Photios, Bibliothèque, III, Ambassades de Nonnose en Ethiopie et Arabie, v. 531/v. 870 n-è

J’ai lu l’Histoire de Nonnose, contenant la description de son ambassade d’abord vers les Ethiopiens, les Amérites (Himyarites) et les Saracènes, alors nation très puissante, puis vers les autres peuples de l’Orient.

A cette époque l’empereur des Romains était Justinien, et Kaisos était le chef des Saracènes. Ce Kaisos était le petit-fils d’Arethas, lui-même chef, vers qui le grand-père de Nonnose avait été envoyé comme ambassadeur, pendant le règne d’Anastase, pour conclure un traité de paix. Le père de Nonnose, Abrames avait été envoyé pareillement en ambassade vers Alamoundaros, chef des Sarrasins, pendant le règne de Justin, et avait eu la chance de faire libérer Timostrate et Jean, deux généraux romains prisonniers de guerre.

Kaisos, à qui on envoyait Nonnose, commandait deux des plus illustres tribus parmi les Arabes les Khindeni et les Maadénites. Avant la mission de Nonnose, son père avait déjà été envoyé par Justinien vers Kaisos, et avait conclu un traité de paix, à condition que son fils Mauias soit détenu en otage à Byzance. Après cela, Nonnose fut chargé d’une mission à trois facettes : vers Kaisos, pour l’inciter si possible, à rendre visite à l’empereur, vers Elesbaas, roi des Aksoumites, et vers les Amérites.

Aksoum est une grande ville, et on peut la considérer comme la capitale de l’Ethiopie; elle se situe plus au Sud et à l’Est que l’empire romain.

La mission de Nonnose, en dépit de traîtresses attaques tribales, de dangers inhérents aux bêtes sauvages, et de nombreuses autres difficultés et périls pendant son voyage, fut couronnée de succès, et il rentra en sécurité dans son pays natal.

Il rapporte que Kaïsos, après qu’Abrames fut venu à lui une deuxième fois, finit par se retirer à Constantinople ayant auparavant réparti son pouvoir entre ses frères Ambros et Iezidos. Il partit avec un grand nombre de ses sujets et fut nommé par l’empereur administrateur de la Palestine.

Il nous dit que l’ancien nom par lequel on appelle les σανδάλια (sandales) était Arbûlaï, et que φακιόλον (turban) était appelé Phasôlis.

Il nous raconte que la plupart des Saracènes qui habitent le Phœnicon, et au-delà du Phœnicon et des monts Taurènes, considèrent comme sacré un certain lieu, qui est consacré à un Dieu. Ils s’y assemblent deux fois par an. L’une de ces assemblées dure un mois entier, et finit presque au milieu du printemps, quand le soleil entre dans le signe du taureau. (Rajab)

L’autre assemblée dure deux mois ; elle se tient après le solstice d’été. Pendant le temps de ces assemblées, il y a une très grande paix entre ceux qui viennent à la fête et les habitants de ces lieux. (Dhû al-Qa’da et Dhû a-Hijja) On dit aussi que pendant le même temps les bêtes féroces ne font aucun mal aux hommes, et qu’elles ne s’attaquent pas même entre elles.

Il raconte d’autres choses curieuses, plus ou moins fabuleuses.

Il nous raconte qu’Aksoum est éloignée d’Adulis de 15 journées de chemin. Sur cette route à mi-chemin, lui et ses compagnons eurent l’occasion de voir quelque chose d’extraordinaire, dans le voisinage d’Ave ; c’était un grand très nombre d’éléphants, presque 5 000. Ils se nourrissaient dans une vaste plaine et les habitants avaient du mal à les approcher ou à les conduire hors de leur pré. Ce fut ce qu’ils virent pendant ce voyage.

Nous devons dire aussi quelque chose des conditions climatiques contraires de l’été et de l’hiver entre Ave et Aksoum. Lorsque le soleil, dit-il, parcourt les signes du Cancer, du Lion et de la Vierge jusqu’à Ave, on a, comme dans notre pays, l’été avec une grande sécheresse, mais depuis Ave jusqu’à Aksoum, et dans le reste de l’Ethiopie, on y éprouve un hiver considérable, quoiqu’il ne dure pas toute la journée ; car il ne commence partout que depuis midi. Le ciel se couvre alors de nuages très épais, et la terre est inondée de pluies violentes et orageuses. A ce moment, le Nil, s’étendant sur l’Egypte, déborde et irrigue la terre. Mais quand le soleil entre dans le Capricorne, le Verseau et les Poissons, l’atmosphère, inversement, inonde le pays des Adulites aus-si loin qu’Auë, alors que c’est l’été d’Auë jusqu’à Aksoum et dans le reste de l’Ethiopie, et les fruits de la terre sont mûrs.

Lors de son voyage, Nonnose, était parti d’un lieu nommé Pharsa, et avait navigué jusqu’aux îles les plus éloignées ; il eut une expérience exceptionnelle. Il vit là certaines créatures de forme et d’apparence humaine petits, noirs, velus sur tout le corps. Les hommes sont accompagnés par des femmes de même apparence, et par des enfants encore plus petits. Tous étaient nus, les femmes comme les hommes, ne portant qu’un court linge autour de leurs reins. Ces gens n’ont rien de sauvage ni de féroce. Ils parlent comme nous, mais leur langage est incompréhensible, même pour leurs voisins et encore plus pour Nonnose et ses compagnons. Ils vivent de coquillages et de poissons pris sur les rivages. Selon Nonnose, ils étaient très timides, et quand ils le voyaient lui et ses compagnons, ils se dérobaient comme nous le faisons nous-mêmes avec les bêtes sauvages monstrueuses.