Tabari/Bal'ami, Unification de l'Arabie, 632-4, v. 910/ v.980

Femmes et enfants de Muhammad

[Khadija a enfantée Roqayya, Ounmi-Kolthoum, Zaînab et Fâtima]

A‘ysha bt Abu Bakr

Sawda

Hafsa bt ‘Umar

Hind Umm Salama, bint ‘amtu

Juwayri bt Hârith b. Abou-Dhirâr, Banî-Muçlaliq

Oumm Habiba bt Abou-SufyAn b. Harb

Zaynab bt Dja’bsch

Çafiyya bt ‘Hoyayy b. d’Akhtab

Maïmouna bt Hârith (soeur de la femme de ‘Abbas)

 *Ali, fils d’Abou-Tâlib, sortit de la maison en pleurant.

^Omar, qui se trouvait devant la porte, lui dit :

« Ali ces hypocrites prétendent que le Prophète est mort. »

 ‘Ali garda le silence. Quelqu’un alla avertir Abou-Bekr, qui vint aussitôt à la maison du Prophète. Il trouva à la porte ^Omar, entouré de monde et s’écriant :

 « Ces hypocrites disent que le Prophète est mort. Il n’est pas mort! Le Prophète est allé visiter Dieu, et il reviendra. De même que Moïse qui avait quitté son peuple pour se rendre à l’entrevue avec Dieu, est revenu après quarante jours ; de même que Jésus, qui monta au ciel et qui reparut devant son peuple, notre Prophète reviendra également. Que la langue de ceux qui disent qu’il est mort soit arrachée I Que leurs mains et leurs pieds soient coupés !

 Abou-Bekr, ayant entendu ces paroles, entra dans la maison et vit Aïscha qui pleurait et se frappait le visage. Le corps inanimé du Prophète était couvert de son manteau. Abou-Bekr découvrit le visage du Prophète et vit qu’il était mort. Il le recouvrit et sortit.

 ‘Omar continuait à haranguer la foule. Abou-Bekr lui dit :

« Ne parie pas ainsi, â ‘Omar, car Dieu a dit au Prophète : « Tu mourras et eux aussi ils mourront »

 ‘Omar dit :

Il me semble que je n’ai jamais entendu ce verset.

 Abou-Bekr s’adressa à ]a foule et dit :

Musulmans, Mohammed a quitté ce monde. Que ceux qui adoraient Mohammed sachent qu’il est mort ; mais que ceux qui adoraient Dieu sachent que Dieu est vivant et ne meurt jamais. Dieu a dit : Mohammed n’est qu’un apâtre ; il a été précédé par d’autres apôtres. S’il mourait ou s’il était tué, retoumeriez-vous en arrière ? »

 Alors le peuple, ne doutant plus de la mort du Prophète, fit éclater sa douleur et pénétra dans l’appartement pour voir le Prophète; ensuite il se retira. La mosquée se remplit des gens de la maison du Prophète ; ses femmes et ses affranchis pleurèrent et gémirent et se frappèrent le visage. Pendant ce temps, les autres musulmans s’assemblaient pour délibérer. Le corps du Prophète n’était pas encore lavé, que déjà la dissension s’élevait à Médine.

 Un homme entra dans la mosquée et dit : Les Ançâr se sont réunis et prêtent serment Saad b. ‘Ubada. Abou Bekr se leva , et, prenant ^Omar par la main , il sortit avec lui.

 *Ali et ‘Abbâs restèrent auprès du lit du Prophète, et prirent les dispositions pour le laver, l’ensevelir et l’enterrer. Abou-‘Obaïda b. Al-Jarrâh, vint au-devant d’Abou-Bekr et d’Omar [qui se dirigeaient vers le lieu où étaient rassemblés les Ançâr] et leur dit :

 “Retournez, car les Ançâr sont réunis dans le vestibule (Sakifa) des Beni-Sâ‘ida et proclament Sa‘d b Obâda, sans se soucier de ce que le Prophète est mort et de ce qu’il n’est pas encore enterré. MaLs vous, qui êtes les proches du Prophète, des Muhâjir, retournez et procédez à l’ensevelissement ; ensuite établissez l’un des vôtres comme votre chef, car les Ançâr ne voudront plus se soumettre à vous.

 Abou-Bekr répliqua :

« Par Dieu, je ne m’en retournerai pas que je ne les aie vus et entendus ! »

 Il prit Abou-^Obaïda par la main, et se rendit avec lui et Omarau lieu où étaient réunis les Ançâr.

 Abou-Bekr, ‘Omar et Abou-‘Obaîda, en entrant dans la Sakîfa des Benf-SâSda , y trouvèrent réunis tous les Ançâr. On avait amené Sa’d b Obâda, qui était malade; il était là, couché et couvert d’un manteau, et les Aus et les Khazraj étaient disposés à lui prêter serment. L’assemblée était nombreuse, et l’on faisait des discours.

Les Ançâr parlèrent ainsi :

 « Le mérite de vous autres Muhâjir est incontestable, mais nous voulons nommer comme chef l’un des nôtres ; choisissez-en un autre parmi vous ; de cette manière, chacun des deux partis sera satisfait, et il n’y aura entre nous ni discussions ni prétentions.

 Abou-Bekr prit ensuite la parole.

 Après avoir payé un tribut de louanges à Dieu, de sulutatiens au Prophète, et après avoir cité tous les versets du Coran, sans en passer un seul, dans lesquels il était queétion de la prééminence des Ançâr, il s’exprima ainsi :

 « Si nous agissons comme vous le dites, il y aura dissension et guerre civile. Mais vous savez que le Prophète a dit : « La fonction de présider appartient aux Qoraïschites. En conséquence, laissez le pouvoir religieux et civil aux Qoraïschites, et choisissons l’un d’eux, par rapport auquel vous aurez la même position que vous avez eue à Fégard du Prophète, et qui respectera vos droits et vous traitera comme le Prophète vous a traités. Je vous propose de nommer ^Omar ou Abou-^Obaïda, qui sont l’un et l’autre des hommes respectables par leur âge, Qoraîschites et distingués.

 Les Ançâr s’ëcrièrent :

 « Nous voulons nommer ‘Ali, qui est le cousin du Prophète , et son gendre ,

et son plus proche parent; il est le premier d’entre ies Qoraîschites et les descendants de Hâschim. »

 ‘Omar, craignant que la lutte ne se prolongeât et ne devint sanglante, dit à Abou-Bekr :

 « Étends la main et reçois notre serment , car tu es un respectable Qoraïschite et le plus digne.

 Abou-Bekr répliqua :

 Non , c’est à toi d’étendre la main et de recevoir mon serment. ‘Omar saisit la main d’Abou-Bekr et lui prêta serment.

 Alors les Ançâr, honteux de leur résistance, se précipitèrent tous vers Abou-Bekr et prêtèrent serment entre ses mains. Lorsque la nouvelle s’en répandit à Médine, toute la population accourut, et, dans le tumulte, SaM, fils d’^0bâda, faillit être tué et foulé aux pieds.

Un homme s’écria :

« Prenez garde, on écrase Saad »

 ‘Omar dit :

Qu’on tue cet hypocrite, qui a voulu jeter la discorde dans le peuple I

 Quelques auteurs rapportent que Sa’d fut tué ce jour-là.

 Quant à ‘Ali, il était assis au chevet du Prophète; on dit que, lorsqu’il apprit la nomination d’ Abou-Bekr, il se leva, se rendit aussitôt auprès d’Abou-Bekr et lui prêta serment. D’après d’autres traditions, il ne lui rendit hommage qu’après quarante jours ; d’autres disent après deux mois; d’autres encore, après six mois.

 Le même jour, ‘Omar harangua le peuple en ces termes :

 « Rendez hommage au vicaire du Prophète aujourd’hui même, afin qu’aucun croyant ne reste une seule nuit sans avoir un chef religieux. »

 A la tombée de la nuit, tous les Muhâjir et les Ançâr de Médine avaient prêté serment à Abou-Bekr.

 Abou-Sofyân b. Harb, dit à ‘Ali :

 « Pourquoi abandonnes-tu le pouvoir à Abou-Bekr, qui est de la famille des Bani-Tamim, la plus insignifiante d’entre les Qurayš ? Quant à moi, je n’y consens pas. Je vais faire venir de la Mecque une armée si nombreuse, que les gens en seront ëpouvantés. Je ne veux pas que le commandement soit à d’autres qu’aux Bani Umayya. »

 ‘Ali répliqua :

 Il y a longtemps que tu es l’ennemi de l’islam ; on n’a jamais vu de toi que du mal. Lorsque Âbou-Bekr fut informé du propos d’Abou Sofyân et de son refus de prêter serment, il fit immédiatement appeler le fils aine d’Abou-Sofyân, Yezid, et lui conféra le gouvernement de la Syrie et des contrées [voisines] qui étaient sous la loi de l’Islam. Apprenant cette nomination de son fils, Abou-Sofyân vint le soir même et prêta serment.

 Lé corps du Prophète, couvert d’un manteau, gisait abandonné dans sa maison : tous étant occupés de l’affaire de l’élection, personne ne songeait à la lotion funéraire , ni à son enterrement.

 Le lendemain matin, *Omar conduisit Abou-Bekr à la mosquée, et lui disant :

 « II y a encore beaucoup de personnes qui n’ont pas prêté serment; il faut que tous aient accompli cet acte. »

 Le peuple s’assembla dans la mosquée, Abou-Bekr s’assit dans la chaire, et ^Omar, se tenant au-dessous de la chaire, prit le premier la parole en ces termes :

 « Musulmans, rendez grâces à Dieu de ce qu’il a fait tomber vos suffrages sur le meilleur d’entre vous, sur Abou-Bekr, le compagnon du Prophète, celui qui a été avec lui dans la caverne et qui a accompli avec lui la HIjra. Que tous ceux qui ne lui ont pas encore rendu hommage le fassent aujourd’hui. »

 Ceux qui n’avaient pas prêté le serment la veille le prêtèrent ce jour-là, qui est appelé la Journée du serment du peuple. Ensuite Abou-Bekr prononça l’allocution suivante :

 « Musulmans, je n’ai accepté le pouvoir que pour empêcher qu’il y eût dissension, lutte et effusion du sang. Je suis aujourd’hui [comme hier] l’égal de vous tous ; je peux faire le bien ou le mal. Si j’agis bien, rendez grâces à Dieu ; mais si j’agis mal, redressez-moi et avertissez-moi. Tant que j’obéirai à Dieu, obëissez-moi ; si je m’ëcarte des ordres de Dieu, cessez de m’obëir, vous serez dégages du serment que vous m’avez prêté. Maintenant allez et occupez-vous du Prophète, qui est mort; nous allons lui rendre nos devoirs, le laver, prier sur lui et fenterrer. »

 Ensuite Abou-Bekr descendit de la chaire et entra dans la maison du Prophète, pour le faire laver et enterrer.

 On rapporte que ce fut le mardi, à Theure de la prière de midi, qu’on procéda à la lotion funéraire du Prophète, mort le lundi. Dans une autre tradition il est dit qu’on laissa son corps sans s’en occuper le mardi , le mercredi et le jeudi , jusqu’à l’heure de la première prière. Abou-Bekr craignait que le corps pendant ces trois jours ne se fât déjà corrompu ; […] Ensuite Abou-Bekr dit :

« J’ai entendu dire au Prophète que ce sont ses proches parents qui doivent le laver. »

 Il fit donc appeler ‘Abbâs et ‘Ali ‘AbbAs et ses deux fils, Fadhl et Qutham, et ‘Ali, étant arrivés, Abou-Bekr leur dit de laver le corps du Prophète et ordonna à deux aifranchis du Prophète, Shuqrân et Usâma b. Zai’d, de les aider.

 Lui-mâme, avec les Mohâdjir et les Ançar, s’assit à la porte. Alors l’un des Ançàr, nommé Ans, fils de Kbawall, de la tribu de Khazradj , se leva et dit :

 « Vicaire de i’apôtre de Dieu, prends garde que demain on ne nous blâme , en disant : Lorsqu’on a lavé le Prophète, aucun des Ançâr n’y a assisté. Ne nous refuse pas cet honneur, et envoie l’un de nous pour y prendre part. Aws avait été l’un des combatant à la journée de Bedr. »

 Abou-Bekr lui répondit :

« Vas-y toi-même, et aide k laver le Prophète. Aws entra dans la maison. »

 Après l’inauguration d’Abou-Bekr dans la dignité de calife, tout le monde i Médinc lui avait prét^ serment, excepta Sa’d b. ObAda, de la tribu de Kbairadj. ‘Omar dit i Abou-Bekr :

 « N’accepte pas son refus de te rendre bommage. »

 Abou-Bekr, d’après cet avis d”Omar, fit amener Sa’d de force et lui fit prêter serment. Puis il lui dit :

 « Je sais que tu n’as prêté le serment que cédant à la contrainte et malgré toi; mais il fallait te l’imposer. Maintenant, si tu ne le tiens pas, je te ferai trancher la tête.

 Quelques auteurs prétendent qu’Abou-Bekr renonça à faire prêter le serment à Sa’d, et que celui-ci mourut sans l’avoir prêté. En effet, Sa’d appartenait à la tribu des Khazraj, qui depuis longtemps étaient en hostilité avec les Beni-Aus. Ceux-ci ne voulaient pas que le pouvoir échoit aux Khazraj, et lorsque les Mohâdjir randirent bommage k Abou-Bekr, les premiers parmi les AnçAr qni suivirent leur exemple furent les Bent-Aus; les Khazradj l’acclamèrent ensuite. Mais Sa’d mourut sans reconnaître Abou-Bekr.

 Le premier acte d’autorité d’Abou-Bekr fut, trois jours après l’enterrement du Prophète, la prodamatJon suivante, adressée aux musulmans ;

 « Le Prophète vous avait ordonné de vous mettre en campagne sous les ordres d’Osâma. Le Prophète étant tombé malade, cet ordre na pas été exécuté. La première de toutes les choses à faire est celle que le Prophète a ordonnée. Il ne faut pas hésiter. Maintenant, préparez-vous au départ. »

 Les musulmans vinrent le trouver et lui dirent :

 Cela n est pas raisonnable. La plupart des Bédouins sont révoltés; Tolaf ha fait de la propagande parmi les Beni-Asad , en se faisant passer pour prophète , et un grand nombre d’entre eux ont cru en lui. Mosaïlima se fait passer pour prophète dans le Yemâma. Les musulmans qui sont avec toi à Médine , Mohâdjir et Ançâr, sont peu nombreux ; si tu envoies encore ceux-là en Syrie, tu seras à Médine avec une poignée d’hommes ; il se peut que Tun des ennemis fasse une tentative sur cette ville; alors tu te trouveras seul.

 Abou-Bekr répliqua :

 « Dieu sera avec moi, et me préservera du malheur d*étre attaqué par Tennemi.

 Les musulmans murmuraient. Lorsqu’ils furent certains que la volonté d’Abou-Bekr était bien arrêtée , ils dirent à *Omar :

 « Va trouver le vicaire du Prophète et dis-lui qu’il n est pas bon que nous partions et qu’il reste seul; s’il maintient son ordre de départ, dis-lui qu’il nous donne un autre général; car nous ne voulons pas marcher sous les ordres d’Osama, le fils d’un affranchi. Nous sommes des Arabes qoraïschites, des Mohâdjir et des Ançâr; il serait honteux pour nous de marcher sous le drapeau d’un affranchi. »

 Omar se rendit auprès d’Abou-Bekr et lui fit part de ces paroles. Abou-Bekr répondit :

 Il faut absolument que tous ceux que le Prophète a dési^jnés pour partir avec Osâma partent aujourd’hui, quand même je devrais rester seul.

 ‘Omar dit :

 Alors les hommes veulent qu’on leur donne un général autre qu’Osâma.

 Abou-Bekr s’écria :

 « Tu es devenu fou, ô ‘Omar Je n’ôterai jamais le commandement h un général qui a été choisi par le Prophète. »

 Omar vint dire aux soldats :

 « Il faut décidément partir sous les ordres d’Osâma. »

 Les soldats firent leurs préparatifs. Lorsque le jour du départ fut arrivé , Osâma monta à cheval et vint à la porte d’Abou-Bekr avec toute Tarmée. Abou-Bekr sortit. On lui avait amené son cheval, mais il alla à pied. ^Abd-er-Ra^hmân, fils d’^Auf, lui présenta le cheval et lui dit de monter; Osâma aussi, et tous les autres lui dirent :

 « Monte, d vicaire du Prophète »

 Mais Abou-Bekr dit :

 « Ne prenez pas de souci de ce que je marche à pied, et de ce que je me fatigue dans le chemin de Dieu. J*ai entendu de la bouche du Prophète ces paroles : « Celui qui se fatigue dans le chemin de Dieu est préservé du feu de Tenfer.

 TY Abou-Bekr marcha donc avec Osâma et les troupes, qui étaient à cheval. Arrivé à une certaine distance de la ville, Abou-Bekr s^arréta , prit congé des soldats et leur fit les recommandations suivantes :

 « La première chose que je vous recommande, c’est que vous obéissiez à votre chef. Évitez la trahison; si vous faites du butin, n’en dérobez rien; si vous êtes victorieux, ne tuez ni les femmes ni les petits enfants; ne détruisez rien, ne coupez pas les arbres fruitiers, n’égorgez pas le bétail, à l’exception de ce que vous en mangez. Il y a en Syrie des anachorètes chrétiens, vivant dans les ermitages, où ils professent le christianisme, éloignés^ du com merce du monde; ils n’attaquent ni n’inquiètent personne. N’inquiétez pas ces hommes, et ne tuez aucun d’eux. »

 Lorsque Abou-Bekr eut achevé ces recommandations, Osâma dit :

 « Vicaire du Prophète , ordonne à ^Omar, fils de Khattâb, de venir avec nous et de m’aider [de ses lumières]. »

 Abou-Bekr donna cet ordre à ^Omar, qui fut enrolé sous le drapeau d’^Osâma ; [cependant , sur la demande d’ Abou-Bekr, Osâma lui pennit de rester à Mëdiae]. Avant de s’en retourner, Âbou-Bekr dit à Osâma :

 « Rends-toi d’abord aux demeures des Bani-Qudhâ^a, comme le Prophète Ta ordonne, et de là en Syrie. »

 Osâma se mit en marche. Après avoir pillé les fienf-Qodhâ^a , et fait parcourir à ses troupes le territoire de différentes tribus qui s’étaient révoltées; après leur avoir pris un butin considérable et massacré un grand nombre de personnes, il s’avança vers le territoire de Roum, jusqu’à l’endroit où son père Zaïd b. Hâritha, avait été tué. Là aussi il fit beaucoup de butin. Après une absence de quarante jours, il rentra à Médine, victorieux et chargé des dépouilles des ennemis, et avec beaucoup de prisonniers. Abou-Bekr fut très-heureux, et considéra cette victoire d’Osâma comme de bon augure.

 ASWAD

 Aswad, de la tribu d’Aws, s’était érigé en prophète dans le Yemen. Le Prophète vivait encore, mais il était déjà malade, lorsque commença la révolte des Bédouins, qui avaient chassé de leurs tribus les gouverneurs qu’il y avait établis. En recevant cette nouvelle, le Prophète adressa des lettres aux gouverneurs dans le Yemen, avec l’ordre de tuer Aswad. Les agents du Prophète étaient nombreux dans ce pays. En effet, lorsque Bîdsân avait embrassé l’islam, le Prophète lui avait conféré le gouvernement de tout le Yemen, dont les habitants, Himyarites et Persans, furent convertis par lui à la religion musulmane. Quand Bîdsân mourut, il laissa un. fils, nommé Shuhr, auquel le Prophète donna le gouvernement de Çan’â et de deux ou trois autres villes. Puis il envoya de Médine d’autres gouverneurs, qui furent chargés chacun de l’administration de deux ou trois des villes nombreuses du Yemen, et de la perception de l’impât, qu’ils devaient faire parvenir à Mëdine.

 Le premier de ces gouverneurs ëtait ‘Âmir b. Shehr al-Hamdani

le second, Abû-Mûsa al-Ash‘ari

le troisième, Khâlid b. Sa’id b Al-‘Âç

le quatrième, Tâhir b Abou-Hâia

le cinquième, YaMa b. Omayya

le sixième, ‘Amrou b. Hazm

le septième, Ziyâd b Labtd

le huitième, ‘Okkâscha b Thaur

le neuvième, Mo^flwiya b Kinda.

 Donc le Prophète assigna à chacun de ces neuf personnages quelques villes et un territoire dans le Yemen, depuis ‘Aden jusqu’au Hadhramaut

Schehr, fils de Bâdsân, était au milieu, à Çan^A, résidence des rois Himyarites, et les autres tout autour de lui.

Le Prophète plaça à la tète de tous ces agents Mo‘âds b Jabal, qui avait pour mission d’établir la perception normale de l’impôt d’après le tableau qu’il lui avait donné, de se rendre successivement dans toutes les villes du Yemen, d’enseigner aux habitanta les dogmes et le culte, et d’inspecter les agents, pour qu’il n’y eût pas de leur part des exactions au delà de ce qui était de droit en fait d’impât. Tous ces personnages s’étaient rendus à leurs postes, et chacun remplissait ses fonctions.

 Or, lorsque le Prophète fut averti des menées d’Aswad, il écrivit à ses agents dans le Yemen et à Schehr, fils de Bidsân , qu’il désigna comme général en chef, en lui ordonnant d’aller attaquer Aswad, de faire marcher contre lui les habitants du Yemen et de faire tuer tous ses sectateurs.

 Schehr rassembla une armée et marcha contre Aswad. Celui ci avait une troupe de 700 cavaliers, outre les fantassins. ‘Amrou b. ??-Karib, qui s*ëtait joint à lui , était son général en chef. Plusieurs chefs arabes avaient offert leurs services à Shehr, qui leur avait donné des coinmandéments. Aswad adressa à ceux-ci une lettre, dans laquelle il disait :

 « Vous avez donné à Schehr du courage pour me combattre. Mais quand j’en aurai fini avec lui, je vous taillerai en pièces. »

 Schehr fit marcher ses troupes en avant et livra un combat à Aswad. Son armée fut mise en déroute; lui-même et ua grand nombre de musulmans furent tués.

 Aswad marcha sur Çan^â, et s’empara de cette ville ainsi que des autres qui avaient été gouvernées par Schehr, fils de Bâdsân. Les agents du Prophète, de même que Moâds b Jabal, par crainte d’ Aswad, restaient cachés dans les villes. Deux d’entre eux, Khâlid b de Sa’id b. Al-‘Aç, et’Amrou b ‘Hazm, vinrent à Médine et rendirent compte au Prophète de ce qui s était passé. Celui-ci en fut très-aflligé, prononça sur Aswad une malédiction et dit : Dieu le fera périr bientôt. Ensuite il fit dire aux agents de se concerter avec les autres musulmans pour chercher à faire périr Aswad.

 Cependant Aswad faisait des progrès. Il étendit sa domination depuis Çan^â jusqu’au Tâïf, et il épousa la femme de Schehr, qui était musulmane, mais qui se soumit par crainte.

 Moâd b Jabal, délibéra avec les autres agents dans le Yemen sur les mesures à prendre. On fut d’avis que, dans l’impuissance où l’on était de combattre Aswad, qui était devenu trop puissant et qui avait une nombreuse armée, il fallait chercher à le faire périr par la ruse.

 Aswad avait renvoyé Amrou b MaMi-Karib, dans sa tribu ; il lui avait confié le commandement des tribus de Mads’hidj et des Benî-Zobaîd, et avait placé à la tête des Persans qui étaient venus de l’Iran dans le Yemen deux cousins de Schehr b Bâdsin : Fayrouz et Dâdouï.

 Mo’âds b Jabal, et les autres musulmans restaient toujours cachés, et cherchaient un moyen pour faire périr Aswad. Il se passa ainsi deux mois. Alors ils surent que Qaïs, son général en chef, ainsi que Fayruz et Dâdouï étaient mécontents d’Aswad et mal disposés envers lui. Mo’âds se rendit auprès d’eux en secret, leur communiqua le message du Prophète et leur dit :

 Le Prophète vous prie et vous ordonne de tuer Aswad; par cette action vous acquerrez le paradis ; exécutez l’ordre de Dieu et du Prophète ; cherchez à les satisfaire, afin que vous ayez le paradis étemel. Il leur donna beaucoup de conseils et de bonnes paroles.

 Ils répondirent :

 Nous déférons aux ordres de Dieu et de son prophète ; nous savons que le véritable prophète est Mohammed, et non cet imposteur. Mais comment ferons-nous ? Nous ne pouvons pas l’atteindre, nous n’avons ni troupes, ni armes, ni aides; le tout est entre ses mains.

 Puis Fayrouz dit :

 “Je veux chercher à y parvenir par la ruse, peut-être pourrai-je persuader sa femme et le faire ainsi disparaître de la terre. »

 Ensuite on se sépara.

 Fayruz alla trouver la femme d’Aswad et lui dit :

 Sachant que cet Aswad a tué ton mari, le fils de Bâdsân ; qu’il a fait beaucoup de mal aux habitants du Yemen et à nous tous; qu’il a enlevé le pouvoir à notre famille, qu’il a dispersée, je viens te demander de te joindre à nous pour que nous le fassions périr. Si tu ne veux pas nous aider, au moins garde nous le secret.

 La femme répondit :

 Je ferai tout ce que vous me demanderez, car j’ai acquis la certitude que c’est un païen. J’avais cru d’abord que c’était un prophète , comme Mo’hammed, mais je sais maintenant qu’il ne craint pas Dieu, qu’il n’accompiil ni la prière, ni aucune des obligations de la religion; qu’il ne se purifie ni la tête ni le corps, lorsqu’il se trouve en ëtat d’impureté légale, et qu’il ne s’abstient pas de ce qui est défendu. Je l’observe constamment, et je reste étonnée de sa manière d’agir. Je suis aussi dans l’étonnement de ces hommes misérables qui l’ont reconnu comme prophète. Sur quel miracle ou sur quelle preuve l’ont-ils accepté , et comment lui prêtent-ils obéissance? J’ai la plus grande haine pour lui.

 — Quel moyen emploierons-nous? reprit Firouz.

 La femme répondit :

 Ce palais est gardé pendant la nuit, les hommes veillent, et il est impossible d’y entrer; mais je ferai qu’Aswad couche cette nuit dans tel appartement, dont le mur de derrière donne sur la rue. Lorsque le premier tiers de la nuit sera passé et qu’il sera endormi, percez ce mur. Je me tiendrai à son lit, je renverrai tout le monde et resterai seule, et je n’éteindrai pas la lumière. Vous entrerez alors, vous le tuerez et ferez tout ce que vous comptez faire.

Firouz, après avoir remercié la femme, la quitta et alla informer ses compagnons. Fîrouz, Dâdouï et Qaîs prirent leurs dispositions, ils firent part de leur projet à Mo‘âd b Jabal, et aux agents du Prophète.

L’un de ces agents, ^Amir, fils de Schehr, le Hamdanite, avait rassemblé sur son territoire une nombreuse armée et avait écrit à Mo^âds, fils de Djabal, une lettre ainsi conçue :

Restez cachés jusqu’à ce que j’arrive avec mon armée; j’espère exterminer Aswad.

Cependant Aswad avait eu connaissance du rassemblement de cette armée, et avait ordonné à Qaïs de se mettre à la tête d’un détachement de troupes et de marcher contre elle.

La nuit étant venue, la femme d’Aswad le fit coucher, comme elle l’avait dit, dans l’appartement dont le mur de derrière donnait sur la rue. De nombreux gardiens étaient à la porte, que la femme ferma de Tintërieur, et, pendant qu’Aswad dormait, elle se tint assise auprès de son lit, après avoir placé la lumière [dans la chambre]. Les trois conjurés arrivèrent et pratiquèrent dans le mur une ouverture, par laquelle Firouz , qui était le cousin de la femme d’Aswad , entra, sans son sabre. Car il se disait qu’il voulait d’abord voir de quel cdté se trouvait la tête d’Aswad et de quelle façon il faudrait s’y prendre pour le tuer; qu’il sortirait ensuite pour prendre son sabre , et qu’il reviendrait trancher la tête à Aswad.

Quand il fut entré, il demanda à la femme de quel côté se trouvait la tête d’Aswad; elle le lui dit. Aswad, réveillé par leur conversation, se redressa sur son lit et vit Fayrouz. Celui-ci, craignant qu’il n’appelât les gardiens, pendant qu’il sortirait par l’ouverture du mur, qu’il ne le fit poursuivre et qu’il ne fit tuer sa femme, se jeta promptement sur Aswad, qui restait toujours sur son lit et qui n’était pas encore complètement réveillé de son ivresse , lui appliqua ses deux genoux contre les épaules, lui tira la tête en arrière et lui rompit le cou. Aswad expira. Flrouz sortit ensuite et avertit ses compagnons qu’il l’avait tué. Ceux-ci lui dirent :

 « Cela ne suffit pas; rentre et rapporte sa tête.

 Firouz rentra dans l’appartement. Au moment où il tranchait la tête d’Aswad, celui-ci rugit comme un bœuf à qui on coupe la gorge. Les gardiens, qui entendirent ce bruit, frappèrent à la porte et demandèrent :

 « Qu’y a-t-il? Qu est-il arrivé?

 La femme d’Aswad leur dit :

 Le prophète de Dieu gémit sous l’impression d’une révélation qu’il reçoit du ciel.

 Les gardiens se tinrent tranquilles. Firouz et la femme sortirent par l’ouverture du mur, en emportant la tête d’Aswad. On se rendit auprès de Mo’âd b Djabal, et des autres musulmans qui étaient cachés avec lui. Tous furent heureux de cet ëvénement, et Mo’ad dit :

 « Maintenant il ne faut plus rester caché. »

 Le lendemain matin , Mo^âds sortit et se rendit à la mosquée. Qaïs, Ffrouz et Dâdouï se tinrent à la porte. Le peuple pensa qu Âswad était couché, et qu’il n’était pas encore réveillé de son ivresse. Mo’âds entra dans la mosquée et commença à haute voix la prière par les mots :

 Dieu est grand! Dieu est grand!

 Les soldats d’ Aswad se demandèrent entre eux ce que cela signifiait; mais, voyant Qaïs à la porte, ils se turent. Cependant, lorsque Mo^âds prononça les mots :

 J’atteste que Muhammed est l’apôtre de Dieu ! »

 Les soldats se ruèrent sur lui et voulurent le saisir. En ce moment, Firouz jeta la tête d’Aswad sur le sol; à cette vue, tous se dispersèrent. Mo’âd accomplit, en ce jour, la prière du matin dans cette mosquée.

Tous les agents et tous les musulmans, qui s’étaient tenus cachés jusqu’alors, sortirent de leurs retraites. L’armée d’^Amir, fils de Schehr, arriva, et la religion musulmane fut proclamée dans le Yemen. On envoya par un messager cette heureuse nouvelle à Médine. Depuis la révolte d’Aswad jusqu’à sa mort il s’était passé trois mois. Quelques-uns disent que, à l’arrivée de cette nouvelle à Médine, le Prophète vivait encore; qu’il ne mourut que dix jours après ; qu’en conununiquant la nouvelle de la mort d’ Aswad aux musulmans, il dit :

 « On tuera de même Mosaïlima et Tolaï^ha. »

 D’autres disent que le Prophète était dt^jà mort, qu’Abou-Bekr était déjà installé comme son successeur, qu’Osâma avait exécuté son expédition et qu’il en était revenu; enfin que ce fut là la première victoire des musulmans après la mort du Prophète. Les gouverneurs dans le Yemen retournèrent tous à leurs postes, et reconnurent comme leur chef Mo’àd b Jabal.

 Dans cette même année, au mois de ramadhân, mourut Fâtima, la fille du Prophète, six mois après la mort de son père; elle était âgée de vingt-neuf ans. Esmâ, fille d’^Omais, procéda à la lotion funéraire; ^Abbâs, Fadbl et ^Âli descendirent dans la fosse, où ils l’enterrèrent.

 BEDOUINS.

 En même temps que le Prophète avait reçu la nouvelle de la révolte d’ Aswad dans le Yemen et de la défection d’un grand nombre d*habitants, il avait aussi appris que, parmi les Bédouins du désert, Tolaïha, de la tribu des Benî-Asad, s’était révolté et avait entraîné beaucoup d’Arabes. Alors il avait envoyé des messagers dans toutes les tribus arabes, vers les musulmans qui étaient restés fidèles, pour leur porter Tordre d’attaquer Tolaf ha et de le tuer. Après le départ des messagers, sa maladie dura encore quelque temps, mais il mourut avant leur retour.

 Lorsque le bruit de la mort du Prophète se répandit parmi les Bédouins, ils persévérèrent dans leur défection. Tolayha leur dit de ne point accomplir la prière ni le jeûne, et de ne pas remettre les chameaux et les brebis de l’impôt et de l’aumône. Comme Tolafha ne leur demandait aucune part de leurs biens, sa religion leur était plus agréable, et ils dirent aux envoyés du Prophète :

 « Muhammed est mort et son successeur est installé à Médine ; retournez auprès de lui, et dites-lui de nous dispenser de la dime; alors nous reviendrons à votre religion.

 Les messagers s’en retournèrent et rapportèrent ces paroles à Abou-Bekr, qui dit:

 Je ne changerai rien aux dispositions du Prophète. »

 Comme Osâma avait emmenë l’année en Syrie et qu’Abou-Bekr n avait point de troupes, il attendit le retour d’Osàma.

 Cependant toutes les tribus arabes envoyèrent des député vers Âbou-Bekr, pour lui demander de les dispenser de la dîme. 

 Abou-Bekr refusa et ne fit aucune attention aux envoyés.

Ceux-ci vinrent trouver *Omar et lui dirent : Parie à Abou-Bekr, pour qu’il suspende pendant deux ans, ou un an, la perception de la dime; quand toutes ces tribus seront revenues à votre religion, et que les hommes qui se prétendent prophètes auront disparu, alors on pourra exiger la dime.

 ‘Omar paria dans ce sens à Abou-Bekr, qui ne répondit pas. Alors ^Ompr dit : Fais-le, car le Prophète a dit :

 «On m’a ordonné de combattre les hommes, jusqu’à ce qu’ils prononcent les mots : n n’y a pas de dieu en dehors d’Allah; et quand ils les auront prononcés, leurs vies et leurs biens seront sacrés pour moi, et ils n’ont à compter qu’avec Dieu. »

 Abou-Bekr répliqua :

 « Le Prophète a dit :Lueurs vies et leurs biens sont sacrés pour moi, sauf en ce qui concerne la loi; et la dime fait partie delà loi; s’ils ne l’acquittent pas, leurs vies et leurs biens ne sont plus sacrés.

 Puis Abou-Bekr ajouta :

 « Par Dieu, s’ils me retiennent seulement une genouillère de chameau de ce qu’ils ont donné au Prophète, je leur ferai la guerre ! »

 Les députés s’en retournèrent, après avoir séjourné à MMine plusieurs jours. Pendant ces dix jours, Abou-Bekr avait fait proclamer que personne ne s^âdbstint d’accomplir les cinq prières avec l’assemblée des fidèles, de peur que les députés ne pensassent qu’il n’y avait pas d’hommes i Médine, et que, de retour dans leurs tribus, ils n’excitassent les Bédouins à tenter une entreprise contre la ville. Cependant ce qu*il avait craint arriva. Les envoyés surent qu’il n’y avait qu’on petit nombre d’hommes k Médine, et, a leur retour, ils en inforinèrent les Arabes. Les Benf-Ased, les Tayy, les Ghatafàyy , les Feiâra , les HawÂiîn et les Thaqif se révoltèrent tous et se joignirent à Tolaï’ha. Personne ne payait plus l’inipât ni TaumAne, et les receveurs rentrèrent tous à Médine.

 L’un de ces derniers, NaufaI b Mo’âwiya, qui avait été envoyé parle Prophète pour percevoir l’impôt parmi les Beni-Fezâra et les Bent-Ghatafin, rameDail k Méline ua grand nombre de chameaux et de brebis, produit de l’impôt. Il fut attaqué sur la roule par Khândja,frèi«d”Oyaïna, fils de’Hîçn,quilui enleva le troupeau et le rendit aux Benl-Fezira. NaufaI rentra Jk Médine.

 L’insurrection des Bédouins était générale; l’islam n’existait plus qu’à Médine.

Le Prophète avait dit : “L’Islam se retirera à Médine, comme un serpent dans son trou »

 C’est-à-dire l’islam ne persistera qu’à Médine. Ge fut ainsi à cette époque. Les musulmans dirent :

 « Abou-Bekr a eu tort de ne pas accorder de délai aux Bédouins pour le payement de l’impôt. »

 Abou-Bekr répondit :

 Le Prophète a dit : “Après moi, vous ferez la conquête de la Syrie et de la Perse ; l’islam se répandra jusqu’au territoire des Turcs, et, du côté de l’occident, jusqu’à la Nubie.”

 En attendant le retour d’Osâma, Abou-Bekr recommanda aux habitants de Médine de se tenir prêts et d’être toujours armés, parce que les Bédouins, qui s’étaient approchés, pourraient vouloir tenter un coup de main.

 La ville de Médine avait trois issues, toutes trois du côté du désert. Abou-Bekr posta à l’une d’elles ‘Ali, à l’autre Zobaïr, fils d”Awwàni , et à la troisième Tolai^ha , fils d” Abdallah, chacun avec un détachement de troupes, en leur recommandant de ne point quitter ces position», ni le jour, ni ta uuit. C’est ainsi qu’il organisait la défense de Médine, Usâma n’étant pas encore de retour.

 Deux tribus arabes, les Beiii^^Âbs et les Beui-Dsobyân, vinrent en petit nombre tenter un coup sur Médine, pendant le jour. Us furent arrêtés par ‘Ali.

 Abou-Bekr, averti, envoya un détachement pour les combattre. Les Bédouins, étant tous à pied, effrayèrent les chamelles des musulmans, lesquelles se mirent à fuir vers Médine et ne purent être retenues. Personne ne fut tué. Les Arabes campèrent à la porte de la ville, et envoyèrent chercher des renforts dans leurs tribus, qui se trouvaient à deux parasanges de la ville, à un endroit nommé Dsou 1-Qaçça. Il en vint un grand nombre d’hommes. Pendant toute la nuit, Abou-Bekr organisa son corps de troupes. Il donna le commandement de Taile droite à No’mân b Al- Moqarrin ; celui de Taile gauche à son frère ‘Abdallah, fils de Moqarrin, et celui du centre à Tautre frère, Sowaîd, fils de Moqarrin. A la pointe du jour, il qjuitta la ville, tomba à rimproviste sur les Bédouins et les tailla en pièces. Quand le soleil se leva, un grand nombre étaient tués. Les Bédouins se mirent à fuir, poursuivis par les musulmans, jusqu’à DsouQaçça, où beaucoup d’autres trouvèrent la mort. Abou-Bekr resta à cet endroit toute la journée, jusqu’à ce que tous les Bédouins se fussent dispersés dans le désert. A la tombée de la nuit, il rentra à Médine, après avoir laissé à Dsou’l-Qaçça un détachement souô les ordres de No’mân b Al-Moqarrin.

 Depuis ce jour, les Bédouins perdirent courage, et islam releva la tête. Trois jours après ce combat, trois tribus des Beni-Temim envoyèrent l’impôt par les agents que le Prophète avait établis parmi elles. Chaque jour, Abou-Bekr apprenait qu’on apportait l’impôt de quelque tribu, et les habitants de Médine furent remplis de joie. Zibriqân, fils de Bedr, arriva le premier avec l’impôt des Benî-Temtm. Cette heureuse nouvelle fui apportée à Abou-Bekr par *Abder-Rahmàn b Auf. Le lendemain, arrivèrent *Adî, [fils de ^Hâtim ,] annonce à Abou-Bekr par ^Abdallah b Mas^oud ; puis

Çafwân, fils de Çafwân, annoncé par Sad Abou-Waqqâç. C’étaient des agents nommés par le Prophète , qui , lorsque les Bédouins s’étaient révoltés, étaient restés à leur poste, et qui, apprenant le fait d’armes d’Abou-Bekr, s’étaient mis en route pour amener à Médine ce qu’ils avaient recueilli d’impôt parmi les Beni-Temim.

Enfin l’arrivée d’Osâma, fils de Zaïd, qui revint de la Syrie, triomphant et chargé de butin, releva le courage des musulmans. Abou-Bekr nomma Osâma son lieutenant à Médine, en lui disant :

Garde ici les troupes qui ont été avec toi en Syrie, pour qu’elles se reposent.

Quant à lui-même, il partit avec l’armée. Les compagnons du Prophète lui dirent unanimement :

Reste toi-même, ne quitte pas Médine; envoie avec l’armée celui d’entre nous que tu voudras.

Abou-Bekr ne se rendit pas à leurs observations et partit en personne.

Le calife marcha d’abord vers Dsou’l-Qaçça , où était établi Norman, fils d’ Al-Moqarrin ; il quitta ce lieu le lendemain avec les troupes. Les Bédouins qu’il avait mis en déroute étaient campés auprès d’un puits nommé Rabadsa. Abou-Bekr tomba sur eux et en tua un grand nombre ; les autres prirent la fuite. Dans leurs rangs se trouvait un poête, nommé Khalba, fils

d’Aus, qui avait embrassé l’islam du temps du Prophète, avait apostasie, avait pris part aux hostilités des Bédouins contre les musulmans et composé des poésies contre ceux-ci. Abou-Bekr le fit prisonnier dans ce combat.

Après avoir, dans l’espace d’une semaine, purgé les alentours de Médine, à la distance de deux journées de marche, de la présence des Bédouins, il rentra dans la ville avec un butin considérable.

Les Bédouins qui s’étaient enfuis allèrent rejoindre Tolafha, qui avait établi son camp sur le territoire des Béni- Âsad, à un endroit nommé Soumaïrâ. Comme le nombre de ses partisans augmentait, Tolaï^ha quitta ce lieu et marcha en avant; mais il n’osa pas s’approcher de Médine.

Après son retour a Médine, Abou-Bekr forma plusieurs corps de troupes, leur distribua des provisions, et les fit partir sous 11 chefs contre les différentes tribus arabes. Il leur ordonna d’attaquer les insurgés, de les ramener à islam, et, s’ils refusaient, de les massacrer ou de les réduire

en esclavage.

Il remit d’abord l’étendard à Khâlid b Walid, qui fut chargé d’agir contre Tolayha, el, après qu’il l’aurait réduit, de marcher contre Mâlik b Nowaïra, qui se trouvait sur le territoire de Bitâ^h.

Il remit un autre étendard à ‘Ikrima b Abou-Jahl, qu’il envoya dans le Yemâma, contre Mosaïlima

Un troisième à Mohadjir b Abou-Omayya, auquel il donna pour instructions de conduire son corps de troupes dans le Yemen, de prêter aide et protection à Mo’âd b Jabal, et aux autres compagnons du Prophète qui s’y trouvaient avec lui, ainsi qu’à tous ceux qui avaient contribué à faire périr Aswad ; de ne faire grâce à aucun des partisans d’ Aswad qu’il rencontrerait, de les tuer tous , afin que la terre en fût purgée , ou de les ramener à l’Islam ; enfin de se rendre dans le ‘Hadramaut et aux confins du territoire du Yemen.

Il donna un quatrième étendard à Khâlid b Sa’id b Al-‘Aç, en l’envoyant en Syrie

Un cinquième à ^Amrou b Al-‘xAç, chargé de marcher contre les Benî-Oodhà%i et les Beni-*Hârith

Un sixième à ^Hodsaïfa b Mi’hçan, chargé de marcher contre les habitants de Dabâ, du côté du Yeme

Un septième à’Arfadja b Harihama, qui devait se rendre dans le pays de Mahra et agir en même temps dans le Yemen

Un huitième à Schourabil b Hasana, chargé de soutenir Ikrima contre Timposteur Mosaïlima, dans le Yemâma ;

un neuvième à Maan b Hâdjiz, qui devait marcher contre les Bédouins des Beni-Solaïm, agir sur le territoire du Yemen et aussi contre les rebelles du Tâïf

Un dixième à Sowaïd b Moqarrin, chargé de se rendre dans le Tihâma du Yemen , pour combattre les Bédouins.

Enfin il remit un onzième étendard à ???-ben-Al-Hadrami, qu’il envoya au Bahrayn.

En remettant à tous ces chefs le commandement de leur corps d’armée et les étendards, Abou-Bekr donna à chacun on écrit contenant ses instructions.

Mais, avant le départ de ces troupes, il envoya dans les différentes contrées des messagers, au nombre de onze; chacun portait une lettre adressée par le calife aux habitants. Il leur y donnait des avertissements, les exhortait à craindre Dieu et leur annonçait qu’il allait envoyer contre eux tel général avec un corps de troupes, avec Tordre de les massacrer et de leur enlever leurs biens. Ensuite il recommanda aux soldats dé faire immédiatement leurs préparatifs de campagne. Le cinquième jour après le départ des messagers, Abou-Bekr donna Tordre aux généraux de conduire leurs détachements en dehors de Médine ; chacun devait établir son camp dans la direction de la route qu’il avait à prendre. En conséquence, les onze chefs quittèrent la ville à la tête de leurs corps d’armée, composés de Mohâdjir et d’AnçAr, formant en tout 8000 hommes complètement armés et équipés, et constituant une force imposante, telle qu’on n’en avait pas encore vu depuis l’établissement de Tislam.

Ensuite les troupes musulmanes se répandîrent dans le désert, vers rorient et l’occident, et chaque corps prit la direrction qui lui avait été assignée.

Tous les Arabes étaient en révolte, sauf les Qoraïsh de la Mecque, qui gardèrent leur gouverneur, ^Attâb b Asad, et acquittèrent TimpAt. ^Attâb, soutenu par Sohaî b Amrou, reçut Timpôt et le fît parvenir à Médine.

KhàJid, fils de Wali’d, marcha contre Tolaî^ha, et chacun des autres généraux, contre Tennemi qui lui était assigné.

Cependant les Bédouins ne leur opposèrent aucune résistance, et tous les révoltés, sans exception, prirent la fuite devant les musulmans, et allèrent rejoindre Tolàfha, qui seul résista. Les généraux musulmans s’établirent sur les territoires des différentes tribus qui s’étaient enfuies. Chacun d’eux avertit Abou-Bekr, par lettre, qu’il campait sur le territoire de telle tribu, dont les guerriers avaient pris la fuite sans avoir combattu, et que tous les Bédouins étaient allés rejoindre Tolaï^ha, autour duquel se trouvait réuni un nombre immense d’hommes, qui attendaient pour voir comment tourneraient les affaires.

A cette nouvelle, Abou-Bekr écrivit à chacun de ses généraux qu’il devait demeurer à l’endroit où il se trouvait, se tenir à la disposition de Khâlid b Walid, et, si celui-ci avait besoin de lui et qu’il l’appelât, lui prêter aide. Il écrivit aussi à Khâlid, et lui ordonna d’attaquer Tolayha.

II lui disait que toutes les troupes qui se trouvaient dans le désert le soutiendraient, et qui pourrait appeler celles dont il aurait besoin. Khâlid, s’étant renforcé d’un grand nombre d’Arabes, s’avança contre To-

brha, qui se mit également en mouvement.

KUALID CONTRE TOLAÏHA

La première et la principale tribu qui se fût jetée dans le parti de Tolariia était celle des Beni-Tayy. Deux tribus, Tune nommée Djadila, Tautre Ghauth, avaieut été, avant comme depuis rétablissement de l’islam, les alliées et les protégées des Beni-Tayy. Ceux-ci, ainsi que leurs alliés, qui formaient un nombre d’bommes considérable, avaient pris

le parti de Tolafha.

Adi, fils de ‘Hâtim, le chef des Beni-Tayy, se trouvait auprès d’Abou-Bekr, à Médine, où il était venu après la mort du Prophète. Lorsque Abou-Bekr chai*gea Khâlid de marcher contre Tolaï^ha, ce fut *Adi, fils de *Hâtim, qu’il envoya à l’avance comme député, afin qu’il cherchât à détacher du parti de Tolaf ha les Bcnl-Tayy et leurs alliés, lesDjadlla et les Ghauth. *Ad) partit, précédant Khâlid, et ses propositions furent favorablement accueillies par les hommes de sa tribu.

Quand Khâlid se fut rapproché de Tolafha, Adî alla à sa rencontre et lui dit :

« Ne te hâte pas de commencer la lutte; les Tayyites m’ont écouté; j’espère les ramener. »

Khâlid suspendit ses opérations, en restant pendant trois jours dans son campement. Le premier jour, 500 hommes de ceux qui avaient été gagnés par ^Adi passèrent dans le camp de Khâlid, et le lendemain arrivèrent mille hommes des Djadila; enfin toute la tribu de Tayy rentra dans l’Islam et vint se joindre à Khâlid, qui, avec dos forces ainsi augmentées, se disposa à attaquer Tolayha.

Deux chefs des Benî-Fezâra, Tun nommé ‘Oyaïna b Hiçn, raulre Qorra, fils de Hobaïra, tous deux principaux chefs arabes, qui avaient embrassé Tislam du vivant du Prophète, et qui plus tard avaient apostasie, s’étaient rendus

auprès de Tolaï^ha et y appelaient les Bédouins. Tolafha, de son côté, leva son camp et se mit en mouvement contre Khâlid. Les deux armées n étaient plus séparées que par la distance d’une étape. Tolayha avait donné le commandement de son armée à son frère, nommé Salania, homme distingué et brave.

Quand les deux années furent près Tune de rautre, Khàlid envoya pendant la nuit deux hommes en avant comme éclaireurs :

Okkâscha et Thâbit, fils d’Âqram. Salama, pour faire une reconnaissance, était également sorti cette nuit, accompagné de Tolaï^ha. Ces quatre personnes se rencontrèrent face à face. Thâbit se jeta sur Salama et ^Okkàscba sur Tolarha. Salama tua son adversaire; mais Tolayha allait succomber sous les coups d’^Okkâscha, lorsque Salama, ayant achevé Thâbit, vint à son secours.. Unissant leurs efforts, ils tuèrent aussi ^Okkâscha.

Khâlid, qui ignorait la mort de ses deux hommes, s’étant mis en marche à la pointe du jour pour se rapprocher de Tolaï^ha, trouva leurs deux cadavres gisant sur le chemin. Gomme le jour s’était levé, les musulmans à cette vue furent fort affligés.

Khâlid fit prendre pied à son armée en face de Tolaï^ha, en s’appuyant sur la montagne de Tayy. Tolaï^ha se tenait auprès de Tun des puits de Tayy, nommé Bozâkha.

Le surnom de Khâlid était Âbou’l-Fadhl. Tolayha , en voyant apparaître son armée, s’écria ironiquement :

« Voilà la troupe du père de la supériorité (Abou’l-Fadhl) ! »

Un homme de Tayy, qui était avec lui, lui dit :

« Par Dieu, il te combattra si bien que tu l’appelleras le père de la perfection ! » 

Le lendemain eut lieu la bataille, qui ne fut soutenue ce jour-lÀ que par’Oyaïna, fils de ‘Hiçn, et par lesBeni-Fezàra. Tolaï’ha l’avait placé en avant, tandis que lui-même, la télé cachée dans son tnanleau, se tenait assis à l’entrée de sa tente. Il avait dit à ‘Oyaïna :

« Va combattre, pendant que moi j’attendrai Gabriel, qui viendra du ciel avec les anges pour vous soutenir, comme il est venu pour Mo’hammed. ‘Oyaïna, avec 700 hommes des Beni-Fezâra et des Ghatafàn, se jeta au-devant de Khâlid. Qorra, fils de Hobaïra, était auprès de lui. En dehors de ceux-là, aucune autre des tribus arabes ue prit part à la bataille. Khàlid et les musulmans combattirent avec la plus grande vigueur.

ToUrha avait avec lui une de ses femmes, nommée Nawàr. Il avait fait préparer, à l’entrée de la tente, son cheval sellé et bridé, ainsi qu’un chameau de course pour sa femmes et, la tête cachée dans son manteau, il demeurait assis, disant qu’il attendait Gabriel. Il avait l’intenlion, si la victoire tournait en sa faveur, de déclarer que Gabriel était venu avec tes anges pour .soutenir ses soldats, et, dans le cas où ceux-ci seraient mis en déroute, de se jeter sur son cheval, de faire monter sa femme sur le chameau et de prendre la fuite.

‘Oyaïna, après avoir combattu jusqu’à l’heure du diner, ayant perdu un grand nombre de soldats de sa troupe et des autres Bédouins, vint trouver Tolai^ha et lui dit :

Gabriel n’est pas encore venu

Non, répondit Tolai^ha.

‘Oyaïna dit:

Appelle-le vite, car si nous ne devions vaiucre qu’avec ton armée cette armée de Khfllid , nous ne te [wurrions pas.

Ensuite il se jeta de nouveau dans le combat et le continua jusqu’à midi. Les Bédouins espéraient toujoun> que Gabriel viendrait, et ‘Oyaïna les exhortait à ne pas perdre patience.

Puis il se rendit de nouveau auprès de Tolarha, et lui demanda si Gabriel n était pas encore venu. Sur la réponse négative de Tolaf ha, il retourna sur le champ de bataille. Le nombre des tués et des blessés dans son armée s’accroissait de plus en plus ; personne ne venait à son secours, et Tarmée de Khâlid faisait continuellement des progrès.

Alors ^Oyaïna dit à ses soldats :

Jusques à quand nous ferons-nous tuer dans Tespoir de voir Gabriel et dansla confiance aux mensonges de cet homme ? ÂlIons-nous-en ; car nous ne verrons venir ni Gabriel ni Michel , et cet homme n’est même pas prophète.

‘Oyaïna tourna bride et s’enfuit, suivi de tous les Bédouins. En passant près de Tolarha, ils lui dirent:

Nous nous en allons; as-tu quelque chose à dire ?

Tolayha leur demanda :

Où allez-vous?

Oyaïna répliqua :

Ce que nous avons pu faire, nous l’avons fait. A présent dis à Gabriel de venir, c’est maintenant son tour.

Tolaïha , voyanl qu’ils l’abandonnaient et que son armée était mise en déroute, monta sur son cheval, fit asseoir sa femme sur le chameau, et se sauva dans la direction de la Syrie. Il se rendit dans une ville où il n’était connu de personne, et y demeura.

Khâlid poursuivit ^Oyaïna et ses troupes, et continua le massacre des Bédouins jusqu’au moment de la prière de l’après-midi. Lorsque le soleil devint jaune, il rentra dans son camp et pilla le camp de Tolaï^ha, enlevant tout ce qu^il y trouva. *Oyaïna, fils de *Hiçn, et Qorra, fils de Hobaïra, furent faits prisonniers et amenés au cump. Le lendemain, Khâlid distribua le butin entre ses troupes, suivant les règles qu’il avait vu établir par le Prophète. *Oyaïoa et Qorra furent envoyés à Médine.

On dit à ^Oyaïna :

« Ennemi de Dieu, tu avais embrassé l’islam et tu as apostasie! »

‘Oyaïna répliqua :

Je nai jamais été croyant.

Lorsque les deux prisonniers furent amenés en présence d’Abou-Bekr, celui-ci leur présenta la formule de l’islam.

Oyaïna fit la profession de foi ; mais Qorra dit :

« Je suis déjà musulman;lorsque ^Amrou b Al-^Âç y chargé par le Prophète d’une mission dans TOmân, passa par mon territoire, je le fis descendre chez moi et je fis profession de foi entre ses mains; il sait que je suis musulman depuis celte époque. »

Âbou-Bekr leur accorda leur pardon, et tous deux rentrèrent dans leurs tribus comme musulmans.

Khâlid resta encore sur le territoire de la tribu de Tayy, dans les montagnes. De tous côtés, les Bédouins se rendirent auprès de lui et firent profession de foi musulmane; la plupart de ceux qui s’étaient révoltés parmi les Arabes vinrent ainsi prêter serment de fidélité à Khâlid.

Tolayha , apprenant que tous les Arabes étaient devenus musulmans, revint, un an après, de Syrie, embrassa l’Islam et se fixa parmi les Beni-Kilàb, dans le désert. Abou-Bekr le fit inviter à se rendre auprès de lui ; mais il ne vint pas. Cependant Abou Bekr apprit comment il pratiquait Islam : il était venu trouver le Prophète, avait fait profession de foi et avait acquis quelques notions de la religion.

Tolaï^ha continua donc à demeurer parmi les Benî-Kilâb. A Tépoque du pèlerinage, se rendant à la Mecque, il passa près de Médine. On en informa Abou-Bekr, qui s’écria :

Loué soit Dieu , qui Ta favorisé de Tislam!

Tolafha, qui, du temps du paganisme, avait été devin, se rendit donc à la Mecque, accomplit le pèlerinage et fit pénitence de tout [son passé] ; puis il demeura à la Mecque jusqu’à la mort d’Abou-Bekr. Lorsque ‘Omar fut proclamé calife , Tolayha vint lui rendre hommage.

Omar lui dit :

C’esl toi qui as tué Thâbit et ‘Okkâsha, qui étaient les meilleurs d’entre les Ançâr. Tolayha répliqua :

« Prince des croyants, est-c« ma faute si Dieu a voulu qu ils trouvassent le martyre par ma main? Je regrette ce que j’ai fait.

‘Omar ne lui dit plus rien , et Tolaf ha partit.

Il retourna dans sa propre tribu, celle des Beni-Asad; il y demeura , et resta toujours fidèle à l’Islam jusqu’à sa mort.

Lorsque Khâlid eut réduit Tolayha, et que les Bédouins insurgés furent rentrés dans le sein de Tislam, une partie des Hawâzin , des Beni-Solaïm et des Beni~\Amir demeurèrent en état de révolte.

C’étaient des gens isolés, qui ne formaient ni un rassemblement, ni une armée que Khâlid eât pu attaquer. En restant campé avec son armée à Tendroit oik il se trouvait, il envoyait chercher tous ceux dont il apprenait la défection, et menaçait de la peine de mort quiconque n’accepterait pas l’Islam. Aucun d’eux ne s’exposait à être mis à mort.

Tous ceux qu’il faisait amener embrassaient la religion musulmane ou déclaraient qu’ils n’avaient pas apostasie et qu’ils suivaient toujours la religion de Mo’hammed.

Un homme des Bent-Kiiâb , nommé Alqama b Olàtha, qui, du vivant du Prophète, était venu à Médine et avait embrassé l’islam, et qui ensuite était retourné dans sa tribu, avait apostasie à la mort du Prophète. Étant du parti de Tolafha, il s’était retiré en Syrie pour attendre l’issue de la lutte engagée par celui-ci. Après la défaite de Tolafha, il revint dans sa tribu des Reni’-Kilâb, où il cachait son apostasie.

Les demeures de cette tribu étaient éloignées du camp de Khâlid, et plus rapprochées de Médine. Abou-Bekr envoya contre lui un homme nommé Qa^qâ% fils d’^Âmrou, pour le saisir et le lui amener. Qa^qâ% n’ayant pu s’en emparer, enleva et amena auprès d’Âbou-Bekr sa femme et ses enfants, qui

dirent au calife :

« Est-ce notre faute si ‘Alqama a apostasie ?

Quant à nous, nous sommes musulmans, et nous ne savons pas où il se trouve.

Abou-Bekr leur rendit la liberté. Lorsqu’ils furent rentrés dans leur tribu , ^Alqama xint se présenter k Abou-Bekr et fit profession de foi. Abou-Bekr le renvoya auprès de sa famille.

Les Beni-^Amir ne s’étaient pas encore rendus auprès de

Khâlid; ils attendaient toujours, pour voir la tournure que

prendraient les affaires. Leur chef était Qorra, fils de Hobaïra.

D’après une tradition [différente de celle que nous avons rap-

portée plus haut], Qorra n’était pas encore tombé entre les

mains de Khâlid. Celui-ci, apprenant que les Bent-^Amir hé-

sitaient à rentrer dans le sein de l’islam, envoya contre

eux an corps de troupes et se fit amener un certain nombre

d’entre eux. Qorra fut pris, et Khâlid le retint prisonnier;

quant aux autres, il se disposa à les faire mettre à mort. Ils di*

rent : Nous sommes musulmans ou nous sommes rentrés dans

l’islam. Khâlid répliqua : Pourquoi ne vous étes-vous pas

présentés plus tôt? Ensuite il les fit saisir, et fit mettre à mort

quiconque, pendant la révolte, avait commis un meurtre. Les

uns, qui, lors de la guerre de Tolaï^ha, avaient brâlé des

hommes, furent livrés aux flammes; ceux qui avaient pillé

furent forcés de restituer; d’autres furent lapidés, ou noyés

dans des puits, ou précipités des sommets des montagnes.

Qorra, chargé de chaînes . fut envoyé auprès d’Abou-Bekr,

auquel Khâlid érrivil : J’ai agi ainsi, dans ce cas, envers les

Beni-^Amir, parce que leur foi n’ëtait pas sincère. Âbou-Bekr

lui répondit qui! Tapprouvait, et il fit mettre à mort Qorra.

Khâlid continuait de camper au même endroit, et faisait

i*echercher de tous cdtës les Bédouins révoltés qui ne venaient

pas volontairement. 11 se les faisait amener, et les faisait mettre

à mort, soit par le glaive, soit a coups de flèches, soit par la

lapidation ou de toute autre manière.

GAMPAGRB DE KHÂLID CONTRE SELHA , FILLE DE MALIK.

Il y avait , parmi les Bédouins des Beni-Ghatafân , une femme nommée Selma et surnommée Oumm-Ziml. Elle était fille de Mâlik, fils de *Hodsaïfa,dont Tautorité parmi les GhataCIn était encore plus grande que celle d’^Oyaïna, car il possédait une fortune considérable. Il avait pour femme Oumm-Qirfa, fille de Hilâl, fils de Babi’a, ÛU de Bedr. Ounmi-Qirfa jouissait également d’une grande considération parmi les Arabes; elle avait aussi des biens considérables, comme son mari. Or, lors d’une expédition envoyée par le Prophète contre les Benî Ghatafân , ceux-ci ayant été défaits, on avait amené à Médine parmi les prisonniers la fille de Mâlik. Le Prophète Tavait donnée k ^Aïscha, qui, Tayant af&anchie et convertie à Tislam, Tavait gardée auprès d’elle. Un jour, le Prophète, entrant dans la maison d’^Aïscha et la trouvant entourée de plusieurs femmes, lui avait dit : ^Aïscha, parmi ces femmes il y en a une contre laquelle aboient les chiens de ^Hauab et qui se révoltera contre Dieu et son prophète. Mais il ne la désigna pas particulièrement. Ensuite, Selma, ayant obtenu d’^Aïscha Tautorisation de rolourner dans sa tribu , où elle voulait convertir à rislam son père et sa mère, était rentrée dans son pays. Puis son père mourut. Elle avait eu un frère nommé ^Hakama, qui avait pris part à l’incursion J’Oyaïna, fils de^Hiçn, sur le territoire de Médine, le jour où celui-ci avait enlevé les chameaux du Prophète. Salama, fils d’Al-Akwa\ avait poursuivi *Oyaïna et lui avait repris les chameaux. I^ Prophète et ses compagnons, s’étant mis à sa poursuite, l’avaient atteint; un combat avait eu lieu, dans lequel ^Abdallah, fils d’^Oyaïna, ainsi que ^Hakama, avaient trouvé la mort. ^Hakama avait été tué par un cavalier d’entre les compagnons du Prophète, nommé Abou-Katâda. Selma, continuant de résider parmi les Ghatafân , y était entourée d’un grand respect, à cause de la considération dont avaient joui son père et sa mère, et à cause de sa grande fortune.

Or, lorsque les Bédouins s’insurgèrent, après la mort du Prophète, Selma se révolta également. Après que Tolaï^ha eut pris la fuite et que ^Oyaïna eut été conduit prisonnier à Médine, Selma s’établit avec une foule de rebelles dans un bourg, près de certains puits, nommés Hauab. Elle donnait une solde à tous ceux des Bédouins révoltés qui venaient se joindre à elle, et c’est ainsi qu’elle réunissait des guerriers, déclarant qu’elle voulait attaquer Khâlid pour venger la mort de son frère ^Hakama.

Quand Khâlid fut averti de ces faits , il était occupé à massacrer les autres rebelles, et n’y attacha pas d’importance. Que peut faire une femme I disait-il. Cependant les forces de Selma devinrent si considérables, que Khâlid fut obligé de marcher contre elle en personne. Elle vint à sa rencontre et elle lui livra un combat plus acharné que n’avait été celui de TolaPha. Selma se tenait sur un chameau, dans sa litière, au milieu d’un grand nombre de soldats. La lutte devint telle, que Khàlid s’écria :

A moins de faire tomber ce chameau el de tuer cette femme , nous ne pourrons pas rompre Tannëe ennemie!

Il fit donc proclamer qu’il donnerait 100 chameaux à celui qui frapperait de son sabre le chameau de Selma. Mais personne ne réussit à l’approcher. Enfin, Khâlîd lui-même, avec quelques hommes, se dirigea vers elle, et, après avoir tué 100 soldats de ceux qui défendaient Selma , il arriva jusqu’à son chameau, auquel il coupa les jarrets. Le chameau tomba, et Selma fut précipitée de la litière. Khâiid la tua de sa main.

Khâiid annonça cette victoire à Abou-Bekr, vingt jours après avoir envoyé Qorra à Médine.

FUJAA.

Il y avait un Bédouin des Beni*Solaïm, nommé Ilyâs, fils d” Abdallah, fils d’^Abd-Yalil. C’était un brigand, qui volait partout, parmi les Arabes et sur les routes. On l’appelait par un sobriquet Foudjaâ, car il se jetait aur le passage des caravanes et pillait et tuait les hommes, il avait embrassé l’islam en même temps que les Bent-Solaïm, du vivant du

Prophète.

Abou-Bekr, en expédiant différents qorps de troupes contre les Bédouins rebelles, avait chargé Ma^n, fils de ^Hâdjiz, de marcher contre certaines tribus des Solaîm. Lorsque Ma^n y parut, une partie des Solaîm vinrent se présenter devant lui et acceptèrent l’islam; d’autres persistèrent dans la révolte et s’enfuirent. Ma’n établit son camp sur leur territoire. Foudjaâ était parmi los rebelles qui s’étaient enfuis et il errait partout parmi les Bédouins; un jour il ëtait ici, un jour là.

Khâlid, en allant attaquer Tolaï^ha, avait écrit à Ma^n

pour rappeler auprès de lui. Ma^n, laissant comme son lieu*

tenant, parmi les Beni-Solaïm, son frère Toraïfa, se rendit

auprès de Khâlid, avec lequel il resta, même après la défaite

de Tolafha. Lorsque Khalid eut terminé l’expédition contre

Selma , et que tous les Bédouins rebelles eurent pris la fuite et

se furent cachés^ Foudjaâ persévéra également dans son apos-

tasie et ne voulut pas rentrer dans le sein de Tislam. Mais

il craignait d’être pris quelque part et d’être mis à mort. Il

avait un ami, nommé Nodjba, fils d’Âbou’l-Maîthaâ, des

Beni-Scharid, de la tribu de Solaîm, qui était apostat et voleur

comme lui. Foudjaâ lui dit : Je ne veux pas -devenir musul-

man, car je sais que, quand même je le deviendrais, on me

tuerait. Or, comme je serai certainement tué d’une manière

ou d’une autre, je veux au moins montrer à Khâlid et à Abou-

Bekr ce que je peux, pour leur donner des regrets.

Foudjaâ, accompagné de Nodjba, se rendit à Médine, vint

trouver Abou-Bekr, se déclara musulman, et lui dit : J’ai

fait profession de foi musulmane entre les mains du Prophète.

J’étais un homme qui volait parmi les Bédouins, qui dé-

troussait les caravanes et qui pillait les tribus. Mais en deve-

nant musulman, j’ai fait pénitence. H n’y a aucun endroit

dans toute l’Arabie, ni aucun homme d’une tribu quelconque,

que je ne connaisse. J’ai pris part à l’expédition de Khâlid

contre Tolafha et contre Selma. Je sais des tribus arabes dans

le désert qui sont insurgées et qui se tiennent cachées. Je pour-

rais m’en rendre maître, mais les moyens d’agir me manquent.

Fournis-nous, à moi et à mes compagnons, des armes et des

(;hamcaux, afin (|ue je puisse, avec mes compagnons, battre

256 CHRONIQUE DE TABARL

le désert, en allant de tribu en tribu. Partout où je connai-

trai un rebelle que Khâlid ne pourra pas atteindre, je le sai-

sirai et le forcerai à embrasser Tislam , ou je lui trancherai

la tête, que je t’enverrai. Ce sera Texpiation de mes pëchës

du passé. Abou-Bekr, très-heureux de cette proposition, le re-

mercia et leur donna , à lui et à ses compagnons, des armes,

des chameaux et des provisions autant qu’ils voulurent.

Foudjaâ et Nodjba quittèrent Médine, et, à la porte même

de la ville, ils se mirent à piller, à détrousser les caravanes

et à manifester leur apostasie. Ensuite ils se rendirent dans le

désert et envoyèrent des messagers partout où ils savaient

qu’il y avait des insurgés, pour les appeler auprès d’eux. Ils

en réunirent ainsi un grand nombre. Ils faisaient des courses

contre les musulmans, de tribu ^n tribu, et massacraient et

pillaient. Cela dura ainsi trois mois. Foudjaa fit des progrès,

et un grand nombre de rebelles se réunirent autour de lui.

Khâlid croyait qu’il n’existait plus d’insurgés parmi les

Bédouins. Cependant, la foule rassemblée autour de Foudjaâ

devint si considérable, que Khâlid en eut des inquiétudes.

Abou-Bekr lui adressa une lettre dans laquelle il lui racontait

comment cet homme était venu le trouver et avait tenu tel lan-

gage, et il ajoutait : Il faut que tu ailles h sa recherche, et que

tu le fasses périr, ou, si tu peux, envoie-le-moi vivant. Khâlid

écrivit à Toraïfa , fils de ^Hâdjiz, le frère de Ma*n , qui campait

parmi les Benî-Solaïm, et lui ordonna de courir après Fou-

djaâ. Abou-Bekr aussi avait déjà écrit à Toraïfa. Celui-ci quitta

le territoire des Solaïm avec un corps de troupes, et chercha

Foudjaâ dans le désert. Il le rencontra enfin à la tête d’une

forte troupe de rebelles. Il les attaqua à un endroit nommé

Djiwâ, et les tailla en pièces. Nodjba fut pris et tué. On s’em-

para aussi de Foudjaâ qui fut chargé de chaînes, et envoyé à

PARTIE IV, CHAPITRE VIII. 257

Mëdine. Abou-Bekr fit dresser un grand bûcher sur le cime-

tière de Baqfl-Gharqad, sur la place où Ton priait, et Fou-

djaâ, les mains et les pieds lies, fut jetë dans les flammes.

SAJJAH B HARITH.

Après en avoir fini avec les insurges, sachant qu’il n’y avait plus personne parmi les Bédouins qui ne professât Tislam,*Khâlid écrivit à Abou-Bekr pour lui demander Tautorisation de revenir à Médine. Abou-Bekr lui répondit :

« Reste où tu résides actuellement, jusqu’à ce que je te fasse savoir où tu dois te rendre. »

Khâlid resta donc à Tendroit où il se trouvait. Abou-Bekr fit partir pour recevoir l’impôt les mêmes agents que le Prophète avait envoyés, et en maintenant Khâlid dans ses campements, il voulait pouvoir le charger de faire la guerre k ceux qui refuscnraient de payer l’impôt. Tous les Arabes le payèrent.

Parmi les receveurs de l’impôt, il y avait un homme de la tribu de Temîm, de la branche de Mâlik, nommé Mâlik, fils de Nowaîra, qui avait un frère, nommé Moutammim; l’un et l’autre étaient chefs dans leur tribu et liés d’amitié avec ^Omar b Khattâb. Mâlik avait été nommé par le Prophète receveur de l’impôt parmi les Beni-^Hanzhala; son fils Wakf, parmi les Beni-Yarbou et Çafwân, fils de Çafwân, parmi différentes tribus des Bent-Teintm, qui étaient fort nombreux. Ce dernier avait perçu l’impôt des Benî-Temfm et l’avait fait parvenir à Abou-Bekr. Alors, à l’époque où Khâlid n’avait pas encore marché contre Tolafha, la guerre avait éclaté entre les différentes tribus des Temfm, parce que les unes, les Bent-Dhabba, n*ayant pas payé Timpot, avaient reproché aux autres de Tavoir envoyé à Médine avant tous les autres Arabes.

Dans cette guerre des Bent-Dhabba contre les Benf* Màiik et les Beni-Yarbou% parmi lesquels se trouvaient Mâlik, fils de Nowaïra, et son fils Waki^, les Bent-Dhabba avaient tué un grand nombre de Bent-Mâlik. Ensuite, lorsque Khâiid eut terminé la guerre de Tolaf ha et de Selma, que les Bédouins furent rentrés dans le devoir, qu Abou-Bekr eut livré aux flammes Foudjaâ, que l’islam fut professé partout et qu^il n’y eut plus de rebelles; après qu Abou-Bekr eut renvoyé à leurs postes les receveurs de Timpât, pour rétablir Tordre ; que MAlik, fils de Nowaïra, fut retourné parmi les Bent-Temtm, et son fils Wakt^ parmi les Bent-Yarbou^ ; pendant que Khalid , sur Tordre d* Abou-Bekr, occupait toujours les mêmes campements, et lorsque Timpôt eut été payé par tous les Arabes, ces tribus, tout en restant en état d’hostilité, se tinrent tranquilles et n’osèrent pas se faire la guerre, par crainte de Khâlid, qui se trouvait dans les montagnes de Tayy, au milieu des Bédouins, et qui les observait.

Ce fut alors que parut une femme, venant de Mossoul, des Bent-Thaghlib, qui étaient chrétiens, comme en général les habitants de Mossoul, de la Mésopotamie, de TIrâq et de la Syrie. Le nom de cette femme était Sajjah bt Harith b Sowaïd. Elle professait le christianisme, elle maniait bien la parole et s’exprimait en beau langage arabe, en prose rimée. Elle disait qu elle était prophétesse et qu’elle recevait de Dieu des révélations. Les hommes furent séduits par son beau langage, et un grand nombre de Beni Thaghlib crurent en elle. Puis elle continua de rester dans son pays.

Elle avait entendu parier de Mo^hammed. Lorsqu’elle apprit qu’il était mort, que les Arabes avaient abandonné sa religion et que la guerre avait éclaté parmi eux; qu’elle sut aussi que Mosaïlima s’était érigé en prophète dans le Yemâma, et qu’il avait des partisans, elle quitta la Mésopotamie, et vint en Arabie, accompagnée de 400 cavaliers, guerriers de Mossoul de la Mésopotamie, et Arabes, d’entre ceux qui avaient cru à sa mission prophétique.

Arrivée dans le ^Hedjâz, Sadjâ^h demanda quelle était la tribu arabe la plus forte. On lui dit que c’étaient les Béni-Dbabba. Alors elle adressa à ceux-ci une lettre, les engageant à adopter sa religion. Cette religion était formée en partie de l’islam, en partie du christianisme.

Sajjâh prétendait que Jésus était l’esprit de Dieu et son serviteur ; elle ne disait pas qu’il fût fils de Dieu ; elle recommanda les 5 prières ; elle établit l’impureté légale des femmes, interdit la fornication, et permit le vin et la viande de porc, comme dans la religion chrétienne. C’est cette religion qu’elle exposa aux Beni-Dhabba, les invitant à croire en elle et à faire la guerre à Abou-Bekr. Les Beni-Dhabba refusèrent, parce qu’ils avaient peur de Khâlid et qu’ils étaient en hostilité avec les Beni-Hodsaïl, qui, avec les Beni-Thaghiib, composaient la troupe de Sajjâh.

Voyant son insuccès auprès des Beni-Dhabba, Sajjâh se tourna vers les Beni-Mâlik et les Beni-Yarbou\ leur adressa une lettre, les appela à sa religion et leur dit :

« J’appartiens par mon origine aux Beni-Yarbou ; la puissance que j’obtiendrais vous appartiendrait, et si j’ai des richesses, elles seront à vous.

Mâlik, fils de Nowaïra, avec les Beni-Mâlik, et son fils Waki*, avec les Beni-Yarbou^, accueillirent favorablement ses propositions, par rivalité contre les Beni-Dhabba, auxquels, en saisissant ce prétexte, ils voulaient faire la guerre.

Sajjâh, ayant accepté leur soumission, eut une entrevue avec eux ; elle les invita à croire en elle et à sa religion et à pratiquer le culte établi par elle. Mâlik, fils de Nowaïra, lui dit :

Accorde-nous un délai ; fais avec nous une convention et un traité de paix; nous ferons la guerre à tes adversaires, et quand tes adhérents seront plus nombreux, nous serons tes partisans [ouvertement]. Mohammed, qui a été notre prophète, a souvent agi ainsi. Il a conclu des traités avec les juifs, les chrétiens et d*autres qui n^étaient pas de sa religion ,

en leur accordant des délais, après lesquels ils devaient em-

brasser sa croyance.

Sajjâh consentit, et conclut avec eux un traité de paix. Mâlik et Wakf avec les Benî-Mâlik et les Bent-Yarbou se mirent donc à sa disposition ; et comme les Beni-Temim étaient divisés et en hostilité entre eux, tous ceux qui penchaient vers les Benf-Mâlik et les Beni-Yarbou^ vinrent [ensuite] de leur cdté. Mâlik et Waki dirent encore à Sadjâ^h :

Nous avons beaucoup d’ennemis ; lequel devons-nous attaquer d abord?

Sadjâ^h répliqua :

Dites-moi combien il y a de tribus, de combien d’hommes elles se composent, laquelle est la moins nombreuse , laquelle la plus forte et laquelle la plus faible ?

Ils lui énumérèrent toutes les tribus des Beni-Temim, les Benl-Dhabba , les Beni-Abd-Manâf , et enlin les Beni-Rebâb, et lui indiquèrent le nombre d’hommes de chacune. Les Benf-Rebâb étaient la tribu la plus faible en nombre. Sadjâ^h, qui voulait attaquer d’abord la plus faible , dit :

Je verrai ce que Dieu ordonnera, pour savoir laquelle nous devons attaquer.

Le lendemain, elle leur dit :

Dieu nous ordonne de faire la guerre d’abord aux Beni-Rebâb ; j’ai reçu hier soir cette révélation :

Comptez les chameaux et soyez prêts pour le départ; ensuite sévissez contre les Rebâb, il n’y a point d’obstacle devant eux.

AJors Mâlik, fils de Nowaïra, forma une armée et marcha contre les Beni-Rebâb. Ceux-ci, ëtant trop peu nombreux pour pouvoir opposer de la résistance à Mâlik, demandèrent aide aux Benî-Dhabba et aux autres tribus. Sajjâh suivit Mâlik avec d’autres troupes. Les tribus temimites vinrent se joindre aux Beni-Rebâb, et formèrent une masse considérable. Sadjâ^h leur livra un combat, triompha d’eux » en tua un grand nombre et fit des prisonniers. Plusieurs Arabes des Beni Temim et d’autres tribus, tels que ^Otârid, fils de ^Hàdjib , Zibriqân , fils de Bedr, et d’autres chefs des Temim et des Fezâra , embrassèrent sa croyance. Le parti de Sadjâ^h devint très-puissant; une très-grande foule se rassembla autour d’elle. Alors elle résolut de se diriger vers le Yemâma, pour faire cause commune avec Mosaïlima, afin de faire valoir ensemble leurs prétentions à l’état de prophètes et d’appeler les hommes à leur religion.

S’étant mise en route vers le Yemâma, Sadjâ^h rencontra sur son chemin la tribu des Benî-Hodjaïm et celle des Benl- Amrou, sous, le commandement d’Aus, fils de Khozaïma. Les Hodjaïm et les Hodsaïl étaient en état d’hostilité. Aus, à la tête des Beni-Hodjaîm et des Beni-^Amrou, donna la chasse aux Benî-Hodsaîl, qui s’acheminaient, avec Sadjâ’h, vers le Yemâma, tua plusieurs de ceux-ci ainsi que d’autres soldats de Sadjâ^h, et fit des prisonniers. Sadjâ^h évita la lutte; elle conclut un traité de paix avec eux : il fut stipulé que les pri- sonniers seraient rendus, qu’elle passerait dans le Yemâma par une autre route, sans toucher le territoire des Beni Hodjaïm et des Beni ‘Amrou, et sans les inquiéter. Après que les prisonniers furent rendus, les soldats qui étaient venus avec Sadjâ^h de la Mésopotamie lui dirent :

Que veux-tu faire ? Ces Arabes se tournent contre nous, et nous ne sommes pas assez forts pour leur résister. Mâlik. fils de Nowaïra, n’a embrassé ni notre cause ni notre religion; il n’a traité avec nous que pour faire la guerre, avec notre aide, aux Benî-Dhabba et à ses autres ennemis. Maintenant qu’il Ta faite, qu’il a obtenu ce qu’il voulait et qu’il a tué plusieurs de ses ennemis, nous ne pouvons plus compter sur lui. Si, de quelque lieu, une armée vient fondre sur nous, nous ne pourrons pas lui résister; et si Khâlid apprend notre mouvement, il se jettera sur nous et nous exterminera. Il faut donc prendre nos mesures pour empêcher ces hommes de nous nuire.

Sajjâh répondit :

Il faut que nous allions dans le Yemâma, vers Mosaîlima, fils de ^Habib ; il est prophète comme moi ; nous sommes les seuls prophètes qui restent sur la terre ; quand nous nous serons réunis, et que l’un aura cru à la mission de l’autre, nous appellerons tous les hommes à notre religion.

Les autres répliquèrent :

« Mais si Mosaîlima ne veut pas nous accueillir ? Il s’est érigé seul en prophète, et il n’y a pas deux prophètes en un même lieu. »

Sajjâh dit :

« Dieu m’ordonne d’aller au Yemâma, il m’a envoyé une révélation ainsi conçue : En avant vers le Yemâma I Volez du vol des colombes. La campagne est rude; après elle, le blâme ne vous atteindra pas.?)

Toute la troupe se dirigea donc sur le Yemâma, vers Mosaîlima. Ceux des Temîm qui avaient cru en Sajjâh, tels que ^Otârid, fils de ^Hâdjib; Zibriqân, fils de Bedr; ^Amrou, fils d’Al-Ahtam; Ghailân, fils de Kharascha, et d’autres chefs arabes, marchèrent avec elle. Mâlik, fils de Nowaïra, ne la suivit pas; il ramena ses soldats dans sa tribu.

A la nouvelle de l’approche de Sadjâ^h, Mosaîlima et ses partisans de Yemâma et des Bent-‘Hanifa, furent très-inquiets.

Les troupes musulmanes qui avaient été envoyées par Abou-Bekr sous les ordres de Schoura^hbii , et qui se trouvaient près de Yemâma, apprenant que Sadjâ^h amvait avec une armée composée de Temim, de Hodsaïl et de Thaghlib, eurent de grandes appréhensions. Elles ne pouvaient s’expliquer ce mouvement, et pensaient que Sajjâh avait été appelée par Mosaïlima, car elles ignoraient que celui-ci fût inquiet lui-même.

En conséquence, les musulmans se retirèrent à deux journées de marche de Yemâma et y établirent leur camp.

L^armée de Sadjâ^h s’étant approchée, Mosaïlima envoya 40 hommes des Beni Hanifa au-devant de Sajjâh, pour savoir dans quelle intention elle venait et ce qu’elle voulait. Il lui adressa une lettre, dans laquelle il disait : La fonction prophétique sur la terre appartenait par moitié à moi, et par moitié à Mohammed. Lorsque celui-ci est mort, Gabriel est venu et m’a confié l’exercice de cette fonction sur toute la terre. Cependant je t’abandonne la part des Qoraïsh, et à présent la moitié de la terre sera à moi, et l’autre moitié à toi; aucun autre en dehors de nous deux n’en aura

une part. Lorsque les 40 députés arrivèrent auprès de Sadjâ^h, celle-ci les accueillit bien et leur donna des marques de faveur et de distinction ; ensuite elle les interrogea. Les députés lui exposèrent le message de Mosaïlima et lui proposèrent l’exercice de la fonction prophétique sur la moitié de la terre. Sadjâ^h fut très-satisfaite ; elle dit :

« J’ai reçu de Dieu le même ordre, par cette révélation : trll ne prétend qu’à tort à- la moitié ; mais ta moitié est donnée à ces cavaliers que tu vois comme des écailles. ? »

Les députés y passèrent la nuit. Le lendemain, au moment oik ils allaient partir, Sadjâ’h leur adressa des éloges, leur donna des marques* d’honneur, et leur dit :

Hier soir j’ai été favorisée par Dieu à cause de vous; j’ai reçu une révélation dans laquelle il vous donne des éloges; il a dit :

« Lorsque j’ai vu leurs beaux visages, leur teint brillant et leurs jolies extrémités, je leur ai dit : N’approchez pas des femmes et ne buvez pas de vin. Mais vous êtes des hommes pieux, jeûnant un jour et passant l^autre dans le labeur. Gloire à Dieu I Lorsque viendra la vie future, quelle sera votre vie I Gomme vous monterez au royaume du ciel ! Quand même il ne s’agirait que d’un gr^in de sënevë, il y aurait cependant un témoin qui connaît ce qu il y a dans les poitrines. Mais les poitrines de la plupart des honmies ne renferment que des plaies »,

En effet, Mosaïlima avait interdit Tusage du vin, et c’est pour cette raison que Sadjâ^h disait :

Ne buvez pas de vin »

Et en disant :

« N’approchez pas des femmes, si elle avait en vue la loi, établie par Mosaïlima, qui permettait d’avoir commerce avec une femme seulement jusqu’à ce qu’on en eût un fils, et qui l’interdisait ensuite. Mosaïlima prétendait que les rapports sexuels sont nécessaires afin que l’homme ait une descendance ; tout homme qui a vu naître un rejeton sorti de ses reins doit s’abstenir en ce monde d’avoir des rapports avec une femme, et il faut qu’il ne touche plus jamais une fenme. »

Ensuite Sajjâh congédia les députés , en leur disant encore : Il faut absolument que j’aie une conférence avec lui, afin que nous nous voyions.

De retour auprès de Mosaïlima, les messagers lui dirent :

« Elle a le caractère prophétique comme toi; elle reçoit, de même que toi, des révélations du ciel. »

Puis ils lui récitèrent les révélations de Sajjâh. Mosaïlima se trouvait dans la forteresse de Yemâma, dans la ville dans laquelle il s’était enfermé, de peur des musulmans. 11 craignit, si SadjA% y venait, de voir les habitants de Yemâma embrasser sa foi et se détourner de lui. Il envoya donc un nouveau message à Sadjâ^h et lui fit dire : Si tu veux avoir une entrevue avec moi, laisse ton armée à l’endroit où elle est campée, et viens me trouver seule. Il adressa aussi à Tarmëe de Sadjâ^h, à ^Otârid et aux autres chefs des Temlm, un message ainsi conçu :

« Demeurez là où vous êtes et envoyez-la auprès de moi pour une entrevue. »

Puis il ajouta qu’il avait de Dieu une révélation contenant leur éloge, et il leur envoya cette révélation, qui était conçue en ces termes

« Dieu entend celui qu’il entend, et il dirige vers le bien les désirs de celui qui forme des désirs, et qui ne cessera pas de jouir de tout ce qui le rend heureux. Votre Seigneur vous a vus, vous a comblés de ses dons, vous a ôté l’affliction, et, au jour de son jugement, il vous donnera la béatitude et la vie. Sur nous les prières des hommes pieux, de ceux-là qui ne sont ni des misérables, ni des scélérats, qui se lèvent dans la nuit, et qui jeûnent pendant le jour, en l’honneur de votre Seigneur, le grand, qui est le Seigneur des nuées et des pluies »)

Sajjâh se rendit, avec 10 hommes de sa suite, auprès de Mosaâima. Celui-ci fit poser un tapis à un endroit en dehors de la forteresse, et y fit construire une tente de cuir, où il voulait recevoir Sadjâ^h, pour ne pas la laisser pénétrer dans la forteresse. Ayant quitté la ville, il entra avec Sadjâh dans la tente préparée, et ils se mirent à causer. Mosaâima était un homme jeune et beau , et il fit impression sur le cœur de Sadjâ^h. Pendant la conversation , Sadjâ^h demanda à Mosaïlima : 7

« As-tu reçu du ciel quelque révâation qui me concerne?

J’en ai reçu, dit Mosaîlima. Voici la révélation que Dieu m’a envoyée cette nuit : Ne vois-tu pas comment ton Seigneur fait avec la femme enceinte, dont il fait sortir d’entre le péritoine et lés viscères un être vivant? Dieu a créé les femmes, etc.

Sadjâ^h dit :

J’atteste que tu es le prophète de Dieu, et que ce sont les paroles de Dieu.

Mosaîlima, voyant que Sadjàh avait de l’amour pour lui, et ayant lui aussi des dësirs, dit :

« Tu sais que je suis prophète, et toi aussi, tu es prophétesse ; qu’est-ce qui empêche que je t’épouse ? Mes partisans et les tiens se réuniront alors et formeront un seul corps, et nous soumettrons tous les Arabes. »

Sajjâh répliqua :

« Cela me convient, mais je veux attendre les ordres de Dieu et savoir quelles révélations il enverra à cet ^arc du ciel à toi et à moi. »

Alors Mosaïlima, prenant Tattitude de Taccablement, conune s’il recevait une révélation, dit :

Gabriel vient de m’apporter une révélation qui te concerne ; il dit :

«  Allons, viens, unissons-nous…

Voilà ce que Dieu m’a révélé , dit Mosaïlima. Sadjâ’h répliqua :

« Je suis à tes ordres et aux ordres de ton Dieu. Elle se livra à lui, et le mariage fut consommé sur-le-champ. »

Sajjâh, après être restée là 3 jours, retourna vers son armée. On lui demanda ce qu’elle avait conclu.

Elle répondit :

« Il a le caractère prophétique, comme moi; et je l’ai épousé afin que nos 2 partis se réunissent et que nous puissions subjuguer et exterminer nos ennemis.

‘Otârid, fils de ^Hâdjib, dit :

T’a-t-il donné un cadeau nuptial?

Non, répondit Sajjâh.

Retourne, continua ^Otârid, et demande-lui le don nuptial ; car il serait honteux qu’une femme aussi élevée que toi se donnât à un homme sans lui demander le don nuptial.

Sadjâ^h retourna auprès de Mosaïlima. Celui-ci était rentré dans la forteresse ; sans descendre [du haut du rempart, d’où il l’apercevait], il lui demanda pourquoi elle revenait.

Sadjâ^h.dit :

« Ce n’est pas pour moi que je viens ; mais mes partisans réclament un cadeau de noces.

Mosaïlima demanda :

« Combien de prières leur as-tu prescrit d’accomplir chaque jour? »

Cinq, répondit Sajjâh , de même que Mohammed.

Mosaïlima dit :

« Voici le cadeau de noces que je le donne : Je leur accorde l’exemption de deux prières, de cette de l’aurore et de celle du coucher, dont l’obligation est ta plus onéreuse. »

Sajjâh retira dans son camp et fit cette communication à ses partisaus.

On rapporte que, encore aujourd’hui, dans le désert, une partie des Beni Temim, des Arabes purs, et beaucoup d’autres, dans d’autres tribus, n’accomplissent ni la prière de t’aurore, ni la prière du coucher.

Mosaïlima désirait que Sajjâh quittât les portes de Yemâtna. Maïs elle y demeura jusqu’à ce qu’il consentit à lui donner la moitié des produits de [la province de] Yeuiâma,et qu’il promit de lui envoyer [par la suite] cette part, n’importe en quel lieu elle se trouverait. Il lui parla ainsi :

« Je ne chercherais pas à t’éloigner; mais ton armée est composée en grande partie de Bent-Temlm , qui ont été musulmans ; je t crains que , si l’armée musulmane leur adresse un appel , ils ne i se rendent à cet appel , et que ces deux corps réunis ne t’exlerminent. Prends la moitié des produits de cette année, éloigne celte armée, et chaque année je t’enverrai la moitié des produils, jusqu’à ce que nous puissions faire la guerre aux musulmans ; alors je t’appellerai, nous nous réunirons et nous resterons eosemble. »

Sadjâ’h reçut la moitié des produits du Yemâma, et s’en alla, suivie de toute son armée. Cependant les Bent-Temlm étaient honteux d’avoir été amenés par Sajjâh k la porte de la ville de Mosaïltma, pour qu’elle eût un rendez-vous amoureux avec lui.

‘Olârid, lllsde’Hâdjib, dit :

“Une Tenime a été notre proptiétesse ; nous avons couru vere elle. Mais les •autres bommes ont eu des hommes pour prophète*.”

Sadjâ’h continua sa marche. Lies Benl-Temini, reconuaissant qu’ils n’avaient rien & attendre d’elle, et regrettant de l’avoir suivie, la quittèrent. Màlik, fils de Nowaîm, eut ^aement de grands regrets. Tous regagnèrent leurs tribus. Alors les soldats de Sadjâ^h lui dirent : D faut nous en retourner dans notre pays; car les Arabes sont las de nous; aucun d’eux n est reste avec nous, et nous ne devons pas être seuls au milieu d’eux. En conséquence, Sadjâ^h ramena son armée à Mossoul et dans le Djezîra , et y demeura parmi les Beni Thaghlib et les Beni odsaîl , jusqu’au temps de Mo^âwiya , où elle se fit musulmane. Elle mourut dans l’Islam.

A la nouvelle que Sadjâh avait amené une armée, que les Bent-Temlm s’étaient joints à elle, que cette troupe réunie s’était portée au secours de Mosaïlima, et que les musulmans s’étaient retirés des frontières du Yemâma, Abou-Bekr avait été consterné. Il avait écrit à ‘Ikrima, fils d’Abou-Djahl, de demeurer dans le lieu où il se trouvait jusqu à ce qu’il lui envoyât des renforts. Il avait écrit aussi à Kbâlid de ne pas quitter ses campements et d’y attendre ses ordres. Il avait ainsi pris toutes sortes de mesures. Il fut donc très-heureux lorsqu’il apprit que Sadjâ^h s’en était retournée, et que les Benî-Temim l’avaient abandonnée. Les musulmans se réjouirent tous de cette nouvelle.

Cependant les Beni-Temtm, regrettant ce qu’ils avaient fait, craignaient qu’ Abou-Bekr n’envoyât contre eux une armée ; ils redoutaient aussi de voir Khâlid se tourner contre

eux. Alors ils firent partir deux de leurs chefs, Aqra^, fiis de ^Hâbis, et Zibriqân, fils de Bedr, qui devaient porter à Abou- Bekr le message suivant :

Nous avons embrassé la cause de Sadjâ^h, parce que nous ne pouvions lui résister. Maintenant nous l’avons quittée. Nous regrettons ce que nous avons fait, et l’on ne nous verra plus commettre une faute pareille. Si tu le juges bon, assigne-nous l’impôt du Ba^hraïn, car les Bent- Temtm sont nombreux et leurs branches s’étendent de tous cdiés; donne-nous l’impât du Ba’hraîn, nous le lèverons, le’ distribuerons [aui diflîérenles tribus temfmitesj et nous tes ramènerons à rislam.

Aqra’ et Zibriqàn arrivèrent à Médine. Tal’ba, fils d”Obaïd-AIIah, avec lequel ils étaient lies d’amitié, les conduisit auprès d’Abou-Bekr, présenta leur requ4te et plaida leur cause auprès du calife. Abou-Bekr accueillit leur demande , et leur accorda l’impôt du Ba’braïn. Il fil rédif^r un acte que devaient signer, comme témoins, les compagnons du prophète. Lorsqu’on apporta cet écrit à ‘Omar b Khattâb, pour qu’il le signât, ‘Omar s’écria :

« Oh non I cela ne sera pas fait pour eux ! »

Et il déchira l’acte et le jeta dehors. Tarha, tout en colère, courut vers Abou-Bekr, el lui dit : Ea-tu le souverain, ou est-ce ‘Omar ?

Abou-Bekr répondit :

Je suis le souverain de nom, mais à ‘Omar appartient le conseil ! »

Ensuite îl convoqua les compagnons du Prophète, pour connaître leur avis relativemeni aux Benf-Temjm.

‘Omar dit :

Ils se sont révoltés déjà une fois, et maintenant ils se sont révoltés de nouveau. N’est-ce pas assez que lu leur fasses grice de la vie ? Faut-il encore leur donner de l’argent ? Tu es dans la nécessité d’envoyerde tous côlés des troupes et de leur donner de l’argent. Écris k Kfaâlid pour qu’il voie lesquels ‘d’entre eux sont musulmans; qu’il laisse ceux-là tranquilles, qu’il fasse mettre à mort les apostats, el qu’il délivre les musulmans ! »

Abou-Bekr dit :

« C’est ainsi que je ferai. Et il écrivit en ce sens à Khâlid. Aqra* et Zibriqân , voyant leur insuccès, s’en retournèrent. »

Khâlid quitta ses campements et se mil en mouvement contre Milik, fils de Nowaïra, qui élait établi, avec ses partisans, à un endroit nommé Bitâ’h. Mâlik se repentait d’avoir traité et d’avoir combattu avec Sadjâ’h. Il était très-embarrassé el ne savait que faire. Khâlid se dirigea sur Bilâ’h.

MALIK B NOWAÎRA.

Lorsque Khâlid partit pour Bitâ^h, son armëe se divisa en deux camps: les Mohâdjir le suivirent; mais les Ançâr dirent :

« Nous ne partirons pas ; car Abou-Bekr nous a écrit de garder nos campements, et à toi aussi il a enjoint de ne faire aucun mouvement sans ses ordres.

Kbâiid leur dit :

Abou-Bekr m’a donne le commandement, etc’est à moi d’aviser et de décider, quand je le jugerai bon , où il faut aller porter nos armes. Il faut que vous veniez avec moi ; si vous ne voulez pas venir, vous êtes libres; quant à moi, je pars.

Khâlid partit avec les Muhâjir, et les Ançâr restèrent au camp. Mais le lendemain, ceux-ci , regrettant leur refus de marcher, se dirent entre eux :

« S’il fait du butin ou qu’il obtienne d’autres avantages, nous n’en aurons aucune part; et s’il lui arrive malheur, nous serons blâmés. »

En conséquence, ils allèrent le rejoindre. 

A la nouvelle de l’approcbe de Khâlid, Mâlik, fils de Nowaïra , réunit ses soldats et leur dit :

« Khâlid se dirige contre nous. Nous avons commis une grande faute; car, quoique nous n’ayons pas embrassé la religion de Sadjâ^h , nous avons traité et nous avons fait alliance avec elle , et nous avons fait avec elle la guerre. Abou-Bekr est très-irrité contre nous, et il envoie Khâlid. Aujourd’hui il ne nous reste pas autre chose à faire que de nous soumettre. Nous nous trouvons ici rassemblés à Bitâ^h ; c’est un campement; si, en arrivant, Khâlid nous voit ainsi, il croira que nous sommes une armée et préparés à le combattre. Il faut donc que nous quittions ce lieu en nous dispersant, et que chacun regagne sa tribu. »

Alors toofi ces hommes se séparèrent, et chacun retourna dans sa tribu. Mâlik, fils de Nowaïra, rentra aussi dans son pays, réunit l’impôt et l’envoya à Khâlid. Quand celui-ci arriva, tout l’impôt avait été apporté, et il ne trouva personne à Bitâ^h; il conclut qu’ils n’avaient pas l’intention d’opposer de la résistance. Il fit halte à Bitâh , reçut l’impôt et adressa à Abou- Bekr une lettre en lui annonçant son excursion.

Abou-Bekr lui répondit :

« Envoie vers chaque tribu des Bent-Temlm deux ou trois hommes, qui devront y arriver à l’heurè de ia prière et observer les différentes localités. Si, dans une tribu, ils n’entendent pas l’appel à la prière, tu sauras que les gens de cette tribu sont apostats, et tu les feras mourir. Quant aux autres tribus, où l’on aura entendu l’appel à la prière, invite-les à se rendre auprès de toi. Si elles payent ia dime, accepte-la et épargne ces hommes; mais si l’on ne la paye pas, fais-les tous mourir, et ne fais grâce à personne. »

Khâlid fit ainsi. Vers la tribu de Mâlik, fils de Nowaira, il envoya quelques cavaliers, parmi lesquels se trouvait Abou-Qatâda, l’un des principaux Ançâr. Arrivant à l’heure de la prière, ils saisirent Mâlik et l’amenèrent auprès de Khâlid.

Les rapports de ces messagers étaient contradictoires. Les *uns disaient qu’ils n’avaient pas entendu prier dans la tribu de Mâlik, tandis qu’Abou-Qalâda prétendait avoir entendu prier. En présence de ce désaccord, Khâlid retint prisonniers Mâlik et ses compagnons. Puis il fit appeler Mâlik devant lui, le fit asseoir et se mit à causer avec lui. Il était persuadé que Mâlik était apostat.

« Pourquoi, lui demanda-t-il, as-tu, avec ta tribu, embrassé la cause de Sadjâ’h ?

Mâlik répondit:

« Nous n’avons pas embrassé sa cause ; nous avons seulement traité avec elle, à cause des Beni-Dhabba, avec lesquels nous étions en guerre ; quand elle a marché vers Mosaïlima avec tous les Beni-Temîm, nous ne l’avons pas suivie.

Khâlid, en causant et en discutant avec lui, vint à parier du Prophète. Mâiik dit :

« Oui, votre maître a dit. . . »

Khâlid s’ëcria, en colère :

« Chien! il ëtait notre maître, n’ëtait-il pas aussi le tien? Mais je sais que tu es un incrédule, et que c’est toi qui as amène Sadjâh en Arabie; car toi, le premier d’entre les Bent-Tembn, tu Tas accueillie et tu as combattu sous ses ordres; tu as versé beaucoup de sang musulman, et tu as été l’instigateur de tout cela. »

Un homme, nomme Dbarâr, fils d’Al-Azwar, des Bent- Asad, se tenait devant Khâlid, le sabre à la main. Khâlid lui dit :

« Frappe ce chien ! »

Dbarâr fit tomber la tête de Mâlik. 

Une autre tradition rapporte que Khâlid retint prisonniers Mâlik et ses compagnons, convaincu qu’ils étaient apostats et que, s’ils se montraient attachés à l’islam et s’ils payaient la dîme, c’était un effet de la peur. Il avait l’intention de les tuer. La nuit était très-froide. Chacun des prisonniers avait été confié par Khâlid à la garde de l’un de ses compagnons, auxquels il dit :

« Chauffez les prisonniers », voulant dire par là qu’ils devaient les tuer. Les soldats rentrèrent dans leurs tentes et chacun tua son prisonnier. Le lendemain tous les prisonniers étaient morts. Mâlik, fils de Nowaîra, avait une femme nommée Oumm-Temîm, qui était d’une des principales familles des Temim et d’une grande beauté. Après la mort de Mâlik, Khâlid épousa Oumm-Temîm.

Dans la nuit, lorsqu’on eut mis à mort Mâlik, Abou-Qatâda vint demander raison de cet acte à Khâlid, en disant :

« Tu m’avais envoyé vers un homme ; je t’avais rapporté que j’avais entendu prier dans sa maison ; puis il avait payé la dîme : il était donc musulman ; et tu l’as fait mourir. Tu n’as pas bien agi ! »

Khâlid répliqua :

« Si tu as dit avoir entendu la voix de la prière, un autre a dit qu’il ne l’avait pas entendue, et sa parole vaut la tienne. »

Ma parole, répliqua Abou-Qatâda , avait plus d’autorité auprès de l’apôtre de Dieu que celle de cet homme, qui prétend n avoir rien entendu; car le Prophète m’a considéré comme plus véridique que toi-même. »

Khàlid rudoya Abou-Qatâda, qui jura qu’il ne ferait plus jamais de campagne sous le drapeau de Khâlid. Il partit pour Médine et vint rendre compte à Abou-Bekr de l’action de Khâlid.

Abou-Bekr le reçut mal et lui répondit sévèrement. Abou-Qatâda alla trouver ‘Omar, avec lequel Mâlik avait été très lié, et lui raconta que Khâlid avait fait mourir Mâlik, et qu’il avait épousé sa femme, quoique Mâlik fût musulman.

Omar se rendit aussitôt auprès d’Abou-Bekr et lui dit :

Khâlid a eu tort de tirer l’épée contre des musulmans. Il fait mourir qui il veut. Voici Abou-Qatâda qui atteste que Mâlik b Nowaïra, était musulman, et moi j’affirme que Khâlid a eu tort de le faire mourir, d’épouser sa veuve et de s’emparer de ses biens. Rappelle-le et demande-lui compte de la mort de ces hommes; car de telles actions nuiraient à la cause de la religion.

Abou-Bekr répliqua :

« Omar, Khâlid est le glaive de Dieu ; c’est ainsi que Ta appelé l’apâtre de Dieu, qui a dit que Dieu a tiré ce glaive contre les infidèles. Je ne veux pas remettre ce glaive dans le fourreau, et je ne souffrirai pas qu’ Abou-Qatâda ne veuille pas retourner auprès de Khâlid. »

Omar plaida longuement la cause d’ Abou-Qatâda , mais Abou-Bekr fut inflexible. Abou-Qatâda retourna auprès de Khâlid.

Le frère de Mâlik, Moutammim, fils de Nowaïra, vint trouver ^Omar et réclama justice pour la mort de son frère. ‘Omar le conduisit auprès d’ Abou-Bekr. Moutammim demanda justice contre Khâlid, disant :

« Mâlik était musulman et Khâlid l’a tué. »

Abou-Bekr écrivit à Khâlid en ces termes :

« Laisse ton armée dans ses campements et reviens ici seul, pour répondre à ton accusateur Moutammim, fik de Nowalra, qui f accuse du meurtre de son frère. »

Khâlid vint, accompagne de cinq serviteurs.

Bilâl était le portier d’Abou-Bekr. Khâlid, sachant que le calife lui aussi, excité par ‘Omar, était mécontent de lui, envoya, de la dernière station avant Médine, un messager vers Bilâl et lui fit offrir un présent de 2 dinars. Ce fut là le premier don de corruption sous le règne de l’Islam. Khâlid fit demander à Biiâl de Tintroduire auprès d’Abou-Bekr, sans laisser entrer en même temps ^Omar, afin qu’il pût, étant seul, présenter sa justification. Abou-Bekr avait Thabitude, chaque matin, après avoir accompli dans la mosquée la prière , de rentrer dans sa maison , dont la porte donnait dans la mosquée (c est cette maison qui forme aujourd’hui le tombeau du Prophète), de lire le Coran et de prier. Quand il avait fini, Biiâl sortait et faisait entrer ceux qui avaient audience.

Ayant accepté les deux dinars de Khâlid, Biiâl dit au messager:

« Dis à Khâlid de venir le matin, avant le lever du soleil. »

Le lendemain , Khâlid entra dans la ville de Médine, monté sur un chameau et vêtu d’une tunique de coton devenu noir par le contact de la cuirasse, le sabre suspendu à son baudrier, et la léte enveloppée d’un turban rouge, dans lequel étaient fichées deux flèches, d’après la coutume des guerriers fameux et des chefs d’armée chez les Arabes. Lorsqu’il arriva a la porte de la mosquée, Abou-Bekr était dans sa maison, et ‘Omar avec d’autres se trouvait dans la mosquée. Khâlid fit agenouiller son chameau à la porte de la mosquée, descendit et voulut entrer.

« Omar se leva, courut au-devant de lui, à la porte, saisit le devant de sa tunique et son baudrier et le traîna ainsi dans la mosquée ; puis il arracha les flèches de son turban, ies brisa et les jeta dehors. Ensuite il dit :

« Ennemi de Dieu, tu as tuë un musuhnan, et tu as épouse sa femme Par Dieul je veux que tu sois mis à mort aujourd’hui, en expiation de la mort de Mâiik. »

Khâlid garda le silence.

« ‘Omar l’entraîna dans la mosquëe , devant tout le monde , jusqu’à la porte d’Abou-Bekr.

Alors Bilâl dit :

« Attendez, je vais vous annoncer au vicaire du Prophète. »

Il entra et dit :

« Khâlid est arrivé et le voici à la porte. »

Bilâl ne dit pas qu’Omar était avec lui. Abou- Bekr répliqua :

« Appelle-le, qu’il entre. »

Bilâl sortit, prit Khâlid par la main et lui dit :

« Entre. »

Omar voulut entrer avec lui, mais Bilâl lui posa la main sur la poitrine et lui dit :

« Il n’a ordonné que de faire entrer Khâlid. ‘Omar recula par obéissance, et alla reprendre sa place; il mit une main sur l’autre et s’écria : Hélas I le sang de Mâlik, fils de Nowaïra, reste

sans vengeance; car maintenant il va, par son langage, circonvenir le calife, qui accueillera sa justification. »

Khâlid, étant entré chez Abou-Bekr, se tint debout devant lui. Abou-Bekr lui dit :

« Khâlid, tu as tué un musulman, et tu as épousé sa femme. »

Khâlid répliqua :

Je t’adjure par Dieu, ô vicaire de l’apôtre de Dieu, de déclarer si tu n’as pas entendu dire au Prophète ces paroles : « Khâlid est le glaive de Dieu sur la terre » ?

Par Dieul certes je les ai entendues, s’écria Abou-Bekr.

Khâlid reprit :

« Eh bien , Dieu ne frappe de son glaive que le cou d’un infidèle ou d’un hypocrite I

Tu as raison, dit Abou-Bekr, retourne immédiatement à ton poste ! »

Lorsque Khâlid sortit d’auprès d’Abou-Bekr, *Omar se trouvait encore dans la mosquée. Khâlid mit la main sur la poignée de son sabre, qu’il tira à moitié du fourreau, et dit à ^Omar :

« Approche donc, fils d’Oumm-Schamla » (Oumm- Schamla était le nom qu’on donnait à la mère de ‘Omar)

Celui- ci sut alors que Khâlid avait obtenu son pardon.

Khâiid sortit de la mosquëe, monta sur son chameau, et, sans faire le moindre séjour à Médine, il retourna à son camp à Bitâ’h.

MUSAYLIMA

Mo^hammed , fils de Djarlr, dit :

^Ikrima , fils d’ Abou-Djahl , avait été envoyé par Abou-Bekr dans le Yemâma. Ce fut à ïé-

poque où les onze généraux quittèrent Médine. Puis le calife avait fait partit* Schoura^hbH» fils de ^Hasana, pour aller rejoindre ^Ikrima. Celui-ci, apprenant l’approche de Schoura^hbîl , et ne voulant pas laisser à ce dernier la gloire de la campagne, se rendit, avant qu’il fût arrivé, aux portes de Yemâma, et livra un combat. Il fut défait et obligé de se retirer. Abou-Bekr lui adressa une lettre, dans laquelle il le blâmait en ces termes :

« Tu n’es pas capable de faire le maftre, et tu ne veux pas faire d’apprentissage I Pourquoi n’es-tu pas resté tranquille jusqu à l’arrivée de Schoura^hbfl ? Cela aurait mieux valu. Maintenant garde-toi de revenir à Médine ; car si je te voyais, je te ferais trancher la tête. Va rejoindre Hodaïfa et Arfaja dans Omân, et fais la guerre sous leurs ordres; s’ils suffisent à leur affaire, et qu’ils n’aient pas besoin de toi, rends-toi dans le Yemen et dans le ^Hadhramaut, auprès de Mohâdjir, fils d’Omayya, pour l’aider, et place-toi sous son commandement. »

Il écrivit aussi à Schoura^hbtl pour lui enjoindre de rester immobile avec son corps de troupes jusqu’à nouvel ordre. En voyant arriver Schoura^hbll aux portes de Yemâma, Mosaïlima reconnut que les armées musulmanes se tourneraient toutes contre lui, les unes après les autres, et que, quand il en aurait vaincu une, une autre la remplacerait. En conséquence, il s’enferma dans la forteresse de Yemâma, qui était en fort bon état.

Abou-Bekr, apprenant que Mosaïlima s’était enfermé dans la forteresse, jugea qu’il n’en sortirait pas, aussi longtemps que Schoura^hbil serait campé sous ses murs. D’un autre côté, il pensait que le plus grand danger pour les musulmans était du côté des Bédouins et des rebelles, qui étaient même déjÀ venus jusqu’aux portes de Médine. C’est pour ces raisons qu’il employa Khâlid, fils de Walid, et l’armée musulmane contre les Arabes. Quand enfin Khâlid eut réduit les rebelles et tué Mâlik, fils de Nowaïra; quand il ne se montra plus aucun insurgé parmi les Bédouins; après le voyage de Khâlid à Médine et son entrevue avec Abou-Bekr, et après son retour au camp, le calife lui adressa une lettre dans laquelle il lui disait : Tu dois te rendre avec l’armée aux portes de Yemâma, pour attaquer Mosaïlima. Schoura^hbÛ s’y trouve déjÀ avec des troupes musulmanes. Je t’enverrai encore un autre corps d’armée de Médine. Il écrivit aussi à Schoura^hbii en ces termes :

Lorsque Khâlid sera arrivé, place-loi sous ses ordres. »

Ensuite il fit proclamer à Médine :

« Que tous ceux qui sont en état de porter les armes se rendent auprès de Khâlid pour prendre part k la guerre contre Mosaïlima, l’ennemi de Dieu dans le Yemâma. Abou-Bekr envoya donc à Khâlid une armée considérable, composée de Mohâdjir et d’Ançâr, qui alla le rejoindre à Bitâh.

Après l’arrivée de ces troupes, Khâlid leva son camp et organisa l’armée. Il sépara les Mohâdjir des Ançâr, et passa en revue les différentes tribus arabes qui étaient enrôlées sous ses drapeaux, et qui formaient en tout 13 000 hommes.

Il plaça à la tête de l’un des corps des Mohâdjir, Abou-Hodsaïfa b Otba b Rabfa

l’autre corps eut pour général Zaîd b Khattâb et frère de ‘Omar.

Thâbit b Qaïs b Al-Schammâs, et Al-Berâ b Mâlik, furent investis du commandement des deux corps des Ançâr.

Khâlid remit Tétendard des Mohâdjir aux deux premiers chefs, et celui des Ançâr à Thâbit et à AI-Berâ. Il donna le conunandement de l’avant garde à ‘Abdallah b Omar b Khattâb, et fit porter devant lui son propre étendard. Enfin il occupa lui-même le centre, se faisant précéder par son drapeau de commandement, et fit marcher l’armée dans cet ordre jusqu’aux portes de Yemâma.

Schourahbîl b Hasana, vint au-devant de lui jusquà la seconde station.

Ayant appris le mouvement des troupes musulmanes réunies, Mosaïlima convoqua les habitants de Yemfima et les Bent-^Hanifa. Il y avait un honune du Yemâma , nommé Nehâr-er-Raddjâl, qui était venu autrefob auprès du Prophète, avait appris le Coran et les institutions musulmanes ; plus tard, ayant été informé que Mosaâima s’était érigé en prophète et que les habitants du Yemâma avaient embrassé sa religion, le Prophète avait donné à Nehâr-er-Raddjâl pour mission d’appeler les hommes à la religion musulmane, de leur enseigner le Coran et de détruire Tœuvre de Mosaïlima.

Lorsqu’il fut arrivé dans le Yemâma, Mosaïlima le combla de grâces, en fit son ami et lui parla ainsi :

« J’ai établi cette religion pour toi ; tu peux prescrire aux hommes, en fait d’institutions religieuses, ce que tu voudras, et je proclamerai que Dieu l’a ordonné ainsi. »

Nehâr-er-Raddjâl fit cause commune avec Mosaûima, et déclara devant les habitants du Yemâma que Mohammed avait rendu témoignage du caractère prophétique de Mosaïlima.

Il m’a envoyé, leur disait-il, afin que je vous atteste que Mosaïlima est votre prophète, et afin que vous croyiez en lui.

Nehâr-^r-Raddjâi fit plus de tort à fislam que Mosaîlima lui-même. Les habitants du Yemâma exécutaient tout ce qu il leur ordonnait. Il dit à Mosaîlima :

« Je veux que tu prescrives aux hommes la prière en commun ; qu’on annonce la prière et qu’il y ait rassemblée, de même que Ta prescrit Mohammed.

C’est bien, dit Mosaîlima.

Je vais

faire la formule de Tappel.

Fais.

Nehâr-er-Raddjâl dit :

J’attesterai d’abord le caractère prophétique de Mo^hammed, ensuite le tien ; car Mo’^hammed a ^eçu sa mission avant toi.

C’est bien, dit Mosaîlima. Nehâr-er-Raddjàl fit l’appel en ces termes :

« J’atteste que Mo’hammed est l’apôtre d’Allah; j’atteste que Mosaîlima est l’apôtre du Rahmân du Yemâma ! »

Mosaîlima, ayant convoqué les chefs de Yemâma, délibéra avec eux. Ils dirent :

« On ne peut pas rester dans la forteresse. Tu as une armée nombreuse, va au-devant de Khâlid pour le combattre.

Mosaîlima fit ainsi.

Il ‘mit son armée, forte de 40 000 hommes, en état de combattre, et établit son camp aux portes de Yemâma, au milieu des jardins qui touchaient aux murs de la ville. Il possédait là un grand verger, fort agréable, planté de basilic et d’arbres fruitiers de différentes espèces, et qu’il avait appelé Hadiqat ar-Rahmân. Il y fit dresser son pavillon et s’y installa avec sa suite. Plus tard on appela ce verger Hadîqat al-Mawt, parce que Mosaîlima y avait été tué. Établi dans ce camp, il attendit Khâlid.

Majjâ’a était le chef de Yemâma. Il était allé, avec 600 cavaliers, donner la chasse aux Benî-^Âmir, qui avaient tué l’un des siens et qui retenaient captive une femme nommée Khaula bt Ja‘far. Après avoir tué le meurtrier et ramené la femme, Majjâ‘a, en revenant, fit halte et passa la nuit à une journée de marche de Yemâma. Il n’avait aucune nouvelle de Khàlid, et i! le croyait encore loin. Cependant, dans la nuit, Tavant-garde de Khàlid arriva; MaddjA^a et ses compagnons furent saisis et enchaînés, et le lendemain, quand Khàlid y vint, on les amena devant lui. Il leur dit :

« Qui étes-vous, et comment saviez-vous que j’allais arriver ? »

Il pensait que ces hommes étaient venus au-devant de lui, pour se mettre sous sa protection ; et s’ils avaient répondu qu’ils étaient venus pour cette raison , il ne les aurait pas fait mourir. Mais Majja‘a dit :

« Nous ne savions rien de toi; nous avions couru après les Beni-^Àmir, nous avions un meurtre à venger sur eux. »

Khàlid fit apporter un sabre et les fit tous massacrer. Cependant on lui dit :

« Ce Majja‘a est le chef de Yemàma ; quoique tu aies fait mourir ses compagnons, épargne-le ! »

Khàlid le fit charger de chaînes et l’envoya dans sa tente, auprès de sa femme Oumm-Temîm, fille de Minhàl, et qui avait été la femme de Màlik, fils de Nowaïra. Maddjà^a était parent de

cette femme.

Le lendemain, Khàlid conduisit son armée au combat dans l’ordre même qu’il avait assigné à chaque corps et en plaçant Schourahbîl à l’avant-garde. Mosaïlima, lui aussi, fit sortir ses troupes et les fit s’aligner devant son jardin. Il donna le commandement de l’aile droite à Mou^hakkam, fils de Tofaîl, héros fameux qu’on appelait le Mau^hakkam du YemârnUy et le

commandement de l’aile gauche à Nehàr-er-Raddjàl. Quant à lui-même, il demeura dans le ^Hadîqat-al-Maut. L’armée qu’il envoya au combat était forte de 40 000 hommes.

Khàlid fit avancer ses troupes , et prit place sur un siège dans son camp, et les deux armées se rencontrèrent. Maddjà^a avait été laissé par Khàlid dans sa tente, sous la garde d’Oumm-Temîm.

Le combat commença, et les musulmans se précipitèrent sur les ennemis. ‘Abd-er-Rahman, fils d’Âbou-Bekr, chargea avec les Mohâdjir et tua Mouhakkam, fils de Tofaîl, qui commandait faile droite de Mosaîlima. Ensuite Tarmée de Yemâma fit une charge générale; les musulmans furent mis en fuite et se jetèrent sur le siège de Khâlid. Le drapeau des Mohâdjir tomba. Les ennemis firent irruption dans le camp et arrivèrent jusqu^à la tente où se trouvait Maddjâ^a. Ils voulurent tuer Oumm-Temim et emmener Maddjâ’a. Mais celui-ci les détourna de leur projet, en disant :

« Depuis trois jours je suis retenu prisonnier auprès de cette femme, qui est ma parente.

Viens avec nous, lui dirent-ils.

Maddjâ^a répliqua : Je suis prisonnier, et Khâlid est encore sur son siège. Je ne sortirai

pas avant que je voie par terre celui qui m’a fait prisonnier. Ne vous occupez pas de moi ; allez , luttez et massacrez.

Entendant ces paroles de Maddjâ^a, les soldats de Yemâma se mirent à massacrer les musulmans.

Khâlid, voyant que l’affaire était désespérée, et qu’un petit nombre seulement restaient auprès de lui, monta à cheval et dit à Sâlim, affranchi d’Âbou-Hodsaïfa, de prendre le drapeau des Mohâdjir; puis il s’avança à la tète de l’armée. En le voyant, les soldats s’arrêtèrent et se rassemblèrent autour de lui.

Khâlid dit :

Mohâdjir et Ançâr, étes-vous possédés d’un mauvais esprit, de vous enfuir les premiers partout où un ennemi se montre? Si vous n’avez pas souci de la foi, n’avez-vous pas au moins le sentiment d’honneur des hommes ?

Il ramena ainsi tous les soldats. Depuis le moment où les musulmans furent mis en déroute jusqu’au moment où Khâlid les ramena, 950 d’entre eux étaient tombés, et, entre les plus illustres, Zaîd b Khattâb, et Abou-Hodsaîfa. En ramenant les soldats au combat, Khâlid leur

dit :

« Que les corps se débandent; que les Mohâdjir, les Ançâr et toutes les tribus se placent séparément, afin que je sache quels sont ceux qui combattront et ceux qui lâcheront pied.

Il fit donc rompre les rangs et plaça les soldats par groupes, à chacun desquels il assigna un poste , se mit à leur tête et assaillit Tennemi. Un homme s’approcha pour lui adresser une question. Khâlid lui donna un coup de fouet sur la tête, en disant :

« Il est défendu de me parler aujourd’hui avant que j’aie vu le dos de Tennemi. »

Puis il chargea, et tous les corps chargèrent séparément et enfoncèrent l’armée ennemie.

Khâlid brandit son sabre et s’écria :

« Que personne ne donne quartier à l’ennemi ! »

Les soldats de Mosailima furent massacrés, tout en s’enfuyant, poursuivis par les musulmans jusqu’à la porte du clos dans lequel se trouvait MosaÛîma.

10 000 des plus distingués furent ainsi tués. Mosaîlima ordonna aux chefs de l’armée de crier :

« Al-Hadiqat, al-Hadiqat ! »

Tous, en effet , se précipitèrent vers la porte et entrèrent dans ce clos, dont les murs étaient très-élevés et qui était muni d’une porte très-grande et très-solide.

Une fois dans le clos, les soldats se réunirent autour de Mosaîlima et lui dirent :

« Où est maintenant la victoire que tu nous a promise de la part de Dieu ?

Mosaîlima répliqua : Que chacun combatte pour sa famille et son honneur ; car aujourd’hui vous et moi nous ne sommes qu’un.

Ils dirent : Eh bien, quitte le clos et rends-toi à la forteresse, où tu nas à redouter aucun ennemi ! »

Musaylima craignit que, s’il se retirait dans la forteresse, personne ne le suivit, et que tout fût perdu pour lui. II leur dit :

« Il ne convient pas au prophète de Dieu de s’enfuir devant l’attaque de l’ennemi de Dieu. Restons ici où est notre place , à moi et à vous. Ensuite il demanda à ses généraux où étaient un tel et un tel, et d’autres.

Ils ont tous ëtë tues, répondirent-iis.

Mosaïlima dit : Qu’avons-nous affaire maintenant de ce monde, sans eux?

Revêtu d’une double cuirasse, il monta à cheval et encouragea les soldats à combattre. Le clos ëlait rempli d’hommes; le reste de Tarmée se tenait tout autour, et les fuyards se dirigeaient de ce côte.

Lorsque Khalid, croyant que toute Tarmëe ennemie était en fuite, arriva avec Tarmëe musulmane à la porte du clos, et qu*il la trouva massëe en cet endroit, et qu il entendit le cri :

« Au hadiqa, au hadiqa ! » Il demanda ce que c’était. On lui dit que c’était le clos de Mosaïlima, qu’il y était enfermé et qu’il appelait les soldats auprès de lui. Khâlid recommença la lutte avec plus d’ardeur qu’auparavant. Les ennemis, de leur côté, combattirent à la porte du hadiqa al-mawt avec acharnement; ils tuèrent 200 musulmans et en blessèrent 500.

Khâlid ne lâcha pas pied; combattant lui-même, il tua un grand nombre d’ennemis. Enfin les musulmans occupèrent la porte, et l’ennemi en fut repoussé. Alors Khâlid ordonna à Berâ, fils de Mâlik, de monter sur le mur et de se jeter dans le hadiqa.

Berâ, à l’intérieur, fut aussitôt attaqué par les ennemis ; mais il se dirigea rapidement vers la porte et l’ouvrit; il fut tué à l’instant même. Les musulmans occupèrent l’entrée, se répartirent de façon à entourer tout le clos, quelques-uns d’entre eux pénétrèrent dans l’intérieur, et le massacre des ennemis commença. Khâlid se tenait à la porte et frappait tous ceux qui voulaient sortir.

7000 hommes furent ainsi égorgés, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur, et l’on nomma alors ce clos \edos de la mort. Khâlid fit poursuivre les ennemis qui s’enfuyaient vers la forteresse, et encore 7000 d’entre eux tombèrent sous les coups des musulmans.

Lorsque Mosailima reconnut que la victoire lui échappait, tout en gardant les deux cuirasses, il découvrit sa tête, afin que, en le voyant, les soldais continuassent la lutte devant lui.

Mais quand les musulmans entrèrent dans le clos, sachant qu*il n’en pourrait sortir étant à cheval, il mit pied à terre, se couvrit la tète du casque et le visage de la visière, et se jeta au milieu des soldats pour sortir par la porte du clos. Wascht, le même esclave abyssin qui, à la journée d’Ohod avait tué Hamza, et qui, après la bataille de ^Honaîn avait fait profession de foi entre les mains du Prophète, se tenait ce jour à la porte du clos, ayant le sabre suspendu au baudrier, et à la main le javelot avec lequel il avait tué Hamza, fils d’Abdou’l-Mottalib.

Lorsque Mosaïlima vint à passer, un Ançâr le reconnut, le frappa de son sabre et le fit tomber ; mais Mosaïlima ne fut point blessé, étant protégé par sa double cuirasse. L’Ançâr s*écria :

« Wahsht, voilà Mosaylima »

Mosaïlima se releva , mais Wâhsht courut sur lui et lança contre lui le javelot, qui traversa sa double cuirasse, entra dans son ventre, sortit par le dos et le cloua au sol.

Les musulmans avaient pénétré dans le clos sur les pas des fuyards, et massacraient à la porte tous ceux qu’ils trouvaient. On ferma les portes de la forteresse de Yemâma.

Les musulmans arrivèrent sous les murs de la ville. Cependant la nuit survint, Khâlid retourna au camp et descendit de cheval. Personne ne savait que Mosaïlima avait été tué.

Quoiqu’il eût remporté la victoire, Khâlid fut très-préoccupé cette nuit. Il pensait que, si Mosaïlima s’était jeté avec son armée dans la forteresse, il lui faudrait rester longtemps aux portes, et que sa propre armée avait beaucoup de morts et de blessés.

Etant demeuré dans ces préoccupations jusqu’au matin, Khâlid monta à cheval, et, accompagne de quelques soldats, il fit le tour du camp et du champ de bataille, pour voir ceux de sa propre armëe et de Tarmëe ennemie qui étaient tombes.

Il conduisait avec lui MaddjA^a, le chef de Yemâma, chargé de chaînes, qui devait lui indiquer les noms et qualités des morts qu’il lui désignerait. Arrivé à la porte du clos, il vit le cadavre d’un homme percé d’une lance qui lui était entrée dans le ventre et qui était sortie par le dos ; c’était un homme long, et sec, et jaunâtre. Maddjâ^a frappa de son pied le ventre du cadavre et s’écria :

« Voilà celui qui nous a causé cette affaire.

Qui est-ce? demanda Khâlid.

Maddjâ’a répondit : C’est Mosaïlima.

Khâlid fut très -heureux et ne fut plus inquiet au sujet de la guerre. Puis il dit :

« Voyez qui l’a tué.

C’est moi qui l’ai tué, dit Wahshî.

C’est vrai, reprit Khâiid, car voilà ton javelot. Bravo ! Wâhshî , sois heureux car si, étant païen, tu as tué le meilleur des musulmans, Hamza, l’oncle du Prophète, tu as aussi, étant musulman, tué le pire des infidèles. »

Khâlid envoya immédiatement un messager vers Abou-Bekr, pour lui annoncer la victoire.

Le lendemain, Maddjâ^a dit à Khâlid :

« Prends garde de te faire illusion sur [l’effet que produira] la mort de Mosaïlima ; car, quel que soit le nombre de ceux que tu as tués, il en reste deux fois autant dans la forteresse. Mosaïlima était le moindre personnage des Bani-Hanîfa. Ceux-ci feront maintenant la guerre et lutteront avec plus d’ardeur. Il se passera bien du temps avant que tu puisses prendre cette forteresse, et tu perdras bien du monde. Fais un traité de paix avec moi, et j’amènerai ainsi ces hommes à rendre la forteresse, en leur garantissant la vie et la moitié de leurs biens, dont l’autre moitié serait à toi. Khâlid lui dit :

« Je verrai » ; et il y réfléchissait. Il ne savait pas que Majjâ’a avait menti, qu’il n’y avait pas de soldats dans la forteresse, et qu’il le trompait, pour sauver, par la paix, ses compatriotes. Khalid considérait combien il lui serait difficile de faire le siëge de la forteresse après cette bataille, dans laquelle tant de musulmans étaient tombés. Le lendemain, Majjâ^a reprit cette conversation et dit :

« Écoute mon conseil; car je suis ton obligé, puisque tu m’as fait grâce de la vie. Si tu veux faire la paix, fais-la aujourd’hui, car les gens de Yemâma sont encore sous la terreur de la bataille que tu leur as livrée et du massacre, et ils viennent seulement de se sauver dans la forteresse. Agis avant qu’ils aient eu le temps de s’orienter dans la forteresse, et qu’ils refusent de traiter ; alors tu ne pourrais pas t’en emparer. »

Khâlid, croyant à la sincérité de ces paroles, consentit. Il posa comme conditions que les habitants livreraient tous leurs biens, en fait d’or, d’argent, de vêtements, d’armes, de troupeaux, d’esclaves et de champs, et qu’ils se contenteraient d’avoir la vie sauve. Majjà’^a dit :

« Si ces hommes doivent tout livrer, comment vivront-ils, et que feront-ils de la vie que tu leur accordes, s’ils ne conservent rien ? Non , stipulons que tu auras la moitié de leurs biens, et qu’ils garderont l’autre moitié, ainsi que leurs maisons, leurs terres et leurs champs, afin qu’ils puissent cultiver les champs, habiter les maisons, et faire le commerce au moyen de la moitié de la fortune qui leur restera. »

Khâlid dit : Je ne veux pas faire la paix à ces conditions. Puis il monta à cheval et fit le tour de la fortei’esse. Il vit une place solidement fortifiée. Quand il fut rentré et descendu de cheval, Maddjà^a lui parla de nouveau, et Khâlid, ébranlé par ce qu’il avait vu du bon état de la forteresse, consentit à ses propositions, en posant cependant comme condition, qu’on lui abandonnerait, des champs de chaque village du Yemâma, un enclos, celui qu’il voudrait, et, dans la forteresse, telle maison qu’il choisirait pour y habiter. Il avait l’intention de se fixer dans le Yemàma et de faire de ces champs ses propriétés personnelles. Maddjâa dit :

« Maintenant il ne me reste qu’à me rendre dans la forteresse pour demander aux habitants leur résolution. »

Khâlid lui fit ôter les liens et le fit partir vers la forteresse.

Les habitants ayant ouvert la porte, Maddjâ^a entra. Il n’y vit point d’armée capable de défendre la ville ; il n’y avait que des femmes, des enfants et des vieillards, qui ne pouvaient

pas porter les armes. De tous les chefs des Benî-^Hanifa, il ne trouva qu’un seul vivant, savoir : Salama b ‘Omaïr. C’était un des infidèles obstinés et perdus, qui avait cru le premier à Mosaîlima , et qui , le jour de la bataille , avait été à ses côtés dans le clos. Lorsque Mosaîlima avait quitté son cheval, il avait aussi quitté le sien, et quand Mosaîlima courut pour sortir du clos, lui-même s’arrêta un peu, puis il courut aussi. Arrivé à la porte du clos, il vit Mosaîlima étendu mort, et il s’écria :

« J’atteste que tu es un prophète, mais un des prophètes malheureux ! »

Ensuite il se sauva en se jetant dans la forteresse. Maddjâ^a, ne voyant point de soldats dans la forteresse, réunit les femmes, recommanda à mille d’entre elles de revêtir des armures et de couvrir leurs visages par les visières; puis il leur dit :

« Montez sur les remparts et restez-y; lorsque j’aurai quitté la forteresse, fermez la porte ; je tâcherai de vous sauver la vie ; mais adressez-moi des injures du haut des remparts. »

Les femmes firent ainsi.

Khâlid s’était rapproché de la forteresse. Apercevant sur les remparts des individus dont les armures resplendissaient au soleil, il crut que c’étaient des guerriers. Il entendit aussi les paroles insultantes. Lorsque Majjâ῾a parut devant Khâlid, celui-ci lui dit :

Ce sont là les guerriers ?

Majjâ῾a répliqua :

Une partie de ceux qui restent sont sur les remparts ; mais en bas il y en a 10 fois autant.

A qui s’adressent leurs injures ? demanda Khâlid.

A moi, répliqua Maddjà’a, parce qu ils ne sont pas contents de ces conventions ; car leur

armée est nombreuse, la forteresse est en bon état de défense, ils ont une grande quantité de provisions, et l’hiver est procbe. Ils savent que tu ne pourras pas demeurer ici, et ils disent qu’ils ne veulent pas capituler.

Khâlid, très embarrassé, dit :

« Que faut-il donc faire ?

Maddjâ^a répondit :

« Il faut diviser leur fortune en 4 parts [et te contenter d’un quart]. Khâlid consentit. En conséquence, il fut stipulé qu’un quart de tous les biens que renfermait la forteresse, en fait d’or, d’argent, de monnaie d’argent, de monnaie d’or, en fait de vêtements, de tapis et de vases, et de tous les autres objets, serait livré à Khâlid, pour être distribué entre ses soldats; en outre, Khâlid choisirait pour lui une maison dans la forteresse, et, en dehors de la forteresse, dans chaque village, un enclos planté d’arbres fruitiers. Majjâ῾a dit :

« J’irai voir si je pourrai arranger cette affaire ; j’amènerai quelques-uns des principaux habitants qui sont restés, pour que nous puissions conclure la capitulation et rédiger le traité avec leurs signatures. »

Puis il retourna à la forteresse, et dit aux habitants :

« J’ai employé tous les moyens pour lui arracher cette paix, dont les conditions sont : qu’il ne versera pas votre sang, qu’il ne réduira en esclavage ni vos femmes ni vos enfants, et que les 3/4 de vos biens vous resteront ! »

Les habitants exprimèrent leur reconnaissance à Maddjâ^a. Mais Salama b ‘Omaïr, dit :

« Nous ne voulons pas capituler. Nous avons des provisions en grande quantité, la forteresse est en bon état, et l’hiver est proche; les musulmans ne pourront pas demeurer ici.

Majjâ῾a répliqua :

« Malheureux! je ne permettrai pas que ta mauvaise étoile s’étende sur moi et sur mes compatriotes, et que le peuple périsse ! Si tu ne veux pas de la paix, qui as-tu avec toi dans la forteresse pour combattre ? Tu vas perdre le peuple, après tant de malheurs qu’il a éprouvés ! »

Les habitants n’écoutèrent pas Salama, et acceptèrent la paix sur le conseil de Maddjà^a. Cinquante personnes sortirent de la forteresse pour rédiger le traité de paix, et Salama fut forcé de les accompagner. Khâlid fit écrire cet acte, et en garantit l’exécution en son nom, au nom d’Abou-Bekr et au nom de tous les musulmans , qu’il prit pour témoins.

Le lendemain les habitants ouvrirent la porte de la forteresse et sortirent au-devant de Khâlid. Celui-ci entra pour choisir sa maison. Après avoir parcouru toute la ville et après avoir fait son choix , il sortit et dit à Majjâ῾a :

« Tu m’as trompé, il n’y a pas de soldats dans la forteresse ! »

Maddjâ^a répliqua :

Amir, ce sont mes compatriotes ; il m’était impossible de ne pas prendre leurs intérêts et de ne pas chercher à leur conserver leurs vies et leurs familles ; car ils avaient déjà éprouvé tant de malheurs en perdant tant de morts, qu’ils ne pourront jamais oublier leur douleur. »

Khâlid garda le silence, car il ne pouvait pas rompre la paix qu’il avait conclue.

Trois jours après, Khâlid reçut d’Abou-Bekr, par l’entremise de Salama b Salama b Waqsch, une lettre ainsi conçue :

« La lettre par laquelle tu m’annonçais ta victoire et la mort de Mosaïlima, et dans laquelle tu me parlais de la forteresse, m’est parvenue. Quant à cette forteresse, il n’y a rien à craindre; puisque le plus important est fait, il n’y a pas lieu de se préoccuper du moins important. Assiège la forteresse, ne la quitte pas avant de l’avoir prise, et garde-toi d’accepter une capitulation. Lorsque tu t’en seras emparé, fais mettre à mort tous les hommes qui s’y tiouveront, réduis en esclavage toutes les femmes et les enfants, et distribue leurs maisons et leurs champs entre les musulmans. Comme Khâlid, trois jours avant l’arrivée de cette lettre, avait conclu la paix, qu’il ne pouvait plus rompre, il écrivit à Abou-Bekr :

« La forteresse était en bon état de défense , et la garnison , avide de vengeance, avait une grande quantité de provisions ; tandis que nous avions éprouvé de grandes pertes en hommes, et que les fourrages manquaient en dehors de la forteresse ; puis l’hiver était proche. J’ai donc jugé bon de conclure la paix, et elle était signée depuis trois jours lorsque ta lettre m’est parvenue. Il a été stipulé que nous aurions un quart de tous les biens. »

Cependant Khâlid était dans une grande perplexité. Il ne pouvait pas rompre le traité, car, lorsqu’un général a fait un traité avec des infidèles et leur a garanti la vie, étant chef religieux des musulmans, il ne peut rompre ce traité, quel que soit le regret qu’il en éprouve. Il en est de même dans le cas où ce traité aurait été conclu par un simple musulman. En effet, le Prophète a dit :

« Les musulmans ne forment qu’un corps à regard de tous les autres ; en conséquence, tous sont égaux pour le payement du prix du sang, et le dernier d’entre eux est compris dans les obligations contractées par eux. »

Abou-Bekr, lui aussi, était mécontent de ne pouvoir annuler le traité. ‘Omar b Khattâb, chargeait constamment Khâlid auprès du calife, en disant :

« Khâlid a trompé Dieu et les musulmans; il s’est contenté d’un quart des biens, et il a mis les ennemis en état de former une nouvelle armée. Vois ce qu’il a pris pour lui-même ! Je dis qu’il est un hypocrite, et qu’il faut le rappeler. »

Ce langage fit impression sur Abou- Bekr, qui écrivit à Khâlid une lettre dans laquelle il manifesta ses soupçons d’avoir été trompé par lui et lui adressa des paroles sévères. Khâlid savait que c’ëlait là l’œuvre de ‘Omar. Celuî-ci était ambidextre. Mais quand Khâlid parlait de lui, il l’appelait « petit gaucher », sans ajouter la suite de l’expression, lui appliquant ainsi un diminutif de mëpris. Lorsqu’il reçut la lettre d’Abou-Bekr, et qu il vit inappréciés ia valeur et tous lés efforts qu’il avait dëployës dans cette campagne, il s’écria :

« Cest là l’œuvre de ce petit gaucher ! »

C’est-à-dire de ‘Omar.

Khâlid dit à Maddjâ^a :

« Donne-moi ta fille en mariage , car j’ai l’intention de me fixer à Yemâma.

Maddjâ^a répliqua :

Tu n’as pas assez pour payer à ma fille le don nuptial, qui consiste en 1M dh. Sa mère en a reçu autant, ainsi que ma sœur, ma mère et tous les membres de ma famille. Je n’accepte pas moins.

Khâlid, blessé dans son orgueil par ces paroles de Maddjâ^a, dit :

Moi-même, je ne donne à aucune femme moins d’1M dh ! Maddjâ^a répliqua :

« Il est de coutume chez nous de ne remettre une jeune fille entre les mains de l’époux qu’après avoir reçu toute la somme du don nuptial. »

Et moi, dit Khâlid, j’ai l’habitude, quand j’épouse une femme, de payer le don nuptial le jour même, avant le coucher du soleil. Le jour où j’épouserai ta fille, je te remettrai toute la somme, et tu la donneras à ta fille ou tu ne la donneras pas, comme tu voudras. »

Frappé d’admiration parce langage [généreux] de Khâlid, Maddjâa lui accorda sa fille pour un million de dirhems et la lui envoya vers le soir, Khâlid ayant réuni la somme le jour même.

Khâlid consomma son mariage avec ta fille de Maddjl^a dans cette même nuit. Le butin pris sur les habitants de Yemâma n’avait pas encore ëté distribué entre les soldats musulmans, car il n’était pas encore entièrement livré. Les soldats souffraient, dans le camp, du manque de vivres, et pendant la nuit où Khâlid cèlerait son mariage avec la fille de Maddjâ^a, ils étaient en proie à la faim. Il y avait parmi eux un poète nommé Ziyâd b ‘Amrou Laîthi , ami de ‘Omar. Il composa, à propos de cette action de Khâlîd, les trois distiques suivants, qu’il envoya à ‘Omar, en le chargeant de les présenter à Abou-Bekr :

« Fais parvenir au prince des croyants nn message venant d’un conseiller sincère qui ne veut pas tromper.

«Il a épouse la jeune fille en payant tout un million de dirhams, tandis que les illustres cavaliers de l’armée souffraient de la faim… ».

Omar prit ces distiques et les porta à Abou-Bekr. Frémissant de colère, il lui dit :

« Ne vois-tu pas, O vicaire de l’apôtre de Dieu, comment agit Khâlid, et comment il dissipe le bien des musulmans ? On n’a jamais vu dans l’histoire un exemple de sa manière d’agir; jamais un fils d’Adam, jamais un roi quelconque de tous ceux qui ont existé, n’a donné à une femme un don nuptial d’un million de dirhems, ou , s’il l’a fait, il n’a pas pu’ payer la somme le jour même.Comment peux-tu , d vicaire de l’apôtre de Dieu, garder le silence sur un tel fait, qui est sans exemple ? Malheur à lui, qui porte la responsabilité du sang de tant de musulmans, et qui a exterminé, comme étant des rebelles, tant de gens, parmi les Bédouins, qui étaient croyants ! Dans cette bataille de Yemâma, 1200 hommes, des plus distingués parmi les Mohâdjir, les Ançâr et les compagnons du Prophète, et parmi eux mon Frère, ont trouvé la mort. Khâlid est encore responsable du sang de ces 1200 musulmans; car si, le jour où il engagea la bataille, il n était pas resté sur un siège élevé, comme un Khosro, et s il était monté à cheval dès le commencement, et qu’il eût pris part à faction, notre armée n’eût pas été mise en fuite et tant d’hommes n’auraient pas trouvé la mort. Il faut le rappeler, lui reprendre ce qui est le bien des musulmans et ne plus jamais lui confier une affaire, ni le bien des musulmans. »

Abou-Bekr se leva furieux et voulut rappeler Khâlid ; mais il se ravisa et dit :

« Cette victoire a été une affaire importante pour les musulmans; si je rappelle Khâiid, ils seront découragés, les ennemis se réjouiront, et les 10 autres généraux qui font la guerre aux infidèles n’y prendront plus intérêt. »

Cependant il adressa à Khâlid une lettre ruisselante de sang, dans laquelle il lui disait :

« Que Dieu te maudisse, à fils de ta mère ! Tu es tellement à ton aise, que tu cherches les plaisirs du mariage et que tu dissipes l’argent, tandis que le sang des 1200 musulmans tués devant toi n’est pas encore desséché ! »

Lorsque Khâlid eut lu cette lettre, il s’écria :

« C’est l’œuvre du petit Gaucher ! »

Ensuite Khâlid convoqua les chefs de Yemâma et leur dit :

« Le vicaire du Prophète n’approuve pas la paix que j’ai conclue avec vous; et ^Omar, fils de Khattâb, ne l’approuve pas non plus; c’est lui qui doit valider ce traité et le ratifier. Partez pour Médine et exposez votre situation à Âbou-Bekr ainsi qu’aux musulmans, pour voir ce qu’il décidera.

Dix d’entre eux, tels que Maddjâ^a, Salama b Omaïr, et d’autres chefs, se rendirent auprès d’Âbou-Bekr et se recommandèrent à sa clémence, tandis qu’ils se laissèrent aller à des propos injurieux contre ‘Omar, dans toute la ville de Médine. ‘Omar savaît qu’ils agissaient ainsi d’après les ordres de Khâlid.

Abou-Bekr ratifia le traite et envoya à Khâiid la ratification.

Abou-Bekr voyait que ces députes de Yemima étaient des hommes intelligents et de bon sens, qui s’exprimaient bien.

Il savait que Mosaïlima leur avait récité des révélations qui prétendait avoir reçues de Dieu. Ne les ayant jamais entendues, Abou-Bekr désirait les connaître et dit à ces hommes :

Que vous a dit cet imposteur, à vous qui êtes des gens inteligents et sages, pour avoir pu vous séduire?

Ils répondirent :

Il nous a dit des paroles qu’il prétendait avoir reçues de Dieu

Vous en rappelez -vous quelques-unes, demanda Abou-Bekr.

Maddjâ^a lui récita une surate qui était ainsi conçue :

« Grenouille, ô grenouille, coasse, coasse! comme tu coasses! Mais celui qui vient boire ne l’empêche pas et ne trouble pas l’eau. Quand tu t’élèves, tu es dans l’eau, et quand tu descends, tu es dans le limon. »

Une autre surate que Mosaïlima prétendait avoir reçue de Dieu était celle qu’il récitait, lorsque les Beni-Asad eurent pillé dans le Yemâma.

Il ne voulait pas qu’ils fussent punis et défendait aux habitants de Yemâma de leur infliger un châtiment, en disant :

« Par le loup noirâtre, par la nuit obscure et par le capricorne ! Les Asad ne se sont pas emparés de ce qui est défendu ! Il disait encore :

« Par la nuit ténébreuse et par le loup foncé ! Les Asad n’ont pas coupé une seule corde »

Abou- Bekr dit aux députés :

« Malheur à vous ! Jamais ces paroles ne sont venues de Dieu ! D’où vous les a-t-il apportées ? »

Ils répondirent :

Vicaire de Tapôtre de Dieu, c’était un malheur; il était écrit qu il devait nous arriver; car sans cela, nous avons eu beaucoup de preuves de son imposture.

Quelles preuves ? demanda Abou-Bekr.

Ce Nehâr-er-Raddjâl, continuèrent les dépûtes, auquel le Prophète avait donne pour mission d’enseigner le Coran aux gens du Yemâma, s’est lie avec Mosaiflima, lui a appris toutes les surates du Coran qu’il savait et lui a dit d’en rëciter aussi, comme Mo^hammed. Ainsi il lui a appris la surate suivante : « Par celles qui disséminent en semant, et qui portent un fardeau, et qui courent légèrement, et qui distribuent d’après l’ordre ! Certes, ce qui voua est annonce est véritable, et le jugement aura lieu » Puis il l’a engagé à parler de la même manière que Muhammed, et Mosaïlima publia une révélation qu’il prétendait avoir reçue de Dieu :

« Par celles qui répandent la semence et qui recueillent la récolte , et qui remuent les grains, et qui les moulent en farine, et qui en font du pain, qui l’émiettent en petits morceaux, en y ajoutant de la graisse et du beurre ! Certes, vous êtes les plus nobles parmi tous ceux qui habitent le sol, et les nomades n’atteignent point votre noblesse! Recevez l’hôte, donnez l’hospitalité au pauvre et hébergez le mendiant »

Nehâr-er-Raddjâl lui a enseigné aussi cette autre surate du Coran :

« Heureux celui qui est purifié, qui répèle le nom de son Seigneur et qui prie ! Mais vous préférez la vie de ce monde ; cependant le monde futur vaut mieux et est plus durable. »

Puis Mosaïlima récita cette autre surate :

« Heureux celui qui murmure sa prière, qui donne de son superflu le nécessaire, qui nourrit le pauvre de son sac à provisions ; il éloignera le crime de ses actions et il sera béni dans ses bœufs et dans ses brebis » cette autre surate qu’il lui apprit : 

« Par le ciel orné de tours, par le jour annoncé, par le témoin et le témoignage. Mosaïlima

opposa celle-ci: « Par la terre ornée de prairies, par les montagnes couvertes de neige, par les chevaux portant des housses ! Nous nous vautrons sur elle » etc. Une partie de ces surates de Mosaïlima se trouvent dann cet ouvrage et une partie ont été empruntés par nous à d’autres traditions.

Les députés, parlant à Abou-Bekr, continuèrent ainsi :

Nous avions encore eu de son imposture la preuve suivante :

Une femme des Beni-^Hanifa vint d’un bourg du Yemâma trouver Mosaïlima et lui dit :

« L’eau a diminué dans nos puits ; invoque Dieu pour qu’il les remplisse.

Nehâr-er-Raddjàl lui dit : Fais-le, car j’ai vu Mo^hammed faire ainsi.

Comment s’y est-il pris? demanda Mosaïlima.

Nehâr-er-Raddjâl dit : Quelques hommes étaient venus le trouver pour se plaindre aussi de ce que leurs puits étaient à sec et de ce que les dattiers étaient brûlés. Mo^hammed se fit apporter un vase rempli d’eau, versa dans sa main un peu de cette eau , qu’il mit dans sa bouche, l’agita et la cracha dans le vase ; puis il dit : Versez un peu de cette eau dans les puits et un peu sur les racines des dattiers. On fit ainsi, et les puits se remplirent de telle sorte que l’on put en puiser avec la main, et les arbres furent tellement chargés de. fruits que les branches touchèrent la terre et qu’avec la main on put cueillir les dattes. Mosaïlima lit ainsi. Lorsque la femme eut emporté l’eau et l’eut versée dans les puits, ils desséchèrent complètement, et les dattiers sur lesquels on l’avait répandue se desséchèrent également à l’instant même et ne portèrent plus de fruits.

Une autre fois, Nehâi^er-Raddjâl avait dit à Mosaïlima :

Je me trouvais avec Mo^hammed lorsqu’on lui apporta un enfant nouveau-né ; il lui toucha la iéte avec sa main et pria pour lui ; puis il lui toucha la langue. Fais la même chose. Mosaïlima se fit amener des enfants nouveau-nés et imita le procédé do Mo^hammed. Tous les enfants, sans exception dont il avait touche ia tête ou la langue eurent la teigne ou furent muets.

Un jour Mosaîlima entra dans un clos ensemencé et y fit son ablution Nehâr-er-Raddjâl , qui ëtait avec lui , dit au propriétaire du clos :

« Qui empêche de prendre cette eau avec laquelle s’est lave le prophète du Ra^hman, pour en arroser ton champ y afin que Dieu le bénisse ? J’ai vu Mo^hammed qui entra un jour, à Médine, dans un des clos des Beni-Naddjâr, dans lequel la végétation était peu élevée et clair-semée. Il y fit son ablution. Le propriétaire du clos lui dit :

Me permet-tu d’employer cette eau pour en arroser ce champ , qui peut-être en sera amélioré? JMo^hammed le lui ayant permis et ayant soufflé sur Teau, cet homme la prit et en arrosa son

champ. La végétation s’éleva et donna une quantité de produits plus grande que jamais auparavant. Le propriétaire du clos du Yemâma ayant fait de même avec l’eau dont s’était servi Mosaïlima, son champ, qui était en pleine verdure, se dessécha complètement et ne donna pas un grain cette année.

Abou-Bekr dit aux députés de Yemâma :

« Puisqu’on voyait les preuves de son imposture, comment ne s’est- on pas lassé de lui ?

Les députés répondirent :

« Il y avait un Arabe des Beni-Rabia du Yemâma, nommé Talha. (Mosaïlima, ainsi que tous les Beni’-^Hanifa, descendait de Rabia, tandis que Mo^hammed et les Qoraîschites étaient de la descendance de Mudhar.

Tal’ha s’était rendu auprès de Muhammed, avait cru en lui et avait appris le Coran. Il vint

ensuite trouver Mosaïlima et lui dit : Qui es-tu ? Mosaïlima lui répondit : Je suis un prophète, comme Mo^hanuned.

Tarha demanda de nouveau :

Est-ce qu’un ange vient te trouver , comme Mo^hammed , de la part de Dieu ?

Oui , répondit Mosaïlima, et parfois Dieu vient lui-même.

De quelle HiaQièi*e Dieu t’apparait-il ? Vient-41 entouré d’ëclat, ou dans les ténèbres ?

Il vient dans les ténèbres.

Tu es un menteur I s’écria Tal^ha ; Dieu n’est pas dans les ténèbres. Je sais bien que tu es un imposteur et que Mo^bammed est .véritable [prophète]. Mais, quoique tu sois un imposteur^ comme tu es un descendant de Rabfa, îm de mes compatriotes, et quoique Mo^bammed soit un vrai prophète, comme il est de la famille de Modhar, je préfère un imposteur des Rabf a à un vrai prophète des Modhar. Puis Talha devint son partisan.

Après ces discours, Abou-Bekr récita ce verset du Coran :

«  Celui que Dieu égare n’a point de guide; il abandonne ceux-là à leur impiété, errant dans la confusion. ? »

Ensuite il renvoya les députés à Yemâma, après avoir ratifié le traité conclu avec eux. Enfin Khâlid distribua entre les troupes le quart des biens qui avait étë stipulé.

BAHRAÏN.

On rapporte : Les onze généraux et les corps de troupes qu’Abou-Bekr avait envoyés de tous côtés contre les rebelles dans le désert et ailleurs, et que nous avons nommés plus haut, s’étaient tous dirigés vers les différents points qui leur avaient été assignés. Khâlid s’était mis en campagne contre Tola^ha, Schoura^bbil était allé dans le Yemâma , et les neuf autres dans T’Omân, le Ra^hraîn et dans d’autres contrées ; ils réduisirent les rebelles et les firent rentrer dans le sein de Tislam. L’un de ces généraux était ^Alâ-ben-AI-^Hadbrami.

*Alâ avait déjà été chargé par le Prophète, à l’époque où celui-ci envoya des ambassadeurs aux princes des différents pays, d*une mission auprès de Moundsir, fils deSâwa, prince du Ba^braîn. Moundsir avait adopte Tislam, avait converti les habitants de son pays et avait congédie *Âlâ. Peu de temps après la mort du Prophète , Moundsir était mort également, et les habitants du Ba^hraïn avaient apostasie. Abou-Bekr y envoya alors ^Aiâ, à la tète d’une armée.

Les habitants du Bahraïn se composaient de deux tribus :

les ‘Abdou 1-Qaîs et les Beni-Bekr. Les premiers rentrèrent dans le sein de l’islam, mais les Beni-Bekr persévérèrent dans l’apostasie. En effet, un homme d’entre les ‘Abdou 1-Qaïs, nommé Jâroud b Amrou, était venu trouver le Prophète, avait embrassé l’islam et avait appris le Coran et les institutions de la religion musulmane.

Le Prophète l’avait engagé ensuite à retourner auprès des ‘Abdou’l-Qaïs, pour les appeler à l’islam. Djâroud lui dit :

O apôtre de Dieu , nous trouverons dans le désert des chameaux errants, échappés à leurs propriétaires ; nous est -il permis de les monter?

Le Prophète répondit :

Gardez- vous de les toucher; ce sont des flammes de feu : celui qui s’assied sur ces chameaux se trouvera assis sur le feu!

Jâroud, s’étant rendu dans sa tribu, l’invita à embrasser l’islam, et tous les ‘Abdou’1-Qaïs devinrent croyants. Après la mort du Prophète, ils apostasièrent. Jâroud les réunit et leur dit :

Si Mohammed est mort, que vous a fait cette religion?

Ils répondirent :

S’il avait été prophète, il ne serait pas mort.

Jâroud dit :

N’y a-t-il pas eu beaucoup de prophètes dans le monde avant lui ?

Certainement, répondirent les autres, —

Que sont-ils devenus ?

Ils sont morts !

Eh bien, reprit Jâroud, lui aussi est mort comme les autres prophètes ; et s’il n’était point mort jusqu’au jour de la résurrection, il n’aurait pas été un prophète, mais le diable ; car il n’y a que lui qui ne meurt pas jusqu’au jour de la rësurrection.

Les ‘Abdou’1-Qaïs s’ëcrièrent :

Tu as raison !

Et ils rentrèrent dans le sein de Tislam.

Djâroud avait amené ce résultat, avant Tarrivëe d”Alà.

Les Beni-Bekr et les Beni-Rabia, persévérant dans leur apostasie, se donnèrent un chef, nommé Hotam, fils de Dhobaïa, qui était de la tribu de Qaîs et chef de la tribu. Tous les insu des Beni-Rabra, des Beni-Bekr et ceux des Zoutt, qui se trouvaient dans le Ba^hraîn, se réunirent autour de ^Hotam , qui s’empara de Hadjar, ville considérable du Ba^hraîn et résidence des princes de ce pays. Ces rebelles envoyèrent un détachement de troupes vers les Beni-^Âbdou’l-Qaîs qui étaient avec Djâroud et qui étaient redevenus musulmans, pour les faire renoncer à Tislam. Les Beni-^Abdou l-Qaîs refusèrent. Ils s’étaient renfermés dans une ville bien fortifiée du Ba^hraîn, nommée Dârin. ^Hotam fit assiéger cette forteresse par un corps de troupes considérable. Un certain nombre de musulmans se retirèrent dans une autre place forte, nommée Djiwâtha, devatit laquelle ^Hotam mit également le siège. Les garnisons enfermées dans ces deux forteresses commençaient à souffrir, lorsque la nouvelle de l’arrivée d’^Alà avec l’armée musulmane leur parvint et leur donna du courage. Quand ^Alâ se fut rapproché du Ba^hraïn, ceux des musulmans qui étaient dispersés dans les villes vinrent secrètement le rejoindre. Parmi eux se trouvait Qais, fils d’^Acim, avec un grand nombre de troupes. Les Beni-Ribâb se joignirent également à ^Alâ, dont l’armée devint ainsi Irès-^considérable. Ces troupes réunies se disposèrent à attaquer 41otam et les rebelles qui étaient avec lui. Alors ceux qui tenaient Djâroud enfermé levèrent le siège et se retirèrent auprès de ^Hotam, et les musulmans quitlèrenl la forteresse et vinrent rejoindre ^Alà.

*Aiâ était encore dans le désert, à trois journées de marche du Ba^hraïn, avec toutes les troupes qui étaient venues avec lui de Médine et avec d’autres. Abou-Horaïra , qui se trouvait dans Tarmée de Médine, a raconté [plus tard] :

J’y ai été témoin d’un fait remarquable, d’un des miracles de f islam.

On lui demanda ce qu’il avait vu et il raconta :

Un jour Tarmée fit halte au bord d’un puits qui ne contenait que peu d’eau. La foule se précipita vers le puits, qui fut bientôt épuisé. Le jour baissait , et les hommes ainsi que les bétes manquaient d’eau; on n’en trouva nulle part, et l’on passa cette nuit dans les souffrances de la soif. On vint trouver *Alâ, qui ne vit d’autre moyen que d’invoquer Dieu. Lorsqu’il eut prié et que la nuit fut passée à moitié, les chameaux s’effarouchèrent et s’enfuirent; il ne resta pas un seul chameau dans le camp. Les soldats se dispersèrent de tous cdtés pour les chercher, mais on n’en put ramener aucun. Les soldats rentrèrent au camp, à la pointe du jour, en proie

à la soif et attendant la mort. On était entouré du désert, et il n’y avait d’eau qu’à une distance de dix parasanges. ^Alâ dit à ses hommes :

« Ne vous effrayez pas; Dieu ne laissera pas périr tous ces hommes dans ce désert, et les chameaux reviendront.

Les soldats répliquèrent :

Nous ne sommes pas affligés à cause des chameaux, mais nous craignons pour notre vie; quand la chaleur du soleil deviendra ardente, aucun de nous ne restera vivant, après avoir souffert la soif pendant deux jours.

Alâ pria et les soldats avec lui. La chaleur du jour devenait forte, et les rayons du soleil frappaient leurs tètes. A l’heure damidi, tous n’attendaient plus que la mort. Alors on aperçut au loin une splendeur comme celle d’un mirage. Le mirage ressemble de loin k de Teaa, et, quand OD s’en approche, il s’évanouil, et fon ne voit que le sol blanc, dont le sable, soulevé par le vent et ëclairë par ie soleil, produit cette splendeur. Ils voyaient donc au loin une splendeur de cette sorte. ^Alâ demanda ce que c ëtait. On lui répondit que c était un mirage.

Il dit :

Quel mal y aurait-il si vous y alliez ? Un homme, suivi bientât de quelques autres, se rendit vers cet endroit, et ils trouvèrent, au milieu de ce d&ert, un ruisseau contenant une eau excellente. Us appelèrent les autres , qui s’y précipitèrent tous et se désaltérèrent A ce moment, les chameaux qui s’étaient échappés vinrent tous pour boire à cette eau ; ils vinrent d’eux-mêmes, sans que personne fât allé à leur recherche, et ii ne manquait rien [au bagage qu’ils avaient emporté]. Après que tous furent désaltérés, on se pourvut d’eau pour la route et l’on partit. Parmi les gens du Ba^hraïn qui se trouvaient avec ^Alâ, il y avait un homme qui avait demeuré 70 ou 80 ans dans ce désert et qui n’avait jamais auparavant vu cette eau; après cet événement , personne ne la vit plus jamais.

Lorsque ^Alâ arriva dans le Ba^hraïn, les apostats et les hésitants rentrèrent tous dans le sein de l’islam. Tous les musulmans, de même que Djârôud et les ^Abdou’l-Qaïs, qui étaient allés au-devant de lui , se réunirent autour d’^AIâ , tandis que les idolâtres se rallièrent autour de ^Hotam. Celui-ci se trouvait dans la contrée de Hadjar, qui n’avait pas de forteresse. Sur la nouvelle que l’armée musulmane était très -nombreuse, ^Hotam fit creuser tout autour de Hadjar un fossé. ^Alâ vint y établir son camp, et ses soldats entourèrent le fossé. On combattait chaque jour, depuis le matin jusqu’à l’heure du diner; quand la chaleur devenait forte, on se séparait, el l’on recommençait la lutte si l’heure de la prière de raprès-midi , jusqa*au soir. Cela dura ainsi un meis.

Après un mois, on entendit, un jour, du camp musulman, des cris et du tumulte parmi les rebelles. ^Alâ dit :

II nous faudrait quelqu’un qui allât s’informer de la cause de ce bruit; car j’ai le pressentiment qu’ils seront mis en déroute cette nuit.

Un honmie, nommé ^Abdallah, fils de ‘Hadsaf, s’offril.

Gomment feras-tu? lui demanda ‘Alâ.

Abd-allah dit : J’ai dans la ville un oncle , nommé Abdjar, fils de Bodjaïr, un homme notable; je me rendrai chez lui, je lui dirai que je t’ai quitté, je passerai la nuit dans sa maison, et viendrai demain te rendre compte de ce qui s’est passé, ou, s’il y a une nouvelle favorable, je reviendrai cette nuit.-

Va , lui dit *Alâ. ^Abdallah se rendit dans la maison de son oncle. Celui-ci lui demanda pour quelle cause il venait. ^Abdallah répondit : Je suis las d’eux; je ne veux pas mourir de faim.

Tous, tant qu’ils sont, ont les mêmes sentiments que moi.

Son oncle lui donna à manger. Puis ^Abdallah dit :

Que signifie ce bruit ?

Abdjar répondit :

Notre chef, ^Hotam , a traité, dans le camp, tous les soldats; ils ont beaucoup bu, ils sont tous ivres cette nuit, et ils sont encore à boire. ^Abdallah se hâta de manger et sortit ensuite, en disant qu’il allait se rendre au camp pour voir ^Hotam. H vint, en effet, au camp de *Hotam, et trouva tout le monde dans l’ivresse; puis, se glissant dans le fossé, il revint auprès d’^AIâ et lui dit : Us sont tous ivres, étendus par terre sans connaissance ; si tu dois jamais les vaincre, c’est celte nuit.

^Alâ conduisit ses troupes hors du camp, dans le plus grand silence. Les soldats franchirent le fossé, fondirent sur le camp de ^Hotam et se mirent à massacrer les ennemis. Ceux-ci furent tellement frappés de terreur, qu’aucun d’eux ne fut en état ni de monter à cheval , ni de tenir ses armes, ni de courir. Si quelqu’un essayait de courir, il tombait bientôt, vaincu par i*ivresse. Les musulmans en tuèrent un si grand nombre cette nuit, que le sang coula comme un ruisseau.

^Hotam, ivre comme les autres, se précipita vers son cheval, que Ton tenait toujours sellé pour lui, et voulut montera cheval; mais la courroie de Tétrier se rompit, et, maigre ses efforts, il ne réussit pas à se mettre en selle. Alors il cria : Soldats, venez ici, aidez-moi è monter à cheval, je suis ^Hotam! Je veux monter à cheval, et je vous tirerai de ce danger ! Mais

tous passèrent près de lui, sans le reconnaître. ^Hotam por-

tait le surnom d’Abou-Dhobafa. Un musulman, nommé ^Afîf,

fils d’Al-Moundsir, homme considérable et ibrt connu, qui

était lié d’amitié avec ^Hotam , vint à passer. Entendant ^Hofcam

crier pour qu’on laidât à monter à cheval, il s’approcha [et

lui dit: N’es-tu pas Abou-Dhobafa? — Oui, répondit *Ho-

tam. Alors ‘Afif] le frappa d’un coup de sabre, lui coupa une

jambe près du genou , et le laissa gisant sur le soK ^Motam

poussa des cris et dit : Qui es-tu? — Je suis *Afif, fils d’Al-

Moundsir. ^Hotam le reconnut et lui dit: De grAce, puisque

tu viens de me trancher la moitié du corps, achève-moi. —

Je ne veux pas te tuer, répliqua ^Afiff, afin que, par la dou-

leur, tu subisses mille morts, et il passa outre. Pendant toute

la nuit, ^Hotam cria : Soldats, je suis ^Hotam, tuez-moi, pour

que vous voyiez la fin de cette lutte ! Mais personne ne vint.

Enfin, vers la pointe du jour, un chef bédouin d’entre les

musulmans, nommé Qaïs, fils d’^Acim, en passant près de

lui, entendit ses cris et le tua.

Lorsque le soleil se leva, le massacre des ennemis était ter-

miné. ^Alâ, après avoir accompli la prière du matin, se mit

en marche, entra dans Hadjar et s’en empara. Tous ceux qui

PARTIE IV, CHAPITRE XI. 305

avaient apostasie embrassèrent de nouveau Tislam. En-

suite on distribua ce jour même le butin. *Âlâ resta à Hadjar,

et les troupes se répandirent aux alentours.

Cependant un certain nombre des soldats de ^Hotam avaient

réussi, malgré Tétat d’ivresse dans lequel ils se trouvaient, à

s^échapper pendant la lutte , et ils avaient gagné une ville for-

tifiée, nommée Dârhi, située au bord de la mer. C’est dans

cette même forteresse que les musulmans avaient été assié-

gés, du vivant de ^Hotam. Lorsque ^\lâ se rendit maître de

tout le Ba^hraîn, tous ceux qui persévéraient dans Tapostasie

se rendirent, un à un, ou deux à deux, dans cette forteresse

et y transportèrent leurs biens. ^Alâ, averti de cette circons-

tance, rassembla Tannée musulmane à Hadjar, pour de là se

diriger contre eux et pour les assi^er. Les rebelles, de leur

cAté, informa de Tapprocbe d’^Alâ, réunirent tous les bateaux

qui se trouvaient près du rivage; prirent ceux qui leur étaient

nécessaires, brûlèrent tous les autres, s’embarquèrent et se

rendirent dans une ville dont tous les habitants avaient apos-

tasie, et qui était située en face de Dârtn, également au bord,

de la mer. Les deux villes étaient séparées par une distance

d’une journée de navigation. Les rebelles se mirent ainsi en

sûreté.

Lorsque ^Âlâ parvint au rivage, les rebelles avaient fui, et

les bateaux avaient été brûlés. Il fit camper son armée , se pros-

terna le visage contre terre et pria en ces termes : Seigneur,

tu as le même pouvoir sur l’eau que sur la terre. Si tu nous fais

passer par cette eau, ceux dont la foi dans ta religion est chan-

celante seront affermis. Ensuite ^Alâ monta à cheval, donna

à ses troupes l’ordre de se mettre en marche, et poussa son

cheval dans la mer. L’eau n’allait que jusqu’aux genoux du

cheval. Alors toute l’armée le suivit, et l’eau ne dépassa pas

m. ao

806 CHRONIQUE DE TABARL

les genoux des chevaux, des chameaux et des fantassins , sui-

vant la volonté de Dieu. Us passèrent ainsi la mer. Quand ils

remontèrent sur le rivage oppose, les ennemis furent épou-

vantes , ils se sentirent ébranles et ils dirent : Ces gens sont

certainement des magiciens. ^Alâ fit jouer le sabre , et continua

le massacre pendant deux jours, jusqu’à ce qu’il eât fait pas-

ser au fii de répée tous les révoltés. Après s’être emparé de

leurs dépouilles , il retourna le lendemain par la même voie

par laquelle il était venu , et cette fois encore personne ne vit

Teau dépasser ses genoux. Ce fut là un des grands miracles de

l’islam, dont il confirma la vérité, et en même temps un

signe de la mission prophétique de Mo^hammed.

Le lendemain , ^ Alâ partagea le butin , en donnant une part

à chaque fantassin et trois pai*ts è chaque cavalier : chaque

fantassin reçut deux mille dirhems, et chaque cavalier, six

mille. Ensuite ^Alâ revint avec l’armée à Hadjar, et écrivit i

Abou-Bekr une lettre pour lui annoncer sa victoire. Les mu-

sulmans de Médine furent remplis de joie ; ils s’écrièrent :

Gloire à Dieu, qui a mis à la tête de ce peuple un homme ^

qui se fait obéir par la mer, de même que les Benî-Israël

et Moïse I

Abou-Bekr écrivit à ^Alâ : Reste dans le Ba^hraîn jusqu’à

nouvel ordre.

CHAPITRE XIL

OMAN ET MAHRA.

^Hodsaîfa, fils de Mfhçan, l’un des généraux mis en cam-

pagne par Abou-Bekr, avait été chargé de se rendre dans

rOmân; et^Arfadja, fils de Harthama, dans le pays de Mahra.

Cette dernière contrée est voisine de l’^Omân, qui touche à

PARTIE IV, CHAPITRE XII. 307

la mer; ie Mahra se trouve entre T^Omân, d’un câtd, et le

^Hedjâz et le désert, de l’autre. Les habitants, tous Bédouins,

avaient embrassé Tisiamisme au moment où le Prophète en-

voya des ambassadeurs aux différents princes de la terre.

Lorsque *Amrou, fils d’Omayya, présenta la lettre du Pro-

phète à Djaïfar, fils de Djolonda, qui était alors le prince de

r^Omân et aussi du Mahra, Djaîfar devint croyant, et tous

les habitants de T^Omân et du Mahra se convertirent à Tisla-

misme. ^Amrou s’en était retourné ensuite. .

A la nouvelle de la mort du Prophète et de la révolte des

Arabes, les habitants de cette contrée se dirent : La religion

de Mo^hammed est anéantie. Ils apostasièrent tous, excepté

leur souverain Djaîfar, qui chercha h ramener les gens à

rislam ; il tuait ceux qui ne voulaient pas rentrer dans

le sein de la religion musulmane, et il se trouva à la tête

d’une nombreuse armée, composée de musulmans. Il y avait

dans r^Omân un homme considérable, dont la famille avait

autrefois occupé le pouvoir. Ses aïeux avaient été rois de

r^Omân; ils avaient porté la couronne, dont ils avaient été

investis par les Chosroès. Cet homme s’appelait Laqit, fils

de Mâlik l’Azdite; il était de la tribu ^omânite des Beni-Azd,

et il portait le sobriquet de Dsou’t-‘Tâdj» Sa famille ayant

perdu la souveraineté , il s’était rendu auprès de Djaîfar, et

il demeura avec lui du vivant du Prophète.

Lorsque Laqit vit que les habitants de l’^Omân et du Mahra

avaient renié la foi musulmane, ilapostasia également, espé-

rant ainsi trouver un prétexte pour lutter contre Djaîfar et lui

enlever le pouvoir. Les insurgés se rallièrent tous autour de lui

et lui déférèrent le commandement. En conséquence, il atta-

qua Djaîfar, lui enleva TOmân et s’empara du gouverne-

ment. Djaîfar et ses soldats musulmans prirent la fuite : les

90.

308 CHRONIQUE DE TABARI.

uns se cachèrent dans les montagnes; les autres, s’ëtant

pourvus de provisions, se sauvèrent par mer, en se tenant

éloignes de la voie ordinaire des bateaux.

Informé de cet ëvënement, Abou-Bekr fit partir une armée

contre TOmân et le Mahra, en donnant le drapeau du com-

mandement, pour la guerre contre T’Omân, à^Hodsaîfa, fils

deMi^hçan, et, pour celle du Mahra,à ^Arfadja, fils de Har-

thama. Il ordonna à ^Arfadja de prêter secours d’abord k

^Hodsaîfa, puis, quand ils en auraient fini avec i’^Omân, de

se rendre dans le Mahra et de requérir Taide de ^Hodsaîfa ,

dans le cas où il en aurait besoin. Ces deux généraux parti-

rent donc pour T^Omân. ^Ikrima, filsd’Abou-Djahl, qui avait

précipitamment engagé la lutte avec les Bent-^Hantfa, avant

l’arrivée de Schoura*hbfl, et qui avait été battu, avait reçu

Tordre d’Abou-Bekr, très -irrité contre lui, de s’éloigner des

murs de Yemâma , de se diriger vers TOmân , de se tenir à la

disposition de ^Hodsaîfa et d’^Arfadja, si l’un de ceux-ci récla-

mait son aide ; et, dans le cas où l’on ne la demanderait pas,

de se rendre dans le Yemen et d’y rester avec son armée.

En conséquence , ^Ikrima vint rejoindre ^Hodsaïfa et ‘Arfa-

dja , et marcha avec eux. Toutes ces troupes réunies se dirigè-

rent vers r^Omân, pour attaquer Laqit, fils de Mftlik. Quand

Djaïfar et ses partisans surent que l’armée musulmane ap-

prochait, ils sortirent de leurs retraites dans les montagnes.

Abou-Bekr avait ord<}nné à ses généraux d’agir en tout sui-

vant les avis de Djaïfar. ^Hodsaïfa lui ayant adressé une

lettre , Djaïfar avec ses troupes vint au-devant de lui, et leur

entrevue eut lieu à une station nommée Ço^hâr; c’est là

qu’ils délibérèrent.

Laqit, apprenant ces nouvelles, rassembla son armée et

se prépara pour la lutte. ^Hodsaîfa et Djaïfar écrivirent se-

PARTIE IV, CHAPITRE XII. 309

crèiement une lettre aux chefs qui se trouvaient dans Tar-

mëe de Laqit et les engagèrent à rentrer dans Tislam. Ces.

chefs, quoiqu’ils eussent suivi Laqit, étaient cependant tous

attachés à Djaîfar; ils répondirent à Tappel, embrassèrent

Tislanûsme et vinrent auprès de Djaîfar. Laqît, voyant son

armée diminuée , et craignant que Djaîfar n’écrivit aussi aux

gens de POmân de s’emparer de lui , passa ses troupes en

revue, quitta HOmân et vint camper à un endroit nonmié

Dabâ, où les ^Omftnites tenaient un marché. Les soldats*

avaient amené avec eux leurs femmes et leurs enfants, afin

que, en combattant pour leurs familles, ils eussent plus de

courage.

Djaîfar avait adressé une lettre à une portion des Béni-

*Abdou’l-Qaî8, qui demeuraient sur le territoire de POmân

et qui étaient bien disposés pour lui, et les avait appelés.

Mais Laqit se hâta d’engager la lutte, qui eut lieu sur la

place même du marché. Les musulmans eurent le dessous, et

Laqit en tua un grand nombre. La position de l’armée mu-

sulmane était devenue diflScile, lorsque les Beni-^Abdou’1-Qaïs

vinrent renforcer Djaîfar. Les musulmans recommencèrent

ia lutte; les rebelles perdirent contenance et Laqit prit la

fuite. Alors les musulmans taillèrent les ennemis en pièces et

en tuèrent dix mille, pillèrent leurs bagages et s’emparèrent

également des biens des gens qui étaient venus pour la foire

et qui sympathisaient avec Laqit. On partagea ensuite le

butin, en mettant à part la cinquième partie, que ^Arfadja ,

fils de Harthama , fut chargé de porter à Abou-Bekr. H y

avait, dans ce quint y entre autres huit cents captifs. Djaîfar

s’empara de POmftn, et ^Hodsatfa resta avec lui.

^Arfadja, qui, suivant les ordres d’ Abou-Bekr, devait, aussi-

tôt que r^Omân serait pacifié , se rendre dans le Mahra , était

310 CHRONIQUE DE TABARI.

parti pour porter au calife sa part du butin; ce fut ^Ikrima

qui, d’après l’avis de ^Hodsaïfa et de Djaifar, entreprit la

campagne du Mahra. Djaïfar lui donna toutes celles de ses

propres troupes qui ne lui étaient pas indispensables dans

r^Omân. Arrivé dans le Mahra, ^Ikrima trouva tous les habi-

tants en révolte, sauf un certain nombre qui étaient rest&

en secret musulmians, et qui, à la nouvelle de son approche,

étaient venus se joindre iV lui. Quant aux apostats, ils étaient

divisés en deux partis, dont chacun s’était donné un chef,

et qui étaient en hostilité entre eux. Les noms de ces deux

chefs étaient Sikhrft et Mouçabbi^h. Mkrima , voyant cette divi-

sion , voulait en profiter pour les perdre et les soumettre. La

faction de Sikhrit étant la moins nombreuse, ^Ikrima lui

dépécha un messager et l’invita à rentrer dans l’islam.

Sikhrit, considérant le petit nombre de ses gens, repondit à

l’appel d’^Ikrima, et vint à lui avec ses partisans. Mouçabbi^h ,

également invité à se soumettre, refusa de venir, parce que

ses troupes étaient plus nombreuses, et se mit en. mesure de

résister. ^Ikrima l’attaqua et lui livra un combat qui fut plus

acharné que celui qui avait été livré dans l’^Omân. Il tua

Mouçabbi^h et un grand nombre de rebelles, et fit un butin

considérable, qu’il partagea entre ses soldats.

Le Mahra était habité par des tribus dispersées , les unes

sur le littoral, les autres dans les iles, et d’autres encore

dans le désert. C’est du Mahra que l’on tire l’encens et les

perles. Les hommes qui recueillent l’encens sont isolés et

dominent par leur nombre : on les appelle Ahlou^l-Loubân.

Le Umbdn n’est autre chose que l’encens cristallisé appelé

S7fc-t -roûint. ^Ikrima, lors de cette campagne, envoya un

messager aux cultivateurs d’encens , et les invita à embrasser

l’islam. Ils devinrent tous croyants, ainsi que les habi-

PARTIE IV, CHAPITRE XIII. 311

tants du littoral, des lies et du désert. L’islam fut pro-

mulgue dans le Mahra, et Fapostasie disparut. Mkrima fit

porter par Sikhrit la cinquième partie du butin à Abou-Bekr,

en lui adressant une lettre par laquelle il lui annonçait sa

victoire et la prise de possession de tout le Mahra par les

musulmans. Abou-Bekr, très -heureux de cette nouvelle,

pardonna â ^Ikrima, et lui confia le gouvernement du terri-

toire de Mâhra. *Ikrima y resta.

TIHAMA.

On appelle Tihâma le territoire de la Mecque et du Tàîf , jusqu’à la frontière du Nedjd. Le Prophète avait établi dans le Tihâma différents agents : ^Attâb , fils d’Asid, à la Mecque; deux agents k Tàïf et dans les bourgs qui en dépendaient, savoir : ‘Otbmân, fils d’Aboul-‘Âç, et Mâlik, fils d^’Auf. Il y avait encore d’autres agents dans le Nedjd, qui, du côté opposé, touche au Yemen.

Lorsque les Arabes se révoltèrent, les Qoraïschites de la Mecque restèrent fidèles. Mais il y a sur le territoire du Tihâma une contrée située vers la mer et nommée le pays d^Akk, qui était habitée par des gens appelés AsdCariUs (Abou-Mousa-al-Asch^arî était de cette tribu). Ceux-ci apostasièrent et firent cause commune avec les révoltés du Yemen. Un certain nombre des adhérents d’Aswad, après la mort de cet imposteur, ainsi que les Beni-Zobaïd, qui demeuraient dans leur voisinage, se joignirent à eux. Une foule considérable s’étant ainsi formée, ces honmies se mirent à battre les chemins, à dévaliser les gens et à saccager les villes. ^Amrou, fils de MaMf-Karib , qui sMtait également révolté et qui s’ëtait joint à Aswad, avait, après la mort de ce dernier, fait cause commune avec les Beni-Zobaïd et les gens d’^Akk. Le Prophète avait donne son sabre Çinçâm à Tun de ses agents, qu’il avait envoyé dans le Yemen. ^Amrou , ayant surpris cet agent sur la route , lui avait enlevé ce sabre ; il était très-fier de cet exploit et il se faisait craindre par la possession de ce sabre, qui était une excellente lame. Les insurgés d’^Akk et ceux qui étaient avec eux s’étaient donné un chef nommé Djoundoub, fils de Salama.

Lorsque Abou-Bekr fut informé de cet état de choses ,

n’ayant pas à sa disposition de troupes qu’il pût y envoyer, il

adressa une lettre à ^Attâb, fils d’AsM, à la Mecque, et lui

ordonna de mettre en campagne un corps de troupes. ‘Attâb

fit marcher contre les rebelles son frère Khâlid, fils d’Asid,

qui leur livra un combat long et meurtrier, en tua un grand

nombre et leur fit beaucoup de prisonniers. Djoundoub, leur

chef, s’enfuit.

Sur le territoire de Tâlf, il y avait des rebelles qui s’étaient

donné un chef de la tribu de Khath^am, nommé ^Homaïdha,

fils de Norman. Abou-Bekr écrivit à ^Othmân , fils d’ AbouM-*Àç ,

et lui ordonna d’envoyer du Tâïf une armée contre eux. *Oth-

mân fit partir un homme nommé ^Othmân, fils de Rabf a, qui

attaqua ^Homaïdha. Celui-ci fut abandonné par ses troupes;

il s’enfuit dans le Yemen et se joignit aux insurgés de ce

pays.

Les habitants de Nadjrân, qui étaient chrétiens et qui

avaient conclu une convention avec le Prophète, rompirent

le traité lorsque le Prophète mourut. Mais, voyant que les

armées musulmanes envahissaient le Tâïf et le Tihâma , ils

rentrèrent dans l’obéissance, vinrent auprès d’Abou-Bekr et

demandèrent la paix. Abou-Bekr leur accorda les mêmes

conditions que leur avait accordées le Prophète.

Le Tihâma fut ainsi dëlivré de la présence des rebelles-

Ceux qui n’avaient pas été exterminés s’enfuirent dans le

Yemen, dont les habitants s’étaient révoltés une seconde

fois.

CHAPITRE XIV.

YEMEN ET HADHRAM AUT

Les habitants du Yemen s’étant révoltés avec Aswad, du

vivant du Prophète, celur-ci avait écrit à ses agents de tuer

Aswad. Mo^âàs, fils de Djabal , Qaïs; le général d’Asvirad, ainsi

que Firouz etDâdouï, ces derniers, d’origine perse, s’étaient

alors concertés, et Aswad avait été tué par Firouz avec l’aide

de Qaïs. Mo^âds, fils de Djabal, avait été reconnu [de nou-

veau], et l’islam avait été proclamé dans le Yemen.

Lorsque, après la mort du Prophète , la nouvelle de ces

événements parvint à Abou-Bekr, il en fut très-heureux;

il adressa une lettre à Firouz et lui conféra le gouvernement

du Yemen. Qaïs, mécontent de cette n<)mination, se révolta,

appela à lui MaMi-Karib, qui fit cause commune avec lui, et

ces deux hommes résolurent de tuer tous les descendants

des Perses qui se trouvaient dans le Yemen, à commencer par

Firouz et Dftdouï, et de s’emparer ensuite de l’autorité. Qaïs

serait le prince, et MaMi-Karib son lieutenant dans le gou-

vernement du Yemen. Qaïs, ne pouvant leyer ouvertement le

drapeau de la révolte, eut recours à la ruse pour tuer Firouz

et Dâdouï. Il les invita à un repas, et Dâdouï, y étant arrivé

le premier, fut assassiné. Qaïs attendait Firouz pour le tuer

également. Firouz, étant en route pour se rendre au banquet.

314 CHRONIQUE DE TÂBARI.

fut arrêté dans la rue par une femme qui lui dit : Ne Ta pas

à ce banquet, on vient de tuer Dâdouî, et f on veut te faire

mourir aussi. Fht>uz revint sur ses pas, et le dessein de Qaîs

fut ainsi déjoue. Firouz annonça à Abou-Bekr que Qaîs s’était

mis en révolte et qu’il avait tué Dâdouî.

L’un des onze généraux qu’ Abou-Bekr avait mis en cam-

pagne contre les révoltés était Mohàdjir, fils d’Abou-Omayya,

qui , après avoir quitté Médine , passa par le Tihâma , où il prêta

secours à Khâlid, fils d’Asid, et k ^Attâb, fils d’Asîd; il passa

ensuite par le Tâïf, où il aida ^Othmân, fils d’Abou’1-^Aç, a

réprimer la révolte. Tous ceux-ci , lorsque les rebelles furent

exterminés dans le Tihâma, se dirigèrent avec Hohâdjir vers

le Yemen. ^Ikrima, fils d’Abou-Djahl, de son côté, entra dans

le Yemen du cêté du Mahra.

Qaîs, qui était appelé Ibnr-MeJcschaukhy n ayant pas réussi

à tuer Firouz, n’osa pas se révolter ouvertement; il tint son

apostasie secrète. Quand Mohàdjir et ‘Ikrima arrivèrent pour

soutenir Firouz, Qaîs engagea la lutte avec Mohàdjir pour le

pouvoir, tout en se déclarant musulman. Mais ^Amrou, fils

de MaMi-Karib, qui était avec Qaîs, ne cacha point son apos-

tasie. Qaîs fut haiUh et fait prisonnier, ainsi que ^Amrou.

Mohàdjir les envoya à Médine. Abou-Bekr dit à Qaîs : Tu

as apostasie et tu as tué Dâdouî! Qaîs répliqua : Je n’ai pas

apostasie et je n’ai point tué Dâdouî. Je professe l’islam.

Abou-Bekr lui fit grâce. Puis , s’adressant à ^ Amrou , il lui dit :

Jusques à quand passeras-tu d’une religion à l’autre, et jus^

ques à quand persisteras -tu dans l’apostasie? ^Amrou répon-

dit : C’est que vous ne me traitez pas bien. Lorsque je suis

devenu musulman, Mo^hammed m’a donné le commandement

des Beni-Zobaîd. Abou-Bekr dit : Je te le donne aussi. —

Certes alors , s’écria ^ Amrou , moi aussi je deviens musulman !

PARTIE IV, CHAPITRE XIV. 315

Il prononça la profession de foi, et Abou-Bekr lui eonfëra le

commandement de sa tribu.

Après avoir aflurmi la position de Flrout dans Texercice

du pouvoir, et fait reprendre àMo’âds, fils de Djabal , sa fonc-

tion d’enseigner l’islam au peuple, Mohâdjir et ‘Ikrima

restèrent à Çan’â avec leurs troupes. Ils écrivirent à Abou-

Bekr que l’islam ^tait rétabli dans le Yemen et que

les r^olt^ avaient pris la fuite. Abou-Bekr leur adressa une

lettre par laquelle il leur ordonna de se rendre dans le ‘Ha-

dbramaut. Les deux généraux partirent pour cette contrée.

Ziyâd , fila de Labld , l’un des agents envoyés par le Prophète , y

remplissait les fonctions de receveur de l’impât. Les gens du

‘Hadhramaut avaient refusé l’impôt et avaient pris les armes.

Mohâdjir et ‘Ikrima vinrent soutenir Ziyâd.

Ceux qui avaient lutté contre Ziyâd étaient les Benî-Kinda.

Leur chef était Asch’alh.fîls deQaïs, le Kindien, qui, après

avoir embrassé l’islam, avait apostasie avec tous les Beni-

Kinda, et voulait faire la conquête du ‘Hadhramaut sur Ziyâd

et les musulmans. Ceux-ci le repoussèrent du ‘Hadhramaut,

et les Benf-Kinda se retirèrent surleur territoire, dans le dé-

sert du ‘Hadhramaut, oii ils avaient une forteresse. Mohâdjir

et ‘Ikrima leur donnèrent la chasse et en tuèrent un grand

Qomhre. Les autres, avec Asch’ath, se jetèrent dans la forte-

resse. Mohâdjir et ‘Ikrima les y assî^èrent. Abou -Bekr, in-

formé par eux de la situation, écrivit à Mohâdjir une lettre

qu’il lui fit parvenir par Moghlra , fds de Scbo’ba. Dans cette

lettre il lui donnait les instructions suivantes : Quand tu te

seras emparé de la forteresse, fais mourir tous les hommes

que tu y trouveras renfermés , réduis en esclavage les femmes

et les enfants, et purge la forteresse de tous les Beni-Kinda.

Si tu traites avec eux.stipuleque tous quitteront la forteresse;

316 CHRONIQUE DE TABARL

car ceux qui ont agi comme ils Toat fait ne doivent point

conserver de foyer.

Lorsque la lettre d’Abou-Bekr parvint aux généraux mu-

sulmans, Âsch^ath était enfermé dans la forteresse. Ayant des

relations d’amitié avec ^Ikrima, il fit demander à ce dernier

d’obtenir de Mohftdjir Tanmistie pour lui et pour dix hommes

de sa famille. Mohâdjir dit [à ^Ikriraa] : Dis-lui de sortir de la

forteresse et de venir écrire lui-même Tacte d’amnistie comme

il le voudra. En conséquence, Asch^ath se rendit auprès de

Mohâdjir. Du temps du paganisme, Asch^aih avait joui dans

le Yemen de la plus grande autorité; car de toutes les tribus du

Yemen, les Bent-Kinda étaient la plus puissante, et Asch^ath

était le chef des Kinda. Il s’était rendu à Médine et avait em-

brassé l’islam , et le Prophète lui avait dit : Si j’avais une

fille ou une sœur non mariée, je te la donnerais. Puis il lui

avait donné en mariage la fille d’Abou-Qo^hâfa, sœur d’Abou-

Bekr, nommée Oumm-Farwa. Ensuite, lorsque les habitants

du Yemen avaient apostasie, Asch^ath avait fait comme eux.

Or, au moment où il parut devant Mohâdjir, celui-ci lui dit:

Va, écris la promesse d’anmistie et apporte-la afin que je la

signe. Asch^ath rédigea cet acte en toute hâte , et y inscrivit les

noms de dix personnes, en oubliant le sien. 11 s’engagea, de

son c6té, à ouvrir aux musulmans les portes de la forteresse,

et les troupes musulmanes y entrèrent. Mohâdjir fit mettre à

mort tous les hommes de la garnison et réduisit en esclavage

les femmes et les enfants. Il dit àAsch^ath : Apporte la lettre

d’amnistie, afin que je voie les noms des hommes que tu y as

inscrits et qu’ils soient épargnés. Asch’ath ayant apporté cet

acte, Mohâdjir y vit les noms de dix personnes, mais non

celui d’Asch^ath; il s’écria : Ennemi de Dieu, grâces soient

rendues à Dieu de ce qu’il a remis ta vie entre mes mains!

Je fais grâce à ces dix hommes, mais non à toi, car ton nom

n^est pas écrit sur la liste. Je vais te faire mourir. Asch^atb

répliqua : J’ai demandé la vie sauve pour moi d’abord, et en*

suite pour les autres ; il est clair que quelqu’un qui cherche

k sauver la vie des autres n’abandonnera pas la sienne. Mo-

hâdjir dit : Voilà ce que tu voulais, mais Dieu a voulu que

ton sang fût versé, et il a âté à ton esprit la mémoire, de

sorte que tu as oublié d’écrire ton nom. Mohâdjir fit retenir

Asch^ath prisonnier, afin de le tuer après qu’il aurait fait la dis-

tribution du butin. Quand Mohâdjir eut terminé le partage et

mis de câté le quint pour être envoyé à Abou-Bekr, ^Ikrima lui

demanda de faire partir en même temps Asch^ath pour Mé-

dine, et d’envoyer aussi l’acte de capitulation, afin qu’Abou-

Bekr décidât cette affaire. Mohâdjir consentit et fit ainsi.

Abou-Bekr, ayant fait venir ^Omar et ‘Ali, les consulta sur ce

qu’il y avait à faire d’Asch^ath. Ils furent d’avis qu’il ne fal-

lait pas le tuer, qu’il était compris dans l’amnistie, qu’il avait

demandée pour lui d’abord et ensuite pour ses parents. Abou-

Bekr lui accorda sa grâce. Un mois après , Asch^ath , qui pra-

tiquait sincèrement l’islam, dit à Abou-Bekr: Gomme

tu m’as comblé de grâces en m’accordant la vie , rends-moi

aussi ma famille, c’est-à-dire ta sœur, que le Prophète m’a

donnée comme épouse. Ce que le Prophète a jugé bon , agrée-le

aussi. Abou-Bekr lui donna sa sœur, en renouvelant le ma-

riage, parce que le premier mariage avait été annulé par

l’apostasie d’Asch^ath.

Il y avait, parmi les Beni-Kinda, un homme nommé Norman, fils d’Al-Djaun, qui, à l’époque où Asch^ath et les autres Beni-Kinda s’étaient convertis, était venu trouver le Prophète et avait embrassé l’islam. Il lui avait vanté sa fille, et le Prophète la lui avait demandée en mariage. NoHnân avait consenti et était allë la chercher. Lorsqu’il Teut amenée en sa présence, il avait dit : Apâtre de Dieu, elle a une qualité que personne ne possède : ma fille n’a jamais eu la fièvre, elle n’a jamais été malade. Le Prophète avait répondu : Si elle jouissait de la grâce de Dieu , elle aurait eu la fièvre et elle aurait été malade. Je n’ai pas besoin de cette femme. Et *Ie Prophète l’avait répudiée et renvoyée dans sa tribu. Or cette femme s’était trouvée dans la forteresse des Beni-Kinda, que les musulmans venaient de prendre. Mohâdjir en informa Âbou*Bekr, qui lui répondit : Ne réduisez pas cette femme en esclavage, parce qu’elle a été , de nom, pendant une heure ou un jour, l’épouse du Prophète. Que personne ne l’épouse.

En effet, le Prophète l’a quittée; il ne l’aurait pas répudiée si elle avait eu quelque bonne qualité. En conséquence, Mohâdjir lui rendit la liberté, en lui disant d’aller où elle voudrait.

^Ikrima, fils d’Abou-Djahl , dit : J’ai épousé cette femme avant cette guerre et avant la prise de la forteresse. Mohâdjir ne lui permit pas de la garder.

Mohâdjir avait trouvé dans la forteresse une femme qui avait chanté en public des satires contre le Prophète et contre les musulmans. Il lui fit couper les mains et arracher deux dents [du devant]. Abou-Bekr, informé de ce fait, adressa, à Mohâdjir une lettre ; il le blâma d’avoir agi ainsi et ajoutait :

« Si elle avait été musulmane, elle aurait dû expier par la mort ce qu’elle avait fait. N’était la circonstance que je ne t’avais pas donné d’instructions sur cette matière, je te honnis. Garde-toi, à l’avenir, de punir quelqu’un de cette façon; abstiens-toi oui il faut t’abstenir ; tu n’as pas le droit d’agir ainsi. Maintenant, reste dans le ^Hadhramaut si tu veux, ou rends-ttoi à Çan^â, dans le Yemen.

Mohâdjir, ayant choisi Çan^â, partit pour cette ville. 11 y eut ainsi à Çan^â deux gouver-

neurs : Mohâdjir et Ffrouz. Dans le ^Hadhramaut, ^Obaïd, fils de Sa^id, commandait aux Beni-Kinda, et Ziad b

Labid, était chargé de la perception de Timpdt.

 

Tous ces événements eurent lieu dans la onzième année de rhégire. Au mois de dsouM-^hiddja, A.bou-Bekr adressa une lettre à ^Attâb, fils d’Asid, et lui ordonna de présider au pèlerinage. Quelques-uns disent que ce fut^Abd-er^Ra^hmân, fils d’^Auf , qui présida le pèlerinage cette année-là.

 

Mo*hammed-ben-Djarir rapporte dans cet ouvrage que, dans cette année, Mo^âds, fils de Djabal, revint du Yemen, qu’Abou-Bekr envoya à sa place ^Omar, fils de Khattâb, conmie chef des agents dans le Yemen, et qu’^Omar y exerça les fonctions de juge et qu’il enseigna aux habitants la religion musulmane comme avait fait Mo^âds.

 

 

CHAPITRE XV. .

 

CONQUETES DE EHALID, PILS DE WALÎD, DANS L’^IRÎq.

 

Au commencement de l’an XII, Abû Bakr fut instruit de raffaiblissement de l’empire de Perse, dont le gouvernement, après Shîrwî b Parwîz, était tombé entre les mains de femmes et d’enfants. Les rois de Perse avaient conféré le gouvernement de Hira et de Kûfa à Iyâs b Qabiça Tayyi, à la place de Nu‘man b Mundhir ; et toutes les contrées arabes étaient sous la dépendance d’lyâs. Un homme nommé Mouthanna, b Hâritha, l’un des principaux chefs des Banî-Shaybân, qui ne pouvait pas se résigner à obéir à Iyàs, était venu de Kufa à Madina auprès d’Abou-Bekr, et avait embrassé l’Islam.

Il avait dit au calife :

« Confère-moi l’autorité sur les territoires de Kufa et du Sawâd ; que je sois le maître de toutes les parties de ces provinces, dont je ferai la conquête; car l’empire de Perse est affaibli. »

Abou-Bekr lui accorda ces contrées et lui promit de lui envoyer une armée et de le soutenir. Mouthanna, de retour dans son pays, resta tantôt à Kufa, tantôt dans le Sawâd. Lorsque Abou-Bekr vit qu’il ne pouvait rien entreprendre, et qu’on entrait déjà dans une nouvelle année, il adressa une lettre à Khâlid b Walid, le rappela du Yemâma et lui dit :

« Rends-toi de là dans l’Iraq, à ‘Hira et à Kufa, et unis tes forces à celles de Mouthanna ; puis dirige- toi vers Madâ’ïn, en prenant les avis de Mouthanna, et marche sur Ubulla. La ville d’Ubolla est située entre Baçra et Kufa; on l’appelle Farju l-Hind , parce que c’est là qu’on entre de l’Inde dans Omân. Abou-Bekr adressa également une lettre à Muthanna , et lui ordonna d’être aux ordres de Khâlid.

 

Khâlid quitta le Yemâma, se dirigeant vers Baçra, Ubulla et Kufa, et entra dans le Sawâd de l’Irâq. Avant d’arriver à Hira et à Kufa, il rencontra sur son chemin quelques bourgs renfermant une nombreuse population. Les noms de ces bourgs étaient Bâniqyâ et Bârasumâ. Khâlid allait les attaquer, lorsque les habitants vinrent lui demander la paix en consentant à payer un jizya. Khâlid leur accorda la paix à cette condition. Ce fut la première fois que l’on imposa un jizya sous le règne de l’Islam. Khâlid fit rédiger un acte dans lequel il disait qu’il accordait à ces hommes la paix en leur imposant un tribut. Ce tribut fut de 1000 dh, que

les habitants de ces bourgs réunirent et qu’ils remirent à Khâlid. Après les avoir reçus, Khâlid continua sa marche et arriva aux portes de Hira. Muthanna b Hâritha, vint l’y rejoindre.

HIRA.

Lorsque Khâlid arriva devant Hira, Iyàs b Qabiça, vint au-devant de lui. Khâlid lui dit :

« Iyâs, choisis lun de ces trois partis : accepte notre religion, ou paye une jizya, ou prépare-toi à la guerre ; car les hommes qui sont avec moi aiment la guerre et la mort comme tu aimes le plaisir et la vie ! »

lyâs répliqua :

« Nous ne voulons pas te résister et nous ne pouvons pas abandonner notre ancienne religion mais nous consentons à payer tribut. »

En conséquence les habitants de Hira réunirent une contribution de 290 000 dh, qu’ils remirent à Khâlid.

Ensuite Khâlid, ayant avec Muthanna, se tourna vers le Sawâd de T’Irâq. Les habitants d’un bourg nommé Lis ne voulurent pas se soumettre à payer tribut; ils déclarèrent qu’ils résisteraient. Khâlid envoya contre eux Mouthanna, qui leur livra un combat, tua leur chef, qui était un Perse nommé Jâbân, et saccagea le bourg.

Il y avait à Hira un chrétien nommé ‘Abdu 1-Masîh b ‘Amru, qui était âgé de 300 ans. Khâlid, se trouvant devant Hira, voulut le voir. Il sortit de la ville.

Khâlid lui dit :

« Quelle est ton origine?

Les reins de mon père, répondit ‘Abd ul Masih.

Ce n’est pas ce que je demande, reprit Khâlid, je veux savoir d’où tu viens.

Du sein de ma mère.

Où te trouves-tu ?

Sur la terre.

Malheur à toi ! s’écria Khâlid , je te demande en quoi tu es.

Dans mon vêtement, répondit ‘Abd-l-Masîh.

Viens- tu pour la paix ou avec des intentions hostiles ?

Je ne suis pas venu pour la guerre.

Si tu ne veux pas faire la guerre , à quoi servent tous ces châteaux f (Il y avait à ^Hirà des châteaux bien fortifiés.

Abd-l-Masîh répondit :

Nous avons construit ces châteaux en vue d’un homme inintelligent pour pouvoir le repousser s’il venait nous attaquer Jusqu’à ce qu’un homme intelligent vint nous délivrer de l’homme inintelligent. »

Après cette entrevue, Khâlid avait conclu la paix avec les habitants de Hîra, à la condition qu’ils payeraient un tribut.

Âbou-Bakr fit partir pour Irâq Qabiçâ b ‘Amr Tamimi, chargé de seconder Khâlid. Il adressa aussi une lettre à lyâd b Ghanam, qui se trouvait dans le Bahran, où il remplissait les fonctions de receveur de zakat, et lui ordonna d’aller au secours de Khâlid.

Abd-Taghuth Himyari, qui séjournait entre le Yemen et le Hijâz, avait reçu l’ordre de parcourir, avec ses troupes himyarites musulmanes, le désert, le Hedjâz et le Yemen, pour

rechercher les apostats, afin de tuer quiconque serait apostat ou de l’obliger à embrasser l’islam.

‘Abd-Taghuth ayant informé Abou-Bekr qu’il ne restait plus un seul apostat en Arabie, le calife lui écrivit de se rendre avec toutes ses troupes auprès de Khâlid. Il conféra à ce dernier le gouvernement de rirâq, et le nomma général en chef de toutes les armées. Dans la lettre par laquelle il lui annonça ces dispositions, il disait en outre :

« Ne retiens personne de force ; autorise à quitter l’armée ceux qui le demanderont, car ce n’est pas par ceux-là qu’on pourra remporter la victoire. »

Khâlid entra dans l’Irâq avec 10 000 hommes.

UBULLA

Par la lettre qu’il avait adressée à Khâlid en le nommant gouverneur de r*Irâc[ et général en chef des troupes destinées à agir contre la Perse, Abou-Bekr l’avait informé que toutes 1es troupes musulmanes qui se trouvaient dans le désert^ sur le territoire de Baçra et de T^lrâq, étaient placées sous ses ordres, et qu il pouvait appeler à lui toutes celles qu’il voudrait.^ Après avoir reçu cette lettre, Khâlid écrivit aux quatre généraux qui étaient autour de lui, et les engagea à Venir le rejoindre. Ces quatre généraux étaient : Muthanna, Madhur, Harmala et Salama. Ils arrivèrent en amenant 8000 hommes. Ayant ainsi 18 000 hommes, Khâlid se tourna d’abord vers Ubulla.

Ubulla était une place frontière de la Perse, du côté de l’Arabie. Elle était commandée par un Perse nommé Hur-Muz, qui avait sous ses ordres 20 000 hommes. En ce temps, Shîrwy, fils de Parwîz, était mort, et l’on avait placé la couronne de Perse sur la tête d’un enfant à la mamelle, nomimé Ard-e-Shir, en faisant diriger par quelqu’un les affaires du royaume. Hormouz était un homme très-brave, qui veillait sur la sécurité de l’empire, du côté du désert contre les Arabes, et du câté de la mer contre les gens de l’Inde.

Khâlid adressa à Hur-Muz une lettre ainsi conçue :

 

« J’arrive, moi, le général du vicaire de Dieu. Embrasse l’Islam, ou paye tribut, ou prépare-toi à la guerre. »

 

Hur-Muz, après avoir lu cette lettre, l’envoya à Ard-e-Shir, roi de Perse; puis il mit en mouvement son armée et entra dans le désert, allant à la rencontre de Khâlid. Il régnait une grande sécheresse, et l’on ne trouva pas d’eau dans le désert. Or, pendant la nuit, Dieu amena un nuage sur le camp de Khâlid; tous les puits qui se trouvaient dans le camp musulman furent remplis d^eau, tandis qu’il ne tomba pas une goutte de pluie dans le camp perse.

 

Le lendemain, les deux armées quittèrent leurs camps et se mirent en ordre de bataille. Le premier qui s’avança fut Hur-Muz ; il cria aux musulmans :

« Où est Khâlid ? Dites-lui qu’il vienne se mesurer avec moi ! »

 

Hur-Muz était un homme fort, tandis que Khâlid avait un corps chétif. Hur-Muz descendit de cheval et le combat singulier commença. Ayant évité un coup porté par Hur-Muz, Khâlid rejeta son sabre, en disant :

« A quoi bon un sabre ? »

Il s’approcha de Hur-Muz , le souleva, le jeta sur le sol, s’assit sur sa poitrine et tira son poignard pour lui couper la gorge. A cette vue, l’armée perse accourut et entoura Khâlid pour dégager Hur-Muz. Qa’qâ’, de son côté, et les soldats musulmans se jetèrent au milieu des Perses et les écartèrent de Khâlid, qui trancha la tète de Hur-Muz et la jeta au milieu de l’armée des Perses, qui se mirent à fuir. Khâlid monta à cheval, et envoya un corps de troupes à leur poursuite. Un grand nombre d’entre eux furent tués ou faits prisonniers. A la tombée de la nuit, les musulmans rentrèrent au camp.

Le lendemain, Khâlid leva son camp et fit son entrée dans Ubulla. On trouva, dans le magasin public, des chaînes que les troupes perses avaient apportées pour lier les musulmans qu’elles feraient prisonniers. Le trésor de Hur-Muz et les bagages de l’armée furent pillés. On réunit une quantité de butin telle qu’on n’en avait jamais vu autant. On trouva aussi la mitre que Hur-Muz avait dû porter sur sa tête et qui était rouge et ornée de pierres précieuses ; elle avait la valeur de 100 000 dh. On dit que cette mitre était le signe du rang élevé que le roi de Perse lui avait conféré. Khâlid fit le partage du butin, et envoya à Médine le Khums, en même temps que cette tiare et un éléphant qu’on avait pris. Abou-Bakr fit promener l’léphant par toute la ville, afin que tous les habitants pussent le voir; puis il le fit renvoyer à Khâlid.

Quant à la mitre, il en fit don à Khâlid lui-même.

Quelques traditionnistes rapportent que ce n’est pas Khâlid qui a pris Obolla, que cette ville n’a été prise que sous le califat de ‘Umar b Khattâb, l’an XIV. Mais cela n’est pas exact : dans toutes les traditions des Futuhat, la conquête d’Ubulla est attribuée à Khâlid.

Dans les récits des guerres et des victoires du ‘Irâq, la bataille d’Obolla est appelée la bataille des chaînes[…].

MADSAR.

Au moment où Khâlid avait paru avec ses 18 000 hommes devant Hur-Muz, celui-ci en avait informé le roi de Perse. Un homme, nommé Qâren, qui commandait pour le roi de Perse dans l’Ahwâz, reçut l’ordre de conduire des renforts à Hur-Muz. Qâren quitta l’Ahwâz avec 50 000 hommes. Arrivé près d’Ubulla, il vit accourir au-devant de lui les fuyards de l’armée de Hormouz. En leur reprochant leur fuite, il les recueillit tous et les ramena. Il établit son camp à un endroit nommé Madsâr. A cette nouvelle, Khâlid marcha sur Madsâr.

 

Qâren disposa son armée en ordre de bataille, donna le commandement de l’aile droite à un homme nommé Anushajân. Lui-même sortit des rangs et provoqua Khâlid a un combat singulier Khâlid répondit à son appel ; il opposa ‘Adi b Hâtim Tayyi â Qubâd ; ‘Âcim b Khattâb, à Anushajân et se plaça lui-même en face de Qâren. Khâlid, ‘Adî et ‘Acim tuèrent leurs adversaires ; 1’armée perse se mit à fuir, poursuivie par les musulmans jusqu’à la nuit. Le lendemain, en examinant le champ de bataille, on trouva que 30 000 Perses étaient tombés. Les musulmans s’emparèrent d’un butin considérable. Khâlid fit proclamer que chacun garderait ce qu’il avait pris. Ensuite il écrivit à Abu-Bakr pour lui annoncer sa victoire, et envoya la lettre par Walid b ‘Uqba, le même qui avait porté à Médine le Khums du butin de Hur-Muz.

WALAJA.

A la nouvelle de la défaite de Madsâr, le roi de Perse fit partir 50 000 hommes sous les ordres d’Andarzaau. Ce général arriva aux confins du Sawâd, à un endroit nommé Walaja, où il établit son camp. Khâlid, averti, passa son armée en revue, choisit 20 000 soldats qu’il emmena avec lui, en laissant le reste de ses troupes au lieu où elles se trouvaient, après leur avoir recommandé de se tenir en garde pour n’être pas attaquées par l’ennemi. Arrivé en présence de l’armée perse, il détacha un corps de 4000 hommes, qu’il plaça en embuscade des deux côtes du camp ennemi, et leur ordonna de se montrer au moment où les deux armées seraient aux prises et de tomber sur l’ennemi.

 

Il y avait à Madâyn un homme qu’on appelait Khazar-Asp, parce que, dans le combat, il avait la valeur de 1000 cavaliers. Khâlid, qui avait entendu parler de lui, désirait le voir. Il sortit des rangs musulmans et proposa à l’armée ennemie un combat singulier. Khazar-Asp se présenta et lutta contre Khâlid. Celui-ci lui enfonça sa lance dans le ventre, de façon qu elle lui sortit par le dos, et le fit tomber de cheval sur le sol. Il revint ensuite au camp et demanda à manger, en disant :

« Hier, j’ai fait un vœu à Dieu de ne point manger ni boire avant d’avoir tué cet homme ; en effet, je n’ai pris aucune nourriture depuis hier. »

Après avoir un peu mangé, Khâlid donna l’ordre d’attaquer, et le combat s’engagea. Les soldats embusqués apparurent à la droite et à la gauche des ennemis et les chargèrent. Les Perses se mirent à fuir, poursuivis par les musulmans, qui en firent un massacre qui fut plus terrible encore que celui de Madsâr. Andarzaazz, qui se sauva paiement, périt de soif dans le désert. 

Khâlid s’empara du ‘Irâq, de Baçra et du Sawâd. En voyant des fleuves et de belles contrées, tels qu’il n’en avait jamaîs vu, il rassembla ses troupes et les harangua. Après avoir rendu jgrâces à Dieu pour les victoires qu’il avait obtenues, il excita le courage des soldats en ces termes :

 

« Soldats, quand même Dieu ne nous aurait pas ordonné de faire la guerre sacrée, nous devrions combattre les Perses .pour leur enlever ces contrées, dont nous sommes plus dignes qu’eux. »

 

Ensuite, Khàlid envoya dans toutes les provinces des agents, et fit régner la justice et Y équité au milieu du peuple.

LÎS

Dans l’armée de Qâren il y avait eu un grand nombre de chrétiens, qui étaient venus avec lui de l’Ahwâz. C’étaient des Arabes des Bni-Bekr et des Bni-ljl. Ils avaient pris part au combat de Madsâr, et beaucoup d’entre eux avaient été tués. Alors tous les Arabes des Beni-Bekr et des Bnî IjI de l’Ahwâz, de Hira et de Mossoul se concertèrent et adressèrent au roi de Perse une lettre, dans laquelle ils disaient :

« Nous nous engageons à te soutenir; envoie une autre armée, nous nous joindrons à elle. »

Cependant il y avait dans l’armée de Khâlid également un grand nombre de gens des Bni-Bakr et des Bnî Ijl, qui étaient musulmans.

 Le roi de Perse, ayant su que les Arabes de Mossoul, de Jazîra et de l’Ahwâz voulaient s’allier à lui, fut très content. Il avait fait suivre Andarzaazz d’un autre corps de troupes de 40 000 hommes, sous les ordres de Bahman-Jâdwî Andarzaazz, ayant engagé le combat sans attendre l’arrivée de Bahman, fut battu. Lorsque Babman vit paraître les fuyards, il arrêta sa marche et adressa une lettre au roi de Perse, pour demander des instructions. Le roi délibéra. Lorsqu’il reçut la lettre des chrétiens arabes des tribus de Bakr et d’Ijl, qui lui proposaient leur alliance et lui demandaient le secours d’une armée, il écrivit à Bahman et lui ordonna de marcher en avant, de se joindre aux Arabes des Bni-Bekr et des Bni Ijl et d’attaquer Khâlid. Bahman Jâdwî donna le commandement de l’armée à un chef nommé Jâbân, qui était un dihqân du Sawâd, et se rendit à Madâyn pour voir le roi et les ministres et discuter avec eux ce qui concernait son commandement. Il chargea Jâbân d’opérer sa jonction avec les Bni-Bakr et les Bnî-Ijl, et lui recommanda de ne point commencer la lutte avant qu’il fût de retour lui-même.

 Jâbân se mit en marche et établit son camp à un endroit nommé Lis, bourg qui était placé sous son gouvernement personnel.

 Khâlid était instruit de ces circonstances. Lorsque les chrétiens des Beni Bekr et des Beni-Ijl surent qu’une armée était en marche, mais qu’elle n’avait pas de général en chef, aucun d’eux ne quitta son pays et ne se rendit auprès de Jâbân. A cette nouvelle, Khâlid pensa qu’il serait bon de fondre sur les troupes perses avant l’arrivée de Bahman et avant leur jonction avec les Arabes, et il partit aussitôt avec 20 000 hommes.

Jâbân se tenait sur ses gardes dans son camp, en attendant le retour de Bahman. Or, un jour ses soldats avaient préparé leur repas au bord de l’Euphrate ; ils avaient fait cuire différents mets, et la table était dressée lorsque, à l’heure du dîner, l’avant-garde de Khâlid parut en vue. Les Perses ne s’en soucièrent pas ; ils dirent :

« Les Arabes établiront aujourd’hui leur camp et n’attaqueront que demain »

Et ils continuèrent leur repas. Quand Khâlid arriva, les soldats de l’avant-garde lui dirent que les Perses étaient occupés à manger.

 Khâlid demanda si, en les voyant paraître, les ennemis s’étaient levés pour les attaquer.

Non , répondirent les soldats.

Khâlid dit : Ne descendez pas, avancez ainsi que vous été pour l’attaque; et il jura que, si Dieu lui accordait la victoire, il ferait tuer tant d’ennemis, que leur sang roulerait dans le fleuve, parce qu ils avaient montre du mépris pour les musulmans.

 L’armée musulmane, s’étant formée en ordre de bataille, commença l’attaque. Les Perses se levèrent, en disant à Djâbân :

 Nous ne perdrons pas ton repas ; puis ils se mirent k combattre, et livrèrent une bataille qui fut la plus acharnée de toutes les batailles entre Khâlid et les Perses. A un certain moment de la journée, entre Theure de la prière du matin et la prière de l’après-midi, les ennemis étaient en fuite. Khâlid fit proclamer qu’aucun d’eux ne fdtt tué, mais qu’on les amenât prisonniers devant lui. Les musulmans ramenèrent un grand nombre de prisonniers perses. Le lendemain, il les fit conduire au bord du fleuve et leur fit trancher la tête, de façon que leur sang coula dans le fleuve. Son serment fut ainsi accompli. Ensuite Khâlid partagea le butin et en envoya la cinquième partie au calife. Abou-Bekr fut très-heureux de cette victoire.

 Lis n’était qu’un bourg, qui était du ressort d’une ville du Sawâd, nommée Amghîshiyyâ. Averti que les fuyards se rassemblaient dans cette ville, Khâlid marcha sur elle, massacra tous ceux qu’il y rencontra, détruisit la ville et saccagea toute la contrée. Le butin fut immense.

 SAWAD.

 Amghîshiyyâ était la plus grande ville du Sawâd. C’est sur son territoire que les dihqâns du Sawâd avaient leurs champs. Lorsque Khâlid dévasta la contrée et aussi ces champs, tous les dihqâns de cette partie du Sawâd s’unirent contre Khâlid, en disant :

 « Ces gens ont la prétention que leur religion ne comporte pas la dévastation ; cependant jamais aucun roi n’a autant détruit que Khâlid. »

 Les habitants de Hira, qui avaient traité avec Khâlid et qui avaient également leurs champs à Amghîshiyyâ, apprenant qu’il avait dévasté cette province, rompirent la convention qu’ils avaient conclue avec lui, en disant que Khâlid l’avait violée. Il y avait à Hîra un des principaux dihqâns de Perse, nommé Azâd-u-bê, qui réunit tous les autres dihqâns de la ville, fit des préparatifs de guerre contre Khâlid et rassembla une armée. Khâlid marcha sur Hira. Azâdoubè envoya au devant de lui son fils. Celui-ci, attaqué, par Khâlid à la tête d’une petite troupe musulmane fut tué ainsi qu’un grand nombre des soldats de son armée, qui fut mise en déroute.

 Azâdubê avait rassemblé une armée nombreuse. A la nouvelle de la mort de son fils, il mit son armée en mouvement et allait attaquer Khâlid, lorsqu’il apprit qu’Ard-e-Shîr, le roi de Perse, était mort, et que les Perses étaient embarrassés, ne sachant à qui donner la couronne. A cette nouvelle, Azâd-u-bê quitta, pendant la nuit et en secret, Hira. Les hommes de Hîra et du Sawâd, abandonnés par Azâd-u-bê, rentrèrent dans Hira.

 Khâlid avait fait avancer son armée et était arrivé au Khawamaq près de Hira. Informé du départ d’Azâdubê, il fit halte et envoya des troupes pour investir la ville. Ces soldats eurent l’ordre d’inviter les habitants à embrasser l’islam et de leur accorder un délai d’un jour; en cas de refus, d’attaquer le lendemain et de ne point traiter avec eux, s’ils proposaient de payer tribut. 8000 hommes vinrent se poster sous les murs de la ville et sommèrent les habitants d’accepter la religion musulmane. Sur leur refus, les musulmans les provoquèrent au combat et commencèrent l’attaque, après avoir repoussé la proposition des gens de Hîra, qui déclaraient vouloir payer tribut. Les habitants placèrent sur les murs des hommes qui lancèrent avec des frondes des pierres sur les musulmans. Ceux-ci réussirent à s’emparer de la porte et tuèrent un grand nombre d’ennemis.

 Il y avait à Hîra des moines, qui sortirent de la ville et, la tête enveloppée dans leurs capuchons, se présentèrent devant l’armée musulmane en pleurant et en demandant grâce. Il était défendu aux musulmans de tuer les moines chrétiens. Arrivés en présence de Muthanna, b Hâritha, à qui Khâlid avait donné le commandement des troupes, ces moines dirent :

« Accorde-nous un délai de 3 jours, pour que nous puissions nous rendre auprès de Khâlid et lui exposer notre situation. »

Muthanna consentit, et la lutte fut suspendue.

4 chefs de la ville : lyâs b Qabîça; ‘Adî b ‘Adî ; ‘Ubayd b Akkâl, et ‘Abd-l-Masîh b ‘Amrou, se rendirent auprès de Khâlid et implorèrent sa clémence. Khâlid leur accorda la paix, à condition qu’ils payeraient tribut.

 ‘Abd-l-Masîh, qui était alors âgé de 300 ans et qui vécut encore 60 ans après Khâlid, portait à la main une feuille pliée. Khâlid lui demanda :

« Qu’est ceci ?

Abd-l-Masîhrépondit :

« C’est un poison mortel, que, si tu ne nous avais pas accordé la paix, j’avais l’intention d’avaler afin de ne pas retourner auprès de mes compatriotes. »

Khâlid lui prit ce poison, retendit sur sa main et, prononçant ces mots :

« Au nom de Dieu par la vertu duquel aucune chose, ni du ciel, ni de la terre, ne peut nuire » l’avala.

Il éprouva un malaise pendant un instant, et la sueur lui coula du front, puis il dit :

« Il n’y a ni pouvoir, ni force qu’avec Dieu, le sublime, le grand ! »

Ensuite, se tournant vers ‘Abd-l-Masîh, il lui dit :

« J’ai pris ce poison, afin que tu reconnaisses que rien ne peut nuire à personne, si ce n’est par la volonté de Dieu ! »

On demanda encore à ‘Abd-l-Masîh : Te rappelles-tu comment était autrefois la terre ? ‘Abd-l-Masîh répondit : Je me souviens avoir vu que la contrée entre Hîra et Damas et la Syrie, qui aujourd’hui est un désert, était cultivée et plantée d’arbres fruitiers.

 ^Abdoul-Mesfh, étant revenu à Hîra avec les autres chefs, dit aux habitants : Ce personnage n est pas un homme, mais un diable ; il a avalé une poignée de poison mortel qui aurait fait crever un éléphant. Lui n’en a point éprouvé de mal. Personne ne saurait lui résister, consentez à toutes ses demandes. Les gens de Hîra répartirent la somme de la contribution qui devait être payée sur tous les hommes en état de porter les armes : chaque individu avait à payer 4 dirbems. Deux cent mille hommes acquittèrent cette contribution, que l’on envoya à Khâlid, en même temps que d’autres cadeaux. L’affaire de Hîra ayant été ainsi réglée, les dihqâns du Sawâd reconnurent qu’ils ne pourraient pas résister à Khâlid. Chacun d’eux en particulier traita pour son bourg, en payant un tribut. On réunit de tout le Sawâd une somme de deux millions de dirhems, qui fut remise à Khâlid. Celui-ci se trouva ainsi maitre de toute la province.

 Il y avait dans l’armée de Khâlid un Bédouin nommé Shuwayl, âgé de 80 ans, qui avait embrassé l’islam du vivant du Prophète. ‘Abd-l-Masîhavait une fille, nommée Karâma, qui était maintenant vieille, âgée de 80 ans, et qui était religieuse. Elle avait été très-belle dans sa jeunesse, et elle ne s’était jamais mariée. Au moment où l’on traitait de la paix avec les habitants de Hîra , Shuwaïl le Bédouin vint trouver Khâlid et lui dit :

« Lorsque j’ai embrassé l’Islam , et que je causais avec le Prophète, il me dit que je verrais tomber au pouvoir des musulmans le pays de ‘Irâq, le Sawâd et Hira. Alors je lui dis :

« Apôtre de Dieu, quand tu prendras Hira, donne-moi Karâma, la fille de ‘Abd-l-Masîh, pour quelle soit mon esclave. »

Le Prophète me répondit :

« Je te l’accorde. »

J’ai donc reçu la parole du Prophète, et maintenant tu es obligé de la dégager. Khâlid demanda à Shuwayl s’il avait un témoin.

« J’en ai, répliqua Shuwayl ; et tous les principaux Muhâjir et Ançâr confirmèrent que le Prophète avait ainsi parlé. Alors Khâlid dit à ‘Abd-l-Masîh :

« Voilà ce que dit cet homme ; je ne conclurai la paix qu’à cette condition. »

Abd-l-Masîhrépondit :

« Ma fille est une femme noble, et les habitants de Hira ne voudront probablement pas laisser faire cependant je vais les prévenir. »

Instruits de cette circonstance, les gens de Hîra déclarèrent qu ils ne laisseraient pas réduire en esclavage cette femme et qu ils ne voulaient pas conclure le traité. Mais Karâma, qui était une femme douée d’intelligence, leur dit:

« N’ayez pas d’inquiétude pour moi ; je me rachèterai bien de l’esclavage de ces hommes ! »

Puis elle se rendit aussitôt auprès de Khâlid, qui fit appeler le Bédouin et lui dit :

« Voici Karâma, je te la donne comme ton esclave ! »

Karâma dit :

« O Bédouin, tu ne m’a jamais vue ! »

-Non, par Dieu, répliqua Shuwayl, je ne t’ai jamais vue ; mais j’ai entendu parler de toi. »

Kerâma reprit :

« Je suis une vieille femme et tu n’auras aucun avantage à me posséder ; vends-moi ma liberté pour le prix que tu voudras.

-Je ne prendrai pas moins de 1000 dh, dit Shuwayl

-Je les donne, répondit Karâma.

-Je les prends, dit Shuwayl. »

Alors Karâma envoya une personne pour chercher cette somme, qu’elle remit au Bédouin, et elle se libéra ainsi de l’esclavage.

Khâlid dit à Shuwayl :

« Imbécile, pourquoi n’as-tu demandé que 1000 dh ? Si tu avais fixé le prix à 10 000, elle les aurait donnés. »

Shuwayl répliqua :

« Je ne savais pas qu’il y eut un prix plus élevé que 1000 dh ! »

 Khâlid établit sa tente devant les portes de Hira, et répandit ses troupes dans tout le Sawâd. Il envoya dans chaque ville 2 agents : l’un comme receveur de zakat, du ‘ushr et du kharaj ; l’autre, à la tête d’un corps de troupes, comme gouverneur, chargé de la défense de la ville. Il demeura dans son campement jusqu’à ce qu’on lui eût apporté tout l’impôt du Sawad.

 Il leva ensuite son camp et marcha sur Anbâr.

 Après avoir terminé les affaires de Hîra et du Sawâd, Khâlid s’informa des Perses. Il apprit que leur roi était mort, qu’on avait élevé au trône une femme et qu’Azâd-u-bê, le général qui avait abandonné Hira, s’en était allé et qu’il excitait les Perses à faire la guerre. En conséquence, Khâlid fit partir 2 messagers, dont l’un était porteur d’une lettre adressée au souverain, l’autre d’une lettre adressée au peuple. Chacune de ces deux lettres était ainsi conçue :

 « Dieu vous ôte le pouvoir et fait apparaître dans votre pays la vraie religion. Maintenant croyez en Dieu et en son prophète, ou consentez à payer tribut, ou préparez-vous à la guerre ; car j’ai avec moi des hommes qui aiment mieux la mort que la vie. »

 Les deux messagers venant apporter les lettres trouvèrent les Perses en désarroi ; car chaque jour ils choisissaient un autre souverain. Après qu’ils eurent pris connaissance des lettres, Azâd-u-bê leur dit :

« Ce Khâlid a la pensée de vous attaquer, parce qu’il sait que vous êtes divisés et que vous ne pouvez pas mettre en campagne une armée. Maintenant faites partir au moins l’avant-garde, afin qu’il ne pénètre pas jusqu’à vous ! »

Alors ils firent marcher l’avant-garde sous les ordres de Bahman-Jâdwî, qui reçut l’ordre de camper à deux frs de Madâyn, et ils lui adjoignirent Azâd-u-bê. Quant aux ambassadeurs de Khâlid, ils les congédièrent avec cette réponse :

« Entre nous et toi, la guerre seule doit décider. »

 Les Perses avaient à Anbâr une nombreuse armée, composée d’Arabes et de Perses, sous les ordres d’un grand de Perse, nommé Shîr-Zâd. Il y avait dans cette armée des Arabes chrétiens de Hira, de Mossoul, de Jazîra et des tribus de Bakr et de Ijl , qui avaient été mis en fuite par Khâlid et qui s’étaient sauvés à Anbâr. Anbâr était une grande ville, bien fortifiée, située entre le Sawâd et Madâïn ; elle avait été fondée par Nabuchodonosor. Une autre ville fortifiée, nommée ‘Aïn-at-Tamr, renfermait également une forte garnison perse, commandée par l’un des fils de Bahrâm-Tshûbîn, nommé Mihrân. Celui-ci avait aussi sous ses drapeaux un certain nombre d’Arabes. Les Perses, après avoir congédié les messagers de Khâlid et après avoir mis en campagne l’avant-garde sous les ordres de Bahman-Jâdwî et d’Azâdoubè, informèrent Mihrân à ‘Aïn-at-Tamr, et Shir-zâd à Anbâr, de se tenir sur leurs gardes pour n’être pas surpris par Khâlid ; et dans le cas où celui-ci viendrait les attaquer, ils leur ordonnèrent de le combattre.

 Khâlid, après le retour de ses envoyés, passa son armée en revue aux portes de Hira, choisit 30 000 hommes, laissa Qa’qâ’ b ‘Amrou , comme gouverneur de Hira, et marcha contre Anbâr. Shîr-zâd avait une force de 70 000 hommes, Arabes et Perses, tous couverts de cuirasses, de cottes et de heaumes, dont les visières étaient rabaissées sur leurs visages. Lorsque Khâlid se fut approché et qu’il vit ces hommes couverts de fer des pieds à la tête, de sorte qu’on n’apercevait de leurs corps que les yeux, il fit avancer ses archers et leur dit :

« C’est à vous, aujourd’hui, qu’appartient l’action ; il faut viser avec justesse, car le sabre ne pourra rien contre eux. »

Les archers lancèrent sur l’ennemi une grêle de traits, en visant les yeux des soldats, dont 2000 furent aveuglés. Les Perses demandèrent quartier, et Shir-zâd fit proposer à Khâlid de capituler. Khâlid consentit à la capitulation, à la condition que Shir-zâd se retirerait avec sa suite de la Mésopotamie, en n’emportant que les vêtements qu’ils avaient sur leurs corps et des provisions pour 3 journées de marche. Shîr-zâd partit et se rendit à Madâyn. Khâlid prit possession d’Anbâr et s’empara du butin.

 Lorsque Shîr-zâd arriva auprès de Bahmân, celui-ci le blâma d’avoir capitulé. Shîr-zâd répondit :

« Par une seule chaîne de flèches, 2000 hommes de mon armée ont été aveuglés. Quand les Arabes que j’avais sous mes drapeaux ont vu cela, ils ont crié qu’il fallait se rendre. »