Ammien Marcelin, XXIX, 5, 35-56, Théodose chasse Firmus des montagnes, affronte le roi Igmaken des Isaflen, alliés des Iesalen et des Iubalen, patrie de Firmus, qui se suicide, soumission d’Igmaken, v. 380 n-è

Théodose bat les Abann- et les ; Firmus se cache chez les Isaflen- ; après une escarmouche, les romains vainquent les Isaflen- qui refusent de livrer Firmus et Mazuka son frère dont la tête va finalement à Césarée, certains marchands Isaflen- (Florus f. Evasius) sont brûlés pour trahison ; Théodose prend Auzia et soumet les Iesalen-, puis Mediana, laissant les Iubalen-, patrie de Firmus, de retour chez les Isaflen dont le roi Igmaken rallie les Iesalen- ; Firmus en cape pourpre échoue, Iesalen-; il se suicide, son corps est rapporté par Igmaken à Subikar

(35) Sa disparition entraîna la dispersion de son monde, et la prise par les nôtres de son camp, qui fut pillé. Tout ce qui fit résistance fut passé au fil de l’épée ou fait prisonnier, et le pays fut dévasté dans une grande étendue. Le prudent vainqueur, à mesure qu’il traversait le territoire d’une tribu, avait soin d’y laisser derrière lui l’autorité dans des mains sûres.
(36) Cette poursuite obstinée, qu’il était loin d’avoir prévu, mit le comble aux terreurs du rebelle. Il s’enfuit encore, à peine accompagné, faisant à son salut le sacrifice de ses précieux bagages. Sa femme, épuisée par les fatigues de cette vie errante (LACUNE).

(37) Théodose ne fit de quartier à aucun de ceux qui tombèrent entre ses mains. Ses troupes se trouvant ranimées par le payement de leur solde et par un meilleur régime de nourriture, il battit sans peine les Caprariens et les Abannes leurs voisins, et atteignit rapidement la ville de (LACUNE). Il y apprit par des avis sûrs que l’ennemi avait pris position sur des crêtes entourées de précipices, et où l’on ne pouvait aborder sans une connaissance des localités, acquise de longue main. Il se vit donc contraint de rétrograder ; et les barbares profitèrent de ce court répit pour tirer des renforts considérables des peuplades éthiopiennes limitrophes.

(38) Ils vinrent alors se ruer tête baissée sur les nôtres. L’aspect de ces masses formidables imposa un moment à Théodose, qui d’abord battit en retraite. Mais il ne tarda pas à reprendre l’offensive; et, après avoir assuré les subsistances de ses troupes, il les ramena au combat, brandissant leurs armes d’un air terrible.

(39) Déjà quelques manipules s’élançaient avec fureur, bravant l’effroyable retentissement de la marche des colonnes ennemies, et frappant, pour y répondre, du bouclier sur le genou. Mais leur chef avait trop de circonspection pour accepter le combat dans des conditions aussi inégales. Il se contenta d’appuyer de côté en bon ordre, et, par une manoeuvre hardie, occupa la ville nommée Contensis, que Firmus, vu sa position écartée et la difficulté de ses approches, avait choisie pour en faire un dépôt de prisonniers. Théodose rendit la liberté à tous les captifs, et sévit avec sa rigueur ordinaire contre les traîtres et les partisans de Firmus. 
(40) Le ciel continuait à favoriser les plans de Théodose. Averti par de sûres intelligences que Firmus avait pris refuge chez les Isaflenses, il entra sur leur territoire, et, sur leur refus de livrer la personne de son adversaire, ainsi que son frère Mazuca et le reste de sa famille, déclara la guerre à toute la tribu.

(41) Une rencontre sanglante eut lieu ; les barbares y montrèrent une telle furie, que Théodose, pour leur résister, dut recourir à l’ordre de bataille circulaire. Enfin les Isaflenses furent rompus, et firent une perte considérable. Firmus, qui s’était montré partout où était le danger, ne dut la vie qu’à la bonté de son cheval, qui était dressé à courir parmi les rochers et les précipices. Mazuca, mortellement blessé, fut pris. 

(42) On voulait l’envoyer à Césarée, où il avait laissé de sanglants souvenirs; mais il parvint à se donner la mort en élargissant sa plaie de ses propres mains. Sa tête, séparée du tronc, fut du moins offerte aux regards des habitants de cette ville, qui la reçurent avec des transports de joie.
(43) Le vainqueur, par de justes sévérités, fit ensuite payer à la nation l’opiniâtreté de sa résistance. Evasius, riche citoyen, son fils Florus et quelques autres, convaincus d’avoir favorisé en sous main l’agitateur, périrent tous par le bûcher. 

 (44) De là s’enfonçant dans le coeur du pays, Théodose attaqua résolument la tribu des Iubaleni, le berceau, disait-on, du roi Nubel, père de Firmus. Mais il trouva sur son chemin une barrière de hautes montagnes, où l’on ne pénétrait que par les plus tortueux défilés; et, bien qu’il eût passé sur le ventre à l’ennemi, et lui eût tué beaucoup de monde, craignant de s’engager dans une région si favorable aux surprises, il se replia sans perte sur la place forte d’Auzia. La féroce tribu des Iesalenses y vint faire sa soumission, et lui offrir des secours en hommes et en vivres. 

(45) Enfin Théodose, avec une confiance justifiée par ses précédents succès, voulut faire un dernier effort pour s’emparer de la personne même de l’auteur de la guerre. Pendant une longue station qu’il fit à la place forte appelée Mediana, attendant avec anxiété le résultat de divers plans concertés pour se faire livrer Firmus, 
(46) il apprit tout à coup que l’ennemi était retourné chez les Isaflenses.
Alors, sans se laisser arrêter par ses premières craintes, il se porte sur-le-champ à marches forcées contre ces derniers. Un roi, nommé Igmacen, puissant et considéré dans ces contrées, se présente audacieusement devant le général, et, d’un ton de menace:

“D’où viens-tu? dit-il ; et que viens-tu faire en ce pays?

– Je suis, répond tranquillement Théodose, l’un des comtes de Valentinien, souverain de l’univers. II m’envoie ici le débarrasser d’un brigand. Et tu vas me le livrer sans délai (tel est l’ordre de mon invincible empereur) ou périr avec tout ton peuple.”

Igmacen, à ces mots, se répandit en injures, et se retira gonflé de courroux.
(47) Le lendemain, au point du jour, les deux armées, avec des provocations réciproques, s’ébranlèrent pour en venir aux mains. Les barbares présentaient en ligne près de 20 000 hommes, et tenaient en réserve des corps masqués, avec l’intention d’envelopper les nôtres. Ils comptaient même comme auxiliaires un assez grand nombre de ces Iesaleni qui nous avaient promis leur concours.

(48) Les Romains n’avaient à leur opposer qu’une poignée d’hommes, mais qui étaient pleins du sentiment de leur force, et d’une confiance inspirée par de récentes victoires. Ils serrent leurs rangs, unissent leurs boucliers eu forme de tortue, et présentent un front inébranlable. Pendant toute la durée du combat, qui se prolongea depuis le lever du soleil jusqu’à l’entrée de la nuit, on ne cessa de voir Firmus sur un cheval de haute taille, agitant son ample manteau de pourpre, en même temps qu’il criait à nos soldats de lui livrer sans délai le tyran Théodose, cet inventeur de supplices, et de s’affranchir enfin de tous les maux qu’il les contraignait d’endurer.
(49) Ces paroles agirent diversement sur l’esprit des nôtres. Les uns n’en furent que plus animés à combattre, mais il y en eut qui lâchèrent pied; aussi, dès que la nuit eut étendu ses premières ombres sur les deux partis, Théodose en profita pour se retirer au poste fortifié d’Auzia. Là il passa une revue de son monde, et fit périr par divers supplices les soldats qui s’étaient laissé entraîner par les exhortations de Firmus. Ceux-ci eurent les mains coupées, ceux-là furent brûlés vifs.

(50) Toute la nuit il resta sur pied. Plusieurs attaques tentées dans l’ombre par les barbares, quand la lune se fut cachée, furent repoussées avec perte, et les plus audacieux furent faits prisonniers. De là Théodose se porte rapidement, par le côté où il était le moins attendu, contre les perfides Iesalenses, dévaste et ruine leur pays, puis retourne, par la Maurétanie Césarienne, à Sitifis, où il fait périr par les flammes, après avoir brisé leurs membres par la torture, Castor et Martinien, deux complices des attentats de Romain.
(51) La guerre alors se renouvelle avec les Isaflenses, qui, dans un premier engagement, furent très maltraités et perdirent un monde considérable. Leur roi Igmacen, jusque là toujours victorieux, s’émut devant ce désastre. Regardant autour de lui, il se vit isolé et bientôt perdu s’il persistait dans son attitude hostile. Il prit aussitôt son parti, s’échappa furtivement de son camp, et vint en suppliant se présenter devant Théodose, qu’il pria de lui envoyer Masilla, l’un des chefs mazices, pour s’entendre avec lui. 
(52) Théodose y consentit; des pourparlers s’ouvrirent; et Masilla lui fit savoir, de la part d’Igmacen, qu’il n’était qu’un moyen d’obtenir le résultat qu’on attendait de lui: c’était de pousser les hostilités avec vigueur, et de réduire par la crainte sa nation, qui n’avait que trop de tendance à favoriser le rebelle, mais que déjà ses échecs réitérés avaient frappé d’épuisement.

(53) L’avis cadrait trop bien avec le caractère de Théodose, qui n’abandonnait pas facilement ses résolutions, pour qu’il faillît à s’en prévaloir. Il porta de tels coups et de si répétés aux Isaflenses, que la nation entière en vint à fuir devant lui comme un troupeau. Firmus, dans ce désordre, aurait trouvé moyen de s’évader, et de s’assurer peut-être une retraite inconnue au sein des montagnes, si Igmacen ne l’eût fait arrêter au moment où il allait s’enfuir.

(54) Alors Firmus, à qui Masilla avait déjà fait entrevoir qu’Igmacen était d’intelligence avec Théodose, comprit qu’il ne lui restait d’autre ressource que de se donner la mort. Une nuit, où l’anxiété ne lui permettait pas de fermer l’oeil, après s’être à dessein plongé dans l’ivresse, il prit le moment où ses gardes étaient profondément endormis, et s’échappa sans bruit de son lit, en s’aidant des pieds et des mains. Le hasard lui fit trouver à tâtons une corde, dont il se servit pour se pendre à un clou qui se trouva dans la muraille, et il mourut ainsi sans longues souffrances.

(55) Ce suicide contraria vivement Igmacen, qui s’était flatté de l’honneur de conduire vivant le rebelle au camp romain. Il fit néanmoins charger le cadavre sur un chameau; et, pourvu d’un sauf-conduit par les soins de Masilla, il s’achemina en personne vers les tentes romaines, près du fort de Subicare. Là le corps fut mis sur un cheval et présenté à Théodose, qui en reçut l’hommage avec transport.

(56) Les soldats et le peuple furent appelés à déclarer s’ils reconnaissaient bien les traits de Firmus. II n’y eut qu’une voix pour l’affirmative. Théodose, après cet événement, ne fit pas un long séjour à Subicare. Il revint à Sitifis comme en triomphe, et y fut reçu aux acclamations des divers ordres et de la population entière.