Ps-Sébéos, XIV-XVII-XVIII-XIX, Smbat Bagratuni rallie la Perse, dirige l'orient, est promu ministre, v. 675 n-è

Quant aux Nakharars de la partie persane et à leurs troupes, dont j’ai dit plus haut que le Percepteur les avait laissés et était parti, jusqu’à l’arrivée de l’ordre royal, les Péshaspiks vinrent avec des décrets pour les convoquer tous ensemble à la cour royale.

Voici les noms des Nakharars et des officiers qui se rendirent ensemble, chacun avec ses troupes et son drapeau, à la cour royale du roi des Perses Khosrow, la 6e année de son règne : 1° Gagik Mamikonien, fils de Manuel; 2° Pap Bagratide, fils d’Achot l’aspet; 3° Khosrow, seigneur des Vahewunis; 4° Vardan Arcruni; 5° Mamak Mamikonien; 6° Stephannos Siwni; 7° Kotit, seigneur des Amatunis. Avec eux, [il y avait] d’autres Nakharars. Arrivés en Asorestan, à la demeure royale, ils se présentèrent au roi. Celui-ci les reçut avec joie et les combla d’honneurs extraordinaires. Il ordonna de garder les grands seigneurs au palais, de leur assigner des pensions sur le trésor royal, pour chacun d’entre eux, et de les inviter chaque jour à la table royale. Il donna l’ordre à leurs troupes de camper à Spahan, [recommandant] qu’on les traitât d’une manière cordiale et avec toutes sortes de complaisances.

Les Ishxans arméniens moururent alors : Gagik Mamikonien et Khosrow, seigneur des Vahewuni-s moururent de mort naturelle dans le palais royal. Mamak Mamikonien, envoyé en Arménie pour les affaires de l’armée, à peine arrivé à Dwin, y mourut au bout de quelques jours. Stephannos de Siunik se querella avec son oncle paternel Sahak au sujet d’une seigneurie qui appartenait à ce dernier. Sahak écrivit contre lui une accusation capitale, qu’il scella de son sceau, de celui de l’évêque de sa maison et de ceux des autres princes de Siounie, en rappelant au roi la faute qu’avait commise [Stephannos] en s’insurgeant [avec ses compagnons].

Alors le roi ordonna de lier Stephannos et de le mettre en prison; on le décapita dans le grand carême, dans la semaine de Pâques.  Quant à Kotit [le roi l’] envoya à Mrcuin comme ambassadeur et ordonna à des cavaliers de se mettre en embuscade dans la campagne; avant fondu sur lui comme des brigands, ils le tuèrent en route. Les troupes [des Nakharars],qui étaient campées à Spahan, en apprenant ce qui était survenu, se répandirent dans la contrée et la ravagèrent; elles prirent le trésor royal, qui était dans la maison du Percepteur, trésor constitué par les impôts prélevés dans ce pays; elles se mirent en route et allèrent à la forteresse de Gelum. L’armée de Peroz (?) les poursuivit; elle en tua quelques-uns par l’épée; d’autres se donnèrent la mort pour n’être pas faits prisonniers d’autres, échappés à grand-peine, se précipitèrent dans la forteresse de Gelum. Comme ils n’y trouvèrent pas Vstam, ils se mirent en route et allèrent au pays des Parthes ; une fois arrivés, ils se présentèrent à lui.

En ce temps-là, Smbat Bagratuni plut au roi Khosrow ; celui-ci lui donna la dignité de Marzpan du Vrkan; il le nomma gouverneur de tout ce pays et lui accorda beaucoup d’honneurs et de pouvoirs. Il le combla d’or et d’argent et le revêtit d’habits précieux et magnifiques. Il lui donna la ceinture et l’épée de son propre père Ormizd, lui remit le commandement des troupes persanes et arméniennes et lui ordonna de se rendre dans son gouvernement.

A cette époque, les pays portant les noms d’Amal, de Royean, de Dzrêtchan et de Taparastan (Tabaristan) étaient insurgés contre le roi de Perse ; il leur fit une guerre victorieuse, les frappa de l’épée et les mit sous la domination du roi de Perse ; il restaura le pays entier de son Marzpanat, car la contrée était ruinée. Il y avait dans cette région des captifs arméniens, campés sur la lisière du grand désert, du côté du Thurkhastan et du Delhastan (kara-kum). Ils avaient oublié leur langue, ignoraient l’écriture et n’avaient pas de prêtres. Il y avait aussi des Kodreens (proto-kurdes), qui avaient été faits prisonniers avec les nôtres ; il y avait également beaucoup d’hommes de l’empire romain et de la région syrienne.

Les Kodreens étaient païens, mais une grande lumière brilla sur les chrétiens ; ils raffermirent leur foi, apprirent l’écriture et leur langue et établirent comme prêtre de leur pays l’un d’entre eux nommé Abel.

[…Batailles de Smbat en Orient]

L’année suivante, toutes les troupes des ennemis se réunirent; elles allèrent s’établir dans le canton de Taparastan ; Smbat réunit, lui aussi, toutes ses troupes et partit en guerre contre eux.

Le Seigneur Dieu livra l’armée des ennemis aux mains de Smbat, qui extermina tout avec l’épée. Les survivants s’enfuirent en déroute dans leur pays. Ceux qui étaient avec eux demandèrent un serment et des garanties ; ils vinrent se présenter devant Smbat. Yosêph, dont nous avons parlé, était avec eux. Ensuite Yosêph lui présenta sa trouvaille (relique de la sainte croi) et lui raconta sa vision ; puis il raconta également les nombreux miracles qu’il avait faits parmi les païens. Alors Smbat se leva, puis s’agenouilla devant ; et l’ayant pris, il s’en signa ; puis il le remit aux mains de Mibrui, homme pieux qu’il avait établi [comme intendant] sur sa maison, fidèle, obéissant, de la famille Dimakhsean ; il le déposa dans l’église qu’administraient les prêtres de sa cour.

Alors le roi lui adresse un décret, [lui exprimant] sa grande satisfaction, par lequel il le comble d’honneurs, lui accordant un rang plus élevé que tous les marzpans de son royaume ; il lui envoie des coupes d’échansons toutes en or et des vêtements royaux, des tiares dorées, des jambarts ornés de diamants et de perles ; il nomme échanson servant le vin au roi son fils Varaztiroch, qu’il avait élevé comme un de ses fils et qui était hautement considéré par toute la cour.

Smbat exerça le marzpanat sur ce pays pendant 8 ans.

Après cela, l’ordre vint de l’inviter, avec de grands égards, à la cour royale; puis il l’autorisa à se rendre dans son pays, l’an 18 de son règne

Or [Smbat] demanda au roi l’autorisation de reconstruire l’église de Saint-Grégoire, qui était dans la ville de Dwin. Comme le bienheureux catholicos Moïse était décédé et qu’il n’y avait pas de Vardapet dans cet endroit, il s’empressa de demander encore une fois au roi la permission ; l’ordre étant arrivé dans son pays, il demande à ce qu’on établît sur le siège suprême un directeur qui prit soin de l’église et dirigeât son salut. On établit Abraham, l’évêque des Rshtuni (Van), sur le siège patriarcal, puis on se mit à poser les fondements de l’église; il rassembla des artisans pour la pierre et mit à leur tête des surveillants fidèles; il donna l’ordre de mener à bonne fin, en hâte [l’entreprise]. Le gouverneur de la forteresse et le marzpan écrivirent une dénonciation au roi : [L’Eglise] est trop près de la forteresse et il en peut résulter un danger du côté de l’ennemi.

Le roi ordonna que « la forteresse serait détruite et l’église reconstruite au même endroit. » Amen.

[…]

Lorsque l’hiver fut passé, à l’arrivée du printemps, les courriers apportèrent des décrets invitant [Smbat] à [se rendre] en grande pompe à la cour royale. Il alla se présenter devant le roi dans le grand palais appelé Dastakert, puis se rendit dans la salle de réception et il s’assit sur le bob et le pahlak.

Alors le roi lui donne la dignité seigneuriale qui s’appelle Khosrow Chnum, le pare richement d’une tiare et d’une tunique en bysse dorée ; il l’honore grandement dans une tente ornée de diamants, par un bataillon et un trône d’argent

Il lui donne des trompettes à quatre voix et des gens de la suite royale pour lui servir de gardes à sa porte ; il rassemble pour lui une armée grande et terrible [pour aller] en Orient, au pays des Khushans (Bactriane) et lui ordonne de nommer marzpan qui il voudra.

[Smbat] partit et arriva à Komsh, le pays le plus proche de sa seigneurie ; il appela auprès de lui, du Vrkan, l’armée de ses compatriotes, et alla tout droit en Orient.

Voici les Ishxans naxarars d’Arménie qui allèrent avec lui, chacun avec sa troupe et son drapeau : Varazchapuh Arkruni, Sargis Tayeshi, Artawazd, Vstam et Hmayeak Apahuni, Manuel, seigneur des Apahunis, Vram, seigneur des Golthiens, Sargis Dimakhsean, Sargis Trpatuni et d’autres Nakharar ; puis ses propres soldats, environ 2000 cavaliers de ce pays. Il vit que les troupes des Khushans s’étaient répandues sur tout le pays et le ravageaient ; lorsqu’ils apprirent son arrivée, ils se rassemblèrent et partirent. Et lui, se pressant à leur poursuite, les rejoignit bientôt. Quant à eux, en le voyant les rejoindre, ils se retournèrent et firent front ; il y eut une bataille ; les troupes des Khushans se mirent en fuite et furent défaites par les troupes de Khosrow Chnum (Smbat); beaucoup furent tués, un grand nombre échappèrent par la fuite. 

[…]

Lorsque [Smbat] ne fut qu’à une étape de la cour royale. Le roi donna l’ordre à tous ses Nakhararet à ses soldats d’aller au-devant de lui ; il ordonna également aux auxiliaires de lui conduire un cheval de l’écurie royale, avec un harnachement royal. [Smbat] se présenta ainsi devant le roi en grande pompe et magnificence.

[Le roi] le voyant, le reçut avec joie, et étendit vers lui sa main ; [Smbat] la baisa et se prosterna. Alors le roi lui dit :

« Tu as agi avec loyauté, et nous sommes très content de toi ; désormais, ne te fatigue plus à faire la guerre ; reste ici près de nous ; prends, mange et bois, et partage notre joie. »

Il était le troisième Nakharar dans le palais du roi Khosrow. Peu de temps après, il mourut, la 28e année du règne. Quant à son cadavre, on le transporta en Arménie, dans son propre caveau ; on le déposa dans une tombe, au village de Dariwn, dans le canton de Gogovit (Ararat).