Ammien Marcelin, XXIX,5,1-19 : Révolte du Roi Firmus, offensive de Théodose, prise de Césarée, v. 380 n-è

Firmus fils de Nubel se révolte contre le comte Romain, qui soutenait Zammak f. Nubel ; Théodose passe de Igîlgil- à Sitîf-, avec le soutien de Gildon f. Nubel, marche sur Pancharia ; Théodose marche sur Tubusuptum, rejette la délégation de Firmus, écrase les Massinen- et les Tunden- sous les ordres de frères Maskizel- f. Nubel, détruit un domaine royal, prend Lamfokten- ; Maskizel f. Nubel recrute des tribus, il est battu, Firmus prend les évêques comme négociateurs, se soumet, il est pardonné et libéré contre otages par Théodose qui prend Icosi-, Tipasa et Césarée

Ici le mélange des faits contemporains amènerait une confusion inévitable. J’ai jugé à propos de suivre d’une teneur le fil du récit.

(2) Nubel, le plus puissant des petits souverains de Mauritanie, venait de mourir, laissant plusieurs enfants tant de sa femme que de ses concubines. Zammac, l’un de ces derniers, qui avait la faveur du comte Romain, fut tué en trahison par son frère Firmus, ce qui causa une rupture et la guerre, par suite des cabales du comte pour venger le meurtre de sa créature.

II paraît qu’à la cour de l’empereur on se donna beaucoup de mouvement pour faire arriver au prince, appuyés de commentaires dans le même sens, les rapports envenimés que Romain lui adressait contre Firmus, tandis qu’on avait grand soin d’écarter tout ce qu’alléguait celui-ci pour sa justification.

“L’empereur, disait le maître des offices Rémige, parent et fauteur de Romain, a des préoccupations autrement graves : il faut mieux choisir son temps pour appeler son attention sur des pièces aussi insignifiantes.”

(3) Le Maure finit par s’apercevoir des intrigues qui empêchaient sa défense d’être prise en considération ; et craignant de se voir, nonobstant ses bonnes raisons, traité en rebelle, il prit le parti de se constituer lui-même en insurrection.

(4) On s’était donc attiré un ennemi irréconciliable, qu’il fallait se hâter d’abattre avant qu’il étendît ses moyens de nuire. On dépêcha en Afrique, avec un faible détachement de la maison militaire, le maître de la cavalerie Théodose, que ses éminentes qualités désignaient pour cette préférence. […]

(5) Théodose, parti d’Arles sous les plus heureux auspices, passa la mer avec la flotte dont il avait pris le commandement, et prit terre à Igilgili, dans la Maurétanie Sitifienne, avant même qu’on eût vent de son départ.

Le hasard lui fit rencontrer là le comte Romain, avec lequel il conversa d’un ton doux, sans toucher que légèrement aux reproches auxquels s’attendait ce dernier. Il le chargea même d’organiser un système de postes et de gardes avancées dans la Mauritanie Césarienne.

(6) Mais dès que Romain fut parti, Théodose donna l’ordre à Gildon, frère de Firmus, et à Maxime d’arrêter son lieutenant Vincent, qui était notoirement complice de ses spoliations et de ses crimes.

(7) L’arrivée d’une partie du corps expéditionnaire était retardée par des obstacles de navigation. Mais sitôt qu’il fut réuni, Théodose se rendit à Sitifis, où il enjoignit aux protecteurs de lui répondre de la personne de Romain et de ses domestiques.

De grands tourments d’esprit l’agitèrent durant son séjour dans cette ville. Quel moyen de mouvoir sur ce sol brûlant des soldats habitués à la température des régions boréales ? Comment joindre de près un ennemi rapide et insaisissable, et dont toute la tactique est de surprendre, sans jamais accepter le combat en ligne ? 

(8) Une rumeur vague avait devancé près de Firmus l’annonce officielle de l’arrivée de Théodose. Il s’émut de l’importante renommée d’un tel adversaire, et se hâta de lui écrire et de solliciter, par l’entremise d’une députation, l’oubli de ce qui s’était passé. Il reconnaissait sa résolution comme coupable, mais elle n’avait pas été spontanée : il s’était vu poussé à la défection par l’injustice, et il offrait d’en donner la preuve.

(9) Théodose accepta cette apologie, promit d’entrer en négociation aussitôt que Firmus aurait livré des otages, et partit pour la station de Pancharia, où il avait donné rendez- vous aux légions d’Afrique, afin de les passer en revue. Quelques mots, prononcés avec une noble et modeste assurance, suffirent pour relever leur courage.

Théodose revint ensuite à Sitifis, où il opéra la réunion au corps expéditionnaire de toutes les forces militaires du pays; et, impatient déjà des délais de Firmus, il ouvrit la campagne.

(10) Entre autres bonnes mesures, il en prit une surtout qui lui conciliait une affection sans bornes. Il avait supprimé toute concession de vivres à ses troupes de la part de la province, déclarant, avec une confiance généreuse, que ses soldats, pour leur subsistance, ne devaient compter que sur les moissons et les magasins de l’ennemi.

(11) Et il tint parole, à la grande satisfaction des propriétaires du sol. Théodose partit ensuite pour Tubusuptum, ville au pied du mont Ferratus, où il refusa de recevoir une seconde députation de Firmus, qui se présentait sans les otages convenus.

De là, s’étant fait rendre compte, autant que le temps le permettait, de l’assiette du pays, il se porta rapidement contre les tribus des Tyndenses et des Massissenses, qui ne sont armées qu’à la légère, et que commandaient Mascizel et Dius, frères de Firmus.

(12) Dès qu’on eut en vue ces ennemis si difficiles à joindre, des volées de traits s’échangèrent, puis une furieuse mêlée s’engagea. Au milieu de ce cri de douleur qui s’élève d’un champ de bataille, dominait le lamentable hurlement des barbares blessés ou faits prisonniers. Le ravage et l’incendie de la contrée furent les suites de notre victoire.

(13) Le domaine de Pétra notamment, à qui son propriétaire Salmaces, l’un des frères de Firmus, avait donné presque les proportions d’une ville, fut détruit de fond en comble. Le vainqueur, animé par ce premier succès, s’empare avec une célérité merveilleuse de la ville de Lamfoctensis, au coeur même des peuplades qui venaient d’être défaites, et y forme aussitôt un approvisionnement considérable.

Il voulait, avant de s’avancer dans l’intérieur, se ménager des magasins à sa portée, au cas où il ne trouverait devant lui qu’un pays affamé.

(14) Durant cette opération, Mascizel, qui était parvenu à se recruter chez les tribus voisines, vint de nouveau fondre sur nous, fut repoussé avec grande perte, et ne dut lui-même la vie qu’à la bonté de son cheval.

(15) Firmus, non moins troublé qu’affaibli par ce double échec, eut encore recours aux négociations comme dernière ressource. Des évêques vinrent de sa part implorer la paix et livrer des otages.

Pour répondre au bon accueil qui leur fut fait, ils promirent, suivant leurs instructions, des vivres tant qu’il en faudrait, et remportèrent une réponse favorable. Le prince maure, alors un peu rassuré, vint lui-même, précédé par des présents, s’aboucher avec le général. Il s’était pourvu d’un coursier qui pût le tirer d’affaire au besoin. Frappé, en approchant, de l’aspect de nos étendards, et surtout de la martiale figure de Théodose, il s’élança de cheval, et, se prosternant presque jusqu’à terre, confessa ses torts les larmes aux yeux, et implora son pardon et la paix.

(16) Théodose, mu par le seul intérêt de l’empire, le relève, l’embrasse, et, lui donnant ainsi confiance, en obtint des vivres. Firmus livre pour otages un certain nombre de ses parents, et se retire plein d’espoir, promettant de rendre tous les prisonniers tombés entre ses mains dans les premiers moments de la révolte.

Deux jours après, ainsi qu’il en était convenu, il remit, à la première injonction, la ville d’Icosium, dont nous avons plus haut fait connaître les fondateurs, et restitua en même temps les enseignes, la couronne sacerdotale, et tout le butin qu’il avait fait. 

(17) Théodose, après une longue marche, fit son entrée dans la ville de Tipasa, où il fit cette fière réponse aux députés des Mazices, qui, s’étant coalisés avec Firmus, demandaient en suppliant leur pardon:

“Sous peu j’irai vous demander raison de votre conduite déloyale.”

(18) Il les renvoya tout tremblants sous l’impression de cette menace. De là il se rendit à Césarée, noble et opulente cité jadis, et dont nous avons également indiqué l’origine dans notre description de l’Afrique; alors presque réduite en cendres, et n’offrant plus guère que des décombres déjà couverts de mousse. Il y établit la première et la seconde légion, avec ordre d’en déblayer les ruines, et de la protéger contre toute nouvelle insulte des barbares. 

(19) Au bruit de ces succès, les principaux fonctionnaires provinciaux et le tribun Vincent quittèrent avec empressement les retraites où ils s’étaient tenus cachés, et vinrent rejoindre à Césarée le général, qui leur fit le meilleur accueil. Il acquit, avant son départ de cette ville, la certitude de l’hypocrisie de Firmus, qui, sous le masque de la soumission et de l’humilité, cachait le projet de tomber sur l’armée comme la foudre, au moment où elle serait le moins préparée à cette agression.