et avait ré-
digé des notes sur la Modawwana, Il s’était ensuite
jeté dans la carrière administrative, où il avait réussi,
car il était chargé du bureau de la marine et d’autres
fonctions encore. Mais il avait des ennemis, parmi
lesquels Ibn Aboû ‘1-H’oseyn, qui l’accusèrent de
s’être approprié des sommes importantes et de son-
ger à soulever la ville de Mehdiyya. Maintes fois ces
insinuations avaient frappé les oreilles du sultan
sans que Luliyàni en sût rien ; mais un jour deux
officiers d’entre les renégats pénétrèrent violemment
chez lui et saisirent son coffre, [P. 28] où ils trou-
vèrent des rubis, des émeraudes et des perles pour
une valeur considérable: « Qu’est-ce, » lui dit-on, « que

(1) A B G D Jw^l . Ibn Khaldoûn fixe rorthographe de ce nom
(texte, I, 431). “-^

 

– 50 –

ces trésors trouvés chez un homme qui se prétend
intègre? — Ils sont, « répondit-il, « destinés à notre
Maître le Sultan. — Cela va en effet lui revenir ! »
On se saisit de sa personne et on exigea de lui une
forte somme qu’il acquitta, de sorte que peu de jours
a])rès il fut relâché. Mais prévoyant d’autres contre-
temps, il forma le projet de se transporter en Sicile,
ce que le sultan, qui était tenu au courant, feignit
d’ignorer, jusqu’au jour où, tout étant prêt, Luliyâni
[se mit en devoir de] fuir. Le l®*” moh’arrem 659,
Ghassâni était dans le grand pavillon auprès du sul-
tan qui, comme il commençait à pleuvoir, lui dit :

[Redjez] c C’est aujourd’hui jour de pluie. — El jour d’extir-
pation du mal, »

reprit Ghassâni. — « Allons ! » dit le prince, <« et
après ? »)

«L Cette année est l’an neuf (c’est-à-dire 659) et ressemble à
celle de Djawheri, )>

continua Ghassâni (1). Le prince alors, faisant ap-
peler les cheykhs du conseil : « Écoutez, leur dit-il,
ce que dit Ghassâni, » et il répéta le vers ci-
dessus, en ajoutant : « C’est là la voie à suivre ;
saisissez- vous de Luliyâni, nous nous concilierons
ainsi à la fois Dieu, les grands et le peuple. » On
procéda donc à son arrestation et, le lendemain, à
celle d’Ibn ‘At’t’âr, qui, d’abord préposé à la noblesse
de Tunis, puis à celle de Bougie, était alors chargé
des domaines dans la capitale. Un même local les re-
çut l’un et l’autre à la K’açba, et Aboù Ze>d ben
Na’moûn (2) Hintâti fut chargé de les mettre à la tor-

(1) Comparez Berbères, ii, 351 : Djawheri fut mis à mort en 639.

(2) On lit « ben Yaghmour v dans les Berbères, L l.

 

– 51 –

ture pour leur faire rendre gorge. On raconte que
les deux prisonniers, chargés de chaînes et les pieds
entravés, étaient [chaque jour] hissés sur des ânes
et sortaient par la grande porte : Luliyâni était mené
à rhôtel des nobles et assistait, toujours enchaîné, à
l’enlèvement des colis, et à Thôtel des domaines on
procédait de même pour Ibn el-‘At’t’âr. Ces opéra-
tions se poursuivirent quotidiennement jusqu’en red-
jeb, mais Luliyâni fut particulièrement maltraité, et le
résultat qui en fut divulgué fut de faire passer environ
300,000 dinars à Thôtel de la monnaie. Ce malheu-
reux périt ensuite dans les tortures, et son cadavre,
remis aux esclaves^ fut par eux traîné dans les rues,
puis jeté dans le lac. Ibn el-At’t’âr fut rendu à la li-
berté et réinstallé à Thôtel des domaines, où la triste
fin de Luliyâni lui fit oublier les épreuves qu’il avait
subies.

En 659, mourut le vertueux cheykh connu sous le
nom de Notre père ‘Abd Allah, qui fut enterré à El-
Mersa, dans le cimetière des cheykhs.

En la même année, eut lieu la reconnaissance des

Hafçides par la glorieuse ville de la Mekke, ce qui se

fit grâce au cheykh Aboû Moh’ammed ‘Abd el-

H’ak’k’ ben Sab’în ; le traditionnaire Aboû Moh’am-

med ben Bert’ala en apporta la nouvelle, qui fit qu’un

poète récita ces vers :

[Kàmil]. Mes félicitations au Prince des croyants pour une
reconnaissance qui lui apporte prospérité et félicité. [P. 29] Le
Maître des créatures t’a fait don de la Mekke (1), et i*on annonce
encore d’autres conquêtes ; la Hère des cités s’étant soumise, la
piété filiale entraine l’obéissance des enfants.

En la même année, moururent le juriste et tradi-
(1) A B D *CJ^ ; C ï^i;

 

– 52 —

tionnaire Aboû Bekr ben Seyyid en-Nâs (1), El-Mot’ar-
ref ben ‘Omeyra (2), le k’âd’i Et-Tawzeri (3) et Aboû
Moh’ammed Yoùsof ben Yàsîn.

En rebî’ 660, furent frappés à Tunis des h’andoûs (4)
ou folous de cuivre^ destinés à faciliter les transac-
tions ; ils furent supprimés en cliawwàl de la même
année.

Le 10 rebî’ II 660, mourut le grand k’àd’i de Tunis,
Aboû Moûsa ‘Amrân ben Mo’ammer T’arâbolousi,
qui fut remplacé par Aboû ‘Abd Allah Moh’ammed
ben ‘Ali ben Ibrahim Mehdewi, connu sous le nom
d’Ibn el-Khabbâz.

En la même année, mourut le vertueux cheykh
déjà cité, Eç-Çak’alli.

Le 3 ramad’ân 662, le k’àd’i Ibn el-Khabbâz fut
révoqué et remplacé par le juriste Aboû ‘l-‘Abbâs
Ah’med (5) ben el-Ghammâz.

Le 4 rebî’ I de la dite année, mourut à Tunis le
juriste, imâm et écrivain ‘Abd el-‘Azîz ben Ibrâhîm
K’orachi, connu sous le nom d’Ibn Now^eyra, com-
mentateur de Ylrchâd (6).

En 666 (21 sept. 1267), le sultan acheva de mettre

(1) Voyez Berbères, ii, 381.

(2) Probablement TAboû ‘i-Mot’arref ben ‘Omeyra des Berb., ii,
246.

(3) Aboû Zeyd Tawzeri avait été chargé de réducation du fils de
Moh’ammed lih’yâni (Ib., 336).

(4) A B G D £^j J.ac^I ; Ibn Khaldoûn fournit des renseigne-
ments plus circonstanciés sur cette opération (ib., u, 354).

(5) Ah’med manque dans ABC.

(6) J’ai inutilement cherché le nom de cet auteur dans Hadciji
Khalfa et dans une dizaine de recueils biographiques.

 

– 53 –

l’aqueduc (1) [de Zaghouàu] en état pour le faire ser-
vir à [alimenter les jardins d’] Aboû Fehr.

Le 4 rebf II 666, le juriste Moh’ammed ben er-
Râ’is RabM fut nommé k’âd’i des mariages à Tunis.

Le 4 chawwâl 667, le k’âd’i [Ibn] el-Ghammâz fut
révoqué et remplacé par le vertueux juriste Aboû
‘l-‘Abbâs Ah’med ben Ibrâhîm Texégète. Le 19 dhoû
‘1-k’a’da de la même année, Aboû ‘Abd Allah Mo-
h’ammed dit Ibn el-Khabbâz (2) fut renommé k’âd’i.

En 668 (30 août 1269), il fut donné lecture de l’acte
par lequel Témîr Aboû Yoûsof Ya’k’oûb ben ‘Abd el-
H’ak’k’, prince du Maghreb el-Ak’ça, reconnaissait la
suzeraineté d’El-Mostançir.

En la dite année, mourut le juriste secrétaire de la
chancellerie et du paraphe Ah’med Ghassâni. Aboû
‘Abd Allah Moh’ammed ben el-H’oseyn le remplaça
au paraphe, et Ibn er-Rà’is Rab’i à la chancellerie ; à
ce dernier sa place de k’âd’i des mariages fut enlevée
le 29 chawv^àl 668.

Dans la nuit du samedi au dimanche 25 dhoû
‘1-k’a’da 669, mourut à Tunis Toustàd et grammai-
rien Aboû M-H’asan ‘Ali ben Moûsa H’ad’rami, dit
Ibn ‘Açfoûr, qui était né à Séville [P. 30J en 597 (3).
Au dire du cheykh Ah’med K’aldjâni et d’autres en-
core, il se présenta un jour au sultan, qui était assis
dans le pavillon des jardins d’Aboû Fehr situé près

 

(1) Texte ^u^i ; ce mot, qui est fréquemment employé par

Kayrawâni, figure dans le Dictionnaire de Beaussier ; cf. Supplé-
ment de Dozy. Sur ce travail même, Bevh , ii, 340 ; Kayrawâni,
texte, ç. 21, 1. 12, et li8, 1. 16. L’emplacement de ces jardms avait
pris, des Tépoque de ce dernier auteur, le nom de Bat’t’oûm.

(2) D’après B C.

(3) Un article a été consacré à ce savant par Kotobi (Fawât el-
wafiyyât, ii, 93;, qui raconte autrement les circonstances où il
mourut.

 

— 54 –

le grand réservoir. Le prince en vint b dire par van-
lerie : « Que notre royauté est grande maintenant !
— Oui, » dit Ibn ‘Açfoùr, « grâce à nous et à nos pa-
reils 1 » Ce propos blessa le sultan, qui fit saisir son
visiteur au moment où il se relirait et le fit jeter tout
habillé dans le bassin ; il faisait très froid ce jour-là,
et, feignant de plaisanter, il dit aux assistants de ne
pas le laisser remonter, si bien que, quand le gram-
mairien finit par sortir après en avoir été empêché
plusieurs fois, il était saisi par le froid, et la fièvre
l’emporta au bout de trois jours. Il fut enterré dans
le cimetière d’Ibn Mohenna, non loin du cimetière du
cheykh Ibn Nefîs, à Test de la porte de la K’açba
nommée Bàb Intedjemi.

Le mercredi 11 chawwâl 669 (1), mourut Aboû ‘Abd
Allah Moh’ammed ben Aboû ‘1-H’oseyn, qui eut pour
successeur en qualité de secrétaire préposé au para-
phe Aboù ‘1-H’asan ‘Ali ben Ibrâhîm ben Aboû
‘Omar, lequel ne quitta cette charge qu’avec la vie,
le 23 rebî’ II 674, et qui fut remplacé par Aboù ‘Abd
Allah Moh’ammed ben er-Râ’is, jusqu’à la fin du rè-
gne d’El-Mostançir. La charge de contrôleur exer-
cée par Ibn Aboû ‘1-H’oseyn fut confiée au juriste
bien connu Aboù ‘1-K’âsim Ah’med ben Yah’ya ben
Asad, fils du cheykh Ançàri.

Le dimanche 14 djomàda II 675, la maladie dont
mourut El-Mostançir frappa ce prince, alors en
voyage, à ‘Ayn Aghlàn ; on le porta en litière et à
dos d’hommes à Tunis, pendant une éclipse de lune.
Quand il fut ramené dans son palais, le bruit de sa
mort commença à se répandre, de sorte que le jour

(1) En 671, dit Ibn Khaldoûn In, 370), qui un peu plus loin ipp.
371-372; donne implicitement la date de 670.

 

— 55 —

de la fête du Sacrifice, il s’installa dans une litière
en bois et se fit monter dans son pavillon d’audience
pour que le peuple put le voir. Après s’être ainsi
raidi pour montrer par cet effort que la vie ne l’avait
pas encore abandonné, il rentra dans ses apparte-
ments pour y mourir la nuit même, après la dernière
prière de V’achâ, le dimanche 11 dhoù ‘1-h’iddja 675
(16 mai 1277). Son règne avait duré vingt-huit ans
cinq mois et douze jours.

Sa maladie, dit-on, débuta dans les circonstances
que voici. Il était à la chasse, et les animaux qui lui
servaient d’auxiliaires poursuivirent un gibier qui se
réfugia dans une caverne où ses gens pénétrèrent à
sa suite. Ils y trouvèrent un homme en train de prier
qui, une fois sa prière achevée, leur dit : « Laissez cet
animal qui s’est Vcfugié chez des religieux ! » [P. 31]
Les valets retournèrent auprès du sultan, qui leur
ordonna de s’emparer du gibier ; ils revinrent auprès
du religieux, qui les en empêcha, et le sultan, à qui
ils en référèrent, leur dit de le frapper à coups de
lance s’il résistait. Quand cet ordre fut transmis au
saint homme : « C’est moi, dit-il, qui ai ordonné de
frapper votre prince à coups de lance ! » On voulut
le poursuivre, mais il avait disparu. Le sultan tomba
aussitôt sans connaissance ; il revint à lui quelque
temps après, mais la maladie ne le quitta plus jus-
qu’à ce qu’elle finit par avoir raison de lui.

En la dite année, mourut El-Melik ez-Z’âhir [BibarsJ,
souverain d’Egypte (1).

Cette même année, le trône passa à l’émîr Aboû
Zakariyyâ Yah’ya, fils du sultan El-Moslançir, fils

 

(1) Bibars mourut, à ce que nous dit Makrizi, vers la fin de mo-
harrem 676.

 

– 56 –

de rémîr Aboû Zakariyya Yah’ya, fils du cheykh
Aboû Moh’ammed ‘Abd el-Wâh’id, fils du cheykh
Aboû H’afç. II était né en 647 d’une concubine chré-
tienne nomniée D’arb. Il fut intronisé la nuit même
où mourut son père, de sorte qu’il était khalife et
surnommé el-Wàthik’ lorsque le jour se leva, et la
prestation de serment se prolongea encore après ce
moment. Celui qui dirigea la cérémonie était Aboû
‘Othmôn Sa’îd ben Aboû Yoûsof ben Aboû M-Hoseyn,
ministre des finances à Tunis et cousin d’Aboû ‘Abd
Allah Moh’ammed ben Aboû ‘1-H’osevn, contrôleur
de son père.

El-Wâthik’, une fois son autorité établie, choisit
comme secrétaire le juriste Aboû ‘1-H’asan Yah’ya
ben ‘Abd el-Melik Ghâfik’i, connu sous le nom d’Ibn
el-H’abbaber, qui (bientôt) agit en véritable maître
dans toutes les affaires. Il était Tennemi d’Aboû
‘Othmân Sa’îd ben Aboû ‘1-H’oseyn, contre qui il in-
disposa si bien El-Wâthik’ que celui-ci le fit arrêter
le samedi 2 djomâda II 676 et interner dans l’hôtel
dit de Djaw^heri, à l’intérieur de la K’açba ; la tor-
ture arracha au prisonnier tous ses biens et il suc-
comba aux mauvais traitements le jeudi 12 dhoù
‘1-h’iddja de la dite année. Devant son cadavre, qui
fut déposé dans la demeure du chef de la garde, fu-
rent appelés ses deux eunuques, Ibn Çayyâd er-
Ridjâla et Ibn Yâsîn : « Voilà, » leur dit-on, « votre
maître mort ; avouez où il a caché ses trésors. » Sur
leur refus on les emprisonna, mais Ibn Yàsîn re-
couvra la liberté grâce au paiement qu’il opéra d’une
certaine somme ; quant à l’autre, il périt dans les
tourments (1).

0) Le récit d’ibn Khaldoùn (ii, 376) est quelque peu différent.

 

– 51 —

Le jour même de rincarcération d’Aboû ‘Othmân,
on commença à restaurer, améliorer et garnir le
Djâmi’ ez-Zîtoûna ; les travaux se terminèrent le
jeudi 15 cha’bân de la dite année.

Voici une coïncidence curieuse. Lors de Texécu-
tion d’Ibn Aboû ‘l-H*oseyn, i! rejaillit un peu de sang
sur la paroi de la douera. Or quand, peu après (1),
Ibn el-H’abbaber fut incarcéré dans le même local,
il s’enquit aussitôt de ce qu’était [P. 32] ce sang, et
la réponse qui lui fut faite excita chez lui de vives
appréhensions ; elles étaient fondées, car bientôt son
sang alla rejoindre sur la paroi celui de sa victime ;
il reçut autant de . coups que celle-ci, dut rendre
gorge pour une valeur égale et périt dans les tour-
ments comme avait fait Aboû ‘1-H’oseyn. Celui qui
montra le plus d’acharnement contre Ibn el-H’abba-
ber fut ‘Abd el-Wahhâb ben K’â’id el-Kelâ’i, lequel
périt de la même manière, ainsi qu’il sera dit plus
loin.

Dès le début de son règne, El-Wâthik’ rendit les
prisonniers à la liberté, supprima les abus, brûla les
registres des amendes et des douanes, s’occupa de
[rejbâtir le Djâmi’ ez-Zîtoûna et d’autres mosquées,
et se montra généreux envers l’armée ; mais il ne
sut pas tenir d’une main ferme les rênes du pouvoir
et il tomba bientôt, nous l’avons dit déjà, sous la
domination d’Ibn el-H’abbaber. Ce personnage était
très suffisant, inconsidéré et orgueilleux au plus
haut point, s’occupait de bâtisses, de musique et de
faire fortune, mais ne faisait rien de bon en ce qui
touchait à la politique ou à l’administration, si bien

(I) En djoooÂda i 678 (ibid., ii, 380).

 

– 58 —

que son pouvoir despotique gâta tout et lui attira la
désaffection générale. Il avait chargé de la direction
des finances à Bougie son frère Aboù ‘l-‘Alâ Idrîs,
qui agit aussi despotiquement et inconsidérément
qu’Ibn el-H’abbaber à Tunis, si bien qu’il périt victime
d’un complot ourdi par Moh’ammed ben Aboù Hilâl,
qui avait dirigé les finances de Bougie du temps
d’El-Mostançir.

Cet événement coïncida avec la présence à Tlem-
cen de Toncle d’El-Wâthik’, Témîr Aboù Ish’âk’ ben
Aboù Zakariyyâ, qui, ayant appris la mort de son
frère El-Mostançir et le désordre régnant à Tunis,
s’était décidé, après quelque hésitation, à franchir la
mer pour faire valoir ses droits au trône. Yaghmo-
ràsen ben Zeyyân, qui régnait alors à Tlemcen, Tac-
cueillit de la manière la plus flatteuse. Alors Ibn
Aboù Hilâl et ceux qui avaient participé au meurtre
d’Idrîs, redoutant la colère d’Ibn el-H’abbaber, en-
voyèrent une députation à Aboù Ish’àk’ pour Tinvi-
ter à se rendre auprès d’eux ; l’invitation fut accep-
tée, et ce prince se rendit à Bougie, où on lui prêta
serment. Il s’avança de là sur Constantine, qui lui
opposa une vigoureuse résistance dirigée par ‘Abd
el-‘Azîz ben Tsa ben Dàwoùd, l’un des proches
d’Ibn el-H’abbaber, de telle sorte que, réduit à se
retirer, il se dirigea du côté de la capitale.

Cependant El-Wâthik’, conseillé par Ibn el-H’ab-
baber, avait équipé, pour combattre son oncle Aboù
Ish’âk’, une armée qu’il confia à un autre de ses on-
cles, l’émîr Aboù H’afç, fP. 33] auquel Aboù Zeyd
ben Djàmi’ fut adjoint comme lieutenant. Ces trou-
pes étaient parvenues à Bâdja quand Ibn el-H’abba-
ber, s’imaginant qu’une révolte d’Aboù H’afç était à

 

– 59 –

redouter, voulut semer la division dans Tarmée et
fit écrire par El-Wôthik’ à ce général et à son lieu-
tenant pour les exciter Tun contre Tautre. Mais ils
se confièrent mutuellement ce qui leur était adressé,
et s’étant entendus pour reconnaître Aboû Ish’àk’,
ils lui envoyèrent leur adhésion. Quand El-Wâthik’,
alors à Tunis, apprit cette nouvelle, et qu’il se vit
sans armée ni amis, il se jugea perdu (1) et abdiqua
en faveur de son oncle Aboû Ish’âk’, le dimanche 3
rebî’ II 678 ; il avait régné deux ans trois mois et
vingt-deux jours. D’après El-Gharnàt’i, son abdica-
tion eut lieu un vendredi de rebî’ I 679 (2).

En 677 (24 mai 1278), mourut le juriste, k’àd’i et
mufti Aboû ‘1-K’àsim ben ‘Ali ben ‘Abd el-‘Azîz ben
el-Berrè Tenoûkhi.

A la suite de l’abdication d’EI-Wâthik’, le pouvoir
passa aux mains de son oncle, Témîr Aboû Ish’âk’
Ibrahim ben Aboû Zakariyyè, fils du cheykh Aboû
Moh’ammed ‘Abd el-Wâh’id, fils du cheykh Aboû
H’afç ; ce prince était né d’une esclave concubine
nommée Roweydâ (3), en 631. Il arriva de Tlemcen
à Bougie le jour de la fête du Sacrifice 677, pro-
nonça la prière de la fête dans le Moçalla et fit son
entrée ce même jour dans la ville. Il arriva à Tunis
le mardi 5 rebt’ II 678, ou, suivant El-Gharnàt’i, en
679, et le mercredi on lui renouvela le serment de
fidélité.

El-Wàthik’ el-Makhloû’ (le déposé) quitta la K’aç-

 

(1) Ici commence le fragment publié par Rousseau, Journal asia-
tique, 1849, 1, 86î^ai5.

(2) Une troisième date, celle du !•’ rebr I 678 (13 juillet 1279), est
donnée par Ibn Kbaidoûn (ii, 379).

(3) A B ^’jj ; C D ^^jj ; Rousaeau Uj jj

6

 

^ 60 –

ba pour aller demeurer dans l’hôtel d’El-Ghoûri (1)
dans [le quartier] des libraires. Mais au bout de
quelques jours, le sultan apprit qu’il négociait avec
Tofficier commandant les troupes chrétiennes pour
tenter un soulèvement nocturne, et il le fit interner
à la K’açba avec ses trois fils, El-Fad’l, Et-T’àhir (2)
et Et-T’avvib ; ils furent ensuite exécutés tous les
quatre, en çafar 679 (juin 1280).

Le troisième jour de l’entrée d’Aboù Ish’âk’ à Tu-
nis, ce prince fit arrêter Ibn el-H’abbaber, ministre
de son prédécesseur, et le fit mourir dans les tour-
ments, ainsi qu’il est dit plus haut.

Aboû Ish’âk’ était un prince dur et brave, mais à
courtes vues, et son fils l’émîr Aboû Zakariyyâ Yah’-
ya savait sans le froisser éluder la plupart de ses or-
dres. Les Arabes sous son règne devinrent maîtres
des bourgades, et il est le premier qui les ait insti-
tués par diplômes dans les villes maghrébines (3).

Au début [P. 34] de son règne, il confia son pa-
raphe à Tunis au juriste Aboû Moh’ammed ‘Abd el-
Wahhàb ben K’à’id el-Kelâ’i (4), qui en resta chargé
jusqu’au samedi 15 çafar 677, où ce personnage,
craignant pour sa vie, disparut pour se cacher. Le

(1) A C D et Ibn Ka’yrawâni (texte, p. 130), v«$jj*”jt«^ ;

B j^^J^^ ; Ibn Khaldoûu (ii. 379 et 390; texte, i, 450;, Dâr el-
Ak’oûri.

(2) B seul, Ez-Z’âhir.

(3) Peut-être le sens laisse-t-il à désirer : D* ^..^aJu ^ J[jl J^ ^

^y^ , c w^jl^Jlf , Rousseau w^jL^’^l; . il faut

 

remarquer qu’il est à plusieurs reprises question des iktâ* cédés aux
Arabes dans YHiat, des Berbères» p. ex. m, 106 et 114; iv, âi60 et
26-2, eic.

(4) Berbères, u, 383 et 386.

 

– 61 —

grand sceau fut alors confié au juriste et kYid’i Ah-
med ben el-Ghamoiâz, et le petit à Ibrahim ben Mo-
h’ammed ben er-Rechîd, qui restèrent Tun et Tautre
en place jusqu’à la fin du règne d’Aboù Ish’àk’.

Le dimanche 20 rebr II 679, Aboù ^l-‘Abbàs Ah’-
med ben Aboû Bekr ben Seyyid en-Nàs Ya’meri fut
mis à mort. Il avait été dénoncé au sultan comme
coupable de menées jalouses tendant à ruiner son
autorité, et il fut appelé par lui à Kâs et-T’àbiya ; il
s’y rendit aussitôt et se trouva devant des gardes
dont le sabre au clair lui annonça le sort qui l’atten-
dait ; il prononça Tacte de foi et fut exécuté sur le
champ, puis son cadavre fut jeté dans une fosse
creusée à cet effet. Cet Ah’med avait servi secrète-
ment Témîr Aboù Fàris, fils du sultan Aboû Ish’âk’,
lorsqu’il avait été détenu par son oncle [El-Mostan-
çirj. Aussi ce prince se rendit-il vêtu de deuil auprès
de son père, qui l’appela à lui, le combla de caresses.
lui fit connaître les coupables intentions de la victime
et lui ôta de ses propres mains les habits de deuil
qu’il portait, en redoublant ses caresses. Ensuite il le
nomma gouverneur de Bougie et de son territoire,
en lui adjoignant comme conseiller son (1) cham-
bellan Moh’ammed ben Aboû Bekr ben el-H’asan
ben Khaldoûn.

Aboû Fâris avait gardé un vif ressentiment contre
‘Abd el-Wahhàb Kelâ’i, qui avait été le principal ins-
tigateur de l’exécution d’Ibn Seyyid en-Nàs. Aussi
ne cessa-t-il dé peser sur son père, si bien que ce-
lui-ci fit emprisonner Kelâ’i et confisquer ses biens.
Lors de la révolte de l’imposteur (le pseudo El-Fad’l),
Aboû Ish’ôk’, se disposant à rejoindre Bougie, fit

(1) Sic; cf. ibid., ii. 384.

 

– 62 —

tuer dans sa prison Kelà’i, qui y était resté jusqu’a-
lors, c’est-à-dire dans la dernière décade de chawwàl
681 (fin janvier 1283).

En redjeb 679, le juriste Aboù M-‘Abbâs Ah’med
ben H’asan ben el-Ghammâz perdit sa situation de
k’âd’i et fut remplacé par le cheykh et juriste Aboû
Moh’ammed ‘Abd el-H’amîd ben Aboû ‘d-Donyâ, qui
lui-même fut remplacé en ramad’ân de la même an-
née par le juriste Aboù ‘1-K’âsim ben Zeytoûn.

Dans la nuit du 26 du même mois et de la niême
année (1), le cheykh Aboû ‘Abd Allah Moh’ammed
ben Aboû Hilâl fut égorgé, après la prière de Vachâ,
par ordre du sultan.

[P. 35]. Dans cette année, Tlfrîk’iyya tout entière
vit un phénomène remarquable : le blé encore vert
était mangeable, mais plus tard Tépi se trouva vide,
de sorte que lors de la moisson les gerbes ne ren-
fermaient aucun grain, et le bétail qui se nourrit de
ce fourrage périt.

Le 18 rebî’ I 680, le k’âd’i Ibn Zeytoûn fut révo-
qué, et la charge qu’il laissa vacante fut rendue à
Ah’med ben el-Ghammâz.

Le 4 moh’arrem 681 (2j, surgit chez les Debbâb un
homme qui prétendit être El-Fad’l ben Yah’ya el-Wâ-
thik’ ben el-Mostançir et avoir pu s’échapper de sa
prison. Le page Naçîr (ou Noçeyr), connu sous le nom
de Noûbi (3) et affranchi d’El-Wâthik’, déclara qu’il le

(1) En 678. d’après Ibn Khaldoûn (i, 380).

(2) Le récit de cet épisode tel que Texpose Aboû ‘]-‘Abb&s Ah’med
ben cl-Khat’ib dans la chronique L-^-du»^! ii^jJt ^^^ »J L«^WI

a été publié, texte et traduction, par Cherbonneau dans le Journal
asiatique, 1848, ii, p. ^37-258 ; édition et traduction sont loin d’être
irréprochables.

(3) D, Moûbi ; G et Rousseau, Moûsa ; B « le page bien connu,
Naçir ben Yah’ya » ; A manque. Ibn Khaldoûn a la leçon Noûbii
que nous avons acceptée.

 

– 63 —

reconnaissait, et les Debbâb ajoutèrent foi à ce dire,
alors qu*El-Fad’I, nous Tavons dit, avait été exécuté
à Tunis. Naçîr, lorsqu’il avait vu cet homme, lui
avait trouvé avec son maître une ressemblance telle
qu’elle le fît fondre en larmes, et il se mit à lui em-
brasser les pieds. Quand Tautre sut de quoi il s’a-
gissait, il dit à Naçîr de lui prêter l’appui de son té-
moignage et qu’il arriverait ainsi à venger ceux que
l’affranchi pleurait. Naçîr courut aussitôt chez les
chefs arabes en poussant des cris de joie et leur an-
nonça la présence du fils de son ancien maître, si
bien qu’il le leur fit accroire ; il leur redit des con-
versations qui avaient eu lieu entre les Arabes et
El-Wàthik’, et au courant desquelles il avait mis le
prétendant (1). Alors ces peuples, pleinement persua-
dés de l’origine de ce dernier, lui prêtèrent serment
de fidélité.

L’affection qu’il inspira à Aboû ‘Ali Morghem ben
Çâbir ben ‘Asker (2), cheykh des Debbôb, porta ce-
lui-ci à lui prêter son aide et à réunir des troupes
arabes ; puis ils mirent de concert le siège devant
Tripoli, dont le gouverneur nommé par Aboù Ish’âk’
était alors Moh’ammed ben ‘Isa Hintàti, connu dans
le pays sous le nom de ‘Onk’ el-Fid’d’a. Ce chef
ayant refusé de se rendre, les assiégeants après
avoir livré quelques combats prélevèrent des impôts
dans cette région et se tournèrent vers Gabès. Ces
événements avaient fait du bruit, et les populations

(1) D semble intervertir les sujets dans cette phrase, que nous
avons un peu interprétée, notamment d’après Ibn Khaldoûn.

(2) Ce nom est ainsi orthographié dans les Berbères (i, 161 ; ii,399, 403,
404/; D lit ^jx^ , A B et Rousseau ^^^ {jij^ {jf J^ >
C jil^ (f) ç» ^, ^ Je j\ .

 

-64 —

n’avaient pas de doute que le prétendant ne fût d’ori-
gine h’afçide : aussi *Abd el-Melik ben ‘Olhmân ben
Mekki se porta ù sa rencontre et lui ouvrit les portes
de Gobés, dont les habitants prêtèrent serment le
mercredi 17 redjeb 681 ; puis dans la même année
Djerba, El-H’âmma, Nefzâwa, Tawzer et tout le
pays de K’ast*îliya en firent autant. Gafça fut ensuite
conquise, et il y pénétra le vendredi 7 ramad’ân 681.

Aboû Ish’âk’ expédia alors de Tunis une forte ar-
mée qu’il confia i^ son fils Témîr Aboû Zakariyyà
Yah’ya. Celui-ci, après s’être arrêté à K’ayrawân
pour prélever des contributions sur les habitants,
marcha contre le prétendant et installa son camp à
K’amoûda ; mais ses Iroupes se débandèrent et le
laissèrent presque seul, [P. 36] de sorte qu’il dut
regagner Tunis (1).

De Gafça le prétendant se transporta à K’ayrawân,
dont les habitants le reconnurent et où il reçut la
soumission de Mehdiyya, de Sfax et de Sousse. Alors
Aboû Ish’ak’ sortit de Tunis avec une armée consi-
dérable et alla camper a El-Moh’ammedivya dans la
deuxième décade de chawvvàl de cette année. Mais les
bagages qu’il emmenait et que portaient quatre-vingt-
dix mulets furent pillés dans son camp même, et la plu-
part de ses soldats rejoignirent le prétendant ; puis le
chevkh Aboù ‘Amràn Moùsa ben Yasîn en fit autant
avec de nombreux Almohades, et lui prêta serment
à l’endroit où il le rencontra, non loin de Chàdhela.
Le sultan se dirigea alors vers la sebkha de Tunis,
fit sortir de la ville ses femmes et ses enfants et les
emmena vers l’ouest. Au cours de ce voyage ils eu-

 

(1) En ramad’ân (Berbères, ii, 390; Journ. as, 1848, ii, p. 246).

 

^ 65 –

rent beaucoup à souffrir des pluies, de la neige et de
la faim, sans parler des dangers qu’ils coururent ;
le prince dut abandonner aux tribus chez qui ils pas-
sèrent une partie de ses biens pour sauver sa vie et
celle des siens. Quand ils arrivèrent devant Constan-
tine, rentrée leur en fut refusée par le gouverneur
Aboû Moh’ammed ‘Abd Allah ben Toûfyân (t) Her-
ghi, qui cependant leur fit, sur leur demande, des-
cendre du haut des murailles du pain et des dattes
pour apaiser leur faim. Les fugitifs repartirent le
jour même pour Bougie, mais Aboû Fâris ‘Abd el-
‘Azîz en refusa l’entrée à son père, qui dut rester
dans le jardin d’Er-Refî’, sur le bord de la rivière
qui arrose Bougie, et se loger dans le Château de
l’étoile (K*açr el-kawkeb). Il s’était enfui de Tunis la
nuit du lundi au mardi 25 chawwâl 681, de sorte
que son règne avait duré, depuis l’abdication d’El-
Wâthik’, trois ans six mois et vingt-deux jours.

Deux jours après la fuite d’Aboû Ish’âk’, c’est-à-
dire le jeudi 27 chawwâl, le prétendant fit son entrée
à Tunis et y fut reconnu sous le nom d’El-Fad’l ben
Aboû Zakariyyâ Yah’ya el-Wâthik’, tandis que dans
la réalité il se nommait Ah’med ben Merzoûk’ ben
Aboû ‘Amâra Mesîli ; sa mère Farh’a était originaire
de Ferân (2) dans le Zàb, et lui donna le jour à Mesîla
en 042, puis il fut élevé à Bougie, C’était un homme
de condition obscure, mais aux métamorphoses mul-
tiples ; il sut singulièrement tromper les populations
et fit dire la khoiba à son profit, sous un nom qui
n’était pas le sien, dans toutes les chaires de l’Ifrî-

 

(1) ABC, Rousseau et la Fârisiyya «oV-^ » ^ lO « -^ >
cf. Berbères, ii, 39! . w w

(2) B D J\ji , A ^1)3, C O^ .

 

— 66 —

k’iyya. Ibn el-Khat’îb Andalosi a très justement dit
à ce propos :

[Redjez]. Merveilleux résultai des jeux de la fortune et que
n’imaginerait nul homme raisonnable !

Cet homme était cruel, sanguinaire, injuste; il fei-
gnit de vouloir refréner le mal alors qu’il le prati-
quait. Le jour même de son entrée à Tunis, [P. 37]
il fit saisir trois des Arabes qui s’étaient ï*endus cou-
pables de brigandage et les fit crucifier après leur
avoir fait trancher le cou. Il fit ensuite partir un
corps de troupes commandé par Aboû Moh’ammed
‘Abd el-H’ak’k’ ben Tâferâdjîn, cheykh des Almoha-
des, avec mission d’exécuter tous les Arabes dont il
s’emparerait. Il supprima l’obligation pour les habi-
tants de loger les gens de guerre, charge qui était
très pénible pour les premiers. Le jour de son entrée
à Tunis, il y eut à la Porte du minaret (Bâb el-me-
nâra) une poussée où périrent treize personnes, par-
mi lesquelles le juriste et k’ôd’i Aboû ‘Ali H’asan
ben Mo’ammer Haw^wâri T’arâbolousi.

Le 28 chaww^âl, deuxième jour de. son entrée à
Tunis, il confia son sceau falâma) au çâh’ib ed-dawla
Aboû ‘1-K’âsim Ah’med ben Yah’ya ben ech-Cheykh,
qui le garda pendant toute la durée du règne. Gom-
me vizir il choisit Aboû ‘Amrân Moûsa ben Yâsîn.
Il fit arrêter le ministre des finances Aboû Bekr ben
el-H’asan (1) ben Khaldoûn, et après lui avoir enlevé
toute sa fortune le fit étrangler. ‘Abd el-Melik ben
Mekki reçut la charge (2) de chambellan.

Le vingt-cinquième jour de son entrée, il fit arrê-

Cl) B G D et Rousseau, el-H’oseyn.

(i) B C écrivent ^\ A D et Ibn Khaldoûn, ï^ .

 

– 67 –

ter les émirs arabes qui s’étaient joints à lui et qui
étaient environ quatre-vingts ; le samedi qui suivit,
les Zenatiens, au nombre d’environ 350, furent arrê-
tés à leur tour et envoyés tout nus de la K’açba en
prison ; le même jour, les chrétiens, au nombre d’en-
viron i80 cavaliers, furent aussi arrêtés. Le 23 dhoù
‘1-h’iddja, pareille mesure fut prise à Tégard de tous
les parents du sultan Aboû Ish’âk*, qui lurent em-
prisonnés et dont les biens furent confisqués ; mais
Dieu empêcha Tusurpateur de réaliser la pensée qu’il
avait de les exécuter.

Le 12 çafar 682, il quitta Tunis pour marcher con-
tre Bougie, dont le gouverneur Aboû Fàris se dis-
posait, à ce qu’il avait appris, à l’attaquer. Le 19 ça-
far arriva à Tunis l’ordre envoyé du camp d’interdire
le vin, de démolir le fondouk où il se vendait et d’en
transformer l’emplacement en une mosquée djâmi’
avec minaret ; en conséquence, la prière fut dite dans
le nouveau temple le 20 cha’bân de la dite année.

L’émîr Aboû Fâris [el-Mo’tamid ‘ala’llâh], en effet,
avait quitté Bougie après avoir réuni des troupes
nombreuses pour combattre l’usurpateur ; il avait
avec lui son oncle Aboù H’afç ‘Omar, qui le suivait
en portant un diadème au-dessus de sa tête pour lui
faire honneur ; car telle était l’habitude des princes
Hafçides, et ils n’y ont renoncé que depuis le règne
d’El-Lih’yâni et jusqu’à présent. La rencontre, qui
eut lieu le lundi 3 rebî’ I 682, à Feddj el-Abyâr, près
de K’al’atSinân (1), fut des plus chaudes. Abandonné

 

(1) « Kalaat Senân, château de la dent », est désigné sur la carte
de la province de < onstanline dressée au bureau topograpbique, sous
le nom de Djebel-Gala ou Kala-Snenn. C’est une montaene très
élevée et située à 6 lieues et demie de la frontière. De Kalaat Se-
nân à Tébessa, il y a 10 lieues, en descendant vers le sud-ouest. Cette

 

– 68 –

par ses alliés et trahi par la fortune, [P. 38] Aboû
Fàris périt [sur le champ de bataille] : son camp fut
pillé, ses tentes et ses trésors furent enlevés, et sa
tête coupée fut présentée au vainqueur ; son frère
‘Abd el-Wâh’id fut aussi amené à ce dernier, qui le
tua d’un javelot qu’il avait à la main ; ses deux frè-
res consanguins ‘Omar et Khalid furent de même
traînés devant l’usurpateur et exécutés par son or-
dre ; enfin, son neveu Moh’ammed ben ‘Abd el-Wâ-
h’id comparut également et subit le même sort. C’est
d’eux que l’on a dit :

[Hotak*àrib]. Ils voulaient s’échapper, mais tous moururent à
Fcddj el-Abyâr (1).

On a dit encore :

[T*awtl]. Pour nous, il n*y a pas de situation intermédiaire:
ou la primauté (2) sur les humains ou la mon ! Qu’est pour
nous la vie comparée aux honneurs? Nulle dot ne peut assez
payer la belle qu’on recherche.

j L’administration d’Aboû Fâris à Bougie et dans
la région avait duré trois mois et ti*eize jours.

Les têtes de ces chefs furent promenées sur des
piques dans les marchés de Tunis le jeudi 6 rebî’ I
682, puis accrochées à la Porte du minaret {h&h el-
menâra). Le seul qui put échapper au massacre fut
l’émîr Aboû H’afç ben Aboû Zakariyyâ, qui s’enfuit
à pied à K’al’at Sinàn en compagnie de trois fidèles

localité a été de tout temps le refuge des brigands, auxquels elle
ofifrail l’impunité. » (i herbonneau, Journ. as., septembre 1848, p 257) ;
cf. Rousseau, i6 , 1849, i, 314; ailleurs, p. ex Journ. as., 1849, i,
p. 208, le même auteur écrit Kala’at es-Senan. Dans la Table géogr.
aes Berbères, ce lieu est placé à 8 heues N.-E. de Tébessa. — Ibn
KhalvJoûn (ii, 393) place le lieu de la rencontre à Mermadjenna.

(1) Au lieu de j\i^ ^ vJ* ^® ^’ ^” lit dans A B G et Rousseau
fcjjJ) i;% ^c « bien que s’étant séparés ».

(2) A seul ^’1 ‘aJ .

 

– 69 —

partisans des Hafçides, Aboû *1-H’asan (i) ben Aboû
Bekr ben Seyyid en-Nàs, le vizir Ibn el-Fàzâzi (2) et
Moh’ammed ben Aboû Bekr ben Khaldoûn, qui le
portaient à tour de rôle sur leur dos quand il était
trop fatigué et purent enfin le mettre en sûreté à Kal’at
Sinân.

Quant à Téraîr Aboû Zakariyyà ben Aboû Ish’ék’,
il était resté en qualité de lieutenant à Bougie, en
compagnie du cheykh Aboû Zeyd Fâzâzi (3). La nou-
velle de la défaite provoqua en cette ville la plus vive
agitation : la grande mosquée, où la population s’é-
tait précipitée, entendit le k’âd’i Aboû Moh’ammed
‘Abd el-Moun’im ben ‘Atîk* Djezâ’iri, qu’accompa-
gnait son fils, prononcer un discours qui souleva la
colère de la foule ; on se jeta sur son fils et on le
massacra dans le mih*râb, tandis que le k’ad’i, arra-
ché de son tribunal et emprisonné, fut ensuite ren-
voyé par mer à Alger sa patrie.* Alors l’émîr Aboû
Ish’ék’, craignant pour sa vie, s’enfuit de la K’açba
dans l’intention, de compagnie avec son fils Aboû
Zakariyyà, de gagner Tlemcen ; maïs il fut pour-
suivi par la populace de la ville que dirigeait le
cheykh Aboû ‘Abd Allah Moh’ammed ben Iser-
ghîn (4), et on l’atteignit dans la montagne des Be-
noù Ghobrîn, grâce à une chute de cheval qu’il ve-
nait de faire et où il s’était cassé la cuisse. Mais son
fils Aboû Zakariyyà put gagner Tlemcen, où il avait

(1) A C D lisent H’asan; B et Ibn Kbaldoûn, H’oseyn.

(2) Moh’ammed ben el-K’âsim ben Idris Fâzâzi, selon Ibn Khal-
doûn 01, 394. 396, 401 ; ni, 407. ; A B C D et Rousseau, ici et ail-
leurs, lisent Fezâri, Ferâwi, *Azâri ; peut-être la leçon Fezâri doit-
elle être acceptée partout, malgré l’autorité de M. de Slane.

(3) Voir la note précédente.

(4) Ce dernier nom est resté en blanc dans A B C et Rousseau ;
cf. Berbères m, 394).

 

/

 

– 70 —

[P. 39J une sœur mariée au gouverneur de cette
ville, ‘Othraân ben Yaghmorâsen ben Zeyyân, lequel
raccueillit bien et le traita cordialement* (1). Quant
à Aboù Ish*àk’, il fut ramené à Bougie, où il fit son
entrée sur une mule bâtée, puis enfermé dans une
maison du quartier de Sâbàt’ el-Omawi (2) ; il y
resta jusqu’au jeudi 27 rebî* I de cette année, où il
fut exécuté par Moh’ammed ben *lsa ben Dâwoùd
Hintâti, spécialement envoyé pour cette besogne par
l’usurpateur ; sa tète fut ensuite portée à Tunis et
promenée sur un bâton dans les rues au milieu des
rires des inconscients et des cris de joie des fem-
mes. Cette journée du 16 rebf II 682 (3), où cela se
passa, peut servir de sujet de méditation aux gens
réfléchis. On a dit à ce propos :

[WàGr]. Dis à ceux dont nos malheurs excitent la joie mali-
gne : Revenei à de meilleurs sentiments (4), car le même sort
vous aUend.

Dans la dite année, mourut le k’âd’i Aboù Zeyd
ben Nefîs.

Le mardi 15 moh’arrem 683, l’usurpateur fit em-
prisonner le premier ministre Aboù ‘Amrân ben Yà-
sîn, parce qu’il avait, lui dit-on, écrit à Témîr Aboù
H’afç ‘Omar Tintention qu’il avait de trahir son maî-
tre ; la même mesure fut prise à Tégard du cheykh
Aboù M-H’asan ben Yâsîn, du cheykh Ibn Wânoù-
dîn et d’El-H’osevn ben ‘Abd er-Rah’màn Zenâti :

(1) Ce passage est cité dans le Journ, as., 1849, i, p. 205, n. 1.
(!2) A B G et Rousseau lisent el-Oçouli.

(3) Peut-être y a-t-il une erreur dans les dates, car plus haut il
est parlé du jeudi 27 rebi’ I. A B G et Rousseau lisent, jeudi 19
rebt’ /, et ensuite, 16 rchV /; D a donc corrigé celle dernière date et
reporté au mois de rebf 11 le spectacle offert aux Tunisiens.

(4) B D i^tï^l ; A G î^iji! .

 

— 14 —

tous furent mis à la torture, et Ibn Yâsln^ après
avoir été flagellé à plusieurs reprises, eut la tête
tranchée le jeudi soir 2 çafar de la dite année, de
même qu’ibn Wânoùdîn (1).

A la suite des mauvais traitements que l’usurpa-
teur avait infligés aux Arabes, et des exécutions fai-
tes par son ordre, .ceux-ci, qui avaient appris la pré-
sence d’Aboû H*afç à K’al’at Sinân, étaient allés le
trouver et le reconnurent en rebî’ I 683 ; puis sous
la direction de leur cheykh Aboû ‘1-Leyl ben Àh’med,
ils constituèrent des dépôts d*armes et de tentes.
Quand l’usurpateur apprit la réapparition d’Aboû
H’afç et l’importance des forces dont il disposait, il
sortit de Tunis le jour même de l’exécution d’ibn
Wônoûdîn pour combattre ce prince. Mais l’insu-
bordination de ses troupes, qui penchaient pour Aboû
H’afç, le força d’j rentrer aussitôt et en fuyard, le
jeudi 15 rebî’ I 683. Aboû H’afç, poursuivant sa
marche en avant, vint camper près de Tunis dans la
sebkha de Sîdjoûm (2) ; les Almohades et le djond
marchèrent contre lui et lui livrèrent à maintes et
maintes reprises des combats sans résultat, tandis
que les Arabes pillaient la région. Enfin, l’usurpa-
teur en personne [P. 40] sortit le dimanche 22 rebî’
n et se porta pendant quelques instants à l’extrémité
de la sebkha ; mais il se vit perdu, et ne songeant
plus qu’à sauver sa vie, il s’enfuit et se réfugia à
Tunis, non loin du quartier des ouvriers en cuivre,
chez un chaufournier espagnol nommé Aboû ‘1-K’â-
sim K’armoûni (3). Sa fuite eut lieu la nuit du di-

(1; Tous furent mis à mort, d’après Ibn Khaldoûn (ii, 305).

(2) La Sebkhat es-Sedjoumi de nos cartes, près de Tunis.

(3) Cette leçon fournie par A B C D, et signifiant « originaire de
Carmona » est préférable à K*armàdi d^ Ber&rea (ii, 396).

 

— 72 –

manche au lundi 23 de rebî* II, c’est-à-dire que son
règne à Tunis avait duré un an cinq mois et vingt-
sept jours (1). Il se tenait depuis sept jours caché
dans cette maison quand, sur la dénonciation d’une
femme, il en fut extrait après la prière du z’ohr;
cette demeure fut aussitôt saccagée, et lui-même
traîné devant Aboû H’afç, qui établit son identité par
devant les k’àd’is et leurs assesseurs. L’aveu de Tim-
posteur, qui déclara être Ah’med ben Merzoûk* ben
Aboû ‘Amâra Mestli, fut recueilli par les assesseurs,
Aboû *l-‘Abbâs Ah’med ben el-Ghammâz étant alors
grand k’âd’i. Le prince lui fit ensuite infliger deux
cents coups de fouet, puis décapiter ; le cadavre fut
promené par les rues sur le dos d’un âne gris, puis
jeté dans la sebkha hors la Porte de la mer (bâb el-
baWr), tandis que sa tète hissée sur un bâton fai-
sait également le tour de la ville, le mardi 2 djomâda
I. Ce fut le clieykh Aboû Moh’ammed ‘Abd Allâh
ben Yaghmor (2) qui opéra la décapitation à Taide
d’un sabre qu’il tenait de l’imposteur lui-même.

Le nouveau prince de Tunis s’appelait l’émîr Aboû
H’afç ‘Omar, fils du sultan et émîr Aboû Zakariyyâ,
fils du cheykh Aboû Moh’ammed ‘Abd el-Wâh’id ben
Aboû H’afç; il était né, à Tunis, de Z’âbiya, esclave
concubine arabe, après la prière du vendredi 30
dhoû ‘1-k’a’da 642. Il fut procédé à son intronisation
en cette ville le mercredi 25 rebî’ II 683, et il prit le
surnom d’El-Mostançir billâh.

Le 27 djomâda II 683, mourut à Mehdiyya Ibn el-

 

(1) Un an et trois mois, moins trois jours, d’après la Fdrisiyya
(Journ. a8., 1S48. ii, 251). Kayrawâni assigne à ce règne la même
durée que Zerkechi.

C2) D seul a omis ‘Abd Allah,

 

— 73 –

Khabbâz déjà cité, qui avait par deux fois été k’ôd’i
à Tunis.

L’émîp Aboû Zakariyyâ, fils du sultan Aboû Is-
h’ôk’, avait grandi auprès de son père, qui habitait
alors à Tunis l’hôtel d’Ël-Ghoûri (1). C’était un
prince chaste, qui recherchait la science et ceux qui
s’y adonnent. Il apprit que vis-à-vis l’hôtel d’El-
Ghoûri se trouvait un fondouk habité par des bu-
veurs, et il fit bâtir sur cet emplacement un collège
nommé Medresat el-Ma’rad’, au profit duquel il im-
mobilisa tout un quartier important qu’il acheta de
ses propres deniers, de même que des livres pré-
cieux traitant des diverses sciences. L'(un des) pro-
fesseurs qui y furent installés fut le chérîf Aboû
‘l-‘Abbôs Ah’med Gharnôt’i, auteur du El-Mochrek’fi
[P. 41] ‘olemâ’i ‘l-maghreb wa’ l-machrek\ à qui il fit par-
venir deux bourses pleines d’or et d’argent avec
mission d’en distribuer le contenu à tous ceux qu’il
trouverait dans l’établissement. Le bruit de cette lar-
gesse s’étant répandu, la foule se précipita de tous
les autres collèges, si bien que tout fut rempli et
que personne ne trouva de quoi s’accroupir. Il assis-
tait à la leçon le lundi et le vendredi pour y faire des
admonitions, et tout le temps il répandait libéralement
l’ambre et l’aloès. Il assigna à ce professeur un trai-
tement élevé, soit dix dinars par mois. Une ouver-
ture pratiquée à la maison qu’il habitait lui permet-
tait d’entendre les cours professés au collège. 11 resta
à Tunis jusqu’au jour où larrivée de l’usurpateur
le força de suivre son père jusqu’à Bougie.
Le 26 rebî’ I 684, mourut le k’âd’i Aboû Moh’am-

 

(1) Cette lecture est encore celle d’A B G D ; Ibn Khaldoûn lit
Akoûri (II, 399) ; ci-dessus, p. 59.

 

– 74 –

med *Abd el-H’amîd ben Aboû ‘d-Donya, qui fut en- ‘
terré à El-Djellâz. Le vulgaire y cherclie (1) auprès de
sa tête une haute colonne, car, prétend-il, « le dé-
funt ici enterré a dit de lui mettre sous la tête une
pierre proportionnée à sa science o ; on veut ainsi
indiquer son haut degré de science.

La même année, mourut Aboû M-H’asan H’âzim
Gharnât’i (2), poète de la cour (îJ^^as^t^cU).

Le 26 dhoû ‘1-h’iddja 686, mourut le vertueux et
pieux cheykh Aboû ‘Ali H’asan Zendîwi, qui fut en-
terré proche le cimetière des saints cheykhs (es-Sâdat
el-akhyâr el-echyâkh) dans le mersa du vertueux Sidi
Djerrâh’, lequel portait autrefois le nom de Mersa
Ibn ‘Abdoûn et qui prit ensuite cette dénomination,
tant Sidi Djerrâh’ y montait une garde assidue.

Dans le cimetière en question reposent entre au-
tres cheykhs ‘Abd el-‘Azîz ben Aboû Bekr K’orachi
Mahdew^i ; Notre Père ‘Abd Allèh, c’est-à-dire *Abd
Allèh ben ‘Ali Haww^ôri Nâbeli, (aussi) nommé Ma-
khloûf, qui reçut d”Abd el-‘Azîz Mahdewi ce nom
de Père, sous lequel il est encore désigné mainte-
nant; — Aboû ‘Abd Allah Moh’ammed, connu sous
le nom d’Et-Tâ’ib, et son frère germain Aboû/Ali
‘Omar, fils l’un et l’autre d’Aboû Bekr, et ((ui étaient
‘Idjelites et Tunisiens ; — Aboû Zeyd ‘Abd er-Rah’-
mân Temîmi, connu sous le nom d’Ibn el-Wâdi ; —
Aboû ‘Othmèn Sa’îd l’eunuque, enterré au pied du
cheykh ‘Abd el-‘Azîz ; — Aboû Wekîl Meymoûn
EI-Kemmâd (le décatisseur) ; — Aboû ‘Abd Allah

(1) A B D ^ ^^^ fj^ ‘^^^ <r*^*J > dans C, sans ^1 .

(2) On peut voir à propos de ce poète le Catalogue des mes, d’Al^
ger, n» iftO.

 

~ 75 —

ben ‘Atîk’ Bèdji, imâm du cheykh Sîdi ‘Abd el-
‘Azîz ; — les deux frères germains Aboû Fâris ‘Abd
el-‘Azîz et Aboû *Abd AUâh Moh’ammed, fils d’Aboû
‘1-Fotoûh’ Çak’alli; — Aboû Ish’âk’ Ibrâhîm eç-
Çayyôd ; — le cheykh Sîdi Djerrâh’ ^Arabi précité ;
— Aboû ‘Ali ff oseyn ; — Aboû ‘Abd Allah ben So-
leymân [P. 42] K’orachi Zobeydi, et son frère H’a-
san, — ainsi que les disciples de tous ces cheykhs.

Le lundi 17 ramad*ân 691, mourut à Tunis le
cheykh et k’âd’i Aboû ‘1-K’âsim ben Zeytoûn, qui
fut enterré au Djebel el-Mersa.

Le 15 dhoû 4-h’iddja 692, mourut le juriste et
mufti Ah’med Gharnât’i, Tauteur précité du Mochrik’.

Le jeudi 10 moh’arrem 693^ mourut le juriste et
k’âd’i Ah’med ben Moh’ammed ben el-H*asan ben
el-Ghammâz Ançôri, homme de talent connu par sa
religion. Né à Valence le jour d^’achoûra (10 moh’ar-
rem) 609, année d’El-‘Ok’âb (Ij, il mourut, par une
coïncidence remarquable, le jour où Ton célébrait la
même fête ; son inhumation se fit dans le cimetière
du vertueux Sîdi ‘Abd er-Rah’mân Monât’ik’i à Tu-
nis. Il était juriste, mufti et versé dans la rédaction
des actes judiciaires. Après avoir étudié sous plu-
sieurs savants espagnols, il vint se fixer à Bougie et
fut employé en qualité d’assesseur du k’ôd’i. Il ga-
gna ensuite Tunis, y devint successivement k’ôd’i
dans de nombreuses localités du pays, et enfin fut
nommé en cette qualité dans la capitale même le 23
ramad’ân 660 ; il fut révoqué et renommé à plusieurs
reprises, et mourut dans Texercice de ses fonctions,
dont il avait été rechargé pour la dernière fois le 19
ramad’ôn 691.

(1) C’est-à-dire de la bataille qui eut lieu à cet endroit entre les
chrétiens et les musulmans, autrement appelée de las Naras de To-
loia (Berbàreê, ii, 9S5 ; Hiai, dêa Almohadêg, p. 379).

7

 

H-

 

— 76 —

^ En dhoû M-k’a’da 693, mourut le cheykh Aboû
Zeyd ‘Isa Fâzèzi (1), i^remier ministre, et le person-
nage le plus brillant de la cour ; il fut enterré à
Rôdis.

Le vendredi 24 dhoû M-h’iddja 694 (4 nov. i 295), mou-
rut de maladie le sultan de Tunis Aboû H’afç’ Omar,
après un règne de onze ans et huit mois, moins deux
jours. Il avait désigné pour lui succéder son fils ‘Abd
Allôh, dont le jeune âge, car il était encore impu-
bère, souleva des objections de la part des Almoha-
des. Le sultan fit alors appeler le vertueux cheykh
et juriste Aboû Moh*ammed Merdjâni pour s’entre-
tenir avec lui de cette affaire. Or, lors de l’exécution
dans leur prison d’El-Wôtbik’ ben el-Mostançir et
de ses fils, une concubine de ce prince, alors en-
ceinte de lui, avait pu se réfugier dans la zâwiya du
saint homme Aboû Moh’ammed Merdjôni, et y avait
donné le jour à un fils. Le cheykh l’appela Moh’am-
med, puis le septième jour lui rasa la tète et distri-
bua aux pauvres de la bouillie (‘açîda) de froment,
ce qui fit donner au nouveau-né le surnom d’Aboû
‘Açîda. Après être resté caché quelque temps, il put
rentrer au palais et y être élevé chez les princes ses
parents ; mais en grandissant il continua de témoi-
gner sa reconnaissance à Merdjâni. [P. 43] Celui-ci,
quand le sultan le consulta sur le choix d’un suc-
cesseur et lui dit que les Almohades ne voulaient
pas de son fils, donna au prince le conseil de dési-
gner Moh’ammed ben el-Wôthik’. Cet avis fut agréé,
et ce dernier fut envoyé à Merdjâni, qui lui donna
sa bénédiction et invoqua le ciel en sa faveur. L’inau-

(1) Ou, d’aprèt nos textes, Fezâri ; Toir p. 69, n. 1.

 

— 77 —

guration privée se fit le mercredi 22 dhoû 4-h’iddja ;
à rinauguration publique, qui eut lieu après la mort
d’Abou H’afç, le nouveau sultan prit le surnom d’El-
Mostançir billàh ; son nom complet est Aboû ‘Abd
Allah Moh’ammed, fils du sultan Moh’ammed el-
\Vàthik’ ben el-Mostançir ben Aboû Zakariyyâ ben
Cheykh Aboû Moh’ammed ‘Abd el-Wàh*id ben
Gheykh Aboû H’afç ‘Omar, et il est connu sous le
nom d’Aboû ‘Açîda. Il débuta par faire exécuter ‘Abd
Allah, fils du sultan Aboû H*afç, que son origine
aurait pu rendre dangereux.

En redjeb 698 (avril 1299), il sortit de Tunis à la
tète de son armée et, franchissant les frontières de
ses états, il pénétra dans le territoire de Constantine;
paysans et Kabyles (eWkabâ’il) s’enfuirent devant lui,
et il poussa ainsi jusqu’à Mîla, d’où il regagna sa ca-
pitale au mois de ramad’ân.

Au commencement de djomâda I 699, mourut le
vertueux cheykh Merdjâni, qui fut inhumé au Dje-
bel el-Djellâz. !1 était très lié avec le grand k’âd’i de
Tunis, le juriste Aboû Yah’ya ben Aboû Bekr (j)
Ghoûri Çfak’si, qui était alors malade et à qui ses
proches cachèrent cette mort en recommandant aux
visiteurs de n’en rien dire ; mais le juriste Aboû
Ish’àk’ ben ‘Abd er-Refî’, étant venu lui rendre vi-
site, oublia la recommandation qui venait de lui être
faite, ce qui aggrava l’état du k’âd’i à ce point qu’il
mourut le dimanche 14 djomâda I 699. Celui qui fut
nommé au poste qu’il laissait vacant fut le juriste et
savant Aboû Ish’àk’ Ibràhîm ben el-H’asan ben ‘Ali
ben ‘Abd er-Refî’ Rab’i, qui resta en place cette pre-

(1) B D lisent « Aboû Yahya Aboû Bekr n et C, Nawwâwi au lieu
de Ghoûri,

 

– 78 —

mière fois un an et onze mois. Il fut alors révoqué
et remplacé par le juriste Aboû Zeyd ‘Abd er-Rah’-
mûn ben el-K’at’t’ûn Balawi, originaire de Sousse,
le l**” rebî’ II 701. Cette nomination fut adressée à
Sousse au nouveau titulaire, qui se fît attendre, de
sorte que le retard apporté dans le jugement des
affaires litigieuses suscita des réclamations. Ibn ‘Abd
er-Refî’ fit alors continuer de rendre des sentences
en attendant l’arrivée de son remplaçant. Mais parmi
les gens de sa classe il avait des envieux qui s’en-
tendirent [P. 44] pour lui laisser ignorer le moment
précis de cette arrivée, afin qu’un jour ou l’autre on
vînt l’interrompre au cours d’une audience pour lui
annoncer que, vu la présence de son successeur, il
n’avait plus à rien décider. Dans ce but on faisait
surveiller la route, mais Ibn ^Abd er-Refî’, devinant
ce qui se préparait, aposta un homme de confiance
chargé de le prévenir de l’arrivée du nouveau k’âd’i,
de façon ainsi à cesser de lui-même de juger et à
renvoyer les huissiers de sa porte. Or, on était un
samedi, jour où les juristes et les k’âd’is de Tunis
avaient coutume de se rendre à l’audience du khalife
pour le saluer et se tenaient à cet effet, en attendant
la sortie du prince, rangés par catégories dans
des pièces affectées à cet usage. Ibn ‘Abd er-Refî’
était donc à attendre avec ceux de sa classe quand il
vit arriver son émissaire qui, renseigné plus tôt que
ceux de ses adversaires, venait le prévenir. Il se leva
alors de la place réservée au k’âd’i et se dirigea vers
la chambre réservée aux gens du conseil, sous les
regards braqués de ses adversaires qui devinaient ce
qui se passait. Or, le cordon de son pantalon s’étant
dénoué juste au moment où il était au milieu de

 

– 79 —

l’assemblée, il dut s’arrêter pour le renouer ; voyant
alors la joie qui perçait sur leurs visages (1), il dé-
visagea successivement tous les assistants : « Gloire
à Dieu, » s’écria-t-il, « qui n’a vu parmi vous per-
sonne convenant à cette (place) ! » Sa retraite en
temps utile ferma la bouche à ses ennemis et le ven-
gea de leur joie maligne.

Le cheykh Aboû Moh’ammed ‘Abd el-Wôh’id
Gharyâni (2) dit tenir ce qui suit d’une personne en
qui il avait confiance : Les Almohades avaient au-
trefois à Tunis l’habitude de ne pas nommer de k’âd’i
pour une période supérieure à deux ans, se confor-
mant en cela à ce qu”Omar ben el-Khat’t’âb, en
écrivant ses dernières instructions, avait dit, qu’il ne
nommerait nul fonctionnaire (‘dmil) pour plus de deux
ans. Ils pensaient en outre que le k’âd’i qui reste
longtemps en place attire à soi ses camarades et ses
frères, et que la corruption n’agît pas sur celui qui
se croit exposé à la révocation ; d’autre part, les
contemporains ont ainsi des occasions de révéler
leurs connaissances, il se trouve de nombreux k’âd’is
qui ont l’expérience des affaires, et la tradition se
conserve. C’est tout le contraire si le même reste tou-
jours en charge : on ne juge pas équitablement les
divers candidats (,3^^* ^ /«^ ^ ) > le nouveau venu
ne peut qu’au bout d’un certain temps se mettre au
courant de ses fonctions, et l’aigreur envahit le cœur

(1) Le texte de cette anecdote présente quelques yariantes insigni-
fiantes ou sans valeur ; nous relevons seulement qu’ici D lit Ubyu«> ,
A ^^^mJuw» , B fcjjàMX» résultat de la surcharge de la leçon
de A, G f^jf^^”^ •

(2) A m Ez-Zeryâti.

 

– so-
dés lettrés, qui ne peuvent espérer arriver que bien
difficilement.

Le 2 çafar 700, mourut le cheykh, juriste et gram-
mairien Aboû Zakariyyâ Ifreni, qui avait été élève
d’Ibn ‘Açfoûr et qui prit sa place dans le même or-
dre de connaissances.

Le 15 ramad’ân 705 (31 mars 1306), après la prière
du vendredi, la populace tua Haddâdj ben ‘Abîd Ka’bi,
qui avait osé. pénétrer avec ses chaussures dans le
Djami* ez-Zîtoùna à Tunis. Comme on voulait Ten
empêcher, il répondit qu’il était entré chaussé chez le
prince même. [P. 45J La populace outrée se jeta sur
lui et le massacra dans le temple, puis traîna son
cadavre par les rues. C’était un des chefs des
Ko’oûb, population qui interceptait les routes et ra-
vageait le pays, et c’est ce qui porta la population
irritée à cet excès. La nouvelle de ce meurtre- ne fît
qu’exciter davantage les Ko’oûb , et leur cheykh
Ah’med ben Aboû ‘1-Leyl fît venir de la Tripolitaine
‘Othmân ben Aboû Debboùs, le proclama sultan et
l’emmena avec lui pour mettre le siège devant la ca-
pitale. Mais le vizir Aboû ‘Abd Allah Moh’ammed
ben Irzegîn (1) sortit à la tête des troupes et les mit
en fuite, puis continua sa marche en avant pour pa-
cîfîer le pays. Alors Ah’med ben Aboû ‘1-Leyl, après
avoir fait sa soumission et renvové Ibn Aboû Deb-
bous à l’endroit de la Tripolitaine d’où il l’avait tiré,
se rendit, accompagné de Soleymân ben Djàmi’, Tun
des principaux des Hawwàra, auprès du vizir. Celui-
ci les arrêta l’un et l’autre pour les envoyer à Tunis,
et ils y restèrent internés jusqu’en 708, où Ah’med

(1) Berbères (ii, 416; Aboû ‘Abd Allah ben Irzîgen ; A Jzrîgîn ;
B Bezerbegi ; G Izirgtn ; voir plus haut, p. 69, n. 4.

 

– 81 —

ben Aboû ‘1-Leyl mourut. Ce fut le frère de ce der-
nier, Moh’ammed ben Aboû’ ‘1-Leyl, qui le remplaça
à la tête des Ko’oùb ; il choisit pour lieutenants ses
neveux H’amza et Mawlâhem, fils de son frère ‘Omar.

En djomâda 706 (nov. 130G), le cheykh des Almo-
hades Aboû Yah’ya Zakariyyâ ben Ah’med Lih’yâni
partit à la tète d’une armée pour tirer Djerba des mains
des chrétiens. Après avoir combattu contre El-K’ach-
tîl (1) pendant deux mois, il se rendit à Gabès, puis
dans le Djerîd, et il parvint jusqu’à Taw^zer, où il
s’arrêta. Secondé par Ah’med ben Moh’ammed ben
Yemloûl, il recouvra les impôts du Djerîd et rentra
à Gabès, où il fut hébergé chez ‘Abd el-Melik ben
‘Othmân ben Mekki. Il annonça alors l’intention qu’il
avait d’accomplir le pèlerinage et renvoya les trou-
pes à Tunis, où il fut remplacé à la tête des Al-
mobades par Aboû Ya’k’oûb ben Izdoûten. Comme
il craignait l’air malsain de Gabès, il alla habiter une
des montagnes voisines, attendant, pour partir avec
la caravane, d’être guéri d’une maladie dont il souf-
frait. Il se rendit ensuite à Tripoli^ où arriva, au bout
d’un an et demi, à la fin de 708, l’ambassade turque
qui avait été porter des présents à Yoùsof le Mérinide
de la part du sultan d’Egypte, et ce fut avec elle
qu’il partit pour. accomplir le pèlerinage (2).

En ramad^àn 708 (fév.-mars 1309), la populace as-
saillit à coups de pierres la porte de la K’açba à Tu-
nis, en réclamant qu’on lui livrât le chambellan Ibn
ed-Debbâgh. Cette émeute était causée par les rava-
ges des Arabes dans les environs de Tunis, car ces

(1) Forteresse de l’île de Djerba.

(2) Cf. Berbères (n, 427) et Tidjâni (Journ. asiat., 1852, ii, p. 67 \
1853, I, 101.)

 

– 82 –

dévastations soulevaient leurs plaintes et ils en fai-
saient remonter la responsabilité à Ibn ed-Debbâgh,
[P. 46] dont, pour se calmer, ils réclamaient la mort.
La porte fut fermée, et en présence de cette attaque
les conseillers (ridjdl) du sultan auraient voulu quà
la tête de ses compagnons et de son entourage il fît
une sortie pour faire fouler la populace sous les sabots
des chevaux ; mais le prince s’y refusa et voulut qu’on
employât la douceur et la ruse pour ramener le calme.
Comme quelques insurgés avaient déjà pu pénétrer
dans la K’açba, un courtisan voulait qu’on refermât
la porte et qu’on les massacrât sur place ; mais le
prince les fit chasser non avec les piques, mais avec
les hampes des lances. Ce jour-là le juriste Ibn ‘Abd
er-Refî’, qui alors n’était pas k’âd’i, apostropha le
peuple très rudement. Alors aussi fut révoqué le
chef (h’âkim) de la ville, qui avait commis la faute
de pénétrer à cheval dans la K’açba par le Bâb el-
Ghadr (porte de la trahison) pendant que la populace
était à la porte dite Bâb Intedjemi. Le sultan fit
châtier les principaux meneurs du mouvement, et
tout rentra dans l’ordre.

En 708, il vint au monde à Tunis dans la rue
‘Obboû, en dehors du Bâb es-Souw^eyk’a, un enfant
mort-né d’une forme monstrueuse et inconnue. Sa
tête portait une couronne de chair où se trouvaient
un nez, deux gros yeux de vache et une bouche de
singe, mais dépourvue de langue. Des cheveux bruns
et non crépus, longs d’un empan, lui tombaient sur
la nuque et couvraient deux membranes charnues et
laissant apercevoir une portion du cou en corres-
pondance avec la cervelle. Il était pourvu de deux
avant-bras garnis de grandes mains, mais n’avait

 

-.«3 –

qu’un petit ventre et pas de derrière ; enfin il avait
deux pieds et deux doigts dépourvus d’ossature.
Louange au Créateur omniscient !

Le 11 dhoû ‘1-h’iddja, une girafe arriva à Tunis par
le vaisseau du marchand Aboû ‘1-K’èsim K’anebi ;
c’était un cadeau qu’envoyait le souverain d’Égypte(l).

En çafar 709, on construisit dans l’arsenal de Tu-
nis un mangonneau avec lequel on tira trois coups.

Le 5 rebî’ II 709, mourut le juriste et lettré Aboû
‘1-K’âsîm ben ‘Omeyra ; il comptait parmi les secré-
taires d’état distingués et parmi les poètes, et fit au-
tant ou même plus que son père.

(1) La girafe, qui est originaire du Soudan, parut dès 38f (991 de
J.-C.) en Europe, car Ziri oen ‘Atiya en envoya une en cadeau à
Mançoûr ben Aboû Amir, à Cordoue (Berbères, m, 243i. Mais elle
resta toujours un objet rare et soulevant une grande curiosité dans
le Nord de l’Afrique^ ainsi qu’en témoignent les chroniques. En 381,
Mançoûr ben Bologgin reçoit un cadeau consistant en une girafe
qui lui est envoyée par Ibn el-Khat’i’àb, officier qui gouverne en
son nom à ZawiJa iKayrawâni, p. 77, 1. 14 du texte , et en 387, sou
fils Bâdis déploie un luxe extraordinaire dans un cortège où figurent
deux g^raites (ibid., p 78, 1. 4 en bas). En 655 (1257 de J.-C), un de
ces animaux est envoyé du Soudan à Mostançir le Hafçide (Berbè-
res, II, 347i. En 7fi2 (1360 61), le Mérinide Aboû Sàlem reçoit en-
core du Soudan un exemplaire de cette espèce, et le peuple se pré-
cipite en foule à ce spectacle peu commun, que célèbrent les poètes
(ibld., IV, 343>. Enfin, dans un échange de présents qui eut lieu en-
tre le Hafçide Moh’ammed el-Mas*oûd, ^ui monta sur le trône en
899 (1493-94;, et le sultan d’Egypte, celui-ci fait figurer un de ces
animaux dans son envoi (Kayrawàni, p. 151, 1. 16). — Il est à re-
marquer que dans le texte de Zerkechi comme dans tous ceux que
nous venons de citer, à Texception de Kayrawâni, pp. 77 et 78, le

mot est écrit ^jljJI . Les naturalistes arabes ne nous ont guère

transmis, au sujet de cet animal, autre chose que des fables ; de ce
qu’ils nous disent, il n’y a rien à retenir sinon que l’Abyssinie (le
pays de Habech) est son lieu d’origine (voir Mostatre/, chap. 62 ;
Kazwini, ii, 20i, et Demlri, ii, 5, de l’éd. de Miçr, 1306>.

« On vit sous Amurat, à la fête de la Circoncision, vers 1574 ou
1576, des girafes qui furent promenées dans Thippodrome de Constan-
tinople, et qui avaient jusqu’à 18 pieds de hauteur. Un ancien voya-

feur français, Michel Baudier, présent à cette fête, les décrivit avec
eaucoup d’exactitude pour le temps et en laissa une figure assez
nette Belon a figuré aussi une girafe sous le nom de Zumapa [Zur-
napa?]. Albert le Grand avait déjà décrit, sous le nom de Sesaph et
d’Anabula, des individus offerts à Frédéric II, empereur d’Allema-
gne, par le prince de Damas ». (La oie des animauw, par A.-E.
Brehm, éd. franc., p. 523; cf. Dictionnaire unio, d’hist. nat , de
d’Orbigny, 1840, vi, Ûl).

 

– 84 –

Le 13 rebî’ II 709 (20 sept. 1309), le souverain de
Tunis, Témîr Aboû ‘Abd Allah Moh’ammed ben el-
Wèthik’ mourut d’hydropisie sans laisser d’enfant
mâle, après un règne de quatorze ans trois mois et
dix-sept jours. Il était intervenu entre lui et Témir
Aboù ‘1-Bak’â Khâlid, qui régnait à Constantine et à
Bougie, un arrangement aux termes duquel celui des
deux qui survivrait deviendrait maître des états de
Tautre. [P. il] Or, H’amza ben ‘Omar ben Aboû ‘1-Leyl
s’était, parce qu’il désespérait de voir rendre son
frère à la liberté, rendu auprès d’Aboû ‘1-Bak’â, et
l’incitait à se rendre à Tunis. Aussi quand la mala-
die du prince fut connue de façon positive, Aboû
‘1-Bak’â, qui (régnait) alors sur Bougie et son terri-
toire, se hâta de marcher sur Tunis, mais en fei-
gnant une expédition contre Alger. Arrivé à Cons-
tantine, il y laissa en qualité de lieutenant le juriste
Aboû ‘1-H’asan ‘Ali ben ‘Omar, puis il continua
dans la direction de Tunis, et il était campé à K’açr
Djàbir (1) lors de la mort d’Aboû ‘Abd Allah. Mais
alors les cheykhs et les principaux Almohades tin-
rent une réunion pour discuter s’il fallait exécuter le
traité dont il a été parlé ou choisir un prince à leur
convenance. C’était à ce moment Aboû ‘Abd Allah
Moh’ammed ben ed-Debbâgh qui était chambellan.
L’assemblée résolut de reconnaître l’émîr Aboû Bekr
connu sous le nom de Chehîd, qui était fils de l’émîr
Aboû Zeyd ‘Abd er-Rah’màn ben Aboû Bekr ben
Aboû Zakariyyâ (2), et l’on procéda à son intronisa-
tion le jour même de la mort de son prédécesseur le

(1) A sept lieues O.-N.-O. du Kef.

(2) M. de Sl&ne (Berbères, ii, 429) veut lire, en corrigeant les mss,
Aboû Bekr ‘Abd er-Rah’màn surnommé Chehid.

 

— 85 —

mardi 10 [lisez, 13] rebî’ II 709. Il confirma Ibn ed-
Debbâgh dans ses fonctions de chambellan et de
préposé au sceau, et Aboû ‘Abd Allah Moh’ammed
ben Irzegin (1) dans celles de vizir ; mais il mani-
festa son éloignement pour le premier et proféra mê-
me des menaces contre lui, car certains faits le lui
avaient fait haïr et ses sentiments longtemps conte-
nus se faisaient jour : il lui attribuait le peu de
compte qu’on avait tenu de ses droits, Texigûité de
sa pension et il apprit même qu’Ibn ed-Debbâgh
avait conseillé sa mort. Aussi ce personnage se mit-
il dès lors à travailler contre lui.

Aboû Bekr installa son camp à Ez-Za’teriyya (2)
et s’avança pour combattre à la tête de troupes
nombreuses ou figuraient les Aw^lâd Mohalhel et un
parti des A’châch (3), tandis que les Awlàd Aboû
‘1-Leyl étaient avec Aboû ‘1-Bak’â Khàlid. Quand,
non loin de la ville, les deux armées furent en pré-
sence, les cheykhs empêchèrent Aboû Bekr de se
mettre, comme il le voulait, à la tête de ses troupes
et dirent que le cheykh Aboû Ya’k’oûb devait avoir
la mission difficile de combattre Aboû ‘1-Bak’à. Les
choses furent ainsi réglées, et Aboû Bekr se tint
dans son camp à Ez-Za’teriyya. Une bataille achar-
née et qui dura jusqu’au coucher du soleil se ter-
mina par la déroute d’Aboû Ya’k’oûb ; le vizir Ibn
Irzegîn fut pris et mis à mort, et les Arabes, dont il

(1) A J’ji , B jC^^ , C ^ Jj^ .

(2) Es-Sa’teriyya est l’orthographe d A B CD, mais on trouve
aussi dans d’autres passages Ëz-Za’terriyya, ce qui peut signifier :
a lieu où pousse le thym n. Dans la table géographique des Berbères,
figure : « Kodiat ez-Zater, colline dans le voisinage de Tunis »•

(3) Ce nom désigne les membres de la famille des chefs des Aboû
‘1-Leyl (Berbères, i, 143).

 

— 86 –

avait excité la colère, brûlèrent (son cadavre). Les
fuyards se jetèrent dans la ville, [P. 48J où Aboù
Bekr rentra à cheval, pendant que son camp était li-
vré au pillage. Le lendemain matin, Aboù ‘1-Bak*â
était au pied de la ville ; Aboû Bekr en sortit et se
posta près du Djâmi’ el-hawa (1) avec un faible corps
d’armée et précédé de la masse des fantassins. Le
combat s’engagea auprès de la sebkha^ mais les sol-
dats passèrent du côté d’Aboû ‘1-Bak’â et laissèrent
Aboû Bekr tout seul : alors ce prince enleva la cou-
ronne qu’il portait et prit la fuite ; mais comme on
le poursuivait, il jeta successivement ce qu’il avait
de moins précieux sur lui pour retarder ses ennemis
et arriva ainsi jusqu’au jardin d”Ali ben Çâbir, en
dehors de la rue d’El-Khad’râ. La nouvelle en fut
portée au camp par cet homme, que l’on fit accom-
pagner de cavaliers et de quelques écuyers, et ces
gens ramenèrent au camp le prisonnier, à qui l’on
dressa une tente pour y passer la nuit. Le lendemain
matin, le sultan Aboù ‘1-Bak’à tint dans une tente
une audience où il fut procédé à son intronisation
publique, en vue de laquelle les Almohades, les
k’éd’is et tous les chevkhs sortirent de Tunis : la ce-
rémonie s’acheva, mais le prince avait tout d’abord
refusé de recevoir le serment de ces derniers (2),
qui avaient commis la faute de reconnaître Aboû
Bekr. Il leur commanda alors de regarder son pri-
sonnier, en qui ils reconnurent leur sultan de la
veille ; on le tira de sa tente, et le [principal] écuyer

(1) A B « près du H’ammâm el-hawa ».

 

– 81 ^

reçut Tordre de le saisir par les cheveux et de lui
trancher la tête ; mais quand Texécuteur s’approcha,
le prince vaincu le repoussa en le maudissant, s’é-
criant qu’il n’aurait d’autre exécuteur qu’un de ses
pairs. Le sultan lui fît alors couper le cou par Aboû
Zakariyyâ Yah’ya, mizwâr el-Gherâba, ( ^!^tj’j>» )
qui était arrivé avec lui. Cette exécution eut lieu
le vendredi 27 rebî’ II 709 (4 sept. 1309) ; la victime,
qui porta depuis lors le nom de Chehîd (martyr),
avait régné dix-sept jours.

Celui qui le remplaça s’appelait Aboû ‘1-Bak’â
Khàlid ben Aboû Zakariyyâ Yah’ya ben Aboû Is-
h’âk* Ibrâhîm, fils de Témîr Aboû Zakarivvâ, fils du
cheykh Aboû Moh’ammed ‘Abd el-Wàh’id. Il était
fils d’une concubine esclave nommée ‘Izz el-‘Olâ et
fut intronisé à Tunis le 27 rebf II sous la dénomi-
nation d’En-Nàçir li-dîn Allah ; son premier minis-
tre fut Aboû Moh’ammed ‘Abd Allah ben ‘Abd el-
H’ak’k’, et son chambellan, le reïs Aboû ‘Abd er-
Rah’mân ben Moh’ammed ben el-Ghâzi K’osant’îni(l).
Il laissa comme chef (reïs) des Almohades Aboû

(1) En admettant que \ B G D soient corrects, il faut ou supposer
que ce personnage resta peu de temps chambellan, ou lire avec Ibn
Khaldoun (ii, iSl* « Abou *Abd er-Kah*mân Ya’k’oûb ben Ghamr ».
C’est aussi ce dernier nom qui figure dans la Fârlsiyya (Journ 08, y
1849, 1, 19iet”01 ); mais l’éditeur et traducteur de ce fragment, Cherbon-
neau, ne s*est pas aperçu ou qu’il laissait de côté le récit de certains
événements ou que son ms. était défectueux, et il reporte au règne
d’Aboû ‘Açida des faits qui se produisirent sous Aboû ‘1-Bak’à, plu-
sieurs années après. — U y a tout lieu de croire que nos quatre tex-
tes ont omis quelques mots et qu’il faut les compléter, d’après la
Fârlsiyya, de la sorte : « son cbambellan Aboù [ Abd er-Rah’màn
ben Ya’k’oûb ben Gbamr ; celui qui fut chargé du sceau fut le se-
crétaire de son père, Aboû Zeyd] Abd er-Kahmân ben Moh’ammed
ben el-Ghâzi K’osant’îni ». [Celte note était rédigée quand l’obli-
geance de mon ami E. Bigonet m’a permis de vériner sur un ms de
la Fârlsiyya provenant de sa bibliothèque, que l’omission de Cher-
bonneau porte sur vingt-trois lignes de texte. Le passage dont j’ai
tenté la restitution s’y ht : u son chambellan fut le reïs Aboû ‘Abd er-
Rah’màn Ya’k’oûb ben ‘Omar K’osantini. » ]

 

— 88 —

Ya’k’oûb ben Izdoûten, mais en lui associant dans
cette charge Aboû Zakariyyâ Yah’ya ben Aboû
‘1-A’lâm, qui auparavant avait le nciême titre (auprès
de lui) à Bougie. A Tunis Tadministration des finan-
ces fut confiée à Mançoûr ben Fad’l ben Mozni, et
le gouvernement de Constantine fut donné au frère
du sultan, Témîr Aboû Yah’ya Aboû Bekr (1), qui
se rendit à son poste. Le chambellan Moh’ammed
ben ed-Debbâgh, qui s’était réfugié dans la zâw^iya
des Zobeydites, fut amené par Thabileté d’Ibn Ghamr
(2) [P. 49] à sortir de lui-même de son refuge. On
Temprisonna, et il commença par payer 50,000 di-
nars ; mais comme on lui en demandait davantage,
on ne le rendit pas à la liberté, et il mourut de ma-
ladie le 27 redjeb de la dite année ; le convoi funèbre
sortit de la prison et on prononça les dernières priè-
res ; mais la peur fut cause qu’une dizaine de per-
sonnes seulement assistèrent à Tinhumation.

En 710 (30 mai 1310), mourut à Tunis le juriste
et mufti Aboû ‘Ali ‘Omar ben Moh’ammed ben ‘Omar
ben ‘Olw^ân Hodhali.

Le 24 de la dite année (3), mourut le grand cheykh
de Tunis, Es-Sîd el-Mok’ri Aboû ‘l-‘Abbâs Ah’med
ben Moûsa Ançâri Bat’erni.

En çafar 711 (mai-juin 1311), les Hawwâra tuèrent
le premier ministre Aboû Moh’ammed ‘Abd Allah
ben ‘Abd el-H’ak’k’ ben Soleymân.

 

(1) Les mots Aboû Yah’ya figurent dans ABC, mais non dans D.

(2) A B C D lisent Ibn ‘Omar, mais la correction Ibn Ghamr n’est
pas douteuse \yoir p. 87, n.).

(3) A B C D s’expriment tous de la môme manière.

 

— 89 —

Le jeudi 9 djomâda I de la dite année, le cheykh
Aboû ‘Abd AUâh [Moh’ammed ben Moh’ammed]
Mezdoûri arriva à Tunis en compagnie des Arabes
et en qualité de lieutenant de Témîr Aboû Yah’ya
Zakariyyà ben Ah’med ben Moh’ammed Lih’yâni.
Celui-ci, revenu du Hedjàz en Ifrtk’iyya, y avait
trouvé tout en désordre et le pays livré aux Arabes,
ce qui lui avait inspiré l’idée de s’emparer du pou-
voir, de sorte qu’il s’était fait proclamer à Tripoli.
Gonstantine était au pouvoir d*[Aboû Yah’ya] Aboû
Bekr, à qui les troubles de l’Ifrîk’iyya avaient permis
de s’y faire reconnaître. En apprenant cette dernière
usurpation, le sultan Khàlid expédia contre Gons-
tantine des troupes commandées par son affranchi
Z’âfer connu sous le nom d’El-Kebtr, qui s’arrêta
quelque temps à Bàdja (1). Mais alors le prince de
Gonstantine, informé de l’arrivée et de l’intronisation
à Tripoli d’Ibn el-Lih’yâni, dépêcha à celui-ci son
chambellan Aboû ‘Abd er-Rah’môn ben Ghamr pour
lui porter des cadeaux et lui promettre ce qu’il pour-
rait comme secours en provisions et en troupes. La
nouvelle de la démarche d’Ibn Ghamr, qui (feignait
de) fuir son souverain, fut cause qu'[‘Abd er-Rah’-
mân] ben el-Khalloûf, gouverneur de Bougie, envoya
aussi à Aboû Yah’ya ben el-Lih’yâni des messagers
porteurs de présents et chargés de promettre des se-
cours contre l’engagement de ce dernier de le main-
tenir en place. Ibn el-Lih’yôni s’y engagea, mais ces
incidents confirmèrent ses résolutions et l’affermirent

 

<1) Berbère» {n, 433 et 438).

 

– 90 —

dans son dessein (1). Les chefs des Ko’oûb, Awlâd
Aboû ‘1-Leyl et autres, vinrent en masse le recon-
naître et Tencourager à marcher sur la capitale. Il
suivit ce conseil et envoya en avant-garde les Awlâd
Aboû ‘1-Leyl et son premier ministre, le cheykh Aboû
‘Abd Allah Moh’ammed Mezdoûri. A l’arrivée de
cette troupe à Tunis éclatèrent dans la ville des trou-
bles où fut tué le premier ministre Aboû Zakariyyâ
H’afçi ; le peuple se précipita au devant d’El-Mez-
doûri et lui remit la ville après Tabdication, certifiée
par témoins, d’Aboû U-Bûk’â Khâlid. Celle-ci fut le
résultat de l’entretien qu’eut ce prince avec le grand
k’àd’i de Tunis, Ibn ‘Abd er-Refî’, qui lui représenta
que, s’il ne pouvait combattre, il pouvait en abdi-
quant sauver sa tête. [P. 50] En effet, Khàlid souf-
frait alors d’une maladie qui ne lui permettait pas de
monter à cheval. Cependant il avait encore, on le
sait, des troupes campées à Bàdja et commandées
par Z’àfer el-Kebîr, à qui il envoya l’ordre de reve-
nir ; mais ce chef eut, pendant qu’il opérait ce mou-
vement, à combattre les Aw^lâd Aboû ‘1-Leyl, qui
s’emparèrent du camp aussi bien que de Z’àfer et
des principaux chefs. Ils les emprisonnèrent quelque

(1) Le texte est altéré dans A B C D ; de leur combinaison et des
renseignements fournis par les Berbères (ii, 437 et 439; lexte, i. 494
et 496 ( résulte, je crois, la lecture suivante, d’après laquelle la traduc-
tion est rédigée :

(A B C j^)^ ^1 ,,^^^W yyj ( A C ^J*r^l) ^ V^ diU . . .
^ILL (B Je J/lÇ LU^ ; A ^jtpil! U,^) ^yyt Jj^

i^j^ er?’ (^ vjiXJJô *^ ; A vjXJâTj) vjX-Jà» ^j

(correction marginale de B; manque dans A C) yVJtJaX**» ^.^ j|y^’ TJUaovi

(B ^ j>\) ^, ^! ^^«jJb (B ^\ j) «.iCti ^ U

 

— 91 —

temps, puis Z’âfer obtint sa mise en liberté et alla
prendre du service à Constantine auprès du sultan
Aboû Bekr. Celui-ci fît comme son frère : il lui ac-
corda son amitié, fit de lui son lieutenant et le nom-
ma gouverneur de sa capitale, situation que Z*âfer
ne quitta que pour se rendre à Bougie.

Le règne de Khâlid à Tunis avait duré deux ans .
et treize jours; il fut tué à Tunis en 711 (19 mai
1311) au dire d’Ibn el-Khat’îb dans la Fârisiyya ;
mais d’après l’inscription que porte sa pierre tumu-
laire dans la K*oubba qui est plus bas que le DjAmi’
el-Djellâz^ sur la colline à Test de la dite mosquée,
il mourut en djomâda II 713 (sept.-oct. 1313).

Le vendredi, lendemain de l’entrée d’EI-Mezdoûri
dans la capitale, on fit la khotba sans y citer nomi-
nativement aucun imâm ; le prédicateur se borna à
dire : « Grand Dieu, accorde ta satisfaction à celui
qui veille aux affaires de tes serviteurs et qui répare
les brèches visibles de ton territoire », et autres in-
vocations analogues.

Le dimanche 2 redjeb 711, eut lieu au camp (menzel)
de Moh’ammediyya l’intronisation publique d’Aboù
Yah’ya Zakariyyà ben Aboû ‘l-‘Abbâs Ah’med ben
Aboù ‘Abd Allah Moh’ammed Lih’yâni ben Aboû
Moh’ammed ‘Abd el-Wâh’id, né en 651 d’une es-
clave concubine d’origine chrétienne et nommée
Moh’rim. Son autorité fut de la sorte reconnue à
Tunis. Il était versé dans la science et la littérature,
ce qui explique sa familiarité avec les savants. A ses
débuts, l’exercice du pouvoir avait pour lui très peu
d’attrait (1) : il aurait préféré ne jouer qu’un rôle se-

 

(1) B D ^j^\jJS ; A G «îuuJI^

 

.1

 

— 92 —

condaire sous un prince qui aurait écouté ses avis
et qui, faisant de lui son principal conseiller, aurait
suivi une sage politique. En conséquence de ces dis-
positions, il réforma les décisions de ses prédéces-
seurs : il opéra la reprise des territoires qui avaient
été concédés, disant que n’est pas valable le don
d’une chose dont le donateur ignore la valeur; puis,
à la suite de la revue qu’il fît de ses troupes, il en
raya tous ceux dont Torigine dans les tribus n’était
pas bien établie. Administrateur consciencieux, il li-
vra au jugement du k’âd’i Aboû Ish’âk’ ben ‘Abd
er-Reff son propre fils, qui était accusé de meur-
tre. Ce fut la cause d’une dure épreuve pour ce
k’âdl, car il trouva l’accusé coupable et prononça
une sentence de mort contre le fils du khalife, qui
obtint cependant son pardon de celui qui le poursui-
vait. Longtemps après, [P. 51] le condamné étant
monté sur le trône fit enfermer le k’âd’i à Mehdiyya
dans une citerne pendant plus de deux ans. « J’ai à
supporter, » disait le malheureux, « autant d’années
de prison que j’en ai infligé de jours au vertueux
cheykh Aboû ‘Ali K’araw^i. » En effet, ce dernier
ayant refusé de dire la prière du vendredi (1) dans le
Djâmi’ Zîtoûna, dont le toit s’était écroulé en partie,
le k’âd’i regarda cet accident comme résultant du fait
de K’arawi, de sorte qu’il le condamna à la prison.

Au commencement de son règne à Tunis, Aboû
Yah’ya Zakariyyâ conféra la charge de secrétaire et
lusage du grand sceau au juriste Aboû ‘Abd Allah
Moh’ammed ben Ibrâhîm et-Tidjâni (2), tout en lais-

(1) A G AXÇ^ , B AX^\ , D /%*?. .

• • •

(2) n s’acit de l’auteur de la relation traduite par Rousseau et pu-
bliée dans le Journal asiatique, 1852 et 1853.

 

— 93 —

sant à Ibii el-Khabbâz l’usage du petit sceau ; mais
celui-ci, à la mort du titulaire, fut remis également
à Tidjàni, le 1^^ moh’arrem 7J7 (15 mars 1317). Il
renvoya le chambellan Aboû ‘Abd er-Rah’mân ben
Ghamr à celui qui le lui avait député, c’est-à-dire à
Aboû Bekr, price de Constantine, après avoir con-
clu avec lui une trêve pour laquelle Ibn Ghamr don-
na les garanties nécessaires. Cet envoyé retourna à
Bougie auprès de son maître, et y reprit ses ancien-
nes fonctions (1).

En 712 (8 mai 1312), mourut le juriste Aboû
Yah’ya Aboû Bekr ben Aboû M-K’âsim ben Djemâ’a
Haw^wâri.

En 716 (25 mars 1316), le sultan donna Tordre de
faire des portes de bois et de placer des poutres
transversales au beyt du Djâmi’ Zîtoûna ; elles y fu-
rent placées, telles qu’on les voit encore maintenant,
en ramad’ân de la dite année, et la date en fut ins-
crite sur le jambage (? i^-^ vi ) du Râb el-Bohoûr,

La même année vit naître le savant cheykh et
iraâm Aboû ‘Abd Allah Moh’ammed ben ‘Arafa
Warghemi.

En présence du trouble qui régnait et des insur-
rections des Arabes, Aboû Yah’ya Zakariyyà son-
gea à abdiquer. Il s’attendait à voir arriver à Tunis
même le sultan Aboû Bekr, dont les hautes qualités
lui frappaient les yeux, et il se mit à réunir ses ri-
chesses et à vendre toutes les choses précieuses que
renfermait la K’açba ; les livres même qu’avait réu-
nis l’émîr Aboû Zakariyyà l’ancien et qui étaient ou
des originaux ou des divans soigneusement choisis

(i) Cf. Berbères (ii, 437 et 440).

 

– 94 —

furent livrés aux libraires pour être vendus dans
leurs boutiques. On prétend qu’il réunit ainsi plus
de vingt quintaux d’or et deux sacs de grosses per-
les et de gros rubis. L’ordre de départ pour Gabès
fut ensuite donné au commencement de 717 (15
mars 1317); mais il avait laissé des troupes pour
protéger Tunis : mille cavaliers commandés par le
k’à’id de la ville étaient répartis en trois groupes,
l’un sur l’éperon ( ^Jit ) de la colline au sud de Tu-
nis, l’autre à El-Ma’âw^în et le troisième [P. 52] sur
la route de Bâdja. Lui-même avec environ un millier
de cavaliers quitta Tunis après y avoir laissé Aboû
‘1-H’asan ben Wânoûdtn et se rendit à Gabès, où il
s’installa. En outre, dit-on, de vingt-c(uatre (sic)
quintaux d’or, il y avait emmené ses femmes et tous
ses enfants, sauf Moh’ammed, qu’il laissa dans la
prison où il était enfermé.

Quand il eut quitté Tunis, le sultan Aboû Bekr
sortit de Constantine en djomâda II 717 (1) et mar-
cha sur cette capitale ; en route il reçut des députa-
tions d’Arabes, et trouva Bâdja sans défenseurs, car
la garnison s’était repliée sur Tunis. Les lieutenants
d’Aboù Yah’ya Zakariyyà, qui avaient informé ce
dernier de la marche d’Aboù Bekr, avaient reçu cette
réponse : « Vous avez l’argent et les troupes ; je ra-
tifie tout ce que vous ferez. » Or, ils trouvèrent que
depuis son départ les rentrées avaient été de 150,000
dinars et qu’ils pouvaient disposer de 700 cavaliers.
On tira de sa prison Moh’ammed, fils du sultan, on
laissa Tunis à la garde d’Aboù ‘1-H’asan ben Wô-
noùdîn, et le reste se dirigea sur K’ayrawân avec le

(1) M. de Slane (Berbères, u, 448) dit « dans le mois de djomàda
[premier] 717 »•

 

— 95 –

fils du sultan Ibn el-Lih’yâni, Moh’ammed dit Aboû
D’arba, qui était sans armes et monté sur une mule.
Tous les cheykhs étaient avec lui, sauf toutefois
Mawlâhem ben ‘Omar ben Aboû ‘1-LeyI, qui se rallia
au sultan Aboû Bekr, parce qu’il était jaloux de la
préférence accordée par le sultan Aboû Yah’ya Za-
kariyyâ à son frère H’amza. Il rejoignit Aboû Bekr
un peu en deçà de Bàdja, et sur ses conseils ce
prince marcha sur Tunis et vint camper dans les
Parcs des Sindjars en cha’bân 717 (oct.-nov. 1317).

Moh’ammed Aboû D’arba et ses partisans avaient
quitté Tunis quand ils furent rejoints par H’amza
ben ‘Omar ben Aboû ‘1-Leyl, qui leur demanda où ils
allaient : « D’abord à K’ayrawân, » répondit-on, « et de
là nous informerons le sultan, qui est à Gabès, de
la prise de Tunis par le prince de Constantine. — Le
voilà, votre sultan ! » dit H’amza en désignant Aboû
D’arba, puis il descendit de cheval et lui prêta ser-
ment de fidélité ; tout le monde en fit autant, et Al-
mohades et Arabes le reconnurent unanimement, à
la mi-cha’bân 717. Tout ce monde rebroussa che-
min vers Tunis, et ‘Omar écrivit de sa propre main
à son frère Mawlâhem qu’il eût à se retirer avec son
sultan. Mawlâhem en effet fit quitter à Aboû Bekr
les Parcs des Sindjars, où ils avaient passé sept
jours dans des réjouissances, et ce prince retourna
à Constantine, tandis que Mawlâhem le quittait en
arrivant aux limites de son pays.

H’amza aussi bien qu’Ibn el-Lih’yâni étaient en
dehors de Tunis. Mais dans la khotba on associait
les deux noms du père et du fils : après avoir pro-
noncé le nom d’Aboû Yah’ya Zakariyyâ, le prédica-
teur ajoutait : « Sois aussi, grand Dieu ! satisfait de

 

– 96 —

leur rejeton, du produit [P. 53J de cette noble race,
El-Mostançir billâh, le Prince des Croyants Aboù
‘Abd Allah Moh’ammed. » A la mi-cha’bân de la
dite année eut lieu à Tunis, sous le surnom d’El-
Mostançir, Tintronisation d’Aboû ‘Abd Allah Mo-
h’ammed, fils d’Aboû Yah’ya Zakariyyâ, fils du
cheykh Aboù ‘l-‘Abbûs Ah’med, fils du cheykh Aboù
‘Abd Allah Moh’ammed Lih’vâni, fils du chevkh
Aboù Moh’ammed ‘Abd el-Wâh’id, fils du cheykh
Aboù H’afç.

Quand son père Aboù Yah’ya Zakariyyâ apprit les
événements qui se déroulaient à Tunis et la [seconde]
défaite infligée à son fils par le sultan Aboù Bekr de
Constantine, la gravité de la situation lui fit quitter
Gabès, où il habitait, pour se réfugier à Tripoli avec
ce qui lui restait de troupes et cinquante archers es-
pagnols qui étaient montés. Il s’installa dans cette
ville, où il se fit élever pour y tenir audience une
construction nommée Et-T’ôrima, dans laquelle on
employa les carreaux de faïence vernis (1; et le mar-
bre. 11 fit prélever Timpôt (2), puis envoya son ar-
mée au secours de son fils, et avec elle son cham-
bellan Aboù Zakariyyâ ben Ya’k’oùb et son vizir
IbnYâsîn, porteurs de sommes d’argent qui leur ser-
virent à recruter des Arabes. Malgré Tadjonction de
ces forces, Aboù D’arba, qui était à K’ayrawan, ne
put résister à une nouvelle attaque du sultan Aboù
Bekr : il dut fuir et se réfugier dans Mehdiyyaj où il se

 

(1) A ^j\ , B ^>Lr’b , C .iJÙ\ , D jJ^le ; je lis

(2) A Wb » B G vxswj , D Li^tj ; la leçon de B C est adop-
tée dans la traduction, de même que dans les Berbères (ii, 451).

 

– 97 —

fortifia ; quant au chambellan, il s’enfuit avec une
partie des vaincus jusqu’à Tripoli auprès d’Aboû
Yah’ya Zakariyyô. Ce prince fit alors demander aux
chrétiens six bâtiments, qui lui furent accordés, et
sur lesquels il s’embarqua avec ses femmes, ses en-
fants, sa fortune et son chambellan Aboû Zakariyyâ
ben Ya’k’oûb, en laissant pour défendre Tripoli son
allié et parent Aboû ‘Abd Allah Moh’ammed ben
Aboû Bekr ben Aboû Amrân. Celui-ci y resta jus-
qu’à ce que, répondant à l’appel des Ko’oûb, il fut
placé à leur tête et tenta avec eux plusieurs incur-
sions contre le sultan Aboû Bekr, ainsi qu’il sera
dit plus loin. Quant à Aboû [Yah’ya] Zakariyyâ, il
cingla sur Alexandrie, où il débarqua dans les états
de Moh’ammed ben K’alâoûn, qui le fit venir dans
sa capitale et qui, après l’avoir reçu en grande pom-
pe, lui accorda une forte pension et des fiefs consi-
dérables. Ce prince, toujours traité de même jusqu’à
sa mort, survenue en 728 (16 nov. 1327), avait ré-
gné à Tunis six ans et quatre mois.

Quand l’émîr Aboû ‘Abd Allah Moh’ammed (1) Aboû
D’arba devint maître de Tunis, il put décider la po-
pulation à élever des murailles d’enceinte autour des
faubourgs, et ce travail fut commencé. Ensuite
H’amza ben ‘Omar ben Aboû ‘1-Leyl lui réclama de
quoi équiper un înillier de cavaliers à raison de
trente dinars par homme sans parler d’autres de-
mandes, si bien qu’il le dépouilla entièrement.

En çafar 718 (2), le sultan Aboû Bekr leva des
troupes [P. 54] avec lesquelles il marcha contre Tu-

 

(1) A, Moh’ammed Aboû D’arba ; B D, Moh’ammed ben Aboû
D’arba; C, Moh’ammed ben D’Arba.

(2) D seul lit, à tort, 728.

 

-. 98 –

nîs après avoir nommé chambellan Aboû ‘Abd Allah
Moh’ammed ben el-K’âloûn et vice-chambellan, Aboù
‘1-H’asan ben ‘Omar. Arrivé à Laribus, il fut rejoint
par une troupe de Hawwôra, dont le chef Soleymân
ben Djâmi’ lui apprit qu’Aboù D’arba avait quitté
Bèdja et fuyait le combat (1). Cette nouvelle fit avan-
cer Aboû Bekr à marches forcées ; il fut rejoint par
Mawlôhem ben ‘Omar ben Aboù ‘1-Leyl, qui vint de
nouveau faire sa soumission, puis continua la pour-
suite d’Aboû D’arba. Les fonctionnaires et les
cheikhs [de K’ayrawân] étant alors venus lui prêter
serment de fidélité (2), il renonça à poursuivre son
ennemi et reprit le chemin de Tunis. Moh’ammed
ben el-Fellèk’, à qui [Aboù D’arba] avait confié la
défense de cette ville, fit sortir ses archers dans la
plaine (3), et y livra un combat qui dura une heure;
la ville fut alors emportée d’assaut, et tous les fau-
bourgs furent livrés au pillage. Cet événement eut
lieu le jeudi 7.rebî’ II 718 ; le sultan y fit son entrée
le lendemain vendredi et se fit de nouveau prêter
serment de fidélité. Aboù D’arba avait régné à Tu-
nis neuf mois et demi.

Celui qui l’y remplaça fut le Prince des Croyants

(!) B G D disent au contraire sUSJi ,^J^ \.*j\d « pour marcher

contre lui ». A lit sUiJJ! ^,j^ Ujlcc^ qui e^t probablement la bonne
leçon, d’autant plus qu’elle est d’accord avec ce que dit Ibn Khaldoûn
s\sM\ ^ UpL» l^J)i ^1 Jju IcJ^ ^ JjLxl (texte, i, bOi.ad /.).
— Nos dictionnaires ne donnent pas la 6» forme de fj^ •

(2) B a été l’objet d’un grattage et d’une correction marginale don-
nant ce sens : a … les cheykhs étant venus le trouver, le prièrent
de s’en retourner ; après avoir d’abord refusé, il renonça, etc. ».

(3) Au lieu de >^^U«i de D, lisez avec A B C et Ibn Khaldoûn

 

— 99 —

El’Motewakkel-‘ala’Uâh Aboû Bekr, fils de Témlr
Aboù Zakariyyâ Yah’ya, fils du sultan Aboû Ish’àk’
Ibrâhîm, fils de Témir Aboù Zakariyyâ Yah’ya ben
Aboù Moh’ammed ‘Abd el-Wàh’id ben Aboù H’afç ;
il avait pour mère une chrétienne du nom de Amlah*
en-Nâs, et était né à Constantine en cha’bân 692.

Le lundi 18 rebî’ II 718 fut nommé k’âd’i à Tunis
le cheykh, juriste et imâm Aboù ‘Abd Allah Moh’am-
med ben el-Ghammâz ; le sultan lui ayant fait offrir
ces fonctions : « Combien donc, » dit-il, « a-t-il ap-
pelé de gens qui ont refusé ? »

En ramad’ân 729 (juillet 1329), mourut le vertueux
et savant cheykh et mufti, imâm et prédicateur du
Djàmi’ Zîtoùna, Aboù Moùsa Hàroùn H’imyari (1).
Au cours de sa maladie, il se fit suppléer comme
khal’îb par le cheykh Ibn *Abd es-Selâm ; mais le
grand k’âd’i Ibn ‘Abd er-Reff Tayant appris, des-
titua ce dernier et le remplaça par Aboù ‘Abd Allah
Moh’ammed ben Moh’ammed ben ‘Abd es-Settâr.
Ibn ‘Abd es-Selâm ayant demandé s’il était indigne
de ce poste : « Non, » dit le grand k’âd’i, « mais les
Tunisiens ne nomment à la grande mosquée que
leurs compatriotes. » Mais après la mort d*Aboù
Moùsa, Ibn ‘Abd es-Selàm resta maître de la situa-
tion, le temps passa et il devint k*âd’i à Tunis, tan-
dis qu’Ibn ‘Abd es-Settâr continua de rester prédi-
cateur [P. 55] jusqu’à sa mort, arrivée en 749 (l®**
avril 1348); il était professeur à la medresat El-Ma’-

 

(1) A B C le font mourir en 726 ; il faut probablement lire avec B
Djedmîwi, nom qui paraît être aussi écrit, bien qu’incorrectement,
dans A C. C’est vraisemblablement l’imâra du Djârai* Zitoûna nommé Hà-
roùn ben Moùsa Toùnesi par le Bostân iCat. d’Alger, n« 1737, 1»,
fol U7), qui place sa mort en 724, de même qu’An’med Baba (ms.
i738 du Cat. d’Alger, fol. 137n

 

— 100 —

rad’ (1), et l’on dit qu’Ibn ‘Abd es-Selâm avait été son
élève. [Ibn ‘Abd es-Settûr] était imbu de la crainte de
Dieu et était d’une grande sinriplicité : après avoir dit
le vendredi la khotba avec les vêtements qu’il portait
pour la prière, il revêtait le lendemain une grossière
tunique (djobba), plaçait des ordures sur le dos de
son âne et le poussait devant lui jusqu’au jardin dont
il vivait et qu’il cultivait de ses mains. Il s’adonna à
l’agriculture ù la suite d’un rêve qu’il fit pendant
qu’il se rendait en pèlerinage à la Mekke : le jour du
jugement dernier était arrivé et comme on appelait
tous les hommes à la porte du paradis : « J’arrivai,
dit-il, avec d’autres qui purent entrer tandis qu’on
me repoussa : Tu ne fais pas partie, me fut-il dit, de
ce groupe. — Et qui le compose? -— Ce sont les
agriculteurs. » Je fis alors le serment, continuait-il,
de me faire agriculteur dès mon retour dans ma pa-
trie ».

En cha’bàn 727, mourut à Tunis le chambellan
Moh’ammed ben ‘Abd el-‘Azîz, connu sous le nom
de Mizwâr (2). Le sultan appela alors de Bougie
Moh’ammed ben [Aboù] ‘1-H’oseyn ben Seyyid en-
Nâs, qui arriva dans la capitale en moh’arrem 728
(IG nov. 1327) et qui fut promu chambellan. Le sul-
tan Aboû Bekr, ayant dû se réfugier à Bougie à la
suite de la défaite qu’il avait subie (3), résolut d’en-
voyer une ambassade au prince [mérinide] du Ma-
ghreb Aboù Sa’îd pour lui montrer les dangers de
la puissance dçs descendants de Yaghmorâsen ben

(i) A, Medresat ech-Chemmâ’îD ; D, Medresat el-Mofrid*.

(2) Voir Berbères, ii, 466.

(3) A Er-Hiyâs, du côté de Mennâdjenna (Berbères, ii, 41i\ C’est
à ce dernier ouvrage qu’il faut se reporter pour comprendre la suite
des événements.

 

– 101 —

Zeyyân, et il désigna pour cette mission, d’après le
conseil de son vizir Moh’ammed ben el-H’oseyn, son
fils réniîr Aboù Zakariyyâ. Celui-ci s’embarqua avec
le cheykh Ibn Tâferâdjîn, et les lettres qu’il remit de
la part de son père à Aboû Sa’îd décidèrent aussitôt
celui-ci à se porter avec son fils Aboû ‘1-H’asan au
secours d’Aboù Bekr. Le jour même de l’arrivée
d’Aboû Zakariyyâ auprès d’Aboù Sa’îd, celui-ci lui
dit : «’ Je le jure, nous apprécions fort tes intentions
et ta venue ; pour vous aider, j’en atteste le ciel, je
prodiguerai mon or, mes troupes et mes propres
efforts ; j’irai à la tête de mon armée assiéger Tlem-
cen, mais 5 la condition que ton père soit à côté de
moi. » La députation enchantée souscrivit à celte
condition et se retira. En conséquence, Aboû Sa’îd
se mit en marche contre Tlemcen en 730 (25 oct.
1329), et il était arrivé à la Moloûya quand il apprit
positivement qu^en redjeb de la dite année le sultan
Aboû Bekr avait reconquis Tunis, en avait expulsé
les Zenàta et leur prince, et s’y était pour la sixième
fois fait renouveler le serment de fidélité, tout cela à
la suite d’événements trop longs à raconter. Alors
Aboû Sa’îd renvoya au prince Hafçide Aboû Zaka-
riyyâ et le vizir Ibn TâfeVâdjîn après les avoir com-
blés de précieux cadeaux. Les envoyés se rembar-
quèrent à Ghassôsa en compagnie d’Ibrâhîm ben
H’àtem [P. 56] Maghrebi (2) et du k’âd’i Aboû ‘Abd
Allah ben ‘Abd er-Rezzàk’, députés par le prince
Mérinide pour adresser une demande en mariage,
tandis qu’Aboû Sa’îd regagnait sa capitale. La de-

(1) A LÀx^ , B C Lis le , D iA«liL, ; sur la lecture Ll-wc
voir la Table géographique des Berbères,

(2) D’après les Berbères (ii, 473), Ibrâhîm ben Aboû H’âtem ‘Azefi.

 

— l(tt —

mande de la main de Fût’ima [fille d’Aboû Bekr]
pour Témir Aboù *1-H’asan fut agréée, et l’ambassa-
deur se rembarqua avec elle et des cheykhs almoha-
des ; cette flotte arriva h Ghassâsa au moment de la
mort du sultan Aboû Sa’îd. La succession de celui-
ci échut à Aboù ‘1-H’asan, qui reçut sa fiancée et
célébra le mariage. Désireux de tirer vengeance des
ennemis de son beau-père, ce prince marcha contre
Tlemcen en 738 (sic) ; mais la nouvelle que son frère
Aboù ‘Ali, gouverneur de Sedjelmesse, s’était sous-
trait à son autorité, le força à marcher contre ce
prince, qu’il assiégea et fit prisonnier, après quoi il
rentra dans la capitale.

Le 5 moh’arrem 731, mourut le k’àd’i Aboù ‘Ali
‘Omar ben Moh’ammed ben Ibrahim ben ‘Abd es-
Seyyid Hâchemi, qui était préposé aux mariages.
Entre lui et le grand k’âd’i Ibn ‘Abd er-Refî régnait
une animosité provenant de compétition pour le pre-
mier rang et aggravée par des discussions sur leurs
mérites respectifs à la situation de k’àd’i, si bien que
cela était devenu de l’hostilité. Aboù ‘Ali, consulté
sur la légalité d’un mariage contracté entre tributai-
res et attesté par des musulmans, se prononça pour
l’affirmative, tandis que le grand k’âd’i, qui l’apprit,
décida la négative; mais Aboù ‘Ali envoya aux té-
moins instrumentaires de Tunis l’ordre de donner
leur attestation dans les cas de ce genre, en même
temps qu’il rédigeait un traité concernant la validité
des jugements à prononcer entre tributaires et des
attestations à fournir contre eux, ainsi que de leur
mariage, sous le titre Idrâk eç-çawâb fi ankiKal ahl el-
kitâb. De son côté le grand k’âd’i rédigea un traité
pour soutenir son opinion. Ibn ‘Arafa raconte avoir

 

– 103 —

dit un jour à Ibn ‘Abd es-Selàm, qui a rapporté ces
faits : « Et quelle est ton opinion ? — Je tiens pour
la négative, car [les tributaires] n’observent pas [la
loi musulmane] dans leurs mariages. » — « Pour moi,
disait Ibn ‘Arafa, je tiens la chose pour permise, car
nous ne les poursuivons pas à raison de faits per-
mis par la loi et nous ne sommes pas lésés par leurs
manières d’agir différentes. » Tel est le récit que fait
Es-Selâwi.’

En 732 (4 oct. 1331), l’émîr ‘Abd el-Wâh’id, fils
du sultan Aboû Yah’ya Zakariyyâ ben el-Lih’yâni et
frère d’Aboû D’arba, entra à Tunis et s’en empara,
avec laide des Debbâb et d’Ibn Mekki. Il était re-
venu d’Orient après la mort de son père, et son
nom ayant commencé à se répandre chez les diver-
ses populations, H’amza ben ‘Omar profita de la cir-
constance que les troupes d’Ifrîkiyya étaient occu-
pées contre Bougie pour appeler ce prince et lui prê-
ter serment de fidélité ; puis il Temmena à Tunis,
où ‘Abd el-Wâh’id s’installa avec son chambellan
[‘Abd el-Melik] ben Mekki. Mais cette nouvelle par-
vint au sultan, qui était alors près de Mesîla et qui
venait de détruire le fort des Benoû ‘Abd el-Wâh’id
élevé contre [P. 57] Bougie ; il retourna vers la ca-
pitale en se faisant précéder d’une avant-garde com-
posée, de guerriers choisis et commandée par l’un
de ses intimes, Moh’ammed Bat’erni (1). Ibn Lih’yâ-
ni et les siens s’empressèrent de quitter Tunis quin-
ze jours après s’y être installés, et Bat’erni y fit son
entrée, suivi bientôt par le sultan, qui arriva pen-

(1) Cette leoture est celle d’A B G D ; dans Ibn Khaldoûn (ii, 476 ;
d. m, 409), Bot’oui v^jV •

 

– iOi –

dant les fêtes de la Rupture du jeûne de 732, et à

qui Ton prêta pour la septième fois le serment de

fidélité. Ainsi qu’on Ta dit :

[T*awll] L’endroit où elle jette son bâton marque sa de-
meure, de même que le voyageur|â,sonîretour s’installe auprès
d’une source (1).

Le jeudi 13 rebf I 733, on se saisit à Tunis de
Molî’ammed ben Aboù M-H’oseyn ben Seyyid en-
Nàs, qui fut mis à mort, après quoi son cadavre fut
crucifié et livré au feu ; mais de ses richesses rien
ne fut mis au jour. On dit qu’il dut cette fin à des
imprudences de langage transformées par le soup-
çon en trahison. Ce fut Moh’ammed ben el-H’akîm
qui présida à son supplice (2). D’après Ibn el-Khat’îb,
le feu respecta complètement sa main droite, qui fut
à plusieurs reprises rejetée dans le brasier, mais
toujours sans succès ; c’est un fait absolument au-
thentique, que Ton explique ou par les aumônes
qu’elle avait répandues ou par ce qu’elle avait écrit
de choses conciliant la faveur divine. Il fut remplacé
dans ses fonctions de chambellan par le secrétaire
Aboù M-K’âsim ben ‘Abd el-‘Azîz Ghassâni.

En ramad’ân 733 (mai-juin 1333), mourut le sa-
vant cheykh et juriste Aboû Ish’âk’ ben ‘Abd er-
Refî, grand k’âd’i de Tunis et appartenant à une des
bonnes familles de cette ville. Il fut enterré dans un
édifice qu’il avait destiné à cet usage, près de la grande
mosquée du palais supérieur, et en face duquel il
avait installé une école à l’usage des enfants. Né en
rebi’ I 637, il vécut 95 ans, dont il passa trente
comme k’âd’i soit à Teboursouk soit à Gabès ; il fut

(1) La mesure exige la lecture ^A^Uli qui est celle d’A B G,

(2) Berbères, ii, 478 et 480.

 

— 105 —

ensuite promu en la même qualité à Tunis ; il oc-
cupa cette charge à cinq reprises, la première fois en
djomâda I 699. Il était versé dans les contrats et les
jugements, rendait des décisions pénétrantes, ne se
laissait pas influencer par les princes, était sévère et
d’une réputation intacte. Parmi ses ouvrages figurent
le ^loufîd elh’okkâm, le Er-Redd ‘akC ‘l-motanaççer (1),
Vlkhtiçâr adjwibaù Ibn Rochd, les Réponses à des ques-
tions colligées par le k’âd’i Aboù Bekr T’ort’ouchi.
Celui qui lui succéda comme grand k’àd’i fut son
suppléant, le juriste Aboû ‘Ali ‘Omar ben K’addâh’
Haww^âri, mufti bien au courant des décisions du
rite malékite et versé dans la science des oçoûL II
avait été deux fois k’âd’i des mariages [P. 58] à Tu-
nis et avait professé à la Ghemmâ’iyya. Il ne resta
pas en charge longtemps, car il mourut en 734 (H
sept. 13:^3). « Je tiens d’un homme sûr, raconte Ibn
‘Arafa, qu’après la mort à Tunis du k’âd’i Ibn K’ad-
dâh’, on s’entretint dans l’entourage du sultan Aboù
Yah’ya de cette charge de k’âd’i, et quelqu’un pro-
nonça le nom du cheykh Ibn ‘Abd es-Selàm ; mais
l’un des grands objectant que sa raideur le leur ren-
drait insupportable, on convint de le mettre à l’é-
preuve. On aposta pour le sonder un Almohade de
ses voisins nommé Ibn Ibrahim : « Ces gens, lui dit-
il, s’opposent à ta nomination parce que tes déci-
sions sont trop sévères. — Je sais, répondit le sa-
vant, qu’il y a des coutumes et je les appliquerai » (1).
Ce fut ainsi que, nommé en 734, il resta eu place

(1) c m j.^^1 .

(2) ^-jiU^fj jJi^’ , ^ »ci w| pourrait signifier aussi « je sais
qu’il est d’usage de faire certains dons, et je m’y conformerai ».

 

— 106 —

jusqu’à ce qu’il mourut en 749, ainsi qu’il sera dit.
Le cheykh Berzeli, après avoir rapporté cette anec-
dote dans son livre, dit que ce savant ne parla peut-
être ainsi que par la crainte de voir nommer quel-
qu’un qui aurait pu ne pas convenir pour l’une ou
l’autre raison, et que sa réponse écarta ce péril.

Ibn ‘Abd es-Selâm était une tête de colonne de la
science et parvint au degré de respect dont il était
digne. Il a commenté Ibn el-H’àdjib dans un traité
célèbre en comparaison duquel tout autre commen-
taire joue le rôle du sourcil par rapport à Toeil (1). Il
était à la fois k’âd’i, prédicateur, professeur et mufti.
Il enseignait à la Chemmè’iyya, et la sœur du sul-
tan Aboù Yah’ya ayant construit le collège ‘Onk’ el-
Djemel obtint de son frère l’autorisation pour le grand
k’âd’i Ibn ‘Abd es-Selâm de professer dans cet éta-
blissement, de sorte que le vendredi le savant se
partageait entre les deux collèges. Mais ensuite la
princesse alléguant la négligence (du savant), le rem-
plaça par le juriste Aboù ‘Abd Allah Moh’ammed
ben Selâma.

En 735 (31 août 1334), on acheva la construction
de la tour neuve à Râs et-T’âbiya ; elle coûta 50,000
dinars dont une partie provenant du trésor public
(mal el-‘omoûm).

La même année, le sultan Aboû Yah’ya Aboû Bekr
marcha contre Gafça, dont s’était rendu maître un
des grands de cette ville, Yah’ya ben Moh’ammed
ben ‘Ali ben ^Abd cl-Djelîl ben El-‘âbid Cherîdi. Le
sultan, après l’avoir inutilement assiégée plusieurs
jours, bien qu’il se servît de mangonneaux, com-

(1) Jeu de mots sur le nom du savant, h’ddjib signifiant aussi
BourciU

 

— f07 —

mença à couper les palmiers et à arracher* les arbres
des environs, ce qui força la ville à se rendre ; eUe
obtint d’ailleurs quartier (1). En rebî’ II de cette année,
Ibn ‘Abd el-Djelîl se rendit auprès du sultan, qui le
fit mener [P. 59] à Tunis et l’y installa, lui et d’au-
tres chefs des Benoû ‘l-‘Abid. Le reste se réfugia
auprès d’Ibn Mekki à Gabès. Les habitants de la
ville se soumirent au sultan, qui se montra très in-
dulgent pour eux et leur fit la faveur de les confier
au gouvernement de son fils Aboû ‘l-‘Abbâs Ah’med,
à qui il les recommanda, et qu’il nomma également
gouverneur de Constantine et de son territoire, en
lui donnant pour chambellan Aboû ‘l-K’âsim ben
‘Ottoù (2), l’un des cheykhs almohades. Lui-môme
regagna ensuite sa capitale, où il rentra en ramad’ân
de la même année.

Ensuite il donna le gouvernement de Sousse et du
littoral, avec résidence en cette ville, à ses deux fils
Aboû Paris ‘Azzoûz et Aboû ‘1-Bak’è Khâlid, en
leur assignant comme chambellan Moh’ammed ben
T’èhir. Mais celui-ci mourut bientôt, et le sultan
rappela de Bougie Moh’ammed ben Farh’oûn, car il
avait confiance en son fils [Aboû Zakariyyâ] et dans
le choix qu’il pourrait faire d’un chambellan. En

(1) Le nom du personnage qui s’empard de Gafça est défiguré
dans A B C» où u parait être Kheyr ben Medyen ben ‘AU. —

\9j\j&k> J-^^M»! ^traduit à la page préc, 1. 5 ad/., par c dont «’étail

rendu maître ») est la leçon de B G D (A lit ^j^^, ) et du passage
correspondant dans Véd. de Boulak d’Ibn Khaldoûu ; M. de Slane

a imprimé dans son édition (i, 530, 1. 5; Wjjijk) ; cf. Supplément

de Dozy, s. v. y^ ; Hariri> p. 264.

<S) B seul lit ‘Ottoû, comme Ibn Khaldoûn (in, 3) ; les autres écrl-
rent ‘Obboû, et ce nom revient plus loin, tantôt sous l’une dé ces
formas, tantôt iottt l’autre.

 

— 108 —

735 il envoya donc Ibn Farh*oùn pour servir de
chambellan aux deux princes, trop jeunes encore
[pour n’èlre pas inexpérimentés]. Mais ce ministre
fut ensuite rappelé par Aboû Zakariyyâ b Bougie.

Ces deux princes restèrent à Sousse jusqu’à la
disgrâce dont le sultan frappa son général Moh’am-
med ben el-H’akîm (1). Il enleva alors le gouverne-
ment de Mehdiyya à Moh’ammed ben ed-Dekdâk (2)
qui y avait été nommé par son parent Ibn el-H’akîm
quand celui-ci Tavait reconquise sur Ibn ‘Abd el-
Ghaffâr, ainsi qu’il sera dit. L’ancien ministre, qui
avait voulu s’en faire un lieu de retraite, y avait
nommé son parent et y avait formé un dépôt d’ar-
mes et de vivres, mais ces précautions ne lui servi-
rent de rien. Le sultan alors nomma son fils Aboû
‘l-Bak’â Khâlid à Mehdiyya, et Aboû Fâris resta seul
gouverneur de Sousse. On verra plus loin la suite
de leur histoire.

Vers le milieu de 735 (!•” sept. 1334), le sultan
mérinide Aboû ‘1-H’asan marcha de Fez contre
Tlemcen pour venger son allié Aboû Yah’ya Aboû
Bekr et punir Aboû Tâchefîn (3). Il conquit cette
ville de vive force le 27 râmad’ân 737 ; dans la cour
même du palais, Aboû Tâchefîn accompagné de ses
fidèles lutta courageusement et vit tuer ses deux fils
‘Othmân et Mas’oûd, son vizir Moûsa ben ‘Ali et
plusieurs de ses principaux compagnons ; criblé
de blessures et incapable de combattre plus long-
temps, il fut fait prisonnier, et comme on le condui-

(1) B D lisent, à tort, ben *Abd el-H’akim.

(3) Ce nom est ainsi orthographié dans A B G D ; dans les Berbè”
res du, ivi, ben er-Rekràk. et dans l’éd. de Boulak d; ben ez-
Zekz&k.

(3) A B D Ibn Tàohefiin ; G T&chefin ; voir les Berbères, zu, 411.

 

— 109 —

sait au sultan, le fils de celui-ci, ‘Abd er-Rah*mân
bail Aboû ‘1-H*asan, le rencontra et lui fit trancher la
tête. Ibn Tâferâdjîn, qui était arrivé en qualité d’am-
bassadeur du sultan Aboû Yah*ya pour renouveler
le traité, fut témoin de cette bataille et chargé par le
sultan [P. 60] Aboû ‘1-H*asan de porter à son maî-
tre le récit de cet heureux événement. Il rentra à
Tunis dix-sept jours après la bataille et remplit de
joie le cœur d’Aboû Yah’ya Aboû Bekr, qui se voyait
vengé par cette victoire et par la mort de son en-
nemi. On dit que dans cet assaut de Tlemcen 80,000
morts, tant d’un parti que de l’autre^ restèrent sur
le terrain.

Le 20 djomâda II 736, mourut à Tunis le juriste
et h’dfiz’ Aboû ‘Abd Allah Moh’ammed ben ‘Abd
Allah ben Râchid Bekri Gafçi, commentateur d’Ibn
el-H*âdjib. Il était originaire de Gafça et y fut élevé ;
il y commença ses études, puis alla à Tunis suivre
les leçons d’Ibn el-Ghammâz ; de là il se rendit en
Orient, où il rencontra des maîtres distingués, tels
que Nâçir ed-Dîn ben el-Mounîr Abyôri, Chihâb ed-
Dîn K’arâfl, Tak’i ed-Dîn ben Dakik’ el-‘Id, Chems
ed-Dîn Içfahâni, etc. ; il acquit ainsi de profondes
connaissances dans les sciences de raisonnement, et
accomplit aussi le pèlerinage ainsi que la visite
aux lieux saints. A son retour d’Orient il devint
k’âd’i à Gafça ; mais poursuivi par l’envie et en
proie à des critiques méchantes, il subit maintes
traverses, et devint k’âd’i dans Tlle méridionale (1);
ensuite il fut destitué et vécut dans l’obscurité.
Le k’âd’i Aboû Ish’âk’ ben ‘Abd er-Refî’ le pour-

(1) Ce nom revient encore plus loin ; je suppose qu’il désigne l’ile
de PJerba^ mais je n’ai pas retrouvé cette dénomination ailleurs.

 

— no —

suivait de sa haine et ne le laissait percer nulle
part, à tel point qu’il rem|>êcha de faire des sermons
moraux dans la grande mosquée du Palais supé-
rieur, le menaçant, s’il y pénétrait, de lui casser les
jambes. « Je voudrais, » disait Ibn Ràchid, « avoir
avec lui une séance de controverse pour montrer où
est la vérité et faire voir lequel de nous deux en sait
le plus ! ») Parmi ses ouvrages on comple le Talkhtç
el’mah’çoûl, la Nokhbat er-rdh’il fi charh* el’h’âçil, le El-
fd’ik’ f% HaWkàm wa’lweihd’ik’, en huit volumes, le
Ech’chihdb ei-thdkib fi charh’ Ibn elh’ddjib, en huit vo-
lumes, le El’tntdheb fi d’abC mesd’il el-medheb, en six
volumes, la Toh’fai el-lebib fi ‘khiiçdr Ibn el-khai’ib, en
quatre volumes, les El-medhâhib es-sonniyya fi Hlm tU
‘arabiyya, la El-martabat el-‘olyd fi tefsir erroûyd, etc..
« J’assistais, » raconte Ibn ‘Arafa, « à ses funérail-
les, et le destin voulut que le juriste Ibn el-H’abbôb
se trouvât dans le cimetière appuyé contre la mu-
raille d’un cimetière voisin, de l’autre côté de laquelle
s’appuyaient aussi le k’âd’i Ibn ‘Abd es-Selâm et le
mufti Ibn Hâroûn. Ibn el-H’abbâb. entama l’éloge
d’Ibn Râchid et vanta ses mérites et sa science
comme il convenait, puis ajouta: « Il suffit à son mé-
rite d’avoir le premier commenté le Djdmf el-ommahdt
[P. 61J d’Ibn el-H’âdjib ; mais ensuite ces voleurs, »
— en désignant ceux à qui il tournait le dos, —
« sont venus, et chacun d’eux, voulant à son tour
faire un commentaire, a pillé le défunt sans qui ni l’un
ni l’autre n’auraient su par où passer ni où aller. »

Le 29 djomâda II 737, mourut à Tunis le juriste
et chroniqueur Aboû Moh’ammed ‘Abd Alléh ben
Moh’ammed ben Aboû ‘l-K’âsim ben ‘Ali ben ‘Abd
el-Berr Tenoûkhi, qui était imâm au Djàmi’ Zîtoùna

 

– iii —

et prédicateur à la grande mosquée de la K’açba.
C’était un homme juste et de conduite droite, qui
s’appliqua à Thistoire et aux récits : il résuma le
Supplément de Sam’âni, condensa la chronique de
Gharnât’i et rédigea, dans la nianière de celles de
T’abari, des annales qui sont très bien faites et qui,
en six volumes, vont, année par année, de la mission
de Mahomet jusqu’au temps où vivait Tauteur. Il se
tenait pour lire (riwâya) les Séances de H’arîri dans
la douera du Djàmi’ ez-Zîtoùna. C’est de cet exemple
que s’autorisa Ibn ‘Arafa, ainsi qu’il le raconte dans
son Résumé juridique, pour faire de même, d’autant
plus que les Séances renferment plus d’un passage
blâmable. Voici ce que raconte Aboû Moh’ammed
‘Abd el-Wâh’id Gharyâni : « Quand le k’âd’i ‘Isa
Ghobrîni succéda à Ibn ‘Arafa dans les fonctions
d’imam du Djami’ ez-Zîtoùna, il me demanda si je
savais sur quoi reposait l’habitude de frapper le heur-
toir (j^ ^^1 ïjlaJI ) de la douera de la mosquée pour
annoncer le début (ik’dma) de la prière : « Mon père,
lui dis-je, m’a dit tenir du dit ‘Abd Allah ben ‘Abd
el-Berr son maître que le plus souvent celui-ci,
quand il venait à la mosquée, s’asseyait près d’une
étable qui fait face à la porte des funérailles, et dès
que le moueddhin Vy voyait il annonçait le début de
la prière ; plus rarement, si par exemple il avait
quelque livre à expliquer, il s’asseyait dans la douera,
de sorte qu’alors le moueddhin pouvait ignorer sa pré-
sence. C’est pourquoi tu vois les serviteurs attachés
à la mosquée frapper le heurtoir pour annoncer la
présence de l’imâm, mais cela ne se fait qu’exception-
nellement, et non régulièrement. » Il jugea mon ex-
plication bonne et pensa qu’il fallait supprimer cette

 

– in –

pratique, ajoutant qu’il n’avait pas jusque là vu le
moyen de le faire. Les choses restèrent en l’état jus-
qu’à sa mort, mais Aboù ‘1-K’âsim Berzeli, qui lui
succéda comme imâm de la mosquée, rétablit le
[frappement du] heurtoir pour imiter la manière de
faire de son maitre Ibn ‘Arafa. Depuis qu’il est mort,
les imâms de notre temps ont les uns respecté cet
usage, par exemple Aboù ‘1-H’asan ben Moh’ammed
Lihyôni, les autres non. »

En 738 (30 juil. 1337), le général Makhloûf ben el-
Kemmâd s’empara à la suite d’un siège très rigou-
reux de K’achlîl, dans l’île de Djerba, et l’enleva
ainsi aux chrétiens.

En 739 (20 juil. 1338), [P. 62J Moh’ammed ben el-
H’akim (1) s’empara de Mehdiyya sur Ibn ‘Abd el-
Ghaffâr (2), qui s’y était installé depuis plusieurs
années.

Le mercredi 15 dhoû ‘Hi’iddja de la dite année,
mourut à Constantine le prince de cette ville l’émîr
Aboû ‘Abd Allah Moh’ammed, fils du sultan Aboû
Yah’ya Aboû Bekr, d’une maladie qui lui coupa
l’appétit. Il avail près de trente ans et laissait sept
enfants mâles. L’un d’eux, Aboù ‘l-‘Abbâs Ah’med,
qui n’avait que onze ans, alla trouver son grand
père le khalife et sultan Aboû Yah’ya, et lui demanda
de leur accorder, à lui et à ses frères, Constantine ;
ce prince lui fit très bon accueil, invoqua sur lui les
bénédictions du ciel et, se rendant à son désir, nom-
ma l’aîné des frères, Aboù Zeyd ‘Abd er-Rah’mân,
successeur de son père, mais en lui donnant comme

 

(1) B C D, ben ‘Abd eKH’akim

(2) A D. ‘Abd el-Ghaffâr.

 

— ii3 –

surveillant, à cause de sou jeune âge, l’affranchi Ne-
bîl ; le khalife d’ailleurs ne cessa de se tenir au cou-
rant de ce qui les concernait.

Le juriste et k’àd’i Aboû ‘l-‘Abbâs Ah’nied ben
Moh’ammed a rapporté du glorieux émîr Aboû ‘Abd
Allah Moh’ammed, fils du khalife Aboû Yah’ya, deux
vers blâmant le vin dans les termes que voici :

[Kàmil]. Déjà chez un page le vin ne peut être qu’une chose
suspecte, mais chez un grand, c’est la fin de tout. 11 fait à pre-
mière vue soupçonner l’intelligence d’un homme, et veuille Dieu
le maudire à jamais ! (1)

Dans la nuit du 25 au 26 ramad’ân 740, mourut le
vertueux cheykh Aboû ‘Abd Allah Moh’ammed, fils
du vertueux cheykh Aboû ‘Ali H’asan K’orachi Zo-
beydi.

En 741 (27 juin 1340), eut lieu la honteuse défaite
infligée aux musulmans par les chrétiens (2) : le camp
du sultan mérinide Aboû ‘l-H’asan fut enlevé avec
tout ce qu’il renfermait, les femmes mêmes eurent à
se défendre contre les assaillants et furent massa-
crées, puis les chrétiens pénétrant jusqu’aux femmes
du prince tuèrent et dépouillèrent entre autres ‘A’i-
cha, fille de son oncle Aboû Yah’ya ben Ya’k’oûb,
et Fât’ima, tille du sultan Aboû Yah’va Aboû Bekr.

La nuit du jeudi 5 djomàda I 742, mourut le ver-
tueux cheykh et imàm Aboû ‘1-H’asan ‘Ali ben Mon-
taçir Çadafi, qui fut enterré au Djebel el-Djellàz. Sur
cet homme de bien et de science, l’autorité d’un
prince ne pouvait rien, et l’accomplissement de ses

(1) Lisez o^îtIj *^®c a B g au second hémistiche; B, au Iroi-

*•

sième hémistiche, lit ^j^ .

(2) U s’agit de la victoire remportée à Tarifa par les Espagnols
(Berbères, iv, 233; .

 

– H4-

devoire envers Dieu était à l’abri de tout reproche.
Voici en quels ternies il écrivit au k’âd’i Ibn ‘Abd
es-Selàni : « Plût à Dieu, ô Moh’ammed, que ta
mère ne t’eût pas enfanté ! qu’une fois né [P. 63] tu
n’eusses pas parlé ! que parlant tu n’eusses rien ap-
pris I » — Comoie il assistait un jour au prélève-
ment des droits de marché (maks), il écrivit sur une
feuille de papier : « Que celui qui se nourrit du pro-
duit des droits de marché réfléchisse à ce que sera
sa fin ! » Puis il la plia et Tenvoya au khalife, qui la
lut et qui, après avoir demandé ce que cela voulait
dire, fit abolir cet impôt (1). — Ayant appris qu’une
femme roûmi était arrivée à un haut rang à la cour (2)
et était recherchée en mariage par un émîr, il écrivit
au khalife : « J’ai appris ce qui se passe. Si vous
avez voulu fortifier l’islam, c’est bien ; sinon nous
quitterons les lieux où vous commandez, car c’est
apostasier que de faire pareille chose et d’en protéger
l’auteur. » Alors, dit le cheykh Bat’erni^ le khalife
fit dire sur le champ au k’âd’i Ibn ‘Abd es-Selâm :
« Tu vas sans désemparer prononcer la décision
conforme à la loi. Jamais je n’ai entendu pareille
chose ! » Il fit en même temps comparaître cette
femme par devant le k’âd’i, qui prononça contre elle.
— En 699, il accomplit le pèlerinage de compagnie
avec le cheykh Ibn Djemâ’a. — D’après le récit qu’il
en a fait lui-même, il eut un songe où il entendit que
dans une réunion on faisait une proclamation à son

 

(1) L’établissement de tout impôt autre que ceux qu*a prévus la loi
religieu5e est réprouvé par les croyants orthodoxes.

(2) ^” wW”‘ «J vJl^*b ‘ c*est-à- dire probablement en qua-
lité de concubine du prince.

 

-• 116 –

sujet disant « un tel est le mandataire vertueux et
craignant Dieu, » et en se réveillant il pensa qu’il
s’agissait d’une situation de témoin instrumentaire
(adel). En efifel, Ibn ‘Abd er-Refî’ le nomma en celte
qualité à Tunis ; mais le saint homme ne se faisait
pas payer pour cela et se bornait à recevoir des au-
mônes et une part de zekât. — Le cheykh !bn ‘Arafa
rapporte qu’il lui a entendu dire : « Le prophète
Khid’r (sur qui soit le salut !) vient chaque jour s’as-
seoir dans la mak’çoûra orientale du Djâmi’ ez-Zîtoûna
dès le début de l’appel à la prière du z’ohr et ne sort
que quand de nombreux fidèles sont réunis. » En
d’autres termes, il vit Khid’r maintes et maintes
fois.

En 742 (17 juin 1341), fut achevée la construction
du collège ‘Onk’ el-Djernel.

Au début de Tannée 744 (26 mai 1343), mourut le
chambellan Aboû ‘1-K’âsim ben ‘Abd el-‘Azîz Ghas-
sâni, à qui le sultan donna comme successeur le
cheykh de la capitale [grand cheykh des Almohades]
Aboû Moh’ammed ‘Abd Allah ben Tèferâdjîn.

En 745 (15 mai 1344), le sultan Aboû Yah’ya Aboû
Bekr marcha sur Tawzer, où il pénétra ; il pardonna
au cheykh de celte ville Aboû Bekr ben Yemloûl, et
il en confia l’administration à son propre fils, l’émîr
Aboû ‘l-‘Abbâs Ah’med, gouverneur de Gafça. Après
avoir procédé à son installation et lui avoir donné
pleins pouvoirs, il put, consolidé par ce succès, re-
gagner sa capitale.

En çafar 745, mourut au Kaire le cheykh,
imam, h’àfiz’, grammairien et exégète Athîr ed-Dîn
Aboû Yah’ya Moh’ammed ben Yoûsof ben ‘Ali ben
H’ayyôn Andalosi, qui était l’un des principaux sa-

 

— 116 –

vanls versés dans l’exégèse koranique et la couoais-
sance de la langue arabe. Il quitta l’Espagne pour
aller se fixer en Egypte, où il se livra à l’enseigne-
ment, [P. 64] mais où il apprit aussi ; il embrassa
le rite chârfite et composa sur diverses sciences plus
de cinquante ouvrages, parmi lesquels le ElBah’r el-
moh’W fî tefsir el K’or’dn, dont Eç-Çfâk’osi a extrait
ce qui touche à la syntaxe désinentielle. Il avait du
talent pour écrire en vers ainsi qu’en prose. Voici
des vers de lui :

[T’awtl]. Mes ennemis sont pour moi de généreux bienfai-
teurs ; veuille le Dieu clément ne pas me priver d’eux ! Leur
lèle à chercher mes défaillances me les a fait éviier, leur envie
m*a fait grimper aux sommets.

Et encore :

[Basil*]. N’attends, homme sensé, rien de bon de personne,
car le mal est inné el le bien n’est qu’un accident ; ne t’imagine
pas qu’on te fasse du bien pour toi-même, car il y a toujours
une arrière- pensée mauvaise (1).

Le jour de Mina 746, Aboû Yah’ya Aboû Bekr
reçut Aboû ‘l-Fad’l ben ‘Abd Allah ben Aboû Me-
dyen, secrétaire du sultan mérinide Aboû ‘1-H’asan,
Aboû ‘Abd Allôh Moh’ammed ben Soleymân Sat’i,
juriste chargé des feiwas à la cour de ce prince, et
l’affranchi ‘Anber Teunuque, envoyés par leur maître
pour demander la main de la fille du sultan Aboû
Yah’ya pour Témir mérinide Aboû ‘1-H’asan et rem-
placer ainsi Fût’ima, la sœur de cette princesse qui
avait péri dans l’affaire de Tarifa.

Au commencement de 747 (24 avr. 1346), le vizir
Aboû ‘l-‘Abbâs ben Tâferâdjîn se mit à la tête d’un
corps d’armée pour percevoir l’impôt chez les Haw-

(l) A et B présentent plusieurs variantes.

 

– 117 —

wâra, mais il fut attaqué par Soh’aym, des Awlôd
el-K’oûs, qui commença par le poursuivre de très
près, pour ensuite tomber au bon moment sur lui avec
tous les siens. Les troupes d*Ibn Tâferâdjîn se dis-
persèrent, et ce chef lui-même, à la suite d’une chute
de son cheval, fut tué ; on put cependant rapporter
son corps à Tunis pour l’y inhumer (1).

Le dimanche M rebî’ I de la dite année, mourut à
Bougie, dont il était gouverneur, l’émîr Aboû Zaka-
riyyâ, fils du sultan Aboû Yah’ya, laissant son fils
Aboû ‘Abd Allah Moh’ammed sous la tutelle de son
affranchi Fârih’, renégat qui avait autrefois appartenu
à Ibn Seyyid en-Nâs (2). Mais pendant que Fârih’
restait auprès du fils de son patron en attendant les
ordres du sultan, l’ancien chambellan Aboû ‘1-K’âsim
ben ‘Alennâs courut annoncer à la cour ce qui se
passait, et le sultan attribua le gouvernement de
Bougie à Aboû H’afç, l’un de ses fils cadets alors à
Tunis, et l’envova dans sa nouvelle résidence avec
ses officiers et ses intimes, en outre d’Aboû ‘1-K’â-
sim ben ^Alennâs. Arrivé à Bougie à l’improviste,
Aboû H’afç écouta les avis de quelques drôles de
son entourage immédiat et déploya beaucoup de
cruauté et de violence. Ces procédés effrayèrent le
peuple, qui d’un commun accord souleva peu de
jours après un tumulte [P. 65] où tout le monde
courut aux armes : on assiégea le nouveau venu

(I) Cf. Berbères, m, 19.

(2; ABC, ^y^Xi ^y^’ (^ \ corrigez D, d après Ibn Khaldoûn

(texte, I, 544 ^ en ^’ ^^ç^^r^ {^ • Tout ce paragraphe, depuis le

dimanche jusqu*à oouoernement de Bougie, se retrouve textuelle-
ment dans les Berbères, pp. 544 et 645 du texte arabe, tome i.

 

– 118 –

dans la K’açba, où il s’était réfugié, aux cris de:
« Vive rémîr, fils de notre ancien maître ! » Puis ou
en escalada les murailles, on envahie la demeure
d’Aboû H’afç, et on l’en expulsa, après avoir livré
au pillage tout ce qui lui appartenait. La foule se
précipita ensuite à la demeure de Témîr Aboû ‘Abd
Allah Moh’ammed, fils de Tancien gouverneur, qui
se préparait à aller rejoindre son grand’père le kha-
life à la suite de la permission que lui en avait don-
née son oncle ; il fut proclamé gouverneur dans la
maison même qu’il habitait en ville et conduit le len-
demain au palais de la K’açba, où on lui remit le
pouvoir. L’affranchi Fârih’ prit alors la direction des
affaires avec le titre de chambellan, et la situation
resta établie sur ce pied. Quant à Aboû H’afç, il
rentra dans la capitale à la tin de djomâda I, c’est-à-
dire un mois après sa nomination au gouvernement
de Bougie.

Le sultan envoya aux Bougioles le cheykh almo-
hade Aboû ‘Abd Allah ben Soleymàn, que Ton comptait
parmi les gens d’une vertu exceptionnelle, et qui avait
pour mission de régler la situation et de calmer les
esprits ; en même temps que lui il envoya un acte
nommant comme gouverneur son petit-fils le dit
Moh’ammed, de sorte que tout fut réglé à la satis-
faction des habitants.

En rebi’ I 747 (juin-juillet 1346), fut dressé l’acte
par lequel Aboû ‘1-H’asan le Mérinide constituait la
dot de la princesse ‘Azzoùna, fille d’Aboù Yah’ya
Aboû Bekr : elle se composait de 15,000 dinars en
monnaie d’or et en deux cents esclaves noirs. La
fiancée se rendit par terre au Maghreb et partit en
djomâda II de cette année de compagnie avec son
frère germain l’émîr El-Fad’l, gouverneur de Bône.

 

– H9 —

La nuit du (mardi au) mercredi 2 redjeb de la dite
année, mourut à Tunis le sultan et khalife Aboû
Yah’ya Aboû Bekr : il était âgé de 55 ans moins un
mois et fut enterré dans la K*açba dans le mausolée
de son aïeul le cheykh Aboû Moh’ammed ‘Abd el-
Wâh’id. Le récit bien connu de sa mort est ainsi
fait dans le livre d*[bn el-Khât’îb : Le sultan était en
partie de plaisir dans son grand jardin quand il re-
çut, selon l’usage (1) de la cour, Tavis écrit de l’ap-
parition du croissant de redjeb : « Il n’y a, » répéta-
t-il à deux reprises, » de Dieu qu’Allah ; voilà redjeb
qui commence ! » Alors il se leva, se purifia et fit
un acte de sincère contrition, puis il parcourut les
marchés à cheval et en montrant son visage, tandis
qu'(ordinairement) il se laissait peu voir, et distribua
de nombreuses aumônes. Mais alors une démangeai-
son à l’épaule lui étant survenue, une de ses sœurs
par qui il se fît examiner y reconnut un bouton de
rougeole; l’inflammation se développa et amena la
fièvre, au cours de laquelle le prince s’occupa jus-
qu’à ses derniers moments des soins de son inhu-
mation et du cortège funèbre. — D’après ce que
rapporte Ibn Khaldoûn dans le Terdjomân el-iber,
il mourut subitement la nuit du 2 redjeb ;
tous les habitants sortirent de leurs lits et se préci-
pitèrent pour avoir des nouvelles du côté du palais,
[P. 66] autour duquel ils rôdèrent jusqu’au matin,
on les aurait dit iores, mais ils ne Vêtaient pas
(Koran, xxn, 2) ; ce ne fut qu’alors qu’on connut le
dénoûment fatal. Ce prince avait régné à Tunis, de-

 

(1) A B et K’ayrawàni (texte» p. 186) lisent iUaS ï^U . – U s’agit
du parc d’Aboû Fehr, d’après ce dernier aatear.

 

– lîO —

puis son premier avènement, vingt-neuf ans dix mois
et vingt-cinq jours, et il mourut à cinquante-cinq
ans moins un mois.

Il eut pour successeur son fils Témtr Aboû H’afç
‘Omar ben Aboù Yah’ya Aboù Bekr ben Aboû Za-
kariyyà ben Aboû Ish’àk’ Ibrahim ben Aboû Zaka-
riyyâ Yah’ya ben Aboû Moh’ammed ‘Abd el-Wâh’id
ben Aboû H’afç. Le nouveau prince était né d’une
concubine nommée H’abbàb le samedi 15 djomâda I
723, et fut proclamé khalife le mercredi 2 redjeb 747
(20 oct. 1346). En effet, sitôt que son père fut mort,
il prit possession du palais, dont il fit garder toutes les
issues, et faisant appeler le k’âd’i Ibn ‘Abd es-Selàm
et le k’âd’i des mariages El-Adjemi (1), il leur dit de lui
prêter serment de fidélité ( ^^tS’ ). « Mais, » objec-
tèrent-ils, « nous avons donné notre témoignage que
ton frère Ah’med, gouverneur de Gafça, était recon-
nu comme héritier présomptif ; rends-nous l’acte qui
en a été dressé, et après l’avoir déchiré, nous attes-
terons que cette qualité t’appartient. » Ibn ‘Arafa ra-
conte ceci : a Toute la population s’était précipitée
dans le grand pavillon, qui était comble. Ibn Tâfe-
râdjîn, après avoir défendu de laisser sortir person-
ne, leva la séance en disant aux deux k’âd’is : « Pour
nous, allons nous occuper de l’enterrement du prin-
ce, et ensuite nous nous retrouverons. » Il fit alors
appeler les chefs Almohades et quelques chefs de la
ville, et il leur présenta l’émîr ‘Omar, à qui ils prê-
tèrent serment. Ni les deux k’âd’is ni leurs compa-
gnons ne se doutaient de rien quand leur attention
fut éveillée par le bruit des tambours, des trompettes

(1) A ^J’^^\ 9 B ^^, C ^j^^^^f D ^js^”^ ‘

 

— iM —

et des acclamations : o C’est, » leur répondit-on, « la
population qui acclame le nouveau sultan *Omar. »
Alors celui-ci appela les deux k’âd’is et leurs com-
pagnons, qui se rendirent compte de la situation et
constatèrent que tout le monde avait prêté le ser-
ment de fidélité. Un acte fut dressé en conséquence,
où il fut déclaré que petits et grands avaient choisi
Témîr ‘Omar à Texclusion de Théritier désigné. Tel
fut le résultat de l’habile manœuvre d’Ibn Tâferâ-
djîn.

Le sultan (sic) Khâlid, fils du prince défunt, qui
était venu de Mehdiyya rendre visite à son père, était
alors au jardin de Ras et-T’àbiya ; il apprit pendant
la nuit ce qui s’était passé et s’enfuit aussitôt avec
un petit nombre de ses serviteurs. Les Awlâd Men-
dîl et les Ko’oûb le suivirent tout comme s’ils étaient
ses partisans, mais le lendemain matin ils s’empa-
rèrent de sa personne et le livrèrent à son frère l’é-
mîr Aboù H’afç. Celui-ci l’emprisonna et affermit
ainsi sur sa tète le pouvoir, qu’il exerça sous le sur-
nom d’En-Nâçir.

[P. 67]. Mais dès que l’émîr Aboù ‘l-‘Abbâs Ah’-
med, gouverneur de Gafça, eut apprit la mort de son
père et l’avènement de son frère, il s’empressa de
marcher sur Tunis à la tète des Arabes ses parti-
sans, et fut rejoint à K’ayrawân par son frère Aboû
Fâris ‘Abd el-‘Azîz, gouverneur du canton de
Sousse, qui reconnut son autorité. De son côté Aboû
H’afç rassembla ses forces, et à la nouvelle lune de
cha’bân il quitta Tunis à la tête de son armée. Le
cheykh Aboû Moh’amroed ben Tâferâdjîn, prévenu
de l’intention qu’avait son maître de lui ôter la vie,
prépara sa fuite, et au moment où les deux armées

 

se trouvèrent en présence il retourna à Tunis en
prétextant quelque affaire, et de là gagna le Maghreb
du côté du gouvernement de Constantine. La nou-
velle de la fuite du chambellan jeta le désordre dans
les troupes d’Aboù H’afç, qui se replia sur Bâdja,
tandis que ses troupes Tabandonnont allaient grossir
celles de son frère Aboù ‘l-‘Abbàs. Celui-ci marcha
sur Tunis, dont il prit possession et où le serment
de fidélité lui fut prêté le samedi 9 ramad’àn de la
dite année ; il était alors campé dans le jardin de
Rôs et-T’àbiya. Fils d’une concubine d’origine chré-
tienne nommée Sa’d es-So’oûd, le nouveau souve-
rain prit le surnom d’El-Mo’tamid ‘ala’llâh ; il rendit
à la liberté son frère Khàlid et s’installa au palais
sept jours après avoir pris possession de la ville.
Mais alors Aboû H’afç ‘Omar quitta Bâdja et se pré-
senta devant Tunis le samedi matin 16 ramad’ân : il
posta ses cavaliers et ses fantassins devant chacune
des portes, dont on brisa les serrures et qu’on ou-
vrit ainsi, grâce à l’appui de la populace. Le soleil
n’était pas bien haut à l’horizon qu’il s’était rendu
maître de la ville : il fit exécuter son frère l’émîr
Ah’med, dont la tète fut (promenée) sur une pique,
et fit couper les mains à ses deux autres frères Khà-
lid et ‘Abd el-‘Azîz (1) : celui-ci mourut sur le champ,
mais celui-là eut à subir en outre l’amputation des
pieds. Ce jour-là on massacra tant dans la ville que
dans le faubourg plus de quatre-vingts guerriers
arabes qui étaient venus à Tunis avec l’émîr Aboû
‘l-‘Abbàs Ah’med, notamment Aboû ‘1-Hawl ben
H’amza ben ‘Omar ben Aboù ‘1-Leyl. Aboû ‘l-‘Abbès

(1) Appelé ‘Azzoûz dans ]«8 Berbères, m, 25 ; êiifirà, pp. 107 et 121.

 

– 123 –

Ah’med disparut ainsi après un règne de sept jours,
et le pouvoir à Tunis se trouva acquis définitivement
à Aboù H’afç ‘Omar. .

Mais alors Témir méiinide Aboû M-Hasan ‘Ali fut
rais au courant de ce qui se passait et de l’exécution
d’Aboù ‘l-‘Abbâs Ah’med, dont il avait su li qualité
d’héritier présomptif par une lettre que lui avait en-
voyée le père de ce prince, lettre en marge de laquelle
il avait lui-même apposé sa signature pour ainsi af-
firmer son adhésion ; ce consentement lui avait été
demandé par le chambellan Aboù ‘1-K’ùsim ben
‘Ottoû lors de son ambassade. Le sultan fut blessé
[P. 68] de la conduite indigne d’Omar à l’égard de
ses frères et du mépris qu’il témoignait pour un acte
auquel lui prince Mérinide avait donné l’appui de sa
signature, et il résolut de marcher contre l’Ifrîk’iyya,
décision que fortifia encore l’arrivée du vizir Ibn Tâ-
ferùdjîn. Quand fut terminée la fête des Victimes de
Tannée 747, il investit son fils Aboù ‘Inan du gou-
vernement du Maghreb moyen, [c’est -à-dire] de Tlem-
cen et de ses dépendances, et lui-même, partant de
la banlieue de cette dernière ville, s’avança en çafar
748 (mai-juin 1347) vers l’Ifrîk’iyya à la tête d’une
formidable armée.

Les fils de H’amza ben ‘Omar ben Aboù ‘1-Leyl,
qui commandaient aux Arabes nomades et qui
étaient les principaux des Ko’oûb, lui envoyèrent
alors leur frère Khâlid pour lui demander de tirer
vengeance de la mort de leui* frère Aboù ‘l-Hawl.
Les habitants des régions extrêmes de l’Ifrîk’iyya
vinrent également lui faire leur soumission, et l’on
vit arriver ensemble à Oran Ibn Mekki, chef de Ga-
bès, Ibn Yemioùl, chef de Tawzer, Ibn el-‘Abid, chef

10

 

— 124 •-

de Gafça, Mawlâhem ben Aboû ‘Inàn, chef d’El-
H’Àrnma, et Ibn el-Khalaf, chef de Neft’a. En même
temps que leur propre soumission, dictée par Taraoup
autant que par la crainte, ils apportèrent celle d’Ibu
Thàbit, chef de Tripoli, que la distance seule avait
empêché de se joindre à eux. Immédiatement après
eux se présenta le chef du Zàb Yoûsof ben Mançoûr
ben Mozni en compagnie des cheykhs des Dawâ-
wida (1) et du chef de ceux-ci Ya’k’oûb ben ‘Ali, qui
rencontrèrent le sultan chez les Benoû ‘1-H’asan
dans le territoire de Bougie. Tous furent honorable-
ment accueillis, reçurent des cadeaux et furent con-
firmés dans leurs gouvernements respectifs ; les ha-
bitants du Djerîd (2) s’en retournèrent accompagnés
d’un corps de troupes confié à Tun des vizirs, Mas’-
oûd ben Ibrâhîm Irsôwi, et qui devait tenir garnison
dans cette région et y prélever les impôts.

A la suite de mouvements du sultan menaçants pour
Bougie, le chef qui commandait dans cette ville,
Témîr Abou ‘Abd Allah Moh’ammed ben Aboû Za-
kariyyâ, vint lui apporter sa soumission : il fut en-
voyé avec ses frères dans le Maghreb, et la ville de
Nedroma lui fut assignée comme résidence. De là le
sultan s’avança vers Constantine, d’où les fils de
l’émîr Aboû ‘Abd Allah Moh’ammed, ayant à leur
tète leur aîné Aboû Zeyd, vinrent aussi se soumettre
au conquérant ; celui-ci accepta leurs offres et les
envoya au Maghreb, en leur assignant la résidence

(1) A B G D, ««^IjjJi , orthographe qu’on retrouve maintes fois.

(2) Cette leçon ^J=r^ parait meilleure que celle d’Ibn Khaldoûn

(zii, ÎS) jS]y^] a Alger n. Ce dernier lit ensuite Imiyàni le nom
écrit ici IrsAwi.

 

— «5 –

d’Oudjda et leur concédant le produit des impôts de
cette ville. A Constantine il installa ses lieutenants
et fonctionnaires, et rendit à la liberté les princes
H’afçides qui y étaient emprisonnés.

Les fils de H’amza ben ‘Omar et les cheykhs de
leur tribu, c’est-à-dire des Ko’oûb, lui apportèrent
alors la nouvelle qu’Aboû H’afç ‘Omar et les Awlôd
Mohalhel venaient de quitter précipitamment Tunis.
Conformément à leur conseil de les attaquer avant
qu’ils pussent se jeter dans le désert, le sultan Aboû
‘1-H’asan lança à leur poursuite une forte troupe
commandée par le vizir H’ammoû ‘Aseri (i) qu’ac-
compagnaient les fils d’Aboû ‘1-Leyl. Il fit également
marcher sur Tunis des troupes que commandait
Yah’ya ben Soleymân, des Benoù ‘Asker, qui était
accompagné d’Ah’med ben Mekki.

[P. 69]. L’armée commandée par H’ammoû attei-
gnit Aboû H’afç et les siens sur le territoire d’El-
H’âmma, dans la région de Gabès, au lieu dit El-
Mobâraka, non loin du Djebel es-Sebà’. La lutte
s’engagea le malin et les fuyards se défendirent quel-
que peu ; mais bientôt ils se débandèrent, et Ton
s’empara de Témîr Aboû ‘Omar et de son affranchi
Z’âfir. H’ammoû, à qui ils furent amenés, les fit
égorger après les avoir tenus emprisonnés jusqu’au
soir, et envoya leurs tètes au sultan Mérinide, qu’il
rejoignit à Bâdja ; quant à la masse, elle s’enfuit à
Gabès. ‘Abd el-Melik ben Mekki s’empara de quel-
ques personnages de la cour, entre autres d’Aboû
‘1-K’âsim ben ‘Ottoû(2), de Çakhr ben Moûsa et d”Ali

 

(1) Ce mot ‘Aseri figure dans D seul ; Ibn KhaMoûa (ui, 29; lit
‘Acheri.

(2) D orthographie ‘Obboà, ainsi qu’il le fait ordinairement.

 

— 126 –

ben Mançoûr, qu’il envoyo au sultan et à qui celui-
ci fit couper les pieds et les mains alternés. L’exé-
cution de rémîr ‘Omar eut lieu le mercredi 17 djo-
môda I 748 ; il avait régné à Tunis dix mois et vingt-
cinq jours, dont sept jours reviennent à son frère
Aboû ‘l-Abbâs Ah’med.

Le souverain de Tunis et de cette région fut à
partir de là le sultan Aboû ‘1-H’asan, fils du sultan
Aboû Sa’îd ‘Othmân ben Aboû Yc^ûsof Ya’k’oûb ben
‘Abd el-H’ak’k’ le Mérinide, qui fit son entrée dans
la capitale le 8 djomâda II 748 en compagnie du
cheykh Aboû Moh’ammed ‘Abd Allôh ben Tôferâ-
djîn, qui lui donna son cheval sellé et bridé et péné-
tra avec lui dans les lieux les plus secrets du palais
et des demeures princières. Ils en firent le tour, puis
pénétrèrent dans les parcs avoisinants, connus sous
le nom de Râs et-T’âbiya, et après une promenade
dans les Jardins, le prince regagna son camp. Il ins-
talla dans la K’açba de Tunis une garnison com-
mandée par Yah’ya ben Soleymân et renvoya ensuite
au Maghreb les gouverneurs de ce pays (qu’il avait
emmenés). Quelque temps après il visita K’ayrawân
et y alla voir les hommes pieux et les savants de la
ville. Il passa ensuite à Sousse et à Mehdiyya et y
examina les souvenirs laissés par les princes Obey-
dites et Çanhàdjites ; il passa par le château d’El-
Djem et les parcs de Monastir, et de là regagna
Tunis à la nouvelle lune de ramad’àn de cette année.

Son autorité étant bien assise en Ifrîk’iyya, il in-
terdit aux Arabes [l’entrée] des villes (1) dont ils

(1) y^*oJ^ ^ V’if^ /*^ ®st Texpression qu’a aussi employée

Ibn KhaldoÛD ; M. de Slane a traduit, peut-être avec raison, « en
leur ôtant les Tilles qu’ils détenaient. . . » (Berbères, m, 31).

 

– m —

étaient devenus les maîtres grâce aux fiefs qui leur
avaient été concédés. Cette mesure irrita les noma-
des, qui cherchèrent les occasions de lui nuire et
qui, au cours d’une incursion tentée par eux dans
les environs de Tunis, enlevèrent des pâturages de
cette région les chameaux de charge du sultan. Ils
en vinrent alors à redouter sa colère, et à la rupture
du jeûne, Khôlid ben H’amza et son frère Ah’med,
des Awlâd Aboû ‘1-Leyl, ainsi que Khalîfa ben ‘Abd
Allah ben Meskin et Khalîfa ben Aboû Zevd ben

m

H’akîm se rendirent auprès du sultan, mais sans
trop compter sur sa bienveillance, et ils poussèrent
par dessous main ^Abd el-Wâh’id ben el-Lih’yôni à
se révolter. [P. 70] Mais le prince, qui apprit ce qui
se tramait, les fit arrêter tous les quatre et les con-
fronta avec ‘Abd el-Wâh’id. Leurs dénégations n’em-
pêchèrent pas leur fourberie d’être reconnue, et le
prince, après leur avoir adressé de vifs reproches,
les retint prisonniers. Il fit aussitôt dresser son camp
sous les murs de la ville avec l’intention d’attaquer
les Arabes ; mais il y eut des retards provenant de
la nécessité de faire la paie et de réunir les vivres
nécessaires (1). Alors les contribules des prisonniers,
apprenant ce qui se passait, allèrent de côté et d’autre
lever des troupes et examinèrent à qui ils pourraient
confier le pouvoir. Or, les Awlôd Mohalhel, qui
étaient leurs égaux et leurs rivaux, ayant conscience
qu’ils devaient renoncer à rentrer en grâce auprès du
sultan, à cause du dévoûment qu^ls avaient mis à

(1) Le texte d’A B G est écourté ; en le rapprochant de celui de D,
de celui des Berbères (texte, i, p. 553, 1. i3;, ainsi que de celui de

l’éd. Boulak ivi, p. 359, 1. 19 , je crois qu’il faut lire Aa. w ^ »XimC j

 

— 128 —

scmtenir le sultan Aboû H’afç ‘Omar, s’étaient en–
foncés dans la région des sables. Ils y furent rejoints
par Felîta (i) ben H*amza, par sa mère et par les
femmes de leur famille, qui, au nom de l’esprit de
corps, réclamèrent leur patronage. Les Awlôd Mo-
holhel y consentirent, et dans une conférence qui eut
lieu à K’ast’îliya, après s’être payé le prix du sang
pour leurs meurtres réciproques, les deux groupes
s’entendirent pour le choix d’un nouveau prince.
Ils emmenèrent de Tawzer, où il était tailleur, Ah’med
ben ‘Othmân, fils d’Aboû Debboùs, le dernier khalife
descendant d”Abd el-Mou’min (2), et lui confièrent
le pouvoir eu se jurant les uns aux autres de se
soutenir jusqu’à la mort.

Le sultan Aboû ‘1-H’asan, qui marcha contre eux,
leur livra bataille au col en deçà de K’ayrawàn, et
ses ennemis battus s’enfuirent en désordre jusqu’à
cette ville. Mais le 2 moh’arrem 749 (2 avril 1348),
ils revinrent décidés à vaincre ou à mourir, et leurs
efforts combinés rompirent les lignes du sultan, dont
l’armée de plus de 30,000 cavaliers ne put empêcher
la mise à sac du camp. Le sultan lui-même put s’en-
fuir avec une poignée d’hommes et se fortifia dans
K’ayrawàn, où il fut serré de très près.

Ibn Tûferàdjîn n’avait pas trouvé auprès du sultan
Aboù ‘I-H’asan la situation dont il avait joui auprès
d’Aboù Yah’ya Aboû Bekr, car le nouveau prince
s’occupait lui-même de gérer les affaires. Le ministre
en conçut du dépit, ce qui permit aux Arabes de
nouer une intrigue avec lui, et pendant le siège ils

(1) A D, ici et plus bas, lisent « K’oteyba ».
(S) Sur ses antécédents, voir Berbères, m, 33.

 

demandèrent qu’il leur fût envoyé pour traiter de
leur soumission. Il se rendit auprès d’eux avec l’au-
torisation du sultan, et ils le nommèrent chambellan
d’Ah’med ben Aboû Debboûs, puis l’envoyèrent com-
battre la garnison de la K’açba de Tunis ; mais ce
fut en vain qu’il l’assiégea et dressa contre elle ses
mangonneaux. Il songea alors à se tirer sain et sauf
du désordre général, mais il apprit bientôt que le
sultan avait pu sortir de K’ayrawân et gagner
Sousse. Grâce en effet h de fortes sommes que ce
prince avait fait promettre par dessous main aux
Awlôd Mohalhel et aux H’akîm, la discorde s’était
mise parmi les Arabes, et Fetîta ben H’amza, sous
prétexte de soumission, était entré à K’ayrawân pour
l’y rencontrer. Le prince l’avait accueilli et avait rendu
à la liberté les deux frères de l’Arabe, Khâlid et Ah’-
med, mais sans se fier aux promesses qu’on lui fai-
sait. Puis Moh’ammed ben T’âlib, des Awlâd Mo-
halhel, accompagné de quelques partisans, arriva
jusqu’à lui, et le prince partant de nuit avec eux et
son armée, arriva le matin à Sousse, d’où il s’em-
barqua pour Tunis.

Ibn Tàferàdjîn, qui en fut prévenu, [P. 71] quitta
furtivement ses partisans et s’embarqua pour Alexan-
drie en rebî’ II, de sorte que ces gens, se trouvant
privés de leur chef, furent jetés dans la confusion et
s’enfuirent en désordre de Tunis. Rentré dans sa ca-
pitale, le sultan remit les fortifications en état et les
entoura d’un fossé. Ah’med ben ‘Othmân et les Aw-
lôd Aboû ‘l-Levl firent alors des démonstrations me-
naçantes et mirent le siège devant cette ville, qui put
cependant repousser leurs attaques, de sorte que le
sultan resta vainqueur des Awlâd Mohalhel. Ce ré-

 

– 130 –

sultat fut cause que les Awlôd Aboù M-Leyl se tinrent
tranquilles, et le sultan traita alors avec eux de leur
soumission. Leur chef ‘Omar (1) se rendit auprès de
lui en cha’bôn de cette année et fut retenu jusqu’à ce
que ses partisans eussent livré Ibn Aboû Debboûs à
Aboù M-H’asan. Ils firent, pour prouver leur sou-
mission, ce qu’on leur demandait, et le sultan ayant
ainsi obtenu satisfaction tint son adversaire empri-
sonné jusqu’à ce que lui-même retournât au Ma-
ghreb. Ibn Aboû Debboûs se retira alors en Espa-
gne.

Aboû ‘1-H’asan s’installa à Tunis, où il reçut la
visite d’Ah’med ben Mckki. Ce fut ‘Abd el-Wàh’id
[ben ]el-Lih’yani qu’il investit du gouvernement des
frontières orientales, comprenant Tripoli, Gabès, Sfax
et Djerba, mais cet officier périt de la grande peste
noire à son arrivée en ces lieux, où le sultan l’avait
fait accompagner par Ibn Mekki. [Aboû ‘1-K’àsim]
ben ‘Ottoû fut envoyé en K’ast’îliya, dont l’adminis-
tration lui fut confiée. Aboû ‘1-H’asan, réalisant les
décrets divins, maria son fils Aboû ‘1-Fad’l à la fille
d”Omar ben H’amzn.

A la suite du désastre éprouvé par Aboû ‘1-H’asan
à K’ayrawôn, les Benoû Meiln tout déguenillés re-
gagnèrent le Maghreb à pied et se présentèrent à
Aboû ‘Inan. Le bruit se répandit qu’Aboû ‘1-H’asan
avait trouvé la mort devant K’avrawân, et il fut
dressé de son décès un acte auquel souscrivirent
nombre des nouveaux arrivés d’entre les Mérinides,
de sorte que l’émîr Aboû ‘Inàn revendiqua la souve-
raineté et se fit reconnaître à TIemcen au commen-

 

i
I

j
I

 

(1) ‘Omar ben H’amza, selon B ; H’araza ben ‘Omar, selon Ibn
Kbaldoûn, m, 36.

 

– 131 –

cernent de Tannée 749 (l®** avril 1348). Le nouveau
prince partit ensuite pour Fez, en laissant à Tlem-
cen en qualité de gouverneur T’Abd el-wèdite ‘Oth-
màn ben Yah’ya ben Moh’animed ben Djerrâr, le-
quel, sitôt son maître parti, se fit reconnaître à son
tour comme souverain, et rétablit ainsi le pouvoir
des ‘Abd el-wàdites à Tlemcen. Mais i! y avait à Tu-
nis, avec le sultan Aboû ‘l-H’asan, une troupe d^’Abd
el-wadites, qui, à la suite des événements dont K’ay-
rawân fut le théâtre, prit à Tunis une délibération
tendant à proclamer ‘Othmân ben ‘Abd er-Rah’mân
ben Yah’ya ben Yaghmorâsen ben Zeyyan. Ils se
rendirent alors à Tlemcen, dont les habitants se sou-
levèrent contre l’usurpateur ‘Othmèn ben Yah’ya.
Celui-ci put, en rendant la ville, obtenir la vie sauva;
mais ‘Othmân ben ‘Abd er-Rah’man, [P. 72] après
avoir fait son entrée dans la capitale le dernier jour
de djomada II, fit arrêter son adversaire et le retint
prisonnier jusqu’à sa mort [en ramad’ân 749] (1).

Lors de son arrivée en Ifrîk’iyya, Aboù M-H’asan,
bien qu’ayant destitué les princes de Bougie et de
Constantine et les ayant envoyés au Maghreb, ne
toucha pas à In situation de Témir de Bône, Aboû
‘l-‘Abbas el-Fad’l, qu’il croyait d’humeur pacifique
et que son mariage avec la sœur du dit Fad’l lui
avait fait connaître depuis longtemps. Mais à la suite
des revers qui atteignirent le sultan, Témîr El-Fad’l
envoya un message écrit aux Constantinois, après
quoi il se dirigea vers leur ville qu’il assiégea et où il
pénétra au petit jour le vendredi l^^’moharrem 749(31
nnars 1348). Mais quand il voulut entrer dans la K’aç-

(1) Voir Berbères, ni, 4i0 et 423.

 

– 132 –

ba les portes se fermèrent devant lui et les murailles se
couvrirent de défenseurs. Il se rendit alors dans la
grande mosquée de la ville et y fit la prière du ven-
dredi, que n’y avait encore faite aucun prince H’af-
çide ; puis les occupants de la K’açba, sur la pro-
messe de pardon qu’il leur fit adresser, en ouvrirent
les portes, et il y pénétra vers la fin de raprès-midi
de ce même jour. Il fit main basse sur des richesses
considérables qui y étaient déposées, et qui étaient
constituées par les présents apportés à Aboù ‘1-HV
san par les diverses députations, ainsi que sur les
produits des impôts déposés dans le même endroit.
Après y avoir séjourné trois mois, il marcha sur
Bougie, dont il devint maître grâce au soulèvement
des habitants contre les Mérinides, et la renommée
commença à célébrer son nom. Aussi forma-t-il le
projet de se rendre dans la capitale, où Aboù M-H’a-
san résidait alors (i).

De son côté Témîr Aboù ‘Inân, quand il sut à n’en
pouvoir douter que son père n’était pas mort, se
prit à redouter le châtiment que méritait sa conduite,
et il renvoya les ex-princes de Bougie et de Cons-
tantine chacun dans sou ancien siège, songeant ainsi
à augmenter les difficultés contre lesquelles luttait
son père et faisant ses intermédiaires de ces deux
princes, aux termes des traités qu’il passa avec eux.
En conséquence l’un et l’autre regagnèrent leurs
villes respectives, qui se soumirent à eux. El-Fad’l
s’embarqua à Bougie pour Bône à la suite du par-
don que lui accorda Témîr Aboù ‘Abd Allah [Mo-
h’ammed ben Aboù Zakariyyâ] quand l’usurpateur,
appréhendé sans difficulté, fut amené devant son

 

(1) Voir Berbères, m, 30 et 38.

 

vainqueur, en chawwâl 749. A son retour à Bône,
El-Fad’l y trouva qu’un de ses parents avait tenté
de prendre sa place, mais sans y réussir complète-
ment, et il put rentrer dans son palais ; quant aux
places frontières occidentales, chaque gouverneur y
agissait d’une manière indépendante (1).

En la dite année mourut le h’âfi,z* ‘Abd el-Mohey-
men H’ad’remi, originaire de Ceuta et fixé à Tunis,
qui était un guide éprouvé dans la science des ira-
ditions et dont les citations, tant pour cet ordre de
connaissances que pour ses autorités, faisaient preu-
ve ; il est auteur de plusieurs arba’în (recueil de qua-
rante traditions). Il ouvrit des cours à Tunis sous la
dynastie mérinide, et comme (un jour) il professait
dans le salon même du sultan Aboû ‘1-H’asan, celui
qui lisait le recueil de Moslim, et qui était le cheykh
Ibn ‘Arafa, prononça « tradition de Mâlik ben Mik*-
wal » fP. 73], et fut corrigé ou par Ibn el-Mohey-
men ou par le juriste Ibn eç-Çabbàgh, qui dit que ce
deuxième nom se prononçait Mak\vil ; mais le lec-
teur entêté répéta de nouveau Mik’wal. « En voilà
un, » dit le sultan en riant et se tournant vers ‘Abd
eî-Moheymen, « qui n’a pas suivi ton cours. — Cela
ne change pas, o repartit le savant, « ce qu’a créé Dieu.
Nawawi, dans le Kilâb el-eymân, vocalise des deux
manières, mais c’est la prononciation que n’a pas
employée le lecteur qui est la plus élégante (2). » Mais
ce dernier maintint sa lecture. Voici un extrait des
vers d’Ibn H’ayyân sur ce savant :

[KhafifJ. Il n’y a de savant en Occident qu**Abd el-Mohey-
men. Voilà dans la science comme nous sommes : je vais de
pair avec lui comme il va de pair avec moi !

 

(1) Voir Berbères, m, 38 et 40 ; iv, 280.

(2) B lit ,^fiï=^ ‘ « qui est la vraie ».

 

C

 

– 134 –

En la même année mourut à Tunis le cheykh
Aboù ‘Abd Allôh Moh’ammed ben Yah’ya ben ‘Omar
Mo’àfiri connu sous le nom d’Ibn el-H’abbâb, dont
Ibn ‘Arafa, qui fut son élève, vante Thabileté d’en-
seignement et la précision. « Bien qu’ayant entendu
dire,» raconte Ibn ‘Arafa, « qu’lbn ‘Abd es-Selâm avait
été son élève, j’avais peine à le croire, jusqu’au jour
où j*eus entre les mains, après la mort de ce der-
nier, la liste de ses livres. Parmi ceux-ci je tombai
sur Vlkhiiçâr el-mediim, d’Ibn el-H’abbâb, où le feuil-
let de garde portait, de la main d’Ibn ‘Abd es-Selâra,
une annotation d’après laquelle celui-ci avait de-
mandé à Ibn el-H’abbâb de l’autoriser, comme avant
suivi ses cours, à professer sur ce traité ; au-dessous
figurait un autographe d’Ibn el-H’abbàb ainsi conçu:
« Ce que dit notre disciple le juriste Moh’ammed ben
‘Abd es-Selâm est vrai, etc. » — Un jour, raconte-
t-on, il arriva chez des lettrés de ses amis qui finis-
saient de manger un chevreau rôti : « Plus de che-
vreau, Ibn el-H’abbâb ! » cria l’un. — « Ni de bon
pain blanc avec beaucoup de mie, » ajouta un second.

— (i 11 n’en reste que les os, » cria un troisième. —
<• C’est votre nourriture, c’est bien la vôtre, » glissa
aussitôt le nouveau venu, qui comprit leur intention.

— « Épargne-nous cela, » s’écria le quatrième, « les
chiens seuls s’en nourrissent !» — « A la mort d’Ibn
el-H’abbâb, raconte Ibn ‘Arafa, j’assistai moi sixième
à son enterrement. Le même jour était mort Es-
Sokoûti, et l’espace manquait à la foule qui se pres-
sait autour du brancard sur lequel on l’emportait,
tandis qu’Ibn el-H’abbâb n’avait guère autant de no-
toriété aux yeux de la masse. ‘>

En la même année mourut l’imâm du Djâmi’ ez-

 

Zîtoûna, le juriste et professeur Aboû ‘Abd Allah
Moh’ammed ben ‘Abd es-Setlâr Temîrai.

Le 28 redjeb de la dite année mourut le cheykh
savant et connu, le grand k’âd*i Moh’ammed ben
‘Abd es-Selâm ben Yoùsof Hawwâri ; son fils Tavait
précédé de trois jours dans la tombe, et tous deux
furent inhumés à El-Djellâz. [P. 74] Celui qu’on
citait pour le remplacer en qualité de grand k’âd’i
était le juriste et mufti Aboû ‘Abd Allah Moh’am-
med ben Moh’ammed ben Hâroûn Kenâni, qui fut
frustré de cette situation par la nomination du k’âd’i
préposé aux mariages, Aboû ‘Abd Allah Moh’am-
med Adjemi. On raconte qu’Ibn ‘Abd er-Refî’ s’enga-
gea formellement vis-à-vis d’ïbn Tàsekirt (1), qui avait
de rinlBuenoe à la cour mérinide : « Je te nommerai
adel à Tunis, •» lui dit-il, « si de ton côté tu l’emploies
à me faire nommer k’âd ‘i. » Ibn Tàsekirt agit en
conséquence, si bien que la condition se réalisa ainsi
que le prix ((ui y était attaché, car El- Adjemi, k’âd’i
des mariages, devint grand k’àd’i, et Ibn Tàsekirt
s’employa pour faire donner le poste ainsi devenu
vacant à Ibn ‘Abd er-Refi’. El- Adjemi mourut au
bout de peu de temps, et comme on proposait de
nommer Hàroûn, Ibn Tàsekirt objecta que la cou-
tume était de nommer grand k’âd’i le k’âd’i des ma-
riages. Cet avis, parce qu’il était émis par quelqu’un
appartenant à la noblesse de Tunis, prévalut, et c’est
ainsi que, grâce à lui, Ibn ‘Abd er-Refî’ devint grand
k’âd’i.

Ibn Hâroûn resta mufti depuis le jour où il fut
nommé à cette place jusqu’à ce qu’il mourut, en 750,
le même jour que sa femme ; on creusa pour les

<1) Ce nom est orthographié tantôt par un sin, tantôt par un çâd.

 

— 136 –

époux deux fosses côte à côte, et le sultan Aboù
‘l-H*asan assista à rinhumation. Es-Sat’i (1) lui de-
manda par lequel des deux il fallait comaiencar :
(1 Peu importe, »> dit le prince.

En cette même année 749, les Arabes se révoltè-
rent contre le sultan Aboù ‘1-H’asan et rappelèrent
de Bône Aboù ‘l-*Abbas el-Fad’l pour le pousser à
revendiquer ses droits et le trône de ses ancêtres. Se
rendant ù leur appel, ce prince alla les trouver à la
fin de 749, et les alliés mirent le siège devant Tu-
nis, puis le levèrent pour le reprendre au commen-
cement de 750 et le lever de nouveau à la fin de la
campagne d’été. Aboù ‘1-Kàsim ben ‘Ottoû, chef du
Djerîd, à la suite de Tappel qui lui fut envoyé (2) à
Tawzer, siège de son gouvernement, reconnut l’au-
torité d’El-FadI, et invita les populations du Djerîd
à faire de même. Il fut suivi dans cette voie par les
Benoû Mekki, si bien que Tlfrîk’iyya tout entière
échappa à Aboû ‘1-H’asan. En présence de ce chan-
gement et craignant d’ailleurs la prolongation des
troubles et les suites dangereuses du soulèvement (3),
ce prince s’embarqua à Tunis pour le Maghreb au
commencement de chaww^âl 750, laissant à son fils
[Abou ‘]1-Fad’l le soin de gouverner Tunis. Cinq

(1) Ce nom, dont j’ignore la prononciation exacte, désigne proba-
blement le juriste cité p. 116. On retrouve dans Makkan le nom de

Moh’ammed ben Soleymân ben *Ali J^^^^ (é 1. de Boulak, m, 127,
1. 8, ad f.). ‘^

(2) B D, ^^’ ^1 \jcyxjj ; A G et Ibn Khaldoûn, ^IoJlU«»Ij

(3) Je traduis d’après A G D *iy^ ^ ^jii^ ^’j^ > A B G et Ibn

Khaldoûn lisent, au lieu du dernier mot, C^l^j ; sur ces événe-
ments, voir Berbères, ui, i\ ; zv, 285.

 
– 137 -.

ours après son départ, la nécessité de faire de Teau
e fit relâcher à Bougie, mais le prince de cette ville
voulut Tempêcher de débarquer, et envoya sur tout
e littoral de son territoire des ordres dans le même
sens. Alors les voyageurs prirent de force Teau qui
eur manquait, puis remirent à la voile ; mais Télé-
nent perfide dispersa la flotte, et le vaisseau monté
3ar le sultan [P. 75] alla se briser sur un point du
ittoral de Bougie. Cramponné à un rocher peu éloi-
gné de la côte, ce prince vit les vagues enlever plu-
sieurs savants, El-Mat’ar et Ibn eç-Çabbàgh entre
autres, et lui-même était près de périr quand par la
violenté divine un vaisseau le recueillit. Le retour du
^alme lui permit d’atteindre Alger, qui s’était anté-
rieurement soumise à lui et où il demeura quelque
temps pour y reprendre haleine.

Le cheykh Aboû ‘Abd AUâh Obolli était un juriste
maghrébin qui, seul de ceux de sa classe, se cacha
pour ne pas semburquer à Tunis avec le sultan
Aboû ‘1-H*asan. « La raison en fut, raconte-t-il, que
je vis en songe quelqu’un qui me répéta à deux re-
prises : « Les vaisseaux ! les vaisseaux I (el-foulk I
‘.Irfoulkl). » Ne comprenant pas, lors de mon réveil,
3e que cela voulait dire, je racontai ce rêve à notre
camarade Ibn Rid’wàn, qui en parla au sultan :
« Cela signifie peut-être, » dit celui-ci, « qu’il faut
faire le trajet par mer, » et sa résolution n’en fut
que plus affermie. On sait ce qui arriva. » — « Quant
i moi, » raconte le cheykh Ibn el-K’aççâr, « je dis à
El-Obolli que le sens de ces mots était simpleipent
que foulk est le pluriel irrégulier de foulk » (1).

Quand Aboù ‘l-‘Abbâs el-Fad*l, qui était dans le

(1) Le moi foulk signifie aussi bien oaisaeau que vaiaseatuo.

 

– 138 –

Djerîd, apprit l’embarquement d’Aboû ‘1-H’asan, il
accourut à marches forcées à Tunis, où il assiégea
le fils de ce dernier et ses partisans, et s’empara de
la ville. Les habitants se joignirent à lui, et le jour
de Mina ils se portèrent tous devant la K’açba, d’où
ils tirèrent Témir Aboù ‘l-FadM ben Aboù ‘l-H’asan
le Mérinide sous la promesse que toute la K’açba
serait sauve ; ce prince se rendit dans la demeure
d’Aboû M-Leyl ben H’amza avec tous ceux qui
avaient obtenu un sauf-conduit, puis il rejoignit son
père à Alger.

Aboù ‘l-H’asan, après avoir laissé un gouverneur
à Alger, s’était mis en route pour le Maghreb quand
il rencontra une armée envoyée contre lui par son
fils Aboù ‘Inân. Il essuya une défaite et son fils En-
Nâçir fut tué, de sorte qu’il se dirigea sur Sedjel-
messe. Mais Aboù ‘Inân le poursuivant encore de ce
côté à la tète de forces auxquelles il ne pouvait tenir
tète, Aboù ‘l-H’asan sortit de cette ville, où son fils
pénétra et où, après l’avoir mise au pillage, il noni-
ma un des siens comme gouverneur. Comme Aboù
‘l-H’asan, en 751 (11 mars 1350j, se dirigeait vers
Merrâkech, Aboù ‘Inân quitta Fez après avoir eu
soin d’envoyer son camp (mah’alla) à Merrâkech, e^
le choc entre les deux armées eut lieu à la fin de ça-
far de cette année. Aboû ‘l-H’asan fut vaincu, mais
les plus vaillants guerriers mérinides furent, en par-
venant jusqu’à lui, saisis de honte et de respect, et
ils se retirèrent. [Il put alors fuir, mais] une chute
de son cheval le jeta par terre, et comme l’animal
[P. 76] caracolait auprès de lui, l’intervention d’Aboû
Dinar [Soleymân ben ‘Ali], cheykh des Daw^âwida”,
qui prit sa défense, lui permit de se remettre en selle

 

– 139 –

et de se réfugier auprès du djond des Hintâtîi, dont
le chef ‘Abd el-‘Az!z ben Moh’ammed ben ‘Ali, qui
l’accompagnait et chez qui il descendit, lui accorda
sa protection, et les grinds de cette tribu lui jurè-
rent fidélité jusqu’à la mort. Mais Aboû ‘Inèn étant
aussitôt arrivé et ayant établi son camp sur la mon-
tagne des Hintâta, Aboû’l-H’asan demanda à son
fils de l’épargner et de lui envoyer son chambellan
Moh’ammed ben Aboû ‘Omar (I). Celui-ci en effet
alla le trouver, et s’efforça de disculper Aboû ‘Inân
et d’obtenir son pardon. Le père se laissa loucher et
reconnut par écrit à son fils la qualité d’héritier pré-
somptif. Mais au cours de ces événements il tomba
malade et se trouva livré aux soins de ses officiers
et de ses courtisans ; comme il venait d’être saigné,
il procéda aux ablutions purificatrices et se mouilla
le bras, où se produisit une enflure qui entraîna la
mort de ce prince, peu après son arrivée, le 2J rebî’
II 752. Ses officiers en envoyèrent la nouvelle ù son
fils Aboû ‘Inân, alors dans la plaine de Merrâkech,
et lui portèrent le cadavre placé sur un brancard. Ce
prince tout affligé se porta nu pieds et nu tète au
devant du cortège et embrassa le brancard en pro-
nonçant des formules de soumission à la volonté di-
vine ; en outre il témoigna sa satisfaction aux arri-
vants par l’accueil honorable qu’il leur fit. Il fit inhu-
mer le cadavre à Merrâkech, puis le transporta à
Châla [près Salé], lieu de sépulture de ses ancêtres,
lorsqu’il se rendit à Fez.

Pour en revenir à Tunis, celui qui y régna après
qu’Aboû ‘1-Fad’l ben Aboû ‘1-H’asan le Mérinide eut

(1) ‘Avatt d’aprèt les Berbères, iv, S91 ; m, 40.

U

 

— 140 —

quitté la K’açba avec un sauf-conduit (1), fut Aboù
‘I-‘Abbâs el-FadI, fils du sultan Aboû Yah’va Aboû
Bekr, fils de rémîr Aboû Zakariyyà Yah’va, fils du
sultan Aboû Ish’âk’ Ibrahim, descendant des émirs
légitiaies. Fils d’une esclave chrétienne nommée ‘At’f,
il était très bel homme, et calligraphe hors ligne (2),
et avait un très vif penchant pour ceux qui savaient
l’amuser. Né en ramad’ân 721, il fut proclamé à Tu-
nis le 29 dhoû ‘1-k’a’da 750 (8 fév. 1350) sous le sur-
nom d’EI-Motawakkel. Il prit comme chambellan
Ah’med ben Moh’ammed ben ‘Ottoù pour suppléer
son oncle Aboû M-K’àsim, jusqu’à ce que celui-ci
arrivât du Djerîd ; il confia le soin des troupes et
des opérations militaires à Moh’ammed ben ech-
Chawwàch, tandis que son ami et compagnon d’exil
Aboù ‘1-Leyl Fetîta ben H’amza s’empara de toutes
les autres affaires pour les diriger à sa guise. Cela
finit par mécontenter El-Fad’l, qui fut poussé par ses
intimes à se débarrasser de lui et à le remplacer par le
frère de ce favori, Khàlid ben H’amza. Il fît savoir ses
intentions à Aboù ‘l-K’àsim ben ‘Ottoû, dont il avait
fait son chambellan, et lui confia le soin de les réaliser.
Ce dernier étant, pour obéir à cet appel, arrivé de
Sousse par mer, vît son amitié recherchée par Khà-
lid ben H’amza, [P. 77] qui se pQ.sa en rival de son
frère après lui avoir engagé sa foi. Mais Fetîta ben
H’amza sut déjouer les projets de ses adversai-

 

(1) Sur ces événements, voir les Berbère», iv, 286 et s.

(2) Uaà. ^\ mn r^ ^ j est la leçon d’A C ; B omet le dernier mot, que
D écrit 11^ .

 

— 141 —

ros (I), et Tautorité qu’il reprit sur le sultan lui per-
mit de faire envoyer par celui-ci Moh’ammed ben
Chawwâch, chef des affaires militaires, en disgrâce
comme commandant des troupes à Bône. La mésintel-
ligeilce éclata alors entre les deux frères Fetîta et Khâ-
lid, et peu s’en fallut que la rupture ne fût complète : ils
rassemblaient déjà leurs partisans et faisaient des le-
vées quand leur frère aîné ‘Omar ben H’amza, ainsi
que le cheykh Aboù Moh’ammed ‘Abd Allah ben
Tàferâdjîn revinrent de pèlerinage. [Or, voici ce qui
s’était passé] . Quand Ibn Tàferâdjîn se fut établi à
Alexandrie, le sultan Aboû ‘1-H asan avait député au
prince régnant en Egypte pour le faire mettre en ju-
gement ; mais rémîr-qui exerçait alors le pouvoir le
prit sous sa protection, et l’ancien ministre partit
d’Egypte pour accomplir le devoir [du pèlerinage]. Il
se rencontra dans les oratoires des lieux sacrés avec
‘Omar ben H’amza, qui se trouva remplir le même
devoir à cette époque, vers la fin de 750. Ils convin-
rent de retourner en Ifrîk’iyya pour y combattre de
concert le prince régnant, et ce fut à leur arrivée
qu’ils trouvèrent Khàlid et Felîta tout prêts à se
battre. Mais le h’âddj ‘Omar leur ayant fait signe
avec son manteau (2), ils se réconcilièrent, et tous
s’entendirent pour tendre de commun accord un

(0 M. de Slaae (ii, 42) traduit : u Alors ce ministre… annula les
engagements pris envers Aboù ‘1-Leil et lui opposa comme rival
Khaled ibn Hamza, dont il s’était assuré rappui. Aboû ‘1-Leil par-
vint à traverser la nomination de son frère en gagnant de nouveau

la faveur du sultan ». U lit ^t^^y^ (cf. Supplément Dozy, s. v.).
On peut, semble-t-il, lire /^^”^j^ avec G D et réd. Boulak (vi, 364,
1. 7), et établir ce texte ^’ (D seul ^ ) ^t^j\3j 9X^ JJti %l Jju.

(2) A G lisent ^|^ « leur ayant fait conoattre son plan »,

 

piège au sultan. On envoya donc à El-Fad’i son ami
Fetîta pour tenter une réconciliation et lui porter
leur demande à tous les trois de reprendre comme
chambellan Ibn TàferàHjîn, qui avait eu cette charge
auprès <!e son père et qui avait été premier mimslre,
et de destituer Ibn ‘Ottoù. Le prince refusa tout d’a-
bord, puis accepta, et comme les tribus des conju-
rés étaient campées sous les murs de Tunis, on lui
demanda d’aller jusqu’à elles pour sceller définitive-
ment les conventions intervenues. II consentit, et
une fois hoi’s de la ville, il fut entouré par la foule
des nomades et emmené vers leurs tentes. Grâce à
eux, Ibn Tàferàdjîn put ainsi entrer à Tunis le 11
djomâda I 751. Le sultan Aboù ‘l-‘Abbâs el-FadI,
alors âgé de vingt-neuf ans et huit mois, avait régné
à Tunis cinq mois et douze jours.

On intronisa à sa place son frère Témîr Aboû Ish’âk’
Ibràhîm, fils du sultan Aboû Yah’ya Aboû Bekr et des-
cendant des émîrs légitimes, qui était né en rebî’ I 737
d’une esclave nommée K’orb er-Rid’â, et à qui Ton prê-
ta serment de fidélité le 11 djomâda I 751. En effet,
Aboû Moh’ammed ben Tàferàdjîn étant entré dans
Tunis après qu’on se fut emparé du sultan Aboù
‘l-‘Abbàs el-Fad’l, se rendit à la demeure d’Aboù
Ish’àk’ Ibrèhîm, à la mère de qui [P. 78] il souscri-
vit tous les actes et engagements de nature à la sa-
tisfaire, puis il emmena ce prince au palais, l’installa
sur le trône khalifat, et Ton procéda à la double
intronisation privée et publique. Le nouveau sultan,
qui n’était pas encore pubère, reçut les Benoû Ka’b,
qui vinrent lui apporter leur soumission ; il fit em-
prisonner son frère El-Fad’l, qui fut mis è sa dis-
position, et pendant la nuit Tex-souverain fut étran-

 

glé dans sa prison. Le chambellan Aboû ‘l-K’àsim
ben ‘Oltoû parvint à s’enfuir, mais peu de temps
après il fut découvert et fait prisonnier; il fut mis à
la torture et péril dans les souffrances. Les gouver-
neurs des divers districts reçurent et exécutèrent
l’ordre de faire prêter serment à leurs administrés.
Ibn Yemloûl, gouverneur de Tawzer, envoya son
adhésion avec le produit des impôts et les cadeaux
(habituels), et les gouverneurs de Gafça et de Neft’a
firent de même; mais Ibn Mekki agit autrement et
commença à susciter des difficultés à Ibn Tâferàdjîn,
dont il voyait avec déplaisir la tutelle dans laquelle il
tenait le sultan et l’accaparement de toute l’adminis-
tration ; les résultats en furent ce qu’on verra plus
loin.

Aboû Moh’ammed ‘Abd Allah ben Tâferàdjîn s’at-
tribua donc la complète direction du royaume d’I-
brâhîm, qui fut surnommé El-Mostançir billâh (1).
Les habitants de Tunis n’eurent pas à se plaindre
de l’administration d’Ibn Tâferàdjîn, à qui cependant
il faut reprocher de n’avoir pu assez faire sentir son
autorité ni aux Arabes ni pour [la sécurité] des rou-
tes, et d’avoir élevé les impôts prélevés sur les na-
vigateurs. Il entretenait avec Aboû ‘Inân, sultan du
Maghreb, un commerce par cadeaux qu’interrompit
le refus opposé par la fille du khalife Aboû Yah’ya
Aboû Bekr à la demande en mariage de ce prince,
refus qu’elle basa sur le bruit parvenu jusqu’à ses

 

(1) C D et Kayrawâni (texte, p. 140 ; A B lisent El-Montaçir ;
Ibn Khaldoûn ne donn«^ pas le surnom de ce prince ; les monnaies
frappées à son nom portent l’orthographe que nous avons adoptée
(Catalogue des mo/maies musulmanes de la Bibliothèque nationale,
Espagne et Afrique, /i» 966).

 

– 144 –

oreilles qu’un Iremblemeiit nerveux le rendait im-
propre à l’acte sexuel.

En 752 (28 fév. 1351), le prince de Constanline
Aboù Zevd ‘Abd er-Rali’mân, fils d’Aboû ‘Abd Allah
Moh’ammed, fils du sultan Aboû Yah’ya Aboù Bekr,
expédia de cette ville contre Tunis une armée dont
Téquipenient lui avait coûté fort cher et qui était
commandée par son affranchi le général Meymoùn.
Ibn Tâferâdjîn, quand il eut vent de la chose, expé-
dia de Tunis des troupes commandées pnr Felîta
ben H’amza. Mais dans la rencontre qui eut lieu sur
le territoire des Hawwâra la fortune se déclara con-
tre les Awlâd Aboù 1-Leyl : Fetîta périt et les fuyards
regagnèrent Tunis, tandis que les troupes ennemies
envahirent le pays et y poussèrent leurs pillages jus-
qu’à Obba (1) avant de rentrer à Constantine. Ce fut
Khâlid ben H’amza, frère de Fetîta, qui remplaça
celui-ci comme chef des Awlâd Aboû ‘1-Levl.

Pendant que ces événements se passaient, Ah’med
ben Mekki écrivit de Gabès à Aboû Zeyd poui* lui
annoncer qu’il viendrait se joindre à lui, et en effet,
à la fin de l’hiver [P. 79] il se dirigea de son côté
avec les Awlâd Mohalhel. Le prince se porta à sa
rencontre et le nomma son chambellan et généralis-
sime; en çafar 753, les troupes quittèrent Constan-
tine pour se mettre en campagne. Ibn Tâferâdjîn leva
une armée très bien équi|)ée qu’il confia au sultan
Aboû Ish’âk’ Ibrahim ; son propre fils Moh’ammed
devait diriger les opérations militaires, et il attribua
les fonctions de chambellan au juriste Aboû ‘Abd

 

\,\) Non loin de Laribus (Bekri, p. 130; ; c’est ainsi qu’il faut lire
avec A B et Ibn Khaldoùn, au lieu de ^-V de C D.

 

– U5 —

Allah [Moh’ammed] ben Nizâr. Dans la bataille qui
fut livrée à Mermôdjenna, les lignes d’Aboû Ish’âk’
furent enfoncées et ses troupes, qui se débandèrent,
furent l’objet d’une poursuite qui se prolongea jus-
qu’au soir. Le sultan s’enferma dans Tunis avec son
chambellan Aboû Moh’ammed ben Tâferâdjîn ; les
ennemis les y assiégèrent pendant plusieurs jours,
mais sans résultat, puis se retirèrent. On apprit
alors qu’Aboù ‘Inân, sultan du Maghreb extrême,
après avoir conquis le Maghreb central, s’avançait
vers l’Est et était arrivé à El-Mediyya (Médéa).

L’émîr de Bougie, Aboû ‘Abd Allah Moh’ammed,
avait marché, d’après les instructions secrètes d’Ibn
Tâferâdjîn, contre Constantine quand celte ville avait
été laissée à elle-même et avait commencé à assiéger
la garnison ; puis la nouvelle arriva qu’il avait rega-
gné Bougie pour éviter la rencontre des Mérinides.
Aboû Zeyd alors songea à retourner promptement à
Constantine ; mais sur la demande d’Ibn Mekki et
des Awlâd Mohalhel, qui le prièrent de leur laisser
un de ses frères autour de qui ils pussent se grou-
per, il leur donna comme chef son frère Aboû ‘l-‘Ab-
bâs Ah’med. Ce prince resta auprès d’eux, ainsi que
son frère germain Aboû Yah’ya Zakariyyâ, jusqu’aux
événements qui seront dits plus loin. Quant à Aboû
Zeyd, il regagna Constantine pour y attendre l’arri-
vée des troupes mérinides.

De son côté Aboû ‘Inân, après avoir conquis le
Maghreb central, ce qui serait trop long à raconter,
et être entré à Tlemcen, envoya des troupes pour
conquérir les places frontières et étendre les limites
de l’empire. C’est ainsi qu’Alger, Milyâna et Médéa
furent conquises. Aboû ‘Abd Allah Moh’ammed, sei-

 

– 146 –

gneur de Bougie, fit main basse sur [les ‘Abd el-
wâdites] Aboù Thâbit et les siens, qui s’étaient en-
fuis de son côté, et les emmena à Bougie : Aboù
‘Inftn en effet lui avait fait demander de ne pas leur
laisser le chemin libre. Il se porta à la rencontre de
ce dernier prince en traînant avec lui ses prison-
niers, et le trouva en dehoi*s de Médéa. Le Méri-
nide, après lui avoir exprimé sa reconnaissance, re-
tourna à Tlemcen en emmenant les captifs et fit son
entrée dans cette ville en grande pompe : Aboû Thâ-
bit ez-Za’îm (le prétendant; et son vizir étaient mon-
tés sur des chameaux. Le lendemain il les fit emme-
ner dans la campagne et les fit massacrer l’un et
l’oulre à coups de lances. Quant à Aboû Zeyyân
Moh’ommed, fils du sultan Aboù Sa’id ‘Othmàn, il
le fit jeter en prison et l’y oublia. Ainsi finit pour la
seconde fois la domination des ‘Abd el-wâdites à
Tlemcen.

Aboù ‘Inân fit ensuite insinuer par ses agents à
Moh’ammed, émir de Bougie, qu’il serait préféra-
ble [P. 80] pour lui de renoncer à cette ville (1) pour
trouver auprès de ce sultan une plus haute situation,
en acceptant par contre la ville de Miknâsa (Mequi-
nez). Il y consentit la mort dans l’âme, et Miknâsa
lui fut concédée à titre de fief, mais retirée au bout
de peu de jours, cl il reçut Tordre de se rendre au
Maghreb. Bougie fut confiée aux soins d”Omar ben
‘Ali, fils du vizir Ibn Aboù WatVâs.

Dans les premiers mois de 7.^5 (26 janv. 1354},
Aboû ‘Inân nomma gouverneur de Bougie et de son

(I) U faut certainement, malgré A B G D, lire ^^F^(^; on trou-
ve dans Ibn Khaldoûn deux versions quelque peu différentes ^iii, 47;
IV, 295;.

 

– 147 –

territoire son vizir *Abd Allah ben ‘Ali ben Sa’îd,
qui, ayant reçu l’ordre de rejoindre son poste, fit
son entrée dans cette ville. Ce gouverneur alla en-
suite assiéger Constantine, mais sans succès, et ren-
tra à Bougie.

Le 10 rebî’ II de la dite année (5 mai 1354), les
chrétiens s’emparèrent par trahison de Tripoli (1). Cer-
tains d’entre eux s’étaient donnés pour des mar-
chands, et Ibn Thâbil, gouverneur de la ville, les
avait accueillis comme tels. Vers le matin [ceux qui
étaient restés dehors] dressèrent des échelles, esca-
ladèrent les murailles et se rendirent maîtres de la
ville. Le gouverneur s’enfuit, mais tomba entre les
mains des Arabes, qui l’exécutèrent, lui et son frère,
pour tirer vengeance du sang des leurs qu’ils avaient
répandu. Les chrétiens restèrent maîtres absolus de
la ville pendant environ quatre mois; ils la quittèrent
le 12 cha’bân de la dite année après en avoir tout
enlevé pour le transporter à Gênes, leur patrie, et
n’y laissant que le vide absolu. Dans l’entretemps les
Arabes avaient pu massacrer comme ils l’entendaient
les musulmans [sédentaires], jusqu’au moment où Ibn
Mekki, seigneur de Gabès, s’entremit en faveur de
la malheureuse ville, et se vit demander par les
[chrétiens] 50,000 pièces d’or pur. Il fît demander
au sultan Aboù ‘Inân de les lui prêter en gardant le
mérite de cette bonne œuvre, mais l’ennemi refusant
d’attendre, il réunit tout ce qu’il possédait, et il ob-
tint le complément de la somme des habitants de
Gabès, d’El-H’âmma et du Djerîd ù titre de purecha-

 

(1) Ibn Khaldoûn, ur, 51-51, ne donne pas la date précise de cet
événement.

 

— 148 —

rite. Les chrétiens alors lui livrèrent Tripoli, où il éta-
blit son autorité. Ensuite Aboû ‘Inân lui fit porter la
sonnme demandée par le khat’ib Aboù ‘Abd Allah
ben Merzoûk’ et par Aboù ‘Abd Allah Moh’ammed,
petit-fils d’Aboù *Ali ‘Omar ben Seyyid en-Nâs, en
rinvitant à restituer aux donateurs ce qu’ils avaient
avancé et ajoutant qu’il lui en laissait tout le mérite;
mais comme ceux-ci s’v refusaient, la somme fut
consignée entre les mains d’Ibn Mekki pour être
affectée à ce remboursement (1). Aboù ‘Inân donna
le gouvernement de Tripoli à Ah’med ben Mekki, et
celui de Gabès et de Djerba à son frère ‘Abd el-Me-
lik.

En 755 (26 janv. 1354;, le prix des vivres aug-
menta considérablement à Tunis, à ce point que le
k’alîz de blé valut onze dinars d’or, et l’orge, la moi-
tié de ce prix.

En 755, mourut Timâm du Djâmi’ ez-Zîtoùna
le cheykh Aboû Ish’àk’ Ibrahim Besîli ; il fut rem-
placé dans ces fonctions par le grand cheykh de
Tunis, Aboû ‘Abd Allâh Moh’ammed ben ‘Arafa
Wai’ghemi.

[P. 81]. En 757 (2), (5 janv. 1356; le vizir ‘Abd
Allâh ben ‘Ali ben Sa’îd, gouverneur de Bougie,
marcha contre Constantine, dont il commença et
poursuivit le siège malgré la résistance qu’elle lui
opposa, si bien qu’Aboû Zeyd, qui commandait dans
cette ville, chercha le moyen, pour échapper aux ri-
gueurs du siège, de fuir dans le désert ou ailleurs.

 

(1) Le récit d’Ibn Khaldoûn un, 52) n’est pas complètement iden-
tique.

(2) A B C lisent 759, date qui ne parait pas admissible ; voir Ibn
Khaldoûn (m, 55-, où Tordre cnronologique des faits laisse également
beaucoup à désirer.

 

– 149 —

A la suite de la brouille survenue entre Khâlid ben
H’amza et le cheykh Aboù Moh’ammed ben Tâfe-
râdjîn, celui-ci s’adressa à la famille rivale, les Aw-
làd Mohalhel, qui se rendirent à la demande d’appui
qu’il leur adressa. Khâlid alors opéra sa jonction
avec le sultan Aboû ‘l-‘Abbâs AITmed et ils allèrent
de concert mettre le siège devant Tunis, en la dite
année [756 ?j, mais la résistance que fit cette ville
les força à se retirer. Aussitôt après cela, Aboù
Zevd fit demander à son frère Aboù ‘l-‘Abbâs de lui
envoyer de l’aide pour le débloquer et faire lever le
siège aux Mérinides. Aboù ‘l-‘Abbàs consentit à sa
demande et marcha à son secours avec Khâlid et les
siens, si bien qu’Aboù Zeyd délivré put avec celui-ci
mettre à son tour le siège devant Tunis. Un conseil
préalablement réuni pour désigner celui qui resterait
à Constantine avait, sur l’avis du mizwâr le général
Nebîl, choisi pour cette mission son frère Aboû ‘l-‘Ab-
bàs, qui entra dans cette ville pour y exercer les fonc-
tions de gouverneur. Mais Aboù Zeyd, dont les Arabes
se dispersèrent, ne put parvenir à s’installer à Tunis et
se relira à Bône. Cependant son plus vif désir était de
retourner à Constantine, dont les habitants au con-
traire tenaient beaucoup à leur gouverneur son frère
Aboû ‘l-‘Abbàs Ah’med, à cause de sa piété et de sa
sagesse. En conséquence, ce dernier ne bougea pas,
et à la suite de la consultation qu’il eut avec les as-
siégés, il fut dressé un acte auquel plusieurs des
adels et des grands de la ville apposèrent leurs si-
gnatures, aux termes duquel l’émir Aboû Zeyd ne
pouvait défendre la ville ni en administrer les aflfai-
i*es 5 cause de son insuffisance ; au contraire, y
était-il dit, l’émîr le plus apte h la défendre et par

 

— 150 —

suite à occuper le trône était sou frère Aboû ‘l-‘Ab-
bôs Ah’med. Aussi l’intronisation de celui-ci se fit-
elle en cha’bân 756 (1). Aboû Zeyd perdit alors tout
espoir de recouvrer Constantine, dont son frère était le
maître incontesté, et d*autre part n’osa pas se réins-
taller dans sa résidence de Bône. Il fit alors offrira
Ibn Tàferadjîn d’aller résider à Tunis et de céder
Bône 5 son oncle le sultan Aboû Ish’âk’, et celte
proposition ayant été acceptée, il se rendit dans la
capitale en compagnie de ceux de ses intimes qui
avaient jusqu’alors partagé sa fortune ; on lui assi-
gna plusieurs demeures et de larges revenus, et il se
mit ainsi sous la surveillance de ceux qu’il avait au-
trefois combattus. Quant à Aboû ‘l-‘Abbâs, il exerça
le pouvoir à Constantine, y revendiquant les attribu-
tions de la royauté (2) et participant aux travaux de
défense.

Vers la fin de l’année 757, le bruit se répandit
dans le camp des assiégeants qu’Aboù ‘Inân venait
de succomber, alors qu’il était simplement malade.
L’origine de cette rumeur remontait à ce fait, que le
vizir ‘Abd Allah ben ‘Ali s’était éloigné [P. 82] de
Constantine pour aller camper au Wâdi ‘1-K’ot’n (M),
où un cavalier lui apporta une lettre d’Aboù ‘Inân
qui lui enjoignait de retourner à Bougie, de sorte
qu’il livra aux flammes les mangonneaux et les au-
tres engins trop lourds avant de se retirer. Quand
Aboû ‘l-‘Abbâs apprit ce qui se passait, il équipa un

 

(1) Ibn KbaldoÛD (m, 55 donne ici la date de 755 ; cf. p. 112, n. 2.

(2) D sUc^l w^j ; lisez \^jU\ sl^cj ^^j qui est la le-
çon de B, plus ou moins défigurée dans A C.

(3) Ibn Kbaldoûn ‘ui, 56; cf. iv, 311) place le lieu de la bataille à
Beni-Bâour^r.

 

— 151 –

corps de troupes après s’être entendu avec les Benoû
Yoûsof et des habitants de cet endroit; une atlnque noc-
turne fut organisée, en dhoû 4-h*iddja 757, (déc. 1356)
contre le camp mérinide. Les assaillants se livrèrent
au pillage, mirent la cavalerie en fuite et tuèrent
[deux] des fils de Moûsa ben Ibrèhîm ; le vizir lui-
même fut blessé et s’enfuit vers le Maghreb. Aboû
‘Inân venait de se relever de maLidie quand ces évé-
nements parvinrent à sa connaissance entre le 10 et
le 13 dhoù *l-‘h’iddja (ayyâm et-techrik’) ; il fut saisi
de colère et de chagrin, et se mit en marche sur
Constantine. En apprenant son départ, Aboû ‘l-‘Ab-
bâs envoya à Tunis son frère Aboû Yah’ya Zaka-
riyyâ pour réclamer du secours de leur oncle le sul-
tan Aboû Ish’âk’, mais il était trop tard. Aboû ‘Inûn
en se mettant en marche se fit précéder par son
avant-garde, que commandait le vizir Fèris ben
Meymoûn, lequel commença le siège de Constantine
dès le 20 redjeb 758 (10 juillet 1357) et le poussa
très vigoureusement. Comme Aboû ‘l-‘Abbâs ne s’é-
loignait des murailles que pour procéder aux ablu-
tions exigées pour la prière, un archer de Tarmée
assiégeante l’aperçut et lui décocha une flèche qui
pénétra obliquement sous son cou dans les plis du
turban ; la frayeur de ses troupes fut grande, mais
Dieu le sauva. Puis eut lieu l’arrivée d’Aboû ‘Inôn
qui, traînant tout un monde à sa suite, vint camper
devant Constantine le 12 cha’bôn de la dite année.
Avant même de s’installer, il fit le tour de la ville
sous un déguisement et se convainquit de l’impossi-
bilité de s’en emparer, ce qui le rendit soucieux toute
la nuit. Mais de leur côté les Constantinois^ effrayés
du grand nombre des nouveaux venus, se glissèrent

 

— i5!2 —

secrètement et les uns après les autres jusqu’à lui.
Le sultan Aboû M-‘Abbûs Ah’med gagna d’abord la
K’oçba pour s’y défendre, puis demanda à traiter
en stipulant pour lui-même la vie sauve et un par-
don complet pour les Gonstantinois. Aboû ‘Iiiàn
ayant signé cet engagement en promettant par les
serments les plus sacrés de le tenir, le sultan Ah’-
med sortit avec un certain nombre d’hommes, mais
alla tout seul trouver de nuit son adversaire, puis
se rendit aux tentes préparées à son intention dans
le voisinage. Peu de jours après, le vainqueur, chan-
geant d’idée et contrairemant à sa parole, l’embar-
qua pour le Maghreb et l’installa sous bonne garde
i\ Ceuta ; il embarqua également pour la même des-
tination les principaux de Constantine.

A la suite de sa conquête de cette ville, il envoya
à Aboû Moh’ammed ben Tàferâdjîn des messagers
chargés de réclamer s.i soumission et son départ de
Tunis; mais ce chef les renvoya [P. 83] et continua lui-
même de rester à Tunis après avoir envoyé en cam-
pagne le sultan Aboû Ish’àk’ Ibràhîm et les Awlàd
Aboû’1-Leyl, ainsi que des troupes bien équipées et
pourvues d’auxiliaires (djond). Aboû ‘Inàn décida alors
de Tatlaquer, et les Awlàd Mohalhel, qui vinrent le
trouver, le poussèrent dans le même sens, de sorte
qu’il envoya à la fois contre Tunis une flotte com-
mandée par le fc’d’id Aboû ‘Abd Allah Moh’ammed
el-Ah’mar et une armée de terre que commandait
Yah’ya ben Rah’h’oû et qui était renforcée par les
Awlâd Mohalhel. La flotte arriva la première devant
Tunis et se rendit maîtresse de cette ville au bout
d’un jour, ou même moins, de combat, et Ibn Tàfe-
râdjîn se retira à Mehdiyya. Cette conquête des Mé-

 

– 153 —

riiiides eut lieu en ramad’ân 758 (août-sept. 1357), et
Ibn Rah’h’où, qui était arrivé sur les lieux, entra
ensuite dans la ville pour y faire exécuter les ordres
du sultan. Mais il en sortit bientôt, la laissant sous
la garde d’Ibn el-Ah’mar et de la flotte, pour répon-
dre à rappel que lui adressaient les Awlâd Mohalhel,
è Teff’et d’attaquer inopinément les Awlâd Aboù
M-Levl et le sultan Aboû Ish’âk*. Ce dernier se te-
nait dans le Djerîd avec Khâlid ben H’amza, mais
avait laissé ses enfants et ses bagages à Mehdiyya
sous la garde du cheykh ‘Abd Allah ben Tâferâdjîn.

Le sultan [mérinide] avait fait partir avec son ar-
mée de terre le juriste versé dans les traditions, le
khat’ib Ibn Merzoûk’ chargé de demander la main de
la fille du sultan Aboû Yah’ya Aboû Bekr. Cet en-
voyé s’aboucha avec la mère de la princesse, qui le
renvoya au lendemain pour traiter ce sujet en pré-
sence du k’âd’i et d’autres personnes. Mais quand le
lendemain il retourna au rendez-vous, elle se tint ca-
chée, car cette demande du sultan Aboû ‘Inân lui
était désagréable, de sorte qu’il ne la rencontra pas.

Dans rintervalle Aboû ‘Inân avait reçu à son camp
près de Constantine la prestation de serment de
Yah’va ben Yemioûl et d”Ali ben el-Khalaf, chef de
Neft’a; Ibn Mekki vint également renouveler ses
promesses de fidélité, et le chef riyâh’ide Ya’k’oûb
ben ‘Ali lui rendit aussi visite ; à tous il donna dans
la ville une hospitalité exceptionnelle (1). Mais en-
suite Ya’k’oûb se mit en révolte ouverte à cause de
la perfidie d’Aboû ‘Inân, qui se montrait hostile aux

 

(1) Le texte d’A B G. où on lit le nom du chef des Riy&h’ a Ya’-
k’oûb ben Meri », est plus bref et parait corrompu ; nous avons suivi
D et Ibn Khaldoûn (iv. 318 et 3Ui.

 

— 154 –

Arabes, leur réclamait des otages et les empêchait
de prélever des contributions de guerre. Il gagna
donc la région des sables, où le sultan voulut le
poursuivre, mais sans succès, de sorte que ce prin-
ce, se tournant contre les forts et les campements de
son ennemi dans le Tell et le Sahara, y porta la rui-
ne et le pillage, il retourna ensuite à Constantine,
d*où il partit pour se rendre à Tunis ; mais aussitôt
Aboû Ish’âk’ et ses partisans quittèrent le Djerîd
pour se porter à sa rencontre et arrivèrent ainsi jus-
qu’à la banlieue de Tébessa. Alors les chefs mérini-
des s’entendirent pour quitter le sultan, afin de ne
pas [P. 84] s’exposer en Ifrîk’iyya aux mêmes mé-
comptes qu’autrefois, et ils se débandèrent pour ga-
gner secrètement le Maghreb. Lorsque le camp eut
commencé à se vider, ceux qui restaient se mirent à
réclamer à grands cris le Maghreb, et quand le sul-
tan sut ce que cela voulait dire, il donna Tordre du
retour, * tandis que les Arabes filaient sur ses tra-
ces * (1). Quand Aboû Moh’ammed ben Tâferâdjîn,
abrité dans son refuge de Mehdiyya, connut ce qui
se passait, il se rendit à Tunis, et les Mérinides qui
s’y trouvaient, prévenus de son approche et mena-
cés par un soulèvement des habitants, s’embarquèrent
en toute hâte pour le Maghreb, si bien quTbn Tâ-
ferâdjîn rentra dans la ville après une absence de
soixante-dix jours.

Quand le sultan Aboû Ish’âk’ connut ces événe-
ments, il se mit en marche vers sa capitale et y fit
son entrée le 4 dhoû ‘1-li’iddja 758, non sans avoir

(1) Au lieu de ces mois. ABC, d’accord avec Ibn Khaldoûn av,
313/, disent : a 11 [avait] nommé au gouvernement de Constantine le
«h^ mérinide Mançoûr ben el-H’âddj Khalloûf Beyâni [oa YabAni]
et l’avait installé en 758 dans la K’a^ba de e«tte vilto. >

 

— 155 –

d’abord envoyé Aboû Zeyd à la tête des troupes du
djand et d’Arabes pour poursuivre les Mérinides et
assiéger Constantine. Aboû Zeyd continua la pour-
suite jusqu’aux limites du territoire, puis i-evint atta-
quer Constantine pendant plusieurs jours. Mais à la
suite de la résistance de cette ville, il retourna dans
la capitale, d’où il ne sortit plus jusqu’à l’époque de
sa mort.

A son retour à Fez, à la nouvelle lune de dhoû
‘1-h’iddja de la dite année, Aboû ‘Inân punit la plu-
part de ses guerriers pour avoir refusé de l’accom-
pagner à Tunis. Le lendemain de son arrivée, il fit
emprisonner quatre-vingt-quatorze cheykhs mérini-
des et fit exécuter son vizir Fâris ben Meymoûn (1)
et plusieurs chefs du djoni. Il fit subir un interroga-
toire au juriste Aboû ‘Abd Allah ben Merzoûk’ :
« Pourquoi, » lui dit-il, « n’as- tu pas mis la main
sur la [fille du sultan Aboû Yah’yaJ lorsque tu es
allé la demander en mariage pour moi ? — Une prin-
cesse que cherche à épouser un sultan, » répondit le
juriste, « comment donc aurais-je mis la main sur
elle? » Cette affaire valut à Ibn Merzoûk’ un empri-
sonnement de six mois.

En djomàda 759, Aboû Ish’ôk’ entreprit l’ex-
pédition qui lui valut, au mois de cha’bân, la con-
quête de Mehdiyya. Antérieurement il avait donné le
gouvernement de cette ville à son frère l’émîr Aboû
Yah’ya Zakariyyâ, dont il avait nommé chambellan,
avec pleins pouvoirs, Ah’med ben Khalaf, partisan
dévoué d’Ibn Tâferâdjîn. Cet état de choses, posté-
rieur à la retraite du sultan Aboû ‘Inân, dura un an

(1) ABC, Fàris ben ‘Ali ben Wedràn [ou Werd&n]. Dans ibn
Kliaidoûn, on lit F&ris ben Meymoûn ben WedrAr.

11

 

— 156 —

ou moins, puis devint odieux à Aboû Yah’ya, qui
dressa à Ali’med ben Khalaf une embûche nocturne,
où ce ministre périt. Le prince fit alors prier Aboû
‘l-‘Abbûs Ah’med ben Mekki, prince de Djerba et de
Gabès, de remplir auprès de lui les fonctions de
chambellan, car il n’ignorait pas Tanimosité de celui
à qui il s’adressait contre Ibn Tôferâdjtn. Ibn Mekki
se rendit auprès de lui, et ils adressèrent aussitôt à
Aboû M non des pigeons porteurs de ces nouvelles,
ainsi que des messagers lui annonçant qu’ils recon-
naissaient son autorité [P. 85] et imploraient son se-
cours. Mais les révoltés durent fuir devant l’armée
qu’Ibn Tôferâdjîn envoya contre eux, et tandis qu’A-
boû Yah’ya Zakariyyâ s’enfermait dans Gabès,
ces troupes conquirent Mehdiyya, dont Ibn Tâfe-
rôdjîn confia l’administration à Moh’ammed ben ed-
Dekdàk (1). Aboû Yah’ya, d’abord installé à Gabès,
participa avec Ibn Mekki à une expédition contre
Tunis, puis ce prince se retira chez les Dawôwida
et reçut l’hospitalité chez Ya’k’oûb ben ‘Ali^ dont il
devint l’allié par son mariage avec la nièce de ce
chef, fille de son frère Sa’îd ; il séjourna chez ce
peuple jusqu’au jour où il entreprit une expédition
contre Tunis, sous le règne du sultan Aboû ‘l-‘Ab-
bâs ; il en sera parlé plus loin.

A la fin de 759, mourut le sultan Aboû ‘Inân,
qui était arrivé à l’âge de trente ans, dont il avait
régné dix. Il eut pour successeur son fils Moh’am-
med es-Sa’td, sous la tutelle du vizir et meurtrier du
prince défunt, El-H’asan ben ‘Omar Boûdoûdi (2).

(1) B C. vJXéuCJI ; A vj/LXJI ; Ibn Khaldoûn (texte, i,684).

(2) B C, Berdoûdi. Sur cei éyénements^ yoir Berbères {m, 66 ;
XV, 317).

 

— 157 —

Mais Mançoûr ben Soleymôn ben Mançoûr (1) ben
‘Abd el-H’ak’k’ se révolta contre Sa’td, assiégea la
nouvelle Fez, siège du gouvernement, et fut reconnu
par toutes les provinces. Il fit (2) venir de Ceula, où il
était emprisonné, le sultan de Constântine Aboù
‘l-‘Abbâs et lui permit, en redjeb 760 (juin 1359), de
retourner dans son pays.

La même année, Aboû Ish’âk’, qui régnait à Tu-
nis, fit une expédition contre Constanline, qu’occu-
paient les Mérinides et Tattaqua pendant un certain
temps, puis se dirigea sur Bougie ; les habitants de
cette ville se soulevèrent contre l’officier Mérinide
qui y commandait, Yah’ya ben Meymoûu ben Maç-
moûd (3). On Tenchaina et on l’envoya par mer à
Tunis, où il fut jeté en prison. Aboû Ish’âk’ fit son
entrée à Bougie en 761 (23 nov. 1359) et y exerça
une autorité absolue pendant cinq ans, période pen-
dant laquelle il fut soutenu de Tunis par son cham-
bellan et tuteur Aboû Moh’ammed ben TâferAdjtn. Il
en sortit à la suite d’un traité de paix qui la rendit à
son ancien maître, le neveu d’Aboû Ish’âk’, c’esl-à-
dire Témtr Aboû ‘Abd Allôh Moh’ammed fils d’Aboû
Zakariyyâ fils du sultan Aboû Yah’ya Aboû Bekr,
qui ne réussit [à rentrer dans la ville] qu’après plu-
sieurs tentatives. Aboû Ish’âk’ se rendit par terre à
Tunis (4).

En la même année [760], l’émîr Aboû Sali m, fils
du sultan mérinide Aboû ‘1-H’asan, quitta secrète-
ment Grenade pour aller à Séville demander au roi

(1) B C ajoutent « ben ‘Abd el-Wâh’id ». Voir Berbères (iv, 3i5).

(2) A B C ajoutent « par l’intermédiaire de leur (A lit sa)3sœur ».

(3) B, Yah’ya ben Mançoûr ben Eç-Çamoûd ; voir ibid. (ni, 6à).

(4) En ramad’&n 766 (Lbid,, m, 60;.

 

— 158 —

chrétien de Taider à reconquérir le royaunae de ses
pères : il venait en effet d’apprendre la ndort de son
frère Aboû ‘Inân et les troubles qui désolaient sa
patrie, et avait perdu tout espoir d’être soutenu par
le prince [musulman] d’Espagne. Le prince chrétien
compatissant à ses chagrins fit équiper un vaissean
de sa flotte pour les transporter, lui et ses partisans,
sur le littoral maghrébin. [P. 86J Us débarquèrent
au Djebel eç-Çafîh’a (1), sur la route de Ceuta, en mê-
me temps qu’arrivait le sultan Aboù ‘l-‘Abbâs, qui
venait de sortir de la prison où il avait été renfermé
dans cette ville. Ce fut sur cette route que naquit
Aboû Ish’âk’ Ibrôhîm, fils d’Aboù ‘l-‘Abbâs. Aboù
Sâlim, quand il rencontra Aboû ‘l-‘Abbâs, n’avait
guère avec lui qu’une huitaine d’Espagnols, et il lui
demanda de lui prêter son aide, s’engageant par
contre, s’il réussissait, à restaurer Aboû ‘l-‘Abbâs
sur le trône de Constantine. Ce dernier, qui s’arrêta
[quelque temps] avec lui, avait, entre autres compa-
gnons, le k’â’id Bechîr. Puis Aboû Sâlim, dont [l’ar-
rivée et] la situation s’ébruitèrent, vit venir à lui les
tribus montagnardes (2).

Mançoûr ben Soleymân,qui s’était insurgé, avait en-
voyé une armée commandée par ses deux frères ^Isa
et T’alh’a pour combattre l’émîr Aboû Sâlim, et les
hostilités s’engagèrent ; mais les troupes d’Ibn Soley-
mân abandonnèrent son parti pour faire cause commu-
ne avec Aboû Sâlim. H’asan ben ‘Omar Boûdoûdi quitta
également le parti de Moh’ammed es-Sa’îd ben Aboû

(1) Cette montagne, dit M. de Slane, est probablement celle qui
s’élèvr. au sud de Tétouan (Not. et cxtr. des mss., xix, 1’* p., p.
XXX vi;.

(2) Voir Berbèreg, iv, 328.

 

— 159 —

‘Inân à Fez et reconnut Tautorilé d’Aboû Sâlim, de
sorte que celui-ci se trouva maître du Maghreb tout
entier et put faire son entrée dans la Ville neuve de
Fez le vendredi 15 cha’bân 760. Il accorda sa faveur
particulière (1) au khatîb de son père, le savant Aboû
‘Abd Allah Moh’ammed ben Ah’med ben Merzoûk’,
et confia le sceau et le secrétariat privé au juriste et
h’âp.z Aboû Zeyd ‘Abd er-Rah’mân ben Khaldoûn,
l’auteur du Terdjomdn el-iber, qui avait quitté Tarmée
de Mançoûr ben Soleymân quand il avait vu décli-
ner la fortune de celui-ci et briller l’étoile d’Aboû
Sàlim, et qui se trouva ainsi récompensé.

Quand Aboû Sàlim se fut installé à Fez, où il
avait à côté de lui Aboû ‘l-‘Abbâs Ah’med, il donna
Tordre de rendre à la liberté Témîr de Bougie, Aboû
‘Abd Allah Moh’ammed. En 76J (23 nov. 1359), il se
dirigea sur Tlemcen et entra dans la ville, où il sé-
journa quelque temps ; ce fut à cette époque qu’A-
boû ^l-‘Abbàs alla rendre visite à (la tombe de) Sîdi
Aboû Medyen et s’engagea par serment à ne rendre
le mal que par le bien.

Aboû Sàlim écrivit ensuite à Mançoûr ben el-
H’âddj Khalloûf, qu’Aboû ‘Inân avait placé à Cons-
tantine en qualité de gouverneur, de quitter cette
ville et de la céder à Aboû ‘l-‘Abbâs, qu’il avait en-
voyé à cette destination en lui faisant rendre des
marques de respect, et qui entra dans la dite ville
en ramad’ân de cette année.

Aboû Yah’ya Zakariyyà était toujours resté à Tu-

(1) Pour le sens que nous donnons au mot ambigu ^n .^] ,

comparez] les détails que fournit l’autobiographie d’ibn Khaldoûn
(Noi, et eœtr. des mss., t. xix, 1″ p., p. xxxvin et s.).

 

– 160 –

nis depuis le jour où son frère Aboû *l-‘Abbâs Ta-
vait envové solliciter l’aide de leur oncle le sultan
Aboû Ish’èk’. Aussi la réinstallation d’Aboû ‘l-‘Ab-
bâs à Constantine [P. 87] fut-elle cause qu”Abd Allôh
ben Tâferâdjîn, craignant que sa colère ne se mani-
festât par des hostilités et désireux de se créer une
sauvegarde en la personne de Zakariyyè, fit interner
celui-ci dans la K’açba de Tunis, en ayant soin
d’ailleurs de lui faire rendre tous les honneurs. Aboû
‘l-‘Abbâs commença par entamer des négociations
pour la paix et obtint la mise en liberté de son frère.
La paix fut d’ailleurs conclue entre eux. Zakariyyà,
revenu à Constantine, fut mis par Aboû ‘l-‘Abbôs à
la tète de l’armée et marcha sur Bône, qu’il conquit
en 762 (1); le souverain l’installa avec des troupes
dans cette ville, dont il le nomma gouverneur et ((ui
devint la limite du territoire confié à ses soins. La
situation de cette ville ne changea plus désormais.

Dans la nuit du (lundi au) mardi 17 dhoû ‘1-k’a’da de
la dite année, ‘Omar ben ‘Abd AUâh ben ‘Ali se ré-
volta dans la Ville neuve de Fez contre Aboû Sàlim
et reconnut l’autorité de Tâchefîn el-Mawsoûs, fils
du sultan mérinide Aboû ‘1-H’asan. Aboû Sâlim par-
tit de l’ancienne Fez pour le combattre, mais son
armée l’abandonna et s’enfuit à la Ville neuve ; lui-
même dut prendre la fuite, mais il fut poursuivi et
tué, et sa tête fut rapportée à la Ville neuve.

Le peuple réclama ensuite avec vivacité auprès
d’Omar ben ‘Abd Allah contre le choix qu’il avait
fait de Tâchefîn, prince inintelligent, et ce chef en-
voya des messagers à l’émîr Moh’ammed ben ‘Abd

(1) Cette date, que donne également Ibn Khaldoûn (iii, 68), a été
transformée dans B, à Taide d’un grattage, en 763 ‘3t oct. 1361 1.

 

— 161 —

er-Rah’mân, petit-fils du sultan Aboû ‘1-H’asan, le-
quel s’était réfugié en pays chrétien pour échapper à
son oncle le sultan Aboû Salira, et il fit reconnaître
l’autorité de ce nouveau prince à la mi-çafar 763 (mi-
décembre 1361); quant à Tâchefîn, il le déposa et le
relégua, lui et son harem, dans son hôtel.

En la même année 763 (31 oct. 1361), les habitants de
Djerba, exaspérés contre les manières d’agir d’Ibn
Mekki, firent parvenir secrètement leurs doléances au
chambellan Aboû Moh’ammed ben Tàferâdjîn, qui
leur envoya des troupes commandées par son fils Aboû
‘Abd Allah Moh’ammed. Ah’med ben Mekki se trou-
vant alors à Tripoli, Aboû ‘Abd AUâh débarqua ses
troupes dans l’île, assiégea le fort d’EI-K’achtîl, qu’il
finit par emporter d’assaut, et se rendit maître de
toute l’île, il y fit reconnaître l’autorité du souverain
de Tunis, et après y avoir installé comme gouver-
neur son secrétaire Moh’ammed ben Aboû ‘l-K’ôsim
ben Aboû ‘l-‘Oyoûn, il regagna la capitale.

Au commencement de 766 (28 sept. 1364), mourut
à Tunis le chambellan Aboû Moh’ammed ben ‘Abd
Allah ben Tàferâdjîn, qui fut inhumé dans le collège
fondé par lui, qui se trouve au pont d’Ibn Sâkin, en-
deçà du Bâb es-Soweyk’a. Le khalife Aboû Ish’âk’
assista à la cérémonie jusqu’à la mise au tombeau.
A partir de la mort de son ministre il exerça libre-
ment le pouvoir et la réalité du gouvernement passa
entre ses mains.

Lorsque le sultan Aboû Ish’âk’ Ibrâhîm, en 765,
quitta Bougie par terre, comme nous l’avons dit, il fit
route par Gonstantine et reçut dans cette ville l’hospi-
talité [P. 88] d’Aboû ‘l-‘Abbâs, fils de son frère et émîr
de cette ville ; puis après s’y être reposé quelques jours

 

— m –

avec sa famille et ses serviteurs, il reprit sa marche vers
sa capitale (1). Après son arrivée à Tunis et quelque
temps avant la mort du chambellan Aboû Moh’am-
med, il devint son gendre par suite du mariage qu’il
contracta avec sa fille. Aboû ‘Abd AUâh Moh’am-
med, fils du défunt, était, au moment où son père
mourut, en tournée pour prélever les impôts et pa-
cifier le pays, et cet événement eut pour effet d’exci-
ter ses appréhensions : il renvoya son corps de trou-
pes à Tunis et partit de compagnie avec les H’akîm,
tribu Soleymite, dans la direction des places fortes
d’Ifrîk’iyya qui passaient pour leur être acquises,
Djerba et Mehdiyya par exemple. Mais les gouver-
neurs de ces villes refusèrent de l’accueillir. D’autre
part le sultan lui ayant envoyé toutes les lettres de
sauvegarde qu’il pouvait souhaiter, de réfractaire
qu’il était il revint à l’obéissance, et il regagna la
capitale. Il reçut du souverain un très bon accueil et
fut nommé chambellan ; mais il conçut bientôt de la
mauvaise humeur parce que le sultan, qui avait pris
l’habitude depuis la mort d’Ibn Tâferàdjîn de traiter
les affaires lui-même, se mettait en contact avec le
peuple sans plus employer d’intermédiaires. La dis-
corde se mit donc entre eux, la calomnie s’en mêla,
si bien que le fils d’Ibn Tâferàdjîn gagna sous un
déguisement Gonslantine, où il s’installa chez le sul-
tan Aboù ‘l-‘Abbâs, et lui souffla le désir de con-
quérir Tunis. Ce prince, qui lui fit un excellent ac-
cueil, promit de tenter l’affaire avec lui sitôt qu’il
aurait réglé le conflit pendant au sujet de Bougie
entre lui-même et son cousin, prince en cette ville.

(1) Ces premières lignes de TaJinéa sont placées dans ABC plus
haut (au premier tiers de notre p. 160).

 

— 163 –

A la suite de la fuite du fils d’Ibn Tâferâdjîn,
Ibrâhîm prit comme chambellan Ah’med ben Ibra-
him Mâlak’i (1), mais exerça lui-même Tautorité et
confina celui-ci dans l’exercice de ses fonctions sans
le laisser en contact avec le peuple.

En la dite année, à la suite de la mort du grand
k’àd’i, le juriste ‘Omar ben ‘Abd er-Refî’, on parla à
l’audience royale de la nomination de son succès-
seur, en présence du cheykh Ibn ‘Arafa, imàm de la
grande mosquée. « Il est d’habitude, » dit l’un des
assistants, « que le k’àd’i des mariages, » — poste alors
occupé par le cheykh Ibn H’aydera, — « devienne
grand k’âd’i ». — C’est à Dieu, » dit Ibn ‘Arafa, « à
favoriser telles ou telles de ses créatures ; la meil-
leure nomination serait celle d’Ibn el-Kat’t’ân, qui
habite Sousse. -— Je ne prendrai, » dit le sultan,
<• quelqu’un de la province, comme lui, que si Tunis
ne renferme personne qui convienne. » Le prince
choisit Moh’ammed ben Khalaf Allah Neft’i, qui avait
quitté sa ville de Neft’a pour venir demeurer auprès
du sultan, par suite de la colère qui l’animait contre
le gouverneur de cette ville, ‘Abd Allah ben ‘Ali ben
el-Khalaf (2). Le sultan lui avait témoigné la satis-
faction qu’il ressentait de sa venue ; il l’avait ensuite
nommé k’à’id des troupes chargées de maintenir le
Djerîd, où le zèle que mit ce chef à remplir ses de-
voirs lui valut l’opposition des habitants, qui à plu-
sieurs reprises envoxèrent directement leurs impôts
[P. 89] au sultan, et d’autres fois soudoyèrent les
Arabes pour attaquer son armée. Quant à Ibn el-

 

(1) B G écrivent Yâlak’i, variante aussi signalée par M. de Slane,
qui a adopté Ja lecture Bàlak’i.

(2) Berbères, m, 149.

 

Mâlak’i, il redoutait la faveur ^1) dont le sultan ho-
norait ce chef, et il ne cessa pas de tâcher de Tindis-
poser contre lui jusqu’au jour où la mort du prince
lui permit de s’emparer de son adversaire, ainsi qu’il
sera dit plus loin.

En 767 (18 sept. 1365), Aboû ‘l-‘Abbâs Ah’med
quitta Constantine et marcha sur Bougie, pour ré-
pondre à l’appel des habitants de celle-ci, qui se
plaignaient des procédés injustes de leur prince
Aboû ‘Abd Allah. Ce dernier pi-it la fuite, serré de
près par un guerrier désireux de s’emparer de sa
personne, mais qui ne le put qu’en le frappant d’un
coup mortel. Le sultan Ah’med fît son entrée à Bou-
gie le 19 cho’bûn de la dite année.

Postérieurement à la conquête de cette ville, les
secrétaires d’Aboû ‘Abd Allah, ainsi que le cham-
bellan de ce prince, le juriste et vizir Aboû Zeyd
‘Abd er-Rah’màn ben Khaldoûn, se rendirent au-
près de lui ; il leur fît un généreux accueil et leur
pardonna (2).

Le 13 djomâda I de la dite année, mourut le grand
k’ad’i de Grenade, le juriste et notaire ( ^j^^ ) Aboû
‘1-K’âsim bcn Selmoùn ben ‘Ali ben ‘Abd Allah Ki-
nôni, originaire de Baëza, né et élevé à Grenade,
connu sous le nom d’Ibn Selmoûn et auteur du
traité de jugements intitulé : El-‘Akd eirmonaz’z’em
Wl’h’okkâm fi ma yadjri beyna aydihim min el-watKffiV
wa’UaKkâm (3).

Ensuite Aboû ‘l-‘Abbâs Ah’med quitta Bougie

(f> A B C ^^ au lieu de (j^ij de D.

(2) Cf Berbères, i, p. xlv ; m, 74 ; Not. et Eœtr , xix, !’• p., p.
XLvin.

(3^ Cet ouvrage a été publié au Kaire en i3C2 hég.

 

— 165 –

pour assiéger Tedellis (1), qu’il emporta et où il
s’empara des fonctionnaires ‘Abd el-wâdites qui s’y
trouvaient. Toutes les places fronlières occidentales
relevèrent aloi’s de son autorité, de même qu’elles
avaient relevé de celle de son’^aïeul l’émîr Aboû Za-
kariyyô II, et jusqu’à son expédition contre Tunis,
dont il sera parlé, il fit diverses allées et venues en-
tre Bougie et Constantine.

Après avoir conquis Bougie, il confia à Aboû
Yah’ya Zakariyyâ le commandement de troupes
destinées à se joindre aux Awlàd Mohalhel, qui
étaient venus le trouver avec Aboû ‘Abd Allah Mo-
h^ammed, fils du chambellun Aboû Moh’ammcd ‘Abd
Allah ben Tâferâdjîn, et ces forces réunies, où figu-
rait [le fils d’JIbn Tàferàdjîn, assiégèrent Tunis pen-
dant quelques jours, mais sans succès ; elles se re-
tirèrent après avoir conclu une trêve avec le prince
de cette ville. Aboû Yah’ya rentra dans son gouver-
nement de Bône, et [le fils d’JIbn Tâferâdjîn alla re-
trouver Aboû ‘l-‘Abbâs.

En 769 f28 août 1367), le sultan Ibrahim confia à
son fils Aboû ‘1-Bak’â Khâlid un corps de troupes
sous la surveillance de Moh’ammed ben Réfi’, chef
maghrâwi qui figurait dans le djond, et qui devait
être le chef effectif de l’expédition ; il fit accompa-
gner son fils par Mançoûr ben H’amza, leur don-
nant l’ordre de ravager les environs de Bône et d’y
prélever les impôts. [P. 90] Mais Aboû Yah’ya, qui
commandait à Bône, fit soutenir par ses troupes les
habitants de la campagne, et l’on parvint à repous-
ser les envahisseurs, qui durent faire volte face.

 

(1) B C D, Tunis ; A, Tébessa ; aucune de ces deux lectures n’est
acceptable, et j’ai corrigé en Tedellis d’après Ibn Khaldoûn (m, 76j.

 

– 166 –

Lors de leur retour à Tunis, le sultan manifesta son
mécontentenient à Moh’ammed ben Râfi’, qui com-
mandait cette troupe, et ce chef se retira avec les
siens dans la région qu’ils occupaient à Toudjoubba
(1) dans le canton de Tunis. Ensuite le sultan, se
rendant à ses sollicitations, le rappela, puis s’assura
de sa personne et le jeta en prison. Mais à peine
cela s’était-il fait que le sultan lui-même mourut su-
bitement une nuit de redjeb 770 (fév. 1369) : il avait
passé la soirée à causer et avait fini par s’endormir,
mais il était mort quand un serviteur voulut l’éveil-
ler. Son règne à Tunis avait été de dix-huit ans et
dix mois et demi ; il laissa cinq fils et onze filles.

Cette mort subite décontenança tout d’abord les
familiers du palais ; mais ils reprirent bientôt con- 1
science d’eux-mêmes et s’entendirent pour reconnaî-
tre l’autorité du fils aîné du détunt. En conséquence
on prêta serment de fidélité à Témîr Aboû ‘1-Bak’â
Khalid ben Aboû Ish’âk’ Ibrahim ben Aboù Yah’ya
Aboû Bekr, descendant des khalifes légitimes, en
redjeb 770, le lendemain matin de la mort de son
père. Ceux qui firent prêter ce serment au peuple
furent son client et affranchi le renégat Mançoûr, et
son chambellan Ah’med ben Ibrahîm Mâlak’i, en
présence des Almohades, des juristes et de la foule.
L’audience fut levée sitôt la cérémonie accomplie, et
il se rendit aux funérailles suivies de l’inhumation
de son père.

Ce furent son affranchi Mançoûr et Ibn el-Mâlak’i
qui s’attribuèrent tout le pouvoir, et lui-même n’a-

(1) Ce nora, vocalisé dans D, est écrit avec les mêmes consonnes
dans B ; dans C, la première lettre est dépourvue de points ; A lit

v^ac^ , et dans Ibn Khaldoùn Torthographe est incertaine (texte, i,
689; trad. m, 78)

 

— 467 —

vait aucune autorité sur eux. Leur premier acte de
gouvernement fut de se saisir du grand k’âd’i, le
juriste Moh’ammed ben Khalaf Allah, à qui El-x\lâ-
lak’i en voulait, et de l’envoyer dans la prison où
était déjà renfermé Moh’ammed ben Ràfi’ précité.
Puis El-Mâlak’i leur envoya par dessous main quel-
qu’un qui leur conseilla de s’évader, et ils préparè-
rent en effet leur fuite avec le traître : mais leur pro-
jet fut connu, et les deux prisonniers furent étran-
glés dans leur prison.

Moh’ammed ben Khalaf Allah fut remplacé com-
me grand k’âd’i à Tunis par celui qui était alors
k’âd’i des mariages, le savant juriste et h’âfi^’ Aboû
‘l-‘Abbâs Ah’med ben H’aydera.

Vers 771 (5 août 1369), mourut le juriste et k’âd’i
Aboû ‘1-Berekât Moh’ammed ben Aboû Bekr, connu
sous le nom d’Ibn el-H’âddj, qui avait été k’âd’i et
khai’ib à Alméria et à Malaga, puis grand k’âd’i et
khai’ib de la cour à Grenade. Quand il alla trouver
le sultan Aboû ‘Inân, [P. 91] celui-ci lui demanda
son âge: « D’après Mâlik, » répondit Ibn el-H’âddj,
« il n’est pas convenable qu’un homme dise son
âge. » Le prince quitta ce sujet pour demander à
son interlocuteur des renseignements sur ses voya-
ges et sur l’époque à laquelle il s’était rendu à Bou-
gie. Ibn el-H’âddj lui en ayant dit la date, il reprit sa
question antérieure en ces termes : « Quel âge crois-
tu que tu avais alors ? — Veux-tu donc m’attra-
per ? » repartit brusquement le savant, qui comprit
Tarrière-pensée du sultan.

Le 4 dhoû ‘1-h’iddja de la dite année, mourut à
Tlemcen le très savant cheykh et chérif Aboû ‘Abd Al-
lah Moh’ammed ben Ah’med H’asani, commentateur

 

— 168 —

des Djomel d’El-Khoûndji (1) ; c’était un imâm qui
savait raisonner et à l’intelligence solide. Ibn ‘Arafa,
qui le vit quand ce savant se rendit à Tunis, déclare
qu’il reconnut en lui une science complète et des
connaissances variées. Son fils rnpporte qu’El-H’asani
lui raconta avoir entendu en songe son père lui réci-
ter ce vers :

[T’awtIJ. Tu es pleinement et uniquement mon ami ; en loi
je vois mon inlime, et les autres hommes sont des sots.

Pour en revenir aux affaires de Tunis, à la suite
de Tavènement de Témir Khûlid, Ibn el-Mâlak’i, Taf-
franchi Mançoûr et leurs adhérents mécontentèrent
le peuple par leurs procédés blâmables et ils durent
bientôt appeler Mançoûr ben H*amza, cheykh des
Awlâd Aboû ‘1-Leyl et des Benoû Ka’b en lui pro-
mettant qu’il partagerait avec eux l’exercice du pou-
voir ; mais ils ne lui tinrent pas parole, et la colère
poussa ce chef à se rendre auprès du sultan Aboû
‘l-‘Abbâs Ah’med, qui se préparait à les attaquer et
qu’il confirma dans ces dispositions ; il lui offrit en
outre son concours, qui fut accepté. Les habitants de
K’astlliya (2) avaient déjà député à ce prince dans le
même but ; il leur envoya Aboû ‘Abd Allah, fils du
chambellan Aboû Moh’ammed ben Tâferâdjîn, qui
reçut leur soumission ; Yah’ya ben Yemloûl, chef de
Tawzer, et El-Khalaf ben el-Khalaf, chef de Neft’a,
s’empressèrent de faire de même. Le sultan quitta
alors Bougie à la tète de ses troupes, après avoir
laissé le gouvernement de cette ville à son fils Aboû

(1) Ce commentaire d’un traité très connu de logique existe en
manuscrit à la Bibliothèque- M usée d’Alger, n* 1388 du CataJogue
imprimé.

(^) A B G D lisent, de même qu Ibn Khaldoûn, Constantine ; mais
la correction de M. de Slane (lu, 81) parait nécessaire.

 
— 169 —

‘Abd AUâh Moh’ammed, et pendant sa marche sur
Tunis il reçut des députations de toute rifrîk’iyya,
qui lui offrait sa soumission. II installa son camp
dans la plaine près de Tunis, et pendant plusieurs
jours il dirigea d’incessantes attaques contre la ville,
puis il se jeta sur les fortifications, accompagné de
son frère et de la plupart de ses intimes qui étaient
à pied, et ils firent si bien qu’ils les escaladèrent du
côté du parc de Ras et-T’ûbiya ; les défenseurs des
remparts leur cédèrent le terrain et s’enfuirent vers
l’intérieur de la ville, tandis que dans la population
effrayée chacun ne songeait qu’à soi ; quant aux offi-
ciers de la cour d’Aboû ‘1-Bak’a, ils étaient en bon
ordre près d’une porte de la K’açba, au Bàb el-
Ghadr (1); mais en se voyant cernés ils firent demi-
tour, gagnèrent le Bâb el-Djezîra, dont ils brisèrent
les serrures pendant que les habitants les assaillaient
de toutes parts, et ils purent non sans peine sortir
de la ville en emmenant leur prince. [P. 92] L’ar-
mée (djùnd) les poursuivit et atteignit Ah’med ben el-
Mâlak’i, qui fut tué et dont la tète fut envoyée au
vainqueur ; l’émîr Khâlid fut également pris et em-
prisonné ; quant au renégat Mançoûr, il put s’é-
chapper.

Le sultan Ah’med fit son entrée dans la K’açba
le samedi 18 rebî’ Il 772. Les demeures des courti-
sans furent livrées au pillage, en punition des extor-
sions par eux commises sur le peuple et des abus
dont ils s’étaient rendus coupables, et les dévasta-
tions et l’incendie auxquels furent livrés leurs biens

 

(1) Ghadîr des Berbères (m, 8^) est uDe faute d’impression, et le
mot arabe correspondant est écrit (texte, i, 591; comme dans notre
traduction.

 

– 170 —

et leurs propriétés faillirent ne pas prendre fin. Aboû
‘l-‘Abbâs Ah’med envoya par mer Témîr Khâlid el
son frère au (port qui dessert) Constantine ; mais
une tempête s’éleva et brisa le vaisseau qui les por-
tait, si bien qu’ils furent engloutis dans les flots.
L’émîr Khâlid avait régné un an et neuf mois et
demi.

Son successeur à Tunis, Aboû ‘l-‘Abbès Ah’med,
fils du feu émir Aboû ‘Abd Allah Moh’ammed fils
du sultan Aboù Yah’va Aboù Bekr et descendant
des khalifes légitimes, avait pour mère une esclave
du nom de K’achwàl ; son intronisation eut lieu à
Tunis le samedi 18 rebî’ II 772 (9 nov. 1370) ; il
avait vu le jour à Constantine en 729. A la suite
de son entrée à Tunis il apaisa les troubles,
remit les choses en bon ordre et fit disparaître du
pays tous les germes de discorde. Au nombre de
ceux dont il forma son entourage immédiat figurait
Aboù ‘Abd Allah Moh’ammed fils d’Aboù ‘l-‘Abbâs
Ah’med ben Tàferàdjîn Tînmeleli, dont l’autorité éta-
blissait les règles fondamentales du gouvernement et
qu’on consultait sur la solution coulumière à don-
ner aux cas douteux. Tel était son rôle, tandis que
l’emploi de chambellan fut confié à son propre frère
Aboù Zakariyyâ. Le prince fit d’abord d’Aboù ‘Abd
Allah, fils du chambellan Aboù Moh’ammed (1) ben
Tàferàdjîn, le chef de ses gardes» puis le nomma cham-
bellan suppléant de son frère. Il donna des comman-
dements à quatre (sic) des familiers qui l’avaient ac-
compagné : au vizir Aboù Ish’âk’ Ibrâhîm fils du

 

(1) A B C lisent « fils du chambellan ‘Abd Allah ben Tàferàdjîn ».
11 faut probablement corriger D et lire « Aboû ‘Abd AUàh Mo-
h’ammed ben Tàferàdjîn ».

 

— m —

vizir Aboû ‘1-H’asan ‘Ali ben Ibrfthtm ben Aboû
Hilôl ‘Ayyâd Hintôli, à son frère germain El-H’âddj
Aboû ‘Abd Ailâh Moh’ammed — TAboû Hilâl en ques-
tion était chef (çâh’ib) de Bougie du temps ( j^y ) du
sultan Ei-Montaçir (1), — ainsi qu’au secrétaire Aboû
Ish’àk’ Ibrâhîm ben Aboû Moh’ammed ‘Abd el-Ke-
rîm ben Kemmâd, qui était un des grands de Cons-
tantine. Le premier qui, à Tunis, fut chargé d’écrire
son paraphe fut le juriste Aboû Zakariyyâ ben Aboû
Ish’ôk’ Ibrâhîm ben Wah’h’âd Koûmi K’osanl’îni,
qui était encore chargé de ce service quand la mort
le surprit. Son successeur, le juriste Aboû ‘Abd Al-
lah Moh’ammed ben K’âsim ben ‘Abd er-Rah’mân
ben el-H’adjar, [P. 93] appartenait à une noble et
honnête famille de Constantine ; à une belle écriture
il joignait la concision des expressions^ et il continua
ses fonctions de secrétaire jusqu’à la mort du kha-
life.

Le sultan [Aboû ‘l-‘Abbàs] Ah’med fonda à Tunis
des œuvres de bienfaisance durables, entre autres la
grande fontaine de la cité dans la Bat’h’a d’Ibn
Merdoûm (2) ; l’enseignement quotidien des sept por-
tions du Koran installé dans la Mak’çoûra à l’ouest
du Djâmi’ ez-Zitoûna et assuré par une fondation
perpétuelle ; la* grande tour appelée K’art’il eIrMah’h’âr,
à l’est de K’amart de Carthage, et destinée à servir
d’ouvrage défensif ; l’abolition du droit d’hospitalité
dû par les bourgades de K’artôdjenna (Garthage) au
sultan quand il allait de ce côté, sans parler d’autres
bonnes œuvres tout à son honneur.

En 772 (26 juillet 1370), le très savant juriste et

(1) Leçon d’A B G D ; Ibn Khaldoûn (iii, 87) lit Mostançir.
{t) Kfayhiwâiii (tèxCè, p. ISs!) dit « du chefkh SlcÛ MerddÙm ».

18

 

— 172 —

imâm Aboû ‘Abd Allah Moh’ammed ben ‘Arafa iut
nommé khai*îb au Djàmi’ ez-Zîtoûna, et l’année d’a-
près mufti au même établissement.

Quand Tordre fut bien établi dans son royaume, le
sultan AI)où M-‘Abbâs Ah’med enleva aux Arabes
les villes qu’ils avaient en leur possession (1). Cet acte
de vigueur les indisposa et mécontenta Mançoûr ben
H’amzn, cheykh des Benoù Kn’b et des Awlàd Aboû
‘1-Leyl, qui refusa de lui obéir plus longtemps. Il fut
suivi dans sa rébellion par Aboû Ça’noûna Ah’med
ben Moh’ammed ben ‘Abd Allah ben Meskîn, cheykh
des H’nkîm, qui passa chez les Dawâwida pour ré-
clamer du secours à Témîr Aboû YahVa Zakariyyâ,
fils du sultan Aboû Yah’ya, à qui il prêta serment
de fidélité. Les insurgés se mirent en marche contre
Tunis, et furent rejoints par Mançoûr ben H’amza
et les siens, qui reconnurent aussi l’autorité de ce
prince. Yah’ya ben Yemloûl, à qui des cheykhs fu-
rent envoyés à cet effet, en fit autant. Des troupes
que le sultan confia à son frère Aboû Yah’ya Zaka-
riyyâ leur livrèrent une bataille où ce dernier fut
battu, et les Arabes vinrent avec leur chef camper
sous les murs de Tunis. [D’autre part] le sultan
Aboû ‘l-‘Abbâs Ah’med ayant eu vent que son
chambellan Aboû ‘Abd Allah Moh’ammed, fils du
chambellan Aboû Moh’ammed ben Tâferâdjîn, était
en pourparlers avec les Arabes au sujet de l’occupa-
tion de Tunis, se saisit de la personne du ministre
et l’envoya par mer à Constantine, où il mourut em-
prisonné en 778 (21 mai 1376). Puis des messagers
dépêchés par le sultan aux partisans de Mançoûr ben

(1) U texte porte ici jt^^^wt*JI v^^V ^ tJ^^ ^^^’ P-^*^)-

 

— 173 —

H’amza excitèrent chez eux une mutinerie à la suite de
laquelle ce chef dut de nouveau reconnaître Tautorité
de ce prince, lui livrer son fils en otage et cesser d’o-
béir au prétendant Zakariyyâ. Il se retira chez les Da-
wâwida et resta soumis jusqu’à sa mort. Il fut tué par
le fils de son frère Moh’ammed ben Fetîta, et l’auto-
rité qu’il détenait fut après lui exercée par Çoûla ben
Khâlid ben H’amza, qui reçut l’investiture du sultan.
En 773 (15 juillet 1371), le sultan donna le gou-
vernement de Gonstantine au k’â’id Bechîr (1). [P.
91J La nuit du [lundi au] mardi 23 rebî’ II 774 mou-
rut le sultan de Fez ‘Abd el-‘Azîz ben Aboû ‘1-H’a-
san d’une maladie chronique. Moh’ammed es-Sald,
qui lui succéda, était encore tout jeune, et son pou-
voir dura jusqu’en 775 (23 juin 1373), date de l’attaque
que dirigea contre lui l’émîr Aboû ‘l-‘Abbàs Ah’med,
fils de l’émîr Aboû Sâlim. Aboû ‘l-‘Abbâs, dès son en-
trée à Fez, s’empressa, conformément à la recomman-
dation que lui avait adressée Ibn el-Ah’mar, roi d’Espa-
gne, de saisir et d’emprisonner Ibn el-Khat’îb Anda-
losi. Un envoyé d’Ibn el-Ah’mar vint bientôt féliciter
le vainqueur de sa conquête. Ibn el-Khat’îb, qui tut
étranglé dans sa prison, était un écrivain éloquent,
historien, habile poète, versé dans l’astrologie judi-
ciaire. J’ai ouï un maître raconter qu’entre autres
vers composés par ce savant le jour de sa mort figu-
rent ceux-ci :

[Sarî’]. Quand tu verras le brillaul soleil du malin arrivé au
moment qui sépare les deux prières de raprès-mlili et du cou-
cher du soleil, arrèle-toi pour invoquer la pitié divine sur le
sans-pareil du Maghreb, dont le meurlre eut lieu à ce mo-
ment (:2).

(1) Ibn Khaldoûn parle plus longuement de ce Bechîr (m, 35, 75,
89, 90/.

(2) U s’agit du célèbre ministre et chroniqueur à la biographie de
qui Makkari a consacré la seconde partie de son ouvrage ; Toir en-
tre autres Berbères, iv, 333 et 411 ; Reoue qfrioaine, itm, p. 269.

 

– 174 —

A la fin de rebî’ I 778, mourut le grand k’âd’i de
Tunis, le juriste et h^âfiz’ Aboû 4-‘Abbâs Ah’med
ben Moh’ammed ben K’âsim ben Moh’ammed ben
H’aydera, qui fut enterré à El-Djellâz et qui eut
pour successeur dans sa charge le juriste Aboû ‘Ali
H’asan ben Aboû ‘1-K’àsim ben Bâdîs K’osant’îni.

En 779 (10 mai 1377;, le k’à’id Bechîr, qui était
préposé à Constantine, étant venu à mourir, pleine
autorité dans cette ville fut donnée par le sultan à
son fils Aboû Ish’âk’ Ibrâhîm, qui s’y trouvait déjà,
mais sous la tutelle du k’â’id Nebîl, qui faisait tout
au nom de ce prince encore trop jeune (1).

En 779 (9 mai 1377), le sultan hafçide Aboû ‘l-‘Ab-
bàs Ah’med quitta sa capitale à la tête de ses trou-
pes et de ceux des Awlâd Mohalhel et des H’akîm
qui se joignirent à lui, et se dirigea sur le Djerîd,
où les cheykhs montraient une indépendance et
commettaient des excès dont le bruit était arrivé jus-
qu’à lui. Arrivé d’abord à K’ayrawân, il en repartit
pour Gafça, devant laquelle il mit le siège pendant
trois jours (2) ; puis, pour venir à bout de la résis-
tance de cette ville, il donna Tordre de couper les
palmiers des environs. Alors les habitants quittèrent
leurs demeures les uns après les autres pour se ren-
dre auprès de lui et abandonnèrent leur chef Ah’med
ben el-‘Abid et son fils Moh’ammed, qui avait acca-
paré toute l’autorité. Moh’ammed alla trouver le sul-
tan et stipula avec lui les conditions de sa soumis-
sion et le montant du tribut qu’il lui verserait, puis
retourna vers la ville, sous les murs de laquelle il

(1) Cf. Berbères, m, 89.

(2) Nous ajoutons ces trois derniers mots d’après A B G et Ibn
Khaldoûn (m, 93).

 
– 175 —

rencontra (le frère du sultan), Aboû Yah’ya Zaka-
riyyâ. Celui-ci l’envoya au souverain, tandis que lui-
même pénétrait dans la K’açba et se rendait maître
de la ville. Le sultan ayant ainsi à sa disposition
Ah’med ben el-‘Abid et son fils Moh’ammed (1), les
fit emprisonner tous deux et s’empara de l’hôtel et
des trésors de ce chef. [P. 95] Les grands de la ville
vinrent alors apporter leur soumission au sultan.

Celui-ci confia le gouvernement de Gafça à son
fils Aboû Bekr et se dirigea à marches forcées sur
Tawzer. La nouvelle de la conquête de Gafça était
promptement arrivée aux oreilles d’Ibn Yemloùl, qui
avait aussitôt fait charger sur des bêtes de somme
ses femmes et ses richesses les moins lourdes, et
avait gagné le Zâb. Des pigeons envoyés par les ha-
bitants de Tawzer avaient prévenu le sultan, qui ar-
riva pour en prendre possession et qui devint maître
des trésors des Benoû YemloûI, trésors tels qu’ils
dépassaient toute description. Il installa dans cette
ville son propre fils El-Mostançir (2) en qualité dé
gouverneur.

El-Khalaf ben el-Khalaf, prince de Neft’a, obéis-
sant à l’appel du sultan, vint lui apporter sa sou-
mission ; il fut confirmé dans son gouvernement et
nommé chambellan d’El-Mostançir à Tawzer, où il
fut installé par Aboû ‘l-‘Abbôs Ah’med.

Celui-ci, en regagnant sa capitale, eut à combattre
des Arabes dissidents, qui l’attaquèrent et dont il resta
vainqueur. Après son retour il reçut la visite de Çoûla
ben Khâlid ben H’amza, qui avait préalablement ob-
tenu un sauf-conduit et qui dut accepter les condi-

 

(1) Le texte porte : « Moh’ammed ben el-‘Abid et son fils Ah’med ».

(2) Ainsi lisent B C D ; A et Ibn Khaldoûn lisent El-Montaçir.

 

— 176 —

lions qui lui furent imposées pour les tribus aux-
quelles il commandait. Mais le refus de celles-ci de
les accepter quand il les leur fit connaître força le
sultan de diriger une expédition contre elles ; en vain
elles battirent en retraite devant lui, il les poursuivit,
et à la suite de trois combats qu’il leur livra en trois
jours, elles s’enfuirent à K’ayrawôn.

El-Klialaf ben el-Khalaf, à la suite de sa nomina-
tion comme chambellan d’El-Mostançir, resta à Taw-
zer auprès de celui-ci et envoya quelqu’un pour le
remplacer à Neft’a. Mais il fut dénoncé comme cor-
respondant avec Ibn Yemloùl, et l’on saisit des let-
tres de la main de son secrétaire adressées à Ibn
Yemloùl et à Ya’k’oûb ben ‘Ali, cheykh des Dawâ-
wida, et les engageant à se révolter. El-Mostançir
s’assura de sa personne et l’emprisonna, puis en-
voya à Neft’a ses agents pour confisquer les biens
du chambellan, et avisa son père des événements.

Quelque temps après, Aboù Bekr, désireux de
rendre visite à son frère à Tawzer, quitta Gafça en
la confiant aux soins de son chambellan le k’â’id
‘Abd Allah Toreyki. Mais quand il eut le dos tour-
né, Tun des principaux de la ville, Ah’med ben Aboù
Zeyd, è qui se joignirent les hommes de désordre,
leva l’étendard de la révolte et, appelant la popula-
tion à l’imiter, il marcha sur la K’açba. Mais le
k’â’id ‘Abd Allah, sans lui en permettre l’entrée, se
mit en état de dofense, et fit battre le rappel dans la
K’açba ; les habitants des localités voisines, attirés
par le son du tambour, furent introduits dans la ci-
tadelle par une porte qui donne sur la broussaille.
Alors les adhérents du chef insurgé l’abandonnèrent
peu à peu, et le k’â’id, ayant organisé une sortie,

 

~ 177 —

s’assura d’un grand nombre des auteurs des désor-
dres et les emprisonna, ce qui ramena la tranquilli-
té. Aboû Bekr aussitôt informé regagna Gafça, où
il fît trancher la tête aux rebelles emprisonnés et
lança une proclamation mettant hors la loi [P.96]
Ibn Aboû Zeyd et son frère. Les recherches qu’on
entreprit les firent découvrir Tun et Tautre déguisés
en femmes ; on les amena à Témîr, qui leur fit cou-
per la tête et les fit crucifier sur des troncs de pal-
mier. De son côté, El-Mostançir fit mettre à mort
dans sa prison Ibn el-Khalaf, qui lui était devenu
suspect.

A la fin de çafar 781 (juin 1379), le juriste Aboû
‘Ali H’asan ben Aboû ‘1-K’asim ben Bâdîs K’osan-
t’îni fut, sur sa demande, relevé de sa charge (de
grand k’âd’i) et nommé à Constantine, d’où il était,
et le juriste Aboû ‘Abd Allah Moh’ammed ben ‘Ali
ben ‘Abd er-Rah’mân Balawi el-K’at’t’ân fut nommé
grand k’âd’i à Tunis.

La même année mourut au Kaire le savant juriste
et prédicateur Aboû ‘Abd AUâh Moh’ammed ben
Ah’med ben Merzoûk’, à l’âge de près de soixaqte-
dix ans ; il fut enterré entre Ibn el-K’âsim et Achhab.

En redjeb de la même année, le sultan quitta Tu-
nis de compagnie avec les tribus arabes et poussa,
en prenant quelque repos en route, jusqu’à K’ayra-
w^ân, d’où il repartit après avoir bien pris toutes ses
dispositions pour combattre ‘Abd el-Melik ben Mekki,
prince de Gabès. Il reçut la soumission empressée
des cheykhs des Dhebbâb, Arabes de Gabès faisant
partie des Benoû Soleym : notamment Khâlid ben
Sebâ’ ben Ya’k’oûb, cheykh des Meh’âmîd, et d’autres
avec lui vinrent le confirmer dans son projet d’assié-

 

— 178 —

ger Gabès. Le sultan s’avança à marches forcées, mais
en se faisant précéder auprès dlbn Mekki par des
n)essdgers, qui rapportèrent de la part de ce chef des
promesses d obéissance et de soumission. Dans le
fait, It^n Mekki fit charger ses bètes de somme et
emballer ses trésors, et alla se réfugier avec son fils
Yah’ya et son petit-fils ‘Abd el-Wahhâb (1) ben
Mekki auprès des tribus des Dhebbâb. Le sultan,
quand il apprit la chose, se précipita dans la ville,
où il pénétra en dhoû ‘1-k’a’da de la dite année, et
prit possession des demeures et des palais du
fuyard. Les habitants se soumirent, et il leur donna
comme gouverneur quelqu’un de son entourage.

Aboû Bqkr ben Thâbit, prince de Tripoli, avait
envoyé pour annoncer sa soumission des messager^
qui trouvèrent le sultan à proximité de Gabès. Après
la conquête de cette ville, ce dernier envoya à Tri-
poli un de ses, familiers chargé d’obtenir la réalisa-
tion de ces promesses, et entre les mains dç qui fut
prêté le serment de fidélité.

Quant à Ibn Mekki, il ne passa après sa fuite de
Gabès qu’un petit nombre de jours cl^iez les tribus
arabes, car il fut frappé de mort subite. Son fils et
son petit-fils, qui se dirigèrent sur Tripoli, n’obtin-
rent pas d’Ibn Thâbit l’autorisation d’y pénétrer et
s’installèrent, sous la protection des Djawâri, sous-
tribu des Dhebbâb, dans la bourgade de Zenzoûr,
qui dépend de Tripoli (1).

Quand sa victoire fut complète, le sul^tan retourna à

(1) La leçon ‘Abd el-Ouahed des Berbères (m» 101) est un lapstis oa
une faute typographique ; le texte arabe (i, 606»’ lit ‘Abd el-wahhâb.

(1) A, trois lieues ouest de celte ville. Sur les Djawâri, voyez Ber-
bères, 1, 160.

 

— 179 —

Tunis, où il fit son entrée le premier jour de 782 (7 avril
1380). Il y reçut les messagers qu’il avait envoyés à
Ibn Thétbit, et qui lui rapportaient les cadeaux offerts
par le seigneur de Tripoli. [P. 97] Il y reçut égale-
ment les Aw^lèd Aboû ‘1-Leyl, à qui il accorda le
pardon qu’ils sollicitaient : leur cheykh Çoûla ben
Khàlid ben H’amza, aussi bien qu’Aboù Ça’noûna,
cheykh des H’akîm, qui l’avait précédé, lui livrèrent
leurs fils en otages. A la suite de cette soumission,
Mawla Ai)où [Yah’ya] Zakariyyâ à la tête d’un corps
de troupes alla lever les impôts chez les Hawwara
et fut accompagné jusqu’à parfait accomplissement
de sa tâche par les Awlâd Aboû ‘1-Leyl et leurs
confédérés des H’akîm ; ce prince parcourut en-
suite les diverses régions dont il avait l’administra-
tion. Quand il fut de retour à Tunis, ces Arabes se
présentèrent avec lui au sultan et firent appuyer par
lui leur demande d’être soutenus dans le Djerîd par le
camp (mah’alla) pour prélever comme [il était autrefois]
d’habitude les impôts qui leur étaient dus en raison des
fiefs (iV(â) h eux concédés. Le sultan [y consentit et]
envoya avec eux son fils le vaillant Aboû Fâris ‘Abd
el-‘Azîz, puis ils partirent avec leurs tribus. Mais
quand ensuite ils eurent connaissance qu’Ibn Mozni
et Ya’k’oûb ben ‘Ali avaient fait demander du se-
cours au sultan de Tlemcen, Aboû H’ammoû, l’es-
prit d’jinsubordination se réveilla chez les Awlàd
Aboû ‘1-Leyl : leur penchant les attira du côté de
Ya’k’oûb ben ‘Ali, et ils abandonnèrent Aboû Fâris
après l’avoir déposé en lieu sûr dans le territoire de
Gafça. Ces tribus se retirèrent alors dans le Zâb, mais
leurs espérances ne se réalisèrent pas, car Ya’k’oûb
et Ibn Mozni reçurent du prince de Tlemcen un

 

– 180 —

messager porteur d’un refus à leur demande de se-
cours. Cela fut cause qu’ils se l’epentirent de leur
défection, et le cheykh des Dawâwida, les ayant en-
gagés à se réconcilier avec le sultan, les fit accom-
pagner par son fils Moh’ammed auprès de celui-ci,
qui consentit à les recevoir.

Le 12 çafar 782, mourut le juriste, h’d/iz’ et mufti
Aboù Moh’ammed ‘Abd Allah Balaw^i Chebîbi, qui
fut inhumé dans la propriété (2) d’Aboù Moh’ammed
‘Abd Allah ben Aboù Zeyd, en face le tombeau de
ce dernier, dans Tenceinte de K’ayraw^ân.

Le 12 dhoù M-k’a’da 785 mourut le maître, k’àd’i
et imâm Aboû Bekr ben Djerîr, k’âd’i de TEspagne ;
grammairien autorisé, maniant supérieurement le
vers et la prose, il est Tauteur de divers ouvrages,

«

entre autres le Zemâm er-râ’id’ fî Hlm elferâ’id*, le Elr
Ighrâb fî ‘l-i’râb, un commentaire sur VAlfiyya d’Ibn
Mâlik, un laMîr sur la belle kaçîda K’ifâ nabki [d’Im-
r’ou ‘1-K’ays]. Voici des vers de sa composition :

[Kàmil]. Quand j’ai commencé à blanchir, mes femmes ont
dit qu’elles ne seraient satisfaites que quand je serais tout blanc.
La peur qu’elles ne se détachent de moi m’a fait ine teindre, et
alors elles m’ont dit : C’est une tradition qu’Âçbagh (impétueux)
tient d’Achyab (gris) (2).

Vers la même époque mourut le gi*and k’âd’i de
Tunis, le juriste Aboû ‘Abd Allah Moh’ammed ben
‘Abd er-Rah’mân Balawi el-K’at’t’ân, qui fut rem-
placé dans sa charge par le juriste Aboù Zeyd [P. 98]
‘Abd er-Rah’mân Brechki, qui tomba malade peu
de temps après et à qui Ton donna pour suppléant
notre grand cheykh le juriste et savant Aboù Mehdi

(1) Dâr, c’est-à-dire dans la demeure d’un saint transformée en
zâvoiya et en lieu d’inhumation.

(1) n y a là un jeu de mots intraduisible en français.

 

— 181 —

‘Isa Ghobrîni. Brechki mourut en 787 (12 fév. 1385),
et le dit Aboû [Mehdi] ‘Isa resta seul à exercer ses
fonctions.

Le jeudi 11 djomâda II de la dite année mourut le
vertueux cheykh Aboû ‘Abd Allah Moh’ammed ez-
Z’erîf, qui fut inhumé dans la zâwiya qui porte son
nom, sur le Djebel el-Mersa.

En 792 (20 déc. 1389), les chrétiens étant ai-rivés
à Mehdiyya avec une flotte de cent bâtiments, soit
gros vaisseaux soit corvettes, le sultan Ah’med en-
voya son fils Aboû Fàris ‘Abd el-‘Azîz et son frère
Zakariyyâ avec une armée qui campa non loin de la
ville. Aboû Fâris soutint divers combats contre les
chrétiens, notamment le jour de leur arrivée, où, après
plusieurs engagements, les musulmans feignirent
de battre en retraite et abandonnèrent leur camp.
L’eiuiemi en y pénétrant n\ trouva d’autre être vi-
vant qu’un seul homme qui n’avait pas voulu se re-
tirer et qui fut massacré. Mais pendant que les chré-
tiens étaient en train de piller les vivres et les efifets,
Aboû Fâris convoquant les fidèles rassembla les
officiers et les hommes du djond restés avec eux, et
se précipita à leur tète contre les pillards ; il leur
reprit le camp de vive force, et l’ardeur des Arabes
s’en mêlant, l’ennemi dut fuir en laissant sur le ter-
rain environ soixante-quinze morts. Le prince com-
battant de sa personne fit une charge qui le jeta
dans le gros des chrétiens, et il ne s’en aperçut que
quand il était entouré de toutes parts, car sa qualité
était connue. Or les infidèles ont pour habitude dans
les combats de ne pas faire descendre de cheval un
roi ou un fils de roi qu’il leur arrive de faire prison-
nier ; on prit donc son cheval par la bride pour

 

– 182 —

remmener. Il eut alors Theureuse inspiration de dé-
tacher la bride, de sorte que l’animal se montra ré-
tif; puis il joua de l’éperon, et le cheval bondit à
travers les guerriers dont il était entouré. C’est eu
vain qu’on lui lança des flèches et des javelots, qu’on
se lança à cheval à sa poursuite ; le prince ne son-
gea qu’à arriver jusqu’aux siens et fut, grâces à
Dieu, sauvé. La discorde se mit ensuite parmi les
chrétiens : comme les Génois voulaient surprendre
traîtreusement les Français, la flotte de ceux-ci se
retira, et les Génois, se voyant impuissants à rien
faire par leurs propres forces, se retirèrent à leur
tour. Grâce à la protection divine, les musulmans pu-
rent constater l’inanité des efforts de l’ennemi, dont la
campagne, dit Ibn el-Khat’îb, avait duré deux mois et
demi. D’après le juriste et k’âd’i Ah’med K’aldjâni,
qui parle d’après son oncle le vertueux cheykh,
l’austère et modeste Aboù ‘l-‘Abbâs Ah’med, té-
moin oculaire des événements [P. 99] de Mehdiyya,
les chrétiens débarquèrent dans cette ville à la mi-
chawwâl 792 ; ils l’assiégèrent, dit-on, soixante
jours (1).

En la dite année, le juriste et imam Aboù ‘Abd
Allah Moh’ammed ben ‘Arafa Warghemi accomplit
le pèlerinage en se faisant remplacer, pendant cette
période, comme imâm et mufti du Djâmi’ ez-Zîtoû-
na, par son élève, alors grand k’âd’i, Aboû Mehdi
‘Isa Ghobrîni, et, comme khaCib de la même mos-
quée, par le juriste et lecteur du Koran Aboû ‘Abd
Allah Moh’ammed Bat’erni. Il fut de retour en djo-
mâda I 793 (avril 1391).

(1) On trouve le récit de cette expédition au livre iv de la Chro-
nique de Froissart. L’amiral J. de La Gravière a joint vn plan de
Mehdiyya^à son livre : Les Corsaires barbaresques et la marine de
Soliman le Grand, Paris, 1887.

 

En chawwâl 793, mourut de maladie, à Constan-
tine, le prince de cette ville, Ibrâhîm fils du sultan
Aboù M-‘Abbâs Ah*med, qui y avait régné quatorze
ans ; il avait trente-trois ans. Le gouverneur qui lui
succéda fut son secrétaire, le juriste Ibrôhîni ben
Yoûsof, petit-fils du k^à’id Ibrâhîm Ghomâri.

En la dite année, moururent à Tunis les deux ver-
tueux chçykhs Aboù ‘Abd Allâh Moh’ammed Bat’er-
ni et ‘Othmân Ghoronbâli ; tous deux furent enterrés
au sommet du Djebel el-Fath’, à El-Djellâz.

En 795 (17 nov. 1392), l’insurrection des habitants
de Gafça fut cause que le sultan se mit à l.i tète
d’une expédition et assiégea cette ville. Après avoir
coupé beaucoup de palmiers et d*arbres des envi-
rons, il dut au bout de quelque temps, harcelé qu’il
était par les Arabes, se retirer et rentrer à Tunis.
Ce prince, quand son pouvoir fut solidement établi
dans la capitale, avait laissé aux diverses parties du
pays la liberté de s’administrer par elles-mêmes :
seules Tripoli et Biskra dépendaient [directement] de
lui et il les gouvernait par l’intermédiaire du cheykh
de chacune de ces localités.

En çafar 796 (déc. 1393), l’émîr Aboû Zeyyân
s’empara de TIemcen au détriment de son frère Aboû
Ya’k’oûb Yoûsof, fils du sultan Aboû H’amnqioû.
Aboû Ya’k’oûb s’enfuit chez les Benoû ‘Amir, où
Aboû Zeyyàn le fit tuer par ses émissaires.

Le mercredi 3 cha’bân 796, le khalife et sultan
Aboû ‘l-‘Abbâs Ah’med mourut à Tunis d’une ma-
ladie dont il souffrait depuis longtemps et qui s’ag-
grava au cours de cette année ; on l’enterra dans la
K’açba. 11 était âgé de soixante-sept ans et avait ré-
gné à Tunis vingt-quatre ans Qt troia mois et demi.

 

— 184 —

II eut pour successeur son fils, le Prince des
croyants Aboû Fâris ‘Abd el-‘Aztz (1), fils du sul-
tan Aboû ‘l-‘Abbâs Ah’med, fils de Yémtv Aboû ‘Abd
Allah Moh’ammed, fils du sultan Aboû Yah’ya Aboû
Bekr, fils de l’éraîr [P. 100] Aboû Yah’ya Zakariyyè,
fils du sultan Aboû Ish’âk’ Ibrâhîm, fils de Téraîr
Aboû ZakariyyA, fils du cheykh Aboû Moh’ammed
‘Abd el-Wâh’id ben Aboû H*afç. Il avait pour mère
une concubine nommée Djawhara, qui était origi-
naire des Meh’âmid, tribu arabe pillarde de Tripoli,
et qui fut Théroïne d’événements trop longs à racon-
ter ici. Né à Gonstantine en 762 ou 763, il fut pro-
clamé à Tunis le jour même de la mort de son père,
du consentement de la population ; il maintint la
bonne intelligence entre ses frères et s’appuya sur
eux pour régner.

A la nouvelle lune de cha’bân, son père ayant déjà
perdu connaissance et étant près de mourir, les en-
fants réunis s’entendirent pour cacher la véritable
situation et dépêchèrent un émissaire à leur oncle
Aboû Yah’ya Zakariyyè, qui habitait alors dans le
jardin formant actuellement le collège de Belh’alfâvvrîn,
à la porte de Sovvreyk’a, pour lui dire que le khalife
son frère était toujours vivant, de sorte que Zaka-
riyyè arriva comme de coutume pour le voir. Mais
à son entrée dans la K’açba la vue de ses neveux
réunis lui fit soupçonner la mort du khalife, et il
voulut retourner chez lui. Alors l’un d’eux s’avança
vers lui et adjura les autres de le retenir jusqu’à ce
qu’on eût avisé ; le plus ardent à soutenir cet avis

 

(1) Ibn KhaldoÛD l’appeUe Aboû Fâris ‘Azzoûz, d’après l’usage
‘vulgaire qui transforme en ce dernier nom les deux mots ‘Abd el-
Aziz; voir plus haut, p. 192.

 

— 185 —

fiit Ismâ’îl. En conséquenoe on s’assura de la per-
sonne de Zakariyyà et on le séquestra dans la de-
meure qu’il occupait à la K’açba. Quant aux enfants
du prisonnier, sitôt qu’ils connurent le sort de leur
père, ils se rendirent auprès de leur frère Témlr
Aboû ‘Abd Allah, gouverneur de Bône.

Après qu’on se fut assuré de Zakariyyà, l’émir
Aboû Fàris et ses frères allèrent trouver leur autre
frère Aboù Yah’ya Aboû Bekr, qui était alors l’héri-
tier présomptif désigné, et l’émîr Aboû ‘Abd Allah
lui tint ce langage : « Notre cousin qui gouverne à
Bône et qui est avec ses troupes sur la route menant
à Bône apprendra ce qui se passe, et quand il con-
naîtra l’incarcération de son père il marchera sur
Constantine et s’en emparera. Choisis donc ou de
rester à Tunis, et alors c’est moi qui en sortirai, ou
bien de te rendre à Constantine tandis que je reste-
rai ici. » Celui à qui cette proposition était faite ju-
gea qu’il ne pouvait tenir à Tunis et opta pour Cons-
tantine. En conséquence les fils réunis du khalife
rédigèrent au nom de leur père la nomination com-
me gouverneur de Constantine d’Aboû Yah’ya Aboû
Bekr, qui partit le lundi l®** cha’bân pour cette ville,
et y arriva le jeudi, quatrième jour de son départ.
Le k’â’id Ibrâhîm appela le portier pour lui faire
prendre connaissance de cette lettre ; après quelque
hésitation cet homme ne vit autre chose à faire que
d’obéir, et Aboû Yah’ya Aboû Bekr pénétra dans la
ville le jeudi soir (1).

Le Prince des croyants Aboû Fàris ‘Abd el-‘Azîz,
devenu seul maître à Tunis, s’occupa résolument

 

(1) C’est à ravènement d’Aboû F&ris qu’Ibn Khaldoûn arrête son
histoire des H’afçides (m, 124).

 

— Ta6 —

[P. 101] des affaires. Il prit à ses côtés &ùn servi-
teur intime Moh’ammed ben ‘Abd el-‘Azîz, cheykh
des Almohades, et le soin d’écrire son paraphe fut
confié à celui qui avait rempli cet office pour son
père, le juriste Aboû ‘Abd Allâh Moh’ammed ben
K’àsim ben el-H*adjar déjà cité ; comme rédacteur
de chancellerie (inchà), il choisit quelqu’un qui avait
su apprendre toutes les sciences qu’il avait voulu, le
juriste éminent, Timàm aux connaissances vastes et
variées, habile en prose et en vers, le k’âd’i habile et
hors ligne Aboû ‘Abd Allâh Moh’ammed, fils du re-
marquable juriste et professeur Aboû ‘Abd Allâh
K’aldjâni, qui appartenait à l’une des plus nobles et
honorables familles de Bâdja. Le prélèvement et le
contrôle des impôts échurent au juriste Aboû ‘Abd
Allâh Moh’ammed ben K’âsim ben K’alîl Elhem.
Chaque place étant donnée à celui qui y était le plus
apte, l’administration des affaires à Tunis marcha
merveilleusement sous son règne. Des œuvres bien-
faisantes et durables marquèrent son époque. Nous
citerons : la construction de la zâvvriya de la Porte de
la Mer (Bâb el-BahW), h Tunis, sur l’emplacement
d’un lieu de débauche qui payait au gouvernement
(makhzm) une contribution annuelle de dix mille di-
nars (1) ;

La construction de l’abreuvoir (sik’dya) en dehors
de la Porte Neuve à Tunis, destiné dux hommes
aussi bien qu’aux bêtes de somme, et à l’entretien
duquel des biens étaient affectés ;

La construction du réservoir ( J^t» ) dans le Mo-

 

(1) Sur ces diverses fondations, on peut voir aussi ce que dit la
Tùh’fat el’Arib (n« 720 du Catalogue des msa; d’Alger ; of. Reow^de
l’hUtoirê des religions, t. xii, p. 85).

 

— 187 —

çalla el-ideyn à Tunis, vaste monument dont il est
rare de rencontrer l’équivalent : il alimentait deux
fontaines dont Tune était munie de tuyaux en cui-
vre d’où Ton tirait Teau par aspiration (1), tandis qu’on
l’extrayait de la seconde à l’aide d’une outre ou d’un
ustensile analogue ;

La construction de la zâwiya située en dehors de

la Porte d’Aboû Sa’doûn, dans le quartier du Bardo,
où tout nouveau venu, de quelque région qu’il arri-
vât, pouvait se réfugier le soir et attendre [quelle
jour lui permît de continuer sa route (2) ; une dota-
tion était également affectée à son entretien ;

La construction de la zâwiya du quartier Ed-Dâ-
moûs (citernes de Gai*thagej, en dehors de la Porte
d”Alâwa; celle-ci (la porte?) est connue par le nom
du vertueux cheykh Sîdi Fath’ AUâh (3), et [dans la
pensée du fondateur] cet édifice devait abriter ceux
qui, arrivant de ce côté, ne pouvaient parvenir jus-
qu’à la ville même ;

L’édification des remparts qui enceignent les pla-
ces frontières, par exemple les remparts d’Adâr,
(Râs Addar?) d’El-H’ammâmât, d’Aboû’l-Dja’d, de
Rafrâf, etc. ;

L’installation de la bibliothèque dans le nord du
Djâmi’ ez-Zîtoùna, ainsi que l’attribution à titre irré-
vocable qu’il lui fit, à elle et à d’autres, de livres
traitant de théologie, de philologie, de lexicographie,

(1) Le texte porte t;**^ V”*?’ C/* r|^*’*^ w^^ I^^Xj^I
i2) A vjiu»j^) jl J,l ; B v;àJ ^^i ; C ^^^ ,^^<^ \

(3) A seul lit iijjXàii au féminin, attribuant ainsi le nom de Sldi
Fath’ AUàh à la z&wiya.

 

— 188 —

de médecine, de calcul, d’histoire, de belles lettres,
etc. ;

L’institution, avec les dotations nécessaires, de la
lecture quotidienne, après la prière de midi , du re-
cueil de Bokhâri et du Chifd (1) dans le Djâmi’ ez-
Zîtoùnîi, ainsi que d’exhortations pieuses (2) après
V*açr;

[P. 102J La fondation à Tunis de Thôpital destiné
aux malades, aux étrangers et aux infirmes musul-
mans, avec de grosses dotations ;

Les secours annuels envoyés aux fidèles d’Espa-
gne pour leur venir en aide contre l’ennemi, et con-
sistant en deux mille k’afîz provenant de la dîme de la
région d’Ouchtâta, non compris ce qu’il y ajoutait en
fait d’assaisonnements et autres choses ;

Les remises d’impôts qu’il consentait par pur
amour de Dieu : par exemple l’impôt prélevé sur le
marché aux étoffes ( i), soit trois mille dinars d’or
annuellement, provenant du droit d’un vingtième de
dînar payé par quiconque y achetait l’une ou l’autre
marchandise ou vêtement ; l’impôt du marché des
bètes de somme, dix mille dinars d’or par an ; l’im-
pôt du fondouk des légumes, trois mille dinars ; l’im-

(1) Biographie de Mahomet bien connue dans TAfrique septen-
trionale (Catalogue des rass. d’Alger, n* 1668).

(2) Litt., propres à faire aimer (le ciel) et à inspirer la crainte (de
l’enfer).

(3) A D lisent AiU-xJI , mais aJ^U^I ^jm de B G est la bonne

leçon, ainsi que le montre la suite ; cf Dozy, Supplément, s. v. Ce
mot est bien orthographié dans K’ayrawâni (texte, p 144, 1. 23 ; Pel-
lissier, p. ^56, traduit u le marché dît Rehadena ») ; la Toh’/at el-Arib

(ms. 720 du Catalogue d’Alger, f.l9, v<>) lit iJ^layl et il en est de

même dans le ms. C (au f. 152, v*) dont les fi. 1M)-153, consacrés à
la louange d’Aboû Fâris, ne sont pas autre chose qu’tm extrait de
la dite Toh’fa. La Reowe citée traduit (p. 88) a … du marché des
marchands d’huile ».

 

pot du soûk des parfumeui’s, deux cent cinquante
dinars; Timpôt du fondouk du sel, quinze cents di-
nars; l’impôt du fondouk du charbon, mille dinars;
l’impôt des [latrines ? (1)], trois mille dinars ; l’impôt
du soûk des marchands de bric à brac, cent dinars ;
rimpôt du soûk des ouvriers en cuivre, cinquante
dinars ; Timpôt du soûk des joueurs de k’dnoûn, cin-
quante dinars; Timpôt du savon, six mille dinars;
le savon put désormais être fabriqué librement, tan-
dis qu’auparavant le nombre des ouvriers était li-
mité et que le contrevenant subissait une peine pé-
cuniaire et corporelle (2). Il renonça aux impôts ré-
prouvés par la loi, à la chort’a par exemple, dont
plus d’un collecteur d’impôts (3) avait pris la ferme
moyennant une redevance quotidienne de trois di-
nars et demi ; il renonça au produit des redevances

(1) A B JU^’i^jb ^^i^^\ C JU^’^’jl^ ji^ ; D^^

JUs.^ jJIj ; K’ayrawâni JjtiLlI jb ; Toh’fat (ms 720) jt^ jjlS

(2) La Toh’fat el-arih (f. 9, v») s’exprime ainsi : « W permit la fa-
bricaiiou du savon, qui avail été interdite jusqu’alors, car seul le sul-
tan en faisait fabriquer dans un lieu déterminé, et le contrevenant
subissait une peine pécuniaire et corporelle. »

(3) A B D ^^^U»»^*I ; r, ^j^*»’^l. Dans le passage parallèle de
la Toh’fat el-arih» on lit ^Jû«} ^ j ^-V^ (^^ liojti\ ax^

A^l/» , ce qui est très imparfaitement et incomplètement traduit dans la
Revue citée (p. 88): « Mais la meilleure chose qu’il fit, sous ce rap-
port, fut l’abolition de l’impôt sur la débauche [sic]. Le prélèvement
de cet impôt, dont le produit était très considérable, était confié au
gouverneur de la ville (certains de ses agents, chargés de le perce-
voir, gagnaient jusqu’à 3 dinars 1/2 par jour) *. Dozy (Supplément,

s. V. àJojm ) a donc eu tort de reprocher à M. de Slane d’avoir vu
dans chort’a le nom d’un certain impôt.

 

– 190 –

dues par les marchands de vin (1) et leur interdit de
se réunir dans Tendroit qu’ils fréquentaient ( fusoy JLïj

^cl^l ) ; de même il abolit les impôts que payaient
les joueurs de flûte et les chanteuses ; enfin il renon-
ça aux sommes payées par les bardaches (2), et il
les chassa de tous ses états quand il apprit les ac-
tes honteux qu’ils commettaient. Tous ces impôts
auxquels il renonça, ce fut par pur amour de Dieu
qu’il le fit.

Pour en revenir à ce qui concerne Aboû Bekr, ce
prince, dix jours après son entrée à Constantine,
réunit la population et, s’appuyant sur la nouvelle
de la mort de son père, il lui demanda de reconnaî-
tre son autorité, ce qui fut fait. Sitôt cette cérémonie
accomplie, il s’enferma chez lui pour se livrer aux
plaisirs et ne songea qu’à ses aises personnelles.
Alors les Arabes relevèrent la tète et leurs convoi-
tises se manifestèrent par diverses demandes. Le se-
crétaire Ah’med ben el-Kemmâd les traita avec
beaucoup de douceur, et grâce à lui toutes sortes de
désordres furent commis (3); puis il se rendit avec
quelques-uns d’entre eux auprès du prince de Bône,
l’émîr Aboû [P. 103] ‘Abd Allah Moh’ammed ben
Aboû Yah’ya Zakariyyâ, pour l’inciter à s’emparer
promptement du pouvoir souverain à Constantine.
Aboû ‘Abd Allah réunit alors ses troupes et les ha-
bitants de sa résidence, et mit le siège devant Cons-

(1) Je lis avec B i^jUcfc^l au lieu de ^^j^«^’ d’A C D.

(2) A B C et la ToKJa ^P^’S^^ \ D ^vjiyirr^t

(3) A B C D ^ ^^ Ji’ :>\SJ\ ^ J^l s^lCJt ^ ^Jj
^wâ3) Pi^J»; correction marginale de B, ^J^J /\à^ ^j^ ^Ux..”…

 

— 191 —

tantine le jeudi 6 dhoû 4-k’a’da 796 (3 sept. 1394) ;
il établit un blocus rigoureux, coupa les arbres [des
environs] et lança contre la ville des piei’res et des
traits (1), tandis que les Constantinois se bornaient
à empêcher rapproche de leurs remparts. Au bout
de soixante-quinze jours, Tassiégeant dut renoncer à
Son projet et se retirer. Il revint Tannée suivante,
ruina les habitations environnantes, ravagea les ré-
coltes et détruisit les aqueducs. Aboù Fâris sortit
alors de Tunis pour l’attaquer : la rencontre, qui eut
lieu en ramad’èn 797 (juin-juillet 1395), se termina
par la victoire complète du sultan, qui poursuivit
son adversaire depuis Teboursouk, dans le territoire
des H’anânecha où se trouve la source de la Med-
jerda, jusqu’à la Seybous (2) ; Témîr Aboù ‘Abd
Allah Moh’ammed s’enfuit à cheval jusqu’à Bône
avec ses compagnons. Ceux-ci croyaient qu’il allait
rester dans cette ville, mais le jour même de son
arrivée il profita de la nuit pour s’embarquer sans
même leur dire adieu et fit voile pour Fez, allant de-
mander du secours au prince de cette ville. Aboù
Fâris entra à Bône et fit grâce aux habitants et à
ceux des serviteurs d’Aboû ‘Abd Allah Moh’ammed
qu’il y trouva, ainsi qu’aux serviteurs de son père,
notamment au k’â’id Yoûsof ben el-Maghribi, à qui
il accorda son pardon et laissa la libre disposition
de ses biens et des immeubles dont il était proprié-
taire à Tunis ; il lui garda son traitement et le ren-
voya dans la capitale.

(1) B D y^S^^ \ ^ jrJ^J > manque dans B.

(2) Ces trois lignes sont citées par Dewulf (Recueil des Notices de
la Société archéologique de Constantine, 1867, p 100), qui avait en-

 

tre les maius un exemplaire incomplet de notre chronique, exemplaire

Îui portait aussi le titre de Ta’rtkh ibn och-Chemmâ* (cf. notre
ntrod., p. m).

 

^ 192 —

Aboû Fâris reçut ensuite la visite de son frère
Aboù Bekr, venu de Constantine pour le saluer elle
féliciter, et qui, nu nionnent de lui faire ses adieux,
s’excusa de son incapacité de gouverner autrement
qu’avec son appui. Ses explications furent bien ac-
cueillies, et le 20 ramad’ân de la dite année, Aboû
Bekr abdiqua entre les mains de son frère.

En 797 (27 oct. 1394), mourut le k’âd’i des maria-
ges à Tunis, le juriste Aboû ‘Ali ‘Omar ben el-Berrâ’,
qui fut remplacé dans ses fonctions par le savant
juriste Aboù ‘Abd Allah Moh’ammed ben K’alîl
Elhem.

Une demande de secours fut alors adressée à Aboù
Fàris par les Constantinois. Puis ce prince se mit en
marche avec son armée et se dirigea sur Sfax, ville
dont son frère, l’émîr Aboû H’afç ‘Omar, avait été fait
gouverneur par le khalife défunt. Après avoir com-
mencé le siège, il entama avec les habitants des
pourparlers dont le résultat fut qu’ils s’emparèrent
au bain de la personne de l’émîr ‘Omar et le livrè-
rent au sultan. Celui-ci, devenu maître de Sfax, y
installa un gouverneur de son choix et se retira avec
ses troupes jusque [P. 104] non loin de Tunis, pour
de là repartir vers Constantine.

Quand il approcha de cette place, l’émîr Aboù
Bekr, bien que certain de n’avoir rien à redouter
pour sa vie, manifesta de la répugnance et refusa
même d’aller au devant de lui, grâce aux sugges-
tions de son secrétaire Ibrâhîm précité. Le sultan
dut donc commencer le siège le 15 cha’bân 798, tout
en proclamant les bons sentiments qui l’animaient à
l’égard de son frère et en s’exprimant de manièi*e à
prouver l’affection qu’il continuait de lui porter. Peu-

 

— 193 —

lant le siège, qui dura plus de vingt jours, le nom
l’Aboû Fâris ne cessa pas d’être proclamé dans les
haires de Gonslanline, fait qui ne s’était encore ja-
nais produit pour un prince assiégeant. Celui-ci du
este, contrairement à toutes les habitudes, respecta
3s jardins et les récolles et ne permit aucune dévas-
ation dans les environs de la ville. Le siège conti-
uait (1) quand du haut des remparts le cri qu’on
lavait, poussé par l’un des assiégés, servit d’auxi-
iaire et arrangea les choses : quelques hommes pé-
nétrèrent par les remparts d’El-H’oneynecha (2), et
9 sultan avec ses soldats pénétra par la porte d’El-
Tamma la nuit du [samedi au] dimanche 18 rama-
Tân de la dite année. Aboû Bekr, qui cherchait à
jagner la K’açba, fut appréhendé, et son secrétaire le
uriste Ibrâhîm se dirigea vers les remparts d’El H’o-
leynecha (3; d’où il fut précipité, puis emprisonné
usqu’à ce que, en punition de ses crimes, il fut mis
i mort à Tunis : après l’avoir roué de coups on le
ivra à la populace, qui le traîna par les rues jusqu’à
le qu’il rendît le dernier soupir.

Après la prise de son frère, le sultan resta à
[iOnstantine plus d’un mois pour en organiser l’ad-
ministration, puis il repartit pour sa capitale le der-
nier jour de chawwâl de cette année, emmenant ses

 

(1) G D jl^fl^ty! ^U Içjj ; A Jli) V j ; B de même, par

suite d’une surcharge que rusage de ^^ dans la langue courante
ne rend pas indispensable.

(i) A V^îfc^’ ; C ijM*^I et iL*xac^l ; D AjjA»jjac-^t ; B ^JUjac^l

et À^^*sr I avec la correction marginale, deux fois répétée, «* **»ux ^ l .

La porte de ce nom était, paraît -il, entre le Bâb el-Djâbia et le
Rummel.

(3) A seul dit a les remparts de la K’açba ».

 

– 194 —

deux frères Témir ‘Omar, ex-prince de Sfax, et Té-
mîr Aboû Bekr, ex-prince de Gonstantine. Il avait
laissé comme chef militaire de sa conquête sou
mamloùk le k*à*id Nebîl, et comme gouverneur de
la iraçba le cheykh Aboù ‘1-Fad*l Aboû ‘1-K’âsim
beii Tâferà’ljîn Tînmeleli, qui ne quitta pas la K’açba
et s^acquittîî de ses devoirs à la satisfaction générale
jusqu’à son départ pour Bougie en qualité d’ambas-
sadeur.

En Tannée 798 (16 oct. 1395), le khalife devint
père (1) d’Aboù ‘Abd Allah Moh’ammed el-Mançoûr.

En redjeb de la môme année, fut achevée la cons-
truction du canal (ï-^L) situé hors la Porte Neuve
h Tunis.

En la même année, Aboû ‘l-‘Abbâs Ah’med, fils
d’Aboù ‘Abd AHàh Moh’ammed et petit-fils du kha-
life Aboû ‘l-‘Abbâs Ah’med, sortit [de Bougie?], et
dès qu’il eut abdiqué la soumission de Bougie ne se
fit pas attendre (2).

En ramad’ân de la même année; un lion bondit
sur le sultan, qui était à cheval et qui faillit être mis
en pièces; la divine Providence assura son salut.

[P. 105J. En 801 (13 sept. 1398), le sultan fit dé-
molir le fondouk servant à la vente du vin et situé
près la Porte de la mer ; il renonça au revenu an-
nuel de dix mille [dinars] qu’il produisait, et l’empla-
cement en fut affecté à une zâwiya et à un collège à
Tusage des étudiants, établissements dont il assura
Tentretien à l’aide de dotations. Il fit de même pour
le fondouk de Constantine.

■ (1) D ^]^j\ ; A B G Jjiji’ qui paraît préférable, voir le Dio
tionnaire Beaussier.

(2) B lit : tt Abdiqua et apporta la soumission de Bougie. »

 

 
— 195 —

En 802 (3 sept. 1399), mourut le k’âd’i des maria-
ges à Tunis, Aboû ‘Abd Allâh Moh’ammed ben
K’alîl Elhem, qui eut pour successeur le professeur
Aboû Yoûsof Ya’k’oûb Zoghbi.

En la dite année, le sultan marcha contre Tawzer
pour l’enlever à Ibn Yemloûl ; il en entreprit le siè-
ge, Tenleva de vive force et s*empara de la personne
d’Ibn Yemloûl. A la fin de cha’bân de la même année,
il se transporta vers Gafça qu’il voulait réduire; après
un siège de quelques jours, il s’en rendit maître
grâce à la soumission (?) des habitants (1), et il y
entra de vive force ; les Benoû 1-‘Abfd, cheykhs de
cette ville qui s’étaient soustraits à son autorité et
qui étaient trois frères, Munçoûr, Aboû Bekr et ‘Ali,
tombèrent entre ses mains, le 2 ramad’ân de la dite
année. Les habitants obtinrent leur pardon après
avoir payé une contribution de guerre, les remparts
furent ruinés, et le k’â’id Moh’ammed Terâsi (2) fut
nommé gouverneur, faits dont le récit serait long. Le
sultan regagna sa capitale après avoir réalisé tous
ses plans.

Au début de 803 (22 août 1400), le sultan marcha
contre Tripoli, qu’il assiégea longtemps ; il finit par
s’en rendre maître du consentenfient des habitants et
grâce à l’intervention des gens de bien de la ville, le
6 redjeb de la dite année. Il y installa un k’â’id de
son choix et regagna sa capitale.

(1) ABC 1^1 j*bix«,b ; D ^bLjCa,L . il doit y avoir là une

nuance que je ne saisis pas, et la traduction, bien probablement,
n’est pas rigoureusement exacte.

(2) Telle est la leçon de D ; dans B e*-}/^’ ; A j^tjîJl ;
G ^AwijXfi . Il est plus loin question d-un juriste nommé Mo-
h’ammed Touw&si ; peut-être iaut-il loi lire de môme.

16

 

— 196 —

Le 24 djomàda II 803, mourut le juriste à Taulo-
rité incontestée Aboù ‘Abd Allah Moh’ammed ben
‘Arafa Warghemi, qui fut inhumé au Djebel el-Djel-
lâz, au-dessous du cimetière du vertueux cheykh
Aboû ‘1-H’asan el-Montaçir ; né en 7i6, il avait qua-
tre-vingt-sept ans et quelques mois. C’est pourquoi
il dit dans des vers sur lesquels de son vivant même
son disciple Timâm Er-Ramii a fait un takhmis :

[Motak’àrib]. J’ai su et enseigné les sciences, j*ai acquis ei
même détenu le premier rang. Mes années, j’en ai fait le
compte : j*ai atteint ou plutôt dépassé le nombre quatre-vingts.
— Aussi raéprisé-je le pénible moment du trépas. — Je o’ai
plus rien à désirer cbez les humains, ni grandeur ni puissance
ne pouvant plus exciter mon envie. Comment pourrais-je espérer
si peu que ce soit, alors que tous mes contemporains ont dis-
paru, — [P. 106] et ne sont plus que des images semblables
aux rêveries des songes ! — La mort m^appelle, et nul ne peut
me secourir ni retarder l’impulsion rapide qu’elle donne à sa
monture : par elle, j’en ai l’ardent espoir, j’obtiendrai ce que
promettent des dires authentiques — car j’aime voir [Dieu] et
je répugne au séjour [ici-bas]. — Réalise, ô Seigneur, l’espoir
de ton humble esclave d’avoir bientôt sa part dans ta demeure.
Ma mort cautionnera la sincérité de mes espérances, et pour-
tant ma vie a été bien favorisée — grâce aux prières que fit au-
trefois mon père à la Mekke. —

Il était passé maître dans les diverses sciences,
sur beaucoup desquelles il a écrit, le plus souvent
sous forme de résumés. A la fin de sa vie il s’adon-
na à Tétude du droit selon le rite malékite et s’oc-
cupa beaucoup de la Modawwana, qu’il médita assi-
dûment et où il chercha des arguments. Dans sa
jeunesse il étudia le Korân sous Ibn Selâma d’après
les leçons d’Ed-Dâni et d’Ibn Ghoreyh*, et sous Ibn
Beddhâl d’après les leçons d’Ed-Dâni. Ibn ‘Abloûn (1)
lui enseigna les principes du droit, Ibn Selâma et

(1) A et B, celui-ci dans une correction marginale, lisent t Ibn
Ghalboûn ji ; il ne peut d’ailleurs être question du poète connu sous
ce dernier nom, car il mourut en 419 hég.

 
Ibn ‘Abd es-Selâm les principes de la religion, Ibn
Nefîs la grammaire, Ibn el-H’abbâb la controverse,
Ibn ‘Abd es-Selâm le droit, El-Ayli la métaphysi-
que ( JjW”)- Ce dernier ainsi que le chérîf Tilimsàni
disaient beaucoup de bien de leur élève. Il s’appli-
quait avec ardeur aux choses spirituelles et tempo-
relles. Nous avons dit qu’il devint imâm du Djâmi’
ez-Zîtoùna en 756 ; il commença son Précis en 772
et l’acheva en 786 ; en 792, il accomplit le pèlerinage.
Il pratiquait assidûment le jeûne, la prière nocturne,
la lecture du saint Livre ; mais il était aussi très at-
tentif à ses intérêts temporels, et il fut largement ré-
munéré tant en argent qu’en honneurs et en influence.
Celui qui le remplaça à la mosquée pour la prière, la
prédication et les consultations juridiques qui suivent
la prière du vendredi fut son suppléant, le juriste et
k’âd’i Aboû Mehdi [‘Isa] Ghobrîni.

En 804 (11 août 1401), le sultan marcha de Tunis
sur Biskra, mais s’arrêta au Bi’r el-Kâhina assez
longtemps pour y remettre les choses en ordre. Ar-
rivé à Biskra, il serra de si près le cheykh de cette
localité Ah’med ben Yoûsof ben Mozni qu’il ne lui
laissa d’autre alternative que de fuir ou de se rendre.
Le samedi 7 djomâda II de la dite année, le sultan
entra dans la ville, d’où il repartit pour Tunis quel-
que temps après en emmenant Ibn Mozni, qu^il
remplaça par un [P. 107] de ses officiers. Les Awlâd
Ibn Mozni y étaient restés indépendants environ cent
quarante ans, dont quarante pour le seul Ah’med.

En 809 (18 juin 1406), pendant qu’il marchait avec
son camp (mah’alla) contre Derdj (1) et Ghadâmès,

(1) Derdj est à 14 lieues Est de Ghadâmès, vers Tripoli.

 

– 198 ^

le sultan fit arrêter son contrôleur et directeur du
service des innpôts le juriste Moh’ammed ben Aboù
‘l’K’âsim ben K’alîl Elhem, ainsi qu’Aboù Moh’am-
med ‘Abd Allôh ben Ghâliya, et les renvoya à Ga-
bès ; de là il les fit embarquer pour Tunis, où on
les interna. Comme contrôleur il prit Testimé juriste
Aboù ‘l-‘Abbas Ah’med, fils du k’âd’i et professeur
Aboû ‘Abd Allah Moh’ammed ben K’alîl Elhem*

En ramad’ân 809, le sultan fit arrêter et enchaîner
ses frères Et-Toreyki, Khàlid et Aboû Zeyyôn, a
cause de certains faits qui lui avaient été dénoncés;
ceux qui leur servaient de complices, tels que le
k’è’id Ibn el-Loùz et Ibn Aboû ‘Omar, furent égale-
ment arrêtés. Ces deux chefs furent exécutés et leurs
têtes envoyées et exposées à Tunis.

En la dite année, mourut à Bône le célèbre juriste

aveugle Aboû ‘Abd Allah Moh’ammed Merrékechi,

qui était excellent poète et prosateur. Voici des vers

faits par lui à propos d’une jument baie qui lui avait

été envoyée par Aboû Yah’ya Zakariyyâ pour qu’il

se rendît auprès de ce prince :

[H’azadj] Une rapide monture de noble race, dont la robe
esi d’une couleur plus rouge que celle de la rose, m’a été en-
voyée par le noble émir hafçide Yah*ya. Certes sa voix est harmu-
nieuse; mais j*ignore si je suis propriétaire ou emprunteur (1).

Aboû Yah’ya lui répondit par écrit : « Tu en es
propriétaire. »

En 808 (29 juin 1405), le juriste et professeur Aboû
‘Abd Allah Moh’ammed Obbi fut nommé k’éd’i. de
rile méridionale (2).

Dans la nuit du [jeudi au] vendredi 12 rebî’ I 809,

(1) Il y a probablement là un jeu de mots, car ces expressions ont
également, en musique, une valeur propre.
\2) Voir suprà, p. 109.

 

– 199 ~

mourut le k’âd’i de Constantine, Aboû ‘l-‘Abbôs
Ah’med ben el-Khat’îb, auteur d’un commentaire
sur la Risâla (1) d’Ibn Aboû Zeyd, d’un autre sur les
Djomel d’Ibn el-Khoùndji, etc.

En 810 (8 juin 1407), une rencontre eut lieu entre
le sultan et les Arabes de H’akîm à ‘Ayn el-Ghadr,
entre El-H’âmma et Nefzâwa ; le sultan ne lâcha pas
pied, mais ses troupes s’enfuirent, et les Arabes, qui
avaient alors pour chef le cheykh et marabout (morâ-
bit’) Ah’med ben Aboû Ça’noûna ben ‘Abd Allah
ben Meskîn, purent massacrer et piller les fuyards.
En présence de la résistance du sultan, Ibn [Aboû]
Ça’noùna se retourna contre ses compagnons et put
les arrêter, puis il se présenta au prince, [P. 108]
qui fut touché de sa démarche et qui Taccueillit favo-
rablement.

En la dite année, mourut le juriste chargé du pa-
raphe, Aboû ‘Abd Allôh Moh’ammed ben K’àsîm
ben H’adjar, qui fut remplacé par son petit-fils le
juriste Aboû ‘Abd AUâh [ben Moh’ammed] ben
K’âsim.

En la dite année, le sultan sortit de Tunis avec
ses troupes pour marcher contre Aboû ‘Abd Allôh
Moh’ammed, qui était son cousin comme fils de son
oncle Aboû Yah’ya Zakariyyâ. En effet, à la suite
de la déroute complète qu’il avait subie en ramad’àn
797 et dont nous avons parlé, Moh’ammed était parti
par mer de Bône pour aller demander du secours
au prince de Fez contre le sultan Aboû Fâris. Or à
la suite des incidents survenus entre le sultan et les

(1) La Risâla est un célèbre précis de droit malékite ; les Djomel
sont un traité de logique également très connu (Catalogue des mss.
d’Alger, n” 1037 et 1387 ; suprà, p. 168;.

 

— 200 —

Arabes, un groupe de ceux-ci, qui était allé récla-
mer (le Tuide au sultan de Fez, revint avec l’émîr
Aboù ‘Abd Allah iMoh’ammed, que le souverain
maghrébin envoynil en même temps qu’une forte ar-
mée mérinide, dont les instructions étaient de ne re-
venir que quand son aide ne serait plus nécessaire
et avec l’autorisation de Moh’ammed. Ces auxiliaires
arrivèrent avec Témîr jusqu’aux limites de la province
de Bougie, où ce prince reçut une députation des
Arabes d’Ifrîk’iyya qui déclaraient reconnaître son
autorité. Le cheykh et marabout des H’akîm, qui
vint également le trouver^ lui présenta la situation en
IFrîk’iyya comme très facile, et en présence de ces
nombreuses députations, Moh’ammed crut pouvoir
renvoyer les Mérînides et continuer sa marche avec
les seuls Arabes.

La nouvelle de l’arrivée de Moh’ammed avant fait
concevoir au sultan Aboû Fàris des craintes pour
Bougie, il confia le gouvernement de cette ville à son
fi’ère Zakariyyâ, chef de Bône, et l’envoya à son nou-
veau poste, d’où le k’â’id Aboù n’-Naçr Z’âfir, qui y
était précédemment, reçut Tordre de partir pour com-
battre l’émîr Moh’ammed. Mais dans la rencontre
qui suivit, ce dernier resta vainqueur et s’empara du
camp de Z’âfii* et de tout ce qu’il renfermait, puis il
marcha sur Bougie, dont les habitants se soulevèrent
contre Zakarivyâ. Ce dernier fut chassé et dut s’enfuir
par mer, de sorte que l’émîr Moh’ammed devint maître
de cette ville, où il confia l’autorité à son fils El-
Mançoûr, tandis que lui-même se portait au-devant
du sultan Aboû Fàris et des Arabes qui marchaient
avec ce pi’ince. Or Aboû Fàris passa par Bougie,
dont il se rendit maître après quelques jours de

 

– 204 –

combat, grâce à des intelligences nouées avec quel-
ques habitants, et les habitations en furent ravagées
et pillées. Le vainqueur s’empara en outre de Témlr
Moh’ammed el-Mançoûr (1) et des principaux habi-
tants de la ville, par exemple des Sévillans (2), qu’il fit
emprisonner à Tunis. Après avoir rendu le gouver-
nement de Bougie à son ancien chef, c’est-à-dire à
son neveu Aboû M-‘Abbâs Ah’med, fils de son frère
Aboû ‘Abd Allah Moh’ammed (3), il continua sa
marche en avant. [P. 109] Quand les deux armées
se trouvèrent en présence, le cheykh et marabout
des Arabes, qui était de connivence avec le sultan,
abandonna Témîr Aboû ‘Abd Allah iVloh’ammed,
dont les troupes furent battues et qui chercha lui-
même son salut dans la fuite; mais il fut atteint et
tué parla cavalerie du sultan, dans les premiers jours
de moh’arrem 812 (fin mai 1409), dans un lieu nommé
Betîta, au nord du pays [ou, de la ville] de Tâma-
ghza (4); il fut enterré dans cet endroit, par le nom
duquel son tombeau est encore désigné aujourd’hui.
On lui coupa la tète pour la présenter à Aboû Fâris,
qui l’envoya à Fez par un homme du pays (5), nommé
El-Mah’maçi : celui-ci la suspendit de nuit à la Porte

 

(1) n semble bien malgré râutorité des mss , mais d’après ce qui
précède, qu’on doive lire a Ël-Mançour ben Moh’ammed ».

(2) B seul, a des principaux habitants, tels qu’El-Ichbîli [le Sévil-
lan] et d’autres ».

(à) B, par suite d’une correction, lit ainsi : t U nomma au gou-
veniement de Bougie Z’âûr, qui y était précédemment. D’autre
part, Aboû ‘l-‘Abbâs Ah’med, neveu de Mawla Aboû ‘Abd Allah
Moh’ammed, se mit en marche pour combattre l’émir Aboû ‘Abd
Allah Moh’ammed. »

(4) Nous ne relevons qu’une varianle insignifiante (A ^j^ ) dans
l’orthographe de ces deux noms propres.

(5) ^Jfe/^’ vJ^t^ j^’/* > peut-être faut-il traduire a employé de
la poste ».

 

— Ï02 –

El-Mah’roûk’, de sorte que le lendemain matin les
habitants purent se la montrer les uns aux autres.

En 813 (6 mai 1410), la ville d’Alger se rendit par
composition.

Le samedi 27 rebî’ II 813, mourut le juriste, pré-
dicateur et professeur Aboû Mehdi ‘Isa Ghobrîni,
grand k’âd*i de Tunis, qui fut enterré à El-Djellàz,
Il eut pour successeur, mais comme k’âd’i seule-
ment, le k’âd’i des mariages, qui était le savant ju-
riste Aboù Yoùsof Ya’koûb Zoghbi. Ce fut le juriste
et hôfiz’ El-H’âddj Aboù ‘1-K’âsim Berzeli qui fut
nommé imam, prédicateur et mufti du Djâmi’ ez-
Zîtoùna. Le juriste Aboù ‘Abd Allah Moh’ammed
K’aldjâni devint k’âd’i des mariages et professeur au
collège d’Onk’ el-Djemel, et fut remplacé dans ses
fonctions de k’àd’i de Constantine par son fils le ju-
riste et hâfiz’ Aboù M-‘Abbâs Ah’med.

En 822 (28 janv. 1419), le sultan fit édifier la bi-
bliothèque qui se trouve dans Taile des Hilâ!, au
nord du Djâmi’ ez-Zîtoùna, au-de|ssous du mina-
ret. Quand, à la fin de rebf II de cette année, la
construction fut terminée, le sultan y fît transporter
tous les livres qu’il possédait ; des surveillants fu-
rent affectés à ce dépôt, dont Taccès quotidien fut
permis depuis Tappel à la prière du z’ohr jusqu’à la
prière de V’açr, et pour l’entretien duquel une dota-
tion suffisante fut constituée.

En 824 (6 janv. 1421), mourut l’émîr Ismâ’îl, pa-
rent immédiat du sultan ; il fut enterré dans le ci-
metière d’Aboù Sa’îd Bàdji, à El-Mersa.

En la même année, le sultan déposséda du gou-
vernement de Bougie Aboû ‘1-Bak’â Khâlid et le

 

— 203 —

remplaça par son propre fils Kl-Mo’tamid, à qui il
fit rejoindre son poste.

En 827 (5 décembre 1423), le sultan conquit pour
la première fois Tlemcen, qu’il enleva au sultan
‘Abd el-Wâh’id ben Aboû H’ammoû Zenàti. [P. 110]
La mauvaise administration de ce dernier avait été
cause de l’envoi par le souverain de Tunis de messa-
gers dont les observations étaient restées sans effet.
Aboû Fèris (organisa alors uqe expédition, et) à son
approche ‘Abd el-Wâh’id, dont le fils avait été battu
et forcé de s’enfuir auprès de son père, comprit l’inu-
tilité de toute résistance et abandonna lui-même
Tlemcen pour se réfugier dans les montagnes. Aboû
Fâris occupa alors la ville et s’installa dans la K’aç-
ba en s’appropriant tout ce qu’elle renfermait, le 13
djomâda II 827 ; après y avoir séjourné quelque peu
et avoir réfléchi à qui il confierait l’administration
de sa nouvelle conquête, il arrêta son choix sur l’é-
mîr Moh’ammed, fils du sultan ‘Aboû Tâchefîn ben
Aboû H’ammoû Zenàti. Il poursuivit ensuite sa mar-
che sur Fez, dont il n’était plus qu’à deux journées
quand il reçut du prince régnant en cette ville un
message disant : « Ces états sont les tiens, c’est à
toi qu’appartient le pouvoir et nous obéirons à toys
tes ordres. » Aboû Fâris accepta ses offres de sou-
mission et lui envoya un cadeau considérable, au-
quel il fut répondu par des dons beaucoup plus im-
portants ; il se retira alors du côté de Tunis avec
les honneurs de la guerre et chargé de butin. La
soumission de Fez fut suivie de celle du prince qui
régnait en Espagne, de sorte qu’Aboû Fài’is se trou-
va le maître suprême de Tlfrîk’iyya, de tout le Ma-
ghreb extrême et de tout le Maghreb central.

 

10

 

— 204 —

En 827 (5 déc. 1423), le prince chrétien de Cata-
logne envoya ô Tunis un messager chargé d’enta-
mer des pourparlers en vue de la paix. Mais Aboù
Fôris étant alors au Maghreb, ce député renvoya la
corvette qui Tavait amené pour informer son maître
de cette absence ; celui-ci la lui réexpédia aussitôt
avec Tordre de se rembarquer, et il envoya une
flotte de cinquante bâtiments, qui opéra de nuit un
débarquement dans Tîle de K’ark’anna en profitant
de rinattention des insulaires. Ceux-ci, qui n’étaient,
vis-à-vis d’environ 10,000 chrétiens combattants,
qu’environ 2,000, hommes, femmes et enfants, et qui
n’avaient dans leur île ni ville ni fort où se défendre,
tinrent ferme cependant, et dans la défense qu’ils fi-
rent de leur propre vie et de celle de leurs femmes,
tuèrent environ quatre cents assaillants. Mais envi-
ron deux cents musulmans périrent, et le reste fut
pris, de sorte que Jes chrétiens se rendirent maîtres
de l’île.

Entretemps le sultan, qui était de retour du
Maghreb, se trouvait à Gafça quand il apprit ce
qu’avait fait la flotte ennemie ; il s’avança à marches
forcées et parvint à Sfax en même temps que les
chrétiens. Ceux-ci demandèrent un sauf-conduit au
sultan pour débarquer et traiter du rachat des pri-
sonniers musulmans ; leur demande ayant été ac-
cueillie, six cents des principaux d’entre eux vinrent
à terre. L’offre que fit le sultan de racheter les mu-
sulmans pour 50,000 dînars fut refusée, et alors le
marabout Ibn Aboû Ça’noûna alla trouver [P. 111]
le souverain et lui tint ce discours : « Les chrétiens
ont usé de trahison à ton égard, car après avoir dé-
puté un messager pour traiter de la paix, ils se sont

 

– 205 –

conduits comme on sait. Le traître n’a pas è invo-
quer de sauf-conduit, et je suis d’avis qu’il est juste
d’arrêter ces gens-là et de ne les relâcher que moyen-
nant la mise en liberté des musulmans. — Non, »
dit Aboû Fâris, « il ne faut pas qu’on dise de moi
que je trahis ma parole ; à Dieu ne plaise que je
viole un sauf-conduit émanant de moi ! — Eh bien ! »
lui répondit l’Arabe, « si ce n’est toi, ce sera moi ;
pars pour la chasse, et je les arrêterai pendant ton
absence. » Mais le prince refusa, et les chrétiens se
rembarquèrent en emmenant leurs prisonniers mu-
sulmans.

En dhoû ‘1-k’a’da 830 (août-sept. 1427), Aboû Pé-
ris envoya son premier ministre Ibn ‘Abd el-‘Azîz,
ainsi que le vaillant émir EI-Montaçir, fils du kha-
life Aboû ‘Abd Allah Moh’ammed el-Mançoûr, avec
mission d’arrêter le chef (rets) de Constantine, El-
H’âddj Aboû ‘Abd Allah Moh’ammed ed-Dehhân,
qui montrait de l’insubordination, s’appropriait le
produit des impôts, se mettait en opposition avec les
fonctionnaires et leur refusait obéissance. Ces deux
envoyés partirent le 14 du mois, en annonçant qu’ils
allaient déplacer le k’â’id Djà’a ‘1-Kheyr et installer
Mawla el-Montaçir (1). Alors Ed-Dehhàn tout joyeux
sortit pour se porter à leur rencontre ; mais on se
saisit en dehors de la ville de lui et de ses compa-
gnons, puis on les envoya au sultan de Tunis, qui
les fît interner dans la K’açba.

En 832 (11 oct. 1428), une [flotte importante fut
envoyée de Tunis contre Malte. Le mamloûk du sul-
tan qui la commandait, le k’â’id Rid’wân, avait or-

 

(1) D lit ici « Ël-Mostançir », mais ABC, ici comme huit lignes
plus haut, lisent « £l-Montaçir ».

 

dre d^assiéger la ville trois jours seulement, et de se
retirer s’il ne réussissait pas dans ce délai. Fidèle à
cet ordre, le mamloùk la serra de très près, mais
s’éloigna quand le succès était proche.

En la dite année, mourut Témîr Aboû H’afç ‘Omar,
frère du sultan, qui fut enterré à El-Djellâz, en dehors
de la porte d”Alàwa. Ce prince a composé des œu-
vres (? JUi»’) importantes à la louange du Prophète.

Vers la même année, le sultan envoya une armée
commandée par Djè’a ‘1-Kheyr, k’à’id de Constan-
tine, contre TIemcen, car il avait appris que le prince
de celte ville, Témîr Moh’ammed ben Aboû Tèche-
fîn, s’était mis en état de révolte et que, prétendant
à rindépendance, il avait supprimé le nom du sul-
tan dans la correspondance et dans la khoiba. Avec
cette armée il fit partir aussi Aboû Moh’ammed ‘Abd
eI-\Vàh’id, qui était sultan de TIemcen lors de la
prise de cette ville et qui, après avoir d’abord pris la
fuite à ce moment, était ensuite venu à Tunis. Mais
l’cmîr Moh’ammed marcha au-devant de ces troupes
et les battit ; alors l’ex-sultan Aboû Moh’ammed
Abd ei-Wâh’id gagna les montagnes, et avec l’aide
‘des Arabes qiii y habitaient et qui consentirent à lui
prêter leur aide, revint sur TIemcen, dont il se rendit
maître et d’où il fit savoir au sultan [P. 112J de Tunis
qu’il le reconnaissait pour son suzerain. Quant à
Nloh’ammed ben Aboû Tàchefîn, il se réfugia dans
les montagnes.

Le 28 djomâda II 833, les Dav^âwida tuèrent Djâ’a
‘1-Kheyr, k’à’id de Constantine, dans une rencontre
qu’ils eurent avec lui, et le sultan le remplaça dans
ce poste par son mamioûk Mah’moûd, qui entra à
Constantine le 12 redjeb de la même année.

 

— «)7 –

En 833 (30 sept. 1429), Nebîl ben Aboû K’at’ôya,
prince de Tripoli, tua dans la canripagne (çahWâ) de
cette ville le marabout cheykh des H’akîra, Ibn Aboû
Ça’noûna, et envoya sa tête à Tunis.

Le soir du dimanche 22 redjeb 833, mourut rhéritier
présomptif Aboû ‘Abd Allâh Moh’ammed el-Man-
çoûr ben Aboû Fâris dans la Tripolitaine, d’où il
fut transporté à Tunis et enterré dans la tombe
(torba) voisine de celle de Sidi Mah’rez ben Khalaf.

Le dernier jour de chawwâl 833, mourut le savant
juriste Ah’med ech-Chemmâ\k’âd’i du camp (mah’alla)
et khaCib de la mosquée de la K*açba ; il fut rem-
placé dans ces deux postes par le distingué et scru-
puleux juriste Aboû ‘Abd Allâh Moh’ammed Mesràti.

Le 6 dhoû ‘l-h’iddja 833, mourut le grand k’âd’i
de Tunis, Aboû Yoûsof Ya’k’oûb Zoghbi, qui fut
enterré à El-Djellâz et qui fut remplacé dans ses
fonctions, en ramad’ân 834, par Thomme équitable,
juriste et professeur Aboû *1-K’âsim ben Sâlim Ouch-
tâti K’osant’îni.

Dans les derniers jours de la même année, le sul-
tan enleva le gouvernement de Bougie à son fils El-
Mo’tamjd pour le donner à son mamloûk le k’â’id
Aboû’n-Na’îm RidVàn. En efïet ce prince, à la nou-
velle de la mort de son frèi’e Théritier présomptif,
conçut l’espoir de le remplacer et quitta Bougie avec
une armée considérable pour présenter ses condo-
léances à son père, mais trouva à son arrivée que
la place qu’il convoitait était déjà prise par El-Mon-
taçir, fils de Mohammed el Mançour. Comme il tar-
dait à obéir à Tordre de son pèi’e de regagner son
gouvernement, Aboû Fâris le fit arrêter et diriger
sur Tunis, où on l’interna dans l’appartement supé-

 

— 208 —

rieur de Tavant-corps de bâtiment ( îlJu ) du palais
du Bardo.

En la même année, à la suite de la nouvelle que
Moh’ammed ben Aboû Tâchefîn avait pénétré à
Tlemcen et s’en était rendu maître en tuant sou on-
cle Aboù Moh’ammed ‘Abd el-Wàh’id, le sullau
marcha avec ses troupes contre cette ville, qu’il as-
siégea et serra de très près. Quand l’émîr Moh’am-
med poussé à bout se vit hors d’état de résister, il
s’enfuit de nuit [P. 113] vers la montagne des Be-
noû Iznâten (1). Le lendemain matin les habitants ou-
vrirent les portes au sultan, qui envoya le k’à’id Ne-
bîl ben Aboû K’at’ûya dans la montagne. Ce chef
serra de si près les montagnards qu’ils demandèrent
quartier en promettant de livrer Témîr Moh’ammed.
A cette condition ils obtinrent leur pardon, et le sul-
tan emprisonna Moh’ammed. Après réflexion il choi-
sit pour gouverneur de Tlemcen l’émîr Ah’med ben
Aboû H’ammoû Moûsa ben Yoûsof Zenàti el l’ins-
talla, puis il retourna du côté de sa capitale en 835,
emmenant Moh’ammed ben Aboù Tâchefîn, qu’il
emprisonna dans la K’açba de Tunis et qui y mou-
rut en 840 (16 juillet 1436).

Dans la pi’emière décade de dhoù ‘1-h’iddja 835
(juillet 1432), le roi chrétien d’Aragon El-K’at’alâni
(le Catalan) débarqua avec une armée innombrable à
Djerba. Sitôt que cette nouvelle lui parvint, le sul-
tan, qui était alors à ‘Omra (2) avec son camp, se

 

(1) Ce nom est écrit [znâten dans A C D, et dans B Iznâti. U
n’existe pas, a noire connaissance, de tribu de ce nom ; mais celle
des Iznâsen est bien connue. Les Benoù Iniâten sont des Toudjînides
restés sur les rives du cours supérieur du Chelif, le Nahr Wâçel,
vers le Sersou (Berbères, iv, 22).

(2) Vaste plaine auprès de Gafça (Berbères, table géogr.).

 

 
— 209 —

mit en marche, mais à son arrivée les chrétiens
avaient déjà coupé le pont, et il s’installa de ce côté
sur la terre ferme. Un corps de troupes qu’il avait
envoyé avec un de ses k’â’ids avant le débarquement
des chrétiens pour tenir garnison dans Tîle occupait
celle-ci, tandis que Tennemi, qui tenait la mer du
côté du pont, avait élevé un rempart de bois qui le
séparait des musulmans. Chaque jour Aboû Fâris
se tenait à la tête [de l’emplacement] du pont, avec,
devant lui, le k’â’id Nebîl et des troupes prêtes à
combattre, et chaque fois qu’un musulman sortait
[de TîleJ, il était amené au sultan, qui lui donnait
des preuves de sa bienveillance. L’ennemi ayant eu
connaissance de ce détail et du fait que les gens du
prince s’éloignaient à l’heure de la sieste pour satis-
faire à leurs besoins, fit un certain jour et au mo-
ment favorable cerner le pont par plusieurs embar-
cations, dans l’intention de capturer le sultan et le
petit nombre des intimes qui restaient avec lui.
Mais, grâces à Dieu, le sultan put monter à cheval
[et s’échapper] ; plusieurs de ceux de son entourage
trouvèrent la mort du martyre, par exemple le k’â’id
Moh’ammed, fils du çheykh des Almohades Ibn ‘Abd
el-‘Azîz, et d’autres hommes de marque. L’ennemi
cerna le meydân (hippodrome) et s’empara de ce qu’il
renfermait. Des Djerbiens vinrent ensuite informer
le sultan qu’il existait pour entrer à Djerba un che-
min autre que le pont qui franchissait le bras de
mer, et un corps de troupes fut ainsi introduit dans
l’île. Quand les chrétiens s’aperçurent que ces ren-
forts avaient pu pénétrer par une autre voie que celle
qu’ils connaissaient, ils reconnurent l’inanité de leurs
efforts, et leur flotte s’éloigna de l’île, après un se-

 

— 210 —

jour [P. 114] de vingt-sept jours. Le sultan fit alors
réparer le pont et se retira sain et sauf.

Le mardi 11 rebr II 839, mourut à Tunis le k’âd’i
des mariages, Aboû ‘Abd Allah Moh’ammed El-
K’aldjàni ; il fut inhumé à El-Djellâz, et ce fut son
fils et suppléant, le juriste ‘Omar, qui fut nommé
k’âd’i des mariages et professeur à ‘Onk’ el-Djemel.

En In même année, mourut le juriste Aboû ‘Abd
Allah Moh ammed ben ‘Abd Allah ben K’alîl Elhetn,
l’ancien contrôleur des impôts qui avait été arrêté.

A l’époque du lechrîk’ (11-13 dhoû ‘1-h’iddja) de
cette année, mourut à Tunis le juriste Aboû ‘1-K’â-
sim ben Moûsa ‘Abdoûsi, qui fut inhumé à El-
Djellôz.

Le matin du jour de la fête des Sacrifices de 837,
mourut subitement le sultan Aboû Fâris ‘Abd el-
‘Azîz dans une localité du gouvernement de Tlem-
cen connue sous le nom de Waladjat es-Sedra (1),
où se trouve la source dite ‘Ayn ez-Zàl, non loin du
mont Wancherîs, alors que, ayant procédé aux
ablutions purificatrices, il attendait le moment de
sortir pour la prière du Sacrifice. En effet, lorsqu’il
avait quitté Djerba à la suite du départ des chré-
tiens, il avait réglé la solde du djond et, se remettant
en campagne (2), il s’était dirigé sur Tlemcen, dont
le prince Ah’med ben Aboû H’ammoû Moûsa ben
Yoûsof Zenâti manifestait, à l’exemple de ses aïeux,
des velléités d’indépendance qui lui avaient été rap-
portées. Ce fut au cours de l’expédition qu’il diri-

(1) D’après le Mcr^çld, o El-Waladja est un district dans le Ma-
ghreb qui ûgure parmi les cantons de Tâiiert ».

(g) A i^j:x. ^ J^ ; B avait ^js^ , comtae D, mais ce mçt.a été
surchargé en ^>>^ \ G ^^^ji^ ^ja. .

 

— 211 —

geait de ce côté que la mort le frappa, au bout d’un
règne de quarante et un ans quatre mois et sept
jours. Il laissait quatre fils.

Quand son petit-fils et héritier présomptif Aboû
‘Abd Allah Moh’ammed el-Montaçir connut cette
mort subite, il défendit de la divulguer et alla lui-
même dire la prière du Sacrifice, puis il reprit avec
le camp la route de Tunis en faisant annoncer que
le sultan tombé malade était porté en litière. Alors
El-Mo’tamid, ayant appris que son père était bien
mort, s’enfuit du camp ; mais l’héritier présomptif le
fit poursuivre et arrêter, puis aveugler à l’aide d’un
fer rouge. On annonça ensuite la mort du sultan, et
l’on reconnut l’héritier présomptif Aboû ‘Abd Allah
Moh’ammed El-Monlaçir, fils de l’émîr martyr Aboû
‘Abd Allah Moh’ammed el-Mançoûr, petit-fils du
Prince des croyants Aboû Fâris ‘Abd el-‘Azîz et
descendant des khalifes légitimes. La reconnaissance
de l’autorité de ce prince, dont la mère Reym était
une concubine d’origine chrétienne, se fit sans oppo-
sition. Après l’annonce de la mort de son grand’père,
il fit laver et ensevelir le cadavre pour l’envoyer à
Tunis ; l’inhumation eut lieu en face du tombeau de
son père [El-Mançoûr], dans le mausolée voisin de
la tombe de Sîdi Mah’rez ben Khalaf.

Le nouveau prince [P. 115] accompagné du camp
poursuivit sa marche vers Tunis. A Mesîla il reçut
une députation envoyée de Gonstantine pour le re-
connaître; il nomma gouverneur de Bougie et expé-
dia dans cette ville son oncle Aboû ‘1-H’asan ‘Ali
ben Aboû Fâris ‘Abd el-‘Azîz. Il arriva ensuite à
Gonstantine, où une députation lui apporta la recon-
naissance de son autorité par la capitale. Cette nou-

17

 

— 212 —

velle, qui lui fit grand plaisir, fut annoncée à une
réunion des notables tenue dans la grande mosquée
de Constantine. De cette dernière ville il nomma gou-
verneur son frère germain Aboû ‘Omar ‘Othmôn,
qui par ses ordres y fit son entrée le 13 dhoû ‘1-h’iddja
de la même année 837 pour remplacer le k’à’id
Mah’moûd révoqué.

A la nouvelle lune de moh’arrem 838 (7 août 1434),
le sultHU El-Montaçir accompagné de son camp
quitta la banlieue de Constantine pour s’avancer vers
Tunis. Arrivé à Teyfàch, il fit arrêter son frère con-
sanguin Aboû M-Fad’I, ses serviteurs et ses intimes;
la plupart tâchèrent de s’enfuir, mais quelques-uns
d’entre eux furent repris le soir même, et d’autres
au bout de peu de temps (1). Cette arrestation était
opérée quand il commença à redouter quelque tenta-
tive sur la capitale du fait d'[Ibn] ‘Abd el-‘Azîz, à
qui était parvenu la nouvelle de l’emprisonnement de
Témîr Aboû ‘l-Fad’l, qui était son petit-fils. Il prit
donc son fils Moh’ammed avec lui et envoya à Tu-
nis des troupes commandées par son k’ô’id Aboû
‘l-Fehm Nebîl et Aboû VThenâ Mah’moûd. Mais
ces deux chefs se virent fermer les portes de la ville
par le cheykh des Almohades Ibn ‘Abd el-‘Azîz, qui,
irrité du traitement dont souffraient ses deux petits-
fils et son fils, avait couvert les murailles de défen-
seurs ; mais ensuite ce cheykh s’arrangea de ma-
nière à quitter Tunis dans la nuit avec ses enfants
et quelques serviteurs, et à prendre la fuite. Les
deux k’â’ids entrèrent dans la ville après la dernière
prière du soir^ et la tourbe qui les suivait pilla les

(1) Ayec A B C^ j’ajoute à D [ a^^ j V^^V ] (“t^ *

 

– 213 —

demeures d’Ibn ^Abd el-‘Azîz, de ses enfants et de
ses serviteurs. Us firent arrêter ceux des serviteurs
qui tombèrent entre leurs mains, et en firent ensuite
autant pour Ibn ‘Abd el-‘Azîz et ceux qui avaient
suivi se fortune, dont on découvrit la retraite chez
les habitants de l’île située entre le Wâdi er-Raml et
Sousse(l). Quand cette capture fut opérée, Nebîl alla
prendre livraison des prisonniers, les ramena à Tu-
nis sous les yeux des principaux de la ville et les
interna dans la K’açba, où ils moururent.

Aboû ‘Abd Allah Moh’ammed el-Montaçir conti-
nua alors sa marche en avant, et la population de
Tunis se porta à sa rencontre pour faire acte de
soumission. Il pénétra en grande pompe dans la
ville le jour d”Achoûra [10 moh’arrem] 838, et on
renouvela la cérémonie d’intronisation, à Toccasion
de laquelle il rendit la liberté à un certain nombre
de prisonniers et fit d’abondantes libéralités aux pau-
vres, aux misérables et aux étudiants. 11 nomma
cheykh des Almohades Aboû ‘Abd Allah Moh’am-
med ben [P. 116] Aboû ‘l-‘Abbâs Ah’med et petit-
fils du vizir Ibrahim ben Hilàl ; la charge consistant
à apposer le paraphe fut confiée au juriste Aboû
*Abd Allah Moh’ammed ben K’âsim ben H’adjar, ti-
tulaire de ce poste sous son aïeul ; la rentrée des
impôts et le contrôle furent remis aux mains de son
compagnon et camarade le juriste Aboû ‘Abd Allah
Moh’ammed ben K’alîl Elhem ; la charge de mizwàr
fut donnée à El-H’âddj Aboû ‘Abd Allah Moh’am-
med Hilâli, et de même les autres postes furent con*
fiés à des gens capables de les remplir.

(1) Je n’ai pu retrourer sur nos cartes l’endroit ainsi désigné. S*a-
git-il de Kuriat I II faut observer que le mot djeztra (île) peut aurai
signifier « presqu’île, oasis ».

 

— 214 –

Dès ie début de son règne, en 838, il fit bâtir à
Tunis le collège de Soûk el-Filk’a et la fontaine, des-
tinée tant aux hommes qu’aux animaux, qui est
hors la Porte d’Aboû Sa’doûn.

En la même année, El-Montaçir quitta Tunis avec
un important corps d’armée, dans l’intention d’exa-
miner de près et de pacifier le pjays. Il se dirigea
vers Gafça, qui faisait partie de son itinéraire, et y
entra malade ; il y séjourna quelques jours et y fit
répandre des aumônes sur les pauvres, les miséra-
bles et les étudiants ; pendant un certain temps il
dut s’abstenir d’affaires. Alors s’enfuit du camp l’é-
mîr Aboû Yah’ya Zakariyyâ, fils de l’émîr Aboû
Yah’ya Zakariyyâ ben Aboû ‘Abd Allah Moh’am-
med ben Aboû Yah’ya Zakariyyâ, prince de Bône,
qui alla avec son frère rejoindre les Arabes et s’ins-
talla chez les Awlâd Aboû ‘1-Leyl, où ces popula-
tions se groupèrent autour d’eux. En conséquence,
le sultan envoya aussitôt des troupes commandées
par un de ses officiers pour sauvegarder Tunis, pen-
dant que lui-même, encore malade, le suivait avec
son camp ; il arriva à Tunis vers le milieu de la dite
année. 11 avait envoyé à son frère germain ‘Othmân
à Constantine l’ordre de le rejoindre, ce que fit ce
dernier prince en laissant comme son lieutenant en
cette ville son mizwâr Aboû ‘Ali Mançoûr, connu
sous le nom d’EI-Mizwâr ; mais cet officier fut en-
suite déplacé par son maître et remplacé par le prin-
cipal officier d”Othmân, c’est-à-dire Nebîl ben Aboû
K’at’âya, qui fut expédié à Constantine avec mission
de défendre cette ville. Le sultan sortit ensuite de
nouveau de Tunis après avoir fait des largesses à
ses troupes, et en chargeant son frère germain Aboû

 

‘Omar (1) ‘Othmân de la gouverner pendant que lui-
même tiendrait tête aux Arabes et à leur chef. Mais
ceux-ci s’empressèrent de l’attaquer avant qu’il eût
achevé toutes ses dispositions et que la concentra-
tion de toutes ses forces fût terminée, et dans cette
rencontre, qui eut lieu dans le voisinage du Djebel
er-Rîh’ân, plusieurs des compagnons du sultan fu-
rent tués, entre autres le juriste Ibn H’adjar. Aboû
‘Omar ‘Othmân se rendit alors chez les Awlâd Mo-
halhel, qui se joignirent à lui et à la tête desquels il
se mit à la poursuite des Awlâd Aboû ‘1-Leyl. Mais
il trouva ceux-ci déjà occupés à assiéger Tunis et
campés dans la sebkha de la Porte de Khâlid, tau-
dis qu’El-Montaçir, malgré son état de maladie,
montait tous les jours à cheval et, se mettant à la
tète de ses troupes et des habitants, livrait aux as-
siégeants [P. 117J des combats dans la sebkha.
L’arrivée d”Othmân et des Awlâd Mohalhel trompa
l’espoir des nomades et les fit décamper, mais non
sans qu’ils lui eussent livré une bataille où, contraire-
ment à ce qu’ils espéraient, ils eurent le dessous ; ils
durent partant s’éloigner, tandis qu”Othmftn put entrer
dans la ville et y remettre de l’ordre. Puis la nouvelle
étant arrivée que les Arabes et leur chef, campés en
dehors de K’ayrawân, projetaient de recommencer le
siège de la capitale, le sultan expédia contre eux une
forte armée commandée par son frère ‘Othmân. Celui-
ci se heurta contre eux dans le lieu dit El-Karwiya (2),
non loin de Tunis, en tua un grand nombre et fit

(1) On trouve ce nom orthographié tantôt ‘Omar, tantôt *Amr.

(2) Ce nom, le même probablement qu’on retrouve un peu plus
loin (p. 222), est écrit aussi El-Karoûna et El-Karoûba. On trouve
sur nos cartes un Djebel Kharoûba.

 

— Îi6 –

prisonniers leurs principaux guerriers, de sorte que
le reste s’enfuit sans avoir obtenu aucun succès,
tandis qu”Othmôn rentrait dnns la capitale avec tous
les honneurs de la guerre.

L’émir Aboû Yah’ya, voyant le désarroi des Aw-
lâd Aboû 1-Leyl et craignant pour sa vie et pour
celle de son frère, les abandonna pour aller trouver
les Dawâwrida, qui leur accordèrent leur protection:
leur chevkh *Isa ben Moh’ammed se rendit à Tunis
avec Aboû Yah’ya, et son intercession obtint du sultan
le pardon des deux frères, qui s’installèrent ( c. Uj^)
dans la capitale. Plus tard El-Montaçir, quand sa ma-
ladie s’aggrava, les lit arrêter et séquestrer, puis ils
périrent.

Le 16 çafar 839 (H sept. 1435), mourut la mère du
sultan, qui fut inhumée dans le mausolée (dâr) proche
de celui de Sîdi MahVez, et dans la nuit du [jeudi
au] vendredi 12 çafar de la même année, le khalife
El-Montaçir mourut au palais du Bardo de la mala-
die qui le tourmentait. Le lendemain, après la prière
du vendredi, les dernières prières furent dites à son
intention dans la mosquée Ez-Zîtoûna, et il fut en-
terré dans le mausolée où reposaient son aïeul le
khalife ainsi que son père. Il avait, depuis la mort
de son aïeul, régné un an deux mois et douze jours.
Le matin même, à la fin de la nuit où il rendit le
dernier soupir, on prêta le serment d’obéissance à
son frère germain le savant et bien connu Aboû
‘Omar ‘Othmân, fils de l’émîr Aboû ‘Abd Allah Mo-
h’ammed El – Mançoûr , petit-fils du Prince des
croyants Aboû Fâris ‘Abd el-‘Azîz et descendant des
émîrs légitimes. 11 était né d’une esclave d’origine
chrétienne nommée Reym, comme il a été dit à pro-

 

— 217 —

pos de son frère, le 27 ramad^ân 821. Il fut procla-
mé, de l’accord commun des courtisans et du peu-
ple, le matin du vendredi 12 çafar 839 (7 sept. 1435)
et fit ce jour-là la prière du vendredi dans la grande
mosquée d’Ez-Zîtoûna. Devenu ainsi dépositaire de
toute l’autorité, il garda auprès de lui les fonction-
naires qu’avait son frère défunt El-Montaçir, et la
dynastie Hafçide trouva en lui sa plus brillante ma-
nifestation.

[P. 118] Nous allons énumérer les principaux per-
sonnages de sa cour. Le premier est celui qui, cham-
bellan et premier ministre de son frère, occupa ces
mêmes postes avec lui, le très honoré Aboû ‘Abd
Allah Moh’ammed ben Aboû ‘l-‘Abbâs Ah’med, fils
du vizir Aboû Ish’âk’ Ibrâhîm ben Aboû HilAI. —
Le secrétaire chargé de la rentrée des impôts et du
contrôle général fut le juriste Aboû ‘Abd Allah Mo-
hammed ben K’alil Elhem ; puis le juriste glorieux
et fortuné Aboû l-‘Abbâs Ah’med ben el-H’âddj
Aboû Ish’âk’ Ibrâhîm Soleymâni, qui vers la fin de
sa vie demanda et obtint d’être déchargé de ses
fonctions, et que remplaça le juriste Aboû ‘Abd Allah
Moh’ammed Zawâghi le 26 djomâda II 887. — Le
secrétaire chargé du sceau fut le juriste Aboû ‘Abd
Allah Moh’ammed ben K’âsim ben H’adjar ; après
lui le juriste Mo’hammed en-Neddâs ; puis le juriste
et secrétaire respecté Aboû ‘Ali ‘Omar ben K’alîl
Elhem ; puis le fils de ce dernier, Aboû ‘1-Ghayth
qui le suppléa et que son incapacité fil renvoyer ;
puis le juriste Aboû ‘I-Berekât ben ‘Açfoûr, enfin le
juriste Aboû ‘Abd Allâh Moh’ammed Boûni. — Son
mizwâr fut d’abord El-H’âddj Aboû ‘Abd Allâh
Mph’ammed Hilâli ; puis le cheykh Aboû ‘Othmân

 

Sa’ld Ez-Zerlzer ; puis le k’è’id Aboû ‘Ali Mançoùr,
surnommé El-Mizwâr ; puis Aboù Ish’ôk’ Ibràhîm
ben Ah’med Fotoûh’i ; puis le fils de celui-ci, ‘Abd
el-‘Azîz.

Les grands k’âd’is de la capitale furent successive-
ment : le glorieux juriste Aboû ‘1-K’âsim ben Sâlim
Ouchtôti K’osanl’îni ; le juriste Aboû ‘Ali ‘Omar K’al-
djâni ; le glorieux et honoré juriste Aboû ‘Abd Alléh
Moh’ammed Khozômi, connu sous le nom d’Ibn
‘Ok’àb, fils du glorieux cheykh Aboû ‘i-‘Abbâs
Ah’med K’aldjâni ; puis son petit-fils, l’honoré Aboù
‘Abd Allah Moh’ammed K’aldjani ; puis le glorieux
juriste Aboû ‘Abd Allah Moh’ammed ben Aboù
‘l-K’àsim er-Raççâ’ ; puis l’honoré juriste Aboû ‘Abd
Allah Mo’hammed Ouchtàti.

Comme k’ôd’is des mariages à Tunis, il y eut
Aboû H’afç ‘Omar K’aldjani ; le savant et considéra-
ble Aboû Moh’ammed ‘Abd Allâh Boh’ayri ; l’honoré
juriste Aboû ‘l-‘Abbâs Ah’med K’osant’îni ; le ju-
riste Aboû ‘Abd Allèh Moh’ammed Zendîwi ; puis
son fils le juriste Aboû ‘l-H’asan ; le juriste et pro-
fesseur Aboû ‘Abd Allôh Moh’ammed er-Raççâ’ ; le
juriste Aboû Moh’ammed ‘Abd er-Rah’îm el-H’am-
çîni ; puis son fils le juriste Aboû ‘l-H’asan.

Les muftis de la grande mosquée Ez-Zîtoûna fu-
rent Aboû ‘1-K’âsim el-Berzeli ; Aboû ‘l-K’âsim
Ouchlâti K’osant’îni ; le juriste et k’èd’i Aboû
H’afç ‘Omar K’aldjani ; le juriste Aboû ‘Abd Allah
Moh’ammed ben ‘Ok’ôb ; le juriste et k’âd’i Aboù
Mo’hammed ‘Abd Allâh Boh’ayri; le juriste [P. 119]
et k ad’i Aboû ‘l-‘Abbâs Ah’med K’aldjani ; puis son
petit-fils le juriste Aboù ‘Abd Allâh Moh’ammed ; le
fils de son frère germain Aboû H’afç ‘Omar; puis
Aboû ‘Abd Allâh Moh’ammed er-Raççâ’.

 

— 219 —

Nous allons maintenant parler des bienfaits dont
on lui est redevable. 11 fit bâtir le collège et la zûwiya
plus bas que ce dernier dons la maison dite Dâr
Çoûla, proche de la demeure du vertueux cheykh
Sîdi MahVez ben Khalaf, ainsi que le réservoir (sik’âya)
qui est en face. Il acheva la construction du collège
commencé par son frère le sultan El-Montaçir à Tu-
nis dans le Soùk el-Filk’a. Il fit établir le grand bas-
sin à ablutions qui est dans Tallée (1) d’Ibn ‘Abd es-
Selâm, au nord du Djômi’ ez-Zîtoùna, et en fit
chauffer Teau pendant la saison froide. Il fit ériger la
fontaine destinée à servir aux hommes et aux ani-
maux, à Test du minaret du Djômi’ ez-Zîtoûna. A
Test de cette même mosquée, il fit établir la maççdça (2),
où un ajutage, à Textrémité d’un tuyau de cuivre,
permettait d’aspirer Teau par succion. Il fit cons-
truire la fontaine proche de Thôpital, destinée à four-
nir aux gens du voisinage Teau qui était de ce côté
en trop faible quantité. Il édifia le réservoir (sik^dya)
vis-à-vis la porte d’El-Djobeyla (3), entre les deux por-
tes du Bordj el-Awnak’i ; Tenu qui alimentait ce ré-
servoir provenait d’Oumm el-Wat’ô, en dehors de
Tunis (4). Il établit une [nouvelle] bibliothèque, qu’il
construisit dans la makçoûra de Sîdi Mah’rez ben

(1) Nos textes lisent w^^ , et le ms.239crAlger (f. 104) i^j’yce fut

Ah’med K’osant’ini (Ibid.) qui dirigea la construction de ce bassin,
entre 850 et 860.

(:2) Ce mol, qui se retrouve dans le Khitat de Makrîzi (i, p. 347,
1. 12), désigne aussi en Algérie une plante que les indigènes emploient
dans les mêmes cas que la sangsue (le plantain, d’après Beaussier).

(3) B, El’DJebeliyya.

(4) Le grand réservoir près les arcades, hors le Bâb el-Awnak*i,
commencé sous la direction du cheykh ed-d.iwla Aboû Zeyd ‘Abd
er-Rah’mân Fotoûh’i en 877, fut achevé en 881 ; il amène de bonne
eau provenant des puits de Kerm el-Wai’â (ms. d’Alger, n» 239, f.
104, r. et V.).

 

— 2i0 —

Khalaf, à Test du Djâmi’ ez-Zltoûua, et lui affectas
titre perpétuel des livres sur les diverses sciences
religieuses, la lexicographie, la médecine, Thistoire,
l’arithmétique, etc. (1). Il édifia la xâmya du fondouk
au-dessus du fourré de Cherk (Ghâbai Cherk) (2), au
sud de la montagne de Zaghwân, pour servir de lo-
gement à ceux qui arrivaient soit de Tunis, soit de
K’ayrawân ; de même la zâwiya dite ‘Ayn ez-Zemît,
entre Tunis et Bâdja, avec affectation des biens né-
cessaires pour son entretien ; il faut encore citer la
zâwiya d’Aboù M-H’addâd, celle d’EI-Manhela (3), celle
de K’arnât’a (4) dans le lieu bien connu entre Gafça
et Tawzer, celle de Biskra, celle d^Et-Toûmi, etc. (5).

Au début de son règne il fit restaurer le collège et
la zâwiya établis dans la maison dite Dàr Çoûla et y
nomma professeur Moh’ammed Zendîwi ; il fit ache-
ver le collège de Soûk el-Filk*a, y nomma professeur
le juriste et k’âd’i Aboû ‘Abd Allah Moh’ammed ben
‘Ok’âb, et immobilisa au profit de ces divers établis-
sements de quoi pourvoir à leur entretien.

Quand l’autorité fut fixée entre ses mains, l’oncle
de son père, l’émîr et professeur Aboû ‘Abd Allah

 

(1) Cela se fit vers 854 sous la direction d’Aboû ‘l-‘Abbàs Ah’med
K’osant’ini, alors préposé aux biens de main-morte (ms. 239 cité, fol.
103, V.).

(2) En arabe, Ghâbat Cherk : ce mot est écrit de la sorte dans A

et B ; D lit Chertk, et dans G on trouve ^J*” H^’^ (^^’ ^^f”<^* P»

128 du texte). Ailleurs il est dit simplement «c la zÂwiva du fondouk (ou,
d’El-hondouk’i » (ms. 239 cité, f. I04i. Il ne peut être question de la
Djezirat Cherik de Bekri (p. 96 et 109), qu’Edrisi (trad., 138 et 149)
appelle Djezirat Bâchoû, la Dakhelat el-Maouin actuelle.

(3) A et B lisent « d’El-Moneyhela ».

(4) A Mi K’arbâVa ; B, à la suite d’un grattage, K’arkàdjena.

(5) B lit « celle de Besriya, celle d*En-Noûr, etc. ». — K’ayrawâni
(texte, p. 147) parle aussi de plusieurs de ces fondations.

 

— 221 —

Moh’ammed el-H’oseyn, fils du khalife Ah’med, s’en-
fuit nuitamment de Tunis avec plusieurs de ses en-
fants et se réfugia chez les Awlâd Aboù ‘1-Leyl, qui
étaient dans le voisinage de cette ville. Gela [P. 120]
occasionna du tumulte à Tunis et dans la région, et
le prix des vivres monta, car le peuple craignait que
les Arabes ne se servissent de lui pour provoquer
des troubles à Tunis. Le sultan envoya aux Arabes
des messagers qui leur firent de telles menaces
quant aux suites d’un acte pareil que ces nomades
arrêtèrent Moh’ammed et les siens, et les Hvrèrent
au sultan, qui les interna dans la K’açba. Moh’am-
med mourut en rebî’ II 839, et ses enfants obtinrent
au bout de quelque temps leur pardon et leur mise
en liberté.

En remplacement de son grand-oncle paternel, le
sultan nomma comme professeur au collège Ech-
Chemmâ’în le grand k’âd’i alors en place, le juriste
Aboû ‘1-K’âsim K’osant’îni. A la fin de djomâda I
de la même année, il fit arrêter son mizwâr El-
H’âddj Aboû ‘Abd Allah Moh’ammed Hilûli et le
remplaça dans ces fonctions par Aboû ‘Othmân Sa’îd
Ez-Zerîzer. Au commencement de djomâda I de la
même année, il avait renvoyé le juriste et k’âd’i
Aboû ‘l-‘Abbâs Ah’med K’aldjâni de son poste de
k’âd’i à Gonstantine et v avait nommé Aboû ‘Abd Allah
Moh’ammed Zendîwi. Le juriste Ah’med K’osanllni
fut, à son arrivée à Tunis, nommé professeur au
nouveau collège élevé près de la demeure de Sîdi
Mah’rez.

Les Arabes d’Ifrîk’iyya, c’est-à-dire les Awlâd
Aboû ‘1-Leyl et ceux qui faisaient cause commune
avec eux, se mirent alors à exercer des ravages par-

 

— 2Î2 —

tout et à rendre les routes peu sûres. Le sultan leur
fit intimer Tordre de se tenir tranquilles, mais ils
exagérèi’ent leurs prétentions et ne changèrent pas
leurs procédés, de sorte que le sultan mobilisa ses
troupes et fit planter ses tentes à Ez-Za’teriyya (1) en
cha’bân 839 ffév.-mars 1436). Mais cette démonstra-
tion fut cause qu’ils se refusèrent à tout accommo-
dement, et comme d’autre part ‘Othmân ne voulait
pas les laisser faire, ils formèrent le projet d’atta-
quer l’armée du prince avant que la concentration
en fût terminée; le sultan, qui en fut informé, fit
rentrer toutes ses tentes à Tunis. Les Arabes vin-
rent alors, dans les premiers jours de ramad’èn,
camper dans la sebkha de la Porte de Khâlid pour
faii-e le siège de la ville; mais le sultan en personne
menait au combat, dans la sebkha même, les habi-
tants et les soldats, et sa vaillante épée tuait d’in-
nombrables ennemis, de sorte que les Arabes déçus
devaient battre en retraite après avoir subi de fortes
pertes. Quand ils apprirent que les Awlâd Mohalhel
et leurs partisans s’apprêtaient à venir les combattre
et à secourir le Prince des croyants, ils quittèrent
les environs de Tunis et marchèrent contre eux jus-
qu’à El-Karoûma (2). De son côté le sultan sortit de la
ville pour les poursuivre, et l’importante bataille qui
s’ensuivit et où ils firent de grandes pertes se ter-
mina par leur déroute. Or celui qui gouvernait à
Bougie, Témîr Aboù ‘1-H’asan, fils du khalife Aboû
[P. 121] Fâris ‘Abd el-‘Azîz, s’était déclaré indépen-
dant dans cette ville et s’y était fait reconnaître lors-
qu’il avait appris la mort du sultan El-Montaçir. Les

 

(1) Nos textes oi ihographient Es-Sa’teriyya (voir p. 85, note).
(!2) Voir plus haut, p. 215.

 
Awlàd Aboû ‘!-Leyl, à la suite de leur insuccès de-
vant Tunis et de leur retraite, se rendirent auprès
de lui et le sollicitèrent de marcher contre la capi-
tale, à quoi il consentit, et il mit, d’accord avec eux,
le siège devant Gonstanline. Pendant environ un
mois il la serra de très près et renouvela ses atta-
ques quotidiennement et du matin nu soir, mais Ne-
bîl, k’â’id de cette ville, résista courageusement et
avec succès, si bien que le rebelle impuissant dut le-
ver le siège et se dirigea, accompagné d”Isa ben
Moh’ammed, cheykh des Dawàwida, sur la capitale.
Or le sultan, qui était sorti avec son camp, fut rallié
par Sebâ’ ben Moh ammed, cheykh des Dawàwida,
qui se mit de son côté ; mais d’autre part le k’ô’id
Mah’moùd, que le prince avait envoyé en avant pour
lever des troupes chez les H’anânecha et chez ses
contribules (1), fut rejoint par des partisans de Témîr
Aboû M-H’asan et mené auprès de celui-ci, à qui il
prêta serment et à qui il conseilla d’attaquer le sultan
avant que toutes ses troupes fussent réunies et qu’il
fût renforcé par les Arabes. Aboû ‘n-Naz’ar, fils du
k’â’id Mah’moûd, figurait dans le camp du sultan,
mais rejoignit son père quand il sut que celui-ci
avait changé de parti. Un autre fils du k’â’id Mah’-
moûd, qui était k’â’id de Bône et s’appelait Moh’am-
med, fut alors arrêté et interné à Tunis, mais relâ-
ché au bout de quelque temps. Le khalife avec ses
troupes renforcées des Awlâd Mohalhel et des gens
ralliés à ces derniers, s’avança jusqu’auprès de Sar-

(1) B et D ^y^J iAJUxrt ^ « chez les IJ’anâiiecha et à K’a-
rafa » ; ce dernier nom m’est inconnu. A Ut ^^j \ j’ai adopté la
leçon de C ^j/^^ .

 

• 224 —

rât’ (1) et fut rejoint, la veille au soir de la bataille, par
le cheykh des H’aktm, Sa’îd ben Ah’med, qu’accom-
pagnaient ses partisans d’entre les H’akîm, les Be-
noû ‘Ali et autres. La rencontre eut lieu vis-à-vis le
Wâd’i Sarrât’ (2), près de Teyfàch, le mercredi 22
rebl’ I 840, et les Arabes de l’Ifrîk’iyya tout entière
y figurèrent ; le khalife se tenait au centre de ses
troupes rangées en ligne de bataille. La vue du nom-
bre considérable de guerriers dont il disposait ins-
pira tout d’abord aux partisans d’Aboû *I-H’asan le
regret de n’avoir pas livré bataille la veille, mais ils
reprirent bientôt courage : leur aile droite fit une
charge vigoureuse et mit en fuite l’aile gauche enne-
mie qui lui faisait face, puis leur aile gauche en fit
autant. Voici le récit qu’on place dans la bouche du ju-
riste Aboû ‘l-‘Abbâs Ah’med ech-Ghemmè’, alors
k’âd’i du camp (3) : « J’étais ce jour-là placé sur
une érainence, et je vis le Prince des croyants, qui
s’était aperçu de ce qui se passait, se précipiter avec
sa garde (? 4), quelques Hafçides (5) et d’autres bra-
ves contre les chefs ennemis sans s’inquiéter du dé-
sastre de ses deux ailes, et piquer vers l’émîr Aboû
‘1-H’asan. Cette brusque attaque retourna la situa-
tion (6): fP. 122J les compagnons d’Aboû ‘1-H’asan

(1) Sarrat est l’orthographe de la carte de l’état-major ; B écrit

(2) D seul écrit Wâdi, ABC Pjebel (A répétant ici encore WjA ) ;
la dite carte ne donne pas de montagne (djebel) de ce nom.

(3; Cf. suprà, p. 207.

(4) îkj^\ J>! .

(5) Je lis »i y o& »^ i iol^ j avec A B G, au lieu de ^-jJaàac^i de D.

(6) Au lieu de la leçon de C D, on lit dans B ^J^’ ^3^ C^’^
^j^JiJojjiU] ^J^^j 9 passage qui manque dans A.

 
— 225 —

se dispersèrent et un grand nombre mordirent la
poussière. Les troupes du sultan revinrent à la
charge quand elles virent le succès qu’il obtenait, et
la lutte se poursuivit depuis la matinée jusque vers
quatre heures de Taprès-midi. Aboù ‘l-H’asan ne
sauva sa vie qu’en fuyant au galop, et abandonna
son camp et les siens à la discrétion du vainqueur.
Il ne se crut qu’à peine en sûreté à Bougie, où il ar-
riva avec les mieux montés des siens. » Le sultan
regagna alors Tunis, où il rentra avec les honneurs
de la guerre.

En ramad’ân 840 (mars-avril 1437;, une députa-
tion des Awlôd Aboù ‘1-Leyl qui vint le trouver à
Tunis sans s’être précautionnée d’un sauf-conduit,
fut arrêtée au palais du Bardo ; on enchaîna et on
interna à la K’açba ceux qui la composaient, Man-
çoûr ben Khâlid ben Çoûla ben Khâlid ben H’amza,
T’alh’a ben Moh’ammed ben Mançoùr ben H’amza,
Mançoûr ben Dhoueyb ben Ah’med ben H’amza,
ainsi que leur suite.

Le sultan prépara ensuite une nouvelle expédi-
tion (1), et après avoir procédé au paiement de la
solde du djond il se dirigea avec ses troupes vers la
province de Bougie et campa à la fin de 840 à Me-
koûs (2), où il livra bataille à ‘Abd Allah ben ‘Omar
ben Çakhr, cheykh des Sîlîn, puis rentra- à Tunis au
commencement de 841 (4 juillet 1437).

Le dernier jour de rebî* I 841, mourut à Tunis le
secrétaire chargé du sceau, le juriste Aboû ‘Abd
AUâh Moh’ammed ben K’âsim ben H’adjar, qui fut en-

(1) Au lieu de ^jo^ ^-/^ de C D, A lit aXT^ ^^ , et B,
(3) B lit ^j^ 9 ce nom manque dans A ; plus bas, on lit tpyr^

 

— 226 ~

terré le lendemain dans le mausolée (ddr) du vertueux
cheykh Aboû Zakariyyû Yah\a ben ed-Demmàn,
hors la porte de Souweyk’a, en présence d’une as-
sistance où figuraient le khalife et les principaux de
la cour. Ses fonctions furent confiées au juriste Aboû
‘Abd Allah iMoh’ammed Touwàsi.

«

La fin de la même année vit Tachèvement de la
construction du collège de Soûk’ el-Filk’a.

Le 25 dhoû ‘l-k’a*da de la même année, mourut à
Tunis le juriste El-H*àddj Aboû M-K’ôsim Berzeli,
qui fut enterré au Djebel el-Djellàz. Il eut pour suc-
cesseur comme imâm de la mosquée Ez-Zîtoùna,
comme khai’îb et comme mufti consultant après la
prière du vendredi le juriste Aboû M-K’âsim KV
sant’îni, alors grand k’àd’i. Les fonctions de profes-
seur au collège d’Ibn Tâfei’âdjîn furent dévolues au
juriste Aboû M-Berekât Moh’ammed ben Moh’ammed
dit Ibn ‘Açfoûr. Aboû H’afç ‘Omar K’aldjèni, alors
k’âdM des mariages, devint khat’ib dans le Djâmi’ et-
Tawfîk’, et eut à y rendre des fetw^as après le grand
k’âdl.

Au milieu de l’année 842 (24 juin 1438), le khalife
fit arrêter le contrôleur et directeur de la perception
des impôts, le juriste Abou ‘Abd Allah Moh’ammed
ben [P. 123] K’alîl Elhem, ses deux fils Aboû ‘1-Be-
rekât et Yoûnos, ainsi que son ami le k’à’id de Bâdja
Aboû ‘1-H’asan ‘Ali ben Merzoûk’ et le frère de ce
dernier personnage, qui furent tous internés à la
K’açba et qui eurent leurs biens confisqués. Les
fonctions de contrôleur et de directeur que remplis-
sait le premier passèrent aux mains du juriste Aboû
‘KAbbâs Ah’med ben Aboû Ish’âk’ Ibrâhîm Soley-
mâni.

 

— 227 —

L’après-midi du jeudi 14 cha’bân 842, mourut *à
Tlemcen (1)* le très savant juriste Aboû ‘Abd Allâh
Moh’ammed ben Merzoûk’.

Au commencement de 843 (14 juin 1439), on ap-
porta au sultan à Tunis la tète d’Ibn Ç^ikhr, c’est-à-
dire ‘Abd Allâh ben ‘Omar Sîlîni, qui fut exposée à
la Porte de Khâlid.

Le 4 djomâda II 843, le sultan pénétra à Bougie,
d’où rémîr Aboû ‘1-H’asan s’était enfui pour sauver
sa vie. Les habitants, qui se portèrent au devant de
lui, obtinrent tous grâce pour leur vie et leurs biens ;
le sultan y nomma gouverneur son cousin paternel
l’émîr Aboû Moh’ammed ‘Abd el-Mou’min ben Aboû
M-‘Abbâs Ah’med, puis il retourna à Tunis, où il
rentra en redjeb après avoir réalisé son plan.

A la fin de 844 (V^ juin 1440), fut achevée la cons-
truction du collège proche de Sîdi MahVez.

Le jeudi 14 rebî’ II 845, mourut *à Tlemcen (2) *
le juriste et professeur Aboû ‘l-‘Abbâs Ah’med ben
Moh’ammed ben ‘Abd er-Rah’mân ben Zâgh, sur
qui les dernières prières furent dites le lendemain
après la prière du vendredi dans la grande mosquée ;
il fut enterré en dehors de la ville sur le chemin
d’El-‘Obbâd. Il était professeur à Tlemcen et est au-
teur de nombreux ouvrages, parmi lesquels le Taw-
d’îA’ fi ‘ilm el’ferâHd’ mm el-wâh*id eç-çah’W, où il
suivit complètement le système d’El-K’orachi dans
les fractions, mais en ajoutant sur ce sujet des cho-
ses inédites et qui sont ses découvertes personnel-
les ; le Résumé ; la Mok’addima fi lefsîr el-K’or’dn el-
‘az’im ; la Khâiima sur le même sujet, etc.

 

(1) Addition de A B.

(2) Addition de A.

 

18

c:.

 

^ 248 —

En 845 (21 mai 1441), le sultan apprit qu’à Neft’a
s’était soulevé le nommé Aboù Zakariyyâ, un des
cheykhs de la sous-tribu des Benoû ‘1-Khalaf (1), à
qui s’étaient joints tous les aventuriers et qui avait
refusé rentrée dejla ville à son représentant. En con-
séquence il quitta Tunis à la tète de son armée*en se
faisant précéder d’un corps d’armée commandé par
son k’â’id Aboû ‘1-Fehm Nebîl. Celui-ci était campé
près de la ville et l’assiégeait déjà depuis plusieurs
jours quand le khalife arriva et put compléter l’inves-
tissement, si bien qu’il arriva à y pénétrer après avoir
tué beaucoup des rebelles à la an de djomâda II de
la dite année. Les demeures et les propriétés de
toute sorte furent livrées au pillage, [P. 124] et le
chef révolté, qui fut capturé et amené au sultan, fut
mis à mort par l’ordre de celui-ci ; le père du re-
belle fut ensuite également amené au vainqueur, et
exécuté sur le champ (2). Le gouvernement de la
ville fut confié à un k’â’id de son choix par le sultan,
qui rentra dans sa capitale à la fin de la dite année.

Le vendredi 21 moh’arrem 846, un conseil fut tenu
dans la K’açba ( Ll*3l lyeS)\ ) en présence du prince
pour traiter de certains dires attribués au juriste
Ah’med K’aldjâni. Celui-ci y assista avec son frère
germain, ainsi que le juriste et k’âd’i Aboù H’afç
‘Omar, le juriste Moh’ammed ben ‘Ok’âb, le juriste
‘Abd AUâh Boh’ayri, et le juriste et mufti de Bou-
gie, Mançoûr ben ‘Othmân Bedjâ’i. Ibn ‘Ok’âb
précité y blessa [par ses propos] le sultan (3), qui le

(1) On trouve dans les Berbères (iii, 146) des détails sur Toriglne
de cette famille.

(2) ij^:oae^\ ^ signifie peut-être, à Tunis.

(3) Je lis avec A !j^^t sÀ ^^^ /J^ j » au lieu de ^^.^t ^

 
— 829 –

fit interner, mais sans l’enchaîner, dans le Djâmi* el-
Djobeyla (1) de la K’açba ; puis il le remit en liberté
au bout d’environ deux mois.

Le mercredi 17 çafar de la dite année, le grand
k’âd’i, imâm, khaflb et mufti de la grande mosquée
Ez-Zîtoûna, Aboû ‘1-K’âsim K’osant’îni, fut frappé
par Magheroûs au moment où il finissait la prière
de Taurore dans ce temple, alors qu’il était accroupi
sur le tapis de prière proche la porte El-Bohoûr, car
il faisait la prière en cet endroit ; le coupable fut
exécuté sur le champ sous le minaret de la mosquée
et son cadavre fut jeté dehors. Le k’âd’i transporté
chez lui écrivit ses dernières volontés et mourut la
nuit d’après ; les dernières prières furent dites le
lendemain sur son corps dans cette mosquée, et
l’inhumation se fît à El-Djellâz. Le k’âd’i Aboû H’afç
‘Omar K’aldjâni le remplaça comme grand k’âd’i,
comme khat’ib de la mosquée Ez-Zîtoûna et comme
chargé des fetvas à la suite de la prière du vendredi.
L’imamat de cette mosquée fut attribué au juriste
Moh’ammed ben ‘Omar Mesrâli K’arawi, khat*tb de
la grande mosquée de la K’açba. Les fonctions de
khafîb de la grande mosquée Et-Tawfîk’ et de mufti
dans cet établissement à la suite de la prière du ven-
dredi furent données au mufti Aboû ‘Abd Allah Mo-
h’ammed ben ‘Ok’âb, et Aboû ‘Abd Allah Moh’am-
med Boh’ayri devint k’âd’i des mariages et profes-
seur au collège Ech-Chemmâ’în.

Au commencement de 846 (12 mai 1442), le sul-
tan fut informé que Moh’ammed ben Yah’ya Sîlîni,
dit Ibn H’adjar, avait attaqué et tué le gouverneur
de Bougie, l’émîr Aboû Moh’ammed ‘Abd el-Mou’-

(1) A B liMnt u El-Djebeliyya ».

 

— 230 —

min, et il donna cette place au frère du défunt, Te-
rnir Aboû Moh’ammed ‘Abd el-Melik.

Au commencement de 847 {V mai 1443), la peste
sévit à Tunis et dans la région ; [P. 125] elle em-
porta entre autres le grand k’âd’i Aboù H’afç ‘Omar
K’aldjâni,qui resta assez longtemps malade et qui mou-
rut dans la nuit du [mardi au] mercredi 24ramad’âii.
Les dernières prières furent dites sur lui le lende-
main après la prière de midi dans la mosquée Ez-
Zîtoûna, et il fut inhumé à la montagne El-Djellâz,
vis-à-vis le tombeau de son père. Né à Bâdja la nuit
du [vendredi auj samedi 2 chavmâl 773, il avait
soixante-quatorze ans moins sept jours. Il fut rem-
placé comme grand k’âd’i, comme mufti de la mos-
quée Ez-Zîtoûna après la prière du vendredi et com-
me khat’ib de la grande mosquée de la K’açba par le
juriste Aboù ‘Abd Allah Moh’ammed ben Moh’am-
med ben ‘Ok*âb ; la place de professeur dans le col-
lège *Onk’ el-Djemel fut donnée à son fils le juriste
Aboû ‘Abd Allah Moh’ammed. Aboû ‘Abd Ailâh
Moh’ammed Mesrâti devint kkal’îb de la mosquée
d’Ez-Zîloûna, le juriste et k’âd’i Aboû ‘l-‘Abbâs
Ah’med K’aldjâni khaCib et mufti après la prière du
vendredi dans la grande mosquée Et-Tawfîk’.

Dans la nuit du [mercredi auJ jeudi 2 chawwâl de
cette année, le vertueux cheykh Sîdi Fath’ Allah mou-
rut dans sa zâwiya, située dans le voisinage du Dje-
bel el-Djelloûd ; il fut enterré le lendemain.

Dans la nuit du [vendredi au] samedi 18 çafar 848,
mourut le vertueux cheykh et ami de Dieu (weli)
Aboû ‘1-H’asan ‘Ali el-Djebâli, qui fut inhumé le len-
demain à l’extrémité du cimetière du Djebel el-
Mersa.

 
— 231 –

En 850 (29 mars 1446), la nouvelle que Témlr Aboû
‘1-H’asan avait profité de la négligence du k’âMd de
Bougie Ah’med ben Bechîr pour pénétrer dans cette
ville, détermina le sultan à quitter sa capitale avec
ses troupes pour faire une expédition de ce côté. Il
se fit précéder par un corps d’armée commandé par
le k’â’id Nebîl, qui vint camper près de Bougie. Alors
rémîr Aboû ‘1-H’asan s’enfuit dans les montagnes
après avoir occupé vingt jours cette place, dont le
k’â’id prit possession. Le khalife en donna le gou-
vernement au k’â’id Moh’ammed ben Faradj, et ren-
tra à Tunis.

Le vendredi 18 chawwâl de la même année, mou-
rut l’imâm et khat’îb de la mosquée Ez-Zîtoûna, le
professeur Aboû ‘Abd Allâh Moh’ammed Mesrâti,
qui fut inhumé le lendemain à El-Djellâz. Il fut rem-
placé dans ses fonctions d’imâm et de khaClb par le
juriste Aboû ‘Abd Allâh Moh’ammed ben ‘Ok’âb,
alors grand k’âd’i, dont le poste de professeur au
collège Et-Tavv^fîk’ fut confié à son frère le juriste
Aboû ‘l-‘Abbâs Ah’med, qui remplit également les
fonctions de khat’îb à la grande mosquée de la K’açba.

Vers la même année, mourut le juriste Aboû ^Abd
Allâh Moh’ammed ben K’alîl Elhem, qui était tombé
malade pendant qu’il était emprisonné dans la K’açba.

En dhoû ‘l-h’iddja [P. 126] 850, fut achevée la
construction du collège à l’est de la porte de la K’aç-
ba nommée Bâb Intedjmi, collège dont la construc-
tion avait été commencée par le k’â’id Nebîl [ben]
Aboû K’at’âya. Le distingué juriste Aboû Ish’âk’
Ibrahim el-Akhd’ari y fut appelé aux fonctions de
professeur.

Le samedi 22 moh’arrem 851 (10 fév. 1447), on

 

– Î3Î —

procéda à Tarrestation de Témlr Aboû Ish’âk’ Ibra-
him, frère consanguin du khalife, et de ses deux ne-
veux, fils de rémîr Aboù ‘1-Fad’l, qui furent tous les
trois internés dans la K’açba.

Le jeudi 12 çafar de la mêoie année, vers le déclin
du soleil, un trembleoient de terre fut ressenti à
Tunis.

La nuit du [dimanche au] lundi 17 djomâda [sic]
de cette année, après la dernière prière du soir, mou-
rut le grand k’âd’i de Tunis, Aboû ‘Abd AUâh Mo-
h’ammed ben ‘Ok’àb, sur qui les dernières prières
furent dites le lendemain dans la mosquée Ez-Zî-
toûna après la prière de midi, et qui fut inhumé au
Djebel el-Mersa dans le cimetière du cheykh Aboù
Sa’îd Bâdji. Le mardi 2 djomâda II, il fut remplacé
comme grand k’âd’i et professeur au collège de
Soûk* el-Filk’a par le juriste et k’âd’i Ah’med K’al-
djâni. Son neveu Ah’med, fils de son frère germain
‘Abd Allah, exerça seul les fonctions de k’âd’i d’El-
Djezîra et de professeur au collège voisin de Sîdi
Mah*rez ben Khalaf. Le juriste et k’âd’i Aboû ‘Abd
Allah Moh’ammed ben Aboû Bekr el-Wâncherîchi fut
nommé imAm et khat’îb de la mosquée Ez-Zîtoûna
le 3 moh’arrem 852; Moh’ammed Boh’ayri, k’âd’i
des mariages à Tunis, eut, à partir du 8 moh’arrem,
la charge de rendre des fetvas dans la mosquée Ez-
Zîtoûna après la prière du vendredi, de sorte qu*il
venait dans ce dernier temple pour y rendre des fet-
vas après avoir rempli son office de khat’îb dans le
Djâmi’ d’Aboû Moh’ammed, au faubourg de Bâb es-
Souw^eyk’a.

En cha’bân 852 (oct. 1448), on commença, d’après
les ordres du sultan, à construire le bassin à ablu-

 

– 233 —

lions qui est à droite quand on entre dans l’allée
(derb) d’Ibn ‘Abd es-Selâm, au nord de la mosquée
Ez-Zîtoûna.

Le 28 dhoû ‘l-h’iddja, dernier mois de cette année,
mourut en Egypte le grand k’âd’i Chihâb ed-Dîn
Ah’med ben ‘Ali ben Moh’ammed ben H’adjar, com-
mentateur du traité de Bokhâri et d^autres ouvrages,
qui était né, comme on Ta trouvé écrit de sa main,
en cha’bân 763.

Dans l’après-midi du mercredi 5 rebî’ II |P. 127]
853, mourut l’imâm et khat^lb de la mosquée Ez-Zî-
toûna, Aboû ‘Abd Allah Moh’ammed ben Aboû Bekr
el-Wâncherîchi, qui fut inhumé le lendemain à El-
Djellâz. Il fut remplacé comme khat’ib par le cheykh
[Aboû] ‘Abd Allah Moh’ammed Boh’ayri, le vendredi
7 du même mois ; ce fut le juriste Aboû ‘1-H’asan
Lih’yâni qui lui succéda comme imâm, et qui en
outre fut nommé khat’îb de la grande mosquée (djâ-
mi’; d’Aboû Moh’ammed.

Le jeudi 6 cha’bân de la même année, le sultan
sortit de Tunis avec son camp et alla camper à Ez-
Za’teriyya, d’où il se dirigea sur Tuggurt (1). Au
début de son règne, Yoûsof ben H’asan, qui appar-
tenait à la race des cheykhs de cettej localité, s’y
était révolté et se Tétait appropriée en y prélevant
les impôts pour son compte, sans que le khalife, oc-
cupé de soins plus importants, s’opposât à ce qui se
faisait dans cette région éloignée, et c’était contre
lui qu’était dirigée cette expédition. [Une troupe de
plus de mille cavaliers commandés par Nebtl fut en-

 

Ci) A B orthographient 0;0* ; C D s,!^ ; on trouve C^*

dans le texte de YHiat. des Berbères^ de même que dans le ms. 239
d’Alger (f. 107, v.)- — Sur Za’teriyya, voir p. 85, n. 2.

 

— 234 —

voyée en avant et mit, le dernier jour de chawwâl
de cette année, le siège devant cette ville, se bornant
à Tattaquer pendant les deux premiers jours ; le troi-
sième jour, l’ordre fut donné de couper les palmiers
des environs, mesure à laquelle il s’arrêta (1) à cause
de la résistance que lui opposaient les habitants et
du concours qu’ils prêtaient au cheykh Yoûsof. Le
sultan, arrivé le quatrième jour, investit la place, et
le k’â*id de Bâdja, Aboû Cho’ayb Medyen, y ayant
voulu pénétrer sans s’être fait annoncer, fut, ainsi
qu’un de ses renégats qui l’accompagnait, massacré
par ordre de Yoûsof. Le sultan fît alors continuer
l’attaque et l’abatage des palmiers, de sorte que Yoû-
sof, se voyant hors d’état de résister, demanda quar-
tier et obtint la promesse d’avoir la vie sauve. Il se
présenta alors en personne et demanda de rester
dans cette place moyennant le paiement d’une cer-
taine somme, ce qui lui fut accordé. Mais, après
avoir fait un versement partiel, il changea d’avis et
ferma les portes. Il resta ainsi six jours, au bout
desquels le sultan fit recommencer le siège et l’atta-
que. Alors Yoûèof sortit de la ville pour terminer au
camp l’exécution des conditions convenues, mais on
se saisit de sa perdi au même temple [P. 133] en remplace-
ment du cheykh El-Boh’ayri, et moyennant abandon
de sa place de k’âd’i, et d’autre part son maintien
comme khaCib seulement. Après avoir consulté Dieu,
El-K’aldjâni écrivit de sa main, le 27 redjeb, qu’il
choisissait la première alternative et renonçait à sa
place de grand k’âd’i. Le sultan agit en conséquence
et fit cette nomination au commencement de cha’bân,
en le nommant en outre à la medresa Ghemmâ’iyya.
El-K’aldjàni avait, depuis qu’il avait demandé son
changement, cumulé les charges de grand k’âd’i et de
k’âd’i des mariages pendant plus de huit mois.

Le 29 du même mois de redjeb, par ordre du sul-
tan, le juriste Aboû ‘Abd AUâh Moh’ammed, fils du
juriste Aboû H’afç ‘Omar K’aldjâni, dut s’installer
dans l’aile des Hilàl de la mosquée Ez-Zîtoûna pour
constater officiellement, comme le fait d’habitude le
grand k’âd’i, l’apparition du croissant de cha’bàn. Le
sultan, le l®*” cha’bân, le nomma grand k’âd’i et
khat^ib à la grande mosquée Et-Tawfîk’ ; puis, le 9
cha’bân, mufti donnant des réponses écrites après la
prière du vendredi dans la dite mosquée.

A cette même date du 1®” cha’bân, le juriste Ah’med
K’osant’îni fut nommé k’âd’i des mariages à Tunis
et professeur à la Montaçiriyya, dans le Soûk el-
Filk’a.

Le 5 cha’bân, le juriste Aboû ‘Abd Allah Moh’am-
med ben ‘Açfoûr fut nommé inspecteur des biens de

 

-245-

main-morte à Tunis, et plus tard une place d’ins-
pecteur de la cour des comptes lui fut aussi donnée.

Le samedi 17 cha’bôn, mourut le mizwâr de Tu-
nis, Sa’îd ez-Zerîzer, qui fut inhumé le lendemain
proche la demeure (ddr) du saint Sîdi MahVez ben
Khalaf, en présence du sultan et des intimes de ce-
lui-ci. II fut remplacé par Aboû ‘Ali Mançoûr el-
Mizwâr.

Le 2 rebf I 860 (8 février 1456), mourut le H’âddj
Aboû Ish’âk’ Ibrâhîm Soleymâni, qui fut inhumé
vis-à-vis le vertueux cheykh Aboû Yah’ya Zakariyyâ,
en présence? du sultan, des membres du gouverne-
ment et des courtisans (1).

En djomâda II, le juriste Ah’med Benzerti se mit
en route pour porter des présents au prince de Fez,
en compagnie dlbn Sam’oûn, envoyé de celui-ci.

Le 21 redjeb de la même année, mourut de mala-
die à Tunis Aboû 1-Hâdi, frère consanguin du sul-
tan ; il fut inhumé vis-à-vis le mausolée du saint
Sidi Mah’rez ben Khalaf.

Au commencement de redjeb, apparue à Tunis, à
l’est, avant le lever de Taurore, l’astre connu sous le
nom de comète (aboû ‘d-dhawâ’ib) et qui a des traî-
nées lumineuses faisant corps avec lui ; à la fin du
mois, il apparut après le coucher du soleil et [P. 134]
à l’ouest. « Son apparition, » dit Tauteur de V’AdjdHb
el-Makhloûkât (2), « prouve l’arrivée de quelque phéno-
mène céleste. » Et en effet, dans ce mois-là il souffla à

 

(1) On lit dans le ms. 239 du Catalogue d’Alger (f. J03, v.) qu’A-
boû Ish’âk’ Ibrâhîm Omawi Solevmâni fut chargé par le prince du
soin de diriger la construction de la medresa édifiée près Mah’rez
ben Khalaf (supra, p. 219).

(2) Traité de cosmographie et d’histoire naturelle de Zakariyyâ ben
Moh’ammed K’azwîni (voir entre autres le t. m de la Chreatoma-
ihie arabe de de Saoy, p. 427).

 

— 246 —

Tunis un vent qui déracina de nombreux arbres
dans la forêt ; puis au milieu de chawwâl il tomba
une pluie accompagnée de grêlons gros comme des
œufs de poule el même davantage.

I^e il moh’arrem 861 (7 déc. 1456), le sultan à
la tête de son armée marcha contre Tripoli. Il en-
voya son premier ministre le cheykh Moh’ammed
ben Aboû Hilâl de compagnie avec le k’â’id RidVân
à Tefifet de déposer le k’â’id Z’âfir, qui y commandait,
et de le remplacer par RidVân. C’est ce qui fut fait,
et Z’âfir fut envoyé à Tunis avec sa famille et ses
enfants.

Le 2S moh’arrem de la même année, mourut le
cheykh Aboû ‘1-H’asan el-Djebbâs, imâm de la mos-
quée Ez-Zîtoûna, à qui, au commencement de çafar,
le juriste Ah’med Mesrâti fut donné pour succes-
seur. Ce dernier fut lui-même remplacé comme khat’ib
et mufti de la grande mosquée d’Aboû Moh’ammed
par le k’ad’i des mariages, Aboû ‘l-‘Abbâs Ah’med
K’osant’îni.

Après soii^ retour dans la capitale, le sultan enleva
au juriste Moh ammed ben ‘Açfoûr Tinspection des
biens de main-morte et celle de la cour des comp-
tes (beyt el-hHsâb) : la première fut confiée au juriste
Moh’ammed Beydemoûri et la seconde, à ‘Ali ben
‘Abbâs.

Au commencement de çafar 862 (fin déc. 1457), le
juriste Ah’med Benzerti revint de Fez à Tunis, ac-
compagné de deux envoyés porteurs de présents, les
uns provenant du sultan mérinide de Fez^ ‘Abd el-
H’ak’k’, et les autres du prince de Tlemcen, Ah’med
ben H’ammoû Zenâti. On les installa dans de vastes
demeures et on pourvut à leur subsistance jusqu’au

 

— 247 —

retour du sultan, à qui ils furent présentés pour
offrir leurs cadeaux et par qui ils furent honorable-
ment accueillis.

En çafar de la même année, mourut de maladie à
Tunis Moh’ammed ben ‘Açfoûr.

Au commencement de la môme année, le prix des
vivres monta fort haut à Tunis, puisque le k*aftz de
blé se vendait à raison de quatre dinars d’or, et
l’orge, moitié de ce prix. A la suite des plaintes qu’a-
dressa le peuple au sultan à raison de la disette et
de la cherté des vivres, le prince fit extraire des ma-
gasins de quoi faire quotidiennement mille pains,
dont la distribution aux pauvres de Tunis se faisait
à la porte Intedjmi. Ces aumônes, commencées le 3
rebî’ II, se prolongèrent jusqu’en redjeb, où l’arrivée
des produits de la nouvelle récolte se fit en grandes
quantités et fit baisser les prix.

Vers la fin de dhoû ‘1-k’a’da de la même année^ le
sultan renvoya des cadeaux au prince de Fez et au
prince de Tlemcen en même temps que leurs dépu-
tés respectifs ; il fit en outre accompagner ses ca-
deaux [P. 135] à Tlemcen par un ambassadeur,
Ibrahim ben Naçr ben Ghâliya.

– Le 12 dhoû ‘1-h’iddja de la même année, le sultan
à la tête de son camp poussa de Tunis jusqu’à
Tâourgha (1), puis il revint. Au cours de son voyage
de retour, il nomma à Tripoli le k’â’id Aboû Naçr
ben Ûjâ’a ‘1-Kheyr et l’expédia à son poste, où cet
officier arriva en rebî’ II 863.

 

(1) Tâourgha est à environ cinq journées de Tripoli, dans la di-
rection de Sort (Edrisi. p. 143 de la trad. ; cf. table géogr. des Bcr-
bères) Bekri (p. 49) place une localité de ce nom entre Gabès et
Sfaz.

 

— 248 —

Au milieu de redjeb de la même année, on apprit
que le mawla ‘Abd el-‘Azîz avait assiégé Moh’am-
med ben Çakhr à Makres (1), et qu’à la suite des
combats qu’il lui avait livrés et où il lui avait enlevé
ses chameaux de charge ( aIjUj ), Ibn Çakhr avait
dû chercher son salut dans la fuite.

Le dimanche 8 cha’bân de la même année, au cou-
cher du soleil, mourut à Tunis le juriste et mufti
Aboû ‘l-‘Abbôs Ah’med K’aldjâni, à l’âge de quatre-
vingt-quatre ans. Les dernières prières furent dites
pour lui le lendemain à la mosquée Ez-Zîtoùna après
la prière de midi ; l’inhumation se fit à El-I)jellâz en
présence du sultan et des principaux de la cour.

Le 19 cha’bân, le sultan se mit à la tête de son
camp et alla camper à Ez-Za’teriyya. La même nuit,
il envoya Tordre de dépouiller le juriste Ah’med
K’osant’îni de toutes ses charges, de k’âd’i des ma-
riages, de khat’îb, de mufti et de chargé de la prière
prononcée à la suite de la lecture de Bokhâri, que,
selon l’usage du k’âd’i des mariages, il faisait dans
l’emplacement fortuné (2). Le lendemain matin, il
nomma le juriste et imâm Ah’med ben ‘Omar Mes-
râti khat’îb de la mosquée Ez-Zîtoûna ; il nomma le
grand k’âd’i Moh’ammed K’aldjâni khat’îb de la mos-
quée de la K’açba et mufti chargé des consultations’
dans la mosquée Ez-Zîtoûna à la suite de la prière
du vendredi ; il nomma le juriste Moh’ammed Zen-
dîwî khat’ib et mufti de la grande mosquée Et-Tavv^-
fîk’ et en outre professeur au collège Ech-Chemmâ’în ;
du juriste Aboû ‘Abd Allah Moh’ammed el-Ghâfik’i,

(i) Le mot ij*D^ manque dans A G; j’en ignore la prononcia-
tion; cf. p. 225, n. 2.
(2) C’est-à-dire sans doute le minbar ou chaire.

 

– 249 —

alors à Gonstantine, il fit le khat’îb et mufti de la
grande mosquée de Bâb el-Djezîra, en même temps
que professeur au collège d’ibn Tâferàdjîn. Le 26 de
cha’bàn, il expédia du camp la nomination de huit
adels par l’intermédiaire du grand k’âd’i. Vers la fin
de ramad’ân, arriva l’ordre adressé au juriste Mo-
h’ammed el-Djebbàs de venir recevoir au camp (1)
sa nomination de k’âd’i à Gonstantine. Le savant
obéit à cet appel et se retira quand la chose fut faite.
Au commencement de dhoû ‘1-h’îddja de la même
année, Tordre fut adressé du camp au k’âd’i des ma-
riages de réoccuper ses différentes fonctions.

Dans la nuit du [vendredi au] samedi 3 rebt’ I 864
(28 déc. 1459), mourut le lieutenant [du sultan] à
Tunis, l’honoré cheykh Aboù ‘1-Fad’l ben Aboû Hi-
làl, frère du cheykh (2) des Almohades et chambel-
lan d”Othmàn (3), qui fut enterré dans le mausolée
(dâr) du saint Sîdi MahYez ben Khalaf.

[P. 136]. Quand le sultan quitta Tunis, ce fut pour
se rendre dans la province de Bougie, et il s’y ren-
contra avec le fils du gouverneur de cette ville, Aboû
Fâris ‘Abd el-‘Azîz, qui lui raconta ce qui lui était
arrivé avec Moh’ammed ben Sa’îd et la fuite de ce-
lui-ci. ‘Othmân alors envoya à ce chef une promesse
d’amnistie dont était porteur son propre fils et hé-
ritier El-Mas’oûd. Ibn Sa’îd, animé de dispositions
à se soumettre, revint avec ce dernier et fut bien ac-
cueilli ; il fut emmené avec toute sa famille et ins-
tallé à Tunis, où il reçut de quoi vivre. Ensuite le

(1) A ajoute ‘Hasir^ J>1 , B G UacrU après ^Uar^l .

(2) D seul lit <c Ibn Aboû Hilàl, cheykh des Almohades » ; mais
cf. plus haut, p. 238.

(3) Littéralement « du khalifat ‘othm&nien ».

 

— 250 —

sultan retourna vers Constantine : il déposa le k’àMd
Fàrih’ [qui y commandait] et y envoya à sa place au
commencement de moh’arrem, premier mois de 864
(27 oct. 1459), le k’â^d Z’âfîr ben Djâ’a ‘l-Kheyr.

Vers la fin de ramad’àn de la dite année, le sultan
envoya comme gouverneur militaire de Gafça le
k’â’id Mançoûr el-Mizwâr, et prit comme mizwâr
pour le remplacer, le l®” chawwâl, Aboû Ish’âk’
ben Ah’med Fotoûh’i.

Le dimanche 22 (1) chawwâl de la même année,
mourut à Tôge de quarante et un ans le k’âd’i des
mariages à Tunis, Ah’med K’osant’îni, qui fut rempla-
cé comme tel par Aboû ^Abd Allah Zendîwi ; et com-
me khat’ib et mufti chargé des consultations après la
prière du vendredi dans la grande mosquée d’Aboù
Moh’ammed, au faubourg de Bâb es-Souweyk’a, com-
me professeur au collège Montaçiriyya et comme
inspecteur des biens de main morte, par le juriste
Aboû ‘Abd Allah Moh’ammed Beydemoûri.

Le mercredi 5 djomâda II 865 (10 mars 1461), le
vertueux cheykh Ah’med ‘Asîla fut tué dans la
sebkha de Sîdjoûm par Er-Riyâh’i, qui était fou et
que le peuple massacra ; la victime fut inhumée à
El-Djellâz. •

En redjeb de la même année, le juriste Ah’med ben
Koh’eyl (2) fut dépossédé de ses fonctions de k’âd’i
du camp et de professeur à la zâwiya de Bâb el-
Bah’r et remplacé dans ces deux postes par le ju-
riste Moh’ammed er-Raççâ’, tandis que d’autre part

 

(1) A B a le \2 ».

(2) D lit ici a Ibn Ah’med ben Koh’eyl », tandis qu’A B C ont
seulement a Ibn Koh’eyl ». Deux lignes plus bas, ABC ont
« Ah’med Koh’eyl » et D « Ah’med ben Koh’eyl ». C’est cette der-
nière lecture qui a été seule admise dans la traduction.

 

— 251 —

il était nommé adel et mufti donnant des consulta-
tions écrites ( JiUL bifj ). Ah’med ben Koh’eyl mou-
rut le dernier jour de dhoû ‘l-h’iddja de la môme
année (6 sept. 1461).

Au milieu de Tannée 865 (16 oct. 1460), mourut le
k’â’id Z’âfir, commandant de la K’açba (1). Le k’â’id
Rid’wân (2) ech-Chârib, qui le remplaça tout d’a-
bord, fut ensuite déplacé, et au commencement de
moh’arrem 866 (5 oct. 1461), El-H’âddj ‘Abd er-
Rah’mân Fotoûh’i lui succéda.

En rebT I de la même année, Témîr Moh’ammed
ben Moh’ammed ben Aboû Thâbet s’empara de la
ville de Tlemcen, d’où il expulsa le prince régnant,
qui était son grand’oncle paternel, le sultan Aboû
‘l-‘Abbâs Ah’med ben Aboû H’ammoû. Celui-ci
s’installa d’abord à El-‘Obbâd, et de là passa en Es-
pagne. A la nouvelle de cet événement, le sultan
quitta de nouveau [P. 137] sa capitale à la tête de
son camp, le 7 chawwôl 866 (4 juil. 1462), et se dirigea
vers Tlemcen avec une armée aussi nombreuse que
redoutable, car tous les Arabes d’Ifrîk’iyya se joigni-
rent à lui. Il approchait de Constantine quand mou-
rut, en dhoû ‘1-h’iddja, le cheykh des Almohades,
Aboû ‘Abd Allah Moh’ammed ben Aboû Hilâl, dont
le cadavre fut transporté à Tunis et inhumé, la nuit
du 11 dhoû ‘1-h’iddja, dans le mausolée de Sîdi
Mah’rez ben Khalaf. Le sultan poursuivant sa route
bloqua sur son passage le fort de H’alîma, dans
TAurès, et après l’avoir pris de vive force fît subir à
ses défenseurs de rudes châtiments. Reprenant en-
Ci) a c donnent cette leçon, qui est la bonne.
(3) D seul lit (I Ramad’ân ».

 

– 252 –

suite sa marche vers Tlemcen, il arriva dans le ter-
ritoire des Benoû Râchid, à environ deux journées
de cette ville ; là tous les Arabes des Souweyd avec
femmes et enfants, les Benoû Ya’k’oûb, les Dawâwida
[branche] des Benoû ‘Abd el-Wâdi, ainsi que les
Benoû ‘Amir, vinrent lui faire leurs offres d’obéis-
sance, qui furent acceptées, en même temps qu’ils
furent eux-mêmes libéralement traités. Le sultan en-
voya ses officiers dans les divers cantons du terri-
toire de Tlemcen, et la population effrayée s’acquitta
des impôts. Cela se passait au mois de novembre de
Tannée solaire, et l’on fut tenu par la neige depuis le
l**” jusqu’au 20. Le sultan songeant alors à se ren-
dre à Tlemcen, le vertueux et honnête Aboû ‘l-‘Ab-
bàs Ah’med ben el-H’asan, le juriste et savant Aboû
‘Abd Allah Moh’ammed, fils du juriste Aboû ‘1-K’à-
sim ‘Ok’bàni, Aboû ‘1-H’asan ‘Ali ben H’ammoû
ben Aboû Tâcheftn, oncle maternel de l’émîr Mo-
h’ammed précité, se rendirent auprès de lui porteurs
d’un acte dressé dans les formes légales et déclarant
que tout ce qu’ils feraient vaudrait à l’égard du
souverain de Tlemcen. Ils prièrent en conséquence
le sultan de renoncer à pénétrer dans la ville, moyen-
nant leur engagement de lui prêter serment d’obéis-
sance au nom du prince alors régnant, qui lui-même
se déclarerait son sujet et vassal. Le sultan accueillit
des offres de repentir qu’il ne crut pas pouvoir re-
fuser, et ces hommes s’en retournèrent après avoir
signé un acte constatant qu’ils reconnaissaient sa
souveraineté. Lui-même repartit pour Tunis le mer-
credi 17 ça far 867. Au cours de la route, il nomma
gouverneur de Constantine son petit-fils, Aboû ‘Abd
Allah Moh’ainmed el-Montaçir, fils de l’héritier pré-

 

– 253 —

somptif Aboû ‘Abd Allôh Moh’ammed el-Mas*oûd,
et l’envoya à son poste en rebî’ II de cette année, en
lui donnant comme mizwâr attaché à sa personne
le k’à’id Aboû ‘Ali Mançoùr éç-Çabbân, et comme
k’â’id de la ville, Bechîr. Quant au k’è’id Z’âfir, il se
trouva ainsi révoqué. Au cours du même voyage, il
renvoya également Moh’ammed ben Sa’îd ben Çakhr
dans son pays, à Bougie. Il rentra à Tunis le mardi
18 djomâda I 867 (7 fév. 1463).

Il y était réinstallé [P. 138] quand il apprit que les
Arabes d’Ifrîk’iyya, savoir : les Awlàd Meskîn, les
Awlâd Ya’k’oûb, les Chenânefa, branche des Awlâd
Mohalhel, et d’autres encore, avaient tenu une réunion
où il avait été décidé que, si le sultan refusait de leur
payer intégralement leurs redevances en ancienne
monnaie et n’accédait pas à leurs autres réclama-
lions, ils lui feraient la guerre et lanceraient des co-
lonnes dans toutes ses possessions. En conséquen-
ce, le 10 redjeb 867, il sortit avec toutes ses troupes
et dépêcha partout pour réclamer les contingents des
diverses provinces, qui obéirent à son appel ; mais
il chercha vainement les Arabes, qui se dispersèrent
devant lui. Alors il nomma chevkh des Av^làd
Ya’k’oûb, El-H’âddj Moh’ammed ben Sa’îd en rem-
placement de son neveu Someyr El-Ba’boû (1) ;
chevkh des Awlâd Yah’ya, El-H’âddj Djedîd en rem-
placement de son frère Ismâ’îl ; cheykh des Av^làd
Solt’ân, T’âhir ben Rah’îm en remplacement de Pa-
ris ben ‘Ali ; Mâlik ben Mançoùr au lieu d”Ali ben
‘Ali ben ^Ali ech-Chî’i ; K’âsim ben T’ôlib el-‘Awni au
lieu de Yah’ya ben T’âlib, c’est-à-dire que dans tou-

(1) A c î^l , B t^l .

 

— 254 —

tes les tribus qui lui étaient hostiles il remplaça le
cheykh en place par le frère ou Toncle ou le cousin
de celui-ci. En outre il envoya, en qualité d’otages,
les enfants des titulaires à Tunis, où ils furent ins-
tallés dans une denneure proche de la K’açba, avec
allocation de pensions alimentaires. Il se mit avec
les cheykhs qu’il venait de nommer à la poursuite
des tribus rebelles et, poussant jusqu’à Neft’a. il les
força d’entrer au plus fort de l’été dans le Sahara ;
la température était cette année-là excessivement
chaude, si bien que leurs chameaux se dispersaient
et s’enfuyaient à la recherche des points d’eau. Les
souffrances résultant de cette chaleur torride pous-
sèrent les autruches jusqu’à raiguade(l)deBeyâch à
Gafça, où on leur donnait la chasse. Quand ces tri-
bus virent leurs chameaux, leurs femmes et leurs
enfants périr de faim, de soif et de chaleur dans le
désert, elles durent reconnaître qu’elles n’avaient
d’autre ressource que de se rendre auprès du Prince
des croyants, ce qu’elles firent les unes à la suite
des autres. Il leur accorda le pardon qu’elles lui de-
mandaient, sous la condition que la dignité de
cheykh ne serait plus à leur disposition et ne serait
conférée que par lui. Il reprit le chemin de sa capi-
tale après être entré à Neft’a pour s’y reposer, de
même qu’il fit à Tawzer. A Gafça également il se
reposa avec son armée et alla déjeûner avec quel-
ques-uns de ses intimes dans la K’açba : Mançoûr,
k’â’id de la ville, se tenait debout devant lui, lui
adressant des souhaits.et le comblant de prévenan-
ces que le prince accueillait en souriant. L’émîr El-

(1) Aju^ ; B écrii àl^ym ; TOued Baïch de nos cartesT

 
— 255 —

Mas’oûd y alla également déjeûner dans la galerie
supérieure dominant la cour centrale, tandis que le
k’â’id ‘Ali se tenait debout devant lui. Ce fut une
journée solennelle de repos et de souhaits : chacun
des émîrs était à se promener dans un jardin, de
même [P. 139] que chacun des k’â’ids et autres dans
un lieu en rapport avec leur importance respective.
Après une période de repos de quelques jours, le
prince rentra dans sa capitale avec tous les honneurs
de la guerre, et la joie qu’il ressentait était partagée
par tous les musulmans.

Il n’en était plus bien éloigné quand il fit arrêter
les principaux cheykhs, Moh’ammed ben Sa’îd, So-
mevr ben ‘Abd en-Nebi, Fâris ben ‘Ali ben Rah’îm,
* Naçr des Dawâwida (1), Ismâ’îl ben D’irâri, en
employant pour cela une trahison dont la trame fut
bien ourdie : on fit pénétrer ces chefs au milieu du
camp et l’on fit à chacun d’eux, pour leur inspirer
confiance, un cadeau de mille dînars. Ils passèrent
la nuit auprès des officiers, et au matin ils se retrou-
vèrent ayant aux pieds des bracelets qui leur ser-
vaient de chaînes. Selon que vous agirez vous serez
traités ; Dieu leur rendit ainsi le mal qu’ils avaient
fait aux croyants. Il fit également arrêter * (2) les
autres cheykhs, et tous, enchaînés et montés sur
des mulets, firent à Tunis une entrée qui fut un

(1) y^^^jy^ > K’ayrawâni écrit ^^3 JJ’ ; presque toujours

D orthographie ce nom de tribu avec le zâ. Dans le nom qui suit,
K’ayrawâni orthographie D’irâr.

(2) A B ont seulement : « …. ben Rah’im et les autres cheykhs,
qui furent enchaînés et qui firent leur entrée à Tunis avec des mu-
lets pour montures. » — G lit à très peu près de même. C’est ce
passage que cite K’ayrawâni ip. 148 du texte imprimé à Tunis) résu-
mant Zerkechi ; la traduction Pellissier et Rémusat (p. 263) défigure,
comme d’habitude, le texte. Le ms. 239 d’Alger (f. 107, y.) fait aussi
une allusion élogieuse à la prise déloyale de ces chefs.

 

– 256 —

événement. Ils échappèrent à la populace et furent
emprisonnés à la K’açba. Quant à la rentrée du sul-
tan dans sa capitale, elle eut lieu le 18 dhoù ‘1-k’a’da
de la dite année.

Vers la fin de ramad’àn 867, mourut le mufti et
savant de Bougie Aboû ‘Abd Allah Moh’ammed
MechdâH.

Au commencement de moh’arrem 868 (14 sept.
1463), le juriste et secrétaire Aboû ‘Abd Allah Mo-
h’ammed Meslâti fut nommé inspecteur à la cour
des comptes aux lieu et place du juriste ‘Ali ben
‘Abbâs, et ensuite déplacé à la fin de ramad’ân de la
même année au profit de Moh’ammed ben el-Kem-
mad. Ibràhîm ben ‘Açfoûr fut chargé du service des
finances et de celui du trésor privé.

Vers la mi-moh’arrem de cette année, le sultan fut
gravement malade, mais grâce à Dieu il se rétablit.

Le 20 de ce mois, Ah’med Benzerti quitta Tunis
et s’embarqua le 22 pour l’Espagne, où il avait une
mission à remplir. Après s’en être acquitté, il revint
en cha’bân de la même année, rapportant de la part
du prince régnant en Espagne des cadeaux parmi
lesquels figurait le grand exemplaire du Koran qui
est maintenant dans la principale mosquée, et que
Ton emploie pour la lecture quotidienne faite auprès
des catafalques (1).

Le 2 çafar de la même année, mourut à Tunis le
saint et vertueux Aboû ‘l-‘Abbâs Ah’med ben ‘Aroûs,
qui fut enterré dans sa zâwiya, car il s’était établi
près de la mosquée Ez-Zîtoùna. La funèbre cérémo-
nie se fit en grande pompe, et tous les fils du sul-
tan y assistèrent.

(1) vj>sfl^l «Xxc ; of. le texte de K’aTrawâni, p. 149, 1. 5.

 

— 257 —

Vers la fin de djomâda II de la même année, arri-
vèrent à Tunis les cadeaux envoyés par le sultan de
Tlemcen, Moh’ammed [ben Moh’ammed] ben Aboû
Thâbit, et qu’apportaient son k’âd’i Moh’ammed[F. 140]
ben Ah’med el-‘Ok’bèni et un de ses propres cousins.
Comme cette arrivée coïncida avec le rétablissement
du prince, qui venait d’être malade, on décora tous
les souks et on se livra à de grandes réjouissances (1).

Au milieu de la dite année, Z’âfir ben Djâ’a ‘1-
Kheyr fut nommé k’â’id de la capitale et vice-roi en
cas d’absence du khalife, situation qui avait été oc-
cupée par Ibn Aboû Hilâl.

En cha’bân de la même année, le khalife remit en
liberté Moh’ammed ben Sa’îd Meskîni à la suite des
engagements et des actes signés par lui aux termes
desquels il renonçait à toute opposition et s’engageait
à ne pas faire cause commune avec les [autres] Arabes.

En dhoû ‘1-k’a’da, le khalife renvoya au prince de
Tlemcen des cadeaux en retour de ceux qu’il avait
reçus ; il les confia aux envoyés venus de Tlemcen,
à qui il adjoignit Moh’ammed ben Faradj ‘Arabi.

Vers la fin du dit mois, par ordre du sultan, fut
placée une toile-abri au-dessus de la mosquée Ez-
Zîtoûna à l’effet de protéger, le vendredi, les fidèles
de l’ardeur du soleil d’été.

Le jeudi 19 dhoù ‘1-h’iddja, le sultan sortit à la
tête du camp, laissant comme vice-roi dans la ville
le k’â’id Z’âfir.

En çafar 869 (oct. 1464), mourut à Tunis le cheykh
et marabout Aboû H’afç ‘Omar Rekrâki (2), qui fut
inhumé au Djebel el-Mersa.

(1) Cf. Complément de V Histoire des Béni Zeiyan, de Tabbé Bar-
ges, p. 352 et s.

(2) D seul Ut « Ed-Dekdftki ».

 

Lel2çafar(14ocl.), le vertueux cheykh Aboû ‘l-‘Ab-
bâs Ah’med, fils du vertueux cheykh Moh’ammed
ben Aboû Zeyd, mourut à Monastir et y fut enterré.

Au commencement de 869, le sultan ordonna
de foire dans la mosquée Ez-Zîtoûna, avant les
prières de l’aurore, de midi et de l’après-midi, la
lecture dans le précieux exemplaire du Koran venu
d’Espagne et dont il a été déjà question. Il institua
à cet effet quatre lecteurs doués d’un bel organe.

Le samedi 26 djomâda H, le sultan rentra à Tu-
nis avec son camp à la suite d’une tournée faite dans
le pays pour y ramener le calme.

A la fin de cha’bân de la dite année, le khalife
apprit que Naçr ben Çoùla, un des cheykhs des
Daw^èw^ida, avait attaqué le k’â’id Mançoûr eç-Çab-
bân, mizw^âr de Constantine, et lui avait enlevé une
partie de son camp. En conséquence, il envoya un
fort corps d’armée commandé par son fils et héritier
présomptif Aboû ‘Abd Allah Moh’ammed el-Mas’oûd,
qui surprit les ennemis à l’improviste, leur infligea
de fortes pertes et s’empara de leurs chameaux, de
sorte qu’ils durent s’enfuir sans autre souci que ce-
lui de leur vie. Le vainqueur séjourna à Constantine
pendant tout le mois de ramad’ân, puis en chaw^wâl
retourna avec les honneurs de la guerre à Tunis, où
il rentra le jeudi 18 de ce mois.

Le 27 ramad’ân de la dite année, [P. 141] Mo-
h’ammed ben ‘Ali ben ‘Amrân Idrîsi, mizw^âr des
chérifs à Fez, s’insurgea dans cette ville contre le
sultan mérinide ‘Abd el-H’ak’k’ ben Aboû Sa’îd et
se rendit maître de la ville. Le sultan, qui était avec
son camp en dehors de celle-ci, fut alors abandonné
par les siens et rentra à Fez avec quelques-uns des

 

-45» –

siens ; mais il fut arrêté et exécuté, de môme qu’on
massacra les juifs de la ville ainsi que son premiei^
ministre Hâroûn le juif (1). Voici quelle était la si-
tuation. ‘Abd el-H’ak’k’, après avoir été tenu comme
en tutelle par les Benoû Wat’ôa, qui depuis de lon-
gues années dirigeaient toutes les affaires de Tétat,
songea à recouvrer son indépendance (2), et par suite
arrêta [la plupart] des Benoû Wat’âs et s’empara de
leurs biens, tandis que les autres prenaient la fuite.
Devenu son maître, il s’occupa lui-même des affai-
res et fit des expéditions à la tête de son camp. Pour
le remplacer pendant ses absences, il laissa le juif
Hâroûn, qui administrait à Fez les affaires des mu-
sulmans, jugeait leurs difiTérends et était par suite
une cause d’humiliation pour eux. L’impression
ainsi produite sur le peuple était considérable, si
bien que, le sultan étant un jour sorti avec son
camp pour rétablir le calme dans les provinces et
poursuivre les Benoû Wat’às, qui s’étaient emparés
entre autres places de Tanger et de Tâzâ, une en-
tente s’établit avec le mîzwàr des chérifs, et une
émeute éclata contre les juifs de Fez, qu’on massa-
cra. Mais les insurgés avaient à craindre le sultan
et son premier ministre Hâroûn, et ils tinrent la
ville jusqu’au jour où le prince rentra avec un petit
nombre d’hommes ; alors on les arrêta, ïuî et Hâ-
roûn, et on les exécuta. On intronisa ensuite le chô-

(1) On lit dans B Tannotation marjg^nale que voici, de la main,
semble-t-il, oui a maintes fois corrigé le texte : « C’est le frère
d’Aboû Djenân (puissent-ils être maumts l’un et l’autre I) ; il a sup-
primé les aumônes distribuées aux savants (‘olatnà) pour les «tiri-
Duer à ses coreligionnaires pauvres n.

(2) A lit ^ ^jo JiîSîU^ , au lieu de >o de D et de >;

19 t

 

— 260 –

rif du consentemeDt du peuple, et c’est ainsi que la
dynastie Idrisite fut rétablie à Fez et que finit la dy-
nastie Mérinide.

Le 22 dhoû ‘Kh’iddja de la dite année, 15 du mois
d’août, le sultan sortit à la tète de son camp et cam-
pa d’abord à Ez-Za’teriyya, puis il marcha vers le
pays de Rîgh, où il démantela la ville de Tuggurt à
cause des désordres causés par les habitants et de
leur insoumission à ses k’â’ids ; il leur fit de plus
payer une amende à titre de châtiment. Il s’avança
ensuite jusque près de Ouargla, y nomma un gou-
verneur et exigea «de cette ville ainsi que de celles
du Mzâb une forte somme d’argent. Gomme après
cela il retournait vers Tunis, il fut rejoint par son
petit-fils l’émîr Aboû ‘Abd Allah Moh’ammed el-
Montaçir, gouverneur de Gonstantine, à qui il fit un
accueil honorable. Il le débarrassa de Mançoûr eç-
Çabbàn à raison de la conduite de ce k’â’id à l’égard
des Dawâwida et de la population, de sorte qu’El-
Montaçir retourna à Gonstantine, où il fut désormais
seul maître.

Pendant que le khalife revenait du Rîgh, Moh’am-
med ben Sa’îd Meskîni s’enfuit du camp et rejoignit
des bannis à qui il demanda protection ; mais la
peur qu’ils avaient Igi leur fit refuser, et il n’y eut
qu’un petit groupe [P. 142] qui osât lui donner abri
jusqu’à ce qu’il pût rejoindre Moh’ammed ben Sebâ’
ben Aboû Yoûnos, cheykh des Dawâwida, qui le
prit sous son égide. Le khalife rentra dans sa capi-
tale le 8 redjeb 870 (24 fév. 1466).

Vers la fin de rebî’ I 870, mourut à Gonstantine
le juriste El-Djebbâs, k’âd’i de cette ville, où il fut

 

— 261 —

anterré. Il eut pour successeur le juriste Aboû ‘Abd
Allah Moh’ammed ‘Oloûsi (1).

Vers le milieu de la même année, le^ Prince des
croyants reçut à Tunis une députation des Arabes
de Tlemcen, Benoû ‘Amir, Soweyd, etc., chargée de
lui apprendre les excès d’Ibn Aboû Thôbit Zeyyâni (2),
sultan de cette ville, qui se soustrayait à son obéis-
sance et qui, après avoir expulsé le k’â’id de Liyâna (3)
nommé par le khalife, avait fait parvenir des pré-
sents à Moh’ammed ben Sebâ’ et à Moh’ammed ben
Sa’îd pour leur demander leur aide en cas d’une ex-
pédition dirigée de Tunis contre Tlemcen. A la suite
de cette requête qui lui demandait de se rendre dans
cette dernière ville, le prince, après avoir consulté
Dieu sur ce qu’il avait à faire, désigna pour être leur
sultan Témîr Aboû Djemîl Zeyyân, fils du sultan *Abd
el-Wâh’id ben Aboû H’ammoû Zeyyâni (4), à qui il fit
connaître son choix au commencement de chawwâl de
cette année en lui fournissant tout ce qu’il fallait en
armes, en tentes, en troupes et en argent. Il lui ad-
joignit pour commander l’armée le k’â’id Moh’am-
med ben Farah’ Djebô’i (5), et pour lui servir d’ad-
ministrateur et de conseiller, le juriste Ah’med Ben-
zerti ; il écrivît en outre à son fils ‘Abd el-‘Azîz de
se mettre à la tête de son camp suffisamment appro-
visionné pour accompagner le nouveau sultan à
Tlemcen. Aboû Zeyyân quitta Tunis en chaww^âl et
se rendit à Bougie ; puis le sultan en personne se

 

(1) Variante, « Meloûsi ».

(2) D seul lit «Zenàti » ; cf. Complément de l’histoire, etc.» p. 353.

(3) Variantes, f Leb&na, Niy&na » ; peut-être faut -il lire Milyàna f

(4) C, ZenÀni ; D, Zenàti.
(6) A» Bidj&’i ; B, PjebâU.

 

— 2W —

mit en marche le lu dhoû ‘1-k’a’da et se dirigea avec
ses troupes vers le Maghreb. Moh’ammed beo Seb&\
son allié (1) Moh’ammed ben Sa’td et ceux qui s’é-
taient joints à eux prirent la fuite à son approche et
se réfugièrent dans le Sahara. Le khalife, passant
par le mont Aurès, s’y empara de quelques-unes des
forteresses les plus inaccessibles et abandonna à ses
troupes leur contenu. De là il redescendit en plaine
se dirigeant vers Tlemcen et recueillit la soumission
de Médéa (2), de Mily&na et de Ténès ; les Arabes d6
cette région lui envoyèrent des dôputations auxquel-
les il fut fait une large et généreuse réception (3), et il
envoya dans les diverses parties du pays des offi-
ciers qui lui rapportèrent le produit des impôts et
des dons d’hospitalité. II s’était fait précéder par
l’armée d’investissement qui, en rebî’ II 871 (nov.-
déc. 1466), vint camper sous les murs de cette
ville (4). De nombreux cavaliers et fantassins en sor-
tirent et engagèrent un combat des plus acharnés
qui se poursuivit jusqu’au coucher du soleil. Le len-
demain matin, qui était un jeudi, le sultan installa
son camp à El-Mançoûra proche de la ville, et monta
à cheval pour diriger contre celle-ci une attaque des
plus vives ; mais les assiégés à l’abri de leurs mu-

 

(1) liseE />^U0j ayee A B.

(8) A «V’ ; B «^1 ; G D ïi^ .

(3) D ^j’j (^ (/^ J ^ (^^^j j î B r*^!^ j ;

(i) Le texte ne laisse pas roir dairement si e’est le siUtan lui-
même qui aniva en rebf u 871.

 

railles se défendirent à l’aide de (1) et de coups

de flèche. A la suite [P. 143] d’un combat acharné,
le sultan donna l’ordre de saper les murailles, mais
la nuit tomba avant que les assiégeants l’emportas-
sent, et ils durent regagner leur campement avec la
ferme intention de s’emparer de la ville le lendemain
matin. Une pluie abondante étant alors venue à tom-
ber, le samedi matin, le cheykh Sîdi El-Ah’san (2), le
k’âd’i et les principaux habitants vinrent solliciter
leur grôce et offrirent au sultan leur soumission par
écrit et dressée par acte authentique. Le [sultan de
Tlemcen lui-même] l’avait écrite, en ces termes :
« Voici ce dont témoigne contre lui-même le servi-
teur de Dieu qui se confie en Lui, Moh’ammed,
veuille Dieu, en dehors de qui il n’y a ni force ni
puissance, lui accorder ses faveurs ! » Il donna en
outre, sans qu’elle lui fût demandée, sa fille vierge
en mariage au prince Aboû Zakariyyâ Yah’ya, fils
d’El-Mas’oûd. Le sultan alors se remit en marche
pour Tunis le 9 cha’bân de cette année (3).

 

(!) B G D i^î/tr’^ j!>»»^V ty^^^c^ j > ce passage manque dans
A. Le mot ^^y , qui signifie leeiery parait désigner quelque ma-
chine de guerre ; comparez aussi le passage de la Fdrisiyya cité par
Dozy, Supplément, s. v., **J^ • On pourrait encore songer à la
lecture ^ijyj^ , canons, ou catapultes.

(2) Ce nom propre manque dans D ; G lit a le cheykh et k’âd’i Sidi
El-Ah’san ».

(3) La soumission de Tlemcen date du 14 rebî’ II 87i ; la lecture de
l’acte par lequel le prince de cette ville reconnaissait la suzeraineté
de Tunis eut lieu, selon l’habitude, dans l’aile orientale de la grande
mosquée [de Tunis] à la suite de la prière du vendredi 13 redjeb, et
fut faite par le grand k’âd’i Aboû ‘Abd Allah Moh’ammed K’aldjâni.
Gette pièce était signée par Moh’ammed ben Aboû Thâbit lui-même
et contresignée par divers personnages importants, notamment le
k’âd’i Aboû ‘Abd Allah Moh’ammed ‘Ok’bâni, le mizwàr des chérife

 

— 264 –

En dhoû ‘I-k’a’da 872 (mai-juin 1468), la peste
ayant éclaté à Tunis, * le sultan sortit de la ville
avec son camp le 12 de ce mois * (1). L’épidémie fit
des ravages de plus en plus considérables jusqu’en
chaww^âl 873 (13 avril.l2 mai 1469), si bien qu’on
compta jusqu’à mille victimes par jour. Elle cessa en
dhoû ‘1-h’iddja, dernier mois de Tannée.

Le 28 çafar 874, le sultan rentra dans sa capitale
et s’installa au palais du Bardo, après une absence
d’un an et trois mois.

Le 5 djomâda I de la dite année, mourut le k’âd’i
des mariages, Moh’ammed Zendîwi, qui fut inhumé
au Djebel el-Mersa dans le voisinage de Sîdi Aboû
Sa’îd. Toutes ses places furent après lui occupées
par son fils le juriste Aboû ‘1-H’asan.

Le 15 çafar 875 (14 juillet 1470), ce dernier fut ré-
voqué de tous ses emplois et remplacé par le juriste
Aboû ‘Abd Allah Moh’ammed er-Raççâ’, à qui suc-
céda en qualité de k’âd’i du camp le juriste Moh’am-
med K’osant’îni.

En rebî’ II 875, l’inspection des biens de main-
morte de Tunis fut ôtée à Moh’ammed Beydemoûri
et donnée au juriste Aboû ‘1-Berekât ben ‘Açfoûr.

A la suite d’une maladie dont fut frappé en redjeb
de cette année le k’âd’i Aboû ‘Abd Allah Moh’am-

et le marabout Aboû ‘l-‘Abbâs Ah’med ben el-H’asan (ms. 1239 cité,
. 108, r» et yo;.
L’acte de soumission du prince de Fez, Moh’ammed ben Aboû Zaka-

riyyâ ben Zeyyân Wat’âsi ( ^^j^^ sic ) , daté du 12 rebî* II 877,

arriva au prince de Tunis en djomâda II ; il en fut donné lecture
dans le Djâmi’ ez-Zîtoûna le samedi ^5 de ce dernier mois (ibid.,
t 108, Y*),

(1) Ce passage manqueldans D. La date du 12, donnée par B, est
du ^ selon A, du 20 selon G. Les ravages de la peste furent bien pi-
res encore, si Ton en croit K’ayrawâni (texte, p. 149).

 
– 265 —

med K’aldjâni, le sultan, à la mi-ramad’ân, lui don-
na comme suppléant pour les jugements Aboû ‘Abd
Allah Moh’ammed H’asani.

A la mi-çafar 886 (sic ; lisez, 876), le juriste ‘Abd
er-Rah’îm el-H’açîni fut nommé suppléant du grand
k’âd’i : en effet, à la suite d’une discussion survenue
entre le suppléant et le fils du k’àd’i, chacun d’eux
siégeait pour rendre la justice, ce qui amenait des
[jugements] contradictoires.

En la dite année, les chrétiens s’emparèrent de
Tanger et d’Azîla (1), villes du Maghreb.

Le vendredi 7 djomâda I 879, [P. 144] mourut à
Tunis le juriste savant et homme de marque Aboû
Ish’âk’ Ibrâhîm Akhd’ari, qui fut inhumé à El-
Djellâz.

Vers le milieu de cette année, fut achevée la cons-
truction du réservoir (sik’âya) proche des arcades (2).

Au commencement de 881 (25 avril 1476), les mu-
sulmans conquirent Ceuta sur l’ennemi par les mains
d’un chérif originaire de Ghomâra.

Au commencement de rebf II de la même année,
le juriste Moh’ammed Boûni fut nommé secrétaire
du sceau.

Dans le même mois, on commença à la porte
d”Alâw^a à Tunis le bassin avec jet d’eau, où l’eau
était amenée du Henchîr H’amza (3).

^■^— — ^— ^^— — ■ ■ ■■ ■ ■■ ■-■■■■■■■■ ■^^^^^^^— ^^^— ^^.^^i^^^^^^M^M^— ^ia

(1) B D ^jl ; A ^1 ; C ^jl ; lisez ^jl ou \o\ ,

VArzilla de nos cartes (Bekri, p. 253 ; Edrisi. trad., p. 202 ; Bayân
I, 240 ; Table géographique des Berbères ; Fournel, Les Berbers, i,
501). Ces yicioires d’Alphonse V de Portugal sont de 1471 de J.-C,
ce qui prouve que la date de 886 hég., qui figure sept lignes plus
haut, est un lapsus de copiste. (Mercier, Histoire de t Afrique sep-
tentrionale, II, 406).

(2) Telle est la leçon de B ; A et C lisent a proche la Porte des
arcades » ; D a proche les soûks ». La confusion entre les mots

#»«!jSj (arcades) et «j’^»»’ (f^oûks, marchés), est facile.

(3) « On établit un autre réservoir à l’usage des habitants dm fau-

 

A fe raî-inoh’arretn 882, Naçr ben ÇoûIa, cheykh
des Dawôwida (1), vint solliciter son pardon du sul-
tan, qui l’accueillit honorablement et qui lui fit des
libéralités ; puis il rentra chez les siens, mais en qua-
lité de vassal du prince de Tunis (2).

 

APPENDICE

 

TABLE GÉNÉALOGIQUE

I. — ALMOHADES

[P. 146] Voici la généalogie du Mahdi : Moh’ammed
ben ‘Abd Allah ben ‘Abd er-Rah’mâu ben Hoûd ben
Khâlid ben Temm&m ben ‘Adnân ben Cha’bân ben

bourg de B&b el-Djezira yis-à-vis le Bâb ‘Alâwa. J’ai yu Aboû Zeyd
Fotoah’i le lundi 7 rebf 1 881 qui, en compagnie de maçons et d’a>
penteurs, faisait mesurer le sol et tracer les plans des fondations» à
reffet d’y amener l’eau de H’amza, à trois miJles au sud de là. On y
travaille encore maintenant [en 882] v (ms. 239 cité, fol. 104 v*).

(1) Nacr ben Çoûla était le principal de ces cheykha, dont l’entrée
à Tunis eut lieu le lundi 22 dhoû ‘1-h’iddja 881 (ms. 239 d’Alger,
I. 107, ▼•!.

 
‘Omar ben K’alil Elhem. Aboû ‘Abd All&h Moh’ammed el-KbcTr An-
dalosi Mâlak’i, Aboû ‘Ali Mançoûr Djeziri, et Aboû l-‘Abbàs Ah’med,

surnommé El-Kholoûf ( y^jlàr] sic ) » dont une longue poésie
est reproduite.

( 2> Ainsi finit brusquement notre chronique, sans aucune des for-
mules qui annoncent l’achèvement d’un ouvrage. D ajoute seule-
ment : « Le copiste [c’est-à-dire du ms. qui a servi à la publication
du texte imprimé] ajoute ceci : Ici finit ce qu’on a trouvé écrit de la
main de l’auteur. Achevé de transcrire le jeudi 18 cha’bân 1196. » —
A B se bornent à dire : « Ici s’arrête ce qu’on a trouvé écrit de la
main du chroniqueur. » C ne dit quoi que ce soit, et le copiste a
ajouté, sans autre interruption qu’un blanc d’une demi-ligne, un ex-
ttail déf K’ayrawàni (fol. 122, v« — 139, v«), puis un court fragment
relatif à rOroeyyade ‘Abd el-Melik ben Merwân ; au f. Ht y* com-
mence la table généalogique des deux dynasties formant appendice,
et enfin on trouve aux 9. t50-!53 un extrait de la Toh’/a (auffrà,
p. 186). Seul le ms^ A ne renferme pas l’Appendice.

 

– 267 —

Çafwan ben Djàbir ben Yah’ya ben ‘At’û’ ben Re-
bàh’ ben Moh’ammed ben Soleymûn ben ‘Abd Allâli
ben el-H’osan (1) ben ‘Ali ben Aboû T’ûlib. II naquit
chez les Hergha en 491 et fut proclamé souverain le
vendredi 14 ramad’ân 515 (25 nov. 1121). Il mourut
dans la nuit du [mardi au] mercredi 13 ramad*ûn 524
(19 août 1130), ayant ainsi régné neuf ans moins
trois jours.

Le successeur qu’il choisit fut ‘Abd el-Mou*min
ben ‘Ali ben Makhloûf ben Yemlû ben Merwàn ben
Naçr ben ‘Ali ben ‘Amir fils de Témîr Aboû Moùsa
ben ‘Abd Allûh ben Yah’ya ben Ourzâigh ben Maz’-
foûr ben Inoûr ben Mat’mat’ ben Hawdedj ben K’ays
ben ‘Aylân (2) ben Mod’ar, qui mourut la nuit du
[mercredi au] jeudi 10 djomâda II 558 (15 mai 1162)
et fut enterré à Tînmelel vis-à-vis le Mahdi. Il avait
régné trente-trois ans huit mois et quinze jours.

[P. 147J Après lui fut reconnu son fils Aboù
Ya’k’oûb Yoûsof ben ‘Abd el-Mou’min, en djomûda
II 558, qui mourut ù la guerre sainte d’un coup de
javelot dont il fut frappé au ventre le samedi 18 re-
bî’ II 580 (28 juil. 1184), et qui fut enterré ù Rabat
(Ribât’ el-Fath’). Son règne dura ainsi vingt et un
ans dix mois et huit jours.

Après lui Aboù Yoûsof Ya’k’oùb el-Mançoùr ben
Yoûsof ben ‘Abd el-Mou’min ben ‘Ali, né dans la
dernière décade de dhoû ‘1-h’iddja 554, fut proclamé
au camp même, à la suite de la mort de son père, le
dimanche 19 rebî’ II 580. Il mourut dans la nuit du
[jeudi au] vendredi 22 (3) rebî’ I 595 (21 janv. 1199)

(1) B ajoute « ben el-H’oseyn ».
<2) B lit tt Gbay]àn ».
(3; B lit « le 13 ».

 

— 208 —

et fut inhumé dans le salon du palais qu’il habitait à
Mermkech, puis transporté à Tînmelel. On dit aussi
que les choses se passèrent autrement. Son règne
fut de quatorze ans onze mois et quatœ jours.

Son fils Aboû ‘Abd Allah Moh’ammed en-Nàçir
ben Ya’k’oûb el-Mançoûr ben Yoùsof ben ‘Abd el-
Mou’min ben ‘Ali fut proclamé le jour même de la
mort de son père en rebî’ I 595 et mourut le mardi
10 cha’bùn GIO (24 déc. 1213), après un règne de
quinze ans quatre mois et dix-neuf jours.

Aboù Ya’k’oûb Yoûsof el-Montaçir ben Aboù ‘Abd
Allah Moh’ammed ben Ya’k’oûb ben Yoùsof ben
*Abd el-Mou’min ben ‘Ali fut proclamé, à l’âge de
dix ans, le jour de la mort de son père. Il mourut
le samedi 12 dhoû ‘1-h’iddja 6:^0 (5 janv. 1224), em-
poisonné par son vizir Aboû Sa’îd, après un règne
de dix ans quatre mois et deux jours.

Aboû Moh’ammed ‘Abd el-Wâh’id el-Makhloù’
ben Yoûsof ben ‘Abd el-Mou’min ben ‘Ali fut re-
connu après la mort de Yoûsof el-Montaçir et fut
déposé le samedi 20 cha’bûn 621 (6 sept. 1224), après
un règne de huit mois et neuf jours.

Aboû Moh’ammed ‘Abd Allah el-‘Adel ben Ya’k’oùb
el-Mançoûr ben Yoûsof ben ‘Abd el-Mou’min ben
‘Ali était à Murcie, où on lui fît savoir qu’on l’avait
appelé au trône après la déposition de l’émir ‘Abd
el-Wâh’id le samedi [P. 148] 20 cha’bàn 621 ; il fut
étranglé le 22 chawwai 024 (4 oct. 1226), après trois
ans huit mois et dix jours de règne.

Aboû Yah’ya Zakariyyû el-Mo’taçim ben Aboù
‘Abd Allah Moh’ammed ben Ya’k’oùb el-Mançoùr
ben Yoùsof ben ‘Abd el-Mou’min ben ‘Ali fut re-
connu à Merrûkech en chawwâl 624, mais fut dé-

 

— 269 —

posé aussitôt, et l’on fit savoir à El-Ma’moùn à Sé-
ville qu’il était appelé au trône.

Aboû M-‘Alà Idrîs el-Ma’moûn ben Ya’k’oùb el-
Mançoûr ben Yoûsof ben ‘Abd el-Mou’min ben ‘Ali
fut reconnu en chawwâl G24 et mourut au cours
d’un voyage le samedi 10 dhoû *l-h’iddja 629 (26 sept.
1232), après un règne qui, compté du jour où il fut
reconnu à Séville, fut de cinq ans et trois mois.

Aboù Moh’ammed ‘Abd el-Wah’id er-Rechîd ben
Aboù ‘l-‘Alâ Idrîs ben Ya’k’oûb el-Mançoùr ben
Yoùsof ben ‘Abd el-Mou’min ben ‘Ali fut intronisé
le jour de la mort do son père et périt noyé dans un
réservoir du palais le vendredi 10 djomàda II 640
(5 déc. 1242), après un règne de dix ans cinq mois
et dix jours.

Aboù ‘1-H’asan ‘Ali es-Sa’îd ben Aboù ‘l-‘Alâ’
Idrîs ben Ya’koùb el-Mançoùr ben Yoùsof ben ‘Abd
el-Mou’min ben ^Ali fut intronisé le jour de la mort
de son frère, le vendredi 10 djomâda II 640. Il fut
tué avec son fils dans un combat livré aux Benoù
‘Abd el-Wad, qui pillèrent son camp, le mardi der-
nier jour de çafar 646 (23 juin 1248), après un rè-
gne de cinq ans huit mois et vingt jours.

Aboù H’afç ‘Omar el-Mortad’a ben Aboù Ibrûhîm
Ish’àk’ ben Yoùsof ben ‘Abd el-Mou’min ben ‘Ali
reçut a Salé, où il se trouvait, la nouvelle qu’il était
appelé au trône en djomàda II 646 ; il fit ensuite son
entrée à Merràkech, où il resta jusqu’à ce quil en
fût expulsé le samedi 22 moh’arrem 665 (22 oct.
1266), après un règne de dix-neuf ans quatre mois
et-huit jours (1).

(1) B, par suite de l’omission de trois ou quatre lignes, a fondu en
un seul ce règne et le précédent.

 

— 270 —

Celui qui fit alors son entrée à Merrôkech fut
[P. 149] Aboû M-‘AIà’ Idrîs el-Wathik’ ben Mo-
h’ammed ben ‘Omar ben ‘Abd el-Mou’min ben ‘Ali,
connu sous le nom d*Aboû Debboùs, le samedi 22
moh’arrem 665, a la suite de la fuite d’El-Mortad’a.
Plus tard, il fut tué et décapité ; on lui enleva une
ceinture (1) qu’il portait sur le ventre, pleine de pier-
reries, de rubis et d’émeraudes ; elle fut, ainsi que
sa tête, portée à Aboû Yoûsof Ya’k’oûb ben ‘Abd
el-H’ak’k’ le Mérinide le vendredi au coucher du so-
leil, dernier jour de dhoû ‘1-h’iddja 667 (30 août 1269).
Il avait régné deux ans onze mois et huit jours.

Quand sa mort fut connue, le peuple appela au
trône son fils ‘Abd el-Wah’id, dont le nom fut pro-
clamé au prône d’un seul vendredi de moh’arrem.
Puis l’attaque d’Aboù Yoûsof [Ya’k’oûb ben ‘Abd
el-H’ak’k’ le Mérinide (2)] le força à s’enfuir avec
ses frères, ses cousins et tous les Almohades ; Ten-
nemi se jeta à leur poursuite, et le pillage, commen-
cé dès la porte d’El-Koh’l, ne prit fin qu’à l’entrée
dans la montagne. Avec ce règne de sept jours finit
la dynastie d’Abd el-Mou’min, et l’émîr mérinide
Ya’k’oûb ben ‘Abd el-H’ak’k’ entra à Merrâkech en
moh’arrem 668 (sept. 1269). La dynastie Almohade

(1) D lit ^JaJ , qu’il faut, avec B G, corriger en ijUaj . Ce dé-
tail n’est rapporté ni par le Kartâs, ni par Ibn Khaldoûn, ni par
K’ayrawâni.

(2) Le texte de B C D, diversement altéré, doit être rétabli ainsi :
ojv> ^f^ <3**’-^ -^» « ‘ L?^-^ • ^*°^ “° endroit, Ibn Khal-

doûn (II, 257; fait finir la dynastie Almohade avec le règne, d’une
durée de cinq jours, d’Abd eI-Wâh*id el-Mo’taçim billâh; ailleurs
(IV, 55), il nomme comme dernier Almohade et successeur immédiat
d’Aboû Debboùs le prince Ish’âk’, frère d*El-Mortad*a. Le Kartâs
dit que la mort d’Aboû Debboùs eut lieu le 2 moh’arrem, et l’entrée
du vainqueur à Merrâkech le 9 du même mois (texte, p. îiK)5, 1. 17
et:s.).

 

— 271 —

avait régné cent quarante-quatre ans onze mois et
vingt-trois jours. A Dieu seul appartient la durée !

IL — HAFÇIDES

Le premier prince Hafçide fut le cheykh Aboû
Moh’ammed ‘Abd el-Wâh’id, fils du cheykh Aboû
H’afç ‘Omar ben Yah’ya ben Moh’ammed ben Wâ-
noûdîn ben ‘Ali ben Ah’med ben Oulâl ben Idris ben
Khâlid ben Elyâs ben ‘Omar ben Wâftoû ben Mo-
h’ammed ben Nah’ya (1) ben Ka’b ben Sâlim ben
‘Abd Allôh ben ‘Omar ben el-Khat’t’âb. Le sultan
En-Nâçir ben Ya’k’oûb el-Mançoûr, après être resté
un an à Tunis pour y ramener le calme, choisit pour
l’y remplacer le cheykh ‘Abd el-Wâh’id, qui s’y re-
fusa tout d’abord, mais que son maître força d’ac-
jcepter en ramad’ân 603. Il mourut le jeudi 1®** mo-
h’arrem 618 (24 fôv. 1221) à Tunis, où il fut enterré
dans la K’açba après la prière de l’aurore.

L’émîr Aboû Zakariyyâ Yah’ya, fils du cheykh
Aboû Moh’ammed ‘Abd el-Wâh’id, entra à Tunis,
après avoir fait arrêter son frère l’émîr ‘Abd Allah
‘Obboù, le mercredi 24 redjeb [P. 150] 625 (28 juin 1228).
Il envoya par mer son prisonnier au Maghreb et écri-
vit dans toutes les régions de l’Ifrîk’iyya qu’on eût à
déposer Aboû ‘l-‘AIâ el-Ma’moûn. C’est ainsi que
petit à petit, après avoir été proclamé à Tunis en
627, il arriva en 634 à être le maître exclusif du
royaume. Le paraphe qu’il écrivit de sa main même
consistait en ces mots : « Reconnaissance à Dieu
seul I » Il mourut la nuit du [jeudi au] vendredi
22 (2) djomôda II 647 (2 oct. 1249) dans son camp

(1) B, Nadjiya.

(2) B Ut « le 12 ».

 

— in —

sous les murs de Bône, et fut inhumé le lendemain
dans la grande mosquée de cette ville. Né à Merrâ-
kech en 599, il était âgé de quarante-neuf ans et avait
régné à Tunis vingt ans et six mois.

Aboû ‘Abd Allèh Moh’ammed el-Mostançir ben
Aboû Zakariyyû Yah’ya ben Aboù Moh’ammed ‘Abd
el-Wôh’id fut proclamé près de Bône le jour de la
mort de son père, et la cérémonie d’intronisation fut
renouvelée à Tunis le mardi 3 redjeb 647 : il avait
alors vingt-deux ans. Désigné d’abord sous le sim-
ple titre d’Émîr, il le fut en 650 par celui d’Émir el-
Mou’minîn et fut surnommé El-Mostançir (1). En
656, il rétablit l’aqueduc et le poussa jusqu'[aux jar-
dins] d’Aboû Fehr. La mort le frappa à la suite
d’une longue maladie, le jour de la fête des Sacrifi-
ces de l’année 675 (14 mai 1276), après un règne de
vingt-huit ans cinq mois et douze jours. Cette même
année vit aussi mourir El-Melik ez-Z’âher, souverain
d’Egypte.

Aboû Zakariyyâ Yah’ya el-Wâthik’ ben Moh’am-
med ben Yah’ya ben ‘Abd el-Wâh’id, né en 647, fut
proclamé la nuit même de la mort de son père, puis
abdiqua en faveur de son oncle Aboû Ish’âk’ le di-
manche 3 rebî’ II 678, après un règne de deux ans
trois mois et vingt-deux jours.

Aboû Ish’ôk’ Ibrâhîm ben Yah ya ben ‘Abd el-
Wâh’id, né en 631, entra à Tunis le mardi 5 rebî’
II 678 et fît renouveler la cérémonie d’inauguration.
Wâthik’, qui venait d’abdiquer, reçut comme rési-
dence l’hôtel d’El-Ghoûri dans [le soûkj des librai-
res. Mais au bout de quelque temps, il fut dénoncé
au sultan Aboù Ish’ôk’, [P. 151] qui les fît monter

^1) B lit ici « El-Montaçir ».

 
— 273 —

[à la K’açba], lui et ses fils El-Fad*l, Et-T’âhir et
Et-T’ayyîb et les fit égorger la nuit. En moh’arrem 681
(10 avr. 1282), surgit chez les Dhebbâb un homme qui
se fit appeler El-Fad’l ben el-Wâthik’ et dont Tautorité
fut reconnue par tous les Arabes d’Ifrîk’iyya. Le sultan
Aboû Ish’âk’ envoya contre lui son fils Témlr Aboû
Yah’ya, qui arriva à K’amoûda, mais qui, par suite
de la dispersion successive de ses troupes, dut ren-
trer à Tunis, tandis que le prétendant entrait à K*ay-
rawân. Alors Aboû Ish*âk’ lui-même se mit en mar-
che en chawwôl avec une armée considérable, mais
son camp fut pillé à El-Moh’ammediyya, et il re-
broussa jusqu’à Tunis, d’où il fit sortir ses femmes
et ses enfants et se dirigea sur Constantine. Mais
cette ville ne voulut pas le recevoir, et il continua
dans la direction de Bougie, où son fils ‘Abd el-
‘Azîz refusa aussi de le laisser pénétrer. Il abdiqua
alors en faveur de son fils, après avoir régné à Tu-
nis, depuis l’abdication de Wâthik’ jusqu’au jour où
lui-même dut fuir de cette ville, trois ans et demi et
vingt-deux jours. Dieu est maître des révolutions du
jour et de la nuit I

Ah’med ben Merzoûk’ ben ‘Ammâra le prétendant,
né à Msîla en 642 et élevé à Bougie, fut tué le mardi
2 djomâda I 683 par Vétniv Aboû H’afç ‘Omar, fils
du sultan Aboû Zakariyyâ Yah’ya et petit-fils d’Aboù
Moh’ammed ‘Abd el-Wôh’id. Ce prince fut proclamé
à Tunis le mercredi 25 rebî’ II 683 (11 juil. 1284) et
mourut de maladie le vendredi ’24 dhoû ‘1-h’iddja 694
(5 nov. 1295), après avoir régné onze ans et huit mois
moins deux jours (1).

Son successeur le sultan Aboû ‘Abd Allah Mo-

(1) Je corrige le texte, qui donne la date de 093.

 

-. 874 —

h’ammed el-Mostançir (1) ben Aboû Zakariyyâ Yah’ya
ben Moh’ammed ben Aboû Zakariyyô Yah’ya ben
‘Abd el-Wèh’id, connu sous le nom d’Aboû ‘Açîda,
fut proclamé à Tunis sur le conseil du cheykh El-
Merdjâni le 22 dhoû ‘1-h’iddja 693 et mourut d’hy-
dropisie le mardi 13 rebî’ II 709 (19 sept. 1309), après
un règne de quatorze ans trois mois et dix-sept
jours. Il ne laissa pas d’enfant mâle.

On proclama après lui à Tunis le sultan martyr
(ehehid) Aboû Yah’ya Aboû Bekr ben ‘Abd er-Rah’-
mân, fils de Témîr Aboû Yah’ya Aboû Bekr, fils de
rémîr Aboû Zakariyyâ Yah’ya ben ‘Abd el-Wâh’id,
[P. 152] le jour même de la mort d’Aboû ‘Açîda, le
mardi 13 (2) rebî’ II 709. On lui trancha le cou le
vendredi 27 du même mois, après un règne de seize
(sic) jours.

Le sultan Aboû ‘1-Bak’â Khâlid ben Aboû Zaka-
riyyâ Yah’ya, descendant des émîrs légitimes, fut
proclamé à Tunis le jour de l’exécution du prince
martyr, le vendredi 27 rebt’ II 709, et prit le surnom
d’En-Nâçir. Il abdiqua à cause d’une maladie qui
l’empêchait de monter à cheval et fut tué à Tunis en
711 (19 mai 1311), après un règne de deux ans et
treize jours.

Il fut procédé à l’intronisation publique de l’émir
Aboû Yah’ya Zakariyyâ, fils du cheykh Aboû ‘l-‘Ab-
bâs Ah’med, fils du cheykh Aboû ‘Abd Allah Mo-
h’ammed Lih’vâni, fils d’Aboû Moh’ammed ‘Abd el-
Wâh’id, dans le camp d’El-Moh’ammediyya le di-
manche 2 redjeb 711. Par suite des troubles et du

(2) B, a El-Montaçir ».

(3) B G D lisent « le 10 », que j’ai corrigé d’après ce qui précède
immédiatement ; cf. pp. 85 et 87.

 

soulèvement des Arabes, il réunit tous ses biens et
vendit les trésors que renfermait la K’açba, y com-
pris les livres, et se retira à Gabès au début de 717
(15 mars 1317). Le peuple proclama alors son fils
Témlr Moh’aramed Aboû D’arba en dehors de Tu-
nis, vers la mi-cha’bân de cette année, et la khotba fut
dite en son nom et en celui de son père. Ce dernier
régna à Tunis six ans un mois et quatre jours.

L’émîr Aboû ‘Abd AUâh Moh’ammed el-Montaçir
ben Zakariyyâ ben Ah’med Lih’yâni ben Moh’am-
med Lih’yâni ben Aboû Moh’ammed ‘Abd el-Wèh’id
fut proclamé à Tunis, à la suite de la retraite de son
père à Gabès, à la mi-cha’bôn 717. Battu dans une
expédition qu’il tenta contre Témîr Aboû Yah’ya
Aboû Bekr, il s’enfuit à El-Mehdiyya, puis fut pris
et tué en rebî’ II 718 (juin 1318), après un règne de
sept mois et quinze jours.

L’émîr Aboû Yah’va Aboû Bekr ben Aboû Zaka-
riyyè Yah’ya, fils du sultan Aboû Ish’ôk’ Ibrâhtm-
[P. 153J ben Aboû Zakariyyâ Yah’ya ben ‘Abd el-
Wàh’id, né à Constantine en cha’bân 692, fut pro-
clamé le jeudi 7 rebî’ II 718, et le fut de nouveau à
sept reprises différentes ; la dernière fois après le dé^
part de Témîr ‘Abd el-Wôh’id, fils du sultan Aboû
Yah’ya Zakariyyâ ben el-Lih’yâni, frère de Témtr
Moh’ammed Aboû D’arba, lors des fêtes de la Rup-
ture du jeûne de 732. Il s’installa à Tunis, qu’il il*
lustra par ses monuments et sa sage administration.
Il mourut la nuit du [mardi au] mercredi 2 redjeb
747 (18 octobre 1346) à l’âge de cinquante-cinq ans
moins un mois, après un règne de vingt-neuf ans
dix mois et vingt-cinq jours.

L’émir Al¥>û H’afç ‘Om»r ben Aboû Yah’ya Aboû

 

— 276 —

Bekr fut proclamé khalife le jour de la mort de son
père, mercredi 2 redjeb 747. A cette nouvelle, Théri-
tier présomptif, son frère Ah’med, alors à Gafça,
marcha contre Tunis en compagnie de ses deux frè-
res ‘Abd el-‘Azîz et Khâlid, gouverneurs de Sousse
et de Mehdiyya, qui le reconnurent. Le sultan ‘Omar,
de son côté, s’était mis à la tête de son armée et
campait à Bâdja. Ah’med s’avança et vit d’abord le suc-
cès lui sourire, car à Râs et-T’âbiya, où il était campé,
les habitants de Tunis se soumirent à lui; il remit alors
son frère Khâlid en liberté, et prit le surnom d’El-
Mo’tamid. Mais ‘Omar partant de Bâdja arriva à
Tunis le samedi 16 ramad’ân au matin, puis faisant
entourer chacune des portes de la ville par des trou-
pes de cavalerie et d’infanterie, il les ouvrit en en
brisant les serrures, et la populace se mit aussitôt
de son côté, si bien qu’avant même le lever du so-
leil il était maître de toute la ville. Il fit exécuter son
frère Ah’med, dont la tète fut exposée au bout d’une
pique.

Quand Aboû ‘1-H’asan le Mérinide apprit la viola-
tion par le sultan des volontés paternelles ainsi que
l’exécution de ses frères, il marcha sur Tunis, et fut
accueilli près de Gonstantine par tous les Arabes
d’Ifrîk’iyya. ‘Omar alors s’enfuit, mais des troupes
lancées à sa poursuite se saisirent de lui à Gabès,
et on lui coupa la tête aussi bien qu’à Z’âfir, son
fidèle renégat, le mercredi 27 djomâda I 748. Il avait
régné dix mois et vingt-cinq jours, en y comprenant
les sept jours où son frère Ah’med avait détenu le
pouvoir.

[P. 154J Le sultan mérinide Aboû ‘1-H’asan ben
Aboû Sa’td ‘Othmân ben Aboû Yoûsof YaVoûb ben

 

— 277 —

‘Abd el-H’ak’k’ commença ainsi son règne à Tunis
le 2 djomâda II 748 (8 sept. 1347), et il fit son entrée
dans cette ville de compagnie avec Aboû Moh’ammed
‘Abd Allah ben Tâferâdjîn. A la suite de rétablissement
de son autorité sur Tlfrîk’iyya, il interdit aux Arabes
(l’entrée) des villes qu’ils détenaient à titre de fiefs (t),
ce qui les détermina à s’entendre pour remettre le pou-
voir aux mains de l’émîr Ah’med ben Aboû Debboûs.
Aboû ‘1-H’asan, serré de près à K’ayrawân, où il
avait installé son camp, s’enfuit à Sousse, d’où il
s’embarqua pour regagner Tunis. Mais les Arabes
l’y assiégèrent, creusèrent un fossé qui faisait le tour
des murs de la ville et appelèrent de Bône le sultan
El-Fad’l, pour l’opposer au Mérinide. Celui-ci quitta
Tunis par mer au commencement de chawwâl 750
(12 déc. 1349), en laissant dans cette ville son fils El-
Fad’l. Aboû ‘l-‘Abbâs el-Fad’l, qui était alors dans le
Djerîd, vint à son tour, quand il connut les événe-
ments, assiéger Tunis et finit par en expulser le
prince mérinide, à qui il accorda quartier et qui re-
joignit son père à Alger. Le règne de celui-ci à Tu-
nis avait duré deux ans quatre mois et deux jours.

Le pouvoir passa aux mains d’Aboû ‘l-‘Abbâs el-
Fad’l, fils du sultan Aboû Yah’ya Aboû Bekr, le 29
dhoû ‘1-k’a’da 750 (8 fév. 1350). Il prit le surnom
d’El-Motawakkel et abdiqua, grâce aux machinations
du cheykh Ibn Tâferâdjîn et d”Omar ben H’amza,
des Awlâd Aboû ‘1-Leyl, le 21 djomâda I 751 (26 juil.
1350), après un règne de cinq mois et douze jours.

Alors eut lieu, par l’intermédiaire d’El-H’âddj
‘Abd Allah ben Tâferâdjîn et après l’arrestation d’El-

(1) oUliï^l UjSa^ jô\ ^y\ ^ w^l ^.d.p. i% n.

 

– «8 —

Fad’l, l’intronisation du frère de celui-ci, rémtr
Aboû Ish’âk’ Ibrâhîm, fils du sultan Aboû Yah’ya
Aboù Bekr, alors à peine pubère. Ce prince mourut
subitement une nuit de redjeb 770 (8 fév.-lO mars
1369), après dix-huit ans et dix mois et demi de rè-
gne.

Le peuple prêta alors serment de fidélité à son fils
Aboû ‘1-Bak’â Khâlid, dont le renégat le k’â’id Man-
çoûr présida à cette cérémonie le lendemain matin de
la mort de son père. La conduite déplorable de ce
prince fut cause que le sultan Aboû ‘l-‘Abbâs Ah’med
quitta Bougie pour mettre le siège devant Tunis.
Aboû ‘1-Bak’â Khâlid s’enfuit, mais il fut poursuivi
et arrêté. On l’envoya par mer à Constantine et il se
noya dans le trajet, après avoir régné à Tunis un an
et neuf mois et demi.

[P. 155] Le trône fut alors occupé par le Prince
des croyants Aboû l-‘Abbâs Ah’med, fils de l’émir
Aboû ‘Abd Allah Moh’ammed et petit-fils du sultan
Aboû Yah’ya Aboû Bekr, dont l’intronisation eut
lieu le jour de l’arrestation de Khâlid, le samedi 18
rebî’ II 772 (8 nov. 1370). La sage administration de
ce prince se poursuivit jusqu’à ce qu’il mourut, le
mercredi 3 cha’bân 796 (2 juin 1394), après un règne
de vingt-quatre ans et trois mois et demi.

Il eut pour successeur le sultan Aboû Fâris ‘Abd
el-‘Azîz, fils du sultan Aboû ‘l-‘Abbâs Ah’med. Né à
Constantine en 763, il fut, avec l’agrément du peuple,
reconnu à Tunis le jour de la mort de son père, le
mercredi 3 cha’bân 796, et administra sagement le
pays. Il mourut subitement le jour de la fête des Sa-
crifices de 837 (9 juillet 1434), au lieu dit Waladjat
es-Sedra ; son corps fut transporté à Tunis et inhu-

 

– 279 —

mé vis-à-vis celui de son père dans le mausolée
avoisinant la tombe de Sîdi MahVez ben Khalaf. Il
avait régné sur Tunis et sur toute Tlfrîk’iyya qua-
rante et un ans quatre mois et sept jours.

Son successeur fut son petit-fils le sultan Aboû
‘Abd Allah Moh’ammed el-Montaçir, fils de Témîr
Aboû ‘Abd AUâh Moh’ammed el-Mançoûr, lequel
était fils du sultan Aboû Fâris. Il fut d’abord reconnu
dans le camp avec l’agrément du peuple, puis la
prestation du serment de fidélité fut renouvelée à
Tunis le jour d”Achoûrâ de moh’arrem 838 (5 août
1434). Il se mit ensuite en campagne pour pacifier le
pays ; mais il tomba malade en route et fit venir de
Constantine son frère germain Témîr Aboû ‘Amr
‘Othmân , qu’il désigna comme son successeur. Il
mourut la nuit du [jeud^ au] vendredi 22 çafar 839
(16 sept. 1435), après un règne d’un an deux mois et
douze jours.

Le pouvoir passa alors aux mains du sultan Aboû
‘Amr ‘Othmân, fils de l’émîr Aboû ‘Abd Allah Mo-
h’ammed el-Mançoûr et petit-fils de l’émîr Aboû Fâ-
ris ‘Abd el-‘Azîz ben Aboû ‘l-‘Abbâs Ah’med pré-
cité. Son intronisation eut lieu à Tunis le vendredi
22 çafar 839, et son administration procura la paix
au pays et aux habitants.