Jamal Qarshî, XIème s. n-è : Islamisation des Qarluq Kara-Khânides,

« Satuq Bughrâ Khân fut le premier des Qaghan turks de Kashghar et de Ferghana à se convertir à l’islam, c’était pendant que al-Muṭî’lillâh était Lieutenant, pendant le règne du Amir ‘Abd al-Malik b. Nûḥ, le Samanide.
L’imam très dévot Abû al-Futûḥ ‘Abd al-Ghâfir, fils du shaykh, du grand imam Abû ‘Abd Allâh al-Ḥusayn al-Faḍlî a dit dans son Tâ’rîkh Kâshghar :
Le premier pays des Turks à avoir adopté l’islam était Shâsh. Les gens de cette province se convertirent du temps de Bilga Kul Qâdir Khân contre qui l’émir Nûḥ b. Manṣûr était parti en ghazwa jusqu’à ce qu’il parvînt à Isfîjâb. Cette ville se soumit à lui et paya un tribut énorme. Ensuite, il se retira. Ils échangèrent par la suite sans cesse des messages, jusqu’à la mort de Nûḥ b. Manṣûr. Quand Ismâ‘îl b. Manṣûr accéda au trône, il agit comme son frère : lui aussi envoyait constamment des messages.
Le gouvernement des Turks échut alors à Oghul-Shaq Qâdir Khân qui ne voulut pas entendre ce que les messagers de l’islam avaient à dire jusqu’à ce que Naṣr b. Manṣûr prît la fuite de chez son frère, cherchant refuge à Kashghar. Oghul-Shaq l’accueillit en lui donnant les cadeaux qu’on offre au nouveau venu, et lui dit : “Tu arrives dans ta propre maison et tu descends chez ta famille. Moi, je te serai loyal quand ton frère te traitera durement”. Et il le nomma gouverneur de la province d’Artûj. Et voilà que les caravanes venaient fréquemment à Artûj, de Bukhara et de Samarqand, et à peine avait-il acheté des objets précieux, des meubles ou des vêtements de valeur incomparable, qu’il en envoya le premier choix à Qâdir Khân pour s’assurer ses bonnes dispositions.
On m’a transmis, à propos de leur conversion à l’islam, qu’à cette époque, les infidèles chérissaient particulièrement, parmi les étoffes et les robes, le brocart, et parmi les confiseries, le sucre, car ils ne connaissaient ni l’un ni l’autre et n’y avaient pas encore goûté. Naçr fit si bien qu’Oghul-Shaq fut convaincu de sa sincère amitié et s’appuya sur lui. Alors, Naṣr lui demanda de lui donner un terrain, grand comme la peau d’une vache, pour y construire une mosquée où il adorerait son seigneur. Il répondit : “Prends cela, où tu veux!”
Naṣr immola alors une vache et coupa sa peau en lanières, et de ces lanières, il entoura le terrain où se trouve la mosquée connue aujourd’hui sous le nom de “Mosquée d’Artûj”. Les infidèles s’étonnèrent de son habileté à formuler sa demande.
Cet Oghul-Shaq était l’oncle paternel de Satuq, qui compléta ses 12 ans révolus le jour de l’arrivée d’une caravane de Bukhara ; il était doué d’une beauté si exceptionnelle et d’un extérieur si pur, d’une intelligence naturelle et d’une clarté d’esprit si remarquables, d’un entendement si prompt et d’un jugement si raisonnable comme les princes turks n’en avaient pas montré trace auparavant.
Satuq partit à Artûj pour voir ce que les marchands amenaient et pour diviser ce qu’ils apportaient. Naṣr le Samanide lui donna des cadeaux pour l’accueillir. Quand vint l’heure de la prière du Dzuhur, les musulmans se levèrent pour la célébrer selon la prescription de la Loi. Satuq pourtant ne ressentit pas encore l’appel au bonheur, mais regarda les gens faire par derrière. La prière terminée, il demanda au Samanide ce qu’ils avaient fait. Celui-ci lui répondit :
“C’est un devoir pour nous de prier tous les jours et toutes les nuits 5 fois à des heures déterminées”. Satuq demanda :
Et qui vous a imposé ce devoir ?”
Le Samanide commença alors à lui décrire le Créateur de par Ses beaux noms et Ses qualités sublimes, et il écouta les prescriptions de la Loi énoncée par la bouche de Muḥammad et parla aussi des qualités louables et des traits préférables de la communauté.
Alors, Satuq dit :
“Qui a plus de droits d’être adoré que ce Dieu, qui est plus sincère que ce prophète et qui a plus de droits d’être suivi, qu’est-ce qui est plus beau que cette religion et laquelle est plus digne d’être vécue ?”
Et il déclara publiquement sa conversion à Dieu, qu’il soit loué, et à Muḥammad, la paix soit sur lui, et il accepta la Loi et ordonna à ses ghilmân et à son entourage d’accepter aussitôt la foi et l’islam. Ils crurent tous et se convertirent à l’islam.
Alors, le Samanide lui fit cacher cette histoire à son oncle Oghul-Shaq. Satuq apprit donc le Coran en cachette, de même qu’il prit connaissance des conditions de la foi et de l’islam et apprit ses règles. Il invita par la suite un groupe de sa famille à se convertir à l’islam en secret, et cinquante personnes le suivirent. Ceux-ci se soumirent à lui et en firent leur chef.
Oghul-Shaq sentit que Satuq était devenu musulman, et il détacha les espions les plus capables et les plus rusés pour le suivre au cas où ils le verraient un jour faire les ablutions rituelles ou prier. Ils l’informèrent de l’état des choses. Oghul-Shaq en parla à la Khatûn son épouse qui, elle, inclinait du côté de Satuq. Elle envoya un messager chez lui en secret pour l’avertir et dit :
“Ce samedi, ton oncle veut réparer le temple des idoles. Lui-même et ses intimes se chargeront du travail, et ce sera pour te mettre à l’épreuve. Tu dois donc faire un effort supplémentaire dans ce travail.”
Le jour venu, tous les participants portaient une brique en pisé, mais Satuq en portait 2 à chaque tour. Ce faisant, il priait Dieu le Très-Haut et disait : “Mon Dieu, si Tu m’aides à remporter la victoire sur mes ennemis qui sont aussi ceux de Ta religion, si Tu fais triompher l’islam par ma personne et si Tu poses la parole du pouvoir dans mes mains, certes je ferai de cet endroit une mosquée pour y réunir Tes fidèles pour qu’ils T’obéissent, et j’y construirai un miḥrâb pour Tes fidèles, et j’y érigerai un minbar pour Tes louanges. Après, j’appellerai à la prière, je me mettrai à la prière et je ferai moi-même office d’imam ; pour chercher Ta proximité et Ton accord”.
Et c’est cela la mosquée d’Artûj. Et comme il montrait tellement d’ardeur et d’application à la tâche, la Khatûn en tira un argument vis-à-vis de son époux et elle fit remarquer le grand effort de Satuq dans la construction. L’oncle de Satuq était de nouveau content de lui et dit : “Qu’il s’éloigne de notre religion et fasse ce qu’il a fait ou qu’il traite mal mes enfants après ma mort, je ne le lui permets pas”.
Satuq, sur ces entrefaites, apprit le Coran par cœur et s’appliqua à comprendre ce que les versets signifient, et il en arriva à ses 25 ans. Alors, il convoqua 50 personnes comme s’il partait à la chasse, mais il se dirigea vers une forteresse, c’était Îghâj-Bâlîq. Il s’y fortifia et y resta 3 mois. Son oncle apprit tout cela et ne vit d’autre issue que d’abandonner la résistance à cause des dangers. Quand Satuq partit à la rencontre de son oncle, il y avait autour de lui 300 chevaliers de Kashghar, et des ghuzât arrivèrent du Ferghana, ce qui compléta le millier, et le premier lieu qu’ils prirent, c’était At-Bâshî, et leur nombre atteignit 3 000 chevaliers. Alors, ils attaquèrent Kashghar qu’ils conquirent pour l’islam, et le parti des idolâtres s’affaiblit, et la parole de Dieu eut la victoire. […] Satuq Khân, le ghâzî, mourut en 344/933, son mausolée se trouve à Artûj, un village près de Kashghar, et il est en bon état aujourd’hui et un centre de pèlerinage. »