Strabon, Saka et Massagètes, Sogdiana, Ariana et Margiana, , v. 15 n-è

STRABO :

XI, 7 – L’Hyrcanie

Les populations nomades qui bordent la mer Caspienne tout de suite à gauche de l’entrée sont connues aujourd’hui sous le nom de Daae[…]Dam-Parn […].

Le territoire de ces populations est séparé de l’Hyrcanie par un vaste désert intermédiaire ; puis, immédiatement après ce désert, commence l’Hyrcanie.

[…]

L‘Hyrcanie est une contrée aussi riche que spacieuse, composée pour la plus grande partie de plaines, et qui se trouve parsemée pour ainsi dire de très grandes villes, telles que Talabroka, SaramianéKartan et Tapé, résidence royale située à […]14 stades des Pyles Caspiennes.

On peut juger aux indices suivants de la fertilité exceptionnelle de l’Hyrcanie : un seul pied de vigne y donne un métrète de vin ; un seul figuier 60 médimnes de figues ; le grain tombé des épis suffit à y faire lever une moisson nouvelle ; les arbres y servent de ruches aux abeilles et laissent le miel dégoutter de leurs feuilles […].

Et pourtant on n’a point encore tiré tout le parti qu’on aurait pu de ce beau pays […] la cause en est que, dès le principe, l’Iyrcanie a toujours été au pouvoir des Barbares, des Mèdes d’abord, puis des Perses et en dernier lieu des Parthes, pires encore que les autres s’il est possible, et qu’en outre elle est environnée uniquement de brigands, de Nomades et d’affreuses solitudes.

Il est vrai de dire que les Macédoniens l’ont possédée quelque temps, mais ils étaient, comme on sait, engagés dans des guerres continuelles et ne pouvaient à cause de cela surveiller les provinces lointaines de leur empire. _Aristobule s’étonne que l’Hyrcanie, pays très boisé, et qui produit des chênes en quantité, manque absolument de sapins et de pins, et en général d’arbres résineux, desquels abondent, au contraire, dans les forêts de l’Inde_ […]

A ses autres avantages l’Hyrcanie joint celui d’être sillonnée de grands fleuves : et, en effet, l’Ochus et l’Oxus la traversent tout entière dans leur cours inférieur avant d’aller se jeter dans la mer Caspienne. L’Ochus arrose également la Nésée ; mais, suivant certains auteurs, il ne faudrait voir dans ce cours d’eau qu’un affluent de l’Oxus.

Quant à l’Oxus, Aristobule dit n’avoir pas vu de plus grand fleuve dans toute l’Asie, à l’exception des fleuves de l’Inde. Il ajoute, ce qu’Eratosthène rapporte aussi sur la foi de Patrocle, que ce fleuve est aisément navigable et qu’il sert à transporter une bonne partie des marchandises de l’Inde jusqu’à la mer Hyrcanienne, […].

Le désir de flatter l’ambition d’Alexandre a fait imaginer plus d’un mensonge sur la mer Hyrcanienne. Ainsi, bien qu’il fût universellement admis que le cours du Tanaïs est ce qui sépare l’Europe de l’Asie et que tout l’espace compris entre la mer Hyrcanienne et le Tanaïs, qui forme une portion notable de l’Asie était resté en dehors des conquêtes des Macédoniens, on résolut de biaiser et de faire en sorte que, nominalement du moins, Alexandre parût régner sur cette contrée lointaine comme il régnait en réalité sur le reste de l’Asie. […]

Or, on savait que des mêmes montagnes de l’Inde où prennent leurs sources l’Ochus, l’Oxus et plusieurs autres fleuves encore, descend aussi l’Iaxarte, qui va se jeter comme eux dans la mer Caspienne : on s’empressa donc de transporter le nom de Tanaïs au fleuve Iaxarte, et, pour achever de démontrer son identité avec le Tanaïs de Polyclite, on fit remarquer que le sapin croît dans tout le pays situé à droite de ce fleuve et que les Scythes qui habitent de ce côté n’emploient même jamais d’autre bois pour leurs flèches, et de cette circonstance on voulut conclure que toute la contrée à droite de l’Iaxarte appartenait à l’Europe et non à l’Asie, le sapin, suivant ces mêmes auteurs, ne croissant ni dans la Haute-Asie, ni dans l’Asie-Orientale. […]

XI, 8 – Le pays des Saces

Si de la mer Hyrcanienne on s’avance à présent dans la direction de l’E., on se trouve avoir à droite une chaîne de montagnes qui s’étend jusqu’à la mer de l’Inde.

C’est la même chaîne, à laquelle les Grecs ont donné la dénomination de Taurus et qui se prolonge sans interruption de l’W. à l’E. […] Le long du versant septentrional de cette chaîne on rencontre d’abord, ainsi que nous l’avons déjà dit, les Gèles, les Cadusii et les Amardes, puis quelques peuples hyrcaniens, suivis des trois grandes nations parthyaeenne, margiane et arienne ; après quoi, en continuant à s’avancer vers l’E. et dans la direction de l’Ochus, on atteint le désert que le cours du Sarnius sépare de l’Hyrcanie.

[…] Quant à la distance, elle mesure depuis la mer Hyrcanienne jusqu’au pays des Arii 6000 stades environ. […] Au delà, se trouve la Bactriane ; puis, après la Bactriane, la Sogdiane ; et finalement le territoire des Scythes nomades. […]

Les pays que nous venons d’énumérer sont bordés à gauche par les possessions des peuples scythes et des peuples nomades, lesquelles forment à proprement parler tout le côté septentrional de l’Asie.

Les premiers peuples scythes à partir de la mer Caspienne sont généralement compris sous le nom de Dam, mais on désigne plus volontiers sous les noms de Massagètes et de Saces ceux qui habitent à l’E. des Daae ; quant aux autres, l’usage est de les envelopper dans la dénomination commune de Scythes, bien qu’on sache que chacun d’eux a un nom particulier.

Cela tient à ce qu’ils ont tous les mêmes habitudes[…] de la vie nomade. Quelques-uns pourtant ont su se faire une certaine célébrité, ce sont ceux qui ont enlevé naguère aux Grecs la Bactriane, à savoir les Asii, les Pasiaki, les Tokhari et les Sacaraulès, tous peuples venus de l’autre côté de l’Iaxarte, c’est-à-dire, de la rive qui fait face aux possessions des Saces et à la Sogdiane, et qui se trouvait alors occupée par les Saces eux-mêmes. Un petit nombre de tribus, parmi les Scythes Daae, ont su également acquérir quelque renom, ce sont les Aparni, les Xanthi et les Pissuri. De ces trois tribus, la première se trouve être aussi par le fait la plus rapprochée de l’Hyrcanie et de la mer Hyrcanienne ; quant aux deux autres, elles s’étendent assez loin vers l’E. pour ne s’arrêter que là où le pays commence à courir parallèlement à l’Arie.

Il existe, à la vérité, entre le territoire de ces peuples, l’Hyrcanie et la Parthyène, un désert immense et entièrement dépourvu d’eau ; mais de tout temps les Scythes nomades ont assez aisément franchi cet obstacle en forçant leur marche ordinaire de manière à se jeter, suivant leur bon plaisir, soit sur l’Hyrcanie et la Nésée, soit sur les plaines de la Parthyène. De tout temps aussi, les populations de ces pays se sont empressées de leur promettre le tribut, lequel consistait à les laisser venir à époques fixes faire des incursions sur leurs terres pour y enlever tout le butin qu’ils voudraient. Seulement, comme ceux-ci ne respectaient guère le traité et qu’ils multipliaient leurs courses plus que de raison, il arriva souvent qu’une guerre en règle éclata, mais pour aboutir bientôt à d’autres traités précurseurs eux-mêmes d’autres guerres. Du reste, ce genre de vie est celui de toutes les nations nomades : toutes, elles ont pour habitude d’attaquer incessamment leurs voisins, quittes à traiter au moment même avec ceux qu’elles ont attaqués.

4. […]

Les Saces qui poursuivaient [Cyrus], trouvant le camp abandonné et rempli de tout ce qu’il fallait pour faire bonne chère, se laissèrent aller sans mesure à leur gourmandise, et, quand Cyrus, qui était revenu sur ses pas, rentra dans le camp, ils étaient tous ivres-morts et abrutis ; les uns furent frappés en plein engourdissement, en plein sommeil, les autres surpris au milieu de leurs danses et de leurs bacchanales se virent envelopper sans pouvoir se défendre par des bataillons armés et furent presque tous massacrés. Or Cyrus, suivant la tradition, se serait persuadé que cet événement ne pouvait être qu’une faveur divine et sous le nom de Fête des Sacées il aurait consacré cet heureux jour à la grande déesse des Perses. Le fait est que, partout où il y a un temple d’Anaïtis, l’usage veut qu’on célèbre aussi les Sacées, sorte d’orgie qui dure un jour et une nuit et pendant laquelle les hommes et les femmes, tous vêtus à la mode des Scythes, se réunissent et boivent à l’envi, les hommes se provoquant entre eux par des paroles mordantes et excitant qui plus est les femmes à imiter leurs exploits bachiques.

  1. 1.        Les Massagètes, eux, déployèrent une grande valeur dans leur guerre contre Cyrus. Mais beaucoup d’auteurs ont parlé de cette guerres et c’est chez eux qu’il faut en chercher les détails. En revanche, nous croyons devoir consigner ici les particularités suivantes relatives au même peuple. Les Massagètes habitent, les uns dans la montagne, et les autres dans la plaine ; d’autres aussi habitent les marais que forment les différents cours d’eau [qui arrosent leur pays], d’autres enfin ont pour demeure les îles situées au milieu de ces marais. On dit que c’est surtout à l’Araxe que le pays des Massagètes doit d’être ainsi détrempé et inondé, ce fleuve s’y divisant en plusieurs bras, dont un seul du reste débouche dans le golfe Hyrcanien, tandis que les autres vont se jeter dans l’autre mer, c’est-à-dire dans la mer Boréale.

Les Massagètes croient à l’existence d’un Dieu unique, le Soleil, et ils l’honorent en lui immolant des chevaux. Ils n’épousent tous qu’une seule femme, mais ils usent sans scrupule des femmes des autres, et cela ostensiblement, l’homme qui a commerce avec la femme d’autrui ayant soin, au préalable, de suspendre son carquois au chariot de cette femme pour rendre la chose aussi publique que possible. La mort réputée la plus enviable parmi eux, c’est d’être, au terme de la vieillesse, haché menu avec d’autres viandes et mangé par les siens ; mais tout homme qui est mort de maladie est censé un impie, qui n’est bon qu’à servir de proie aux bêtes féroces.

Aussi exercés à combattre à pied qu’à cheval, les Massagètes se servent d’arcs, de sabres courts, de cuirasses et de haches d’airain à deux tranchants ; ils portent dans les combats des ceinturons en or et des diadèmes de même métal. Les freins et les plastrons de leurs chevaux sont également d’or massif. Il n’y a pas de mines d’argent chez eux et les mines de fer y sont rares ; en revanche ils ont du cuivre et de l’or en abondance.[…]. Enfin les Massagètes de la plaine, bien que la terre ne leur fasse pas défaut, dédaignent l’agriculture et aiment mieux vivre de la chair et du lait de leurs troupeaux, ainsi que du produit de leur pêche, et cela à la façon des Nomades et des Scythes ; car il n’y a en réalité qu’un seul et même genre de vie pour tous les peuples de ces contrées et c’est celui que j’ai eu souvent déjà l’occasion de décrire.

J’ajoute que chez tous les sépultures se ressemblent, que leurs moeurs sont partout identiques et qu’en somme toutes leurs habitudes accusent un esprit indépendant, mais grossier, sauvage et belliqueux, joint, il faut bien le dire, à une grande droiture dans les transactions et à une ignorance complète des fraudes propres aux nations commerçantes.

A la nation des Massagètes et des Saces se rattachent aussi les Augasii (Oghuz ?) et les Chorasmii. C’est chez ce dernier peuple qu’après s’être vu chasser de la Bactriane et de la Sogdiane Spitamène avait cherché un refuge, Spitamène, l’un de ces satrapes perses, qui, à l’exemple de Bessus, cherchèrent à se soustraire à la domination d’Alexandre.

[…] Eratosthène prétend que le territoire des Sacaraules et des Massagètes, lequel longe l’Oxus, forme la bordure occidentale de la Bactriane ; que celui des Saces et des Sogdiens s’étend d’un bout à l’autre parallèlement à la frontière de l’Inde ; que la Bactriane, au contraire, bordée comme elle est dans presque toute sa longueur par le Paropamisus, ne touche à cette frontière que sur une faible étendue. Eratosthène ajoute que le cours de l’Iaxarte forme la séparation entre les Saces et les Sogdiens, et le cours de l’Oxus la séparation entre les Sogdiens et les Bactriens ; […]

9. Quant aux distances, voici comment Eratosthène les évalue : depuis le [mont] Caspius jusqu’à [l’embouchure du] Cyrus, 1800 stades environ ; de là aux Pyles Caspiennes, 5600 stades ; ensuite, jusqu’à la ville d’Alexandria du pays des Arii, 6400 stades ; puis, jusqu’à la ville de Bactra-Zariaspe, 3800 stades ; enfin jusqu’au point du cours de l’Iaxarte atteint par Alexandre 5000 stades environ, ce qui donne une distance totale de 22 670 stades. […]

XI, 10 – L’Arie et la Margiane

1. L’Aria et la Margiana sont les deux provinces les plus importantes : elles se composent, en partie, de massifs montagneux et impénétrables, en partie de plaines où se trouvent naturellement les grands centres de population, les montagnes n’étant habitées que par quelques tribus de Scénites. Les plaines de l’Arie et de la Margiane sont traversées par deux fleuves, l’Arius et le Margus, qui les arrosent très largement. L’Aria touche à la Margiana] et en général à tout l’ancien royaume de Stasanor lequel possédait la Bactriane. Une distance de 6000 stades environ la sépare de [la mer] Hyrcanienne. La Drangiane, laquelle s’étend jusqu’à la Caramanie, formait une seconde annexe administrative et financière de l’Arie. On sait que la Drangiane, dont la plus grande partie est au S. des montagnes, se trouve pourtant avoir quelques cantons sur le versant septentrional et dans le voisinage immédiat de l’Arie. L’Arachosie, bien que située aussi [et en totalité qui plus est] au S. des montagnes, n’est pas loin non plus de l’Arie, et, tout en se prolongeant jusqu’aux bords de l’Indus, fait encore partie de l’Ariana ou région Arienne. La longueur de l’Arie est de 2 000 stades environ, sa largeur (j’entends celle de ses plaines) est de 300 stades. Elle compte trois villes principales, Artacoana, Alexandria et Achaea, qui, toutes trois, ont retenu les noms de leurs fondateurs. Son sol est particulièrement favorable à la culture de la vigne et voici, entre autres choses, une circonstance qui le prouve, c’est que le vin qu’on y récolte se conserve durant trois générations et sans qu’on ait besoin d’enduire les vases de poix.

2. La Margiana ressemble beaucoup à l’Aria ; seulement ce sont des déserts qui entourent la plaine qu’arrose le Margos. Frappé de la fertilité de cette plaine, Antiokhos Sôter la fit ceindre d’une muraille qui n’avait pas moins de 1500 stades de tour et il y bâtit une ville qu’il appela de son nom Antiokheia. Le sol de la Margiane, comme celui de l’Arie, convient merveilleusement à la vigne, s’il est vrai, ainsi qu’on l’assure, qu’on y rencontre fréquemment des ceps dont deux hommes auraient peine à embrasser le pied et dont les grappes mesurent jusqu’à deux coudées de long.

 

XI, 11 – La Bactriane et la Sogdiane

 

1. La Bactriane, dont la frontière septentrionale borde l’Arie sur une certaine longueur, dépasse de beaucoup cette contrée dans la direction de l’E. Elle a une étendue considérable et un sol propre à toutes les cultures, celle de l’olivier exceptée. Grâce à ses immenses ressources, les Grecs qui l’avaient détachée [de l’empire des Séleucides] devinrent bientôt tellement puissants qu’ils purent s’emparer de l’Ariane et de l’Inde elle-même, au dire d’Apollodore d’Artémite, et que leurs rois, Ménandre surtout (s’il est vrai qu’il ait franchi l’Hypanis et se soit avancé vers l’E. jusqu’à l’Imaüs), finirent par compter plus de sujets et de tributaires que n’en avait jamais compté Alexandre, grâce aux conquêtes faites tant par Ménandre en personne que par Démétrius, fils du roi de Bactriane Euthydème. Ajoutons que, [du côté de la mer,] non contents d’occuper toute la Patalène, ils avaient pris aussi possession d’une bonne partie du littoral acacent, à savoir des royaumes de Saraoste et de Sigerdis. En somme, Apollodore a eu raison d’appeler la Bactriane le boulevard de l’Ariane, les rois de ce pays ayant poussé leurs conquêtes jusqu’aux frontières des Sères et des Phryni.

2. Les rois de Bactriane avaient dans leurs états plus d’une ville importante, Bactre-Zariaspa d’abord, que traverse une rivière de même nom, tributaire de l’Oxus ; puis Adrapsa et plusieurs autres encore. Au nombre des villes principales du pays figurait aussi Eucratidie, ainsi nommée du roi [grec qui l’avait fondée]. Une fois maîtres de la Bactriane, les Grecs l’avaient, [à l’exemple des Perses,] divisée en satrapies, témoin les deux satrapies, dites d’Aspionus et de Turianus, qui leur furent enlevées par les Parthes sous le règne d’Eucratidès. Enfin, ces mêmes rois grecs ajoutèrent à leurs états la Sogdiane, province située à l’E. de la Bactriane entre l’Oxus, dont le cours sert de limite commune aux Sogdiens et aux Bactriens, et l’Iaxarte qui forme la séparation entre les Sogdiens et les Nomades.

3. Anciennement, il n’y avait guère de différence, sous le rapport du genre de vie et de l’ensemble des moeurs et des coutumes, entre les Nomades, d’une part, et les Sogdiens et les Bactriens, de l’autre. Les Bactriens étaient bien au fond un peu plus civilisés, mais le portrait qu’Onésicrite nous a laissé d’eux n’est pas des plus flatteurs. On y voit, par exemple, que tous ceux d’entre eux qui, pour vieillesse ou pour maladie, étaient déclarés incurables, étaient jetés vivants en proie à des chiens dressés et entretenus exprès et qu’on appelait dans la langue du pays d’un mot qui équivaut à notre locution de fossoyeurs ou de croque-morts, et que, par suite de cet usage, tandis que les alentours de leur capitale n’offraient aux yeux aucun objet impur, presque tous les quartiers de l’intérieur n’étaient remplis que d’ossements humains. Au reste Onésicrite ajoutait qu’Alexandre avait eu soin d’abolir cette coutume. […] l’usage bactrien a quelque chose de plus foncièrement scythique. […]

4. On dit qu’Alexandre, tant en Sogdiane qu’en Bactriane, fonda 8 cités nouvelles, mais il en aurait aussi détruit, paraît-il, quelques-unes des anciennes, notamment en Bactriane la ville de Cariatoe où Callisthène avait été arrêté et incarcéré et en Sogdiane Maracanda, voire même Cyra, la dernière des villes fondées par Cyrus et qui marquait sur l’Iaxarte la limite extrême de l’empire perse. On ajoute que, s’il détruisit cette ville, lui qui se piquait de tant aimer Cyrus, c’est qu’il avait voulu tirer vengeance des insurrections trop fréquentes de ses habitants. Il aurait pris aussi, mais seulement par trahison, ces deux roches ou forteresses réputées inexpugnables, celle de Sisimithrès en Bactriane où Oxyartès tenait sa fille Roxane et celle d’Ariamazès en Sogdiane, plus connue sous le nom de Roche Oxienne. Les historiens nous dépeignent la première comme ayant quinze stades de hauteur avec quatre-vingts stades de circonférence et comme formant à son sommet un plateau fertile capable de nourrir une garnison de cinq cents hommes, ils nous montrent même Alexandre y recevant une hospitalité splendide et y épousant Roxane, fille d’Oxyartès. Quant à la Roche de Sogdiane ou Roche Oxienne, ils lui donnent le double de hauteur. […]

5. Le fleuve qui traverse la Sogdiane porte, dans Aristobule, le nom de Polytimétos ; or, il est probable que ce sont les Macédoniens qui lui ont donné [ce nom], conformément à leur habitude, attestée par maint autre exemple, de changer ou de traduire tant bien que mal les dénominations locales. Aristobule ajoute que ce fleuve, après avoir arrosé et fertilisé la Sogdiane, pénètre dans une contrée déserte et sablonneuse et va se perdre dans les sables, comme fait l’Arius au sortir de l’Arie. Dans le voisinage de l’Ochus, maintenant, les Macédoniens, à ce qu’on prétend, auraient en creusant découvert une source d’huile. Certes la chose en elle-même n’offre rien d’invraisemblable, car on conçoit que le sein de la terre puisse être sillonné par des fluides gras, comme il l’est par des fluides nitreux et alumineux, bitumineux et sulfureux ; malheureusement, il suffit qu’un fait soit rare pour qu’on le range aussitôt parmi les fables. […] En revanche, il est notoire que l’Iaxarte demeure d’un bout à l’autre distinct et indépendant de l’Oxus, se jetant, comme lui, directement dans la Caspienne. Patrocle fixe même à quelque chose comme 80 parasanges la distance qui sépare l’une de l’autre les deux embouchures. Seulement, la parasange persique est diversement évaluée : les uns la font de 60 stades, les autres de 30 ou encore de 40. […]

6. […]

7. […]

8. Nous mentionnerons, maintenant, pour finir, certains détails tenant évidemment du merveilleux, mais que tout le monde répète au sujet des peuples qui, comme les habitants du Caucase et comme les montagnards en général, sont restés jusqu’à présent dams un état de complète barbarie. Chez les uns, dit-on, une loi expresse a mis en pratique cette pensée d’Euripide (Cresphonte),

«Pleurer sur l’homme à sa naissance, en pensant aux maux au devant desquels il court ; mais, quand l’homme est mort et que ses maux ont cessé, se réjouir et avec des cris d’allégresse accompagner ses restes hors de sa demeure».

Chez les autres, la peine de mort n’est jamais appliquée ; elle ne l’est pas même aux plus grands criminels qu’on se borne à bannir en compagnie de leurs enfants, ce qui est juste l’inverse de ce que pratiquent les Derbices, chez qui les fautes les plus légères sont punies de mort.

Les Derbices adorent la Terre et ne sacrifient ni ne mangent les animaux femelles ; chez eux tous les vieillards qui ont passé l’âge de soixante-dix ans sont égorgés et ce sont leurs plus proches parents seuls qui dévorent leur chair ; quant aux vieilles femmes, elles sont étranglées, puis enterrées. Les hommes morts avant d’avoir atteint l’âge de soixante-dix ans ne sont pas mangés non plus, mais enterrés.

Les Siginni, qui, pour tout le reste, vivent à la façon des Perses, se servent de méchants petits chevaux tout velus, beaucoup trop faibles pour être montés, mais qu’ils attellent à leurs quadriges et qu’ils laissent aux femmes le soin de conduire : elles s’y exercent dès leur enfance et celle qui arrive à savoir le mieux conduire a le droit de se choisir l’époux qu’elle veut.

[…] Un autre usage propre aux Tapyres, c’est que tous les hommes, chez eux, s’habillent de noir et portent les cheveux longs, tandis que les femmes s’habillent de blanc et ont toutes les cheveux courts. Celui d’entre eux qui est réputé le plus brave a le droit d’épouser la femme de son choix.

Enfin, chez les Caspii, il est d’usage d’exposer dans le désert les corps des septuagénaires qu’on a laissés mourir de faim et d’observer de loin ce qui leur arrive : ceux qu’ils ont vu arracher par des oiseaux de proie du lit sur lequel ils gisaient étendu