Tabari, v. 925 n-è, Chronique des Prophètes et des Rois + Bal’ami XIème s. n-è,

Tubba, roi du Yemen, conquiert la Chine et son général, Shamar baptise Samar-Qand

C’est ce même Tubba qui expédia une armée en Chine, où elle porta le massacre et le pillage. Puis, il envoya son fils avec une puissante armée dans l’Hindustan, où ils tuèrent beaucoup d’habitants et d’où ils passèrent ensuite en Chine.
D’un autre côté, il envoya un général nommé Shamar et surnommé Dhû-al-Jinâh (parce que, quand il partit pour la guerre, il marchait comme s’il avait des ailes), avec l’ordre de pénétrer dans le Turkistan, et de là en Chine pour prêter secours à son fils Hasan.
Le général arriva à Samarqand, qui faisait partie alors des possessions de la Chine, et qui était une cité bien fortifiée. Il se rendit maître de la cité, la détruisit et tua un grand nombre d’habitants. Ensuite il la reconstruisit et la nomma, d’après lui, Samarcqnd, car auparavant elle avait porté un autre nom. Car en langue Pahlavi Qand signifie Grande Cité les Arabes, en traduisant ce nom dans leur langue, en ont fait Samarqand. Shamar entra ensuite en Chine, y porta la guerre et retourna victorieux.
Shamar, de son côté, franchit le Jayhûn et marcha sur Samarqand, ville qui était défendue par une forteresse très solide, dans laquelle s’était renfermé le roi. Shamar assiégea la forteresse pendant un an sans obtenir le moindre avantage. Enfin, une nuit, il fit lui-même le tour de la forteresse, fit prisonnier l’un des gardiens des portes de la forteresse et l’emmena dans son camp. Il lui dit :
« Le roi de cette ville, quel homme est-ce pour faire preuve de tant de valeur et d’intelligence que, depuis un an, j’emploie tous les moyens et ne peux réussir à prendre la forteresse ? »

Cet homme répondit :

« Ce roi n’a aucune espèce d’intelligence, il est complètement abruti, et ne s’occupe d’autre chose que de boire du vin et de s’amuser, et, jour et nuit, il est ivre ; mais il a une fille, et c’est elle qui prend toutes les mesures et a la direction de la forteresse et de l’armée. »

Shamar pensa en lui-même que des mesures exécutées par des femmes étaient faciles à déjouer ; puis il dit :

« Cette fille a-t-elle un époux ? »
L’autre dit que non. Alors Shamar donna à l’homme un cadeau et lui dit : « J’ai besoin de toi pour que tu portes un message à cette jeune fille de ma part. »

L’autre y consentit. Shamar apporta une boite d’or, la remplit de perles, de rubis et d’émeraudes, et dit :

« Donne cela à la jeune fille et dis-lui de ma part : Je suis venu du Yaman pour te rechercher ; je n’ai que faire de ce pays, car tout le Khurâsân et toute la Perse sont à moi ; il faut que tu sois ma femme. Dis-lui encore que j’ai avec moi 4 000 de ces boites d’or, que je lui enverrai ; que je laisserai cette ville à son père, quand cette affaire sera terminée, et, si j’ai d’elle un fils, il aura le gouvernement de la Perse et de la Chine. Je commencerai par lui envoyer la nuit ces boites, ensuite je la chercherai. »

L’homme retourna la même nuit à Samarqand et rendit compte de tout à la jeune fille. Celle-ci fut satisfaite, renvoya sur-le-champ l’homme avec son consentement, et l’on convint que, la nuit suivante, les boites seraient envoyées et introduites dans la ville, en secret. Samarqand avait 4 portes, et la jeune fille fit savoir quelle porte elle ferait ouvrir.

Le lendemain, Shamar fit apporter 4 000 boites, et dans chaque boite il plaça 2 hommes tout armés. Quand la nuit fut venue, il fit charger chaque boite sur un âne sous la conduite d’un homme armé ; il fit entrer ainsi un corps de 12 000 hommes dans Samarqand. Il leur dit :

« Je ferai poster l’armée entière tout autour de la forteresse. Quand vous serez dans la cité, ouvrez le dessus des boites, sortez et sonnez les clochettes dont vous êtes munis, pour m’avertir, et ouvrez les portes de la forteresse, afin que j’y entre ! »

Au milieu de la nuit, l’envoyé de la jeune fille vint pour ouvrir la porte de la cité et pour laisser entrer les boites. Shamar les fit placer sur les ânes et se mit à la tète de ses troupes. Arrivés à l’intérieur de la forteresse, ces hommes sortirent des boites, sonnèrent les clochettes et ouvrirent les portes de la forteresse. Shamar avec ses soldats se jeta dans la ville ; ils mirent l’épée à la main et commencèrent un massacre qui dura. jusqu’au jour, de sorte que le sang coulait comme un fleuve. Shamar fit tuer le roi et fit sa fille prisonnière. Il y resta un an.

Dans le « Dictionnaire des cités » il est dit que Samarqand, à cette époque, était appelée Chine et qu’elle était habitée par les Chinois, qui y ont inventé le papier. Shamar donna à la cité son nom, et l’appela Shamarqand, en langue persane ; qand, en turc, veut dire Ville ; enfin, transcrit en arabe, le nom est Samarqand. 

Ensuite Shamar fit marcher ses troupes vers le Turkistan, passa dans le Tibet et se rendit en Chine. Il y trouva Hasan, qui y était arrivé 3 ans auparavant et qui s’était emparé du pays. Ils y demeurèrent encore quelque temps tous les 2, ensuite ils retournèrent vers l’W, au le Yaman. On dit que, quand ils rentrèrent dans le Yaman le Tubba y était également déjà rentré. Voici comment la retraite du Tubba eut lieu. Lorsqu’il eut envoyé Shamar à Ray et que celui-ci eut tué Qubâd et marcha sur Samarqand, et qu’il eut envoyé son fils par mer en Chine, et Yafar dans le pays de Rûm, il voulut prendre pour lui-même le royaume de Perse, et se mettre à la place de Qubâd. Les habitants de la Perse se réunirent et mirent sur le trâne Nushirwân. Celui-ci, avec l’armée perse, attaqua le Tubba qui se retira dans le Yemen. Hârîth b. ‘Amrû retourna en Syrie, et Nushirwân fit venir Mundir b. Nu‘mân al-Akbar, à qui il confia le gouvernement des Arabes. L’empire tout entier obéissait à Nushirwân, qui chassa tous les ennemis du voisinage.

HISTOIRE DE BAHRÂM-TSHUBIN ET DE SES COMBATS.

Muhammad b. Jarîr n’a pas donné l’histoire de Bahràm-Tschoubîn en entier. Je l’ai trouvée plus complète dans le livre de l’histoire de Perse. Je vais la rapporter d’après ce livre.

Lorsque, le lendemain, Hormuzd réunit les hommes et leur demanda leur avis sur celui qu’il fallait envoyer contre les Türük, tous prononcèrent le nom de Bahrâm-Tschubîn, homme brave et chevaleresque. Or il se leva un homme au

milieu de l’assemblée, nommé Sâhnân, l’un des hauts fonctionnaires, qui dit :

« Que le roi ait longue vie! Le roi connait sans doute mon père Mihrustâd et les fonctions qu’il a remplies auprès de Nushirwân. Maintenant il est vieux, il reste à la maison et ne peut pas venir te rendre ses hommages, parce qu’il est trop faible. »

Hormuzd répliqua :

« Je connais bien ton père ; j’ai des obligations envers lui ; car c’est lui qui fut envoyé par Nushirwân auprès du Khâqân, mon grand-père, pour lui amener ma mère. »

Sâhnân dit:

« J’ai raconté hier à mon père que le roi Hormuzd a convoqué les grands, et qu’il cherche quelqu’un qu’il puisse envoyer contre le roi des T. Mon père m’a dit : Je sais à cet égard quelque chose que je communiquerai au roi, s’il me fait appeler et m’interroge »

Sur l’ordre d’Hormuzd , on alla le chercher pour l’introduire au milieu de cette assemblée. Mais comme il était très-faible et ne pouvait pas monter à cheval, on l’apporta dans une litière. Hormuzd le traita avec honneur, le fit asseoir et lui dit :

« Tu as de grands droits à ma reconnaissance ; c’est par ta diligence que ma mère fut amenée auprès de Nushirwân ; il est juste que je te demande conseil dans les circonstances qui sont survenues dans le royaume. Tu vois ce qui m’arrive de la part de mes oncles et de mes parents ; après la mort du Khâqân , son fils a amené une armée dans mon royaume, sans égard pour ce qu’il me doit, mettant de côté toute considération pour ma personne et pour notre parenté. Maintenant il me faut quelqu’un pour l’envoyer contre lui à la tète d’une armée. Que sais-tu à cet égard ? »

Mihrustâd dit :

« Que le roi ait longue vie! Lorsque Nushirwàn m’envoya auprès du Khâqân, accompagné de hauts fonctionnaires et d’officiers supérieurs, au nombre de 50, il lui écrivit de me présenter toutes ses filles, afin que je pusse choisir l’une d’elles. Le jour de mon arrivée, le Khâqân me donna audience et me traita avec distinction et bienveillance. Le lendemain, il me présenta toutes ses filles ; sauf la fille de la Khâtûn, qui était dans ses habits ; ordinaires et malpropres, afin qu’elle parût laide à mes yeux, toutes les autres, nées des autres femmes du Khâqân , étaient parées. Mais je voyais que celle-là était assise sur le trône roval, à côté de la Khâtûn , tandis que les autres se tenaient debout devant moi et me furent ainsi présentées par le Khâqân, qui me dit :

« Choisis celle que tu voudras. »

Alors je choisis ta mère, la fille de la Khâtûn, parce elle lui ressemblait, quand celle-ci vit que j’avais choisi sa fille, fut très-affectée et sa figure exprima le mécontentement, et elle me dit :

« Les autres sont plus belles que celle-ci. »

Je répliquai :

« Si vous voulez faire réussir ma négociation , je demande que vous m’accordiez cette jeune fille. »

Le Khàqan insista auprès de la Khatûn, et elle finit par consentir à la donner, et ils l’accordèrent ainsi comme femme à Nushirwân, en la mettant entre mes mains avec des richesses incalculables.

Le Khâqan avait un astrologue qui était le plus savant homme de son temps. Quand je me disposai à partir avec la jeune fille, le Khâqân le fit appeler et lui dit :

« Vois quel sera le sort de cette jeune fille auprès de Nushirwân, à qui nous l’envoyons ! »

L’astrologue dit :

« Il sortira d’elle un fils qui, arrivé à l’âge mûr, ne sera ni grand ni petit ; il aura de grands yeux et les sourcils joints ; il montera sur le trône de Perse après Nushirwân. »

Ensuite l’astrologue ajouta :

« Ce roi qui sortira de celle jeune fille sera attaqué par une nombreuse armée venue du Turkistân , qui ravagera son pays. Alors il enverra une armée contre elle, sous la conduite d’un des grands de la Perse, homme de sang royal , nommé, de même que son père, Bahrâm. Ce sera un homme de haute stature, maigre, de teint foncé, ayant les sourcils joints. Il viendra avec un petit nombre de troupes et fera périr toute l’armée turque dans le Turkistân, et trouvera également la mort dans le Turkestân.

Le grand prêtre dit:

« Roi, l’homme qui vient d’être décrit est Bahrâm-Tshûbîn , dont le père s’appelle Bahrâm , et qui est ton lieutenant sur les frontières de l’Arménie. »

Après avoir fait son récit, Mihrustâd expira dans sa litière. Hormuzd fut fort étonné, et le grand Prêtre dit :

« C’est comme un avis céleste que Dieu ait laissé cet homme vivre jusqu’à ce qu’il pût connaître ces paroles, et qu’il l’ait l’ait mourir ensuite »

 

Hormuzd envoya immédiatement chercher Bahrâm, qui se mit aussitôt en route. Lorsqu’il fut arrivé, Hormuzd le traita avec distinction et lui dit :

« Sache que le Khâqân , mon grand-père, est mort, et que son fils est monté sur le trône ; il est mon oncle, mais il m’a renié et a amené une armée et s’est emparé de Balkh. Il me faut quelqu’un qui s’y rende pour le chasser de là, au besoin, par la guerre. Mon choix est tombé sur toi, à cause de ton origine et de la bravoure que lu as déployée au service de Nushirwân, et des grandes actions que tu as accomplies sous son règne ! »

Bahram répliqua :

« Je suis l’esclave du roi, exécutant ses volontés, l’une de ses épées ; partout où il m’enverra, je ferai le sacriiice de ma vie. »

Cette réponse plut à Hormuzd, qui ordonna de garder Bahrâm ce jour-là. Le lendemain , il lui fit dire de paraître devant lui à cheval et armé comme pour la guerre. Lorsque Bahram seprésenta ainsi sur l’arène où se trouvait Hormuzd , entouré de l’armée, celui-ci le regarda et vit sa grande taille ; il fut très-satisfait et le traita avec honneur. Le jour suivant, il le

fit appeler et lui dit :

« Je te donne la libre disposition de mon trésor et de mon armée ; prends autant d’argent et d’hommes que tu voudras ; et chaque ville que tu conquerras est à toi ! »

Bahram sortit de l’audience plein de joie, et le lendemain il rassembla toute l’armée et en choisit 12 000 hommes braves et propres à la guerre, ni trop jeunes, ni trop vieux, âgés d’environ 40 ans ; il leur distribua des équipements, des armes, des chevaux, des bêtes de somme et autres choses

semblables. On en informa Hormuzd, qui le fit appeler et lui dit :

« L’ennemi que tu vas combattre a 300 m hommes, comment veux-tu l’attaquer avec 12 000 hommes ? »

Bahrâm répondit :

« Roi, une armée nombreuse n’est qu’une lourde charge. 4 000 hommes forment la plus petite légion, et 12 000, la plus nombreuse. Rustam a fait ta guerre du Mâzenderân avec 12 000 hommes, et Isfendiâr a attaqué avec 12 000 hommes Heft-Khàn et Diz-Rwîn. »

Il énuméra ainsi plusieurs rois de Perse qui avaient entrepris de grandes guerres avec 12 000 hommes, et il termina en disant :

« En effet, le succès dans la  guerre ne dépend pas des hommes, mais de la fortune. »

Hormuzd lui dit :

« Mais pourquoi as-tu choisi des hommes d’un certain âge et non des hommes jeunes ? »

Bahrâm répondit :

« Parce que le succès dans la guerre dépend du zèle des soldats ; des jeunes gens n’ont ni zèle, ni discernement, ni expérience ; ils ne connaissent pas les règles de la guerre et ne savent pas prendre une résolution. Les hommes d’un âge mûr, au contraire, ont et le zèle et l’expérience. »

Le roi Hormuzd l’approuva également en cela, et ordonna qu’on choisit un. jour pour le départ de Bahrâm et de l’armée.

 

Le roi Hormuzd avait un astrologue très-habile en son art, et qui était en même temps devin. Il l’envoya à la suite de Bahrâm , lui disant :

« Va , suis le cortège de Bahrâm, observe-le dans une de ses actions, tires-en un présage, et viens me le dire. »

L’astrologue fit ainsi. On appelle, en Pahlavi, cette consultation Marghewd. Bahrâm rencontra un homme, un marchand, complètement nu, ayant sur la tète, pour le porter plus facilement, un baquet plein de têtes de moutons. Bahrâm prit la pique d’un lancier, allongea la main, enleva 2 de ces têtes de moutons à la pointe de la lance, qu’il retira ensuite, la tenant droite. L’une des deux têtes retomba dans le baquet, l’autre resta fixée sur la pointe de la pique, et Bahrâm continua ainsi son chemin.

L’augure revint et apprit cette aventure. Celui-ci lui demanda ce que signifiait ce présage. L’autre dit :

« Les deux têtes signifient 2 rois sur qui Bahrâm mettra la main ; il tuera l’un, et il laissera l’autre s’en aller et rentrer dans son royaume. La nudité de cet homme signifie que Bahrâm cessera de t’obéir et se révoltera contre toi ! »

Hormuzd fut effrayé et ne dormit pas cette nuit. Le lendemain , il écrivit à Bahrâm une lettre ainsi conçue :

« J’avais à te dire quelque chose, mais je l’ai oublié. Laisse l’armée à l’endroit où elle se trouve et reviens seul, afin que je te fasse cette communication verbalement ; tu repartiras immédiatement après. »

Cette lettre parvint à Bahrâm, à la première station. Hormuzd voulait rappeler Bahrâm pour mettre un autre général à la tête de l’expédition.

Bahrâm répondit par une lettre, dans laquelle il s’exprima ainsi :

« L’affaire dont le roi m’a chargé ne permet pas que je revienne ; je ne veux pas que le roi me voit avant que j’ait exterminé ses ennemis ; qu’il me fasse connaître ses ordres par lettre, je les exécuterai »

Ensuite il quitta ses quartiers et continua sa marche. Hormuzd fit appeler, le lendemain , le grand Prêtre et lui fit part du présage, de sa lettre et de la réponse de Bahrâm, et il ajouta :

« Qu’y a-l-il à faire, car je n’ai plus le pouvoir de changer celle affaire ? »

Le Prêtre répondit :

« J’ai vu Bahrâm sérieusement soumis au roi et prêt à combattre les ennemis ; les présages sont tantôt vrais, tantôt faux ; ne le rappelle pas, car Dieu lui donnera aide contre les ennemis, à cause de toi. Le Prêtre le tranquillisa ainsi au sujet de Bahrâm.

 

Bahrâm se dirigea de l’Iraq vers Tahwâz. Une femme vint le trouver sur la route, dans une station, et lui dît :

« Un cavalier m’a pris un panier de foin ; et elle en fournit les preuves. »

Bahrâm fit trancher la tète à ce cavalier. Lorsque Hormuzd apprit cette action, il fut très-satisfait de la justice de Bahràm.

 

A l’époque où Sâwê-Shâh s’était avancé sur le territoire de Balkh, Hormuzd, craignant que l’armée turque ne parvint rapidement jusqu’à lui, avait envoyé contre Sâwè-Shâh un petit détachement sous la conduite d’un général nommé Hormuz-Kharrâd-Bar-Zin, homme plein de ruse, de dissimulation et d’imposture. Il lui avait enjoint d’arrêter Sâwè-Shàh par la ruse, jusqu’à ce que Bahrâm arrivât à Hérât ; de lui dire que te roi de Perse voulait faire la paix avec lui, envoyer un ambassadeur et se soumettre à lui payer tribut.

Son but était d’empêcher Sâwè-Shâh d’avancer au delà de Balkh, et de mettre le pays à l’abri du pillage et de la dévastation, jusqu’à ce que son armée fût prête.

Hormuz-Kharrâd-Bar-zin alla, et, en trompant Sâwè-Shâh de cette façon, il le maintint à Balkh pendant une année, jusqu’à ce que Hormuzd eût préparé son armée et qu’il envoyât Bahrâm-Tschubîn.

 

Bahrâm se dirigea sur Balkh, non par le chemin ordinaire, mais en se rendant de l’Ahwâz en Taylesân, de là par le Khuzistân à Hérât, de Hérât en Khotlân, puis à Balkh, afin de surprendre Sâwè-Shâh. Lorsque celui-ci apprit l’arrivée de Bahrâm, il envoya quelqu’un vers Hormuz-Kharrâd-Bar-zin, pour se plaindre de ce qu’il l’avait trompé par une ruse ; mais celui-ci avait quitté son campement et s’était enfui, allant rejoindre Bahrâm, qui fit halte à la station la plus rapprochée de Balkh.

Le roi des Turcs fit venir le gouverneur du Khurâsân et le chargea d’aller reconnaître l’armée de Bahrâm, le nombre et la qualité des soldats, leur

armement, et quel était leur général. Le gouverneur du Khurâsân partit avec 10 cavaliers. Arrivé auprès du camp de Bahram, qui s’était avancé avec 5 de ses cavaliers, il lui dit :

« Qui es-tu ?

Bahiàm répondit :

« Je suis le serviteur de ce roi qui a amené cette armée et qui m’a ordonné de préparer le lieu du combat. »

L’autre dit :

« De quelle force est cette armée? »

Bahràm répondit :

« Quelque chose comme 10 000 hommes. »

L’autre dit :

Comment veut-il combattre 300 m hommes ? »

Rahràm répliqua :

« Il l’ordonne ainsi. »

Le gouverneur du Khuràsân s’en retourna et donna ces renseignements à Sàwè-Shàh. Le lendemain, Hormuz-Kharrâd-Barzin vint trouver Bahrâm et lui dit :

« Général, ne livre pas le combat à ces T avec la poignée de soldats que tu as avec toi ; la paix vaut toujours mieux ; tâchons de nous entendre et de

conclure la paix ! »

Bahrâm lui répondit par des injures et lui dit :

« Tais-toi ; que la langue te soit arrachée ; le village dont tu sors ne produit rien que des pécheurs ; qu’as-tu à faire avec la guerre ? Va et pèche des poissons ! »

Il y avait dans l’armée de Bahrâm un scribe nommé Buzurg-Debîr, que Bahrâm avait demandé à Hormuzd, et qui lui dit :

« Ne te hâte pas de livrer le combat à ces ennemis. »

Bahrâm lui répliqua:

« Tais-toi, pour que la mère ne soit pas privée de toi. Ce qu’il te faut, c’est la plume et l’encrier ; tu n’as rien à faire avec la guerre. »

Le lendemain, Sâwè-Shâh envoya son chef des négociations vers Bahrâm et lui fit dire :

« Si tu veux passer à mon service, je le donnerai le commandement du royaume de Perse et te nommerai mon lieutenant dans toute la Perse. »

Bahrâm répondit :

« Va lui dire que les serviteurs du roi ne le quittent pas pour aller dans un autre endroit, si ce n’est par ses ordres. »

Le jour suivant, Sâwè-Shâh envoya de nouveau quelqu’un vers Bahrâm et lui fit dire :

« Le roi de Perse m’avait envoyé un homme nommé Hormuz-Kharrâd-Barzîn, qui est resté depuis un an en face de moi, qui m’a sollicite et a demandé la paix. Fais, toi aussi, la paix, ou attends que j’envoie un messager pour savoir quel est le dessein du roi de Perse. »

Bahràm répondit:

« Celui-là s’est moqué de toi ; mais moi je ne serai pas content avant que ton jour décline, afin que je prenne ta tête et l’envoie au roi de Perse ! »

Sawè-Shâh entra en colère, fit battre le tambour et rassembler son armée autour de lui. Il passa toute la journée, jusqu’au soir, à disposer son armée, inspecta la place de chaque troupe et résolut de livrer bataille le lendemain.

Bahram, dans cette nuit, disposa également ses troupes, et en examina lui-même toutes les parties, le centre et les 2 ailes. A la pointe du jour, il fut pris de sommeil et s’endormit sur son cheval.

Il rêva qu’il combattait contre les Turcs et qu’il était mis en fuite. S’étant réveillé quand le jour fut tout à fait venu, il ne raconta à personne le songe qu’il avait eu, pour ne pas décourager les soldats. Lorsque le soleil se leva, les 2 armées se trouvèrent en présence.

Bahram, avant de commencer le combat, se transporta de sa personne dans chaque division, encouragea les soldais et leur dit :

« Que chacun aujourd’hui fasse son devoir, pour sa subsistance, son nom et

son honneur ; ne me faites pas honte et vendez cher votre vie ; car il y a loin d’ici à votre patrie, et si vous prenez la fuite, aucun de vous n’échappera à l’épée de l’ennemi ni ne reviendra dans sa famille. »

Bahram leur fit de tels discours et plaça un officier avec 500 cavaliers derrière l’armée, en lui ordonnant de charger quiconque voudrait s’enfuir.

 

Le roi des T se rendit sur une hauteur et s’assit sur un trône d’or, entouré de 40 000 hommes, qu’il avait choisis pour rester auprès de lui ; il envoya au combat 260 000 hommes, et ordonna au général en chef de disposer devant lui les troupes dans l’ordre de bataille où elles devaient combattre.

Sàwè-Schâh avait amené 200 éléphants de guerre et 100 lions sauvages, qu’il fit placer devant les rangs. Bahram, apercevant ces éléphants et ces lions, donna l’ordre à ses soldais de faire pleuvoir, tous en même temps, une grêle de traits sur ces animaux, et leur recommanda de viser les éléphants aux yeux. Les soldats firent ainsi, et les éléphants, effrayés par les traits, tournèrent le dos. Alors Bahrâm fit lancer par les artificiers du feu sur les éléphants et les lions, qui se jetèrent en rugissant sur leur

propre armée et écrasèrent sous leurs pieds environ 30 000 hommes, en leur communiquant les flammes par lesquelles ils étaient consumés.

Lorsque Bahrâm vit que les rangs des Turcs étaient rompus et que les troupes s’ébranlaient, il fit une charge générale. Les Turcs se mirent à fuir, et se replièrent vers l’endroit ou se trouvait Sâwè-Shâh. Celui-ci,  voyant cela, demanda un cheval. Son écuyer lui dit :

« Veux-tu un cheval pour fuir, ou un autre ? »

Sâwè-Schâh se mit à rire et dit :

« Un cheval pour fuir. »

Au moment où il descendait du trône, Bahrâm arriva, et, le voyant sur le trône et avec la couronne, il sut que c’était le roi ; il ajusta et fit partir une flèche, qui pénétra dans la poitrine du roi et sortit par le dos ; le roi tomba en bas du trône. Alors toute l’armée turque prit la fuite, poursuivie par Bahrâm, qui fit un grand nombre de prisonniers. A la tombée de la nuit, Bahrâm vint dans le camp turc, fit saisir les trésors et les effets, le trône d’or, la couronne du roi et des richesses dont la grande quantité n’est connue que de Dieu seul. Il fit transporter tout ce butin et les prisonniers dans son propre camp, et y resta cette nuit.

Le lendemain matin, Bahrâm passa en revue toutes ses troupes ; il ne manquait personne, sauf un officier d’un rang élevé, nommé Bahrâm- Seyâwshân, qui était son neveu, ayant épousé la fille de sa sœur, et qu’il avait en grande affection. Ne le voyant pas, il fut très effrayé, pensant qu’il avait été tué. Il donna l’ordre de le rechercher sur le champ de bataille parmi les morts. Après une heure, Bahrâm-Seyâwshân arriva avec un prisonnier turc ayant une petite barbe rousse et des yeux gris. Bahrâm fut très-heureux de voir son neveu et lui demanda quel était le prisonnier qu’il amenait. L’autre lui dit :

« C’est un homme que j’ai voulu tuer ; il m’a dit : Mène-moi auprès de votre roi, je sais quelque chose qui pourra lui être utile. »

Babrâm lui dit :

« Quelle est la chose que tu sais ? Dis-la, pour te sauver de la mort. »

Le prisonnier répondit :

« Je suis un sorcier, le plus habile de tout le Turkistân. Quand j’accompagne un roi dans une campagne, je fais voir en songe à l’ennemi qu’il sera mis en fuite, et par là je le décourage ; la preuve en est que je t’ai fait voir, hier matin, en songe que ton armée serait mise en fuite. »

Babrâm pensa en lui-même :

« Un homme intelligent n’acceptera pas ses paroles et n’y croira pas. »

Puis il lui dit :

« Quel mal ai-je eu de ton songe, et quel avantage en est-il résulté pour ton armée ? »

Ensuite il donna l’ordre de le mettre à mort.

 

Bahrâm resta un mois à Balkh. Il fit réunir tout le butin qu’il avait fait sur les Turcs, fit expédier à Hormuzd ce qu’il voulait lui envoyer et distribua aux soldats ce qui leur revenait. Ensuite il fut informé qu’un fils du roi des Turcs, resté dans le Turkistân, rassemblait une armée, et que les troupes qui avaient été mises en fuite s’étaient jointes à lui, et qu’il s’avançait avec une armée de 500 000 hommes contre Babrâm, pour venger la mort de son père.

 

CAUSES DE L’EXEMPTION D’IMPOT AUX FRONTIERES DU NORD, v. 20/641 h. 

L’avant-garde de Surâqa était commandée par ‘Abd-ar-Rahmân b. Rabî‘a. Sur le passage de cette armée se trouvait un territoire gouverné par un prince, nommé Shahr-Yâr, qui vint au-devant de ‘Abd-ar-Rahmân et demanda la paix, mais il ne voulut pas payer tribut. Il dit :

« Je me trouve entre 2 ennemis : les Khazars et les Russes. Ces peuples sont les ennemis du monde entier, et particulièrement les ennemis des Arabes. Il n y a que les habitants de cette contrée qui soient en état de leur faire la guerre. Au lieu donc de vous payer tribut, nous ferons la guerre aux Russes, en nous équipant et en nous armant nous-mêmes, afin de les empêcher de franchir leurs limites. Considérez cette guerre, que nous sommes obligés de faire tous les ans, comme une compensation de la capitation et de l’impôt.”

‘Abd-ar-Rahmân répondit :

« Il y a un Commandeur placé au-dessus de moi ; je vais l’avertir. Il fit partir Shehr-Yàr, avec une autre personne, vers Surâqa; mais celui-ci voulut soumettre le cas à ‘Umar. Le Lieutenant décida que ces hommes seraient exemptés de l’obligation de payer la Jizya et le Kharâj. Cette décision devint loi générale : nulle part les habitants des ???? n’acquittent ni capitation ai impôt, parce qu’ils combattent les Kuffâr et défendent ainsi les musulmans, ce qui est considéré comme une compensation du Kharâj. Cette mesure fut également appliquée lors de la conquête de la Transoxiane. Les contrées de Sfijâb et de Firghâna ne payent pas de Kharâj ; car elles sont continuellement en guerre avec les Turcs, qu’elles empêchent d’envahir le territoire musulman.

Conquête du Khurâsân , mort du Shah : 

Muhammad b. Jarîr dit qu’il a trouvé dans les livres et les traditions perses que Yazdagard a été tué dans un moulin, moins d’une année après son arrivée à Merw.

Mais il rapporte, d’un autre côté, que Y s’était enfui de Merw, qu’il avait gagné Merw-ar-Rwd, et qu’il avait parcouru ainsi tout le Khurâsân, poursuivi de ville en ville par Akhnaf b. Qays, que ‘Umar y avait envoyé pour s’emparer de sa personne ; qu’arrivé à Balkh, il avait adressé des lettres au Khâqân des Türük et au roi de Chine pour leur demander du secours ; que le roi de Chine avait envoyé une armée et que Yazdagard, avec sa suite, escorté parle Khâqân, avait franchi le Jayhûn, et qu’il était venu à Firghâna, où il demeura pendant tout le règne de ‘Umar ; enfin que du temps de ‘Uthmàn, il revint à Merw, où il périt. Ce récit est en désaccord avec celui des traditions perses.

Mais je vais rapporter l’un et l’autre.

Voici ce que racontent les livres des traditions perses, d’accord avec les traditions arabes : 

Comme Yaz excitait constamment les habitants du Khurâsân à se soulever par les lettres qu’il leur adressait de Ray, le Lieutenant était obligé de faire la guerre chaque année. Mais, après la bataille de Nehâwend, ‘Umar autorisa les troupes musulmanes à avancer où elles pourraient. C’est alors que Yaz. alla de Ray à Merw, où il construisit le Pyrée dont nous avons parlé ; il y demeura en paix, et adressa des lettres dans toutes les directions. J’ai lu dans ces traditions que Y, en arrivant à Merw, avait avec lui 4 000 personnes, parmi lesquelles il n’y avait pas un seul guerrier. C’étaient seulement des esclaves de son palais, des cuisiniers, des valets de chambre, des palefreniers, des secrétaires, des femmes, épouses légitimes et esclaves, des vieillards et des enfants de sa famille. Ces 4 000 personnes constituaient sa maison ; elles étaient parties avec lui de Madâyn ; mais il ne lui était pas resté assez de ressources pour soutenir une si nombreuse famille, et il n’avait aucun revenu. 

Il y avait dans le Khurâsân un roi, vassal de Yaz., nommé Mâhwï-Sûri, qui régnait sur toute la province, jusqu’aux bords du Jayhûn. 

Les pays d’au delà du Jayhûn appartenaient au Khâqàn des T. 

Lorsque Mâhwy apprit que Yaz. avait été chassé de Madâyn, il conclut une alliance avec le Khâqân ; il fut stipulé que les 2 pays seraient étroitement unis et se prêteraient réciproquement aide et protection en cas de besoin, en fournissant des troupes, de l’argent et des armes. Ensuite, Yaz. ayant demandé à Mâhwï de lui rendre ses comptes de prs années, Mâhwï fit demander au Khâqân des troupes pour les employer contre Yaz. Le Khâqân envoya 7 000 cavaliers T, qui vinrent camper aux portes de Merw. Yaz. ayant demandé quelles étaient ces troupes, Mâhwï répondit : 

« C’est le Khâqân qui les a envoyées pour ta protection. » 

Alors Yaz. dit : 

« Maintenant, vite, va chercher l’argent pour régler tes comptes. 

-J’obéis, répliqua Mâhwï. »

Mais pendant la nuit il fit entrer dans la ville les soldats turcs, les posta à la porte du palais de Y, afin que, vers le matin, après avoir ouvert la porte, ils entrassent dans le palais et qu’ils fissent mourir Yaz.

Celui-ci, ayant été prévenu, se fit descendre par ses femmes, au moyen d’une corde, du haut du mur et, dans l’obscurité de la nuit, il quitta la cité à pied, et vêtu de sa robe brodée d’or. Après avoir marché un peu de temps, il se sentit fatigué ; il vint à la porte d’un moulin, et dit au meunier : As-tu une place où je puisse dormir, car je suis fatigué? Le meunier, qui ne le connaissait pas, étendit une couverture dans le moulin, et Y se coucha et s’endormit. Lorsqu’il fut jour, le meunier, voyant la robe brodée d’or, désira s’en emparer. Il frappa Y d’un coup de hache à la tête, et le tua pendant son sommeil. Puis il le dépouilla de sa robe et jeta le cadavre dans l’eau. 

Lorsque, au matin, Mâhwï ne trouva pas Y dans le palais et qu’il apprit qu’il s’était sauvé en descendant du mur, il le fit rechercher, et on trouva entre les mains du meunier la robe de Y. Mâhwï fit tuer le meunier. 

Puis il demeura en paix a Merw, jusqu’au moment où Yaz amena Akhnaf b. Qays, dans le Khurâsân, avec l’armée de Baçra et de Kûfa. Akhnaf ne trouva point de résistance dans le Khurâsân ; et lorsqu’il arriva à Merw, Mâhwî s’enfuit, gagna l’autre rive du Jayhûn, se rendit auprès du Khâqân, et resta dans le Turkistân. Akhnaf acheva la soumission du Khurâsân, occupa Merw, Balkh et Herat, et propagea l’Islam de tous côtés, jusqu’aux bords du Jayhûn. 

Ayant cherché parmi les villes du Khurâsân celle qui lui conviendrait le mieux pour sa résidence, il donna la préférence à Merw-ar-Rwd, et fit construire à 4 frs. de la cité un bourg, qu’on appelle aujourd’hui Dayr Akhnafî et en arabe Qaçr-al~Akhnaf, il y demeura pendant tout le règne de ‘Umar, et jusqu’à la fin de sa vie. 

Tel est le récit de la mort de Yaz. et de la fin de l’empire de Perse, d’après les savants qui connaissent les traditions et d’après les ouvrages persans. Cette version est généralement connue.

Muhammad b. Jarîr donne une version différente. II rapporte : 

Lorsque Y se rendit à Merw,’Umar mit en campagne Akhnaf b. Qays, avec 12 000 hommes des armées de Kûfa et de Baçra, en lui commandant de poursuivre Y en tout lieu et de le faire disparaître de la surface de la terre. Ce ne fut qu’avec peine que le calife se décida à envoyer les troupes de Baçra et de Kûfa dans le Khurâsân, car il n’aimait pas que l’armée musulmane fût trop éloignée de lui. Akhnaf se rendit d’abord à Isfâhân, de là il vint à Tabès, près de Qâyn, dans le Kuhistan, et de là […]se dirigea ensuite vers le Khurâsân. La première ville qu’il rencontra sur son chemin dans cette province fut Herât. Il la prit d’assaut. Après y avoir établi comme son lieutenant un officier nommé Çuhâr al-‘Abdi, il marcha sur Merw, où se trouvait Y. Il expédia aussi Mutarrif b. ‘Abd-Allah, avec un petit détachement, vers la ville de Nishabûr, qui n’avait pas de garnison, et Hârith b. Hassan, vers Sarakh. Ces deux villes furent prises sans coup férir.

Quand Akhnaf arriva à Merw, Y s’enfuit à Merw-ar-Rûd, de là il envoya des ambassadeurs au Khâqân des T, au roi de Sughd et au roi de Chine, et leur fit demander du secours. Akhnaf était à Merw. ‘Umar lui fit expédier de Kufa des renforts conduits par 4 officiers arabes distingués, savoir : Alqama b. Naçr al-Baçri; Rib’i b. ‘Àmir al-Tamîmî ; ‘Abdallah b. Abu-‘Uqayl al-Thâqifi, et Ibn-‘Umar Ghazzal, al-Hamadânî.

Akhnaf fut très content de leur arrivée. Il laissa Hârith b. Nu‘mân al-Bâhilî, comme son lieutenant à Merw, et se rendit avec un corps de troupes à Merw-ar-Rwd. Yazdagard quitta cette ville et vint à Balkh, où il se fortifia. Akhnaf demeura à Merw-ar-Rwd, cité qui était située au centre du Khurasân et peu éloignée des villes de Merw, de Nishâbur et de Herât. Il fit marcher les troupes de Kufa sur Balkh. La ville se rendit après un combat.

Yaz. s’enfuit de nouveau et passa le Jayhun. Ensuite Akhnaf vint à Balkh, et envoya une expédition dans le Tukhâristân, et cette province fut entièrement conquise. Après avoir nommé Rib’i b. ‘Amir, gouverneur de Balkh, en laissant à sa disposition les troupes de Kufa, il retourna à Merw-ar-Rwd, et y resta. Il annonça à ‘Umar la conquête du Khurasân et la fuite de Y sur le territoire du Turkistân. ‘Umar, en recevant cette nouvelle, s’écria :

« Que ferai-je de la conquête du Khurasân ? Je voudrais qu’il y eût entre nous et ce pays une mer de feu, pour que personne ne pût s’y rendre ! »

‘Ali, qui était présent, lui demanda pourquoi il voyait avec peine la conquête du Khurasân.

-Parce que, répondit ‘Omar, les habitants du Khurasân ont rompu déjà 3 fois la paix conclue avec eux et ont versé bcp de sang musulman. Je ne voudrais pas qu’il y eût des musulmans dans ce pays. Puis il adressa à Akhnaf une lettre ainsi conçue :

« Ne pousse pas plus loin tes conquêtes ; reste dans le Khurâsân. Je ne veux pas que tu franchisses le Jayhûn. Ayez soin de conserver vos mœurs, et de ne point adopter les mœurs des Perses, en fait de nourriture et de luxe, afin que vous restiez attachés à vos anciennes coutumes, et que la protection de Dieu vous soit toujours acquise ! »

Yaz., après avoir passé le J., se rendit à Sughd. Le roi de Sughd lui fournit une armée nombreuse, de même que le Khâqân, qui, après avoir réuni tous les combattants à Firghâna, franchit avec Yaz. le J., et marcha sur Balkh. Rib’i, fils d’^Amir, se retira, avec les troupes de Kufa qu’il avait auprès de lui, vers Merw-ar-Rwd, auprès d’Akhnaf. Yaz. et le Khâqân, à la tête d’une armée composée de gens de Sughd, du Turkistân, de Balkh et du Tukhâristân, au nombre de 50 000 cavaliers, vinrent à Merw-ar-Rwd. Akhnaf disposait de 20 000 hommes ; c’étaient des troupes de Kufa et de Baçra.

Les 2 armées demeurèrent en présence l’une de l’autre, à l’endroit où est maintenant Dayr-al-Akhnaf, pendant 2 mois, et l’on combattait chaque jour du matin au soir. Yaz. résidait dans la ville même de Merw-ar-Rwd.

Une certaine nuit, l’un des hommes les plus considérables d’entre les Türük, un des parents du Khâqân, sortit du camp avec sa suite pour faire le service des avant-postes. Akhnaf, averti de cette circonstance, vint en personne aux avant-postes, attaqua le T et le tua. Cet homme avait 2 frères qui, en apprenant sa mort, vinrent l’un après l’autre pour lutter contre Akhnaf. Celui-ci les tua également. Quand il fut jour et que le Khâqân fut instruit de ce qui s’était passé, il se rendit sur le lieu où le combat avait eu lieu. En voyant ces 3 cadavres, il fut très affligé et dit :

« Cette guerre est bien malheureuse ! Nous sommes ici depuis si longtemps, et nous avons perdu tant d’hommes ! Cependant, quand même nous réussirions à nous rendre maîtres de ce pays, il faudrait l’abandonner à Yaz. et nous en aller. Quel est notre profit en ceci ? »

En conséquence, il leva son camp, retourna à Balkh, passa immédiatement le fleuve et rentra dans le Turkistân.

Après le départ du Khâqân, Yaz. quitta MrR et partit pour Merw, où il avait déposé en secret une grande quantité de joyaux et de trésors. Lorsqu’il s’approcha de la ville, Hâritha b. Nu‘mân, la mit en état de défense. Yaz. prit ses richesses, et se dirigea vers Balkh, pour se rendre auprès du Khâqân. Les officiers perses qui étaient avec lui lui demandèrent quel était son dessein. Il leur dit qu’il avait l’intention de se mettre sous la protection du Khâqân et de demeurer avec lui dans le Turkistân.

Les Perses dirent :

« N’y va pas, car nous ne te suivrons pas. Les T sont des gens sans Loi ni Foi. Si tu veux te placer sous la protection de quelqu’un, tourne-toi vers les Arabes. Ces hommes, qui t’ont chassé de ton toit et de ta patrie, et en sont les maîtres actuellement, sont des gens de bonne foi. Donne-leur ces trésors que tu tiens, afin qu’ils te rendent ton foyer, et nous vivrons tous en paix dans notre patrie. Puisqu’il faut subir un sacrifice , il vaut mieux rester dans la patrie que de vivre sur le sol étranger ! »

Comme Yaz. refusait de se rendre à leurs conseils, ils lui dirent :

« Si tu veux quitter ton pays, nous ne te permettrons pas d’emporter ces richesses que nos pères ont eu tant de peine à accumuler dans le trésor des rois. Nous ne voulons pas que tu les emportes hors de Perse et que tu les donnes aux T ! »

Ils lui enlevèrent les trésors et se séparèrent de lui. Yaz., resté seul avec sa suite, se rendit auprès du Khâqân. Les Perses apportèrent les trésors à Akhnaf b. Qays, et se soumirent à lui. Akhnaf les renvoya tous dans leurs foyers, à Madayn et dans la province de Fars, dans l’Ahwâz, à Ray et ailleurs, et distribua les trésors entre les musulmans, dont chacun reçut une somme égale à sa part du butin de Nehâwend.

Muhammad b. Jarîr rapporte encore, dans son ouvrage, que Yaz. ayant pris la fuite après la révolte des Perses, ceux-ci l’avaient poursuivi, et que ; l’ayant trouvé dans un moulin, ils l’avaient tué et avaient jeté son cadavre dans l’eau ; qu’ensuite, ils avaient apporté les trésors à Akhnaf, et qu’ils avaient fait leur soumission. L’auteur donne encore une autre tradition, où il est dit :

Yaz. s’enfuit de Merw et vint à Balkh, passa le Jayhûn et se rendit dans le Turkistân. Arrivé à Sughd, il fut rejoint par l’ambassadeur qu’il avait envoyé en Chine et qui lui apportait une lettre de réponse. Dans cette lettre, il était dit :

« Je sais que les rois ont le devoir de s’entraider les uns les autres ; cependant j’ai appris par ton ambassadeur quels sont ces gens contre lesquels tu demandes mon assistance, quelles sont leurs mœurs, leur Loi et leur manière d’agir. Or, ces hommes, ayant une telle Loi et une telle loyauté, conquerront le monde entier, et personne ne pourra les repousser. Il ne te reste d’autre ressource que d’user envers eux de moyens pacifiques, afin de les éloigner et pour n’être pas chassé par eux. Ensuite le Khâqân retourna dans le Turkistan, et Yaz. demeura à Firghàna. Akhnaf revint de Balkh à MrR et annonça à ‘Umar sa victoire.

M b J ajoute que, 2 ans après l’avénement de ‘Uthmân, les habitants du Khurâsân se révoltèrent, que Yaz. revint de Firghâna et qu’il fut tué alors.

‘Umar, en recevant la lettre d’Akhnaf qui lui annonçait la conquête du Khurâsân et l’expulsion de Yezdegerd, éprouva une grande joie et fut tranquillisé à l’égard du Khurâsân. Il notifia à Âkhnaf sa nomination comme Walî de cette province, et dirigea l’armée de l’Irâq sur la province de Perse.

v. 40/660 : Mu‘âwya : 

Il envoya ‘Umayr b. ‘Uthmân, avec une forte armée dans le Khurâsân. ‘Umayr fit une expédition sur l’autre rive du Jayhûn, et après avoir pénétré jusqu’à Firghâna, il revint dans le Khurâsân.

———————   Après la mort de Ziyâd, Mu’âwiya donna le gouvernement de Kûfa, Baçra et du Khurâsân à son fils ‘Ubayd-Allah ; celui de Makka à Sa‘ad b. d’Al-‘Âç, et celui de Madîna à Marwân b. Al-Hakam. Quant à ‘Ubayd Allah b. Ziyâd, qui était alors âgé de 25 ans […] Mo’âwiya le fit partir pour le Khurâsân et lui ordonna d’entreprendre une expédition guerrière. ‘Ubaydallah enrôla des troupes en ‘Irâq, vint dans le Khurâsân, franchit le Jayhûn et attaqua Baykand, la résidence du roi des Türük. Il se rendit maître de la ville, et le roi des Türük s’enfuit à Samarqand. ‘Ubayd-Allah fit aussi la conquête de Bukhârâ, laissant l’administration de cette province au chef qu’il y trouva, et retourna ensuite à Baçra, emmenant de nombreux prisonniers et une grande quantité de butin. Le roi des T, au moment de prendre la fuite, avait oublié en mettant ses jambières, la chaussette d’un de ses pieds. ‘Ubayd-Allah emporta cette chaussette, qui était faite de brocart brodé de pierres précieuses, et la vendit aux marchands de Baçra au prix de 200 m dr. […]En l’an 56/677 après avoir fait proclamer Yazîd son successeur, Mo’âwiya ôta le gouvernement du Khurâsân à ‘Obaïdallah et le donna à Sa‘îd b. ‘Uthmân.   […]   En cette même année 80/700 de Thégire, Muhallab entreprit, en partant de Merw, une expédition au-delà du fleuve de Balkh. Il arriva à Kish, où se trouvait le cousin du roi de Khuttal. Muhallab l’envoya avec son fils Yazîd, pour attaquer le pays de Khottal, dont le roi, en ce temps, s’appelait Shabîl. Lorsque celui-ci vit son cousin dans les rangs des ennemis, il s’avança et le provoqua à un combat singulier. Son cousin répondit à cet appel. Il fut fait prisonnier par Schebil, qui le conduisit à son château, où il le tua. Yezid, ayant fait le tour du château, acquit la conviction que les fortifications étaient très solides et ne pourraient pas être forcées. Il flt la paix avec le roi, qui lui paya une somme d’argent, et retourna ensuite auprès de Muhallab. Celui-ci envoya un autre de ses fils, ‘Habib, avec une forte armée dans le Bukhârâ. Le roi de ce pays l’attendit à la tête d’une armée de quarante mille hommes. Quand les 2 armées furent en présence, un cavalier de Bukhârâ s’avança hors des rangs et défia les soldats musulmans. Habala, Mawlâ’ de Habîb, accepta le combat et tua son adversaire ; puis il chargea les ennemis, et revint après en avoir tué 3 autres. Un corps ennemi, qui était campé dans un certain bourg, fut surpris par ‘Habib à la tête de 4 000 musulmans, et entièrement défait. ‘Habib brûla ce bourg avec tous ceux qui s’y trouvaient.   Muhallab demeura 2 ans à Kish. On lui dit un jour : « Si tu allais plus en avant, il est à espérer que Dieu te fera réussir. -Ma seule préoccupation est de ramener ces musulmans sainset saufs à Merw, répondit Muhallab » Un autre jour, un guerrier turc vint défier l’armée musulmane. Harthama b. ‘Âdi, et frère de Khâlid b. Harthama, le combattit et le tua. Lorsqu’il revint, Muhallab lui fit des reproches, en disant : « S’il t’était arrivé malheur, un millier d’hommes serait allé pour te secourir ! » On raconte encore que, pendant son séjour à Kish, il eut des soupçons à l’égard d’un parti de guerriers de Mudar. Il les fit enchaîner et ne les relâcha que lorsqu’il fut de retour à Merw. Or, après être resté 2 ans à Kish, il fit la paix avec les habitants de cette contrée, en exigeant d’eux une certaine somme d’argent. En effet, il venait de recevoir une lettre d’Ibn Ash‘at, qui s’était révolté contre Hajjâj et qui demanda à Muhallab de faire cause commune avec lui. Muhallab, après avoir pris connaissance de cette lettre, l’envoya aussitôt à Hajjâj. Puis, ayant reçu des habitants de Kish la somme stipulée, il retourna à Merw.   QUTAYBA B. MUSLIM, WÂLÎ AL-KHURÂSAN   En cette même année 86, Qutayba b.  Muslim, fit son entrée dans Merw. Il convoqua les habitants et les harangua ; il les appela au Jihad et récita dans son discours tous les versets du coran et les paroles du Prophète qui se rapportent à ce sujet. Ensuite il forma une armée, et après avoir distribué aux soldats leur solde, il se mit en marche, en laissant comme lieutenant à Merw, Ilyâs b. ‘Abdallah b. ‘Amr. Lorsqu’il arriva à Tâleqân, les Dihqâns et les chefs de Balkh vinrent au-devant de lui et raccompagnèrent au-delà du fleuve. Là, le prince de Çaghâniân vint lui présenter des cadeaux et l’invita à se rendre dans sa ville. Le prince d’Akhrûn et de Shômân, contrées qui font partie du Tukhâristân, avait un traité d’alliance avec le prince de Çaghâniân. Qutayba, en quittant cette ville, qu’il laissa au prince, marcha sur Akhrûn et Shômân, et après avoir reçu du prince une somme d’argent, il retourna à Merw.   Muhammad b. Jarîr rapporte que Qutayba, avant de traverser le fleuve, s’était arrêté à Balkh pour réduire cette contrée qui s’était soustraite à la domination musulmane. Parmi les captifs que l’on fit à Balkh, se trouvait la femme de Bannak, père de Khàlid b. Barmak. Lors du partage du butin, cette femme échut à ‘Abdallah b. Muslim, frère de Qutayba. ‘Abdallah eut commerce avec elle. Maïs le lendemain de la bataille, les habitants de Balkh ayant fait la paix avec Qutayba, celui-ci fit rendre tous les captifs. La femme de Barmak déclara à ‘Abdallah qu’elle était enceinte de ses œuvres. ‘Abdallah, avant de mourir, demanda que l’on reclamât comme étant à lui l’enfant que cette femme mettrait au monde. Cependant on avait rendu la femme à Barmak. Lorsque, plus tard, Mahdi b. Mançûr [Abû] Dawâniq, vint à Ray avec Khâlid, les fils de ‘Abdallah b. Muslim, s’y rendirent et réclamèrent leurs droits de parenté. Muslim b. Qutayba leur dit : Interrogez la femme ; si elle avoue le fait elle-même et se réclame de vous, vous aurez la femme et son fils. En effet, c’est ainsi que le décide la Loi : Toute revendication de cette nature n’est admise que sur le témoignage et le consentement de la personne qui est l’objet de la revendication. Quand cette personne dit aux réclamants : Je vous appartiens, alors elle leur appartient absolument, quels que soient les autres témoignages; elle est donnée à ceux qu’elle choisit. Sur cette réponse de Muslim, les B. ‘Abdallah se désistèrent. Or ce Barmak était médecin ; c’est lui qui, dans la suite, traita Maslama b. Abd ak-Malik, dans la maladie qu’il avait contractée.   En cette même année, Nizek se rendit auprès de Qutayba, et les habitants de Bâdeghîs consentirent à payer une forte somme d’argent pour obtenir la paix. En effet, Qutayba avait écrit à Nizek, qui retenait un certain nombre de prisonniers musulmans, et l’avait menacé de la guerre, s’il ne leur rendait la liberté. Nizek s’était empressé de les renvoyer. Qutayba lui députa ensuite Sulaym, le conseiller, et l’invita à se rendre auprès de lui. Dans la lettre qu’il lui écrivit, il lui disait, en afllrmant ses paroles par un serment, que si Nizek ne faisait pas ce qu’il demandait, il marcherait contre lui à la tête d’une armée et qu’il ne s’en retournerait pas avant de l’avoir pris et tué. Sulaym ayant remis cette lettre et ayant fait ses recomandations à Nizek, celui-ci lui dit : il m’est impossible de me rendre auprès de lui ; car il m’écrit d’une façon qui n’est pas digne de moi. Sulaym répondit : Prince, Qutayba est un homme énergique dans l’exercice de son autorité. Si tu lui montres de la condescendance, tout se passera bien ; car il est doux et facile; mais si tu lui résistes, il sera dur. Ne te scandalise pas de cette lettre ; il ne fera que ce que tu désireras. Nizek se rendit alors avec Sulaym auprès de Qutayba, et conclut la paix avec lui aux conditions que nous avons dites.   CONQUÊTE DE PAYKAND PAR QUTAYBA.   Après avoir conclu la paix avec Nizek, Qutayba demeura à Merw jusqu’au moment où la saison permettait d’entrer en campagne. Ce fut en l’an 87/706. Alors il quitta Merw, traversa le fleuve et se dirigea vers Paykand, qui est la cité de Bukhârie la plus rapprochée du Jayhûn, à l’entrée du désert. On l’appelle « la ville des marchands ». A la nouvelle que Qutayba avait traversé le fleuve, les habitants de Paykand s’adressèrent aux habitants de Sughd et des contrées voisines et leur demandèrent secours. Ils réunirent une armée innombrable et occupèrent toutes les routes. Cependant Qutayba livra journellement des combats aux ennemis. Pendant deux mois, il lui fut impossible d’envoyer un messager à Al-Hajjâj, qui fut très-inquiet du sort de l’armée et qui ordonna que l’on priât pour elle dans toutes les mosquées.   Qutayba avait à son service un espion persan, nommé Tandar. Les habitants de Boukhâra le gagnèrent par une somme d’argent afin qu’il trompât Qutayba, pour le déterminer à abandonner le pays. Tandar alla trouver Qutayba et lui demanda un entretien particulier. Qutayba fit sortir tout le monde, excepté Dbirâr ???, b. Husayn. Alors Tandar lui dit : « Hajjâj a été destitué et il arrive un autre général pour te remplacer. Il serait bon de ramener l’armée à Merw. » Qutayba appela un de ses esclaves nommé Seyâh et lui ordonna de trancher la tête à Tandar. Puis il dit à Dbirâr ??? : « Il ne faut pas qu’un autre que nous deux connaisse cette nouvelle ; et c’est pour la tenir secrète que j’ai fait tuer cet homme, afin que cette guerre soit menée à bonne fin ; car si les soldats apprenaient la nouvelle, ils seraient découragés. » Lorsque les autres officiers rentrèrent dans l’appartement, ils virent avec effroi la tête de Tandar séparée de son corps. Ils jetèrent la tête devant Qutayba. Celui-ci leur dit : « Qu’avez-vous? Pourquoi êtes-vous si émus de la mort d’un homme dont le terme était arrivé ? -Nous l’avions toujours considéré comme un ami des Musulmans, répondirent-ils -Non, répliqua Qutayba; il songeait à nous trahir ; mais il s’est perdu par ses propres paroles. Quant à vous, préparez-vous à combattre l’ennemi, non comme vous avez fait jusqu’à présent, mais avec plus d’ardeur et de courage. »   Le lendemain, les musulmans, ayant pris leurs positions, engagèrent la bataille. Qutayba encourageait les soldats, parcourut tous les rangs et veilla à ce que chaque corps manœuvrât en ordre. Le combat dura jusqu’au soir. Enfin les Türük lâchèrent pied et cherchèrent à gagner la cité de Paykand. Les musulmans les poursuivirent l’épée dans les reins, en tuèrent un grand nombre et firent beaucoup de prisonniers. Ceux d’entre les ennemis qui avaient réussi à se jeter dans la ville, en fermèrent les portes. Qutayba y mit le siège et fit attaquer les murs. Alors les habitants se rendirent. Qutayba leur accorda une Capitulation et se retira ensuite avec le gros de son armée.   Peu de temps après, il fut informé que les habitants de Paykand ayaient rompu la paix et qu’ils avaient tué, après leur avoir coupé le nez et les oreilles, l’officier et la garnison qu’il y avait laissés. Qutayba revint sur ses pas et assiégea de nouveau la ville. Il répéta ses attaques sans interruption pendant un mois. Enfin il donna l’ordre d’accumuler autour du rempart du bois sec ; puis il fit attaquer le rempart et mettre le feu au bois. Le mur s’écroula en écrasant dans sa chute 40 hommes. Les habitants de Paykand demandèrent à capituler, mais Qutayba refusa, et fit tuer tous les hommes en état de porter des armes. Parmi ces derniers il y avait un homme borgne, qui avait poussé les Türük à attaquer les musulmans. Il dit à Qutayba : « Je veux me racheter. -Combien veux-tu payer ? lui demanda Sulaym. -5000 pièces d’étoffe de soie chinoise, soit 1 M de drachmes. Qutayba demanda l’avis de son entourage. Un officier lui dit : Certes, sa rançon augmenterait le butin des musulmans ; mais qui sait quel mal il pourra encore leur faire ? Qutayba s’écria : « Par Dieu, les musulmans n’auront plus à te craindre ! » Et il le fit mettre à mort.   On rapporte que la prise de Paykand procura à Qutayba une si grande quantité de bijoux de femmes en or et en argent, qu’il fut impossible d’en évaluer le prix. Il en confia la garde à ‘Abdallah b. Wâlân al-‘Adawi, et lorsqu’on eut fondu tous les bijoux d’or, on en montra à Qutayba le lingot, qui pesait 150 000 L. La quantité de butin que l’on fit à Paykand fut si considérable, qu’elle dépassait l’ensemble du butin que l’on avait fait dans tout le Khurâsân. Qutayba retourna ensuite à Merw. Les soldats, étant devenus riches, se mirent à acheter des chevaux et des armes à l’envi l’un de l’autre et en enchérissant l’un sur l’autre, de sorte que le prix d’une lance monta jusqu’à 70  drachmes et que l’on paya une cuirasse 700 dr ; les poignards et les sabres se vendirent aux enchères à des prix bien élevés. On avait trouvé dans l’arsenal de Paykand une grande quantité d’armes. Qutayba écrivit à Hajjâj et lui demanda s’il pouvait distribuer ces armes à son armée. Hajjâj y consentit.   Au printemps, Qutayba quitta Merw de nouveau, traversa le fleuve et marcha sur Maskan, cité de Boukhârie. Les habitants demandèrent la paix. Qutayba la leur accorda. Des ouvrages autres que celui de Muhammad b. Jarîr rapportent que parmi le butin de Paykand se trouvait une idole en or qui pesait 50 000 L et dont les yeux étaient représentés par 2 perles d’une grandeur et d’une beauté extraordinaires. Qutayba, très étonné à la vue de ces perles, fit venir les gardiens du temple, et leur demanda d’où elles provenaient. Us répondirent : Deux oiseaux apparurent un jour dans l’air, au-dessus du temple, et laissèrent tomber de leur bec ces perles ; puis ils s’envolèrent. On envoya ces perles avec le Quint du butin à Hajjâj. D’après une tradition également rapportée ailleurs, à savoir dans « Kitâb al-Futûh », la plupart des habitants de Paykand auraient été absents lors de la prise de la ville, voyageant pour leurs affaires. Lorsqu’ils revinrent, ils trouvèrent la ville en ruines et leurs femmes et enfants captifs. Ils rachetèrent alors leurs familles, et les musuhnans reçurent ainsi des sommes immenses. L’un de ces hommes, dont la femme et les 2 enfants étaient échus à un musulman, qui en demandait 10 000 dr., dit : J’épouserai une autre femme, et dans deux ans, j’en aurai eu deux autres enfants. Je ne vous donne pas 10 000 dr ! Les habitants de Paykand se mirent ensuite à reconstruire leur ville et consentirent à payer un tribut annuel. Qutayba leur garantit la paix par une Convention écrite. Muhammad b. Jarîr, en parlant de l’honnêteté de ‘Abdallah b. Wâlân al-‘Adawî à qui Qutayba avait confié la garde du butin de Paykand, et de celle de son père, raconte le fait suivant : Un jour Maslama dit à Wâlân : « Je voudrais, si tu y consens, te confier une certaine somme d’argent que je te réclamerai quand je me trouverai plus en sûreté qu’à présent ; mais il faut que cela reste un secret pour tout autre que toi et moi. -Envoie-le-moi par un de tes hommes de confiance, à tel endroit, et dis-lui de le remettre à l’homme qu’il y verra, sans rien lui dire, et de s’en retourner ensuite » ; répondit Wâlân. Maslama placa l’argent dans un sac de cuir, qu’il fit charger sur un mulet, et dit à un de ses esclaves : Conduis le mulet à tel endroit ; là tu verras un homme à qui tu remettras ce sac, sans rien lui dire, puis tu reviendras. L’esclave partit. Wâlân s’était rendu à l’endroit désigné et avait attendu le messager de Maslama. Comme le temps convenu était passé sans qu’il ait vu arriver, il pensa que Maslama avait changé d’avis et s’en alla. A la même heure, un homme de la tribu Taghlib vint à passer, par hasard, près de cet endroit et s’y assit. L’esclave de Maslama, en y arrivant, voyant un homme assis, arrêta le mulet, déchargea le sac, le déposa par terre et s’en retourna. L’homme de Taghlib, en apercevant le sac que personne ne gardait, se leva, le prit et le porta chez lui. Cependant Maslama croyait qu’il était parvenu entre les mains de Wâlân et n’en parla plus jusqu’au moment où il en eut besoin. Alors il réclama à Wâlân son argent. Wâlân lui répondit qu’il n’avait point reçu de dépôt. Maslama, fort irrité, s’en allait partout se plaindre de Wâlân et l’accusait de fraude. Un jour, dans une réunion, lorsque Maslama se plaignait de ce que lui avait fait Wâlân, l’homme de Taghlib, qui était présent, le prit à part et lui demanda les détails de ce fait. Maslama les ayant racontés, il le mena ehez lui, apporta le sac et lui dit : « Le reconnais-tu comme le tien? -Oui, répondit Maslama. -Y vois-tu ton cachet intact? -Il est intact. » Alors l’homme de Taghlib lui rendit cet argent, en lui racontant comment il l’avait reçu. Maslama en eut une grande joie. Puis il allait partout, où il avait répandu ses accusations contre Wàlàn, pour déclarer son innocence.   CONQUÊTE DE BUKHARA, DE NAKHSHAB ET DE KISH, MORT DE NIZEK.   Quand Qutayba, après avoir fait la paix avec les habitants de Râmthena, retourna par la route de Balkh, il reçut une lettre de Hajjâj, qui lui ordonna de marcher contre Wardân-Khodâ. En conséquence, Qutayba traversa le fleuve, en l’an 89/708, soumit les cités de Sughd, Kish et Nakhshab, à la limite du désert, en y faisant un nombreux butin, et marcha ensuite sur Boukhârâ. Il ne réussit point à s’emparer de cette province et retourna à Merw. A celle nouvelle, Hajjâj lui écrivit une lettre et lui demanda la carte de cette province. Qutayba fit tracer la carte et la lui envoya. Hajjâj lui adressa alors une lettre ainsi conçue : « Tu dois te repentir d’avoir fait ce que tu as fait, c’est-à-dire d’avoir abandonné ta conquête. Pars, et attaque tel endroit. » Puis il ajouta : « Écrase Kish, détruis Nasaf (Nakhschab), et repousse Wardân. Prends garde de te laisser encercler, et laisse-moi le soin de t’indiquer les difficultés du chemin ! » Hajjâj, en effet, était l’un des maîtres dans l’art de manier la langue arabe.   En celte année, Al-Walîd donna à Khâlid b. ‘Abdallah al-Qasrî, le gouvernement de la Mecque. Maslama b. ‘Abd al-Malik, attaqua les Türük du côté de l’Adhurbayjân ; il s’avança jusqu’à Derbend, et s’empara d’un grand nombre de villes et de forteresses.   Lorsque Qutayba reçut la lettre de Hajjâj, qui lui ordonna de marcher contre Wardân-Khodâ et d’attaquer la province de Boukhâra à un point qu’il lui désignait, il quitta Merw, traversa le fleuve, au commencement de l’an 90/709, et marcha sur Bukhâra. Wardân-Khodâ envoya des messagers à Sughd et dans toutes les contrées voisines habitées par les Turcs, leur demandant secours. Mais Qutayba, devançant l’arrivée de ces auxiliaires, vint mettre le siège à la cité de Wardân-Khodsâh. Celui-ci, lorsque ses alliés s’approchèrent, sortit de la ville et attaqua les musulmans. Les gens de la tribu d’Azd demandèrent à Qutayba de leur permettre de combattre séparément. Ils s’avancèrent et chargèrent les Türük ; mais après avoir lutté quelque temps, ils furent culbutés et rejetés sur le camp, où, dans leur fuite désordonnée, ils passèrent sur les corps des musulmans. Alors les femmes frappèrent les têtes de leurs montures et les repoussèrent vers le champ de bataille ; ils chargèrent de nouveau l’ennemi et le firent reculer jusque dans ses premières positions, d’où il ne fut pas possible de le déloger. Qutayba adressa en vain un appel à son armée, afin d’attaquer ces positions ; aucune tribu ne se présenta pour tenter cette entreprise. Il se tourna enfin vers les B. Tamîm. Waqî‘ b. Abu Sud, leur chef, remit le drapeau à Huraym b. Abû Tâhma al-Mujâsha, qui commandait leur cavalerie, et lui donna l’ordre de faire avancer son corps. Huraym se mit en marche;  mais arrivé à un ruisseau qui se trouvait entre l’armée musulmane et les Türük, il s’arrêta. Waqî’ lui dit : « Avance, ô Huraym ; excite ton cheval ! -Si je le fais, répliqua Huraym, et l’entreprise manque, ne sera-ce pas la perte de toutes nos troupes, ô imbécile ? -Est-ce que tu veux résister à mes ordres ? » s’écria en un juron Waqî‘, avant de le frapper de la lance qu’il tenait dans sa main. Huraym excita son cheval et sauta au bord opposé du ruisseau, et il fut suivi par ses cavaliers. Cependant Waqî’ mit pied à terre, et fit établir un pont ; puis il dit à ses compagnons : « Que ceux d’entre vous qui veulent jouer leur vie, passent ; que les autres restent ! » 800 hommes passèrent le pont. Waqî‘ dit à Huraym : «  Je veux fondre sur eux avec ces fantassins ; toi, de ton coté, occupe-les avec ta cavalerie ! » Waqî’ attaqua les Türük, et peu de temps après, Huraym les chargea avec fureur, et les T lâchèrent pied. Qutayba cria aux soldats : « Vous voyez que les ennemis fuient. » Les musulmans se précipitèrent vers le pont ; ils ne l’eurent pas encore traversé, que les T étaient en pleine déroute. Alors Qutayba fit proclamer que chacun qui lui apporterait une tête d’ennemi recevrait 100 dr.. Tous les soldats s’empressèrent de lui présenter des têtes et de gagner la récompense. Il arriva, ce jour, que 11 individus, apportant chacun une tête, défilèrent devant Qutayba, et chacun d’eux déclara être de la tribu de Quraysh. Un homme de la tribu d’Azd, qui vint après eux, et à qui on demandait, comme aux autres, à quelle tribu il appartenait, répondit également : « Je suis de la tribu de Quraysh. -Non, il est d’Azd ! dit quelqu’un qui assisttait à cette scène. -J’ai pensé, dit l’Azdî, que chacun qui apportait une tête devait dire : Je suis de la tribu de Quraysh. Cette réponse fit rire Qutayba. Les T furent complètement battus et un grand nombre d’entre eux furent tués. Le Khâqân et son fils furent blessés. Les musulmans firent un butin immense. Lorsque les habitants de ces contrées virent ce qui était arrivé aux gens de Bukhârâ, ils tremblèrent tous devant Qutayba. Tarkhôn, roi des T, qui était venu avec son armée pour prendre part à la guerre, et qui était séparé des musulmans par le fleuve de Bukhârâ, ayant été témoin de l’issue de la bataille, envoya un messager à Qutayba et demanda la paix, en offrant de payer une certaine somme. Qutayba consentit, et Tarkhôn lui ayant envoyé de l’argent, il retourna ensuite à Merw, emmenant avec lui Nizek.   Quelque temps après, Nizek le quitta et rompit la paix qu’il avait conclue avec lui ; il s’enferma dans sa forteresse et prépara la guerre. Qutayba vint pour le combattre. Voici les circonstances de cette rupture. Après la guerre de Bukhârâ, Nîzek craignait Qutayba. Il dit à ses familiers : « Je ne me sens pas en sûreté avec cet homme ; car c’est un Arabe. L’Arabe, d’ailleurs, ressemble au chien qui, quand on le bat, aboie, et qui se tait quand on lui donne quelque chose. De même celui-là : quand on lui fait la guerre, il fait la guerre ; et quand on lui offre la paix et qu’on lui donne quelque chose, il est content et oublie ce que l’on lui a fait. Voilà Tarkhon, qui lui a déclaré la guerre tant de fois ; aussitôt qu’il demande la paix, il y consent et est satisfait. Je crois que je ferais bien de lui demander l’autorisation de le quitter. » Ses familiers répondirent : « Fais comme tu l’entends. » Nizek demanda à Qutayba la permission de se rendre dans le Tukhâristan. Qutayba la lui accorda. Nizek partit et se dirigea d’abord vers Balkh. Quand il arriva à Nûbehâr, il dit à ses compagnons : « Je suis certain que Qutayba regrette de m’avoir laissé partir et qu’il va envoyer un messager à Mughayra b. ‘Abdallah (c’était le gouverneur de Noubehâr) pour lui ordonner de me retenir. » Et il reprit aussitôt son voyage et gagna le Tukhâristân. Après son départ, un messager vint en effet de la part de Qutayba, apportant l’ordre que Nizek avait prévu. Mughayra b. ‘Abdallah, se mit en route pour le poursuivre, mais il revint sans avoir pu l’atteindre. Nizek se jeta dans les défilés de Khûm et leva ouvertement l’étendard de la révolte. Puis il envoya des messagers aux princes de Balkh, de Merw-Rûd, de Tâleqân, de Faryàb et de Gûzegân, et les décida tous à se déclarer contre Qutayba. Il députa également vers le Kâbûl-Shâh et lui fit dire : « Quand nous aurons besoin de toi, ne nous refuse pas ton secours. » Et il lui eofora tous ses effets mobiliers. Le K Sh consentit était r^ssad da roî de Tukharistân s’empara de la personne de ce roi nommê Jayhan ???? et le retint dans les einloes. Puis il chassa Muhammad b. Suhaym, agent de Qutayba dans le Tukharistân.   Lorsque Qutayba reçut la nouvelles de ces évènement, il n’avait auprès de lui d’autre armée que les gens de Merw car ses soldats s’étaient dispersés. Il fit partir aussitôt son frère ‘Abd-ar-Rahmân arec 12 000 hommes pour Balkh, en lui donnant pour instructions de camper, sans faire aucun mouvement, aussi longtemps que durerait l’hiver et au printemps, de marcher sur le Tokhàristin, où il irait le rejoindre. Vers la fin de l’hiver, Qutayba fît lever des troupes dans les différentes contrées du Khurâsân et marcha sur Tâleqân. Les rois qui avaient fait cause commune avec Nizek, vinrent à sa rencontre avec une armée innombrable. Une bataille eut lieu, et au premier choc, les T furent mis en déroute par l’avant-garde de Qutayba qui était commandée par ‘Abd-ar-Rahmân. Celui-ci cria à ses soldats de ne point donner quartier aux ennemis. Un grand nombre de ceux-ci furent massacrés, d’autres furent pendus, et on dit que 2 rangs de gibets occupaient l’espace de 4 frs, et que les pendus avaient la face tournée les uns vers les autres. Qutayba alla ensuite à Merw-Rûd. Le roi de cette ville s’était enfui. Qutayba saisit ses deux ??? et les fit mettre à mort. Les autres rois de la contrée firent leur soumission. Il vint ensuite à Balkh, où il ne resta qu’un jour. Le sipehbed de Balkh se soumit également. Lorsque Qutayba arriva aux défilés de Khûlm, Nizek se retira à Baghiân, où il établit son camp, en laissant une partie de ses troupes pour défendre les défilés. Qutayba fit halte près du château de Nizek, mais il essaya en vain de le prendre. Il était dans cet embarras, lorsque Rwîkhân (?), roi de Semengàn et de Rûb, vint lui demander l’aman et ??? à montrer aux musulmans un chemin conduisant au château de Nizek. Qutayba consentit, et Rwîkhân conduisit les soldats, en contournant les défilés, jusqu’à l’endroit où se trouvaient les troupes qui gardaient rentrée des défilés. La plupart de ces T furent massacrés, quelques-uns réussirent à s’échapper. L’armée de Qutayba occupa les défilés, et vint ensuite à Semengàn. Semengàn est séparée de Baghlân, où se trouvait Nîzek, par un désert difficile à traverser. Après être resté quelque temps à Semengàn, Qutayba, précédé par ‘Abd-ar-Rahmân et l’avant-garde, se mit en marche pour attaquer Ntzek. Celui-ci, en apprenant l’approche de Qutayba, envoya ses effets mobiliers et ses richesses au roi de Kaboul, quitta Baghlàn et se retira à Kerz, lieu dont la position était remarquablement forte : il n’était abordable que d’un seul côté, et cette seule route n’était même pas accessible aux cavaliers.   Qutayba établit son camp devant cette forteresse et assiégea Nizek rigoureusement, en occupant toutes les routes et tous les passages. Après 2 mois de siège, il ne restait à Nizek qu’une petite quantité de vivres. D’un autre côté, comme l’hiver approchait, Qutayba craignait d’être forcé de rester dans cette contrée tout l’hiver. Il fit donc appeler Sulaym le Conseiller et lui dit : Va trouver Nîzek et cherche à le persuader à venir ici avec toi, sans lui promettre sa grâce. Si tu ne peux pas le déterminer, promets-lui sa grâce; mais si tu reviens sans l’amener, je te ferai pendre. Sulaym répondit : « Écris à ‘Abd-ar-Rahmân pour qu’il fasse tout ce que je lui demanderai de faire. » Qutayba adressa à ‘Abd-ar-Rahmân une lettre, comme l’avait désiré Sulaym, et celui-ci partit. Arrivé auprès de ‘Abd ar-Rahmân, il lui dit : « Fais-moi accompagner par un certain nombre d’hommes, qui devront garder l’entrée des défilés, afin de m ‘assurer les moyens de revenir. » ‘Abd-er-Ra’hmân lui donna un détachement de soldats, auxquels il recommanda d’exéculer tout ce que Sulaym leur ordonnerait de faire. Sulaym, prenant avec lui quelques charges de vivres, se rendit auprès de Nizek. Celui-ci lui dit : « M’as-tu trahi ? -Je ne te trahirai pas, répondit Sulaym ; mais tu tes révolté et tu as conspiré ! -Que me conseilles-tu de faire? demanda Nizek. -Je te conseille de te rendre auprès de Qutayba ; car il a l’intention de rester ici tout l’hiver, au risque d’y périr. -Comment pourrais-je y aller, sans avoir obtenu l’Amân ? -Je pense, dit Sulaym, que Qutayba t’accordera l’Amân et qu’il n’a pas de mauvaises intentions à ton égard. Mais je ne vois pas de meilleur moyen pour toi, pour obtenir ta grâce, que de te rendre auprès de lui, seul et en secret ; si tu fais cela, il sera obligé d’être généreux et il sera satisfait de toi. -Voilà ce que tu crois être le meilleur parti à prendre ? -Je le crois. -Moi, je crains que Qutayba ne me fasse mettre à mort, aussitôt qu’il me verra. -Je suis venu, reprit Sulaym, pour te donner un bon conseil, et en le suivant tu t’en trouveras bien ; mais si tu ne veux pas le suivre, je m’en retourne. -Partage au moins notre repas, dit Nizek. -Je n’ai besoin de rien, répliqua Sulaym ; j’ai avec moi des vivres. » Et il donna l’ordre de les lui apporter. Lorsque les gens de Nizek virent des vivres qu’ils n’avaient pas vus, depuis qu’ils étaient assiégés, ils se précipitèrent sur tous ces objets et les enlevèrent. Nizek fut très-fâché de cette scène. Sulaym lui dit : « Je te le dis de bonne foi : tes compagnons sont démoralisés ; et si le siège devait durer plus longtemps, je crains qu’ils ne te trahissent. Viens auprès de Qutayba, et j’espère que tout ira selon tes désirs. -Je ne peux pas y aller sans avoir obtenu l’Amân. -Mais il te l’a donné; est-ce que tu doutes de moi ? -Non. -Eh bien, dit Sulaym, viens avec moi. » Les amis de Nizek l’engagèrent à suivre le conseil de Sulaym qui leur parrait raisonnable. Alors Nizek demanda son cheval et partit, accompagné de plusieurs de ses parents et de ses compagnons. Lorsqu’ils furent arrivés au bas du château, il dit à Sulaym : « Si personne ne connaît le moment de sa mort, moi je le connais ; je mourrai aussitôt que je verrai Qutayba ; car il ne me laissera pas la vie. -Ne parle pas ainsi, répliqua Sulaym ; tout ira bien. » Quand ils sortirent de l’enceinte, les hommes que Sulaym avaient laissés à la garde de l’entrée du défilé, accoururent et empêchèrent la suite de Nizek de le franchir. Nizek dit : « Voilà le premier piège. -Non, répliqua S. Il vaut mieux pour toi qu’ils restent ici » Lorsque Nîzek arriva dans le camp de Qutayba, celui-ci le fit conduire dans une tente, autour de laquelle on creusa un fossé ; et il y fut gardé. Qutayba fit ensuite occuper le château de Nizek. On en enleva tous ses biens, et les hommes qui composaient la garnison furent enchaînés et amenés au camp.

Hajjâj, informé par une lettre de Qutayba de ce qui venait de se passer, répondit en ces termes : « Fais mettre à mort Nîzek, qui est un homme dangereux et un fourbe et ennemi des musulmans ; voilà plusieurs fois qu'il s’est soumis et qu'il a renié. »
La lettre de Hajjâj arriva après 40 jours. Qutayba fil appeler Nîzek, et lui dit :
« Tu n'as pas d'Aman de moi.
-Non ; mais je l'ai de Sulaym, répondit Nizek.
-Tu mens, ennemi de Dieu ! répliqua Qutayba. Personne ne voudrait donner l'amân à un homme comme toi ! »
Puis il sortit et donna l'ordre de ramener Nîzek dans sa prison. Il resta ensuite 3 jours sans recevoir personne. Le quatrième jour, il donna audience à ses officiers et demanda leur

avis pour savoir s’il fallait tuer Nîzek, ou non. Quelques-uns dirent :

« Il faut le tuer ; car il est ennemi de Dieu et de la Loi du Prophète. »

D’autres dirent :

« Tu lui as donné l’amân ; il ne faut pas le tuer. »

D’autres enfin déclarèrent qu’ils ne pouvaient pas répondre de sa vie quant aux soldats, qui

voudraient le massacrer. Qutayba demanda alors l’opinion de Dhirâr b. Husayn, qui venait d’entrer. Dhiràr parla ainsi :

« Je t’ai entendu dire que tu avais fait envers Dieu le vœu de tuer Nizek, quand tu pourrais t’emparer de sa personne. Si tu ne le tues pas, Dieu ne te donnera plus la victoire sur lui. »

Qutayba baissa la tête; et après avoir réfléchi quelque temps, il s’écria :

« Par Dieu, quand même je devrais expirer après avoir prononcé le mot : « Tuez-le ! » je le prononcerais. »

En conséquence, Nizek, ses 2 neveux, Ça’ûl et ‘Uthmân, et les autres prisonniers, au nombre d’environ 700, furent mis à mort, et Qutayba envoya leurs tèles à Hajjâj.

Lorsque Qutayba fut de retour à Merw, le roi de Gurgân, qui avait fait cause commune avec Nîzek et qui s’était enfui, lui fit demander l’Amân. Qutayba le lui accorda, à condition qu’il

vint se présenter lui-même et qu’il donnât des otages. De son côté, il envoya comme otage Habîb b. ‘Abdallah al-Bâhilî.

Le roi de Gurgân lui envoya plusieurs membres de sa famille ; il vint ensuite lui-même et conclut la paix avec Qutayba. En retournant dans sa province, il mourut à Tâleqân. Les habi-

tants de Gurgân prétendirent qu’il avait été empoisonné, et ils massacrèrent Habib. A cette nouvelle. Qutayba fit mettre à mort les otages du roi de Gurgân.

 

En l’an 9? Qutayba marcha contre Shûmân, Kesh et Nakhschab.

‘Alî-shâh, roi de Shûmân, avait chassé l’agent de Qutayba et avait refusé de payer le tribut annuel. Qutayba y envoya ‘Ayyàsh Al-Tamîmî et un homme du Khurâsân, pour exiger le tribut qui avait été stipulé. Lorsque les 2 députés arrivèrent à la porte de la ville de Shûmân, quelques habitants sortirent à leur rencontre et leur refusèrent l’entrée.

L’homme du Khurâsân se retira ; mais ‘Ayyâsh les attaqua et les repoussa ; cependant l’un d’eux, un musulman, nommé Huhailab, se glissa derrière lui et le tua. On dit que ‘Ayyâsh

avait reçu 60 blessures. Les habitants de la cité regrettèrent cette mort, en disant : Il ne fallait pas tuer un tel homme.

Qutayba, à la nouvelle de cet événement, quitta Merw et vint à Shûmàn. Le roi s’enferma dans la citadelle. Qutayba fit dresser des machines et poussa l’attaque avec vigueur. Quand le roi de Shûmàn reconnut qu’il allait succomber, il fit enfouir toutes ses richesses en fait d’or, d’argent et de pierres précieuses ; puis il sortit du château, lui et ses compagnons, et ils

combattirent jusqu’à ce qu’ils furent tués.

Qutayba, s’étant emparé d’un nombreux butin et ayant emmené beaucoup de captifs, marcha les villes de Kish et de Nakhschab, qui furent également prises. Il envoya son frère ‘Abd-ar-Rahmân contre Tarkhôn, roi de Sughd. Tarkhôn demanda la paix et paya tribut. ‘Abd-ar-Ra Rahmân quitta ensuite le Bukhârà et revint auprès de Qutayba ; puis ils retournèrent ensemble à Merw.

Cependant les habitants de Soghd s’insurgèrent contre Tarkhôn, parce qu’il avait consenti à une paix humiliante. Ils lui dirent :

« Tu es un vieillard, et tu es incapable de nous gouverner. »

Il répondit : « Choisissez un autre roi. »

Alors les habittants de Sughd choisirent pour roi Ghuzek et mirent Tarkhôn en prison. Tarkhôn dit :

« Après avoir perdu le trône, il ne peut manquer de m’arriver d’être tué. Il vaut mieux mourir de ma propre main que de la main d’un autre. »

Et il appuya la poignée de son sabre contre la terre et se perça le corps.

 

EXPEDITION DE QUTAYBA DANS LE KHARIZM.

 

Tshîghân, roi de Khârizm, avait un frère, plus jeune que lui, nommé Khor-Zâd, qui bravait son autorité et qui commettait toutes sortes d’excès. Quand il apprenait que Tshîghân

avait reçu un présent, soit une belle esclave ou une monture ou une étoffe précieuse, il s’en emparait ; de même, quand on lui disait que quelqu’un avait une sœur, ou une fille ou une

femme, dont on vantait la beauté, il la faisait enlever et la gardait. Il dépouillait, tuait ou emprisonnait les citoyens, et faisait tout ce qu’il voulait ; et personne n’osait lui résister ; et

quand on se plaignait à Tshîghân, il répondait qu’il était hors d’état de réprimer son frère. Enfln, ne pouvant supporter plus longtemps le chagrin que lui causait la conduite de son

frère, Tshîghân envoya secrètement un messager à Merw et fît inviter Qutayba à venir dans le Khârizm. Il lui fit présenter 3 des clefs d’or du Trésor de Khârizm et la clef de sa cité, en

ajoutant la promesse que, si Qutayba le débarrassait de son frère, il se soumettrait à tout ce qu’il lui plairait d’ordonner. L’ambassadeur de Tshîghân arriva à Merw à cette époque de l’année où l’on entrait habituellement en campagne, et Qutayba, qui se trouvait prêt, lui donna une réponse favorable. Puis il fit semblant de vouloir marcher sur le Sughd.

 

Lorsque Khor-Zâd apprit que Qutayba s était mis en campagne pour envahir le Sughd, il réunit ses gens et leur dit :

« Sachez que Qutayba marche contre la Soghdiane. Vous n’avez rien à craindre de lui. Voici le printemps, c’est le moment de boire et de nous réjouir. Ils firent ainsi et ne connurent les

desseins de Qutayba que lorsqu’il arriva à Hezâresp sur le Jayhûn, l’une des 3 cités principales du Khàrizm dont la plus grande était Madinat-al-Fîl. Alors les Khàrîzmiens

allèrent trouver Tshighàn et lui demandèrent quelles mesures il allait prendre pour repousser l’ennemi. Tshîghân répondit :

« C’est à mon frère d’aviser, allez trouver Khor- ! »

Cependant, celui-ci venait d’apprendre que c’était son frère qui avait appelé Qutayba. Il voulut le tuer, mais il craignait l’armée. Il se retira alors avec tous ses hommes à Medînat al-Fîl, tandis que Tshîghân livra les autres villes à Qutayba, et se rendit en personne auprès de lui. Khor-Zàd, se sentant menacé, fit demander à Qutayba l’aman. Qutayba lui répondit :

« C’est à ton frère que tu dois demander l’Amân, et s’il te l’accorde, tu l’auras aussi de moi. Khor-Zàd dit :

« Je sais qu’il faut mourir; il ne serait pas digne de moi de m’humilier devant mon frère, et je

préfère la mort. Il se mit à la tête de ses compagnons et alla au combat ; mais bientôt il fut fait prisonnier et amené à Qutayba. Celui-ci lui dit :

« Que penses-tu du sort que Dieu t’a fait ?

Khorzàd répliqua :

« Ne me blâme pas, ô Commandeur ! J’ai mis la main à l’épée, afin qu elle décidât entre toi et moi. Mais l’épée m’a trahi. »

Qutayba dit :

« Il en arrive toujours ainsi à celui qui se laisse gagner par la faiblesse. »

Puis il donna l’ordre de le mettre à mort. Tshîghân lui dit alors :

« Tu ne m’as pas encore entièrement satisfait, ô Commandeur !

-Que veux-tu ? demanda Qutayba.

-Je désire que tu fasses tuer tous ses compagnons.

-Eh bien, reprit Qutayba, amène-les ! »

Tshighàn les fit rechercher, et tous eurent la tète tranchée et leurs hiens confisqués. Qutayba vint ensuite à Madînat-al-Fîl, où il reçut ce que Tshighân s’était engagé à donner, à savoir 100 m esclaves et autant de pièces d’étoffe.

Muhammad b. Jarîr n’a mentionné que brièyement les faits relatifs à Tchlghàn ; nous avons complété son récit.

 

Tshighân demanda encore à Qutayba de lui prêter son aide contre le roi de Khàmjerd, qui attaquait continuellement son territoire. Qutayba envoya contre ce roi son frère Abd-ar-

Rahmàn. Celui-ci tua le roi et fit la conquête de son pays ; il en ramena 4 000 prisonniers, que Qutayba fit mettre à mort. Qutayba retourna ensuite à Herw.

 

PRISE DE SAMARQAND :

 

Après avoir terminé la campagne de Khàrizm, Qutayba désirait attaquer Sughd et Samarqand, car les habitants du Sughd avaient violé le traité de paix et avaient mis sur le trône un nouveau roi, nommé Ghurek. Un homme de la tribu de Sulaym, Mujashir b. Muzàhim, vint le trouver et lui demanda un entretien secret. Qutayba ayant fait sortir tout le monde, Mujashir lui dit :

« Si tu veux envahir le Sughd, fais-le maintenant ; ce sera facile, car nous n’en sommes éloignés que de 10 j.

-As-tu parlé de cela à quelqu’un ? lui demanda Qutayba

-Non, répondit Mujashir

-Quelqu’un t’en a-t-il parlé ?

-Non

-Eh bien, reprit Qutayba, je jure que, si un autre en parle, je te ferai couper le cou ! Qutayba fit ensuite appeler son frère ‘Abd-ar-Rahmân et lui ordonna de faire partir les bagages pour Merw.

‘Abd-er-Ra’hmân fit annoncer cet ordre dans le camp, et se mit en route. Le lendemain matin, il reçut une lettre de Qutayba qui lui prescrivit d’envoyer les bagages à Merw et de diriger immédiatement l’armée, cavaliers et fantassins, vers le Sughd, sans faire connaître le but de sa

marche. Qutayba ajouta qu’il allait lui-même le suivre. ‘Abd-ar-Rahmân exécuta cet ordre. Qutayba, au moment de se mettre en route, harangua ses troupes et leur dit :

« Vous savez que les habitants de Sughd ont violé le traité de paix et refusent d’acquitter le tribut qu’ils s’étaient engagés de payer. Vous savez aussi ce qui est arrivé à Tarkhôn. Or Dieu a dit dans son Livre : « Celui qui se parjure, le fait à son propre dommage » (XLVIII, 40) Donc partez et marchez contre eux. J’espère qu’il en sera des captifs de Samarqand comme des captifs de Qurayzha et de Nadir. »

 

Qutayba arriva à Sughd 4 jours après ‘Abd-ar-Ra’hmân. Le nombre de leurs soldats était de 20 000. Le roi de Samarqand était Ghurek, qui avait été mis sur le trône à la place de Tarkhôn, comme nous l’avons raconté. Qutayba mit le siège à la ville de Samarqand et la bloqua tout

autour. Les habitants firent de fréquentes sorties et attaquèrent les musuhnans sans relâche. Puis, un jour, plusieurs d’entre eux parurent sur le rempart et crièrent aux assiégeants :

« Pourquoi, ô Arabes, nous faites-vous la guerre et pourquoi dépensez-vous vos efforts inutilement ? Sachez que nous avons trouvé dans un livre que notre forteresse ne sera prise que par un homme qui s’appellera « Selle » (Samar en Turc : selle)

Abandonnez votre entreprise, et ne faites pas de vains efforts ! Qutayba, en entendant ces paroles, s’écria :

« Dieu est grand ! C’est mon nom ; je m’appelle Qutayba (pommeau ?) ! En avant, attaquez-les ! Et ce jour-là beaucoup d’habitants de la ville furent tués. Cette circonstance n’a pas été rapportée par Muhammad b. Jarîr ; mais elle se trouve dans d’autres ouvrages. Le roi de Samarqand adressa alors au roi de Shâsh une lettre, dans laquelle il lui disait :

« Les Arabes sont venus nous attaquer ; et s’il arrive qu’ils triomphent de nous, ils se tourneront ensuite contre vous. Nous sommes votre bouclier. »

En conséquence, les habitants de Shâsh, ayant résolu de marcher au secours de Samarqand, envoyèrent un messager à Ghurek et lui firent dire :

« Engage des combats avec les ennemis et occupe-les, tandis que nous tomberons par derrière

et à l’improviste sur leur camp. »

Un corps de 2 000 hommes choisis, tous guerriers de renom, se mirent en route.

Qutayba, averti de leur dessein, choisit dans son armée 700 guerriers et leur dit :

« Sachez que des gens de Shâsh veulent nous surprendre. Partez et mettez-vous en embuscade

à tel endroit de la route par laquelle ils doivent passer. »

Çâlih b. Muslim, qui commandait cette expédition, partagea son détachement en 3 corps ; il posta 2 à D et à G de la route, et se tint à proximité avec le troisième. Les gens de Shâsh arrivèrent vers minuit, sans se douter d’un danger.

« En apercevant le corps de Çâlih, ils s’arrêtèrent et engagèrent le combat. A ce moment, les deux autres corps arabes accoururent et tombèrent sur eux. Un musulman, nommé Sha‘ba,

asséna un coup de sabre à l’un des guerriers de Shâsh, un prince, et l’ayant frappé sous l’oreille, il fit voler sa tête en l’air. A ce spectacle, les gens de Shâsh prirent la fuite. Les Arabes les poursuivirent l’épée dans les reins et les tuèrent tous, de sorte que pas un seul n’échappa. Puis ils leur coupèrent les têtes qu’ils emportèrent avec eux, en même temps qu’un riche butin en fait d’armes, de colliers d’or et de belles montures ; car ce corps de troupes avait été composé exclusivement de princes et de gens nobles.

 

Les Arabes les poursuivirent l’épée dans les reins et les tuèrent tous, de sorte que pas un seul n’échappa. Puis ils leur coupèrent les têtes qu’ils emportèrent avec eux, en même temps qu’un riche butin en fait d’armes, de colliers d’or et de belles montures ; car ce corps de troupes avait été composé exclusivement de princes et de gens nobles.

 

Le lendemain de ce combat, Qutayba donna l’ordre d’attaquer la ville. Ghûrek lui fit dire :

« Si tu peux me faire la guerre, c’est que mes frères persans sont avec toi. Envoie des Arabes, tu verras alors comment l’affaire tournera. »

Qutayba, irrité de cette parole, fit faire l’appel des guerriers arabes et les envoya au combat; puis il fit établir des machines et battre les murs.

Il y eut bientôt une brèche. Un guerrier sughdi vint se placer à l’endroit même où le mur s’était écroulé. Qutayba appela ses archers et leur dit :

« Quiconque d’entre vous veut tirer sur cet homme et le tue, recevra une récompense de 10 000 dr. ; mais s’il le manque, je lui ferai couper la main. L’un des archers s’avança et visa l’ennemi. La fièche atteignit le Sughdî au ventre et il tomba. L’archer vint auprès de Qutaybaet reçut les 10 000 dr. Alors les Türük crièrent aux musulmans :

« Cessez le combat aujourd’hui ; demain nous ferons la paix ! »

Qutayba dit aux soldats :

« Ces T n’ont plus de force ; cessez le combat ! »

Le lendemain il fit la paix avec les habitants de Samarqand. Ghûrek s’engagea à payer un tribut annuel de 10 M de dr. et à livrer la première année 3000 esclaves, parmi lesquels ne seraient ni enfants, ni vieillards, et de plus tous les ornements qui se trouvaient dans les temples du feu. Il fut stipulé en outre, que toutes les idoles seraient brûlées, que Qutayba aurait le droit de bâtir une mosquée dans la ville, qu’il y prononcerait le sermon, et qu’il ne quitterait la ville qu’après y avoir pris un repas. Ghûrek, ayant accepté ces conditions, fit préparer un repas opulent.

 

Qutayba fit son entrée dans Samarqand avec 400 hommes qu’il avait choisis parmi ses familiers et les officiers de l’armée, Ghûrek vint à sa rencontre, lui rendit hommage et marcha devant lui jusqu’à la porte du temple. Qutayba y entra et prit place, et Ghûrek se tint debout devant lui. Qutayba se rendit ensuite à la mosquée et fit 2 Inclinaisons. Puis il fit apporter les idoles et après les avoir fait dépouiller de leurs ornements, il donna l’ordre de les brûIer.

Les gens de Samarqand lui dirent :

« Certaines de ces idoles sont particulièrement sacrées ; celui qui les brûlerait, périrait.

-Je les brûlerai moi-même, répliqua Qutayba. »

On lui donna du feu et il brûla toutes ces idoles de sa propre main. On en retira 50 000 L d’or et d’argent. Qutayba ayant demandé à manger, Ghûrek flt dresser des tables et apporter des mets variés. Lorsqu’il eut mangé avec ses compagnons, Qutayba appela les secrétaires et fit rédiger le traité de paix.

Des ouvrages autres que celui de Muhammad b. Jarîr rapportent que ce traité était conçu en ces termes :

« Au nom du Dieu Clément et Miséricordieux. Voici ce qui a été stipulé entre Qutayba, b. Muslim al-Bâhilî et Ghûrek b. A’sld b. Afscbin Al-Sughdî. Le traité est placé sous la sauvegarde de Dieu et du glorieux Muhammad, sous la sauvegarde de Walîd b. ‘Abd al-Malik, de Hajjâj et de Qutayba et de tous les musulmans… »

La paix était accordée à Samarqand et son territoire, à Kich et à Nakhshab avec leurs territoires, et Ghûrek s’engagea à payer un tribut annuel de 10 M de + 200 m. dr au ‘Âmil, et à livrer 3000 esclaves, parmi lesquels il n’y aurait ni enfant ni vieillard. Il s’engagea en outre à reconnaître la suzeraineté de Walîd, de Hajjâj et de Qutayba. Quant au mode de payement, il était stipulé que chaque tête d’esclave serait évaluée à 200 dr, la L d’or 20 dr, et une grande pièce de brocard 100 dr. Qutayba, de son côté, prit l’engagement devant Dieu de ne faire aucun acte d’hostilité ouvert ou caché contre Ghûrek, après la conclusion de la paix, et à venir à son secours, s’il était attaqué par un ennemi. Il le confirma dans la possession et le gouvernement de Samarqand, de Kish et de Nakhschab et des terres, villes et forteresses qui en dépendaient, lui reconnaissait le droit de rendre des décisions souveraines, et de laisser la couronne à ses descendants. Il s’engagea à respecter cette convention aussi longtemps qu’il serait gouverneur du Khurâsân. Au bas du traité se trouvait la date de l’an 93/712.

Qutayba et plusieurs officiers et chefs, tels que Husayn b. Mûndîr, et d’autres, en qualité de témoins, apposèrent leurs cachets et remirent cet acte à Ghûrek.

Qutayba retourna ensuite à Merw et annonça la prise de Sam. à Hajjâj, en lui envoyant le Quint du butin. Hajjâj lui répondit :

« Dieu t’a accordé des victoires et des conquêtes qu’il n’avait données à aucun homme

avant toi. Accepte ce que Dieu te donne et sois reconnaissant, ô Qutayba. En effet, dans le service de la religion de Dieu, tu dois employer plutôt la force et la vigueur, que la douceur et

rindulgence. Conduis d’une main ferme les aifaires du Khurâsân que Dieu t’a confiées.

M. b. Jarîr rapporte que Qutayba, en retournant à Merw, laissa à Sam. son frère ‘Abdallah avec un corps d’armée et tous les armements nécessaires. Il lui recommanda de ne laisser entrer dans la ville aucun infidèle sans lui apposer, sur la main, un cachet d’argile, et de le tuer, s’il n’avait pas quitté la ville avant que l’argile fût sèche. Tout indigène qui aurait des armes,

devait être mis à mort sur le champ ; de même quiconque se trouverait dehors pendant la nuit, les portes de la ville devant être fermées. Qutayba insista pour que ces instructions fussent

rigoureusement appliquées.

 

EXPÉDITION DE QUTAYBA CONTRE SHÂSH ET FERGHANA.

 

Au commencement de l’an 94/713, Qutayba quitta Merw, traversa le fleuve et marcha contre Shâsh et Ferghâna. Les habitants de Kish, de Nakhshab et du Khârizm lui fournirent une armée de secours de 20 000 hommes, qu’il leur avait demandée. Lorsqu’il fut arrivé dans le Sughd, il envoya ces 20 000 hommes contre Shâsh. Il marcha lui-même contre Ferghana el s’avança jusqu’à Khojand. Les habitants de Ferghâna cherchèrent à le repousser et lui livrèrent plusieurs combats ; mais les musulmans furent toujours victorieux. Cependant, un jour, cédant à une panique, ils montèrent précipitamment à cheval. Un homme [indigène] qui, d’une hauteur, voyait la confusion de l’année arabe, et les soldats dispersés par groupes en diflerents endroits, s’écria :

« Par Dieu, si, aujourd’hui, nous attaquons les musulmans, ils seront battus ! Un autre, qui se trouvait à côté de lui, lui dit : « Ne parle pas ainsi ; agissons selon la parole de ‘Awf b. Al-Khazraj : Quand il s’agit de combattre, ne regardons pas si l’oiseau vole du côté G ou du côté D ! D’après la science de divination, on considère comme un heureux présage pour une armée qui part pour la guerre ou qui se trouve sur le point de combattre, quand elle voit un oiseau venant du côté droit ; c’est un mauvais présage, quand il vient du côté gauche. Il en est de même de la course d’un quadrupède). Les Türük attaquèrent les musulmans, mais ils furent mis en déroute, et Qutayba assiégea leur cité. Les habitants, voyant que toute résistance était inutile, demandèrent la paix et s’engagèrent à payer un tribut annuel.

 

Qutayba marcha ensuite sur Kâshân, cité du Ferghàna. Les habitants obtinrent la paix aux mêmes conditions que ceux de Samarqand. Les 20 000 hommes qui avaient été envoyés à Shâsh, revinrent de leur expédition chargés des dépouilles de l’ennemi. Puis Qutayba retourna à Merw.

 

En cette même année, Qutayba b. M entreprit une expédition contre Jâj et Ferghàna.

Il apprit la mort de Hajjâj, avant d’avoir atteint ces cités. Très affligé par cette nouvelle, il retourna à Merw. En effet, ‘Hajjâj lui avait toujours témoigné une grande estime. Qutayba fit son éloge en disant :

« Tant que tu restais en vie, je fus tranquille pour ma propre vie. »

De retour à Merw, Qutayba reçut de Walîd une lettre dans laquelle il était dit :

« Le AlM t’apprécie et a eu connaissance des guerres saintes que tu as entreprises et des victoires que tu as remportées sur les ennemis des musulmans. Il t’en honore et te remercie. Il faut que tu continues tes expéditions et que tu ne cesses point de compter sur la récompense de Dieu. Il faut aussi que tu restes continuellement en correspondance avec le prince des croyants, afin qu’il soit toujours informé de ta situation et de tes mouvements.

 

Conquête de Kashghar, par Qutayba, en CHINE.

 

L’avènement de Sulaymân inspira des craintes à Qutayba. Il se mit en marche avec son armée et traversa le Jayhûn, en amenant avec lui sa famille, afin de la mettre en sûreté à Sam. Après avoir traversé le fleuve, il se dirigea vers Kâshghar, qui est la cité la plus rapprochée de la frontière de la Chine. Le roi de Chine, informé de son arrivée dans cette cité, lui envoya un ambassadeur et lui fit dire : « Il faut que tu m’envoies l’un des officiers de ton armée, afin que nous puissions l’interroger, et qu’il nous renseigne sur votre religion. »

Qutayba choisit parmi les musulmans 12 hommes d’un extérieur distingué et sachant manier la parole, leur fit donner des armes et toutes sortes de vêtements d’apparat, des chevaux magnifiques, des harnachements et autres effets, et les députa vers le roi de Chine. L’un de ces envoyés était Hubayra b. Musharij Al-Kilâbî, homme d’une grande éloquence. Qutayba leur recommanda de dire au roi qu’il avait juré de ne point s’en retourner avant d’avoir foulé le sol de son empire, enchaîné ses officiers et reçu un tribut.

Lorsque ces envoyés furent arrivés à la résidence du roi, celui-ci les fit inviter à se présenter devant lui. Après s’être rendus au bain, ils mirent des vêtements blancs, des ceintures et des sandales et arrivèrent ainsi à l’audience. Le roi les fit asseoir, ainsi que tous les officiers et les grands du royaume. Personne ne parlait, ni le roi, ni les personnages de sa cour, ni les ambassadeurs. Quand ceux-ci se furent retirés, le roi, s’adressant à ses conseillers, leur demanda ce qu’ils pensaient de ces étrangers. Ils répondirent :

« Ce sont des gens qui ressemblent à des femmes ; aucun d’entre nous ne les a flairés sans sentir s’éveiller en lui des désirs. »

Le lendemain, invités de nouveau à paraître devant le roi, les musulmans se présentèrent en vêtements de couleurs, et portant des turbans de soie. Quand ils se furent retirés, sans que personne eût parlé, le roi demanda à ceux qui avaient assisté à l’audience : Comment les avez-vous trouvés aujourd’hui ? Ils répondirent :

« Aujourd’hui, ils ressemblent davantage à des hommes. »

Le troisième jour, appelés encore devant le roi, les ambassadeurs, ayant revêtu leurs cuirasses et leurs armures, le heaume sur la tête, le sabre au côté, la lance dans la main et l’arc sur l’épaule, montèrent à cheval, et se rendirent ainsi auprès du roi. Celui-ci, les voyant venir de loin, fut frappé de terreur par l’aspect formidable de ces hommes et de leur armement. Avant de leur avoir permis de s’asseoir, il donna l’ordre de les faire retirer. Il demanda ensuite aux gens de sa cour ce qu’ils en pensaient : Ceux-ci répondirent :

« Par Dieu, nous n’avons jamais vu des hommes aussi formidables et des guerriers si terribles ! ».

Alors le roi fit dire aux ambasssadeurs :

« Députez vers moi un Arabe, le plus intelligent d’entre vous. On envoya Hubayra. Le roi lui dit :

« Vous avez vu mon empire et ma puissance ; vous êtes entièrement en mon pouvoir, et personne ne pourrait vous en tirer. Je veux t’adresser une question ; dis la vérité, sinon je te fais mettre à mort, toi et tes compagnons. —

-Parle, répliqua Hobaïra.

-Pourquoi, reprit le roi, le premier jour où vous vous êtes présentés devant moi, étiez-vous habillés de telle manière, et le second jour, et le troisième, de telle autre façon ?: Le pre-

mier jour nous portions les habits que nous mettons quand nous nous rendons auprès des femmes et des enfants, répondit Hubayra, le second jour nous avions le costume dans lequel nous paraissons devant des grands personnages ; le troisième jour nous étions tels que nous allons combattre des ennemis.

-Tu as bien répondu, dit le roi, étonné de cette réponse, maintenant allez-vous-en auprès de votre chef et dites-lui qu’il s’en retourne, que je connais bien son ambition, et que je n’ignore

pas son fort et son faible. S’il ne se retire pas, j’enverrai des gens pour vous exterminer, vous et lui.

-Que peut faire quelqu’un dont les gens sont éloignés les uns des autres par tant de journées de marche ? répliqua Hobaîra ; Et comment Qutayba n’aurait-il pas d’ambition, lui qui a remporté tant de victoires et qui a conquis tant de royaumes ? Maintenant il est venu pour t’attaquer. Quant à tes menaces de mort, sache que nous ne les craignons pas ; le terme de la vie est fixé pour chacun, et nous sommes prêts à nous y soumettre à n’importe quel moment.

-Que faut-il donc faire pour le contenter ? demanda le roi

: Il a juré de ne pomt retourner avant d’avoir foulé le sol de votre empire, d’avoir enchaîné vos vassaux et d’avoir reçu un tribut, répondit Hobaîra.

-Eh bien, reprit le roi, nous le dégagerons de son serment en lui envoyant un peu de terre de cette ville, qu’il pourra mettre sous son pied, quelques-uns de nos jeunes princes, auxquels il pourra mettre des chaînes, et de l’argent. »

 

Il fit remplir de terre une boîte d’or, qu’il remit aux ambassadeurs, ainsi qu’une grande quantité d’étoffes de soie, d’or et d’argent, et après leur avoir donné pour eux-mêmes des beaux vêtements, il les fit partir, et avec eux 4 jeunes princes. Qutayba accepta ces objets, fit mettre des chaînes aux 4 princes, et les renvoya ensuite auprès du roi de Chine. La terre que Ton avait apportée fut répandue sur le sol et Qutayba la foula de ses pieds. Puis il leva son camp et revint à Merw.

 

REVOLTE DE QUTAYBA DANS LE KHURÂSÂN.

 

Hajjâj el Qutayba avaient été les seuls gouverneurs qui s’étaient prêtés au projet de Walîd qui avait voulu foire reconnaître comme héritier du trône son fils ‘Abd al-‘Azîz, à la place de Sulaymân. Celui-ci, après son avènement, était mal disposé envers Qutayba, qui redoutait son ressentiment. Ce fut là une première cause de sa révolte. Qutayba craignait, en outre, que

S., qui affectionnait beaucoup Yazîd b. Muhallab, ne lui donnât le gouvernement du Khurâsân, province à laquelle Yazîd était attaché de cœur et d’âme ; et il craignait cet événement d’autant plus, qu’il avait lui-même persécuté les membres de la famille de Muhallab, en voulant leur foire restituer (certaines sommes d’argent. Alors il fit venir un de ses amis et lui dit :

« Rends-toi à Nishâbûr et envoie-moi de là tous les renseignements qui te parviendront concernant Yazîd b. M, afin que je puisse aviser. Applique-toi à m’avertir des moindres faits. »

Cet homme vint à N et y prit sa résidence ; il envoya de là de différents côtés des émissaires, et recueillit des informations. Puis il écrivit à Qutayba :

« J’apprends comme un fait certain que Y b. M, va obtenir le gouvernement du ‘Irâq et qu’il a

pour mission de poursuivre Abû ‘Âqil Al-Thaqâfî (de la famille de Hajjâj.) ».

Qutayba, en lisant cette lettre, s’écria :

« S’il lui a donné ‘Iraq, il lui donnera aussi le Khurâsân ! »

 

Il forma aussitôt le projet de quitter le Khurâsân et de se rendre dans le Khârizm, pour se mettre en sûreté. Il rédigea une lettre qui était supposée lui avoir été adressée par Sulaymân et qui était ainsi conçue :

« Je sais qu’un Commandeur de la famille d’Umayya doit faire la conquête de Constantinople et en enlever les tuniques d’Adam et d’Eve, et se rendre maître de tout le pays [de Roum]. Je veux donc faire une expédition contre Constantinople, espérant que Dieu me favorisera moi-même de cette conquête. Quand cette lettre te parviendra, il faut que tu te mettes en marche pour te rendre à Ferghâna, et de là en Chine. Applique-toi avec zèle à la cause de Dieu. D’ailleurs je connais ton dévouement, et je t’élèverai et te récompenserai. »

 

Qutayba réunit ses troupes, leur lut cette lettre et leur donna l’ordre de se préparer au départ. Quand S fut informé de ces faits, il adressa une lettre à Y, à Baçra, l’appela auprès de lui et lui dit :

« Sache que Qutayba craint de te voir investi de la Wilâya du Khurâsân. Il faut que tu lui écrives une lettre, dans laquelle tu approuves sa résolution de marcher sur Ferghâna et que tu ratifies ce qu’il a fait ; puis il faut lui donner l’ordre de ne point quitter ce pays avant d’avoir pris toutes les forteresses qui s’y trouvent. Recommande au messager qui lui portera ta lettre, de dire à ses soldats que le AlM a augmenté leur solde de 100% et qu’il autorise tous ceux d’entre eux qui le désirent à rentrer dans leurs foyers. Comme les soldats aiment revenir dans leurs familles, Qutayba sera très mécontent; il voudra les retenir, et alors ils lui résisteront ! »

 

Y fit ainsi. Lorsque Qutayba reçut la lettre de Yazîd, il fut très heureux ; il réunit ses troupes et leur en donna connaissance. Quand il en eut fait la lecture, le messager de Y se leva et dit : « Musulmans, le AlM a augmenté votre solde de 100%, et autorise tous ceux qui le désirent à

rentrer dans leurs foyers. »

Qutayba comprit qu’il voulait lui aliéner les soldats, et il s’écria :

« C’est un mensonge ! Ces paroles n’ont pas le sens que vous croyez. S veut vous amener à prêter le serment d’hommage à son fils qui est un jeune homme inepte et stupide. Par Dieu, le jeune homme qui me sert est plus capable qu’Ayûb b. Sulaymân !

 

Qutayba, étant rentré chez lui, écrivit à S trois lettres. Dans la première, écrite sur une feuille entière, il rappelait son dévouement pour ‘Abd al-Malik et pour Walîd et ajoutait :

« J’aurai le même dévouement pour toi, si tu ne m’ôtes pas le gouvernement du Khurâsân. »

Dans la seconde lettre, écrite sur ½ feuille, il parlait de ses victoires, de ses nombreuses campagnes et de tout ce qu’il avait fait, et de son autorité et de sa réputation parmi les habitants de la Perse ; il parlait avec mépris de la famille de Muhallab, puis il ajouta : Par Dieu, si tu nommes Y b. M, gouverneur du Khurâsân, je me révolterai contre toi, le prince des croyants, je m’opposerai à lui par la force et vous créerai de grands embarras.

Enfin la troisième lettre, écrite sur ¼ de feuille, était ainsi conçue :

« J’ai cessé de reconnaître Sulaymân b. ‘Abd al-Malik, comme mon souverain, et je me suis révolté contre lui. »

Qutayba demanda un homme de bonne volonté pour porter ces lettres à Sulaymân. Un de ses affranchis s’offrit pour remplir cette commission, et Qutayba lui remit les trois lettres, en lui disant :

« Donne d’abord à Sulaymân cette première lettre. Si, après l’avoir lue, il la remet à Yazîd, donne-lui la seconde, et s’il la communique également à Y, donne-lui la troisième. Mais si, après avoir lu la première lettre, il la garde sans la communiquer à Y, garde les deux autres et ne les montre à personne. Le messager se rendit en Syrie et se présenta devant le calife. Y b.

Muhallab, assista à l’audience. Sulaymân, après avoir lu la première lettre de Qutayba, la tendit à Y. Alors le messager lui remit la seconde, que S donna aussi à Yezid. Puis il lui remit la troisième. S, après avoir lu cette dernière, la tendit également à Y, en disant :

« Nous avons mal agi envers Qutayba, car c’est un homme capable et il a accompli de grandes choses. Il se leva, prit la troisième lettre dans sa main, et fit conduire le messager à l’hôtel des étrangers. Le lendemain il le fit appeler, lui donna 100 dn et lui remit pour Qutayba l’acte d’investiture du gouvernement du Khurâsân. Il fit accompagner le messager par un homme de la tribu de ‘Abd al-Qays, nommé Ça‘ça‘a. Quand ces deux hommes arrivèrent à Hulwân, ils apprirent que Qutayba s’était révolté.

 

L’envoyé de S retourna en Syrie, tandis que l’autre continua sa route vers le Khurâsân.

 

Lorsque le messager fut de retour auprès de Qutayba, celui-ci lui demanda ce qu’il avait à lui annoncer.

-J’ai à t’annoncer répliqua le messager, qu’un envoyé de S était en route pour t’apporter l’acte de nomination au gouvernement du Khurâsân ; mais arrivé à Hulwân, il a appris que tu avais levé l’étendard de la révolte contre S ; alors il m’a remis cet acte et s’en est retourné. Qutayba regretta ce qu’il avait fait. Il fit appeler ses frères et les consulta. Ils furent tous d’avis qu’il ne pouvait plus compter sur le pardon de S. Qutayba fit ensuite appeler Buhturi b. ‘Abd-Allah, homme illustre, qui jouissait d’une grande autorité parmi les habitants du Khurâsân, et lui dit : « Ô Buhturi, je t’ai éprouvé dans beaucoup de circonstances. Voilà ce que je viens de faire, et je ne me sens plus en sûreté vis-à-vis de S. Quel conseil me donnes-tu ?

-Soulaîmân te connaît ; répondit Buhturi ; il sait quel est ton dévouement et quels sont les services que tu as rendus à la cause de l’islâm ; il ne te tuera pas.

-Hélas ! s’écria Qutayba, crois-tu que j’aie peur de la mort ? Ce que je crains, c’est qu’il donne le gouvernement du Khurâsân à Y b. M, qui me fera comparaître devant lui et m’humiliera devant tout le monde ; et à cela je préfère la mort.

-Je pense, reprit Buhturi, que Y n’agira pas ainsi avec toi, s’il devient gouverneur du Khurâsân.

J’espère même que ton envoyé reviendra en t’apportant à toi-même la nomination au gouvernement de la province. Ne précipite rien ; tu ne sais pas comment les choses tourneront.

– Hélas, ô Bo’htori, répliqua Q, mon envoyé m’a apporté l’acte de nomination, mais l’envoyé de S, en apprenant à Hulwân que je me suis révolté contre le Lieutenant, s’en est retourné. »

 

Qutayba fit ensuite appeler Hudhayn, b. Mundir al-Bakrî, et lui dit :

« Abû Muhammad, je veux faire une chose, par laquelle le Khurâsân sera perdu pour les musulmans.

-Quelle est cette chose ? demanda Hudhayn

-Je veux envoyer quelqu’un avec une armée vers Kâshghar, dit Qutayba, et sur certaine route que je sais et par où je crains une attaque, pour les mettre en état de défense. Qu’en penses-tu?

Il y a, ô Commandeur, une seule route qu’il faudrait pouvoir fortifier, répliqua Hudhayn, car alors tu serais à l’abri de toutes les attaques.

-Et quelle est cette route? demanda Qutayba.

-C’est la route du terme fatal. »

Qutayba, furieux de cette réponse, saisit dans sa colère son bonnet sur sa tête et le jeta par terre avec tant de violence qu’il se déchira en deux morceaux.

« Tu te jettes un mauvais sort, dit Hudhayn.

-C’est que tu me mets continuellement en colère, s’écria Qutayba, et tu dis des choses que je ne veux pas entendre! »

Hudhayn se leva et sortit. Qutayba fit appeler ses frères et délibéra avec eux. ‘Abd-ar-Rahmân, b. Muslim, dit :

« Rends-toi à Samarqand, et dis aux soldats : Ceux qui veulent rester avec moi, je partagerai avec eux tout ce que je possède ; ceux qui désirent rentrer dans leurs foyers et dans leurs provinces savent ce qu’ils ont à faire ; personne ne les retient. En agissant ainsi, tu n’auras plus que des gens fidèles et dévoués avec toi, et akaprèsrs déclare-toi indépendant de Sulaymân.

-Voilà ce qu’il faut faire ! » s’écria Qutayba.

Il réunit les troupes et les harangua. Après avoir payé on tribut de louanges à Dieu, il s’exprima en ces termes :

« Vous sayez, ô musulmans, que j’ai été pour tous un chef qui a réuni le frère au frère, et le fils au père. Je vous ai distribué le butin légalement et tous ai payé votre solde fidèlemoit Vous avez connu les Commandeurs qui ont été avant moi. Umayya b. ‘Abdallah, n’a réduit aucun ennemi et n’a gagné le moindre butin, et il n’a pas su maintenir la discipline. Il a écrit à ‘Abd al-Malik que l’impôt du Khurâsân ne suffisait pas aux dépenses de sa cuisine. Muhallab b. Abî Çufra, qui lui succéda, vous a tenus en suspens pendant 3 ans, afin de savoir si vous étiez pénétrés de l’esprit de discipline ou de l’esprit de révolte ; vos armes et vos vêtements se sont usés et votre argent s’est épuisé, tous n’avez gagné aucun butin et n’avez réduit aucun ennemi. Vous avez vu ensuite à l’œuvre son fils Y. Puis vous avez été témoins de ma justice et de mon équité. Qu’avez-vous à répondre à cela ? »

Personne ne répondit.

Irrité de ce silence, Qutayba s’écria :

« Que Dieu n’accorde pas sa grâce à celui qui mettrait sa confiance en vous ! Par Dieu, vous pouvez bien fendre la tête à une femme ; car vous êtes des hommes rapaces et cupides ! Est-ce

en temps de guerre ou en temps de paix que tous me servez ? Vous avez remplacé votre métier de tirer les cordes des bateaux par le métier des armes ! Vous êtes un ramassis de Bédouins ! Qu’ils soient maudits les Bédouins ! Ce sont des infidèles et des hypocrites ! Je vous ai pris derrière vos vaches et vos ânes, et maintenant que vous êtes devenus riches, que vous avez les mains remplies des dépouilles de la Perse, et que vous avez eu pour serviteurs les prises de Sughd ! Par Dieu, si Y b. Muhallab était votre Commandeur, il vous briserait ! »

 

Les troupes gardèrent le silence et s’en allèrent, et Qutayba rentra dans son hostel.

Ses frères et les gens de sa famille vinrent le trouver et lui dirent :

« Que viens-tu de faire, Commandeur ? Tu as insulté tous les hommes respectables de l’armée ; tu n’as épargné aucun de ceux qui sont tes parents et tes alliés. Tu as même attaqué les B. Bakr b. Wâ’il, qui sont tes soutiens !

– Je leur avais adressé la parole, et aucun d’eux n’a répondu, répliqua Qutayba, alors je suis entré en colère, et je n’ai pas su ce que je disais… Des hommes respectables ! Ils sont comme des chameaux de la dîme, ramassés de tous côtés ! Les B.-Bakr b. W, ce sont des filles publiques qui se donnent à tout le monde ! Les B. Tamîm, ce sont des singes ! Les ‘Abd al-Qays, ce sont des démons du désert ! Par Dieu, si jamais je suis leur souverain, je les traiterai ignominieusement ! »

 

Les soldats allèrent trouver ‘Abd-ar-Rahmân Qaçarî, qui avait été offensé par Qutayba, et lui dirent :

« Tu sais ce que le Commandeur a dit de nous et de nos amis ?

-Je l’ai appris, répondit Qaçarî. Maintenant que voulez-vous?

-Nous voulons aller lui demander notre congé, pour retourner dans nos foyers. Il pourra alors se révolter contre Sulaymân, s’il le veut, ou se soumettre ; et s’il ne nous donne pas notre congé, nous partirons quand même.

-Vous savez, reprit Qaçarî, que je suis son ennemi. Mais j’irai voir son frère ‘Abd-ar-Rahmân, qui est le meilleur d’entre eux.

-C’est bien, répondirent les soldats. »

Qaçarî se rendit auprès de ‘Abd-ar-Rahmân et lui dit :

« Je crois que ton frère Qutayba a perdu la tête. S’il ne m’avait pas offensé, je lui aurais parlé ; car les soldats menacent de se révolter contre lui et d’attenter à sa vie. Il faut que tu lui dises de les renvoyer dans leurs foyers, avant que les affaires ne prennent un tournant grave et que tu ne puisse plus ???? ????.:

« Mon frère Qutayba ne craint pas cela ; répliqua ‘Abd-ar-Rahmân ; Mais je pourrais charger un homme ???? de ??? faire partir dans différentes directions et de leur assigner des garnisons dans les montagnes et les plaines.

-Si tu fais celà, s’écria Qaçari, ils prendront les armes contre vous ! »

Et il le quitta. ‘Abd-ar-Rahmân se rendit auprès de Q el lui communiqua les paroles de Qaçarî. « Qui est-il ? s’écria Qutayba, pour parler ainsi ! »

Cette parole fut transmise à Qaçarî qui fît dire aux soldats :

« Sachez que je ne me mêle plus de vos affaires ; faites œ que vous voudrez. »

Alors l’armée ???? de se révolter contre Qutayba. Hayyân b. ??????. de ce qui venait de se passer, vint visiter Qutayba et lui dit :

« Tu t’es aliéné les troupes, Commandeur ; donne-leur leur congé afin qu’ils regagnent leurs foyers, pour épargnerer le gros de leurs forees et pour te débarrasser des hommes hostiles et dangereux. Tu pourras ensuite prendre les mesures. »

Qutrayba refusa.

-Eh bien, reprit Hayyân, fais venir les ???? et les gens de la Perse et prépare-toi en secret ; et quand tu auras des forces suffisantes, fais appeler ceux qui te sont hostiles et fais leur couper la tête. Les autres deviendront ensuite tes auxiliaires.

-Non, dit Qutayba, je ne ferai pas cela

-Alors convoque les soldats, parle-leur avec douceur et cherche à les contenter par des faveurs.

-Non, dit Qutayba.

-Alors, reprit Hayyân, tu es perdu ! » Et il le quitta.

 

Qutayba fit faire ???? des troupes, et quand elles furent réunies, il se leva et les harangua. Après avoir payé un tribut de louanges à Dieu, il parla encore en termes violents et injuria les soldats. Puis il leur dit :

« Vous savez que, lorsque je suis venu ici, vous étiez vêtus de frocs vulgaires et vous aviez une nourriture grossière. Je vous ai donné des vivres de bonne qualité et choisis, et vous ai fourni des habits élégants. Je vous ai enseigné ce que vous ne saviez pas et vous ai rendus célèbres et puissants. Quand, après la révolte d’Ibn Ash’at, à laquelle vous aviez pris part, vous êtes venus chercher auprès de moi un refuge contre la vengeance de Hajjâj, je vous ai protégés. Or maintenant que vous n’avez plus rien à craindre, vous êtes ingrats et vous êtes là à vous plaindre de moi et à demander autre chose. Par Dieu, si je le voulais, je serais le plus puissant de tous les Arabes, au moyen de tout ce que Dieu m’a accordé ! »

Puis il s’écria :

« Où sont les archers, ceux qui, avec leurs flèches, lancées d’une main sûre, savent atteindre l’œil de l’ennemi et coudre la paupière à l’orbite ? »

 

Les princes et nobles de la Perse, les nobles T, ceux de Sughd, de Bâdeghîs, du Tukhâristân et du Khurâsân se levèrent. Ils étaient plus de 10 000 jeunes gens, tous archers habiles qui, lorsqu’ils lançaient une flèche, ne manquaient jamais le but. Qutayba dit en les montrant : « Voilà les plus grands personnages de la Perse, en fait de noblesse et en fait de vaillance. Ils vous sont supérieurs en toutes choses, et dans la guerre , ils sont plus braves que les Arabes ! »

Personne ne répondit à ce discours, et Qutayba, plus irrité encore, garda le silence. Les soldats se séparèrent, résolus de tourner leurs armes contre Qutayba.

 

Les officiers de Qutayba se rendirent auprès de Hudhayn b. Mundir al-Bakrî, et lui dirent : « Abû Muhammad, veux-tu que nous te nommions notre chef et que nous te chargions de la direction des affaires, jusqu’à l’arrivée d’un nouveau gouverneur, de la part de Sulaymân ? Tu prendras soin de nos intérêts ; car Qutayba a complètement perdu la tête. »

Hudhayn répliqua :

-Non, je ne me soucie pas de cela car l’armée du Khurâsân est formée de 3 corps, dont le principal, composé de guerriers de renom, est la tribu des B. Tamîm, qui ne consentîront jamais à laisser le commandement à quelqu’un qui ne serait pas pris parmi eux ; ils défendront

Qutayba. D’ailleurs, entre eux et les autres il y a de l’hostilité à cause du meurtre des B. Hâshim.

-Tu as raison, répliquèrent les officiers ; ils se joindront aux gens de Mudar. Ils quittèrent Hudayn et se rendirent auprès de ‘Abdallah b. ????, al-Juhaynî, et lui parlèrent de cette affaire. ‘Abd Allah refusa également. Ils retournèrent chez Hudhayn et lui dirent :

« Les B. Bakr b. W n’hésiteront pas à te suivre ! Sois notre chef !

-Non, répondit ‘Hodhaîn; je yeux rester étranger à cette entreprise ; prenez un autre que moi ; car les B. Mudar ne consentiront pas à laisser enlever le commandement à leur tribu, à laisser tuer leur chef et à reconnaître un autre chef. Les offciers se retirèrent et allèrent trouver Hayyân b. ???? et lui demandèrent d’intervenir auprès de Hudhayn, pour le déterminer à accepter le commandeaient.

*Hayyàn vint chez Hudhayn et lui dit :

« Pourquoi refuses-tu d’abandonner Qutayba et de te laisser proclamer Commandeur ? Hudhaîn répliqua :

-Abû Ma‘mar, je t’adjure, par Dieu, de ne plus revenir sur cette affaire, car je ne peux plus en entendre parler ! Puis il s’assit et il continua : Je ne puis me tenir debout, tant je suis effrayé en songeant que Qutayba pourrait être informé de ces projets. Laissez-moi et cherchez un autre

Chef !

Hayyan le quitta. Les officiers envoyèrent des émissaires à différentes tribus de Modhar et les firent inviter à une conférence. Hayyàn leur dit :

« Il n y a qu’un homme capable de diriger cette entreprise : c’est ce Bédouin Waqi‘ b. Abû

Sund ?? Ar-Tamîmî. C’est un guerrier três brave, qui ne calcule pas les suites d’une affaire et qui ne se soucie pas de l’issue. De plus il a beaucoup de parents qui suivent sa direction. Il fera certainement ce que nous demandons ; car il est ennemi de Qutayba qui lui a enlevé le commandement des B. Tamîm et l’a donné à Dhirâr b. Husayn. »

Les conjurés se rendirent donc chez Waqi‘ et lui proposèrent d’être leur chef. Waqi‘ dit aussitôt :

« Tends ta main, Hayyân ! »

Hayyân mit sa main dans celle de Waqî’ et lui prêta la Bay‘a.

 

Lorsque Qutayba apprit que Hayyân avait reconnu comme chef Waqi‘ et qu’il avait soulevé les troupes contre lui, il s’écria :

« Par Dieu, Hajjâj m’avait bien dit, lorsque je lui donnai le gouvernement de Sughd, de ne point me fier à cet homme qui, un jour, me causerait des embarras ! »

Qutayba fit appeler un de ses familiers et lui donna l’ordre de tuer Hayyân. Celui-ci fut averti à temps, et quand Qutayba envoya quelqu’un pour l’inviter à se rendre chez lui, il se fit excuser, disant qu’il était malade. Pendant ce temps, les soldats se présentaient, les uns après les autres, chez Wakî’ et lui prêtaient Bay‘a. La garnison du Khurâsân comptait, à cette époque, 40 m guerriers de Baçra, dont 9 000 montagnards et 7 000 B. Bakr, qui avaient

pour chef  Hudhayn ; 10 000 B. Tamîm, commandés par Dhirâr b. Huçayn ; 4 000 de la tribu ‘Abd al-Qays, commandés par ‘Abdallah b. ‘Alwân ; 10 000 de la tribu Azd, commandés par Hayyân b. Iyâs. Il y avait de plus 47 m hommes de Kûfa, commandés par Jahm b. Zahr, et 7 000 Mawâlî sous le commandement de Hayyân.

Quelques-uns disent que ‘Hayyân était originaire du Khurâsân, d’autres de Daylam. Toutes ces troupes étaient hostiles à Qutayba, sauf les réserves qu’avait signalées Hudhayn. Ensuite

Hayyân fit dire à Waqî’ : Si je le prête mon concours dans la lutte contre Qutayba, me donneras-tu l’intendance des impôts des provinces Transoxianes ? Waqi’ lui promit ce poste.

 

Quelques personnes vinrent avertir Qutayba des engagements des troupes envers Waqî’ et de leurs projets de révolte, et l’engagèrent à prendre immédiatement des mesures de précaution.

Qutayba refusa de croire à ces rapports. Waqî’ était un hôte assidu dans la maison de ‘Abdallah b.  Muslim, où il passait son temps à boire avec ‘Abdallah. Celui-ci dit à Qutayba :

« C’est par jalousie qu’on dit ces choses, parce qu’on voit Waqî’ chez moi. Encore hier soir il s’est enivré chez moi ; il a souillé ses vêtements, et on l’a emporté chez lui sans connaissance.

Ce que l’on dit est faux et impossible. »

Cependant ceux qui prêtaient serment à Waqî’ lui dirent :

« Abû Mutarraf, en te prêtant Bay‘a, c’est à Sulaymân b. ‘Abd-al-Malik, que nous prêtons serment, et il est entendu que tu te soumettras à l’émir que Sulaymân nommera. Waqi‘ répliqua : Je me soumettrai et obéirai au AlM et à celui qu’il enverra.

 

Qutayba chargea un homme, nommé Dhirâr b. Sinân, al-Dhabbi, de se rendre auprès de Waqî’ et de lui prêter Bay‘a, afin de savoir si les rapports qui lui avaient été faits étaient vrais. Dhirâr vint trouver Waqî’. Celui-ci, se disant malade, s’était frotté les pieds de terre rouge ; il avait les jambes enveloppées de bandages et 2 de ses serviteurs se tenaient auprès de lui et procédaient à des enchantements. Le messager de Qutayba lui dit :

« Le Commandeur t’appelle, ô AM.

-Tu vois, répliqua Waqî’, dans quel état je suis.

Le messager retourna auprès de Qutayba et lui rendit compte de sa mission. Qutayba dit : « Retourne.

-Émir, dit le messager, je l’ai vu dans un état qui ne lui permet pas de venir. Je suis convaincu qu’il n’en échappera pas.

-Retourne, dit Qutayba, et amène-le dans un siège. »

Le messager alla de nouveau chez Waqî’ et lui dit :

« L’émir ordonne que, si tu ne peux pas marcher, tu te fasses porter chez lui dans un siège. Waqi’ répliqua :

« Quand on me lève sur un siège, mes souffrances augmentent. »

Le messager rapporta celte réponse à Qutayba. Celui-ci fit appeler Sharîk b. Çâmit al-Bâhilî, et une autre personne, et leur dit :

« Allez, amenez-moi Waqî‘; s’il refuse de venir, apportez-moi sa tête ! »

Tumâma b.  Nâjiya al-‘Adawî, qui se trouvait présent, dit :

« Je l’amènerai, ô Commandeur ! ».

Thomâma se rendit à la maison de Waqi’ et lui dit :

« Vite, Qutayba veut te prendre ! »

Et il resta auprès de lui. Ensuite Waqi’ dit à Tumâma de faire sonner le rappel. Le premier qui se présenta fut Huraym b. Abû Tâhma avec 8 000 Tamîm. Waqî’ se fit donner un couteau, coupa les bandages qui enveloppaient ses jambes, revêtit son armure, prit son sabre et sortit. Tous ses compagnons arrivèrent en peu de temps, armés et équipés, et on se mit en marche vers l’hostel de Qutayba. Quelques amis de Qutayba allèrent au-devant de Waqi‘ et lui dirent : « Abû Mutarraf, parce que tu as eu des craintes du côté du Commandeur, tu veux te charger d’une telle responsabilité ? Ne le fais pas ; crains Dieu, et ne joue pas ta vie ! »

Waqi ‘ dit à ses compagnons :

« Ces hommes me disent que si je voulais me rendre auprès de Qutayba, je peux le faire en sûreté. Mais ils mentent, ces fils de courtisanes ! On portera ma tête à Qutayba, ou on m’apportera la sienne ! On entendait partout les soldats crier et appeler leurs camarades à se rendre auprès de Waqî’ ; les B. Tamîm et les autres troupes vinrent de tous côtés le rejoindre. Waqi‘ fit halte en face de l’hostel de Qutayba. Les B. ‘Abd al-Qays accoururent pour défendre Qutayba ; mais ils reconnurent bientôt qu’ils ne pourraient pas résister à un si grand nombre

d’hommes.

Qutayba, en entendant les clameurs devant son hostel, demanda ce qui se passait. On lui dit que Waqi‘ était là avec toute l’armée. Il voulut aussitôt monter à cheval. Le cheval qu’on lui amena, tomba. Qutayba le fit ramener et s’assit sur un siège, vêtu d’une tunique, un manteau sur les épaules, le sabre au côté, et sur la tête un turban qu’il avait reçu de sa mère et qu’il portait toujours, quand il livrait une bataille.

 

Ses frères et les gens de sa maison se tenaient près de lui sous le pavillon. Un homme de la famille de Qutayba, nommé Yazîd b. Muslim, qu’il avait précédemment outragé (il lui avait

fait raser la tête et la barbe), vint maintenant se joindre aux  insurgés, excita les hommes et déclama contre lui. Qutayba demanda quel était cet homme qui criait ainsi, et apprenant

que c’était Y b. M, il dit à l’un de ceux qui se trouvaient près de lui :

« Va, et crie à haute voix : B. ‘Âmir, n’êtes-vous pas nos parents ? »

Un homme nommé Muhçîn répondit à ces paroles :

« C’est toi qui as abandonné les B. ‘Âmir et qui les as insultés ! »

Qutayba fit crier de nouveau :

« Je vous adjure par Dieu et par les liens de notre parenté !

Muhçîn répliqua :

« Tu as brisé toi-même les liens de la parenté. Que Dieu nous refuse son pardon, si nous te

pardonnons jamais ! »

Qutayba fut très-affligé de cette réponse. Un brave guerrier d’entre ses amis, nommé Hubaîra al-Jadlî, lui proposa de lui apporter la tête de Waqî‘. Qutayba lui imposa le silence et lui ordonna de rester.

Hayyân al-Nabati arriva avec un certain nombre de Persans et se mit auprès de Qutayba. ‘Abdallah b. Muslim, lui dît :

« Attaquons-les de ce côté-là !

-Il n’est pas encore temps d’attaquer, répondit Hayyân.

-Donnez-moi mon arc ! s’écria Qutayba en colère

-Ce n’est pas un jour où on emploie l’arc, lui dit ‘Hayyân. »

Ensuite Waqi‘ envoya un messager à Hayyân pour lui rappeler l’engagement qu’il avait pris de passer de son côté. ‘Hayyân dit à son fils :

« Fais attention à ce que je ferai. Quand je retournerai mon bonnet et que je me dirigerai vers

Waqi‘ tu me suivras avec tes troupes ! »

Un de ses parents, nommé Haytam b. Mujayyîd, récita ces vers :

-Je lui ai appris chaque jour à tirer de l’arc, et quand il est devenu fort, il tire sur moi ! »

 

Les B. Azd et les B. Bakr furent les premiers à l’assaut. Après avoir coupé les cordes du pavillon, ils envahirent l’estrade. Sa’d al-Azdi et Jahm b.  Zâhr, se précipitèrent sur Qutayba. Jham tira sur lui une flèche et Sa’d l’attaqua avec son sabre, et ils le tuèrent. 11 fils ou petit-fils de Mouslim trouvèrent la mort en ce jour, et Waqî’ fit attacher leurs corps à des poteaux. Les 7 fils de Mouslim étaient Qutayba, ‘Abd-ar-Rahmân, ‘Abd al-Karîm, ‘Abdallah, Çâlih, Yasâr et Muhammad. Les pelits-fils qui furent tués étaient Kathîr b. Qutayba, Yâlâ b. ‘Abd-ar-

Rahmân, et 2 autres.

 

Après la mort de Qutayba, Hammam ar-Riyâ’hî monta sur la tribune et prononça un long discours. Waqi‘l’interrompit en disant :

« Laisse là ces paroles inutiles ! Puis il ajouta : Qutayba a voulu me tuer, et c’est lui qui a été tué par moi ! »

Il donna ensuite l’ordre de chercher la tête de Qutayba. On lui dit qu’elle était entre les mains des B. Azd. Waqi‘ sortit  dans la rue et s’écria :

« Par Dieu, je ne partirai pas d’ici, à moins que l’on ne m’apporte la tête de Qutayba ou que l’on réunisse ma tête à la sienne! »

Il fit planter un poteau et dit :

« Il faut absolument que je me fasse craindre en faisant pendre quelques-uns. Cela sera une leçon pour les autres ! »

Hudhayn lui dit :

« Abû Mutarraf, calme-toi ; on va t’apporter à l’instant la tête de Qutayba. »

Hudhayn se rendit auprès des B. Azd et leur dit :

« Vous êtes les plus sots des hommes. Vous jurez obéissance à quelqu’un ; et maintenant qu’il a accompli une si grande action, vous lui faites de l’opposition ! Rendez cette maudite tête ! » On la porta à Waqi’, qui donna 3 000 dr. à celui qui l’avait détachée du corps de Qutayba, et la fit porter par Basil b. ‘Abd al-Karîm à Sulaymân.

Les Persans, en apprenant la mort de Qutayba, dirent :

« S’il avait été Tun des nôtres, nous aurions placé son corps dans un coffre que nous aurions toujours fait porter à la tête de nos armées, afin d’obtenir la victoire ; car jamais homme n’a

accompli dans le Khurâsân tant de choses, et jamais personne n’a remporté tant de victoires, que lui. »

Muhammed b. Jarîr rapporte le fait suivant :

Quelques Ghassân, qui voyageaient en Irâq, rencontrèrent un homme qui portait un bâton et un sac de voyage. Ils lui demandèrent d’où il venait.

« Du Khurâsân, répondit-il.

-Y a-t-il quelque chose de nouveau ? lui demandèrent-ils encore ?

-Oui ; Qutayba a été tué hier. Comme il remarquait leur étonnement, il leur dit : Savez-vous d’où je suis parti hier soir ? De l’Ifriqya ! »

Et, après ces mots, l’étranger s’éloigna rapidement.

Nous le suivîmes, racontent les Ghassân, de toute la vitesse de nos chevaux ; mais il courut aussi vite qu’une flèche et disparut bientôt à nos regards.

 

 

Khâlid b. ‘Abdallah, al-Qasri, avait été nommé par Hishâm, gouverneur des deux ‘Iraq. Le Lieutenant lui adressa une lettre, et lui ordonna d’envoyer son frère Asad dans le Khurâsân en lui recommandant de faire la guerre aux Turcs.

Asad b. ‘Abdallah, se mit en route, à la tête d’une nombreuse armée ; il vint dans le Khurâsân, traversa le fleuve de  Balkh et marcha sur Sughd. II fut battu et dut revenir dans le Khurâsân. Il renouvela son entreprise les deux années suivantes sans plus de succès, et ces campagnes coûtèrent la vie à beaucoup de musulmans.

Il appela alors ses principaux officiers, tels que Naçr b. as-Sayyâr, al-Kinânî ; ‘Abd-ar-Rahmân b. Nu’aym, al-Bâriqi ; Sawra b. Hurr, al-Dârimî, et Husayn b. Abû Dirham, al-Qaïsî, et leur dit:

« Serviteurs de Dieu, ces défaites, c’est vous qui en êtes cause ; car c’est vous qui me conseillez. Ensuite il les fit dépouiller de leurs vêtements, les fit battre, leur fit raser la barbe et les envoya chargés de lourdes chaînes vers son frère Khâlid, en Irâq. Lorsque Hishâm b. ‘Abd al-Malik, eut connaisssance de ces faits, il fut très irrité. Il destitua immédiatemant Asad, et nomma à sa place Walî du Khurâsân, Ashras b. ‘Abdallah al-Sulaymi. Ashras fit une expédition contre Bukhârâ, où se trouvait alors une armée de plus de 100 m Türük. Ashras les attaqua. Plus de 1000 musulmans, la plupart de la tribu de Tamîm, furent tués ; mais, à la fin, les T prirent la fuite et se dirigèrent vers Samarqand, tandis que Ashras retourna à Balkh. A la suite de ces faits, Hishâm destitua Aschras, et nomma à sa place Junayd b. ‘Abd ar-Rahmân.

 

Junayd, s’étant rendu dans le Khurâsân, traversa le fleuve de Balkh, sur des radeaux, avec toute son armée. En recevant cette nouvelle, le Khâqân des Turcs se mit en marche avec 170 m hommes, se dirigeant vers le fleuve.

Bientôt les 2 armées furent aux prises, et on se battit avec acharnement. Un musulman nommé Wâçil b. ‘Amr, en chargeant l’ennemi, arriva à l’endroit où se tenait le Khâqân, à qui, aussitôt, il asséna un coup de sabre, qui lui enleva le casque. Le Khâqân prit la fuite, et après lui toute son

armée. Les musulmans en tuèrent environ 3 000 hommes.

A la suite de cet exploit, Wâ’il b. ????, rédigea une pièce de vers dans laquelle, en vantant sa vaillance, il disait que sans le

secours de Dieu et sans la charge et l’épée de Wàcil, toutes

les femmes des B. Tamîm auraient été captives. Junayd retourna à Merw, où il passa l’hiver ; il franchit de nouveau le fleuve au printemps. Naçr b. Sayyâr ; ‘Abd-ar-Rahmân n. Nu‘aym ; Sawra b. Al-Hurr, et Husayn b. AD que Khâlid al-Qasrî avait fait mettre en liberté, conformément aux ordres du calife, s’étaient rendus auprès de la personne de Junayd. Celui-ci envoya Sawra b. H à la tète de 10 000 hommes, à Samarqand, en lui remettant le drapeau du commandement, et fit partir un autre corps commandé par ‘Umara b. Huraym, vers le Tukhàristan. ‘Umâra soumit toute la province, et revint auprès de Junayd après avoir reçu des contributions très-considérables.

Lorsque le Khâqân sut que Saura b. H  était arrivé à Samarqand, il dirigea contre lui une armée de 50 m hommes. En recevant cette nouvelle, Junayd délibéra avec ses principaux offciers sur ce qu’il devait faire. Naçr b. Sayyàr, et plusieurs autres furent d’avis qu’il ne fallait pas marcher au secours de Sawra, lequel étant à Samarqand, cité très-forte, était en état de repousser toute attaque. Junayd, contrairement à cet avis, se mit en route avec toute son armée.

Le Khâqân, de son côté, envoya des hommes à Kish et à Nakhshab, et fit combler tous les puits, pour rendre la route de la plaine impraticable. Junayd choisit alors le chemin à travers les montagnes. A peine s’y fut-il engagé, qu’il se trouva entouré, de tous côtés, par les Turcs, qui étaient arrivés par bandes. Bientôt les 2 armées furent aux prises, et on lutta avec un acharnement égal des deux côtés.

Les T furent battus, et les musulmans firent un butin immense. En apprenant que son armée avait été mise en déroute, le Khâqàn fit venir des troupes de tous côtés. Junayd marcha contre lui avec 28 m hommes, et envoya un messager à Samarqand, pour inviter Sawra à lui amener son armée. Sawra se mit en route à la tète d’une armée de 20 m hommes, composée en partie de ses propres soldats, en partie de gens de la cité de Samarqand.

Le Khâqân donna à ses troupes l’ordre de suspendre leur marche contre Junayd et d’attaquer Sawra. Lorsque l’armée de Sawra et celle des T se rencontrèrent, une hataille terrible s’engagea, tandis que Junayd ignorait ce qui se passait. Sawra et ses troupes furent battus. Les T les massacrèrent jusqu’au dernier homme ; il n’en échappa pas un seul. Un habitant de Samarqand vint annoncer cette nouvelle à Junayd, qui s’écria :

« Nous sommes à Dieu et nous retournons à lui ! »

Les musulmans pleurèrent au récit de ce désastre. Junayd envoya ensuite des messagers dans le Tokhâristân et dans toutes les villes du Khurâsân,pour appeler des renforts. 43 m hommes arrivèrent à son appel. Junayd donna le commandement de cette armée à un de ses officiers nommé Hârith b. Surayj, et l’envoya contre le Khâqân, qui se trouvait alors aux portes de  Samarqand, qu’il assiégea. Les habitants de cette cité, serrés de près, étaient sur le point de capituler, lorsque les musulmans arrivèrent. Le Khâqân forma aussitôt ses lignes de bataille, et dans l’engagement qui eut lieu, les deux armées eurent un grand nombre d’hommes tués.

Le Khâqân fut vaincu, et les musulmans firent un nombreux butin. Junayd, informé de ce succès, vint à Samarqand, distribua le butin aux soldats, et en envoya le Quint à Hishâm.

 

Il retourna ensuite à Merw, laissant à Samarqand Naçr b. Sayyâr, avec 5 000 hommes. Quand il fut de retour à Merw, il tomba malade de l’hydropisie et mourut. Hârith b. Surayj, l’un des officiers de Junayd, leva l’étendard de la rérolte, et s’empara des villes de Merw-roud, de Bàb al-???, et de la plupart des cités du Khurâsân. Il leva l’impôt, et au moyen de cet argent il recruta un grand nombre d’aventuriers. Hishâm envoya comme gouverneur

dans le Khurâsân ‘Âçim b. ‘Abdallah, al-Hilali, qui ne réussit point à réprimer la révolte. Le Lieutenant le destitua et nomma à sa place Asad,  b. ‘Abdallah, al-Qasri. Asad vint à Merw et fit marcher aussitôt plusieurs corps d’armée contre Hàrith. Celui-ci, se voyant attaqué par des forces considérables, se rendit avec tous ses compagnons dans le Turkestân auprès du Khâqân, qui lui assigna comme séjour la ville de Firâb, en lui abandonnant le revenu de cette ville.

Asad avait quitté Merw pour marcher contre Hârith ; arrivé à Balkh, il mourut. Le Lieutenant nomma à sa place gouverneur du Khurâsân, Naçr b. Sayyâr, en lui donnant pour instructions de faire la conquête des cités de Jâj (Shâsh) et de Ferghàna. Naçr se mit en campagne et reprit plusieurs cités. Il n’imposa aux cités conquises qu’un tribut peu élevé, et s’attacha, en général, à gouverner avec justice et équité. Il obtint ainsi les sympathies des habitants et fut très-aimé.

 

 

RÉVOLTE DE RAFI‘ B. AL-LAYTH A SAMARQAND. HARTHAMA B. A‘TAN, GOUVERNEUR DU KHURÂSÂN.

 

Râfî‘ b. Al-Layth b. Nâçr, officier distingué de la garnison de Samarqand, d’un extérieur agréable, aimait beaucoup les femmes et le vin, et passait son temps à s’amuser. Or il avait une intrigue amoureuse avec une certaine femme, épouse de Yahyâ b. Ash‘at, qui se trouvait à la cour de Rashîd. Suivant le conseil de ????? cette femme apostasia et rompit ainsi son mariage ; puis elle rentra dans l’islamisme, et après le délai légal, Râfi‘ l’épousa. Yahyâ porta plainte de ces faits à Rashîd. Celui-ci écrivit

à ‘Alî b.‘Isâ et lui ordonna de punir Râfî‘, de le mettre en prison, de lui noircir le visage et de le faire conduire en cet état, sur un âne, par la ville, pour qu’il serve d’exemple, et enfin de le forcer à se séparer de la femme. ‘Alî b.‘Isâ manda au ‘Âmil de Samarqand, Sulaymân al-Azdî, d’exécuter ces ordres. Sulaymân força Râfi‘ de renvoyer sa femme et le mit en prison ; il le traita d’ailleurs avec égards. Râfi‘ s’enfuit de la prison, se rendit à Balkh, où il demeura en secret, et fit demander à ‘A?? b.‘Isâ, l’amân. Il le lui accorda et le renvoya à Samarqand. Ne pouvant

pas reprendre publiquement sa femme, il se mit à la tête des aventuriers de Samarqand et s’empara de la cité ; puis il reprit sa femme. Il fut acclamé par les citoyens qui étaient très-mécontents de ‘Alî et de ses agents. ‘Ali envoya son fils ‘Isâ avec une armée contre Râfi‘. Celui-ci, aidé par les habitants, repoussa l’attaque, et ‘Isâ fut tué. ‘Alî marcha contre Râfi’ en personne ; mais il fut battu et s’enfuit à Merw, annonça ces événements à Rashid et demanda du secours. Sur ces entrefaites, les habitants de la ville de Balkh se soulevèrent également, tuèrent son lieutenant et saccagèrent l’hostel de ‘Alî, ainsi que celui de son fils, où l’on trouva 30 M dr, cachés dans le jardin. Les insurgés déclaraient qu’ils restaient fidèles au calife, mais qu’ils ne voulaient pas de ‘Alî b. ‘Isâ comme gouverneur.

Le maître des postes du Khurâsân annonça ces faits au Lieutenant ; il ajouta, dans sa lettre, que ‘Ali disposait d’une grande armée et de

richesses considérables, et qu’il ne fallait pas le destituer brusquement, parce qu’il était à craindre qu’il ne résistât.

 

Rashîd, après avoir délibéré, fit appeler Harthama b. ‘Ayân, et lui dit :

« Je veux te confier une mission qui doit rester absolument secrète, jusqu’à un moment donné. Si ta chemise venait à connaître ce secret, ote-la de ton corps. Je vais te faire partir pour le Khurâsân, et te donne le gouvernement de cette province. Or si ‘Alî l’apprenait, il se révolterait

et te résisterait les armes à la main. En conséquence, annonce à tes troupes que tu marches à son secours ; quand tu seras en route, écris-lui que tu lui amènes des renforts pour combattre Râfi‘ ; puis, quand tu seras arrivé à Merw, fais-le arrêter, enlève-lui tous ses trésors que tu m’enverras, et force-le à rendre ce qu’il a injustement pris, à quiconque viendra réclamer contre lui et justifiera sa réclamation. Il faut qu’il

restitue tout ce qu’il a enlevé aux musulmans, et s’il s’y refuse, fais-le mettre à la torture. »

Rashîd harangua ensuite le peuple, parla de la révolte de Râfi’ et dit qu’il avait chargé Harthama d’amener à ‘Alî! les renforts qu’il avait demandés. Puis, après avoir fait écrire à ‘Alî qu’il envoyait Harthama à son secours, il écrivit de sa propre main l’acte d’investiture de Harthama (ce dernier seul, en dehors du Lieutenant, en eut connaissance) et 2

autres lettres, l’une adressée à l’armée du Khurâsân, l’autre aux habitants de la province, par lesquelles il les invitait à obéir au nouveau gouverneur ; et enfin une troisième adressée à ‘Alî, qui contenait l’ordre de remettre l’administration à Harthama. Cette dernière était conçue en ces termes :

« Au nom du Dieu clément et miséricordieux : fils de prostituée, je t’ai comblé de bienfaits ; du grade de capitaine des gardes, je t’ai élevé à la dignité de Wâlî et t’ai donné la Wilâyâ du Khurâsân, sans tenir compte des observations de mes ministres qui me disaient que tu n’étais pas apte à cette charge ; et voilà comme tu me récompenses ! Tu tyrannises les musulmans et m’aliènes mes sujets ! Maintenant j’envoie Harthama, qui doit t’arrèter, enlever tes trésors, te demander compte de tes actes et te forcer à restituer tout ce que tu as pris par concussion. Remets-lui le pouvoir et obéis à ses ordres. »

Harthama, muni de ces lettres, se mit en route à la tête de 20 m hommes. Le Lieutenant lui adjoignit, comme ????? un de ses senritain ???? ??? ?? s’appelai aussi Rafi‘ qui devaît veiller à ce que Harthama ne ?????

aucune condescendance envers ‘Alî car ils étaient amis.

Arrivé a ????. Harthama écrivit à ‘Alî qu’il avait des renforts que le Lieutenant lui enyoyait, il vint de suite à Nishâbûr, où il laissa un corps de troupes sons les ordres d’an officier, qui devait prendre le gouvernement de celle cité.

Lorsque lui-même sérait arrivé à Merw ; mais il lui recommenda de laisser croire, en attendant, qu’il se disposait à suivre son général. Il alla ensuite à Balkh, et de là il marcha sur Merw, ‘Alî vint au-devant de lui, et au moment où il l’aperçut, il voulut descendre de cheval. Harthama s’y

opposa formellement, en disant :

« Si tu descends, je descendrai aussi. »

Ils entrèrent ensemble dans la cité ; comme ils eurent à traverser un certain point, qui ne donnait passage qu’à un seul cavalier à la fois, ‘Âlî retint son cheval, pour laisser passer d’abord Harthama ; mais celui-ci dit :

« Tu es Commandeur, je ne passerai pas le premier. Toutes ces démonstrations de déférence rassurèrent ‘Alî sur ses intentions. Ils arrivèrent ainsi jusqu’au palais de Wilaya, et Harthama y entra avec ‘Alî. Les gens de sa suite restèrent à cheval. On servit le repas, et après le dîner ‘Ali dit à Harthama :

« ‘Je t’ai préparé tes quartiers dans ce palais, pour que, demain, nous puissions causer.

-Le AlM m’a confié une lettre pour toi que je te dois remettre immédiatement, répliqua Harthama. »

Il le prit dans un coin de l’appartement avec le maître du Barîd, et lui tendit la lettre autographe du Lieutenant. ‘Ali l’ouvrit, et lorsque son regard tomba sur les premiers mots :

« Ô fils de prostituée », sa main trembla ; quand il eut fini la lecture de

la lettre, il dit :

« Le Lieutenant a raison. Je suis un fils de prostituée, car il m’a tenu dans la maison comme on tient les femmes. »

Harthama le fit charger de chaînes, se rendit au Jâmi‘, et communiqua à l’assemblée de l’armée et du peuple l’acte de sa nomination comme Wâlî ; tous lui promirent obéissance et furent très-satisfaits. Il prit aussitôt le pouvoir et confisqua les biens de ‘Alî. Il tint tous les jours audience dans la grande mosquée, et en présence de ‘Âlî, chargé de chaînes, il jugea les réclamations qui furent produites ; lorsqu’elles étaient prouvées, il le forçait de restituer ou d’indemniser les réclamants.

 

Sur ces entrefaites, Râfi’ était devenu très-puissant à Samarqand. Toute la Transoxiane avait fait cause commune avec lui et refusait de reconnaître l’autorité de Harthama.

En apprenant par une lettre de Harthama que Râfi’ était maître de la Transoxiane, et qu’il était venu de Samarqand à Bukbârâ, Hârun ar-Rashîd résolut de partir en personne pour le Khurâsàn. Il vint de Raqqa à Baghdâd, remit le gouvernement entre les mains de son fils Muhammad al-Amîn, en lui recommandant de pratiquer la justice envers l’armée et le peuple, et envoya son autre fils, Qâsim Mu’tâman, à Mawçil, province dont il lui avait donné le gouvernement.

Fadhl b. Sahl, Mawlâ et secrétaire de Mâ’mûn, qui était d’origine perse et avait fait profession de foi musulmane entre les mains de Mâ’mûn, conseilla à ce dernier de demander à Hârûn l’autorisation de l’accompagner dans son voyage ; car, lui disait-il, « si tu le quittes et que le Lieutenant meure, ton frère ne te donnera pas ton gouvernement. Mâ’mûn suivit ce conseil, et Hârûn l’emmena ayec lui. Il emmena également un de ses médecins, nommé Ibn Bakhtishû ; car il était alors malade. Arrivé à Nahrawân, il fit partir par la route du ‘Umàn quelques messagers qui devaient porter au roi Du Hindustan de riches présents et le message suivant :

« Je suis atteint d’une maladie grave et obligé d’entreprendre un long

voyage. Envoie-moi dans le Khurâsân ton médecin Manka. Quand je serai à Balkh, je te le renverrai. »

Le roi du Hindustan accueillit sa demande. L’état de Hârûn, par suite du traitement de Manka, s’améliora. Dans la suite de Hârûn se trouvaient 2 savants Fuqaha, à savoir Muhammad b. Hasan, Qâdhi de Raqqa, et al-Kisâî. L’un et l’autre tombèrent malades à Ray et moururent le même jour:Mo’hammed le matin, et al-Kisâî le soir; ils sont enterrés

à Reî.

 

Après avoir franchi les hauteurs de Hulwân, Hârûn arriva à Kirmânschàhân, où il harangua ses troupes et fit prêter de nouveau le serment à Mà’mûn. Il fit ensuite partir Mâ’mûn pour le Khurâsân, lui donna Fadhl b. Sahl, pour Ministre, et lui recommanda de s’établir à Merw et d’envoyer Harthama dans la Transoxiane pour combattre Râfi‘. Mâ’mûn exécuta ces ordres.

[…]

Au moment où Hàrûn quitta Gurgàn, Harthama franchit le Jayhûn, marcha sur Bukhârâ et livra bataille, aux portes de cette cité, à Bishr, frère de Râfi’. L’armée de Bishr fut mise en déroute, et il fut fait prisonnier. Harthama l’envoya à Mâ’mûn, qui le fit conduire à Hàrûn, qui était

très-malade, lorsqu’on lui présenta le prisonnier. Il lui dit :

« Ennemi de Dieu, toi et ton frère […], vous avez bouleversé le Khurâsàn, de telle sorte que j’ai été obligé, dans l’état de faiblesse où je me trouve, d’entreprendre ce long voyage ! Mais par Dieu, je vais te faire subir la mort la plus terrible que l’on ait jamais appliquée! Il fit venir un boucher qui reçut l’ordre d’amputer à Bishr successivement tous les os du corps, et de détacher toutes les phalanges de ses pieds et de ses mains. On le coupa ensuite, en présence de Hârûn, en 4 morceaux. Hàrûn mourut

10 jours après cette exécution dans la nuit de samedi III Jumada II de l’an 193/810, et qu’il fut enterré.