Jean Catholicos, Histoire d’Arménie, A l’époque Abbasside (résumé de l’historien Shapur), v. 920

(Evènements sous Al-Mansûr et al-Mahdi)

On plaça après lui, sur le trône patriarcal, Tiridate (741-764), du bourg d’Iothmus. C’était un homme saint, bienfaisant et étincelant de vertus. De son temps les ravages et les dévastations cessèrent entièrement par la sainteté de ses prières. Il passa en paix toute la durée de son patriarcat ; appelé par Jésus-Christ, il mourut après avoir siégé pendant 23 ans.

Il eut pour successeur un homme nommé comme lui Tiridate, du bourg de Tasdavouérits. Celui-ci mourut n’ayant été patriarche que trois ans. On lui donna pour successeur Sion (767-775), du bourg de Pagavan.

Sion, dès l’âge le plus tendre, avait été élevé et instruit dans le service divin, et dans l’habitude et l’usage de préférer la vertu à tout. Avant d’être patriarche, il avait été nommé à l’évêché de la province d’Aghdsnikh. Pendant qu’il gouvernait encore son troupeau de fidèles dans cette province, une source abondante qui coulait du mont Sim se dessécha. Les laboureurs du pays fertilisaient, au moyen des irrigations, beaucoup de vignes et de jardins ; mais quand la source se tarit, la fécondité des terres commença à s’affaiblir, à se détruire et à causer partout la ruine et la désolation. Il y avait alors dans cette contrée un Ostikan arabe, nommé Suleyman (Abu Sulayman Yazid b. Usayda as-Sulami : en poste de 750 à 785, ami d’Al-Mansûr et favoris d’Al-Mahdi) ; il appela l’évêque auprès de lui, et le pria de lui indiquer un moyen pour faire couler de nouveau l’eau de la source. Sion envoya à tous les fidèles de son diocèse l’ordre de faire une veillée et des prières pendant une nuit, la veille d’un dimanche. Le lendemain dimanche, au lever de l’aurore, on se mit en marche ; on alla avec la sainte croix vers la source, qui était fermée et tarie ; on fit des prières, et on consacra l’endroit au Seigneur. Sion frappa ensuite la source avec une baguette qu’il tenait à la main. Au même instant on entend du bruit dans la fontaine ; la source s’agite, et il en jaillit bientôt une eau extrêmement claire et limpide. Ceci étonna beaucoup Suleyman, qui n’oublia jamais Sion ni son miracle. Dans la suite cet Ostikan alla régir et administrer l’Arménie, et, à cet effet, se rendit dans la ville de Tovin (Dvin), quand le patriarche Tiridate II mourut. Soliman pensa alors à l’évêque Sion ; lui envoya promptement un message, et le fit amener à Tovin (Dvin) : par son ordre, on le plaça sur le trône patriarcal. C’est pour cela que nous avons parlé ici de ses prières.

Du temps du patriarche Sion arriva la destruction de Khaghin, d’Aren, et celle du grand bourg de Thalna, dans lequel on tua 700 personnes, et où l’on en prit 1200. Sion,. après avoir rempli beaucoup d’actes de pénitence, fit la restitution de sa vie quand elle lui fut demandée, et mourut, ayant été patriarche pendant 8 ans. On l’enterra auprès de ses pères.

Il eut pour successeur Isaïe (775-788) ; du bourg d’Eghabadroush, dans la province de Nig. […]

(Sous Harun ar-Rashid)

Isaïe, après avoir vécu 13 ans dans ce haut rang, mourut, et fut enterré avec ses pères.

Il eut pour successeur dans la dignité patriarcale un nommé Stephannos, de la ville de Tovin, qui ne siégea pas plus de 2 ans. On mit en sa place un certain Iovab, du pays d’Osdan ; il était dans le palais du curopalate, et il occupa seulement pendant 6 mois le trône patriarcal.

Dans ce temps là l’Ostikan Yazid (Yazid b. Mazyad ash-Shaybani) fut envoyé en Arménie par l’Amir-Abad (Harun ar-Rashid). Dès son arrivée à Nakhichévan, il fit partir des gouverneurs et des commandants pour les diverses provinces. La province de Pagrévant était gouvernée comme les autres ; il y plaça un des Ostikans les plus distingués. Lorsque celui-ci se rendait dans cette province, il parvint jusqu’au monastère solitaire de saint Grégoire, qui est dans le bourg de Pagavan, et il y prit sa station de nuit. En voyant la beauté de ce monastère, l’admirable perfection du tabernacle du Seigneur, les ornements d’or et d’argent, les diverses couleurs des voiles saints et des ornements et la beauté des chants, sa méchante avidité le porta à chercher dans son esprit rusé le moyen de s’approprier les richesses qui appartenaient à la religion divine. Pour accomplir son perfide dessein, il fit étrangler secrètement un de ses derniers esclaves ; par ses ordres, cet esclave fut, pendant la nuit, jeté dans un grand abîme, et l’on tint cachée toute cette affaire. Le lendemain, au lever de l’aurore, il eut l’air de croire que ce crime avait été commis à son insu, et s’étant informé lui-même des détails relatifs à cet assassinat perfide, il fit arrêter et charger de fers tous les religieux du couvent, comme auteurs de la mort de son esclave ; il mit en mouvement toutes les personnes qui se trouvaient dans les habitations et les demeures saintes ; il allait, il courait pour son esclave jeté secrètement dans un précipice. Cet homicide poussait des cris de vengeance ; ce criminel traitait en criminels les saints religieux. Il eut bientôt arrangé l’affaire, et attendu qu’on ne pouvait rien y voir, il lui fut permis de traiter comme coupable le sang innocent ; il ordonna de prendre les pères et de les amener devant le tribunal, pour les interroger et les faire périr. Alors on donna pour pâture à cet infidèle, à cet impitoyable bourreau, toute la sainte troupe : elle se composait de quarante religieux qu’il fit tous périr par sa détestable avidité. Du grand nombre de moines qui habitaient dans ce monastère, il n’en resta que quelques-uns qui s’étaient réfugiés dans les cavernes. On déchira en pièces, par le fer, les cadavres des saints ; on les dispersa. L’église de Jésus-Christ fut insultée, et l’autel dépouillé de ses ornements ; les chants d’allégresse cessèrent ; on n’entendit plus que des gémissements dignes de pitié. Cependant tout cela ne paraissait pas déplorable aux yeux de ce barbare, puisqu’au lieu de donner un tombeau à ces saints personnages, il leur enleva par la force cette dernière consolation. On répandit le sang des innocents, qui furent aussitôt inscrits au rang des martyrs dans le livre de vie.

Après la mort de Joab, on plaça sur le saint siège Soghomon, qui était du grand bourg de Garhni. Dans sa jeunesse il avait professé l’état monastique, et occupé son âme à accomplir, dans un grand monastère, beaucoup d’actions vertueuses. Il était fort habile en philosophie, et fort instruit dans ce qui concerne le chant psalmodique.

[…]

Après lui où éleva au patriarcat un nommé George (Géouerg), de la province d’Aragadzodn. A cette époque les Arabes dominaient partout ; ils amenaient les Arméniens en captivité et tourmentaient les grands du pays. Tous ceux qui restèrent se cachèrent pour échapper à leur joug et à leur esclavage. Jusqu’à présent il manque dans cette histoire le détail des belles actions des Ishkhans. Mais, au reste, vous pourrez la trouver dans l’ouvrage de l’historien Shapur, qui s’est occupé de l’histoire avant nous.

Après George on éleva au patriarcat Joseph (795-806), qui était né au lieu qu’avait habité saint Grégoire, dans la province d’Aragadzodn.

De son temps, il vint dans la ville de Tovin un Ostikan nommé Khuzayma (b. Khâzim al-Tamimi (800-806)), qui examina où il fixerait sa résidence. Il remarqua l’extrême beauté des grands bourgs où le patriarche avait des palais, tels qu’Ardashad, Kavakert et Horhomots-Marg, avec les champs qui en dépendaient. Alors entra dans son esprit la plus détestable fraude : il demanda lui-même au patriarche Joseph de lui donner ces bouqgs à prix d’argent. Mais le grand homme, préférant la mort à la vie, ne voulut céder aucun de ces endroits, et ne se rendit point aux méchantes et perfides paroles de l’Ostikan.

Khuzayma, irrité, ordonna que l’on mît en prison l’homme de Dieu et qu’on le chargeât de fers. Il lui fit porter beaucoup d’argent, croyant que Joseph effrayé consentirait à sa demande. Mais comme il pensait qu’il ne pourrait le dompter par les souffrances, il n’écrivit pas pour qu’on lui donnât des coups de bâtons, parce que le patriarche les aurait supportés avec courage en les offrant à Dieu. L’Ostikan, voyant qu’il ne pouvait rien obtenir de Joseph, fit exposer aux regards du public trois sacs remplis d’or que l’on plaça sur la tête de trois de ses esclaves, à qui il ordonna d’entrer chez le patriarche, de manière à être vus, et d’en sortir ensuite, par un autre côté, avec ce qu’ils avaient apporté. Après cela on répandit le bruit que les bourgs avaient été vendus à l’Ostikan, qui alors fit sortir de prison l’homme de Dieu et le renvoya dans sa maison. Le patriarche avait supporté avec courage et intrépidité les tourments et les peines qu’il avait eut à souffrir.

Le méchant Ostikan enleva seulement par la force les bourgs de Kavakert et de Horhomots-Marg. Il essaya aussi, alors et depuis, de tromper perfidement Joseph au sujet du bourg d’Ardaschad ; et, à cause du non succès de ses desseins, il nourrissait dans son esprit une haine constante contre le patriarche. Transporté de colère, il fit arrêter, vers les sources du Medzamor, le frère du grand Joseph, et, par son ordre, on ai le tua et on le jeta dans le lac qui est au nord de ces sources.

Le patriarche, après avoir occupé pendant 11 ans la première dignité du pays, mourut. On lui donna pour successeur David (806-833), du bourg de Kakagh, dans la province de Maghaz.

(Après 825 : insurrection illégitime contre le bon gouverneur Hul : contexte de l’insurrection Kharramite d’Azerbaijan et de l’indépendance du Maghreb Aghlabide et du Machreq Tahiride)

Du temps de ce patriarche on envoya en Arménie un Ostikan nommé Hul, avec le commandement d’une petite armée. Il se mit en marche, et arriva dans la ville de Tovin pour y fixer son séjour.

Il existait alors un prince qui gouvernait une grande partie de notre pays, qu’il avait conquise par la force. Il se nommait Sévata ; il était de la famille de Kaisik qui avait pris sa femme Aruseag dans la race des Bagratides. Ce Sévata se conduisit avec arrogance et dédain envers l’Ostikan Hul, et rassembla contre lui une nombreuse armée. Avec lui étaient le grand Sparapet des Arméniens, Sempad, le prince des Siounikhs, et quelques autres chefs de familles nobles.

Ils voulaient prendre Hul par ruse et le faire mourir par trahison. Alors Hul envoya avec un message le patriarche David auprès de Sévata, du Sparapet Sempad, et de Sahak (Ishak), prince des Siounikhs.

“Pour quelle raison, écrivait-il, vous enorgueillissez-vous et vous élevez-vous contre moi par votre extrême avidité ? Je ne veux point vous renverser ni aller m’emparer des lieux où vous habitez. Vous pouvez être sans crainte, je ne veux pas marcher vers vous.”

Le patriarche leur adressa beaucoup de paroles conciliantes et suppliantes ; mais ils ne voulurent pas l’écouter, et il s’en retourna extrêmement triste.

Quand Hul connut toute leur méchanceté, il s’y prit d’une manière heureuse : il rassembla des hommes choisis et terribles, les arma, et, lorsqu’ils furent deux mille, s’avança promptement à leur tête contre ses ennemis pour les combattre. Ceux-ci étaient campés sur le bord du fleuve Hurasdan, en face du bourg de Kavakert. Hul fondit sur eux avec la violence d’un torrent destructeur ; on lutta corps à corps ; enfin les troupes arméniennes prirent la fuite devant les soldats de Hul ; on versa beaucoup de sang, et une grande quantité d’Arméniens furent foulés sous les pieds des chevaux.

Isahak, prince des Siounikhs, le Sparapet Sempad et Sévata périrent dans cette journée ; mais beaucoup d’hommes prirent la fuite et parvinrent à s’échapper ; tous ceux que l’épée épargna se dispersèrent de côté et d’autre. Hul s’en retourna ensuite à Tovin. Le grand patriarche David fit apporter le corps d’Isahak, prince des Siounikhs, et le plaça dans un tombeau situé dans le lieu saint. Sahak eut pour successeur à la souveraineté son fils Grigor, qui portait aussi le nom civil de Suphan. Le patriarche mourut ensuite ; après avoir rempli le cours de sa vie, et avoir occupé le trône patriarcal pendant 27 ans.

(Sous al-Mutawakil : contexte du retour au Hadithisme)

On lui donna pour successeur Iovannès (833-855), du bourg d’Wéva, dans la province de Godaïkh. […]

Pagarad Pagratide était à cette époque gouverneur et ishkhan des ishkhans d’Arménie (nommé en 835 par al-Mu’tasim b. ar-Rashid).

[tentative de destitution de Iovannès…]

Après ces événements, l’Amir-Abad Ja’far (Al-Mutawakil b. ar-Rashid, 847-861) envoya en Arménie un Ostikan nommé Abu-Sa’d. Lorsque celui-ci arriva dans la province de Daron, il arrêta l’ishkhan Pagarad, le fit charger de fers et l’envoya à l’Amir-Abad. Pagarad souffrit ce traitement comme une punition et une vengeance légitime de sa conduite injuste envers le saint patriarche.

Cependant les habitants du mont Taurus rassemblèrent pour leur sûreté une belle armée dans une plaine ; et sans être exercés à l’art de la guerre ils fondirent subitement en masse sur les ennemis et tuèrent l’Ostikan Abou Sa’d : ce fut une espèce de vengeance de l’affront qu’on leur avait fait par l’arrestation de l’Ishkhan Pagarad. Après la mort d’Abou Sa’d, ses soldats s’enfuirent de tous les côtés, et allèrent retrouver l’Amir-Abad en déplorant leur défaite et leur malheur.

Dans le même temps une violente haine éclata entre Grigor Suphan, prince des Siounikhs, et Papgen, Nahapet de Sisagan. Ils rassemblèrent des troupes et en vinrent aux mains. Suphan fut tué par Papgen ; son fils Vasar, nommé aussi par amitié Pakur, succéda à la souveraineté de son père.

(Expédition Punitive de Bugha (Général Turc al-Mutawakil : 852-855 : tentative d’islamisation de l’Arménie)

Quand l’Amir-Abad apprit la mort de l’Ostikan Abu Sa’d, il rassembla aussitôt des troupes, forma une armée et réunit une grande quantité de cavalerie. Il en donna le commandement à un de ses serviteurs nommé Bugha, et le fit partir pour l’Arménie, lui ordonnant par-dessus tout de charger de fers les ishkhans du pays, les princes et tous ceux qui professaient l’état militaire ; de les lui envoyer ensuite, et de tuer ou détruire entièrement tous les cavaliers qui seraient trouvés avec des armes ou en mouvement. Il lui enjoignit aussi d’engager les plus distingués d’entre les Arméniens à embrasser la religion de Mahomet, et de les amener avec lui.

Cependant Bugha se mit en marche et entra dans la province de Daron ; il fondit avec la rapidité d’un éclair sur le pays, et fit très promptement prisonniers tous les princes. On envoya à ce général Ashod et David, fils du prisonnier Pagarad, avec tous les nobles, leurs vassaux ; on les chargea de fers. Après cela les troupes se répandirent de tous côtés pour piller : elles ravagèrent toutes les vallées du mont Taurus et trois provinces. Tous les habitants de l’intérieur de la montagne qui tombèrent au pouvoir de l’ennemi furent sans pitié passés au fil de l’épée et abandonnés sur la terre. On prit encore par trahison beaucoup de cavaliers du pays, qu’on livra au tranchant du glaive. On en fit aussi prisonniers un grand nombre, et on les conduisit au tyran, qui les fit traîner avec des cordes. Il y en eut beaucoup que l’on sépara des autres à cause de leur beauté, de leur jeunesse et de leurs agréments personnels, pour leur faire abandonner leur religion, et leur faire embrasser l’infidélité, selon les ordres de l’Amir-Abad. Quant à tous les autres qui restèrent, on donna ordre de les passer au fil de l’épée. On bouleversa de la même façon plusieurs autres provinces, et on rassembla un immense butin, après quoi on envoya à l’Amir-Abad l’ishkhan Aschod et son frère David, avec toute leur famille.

Bugha marcha ensuite du côté du Vasburagan. Le grand ishkhan Ashod, de la race des Ardzrunis, se prépara dors avec ses guerriers à combattre le tyran Bugha ; et ses nakharars en firent autant avec la même ardeur. Il se mit en marche et alla attaquer Bugha ; mais il fut presque aussitôt fait prisonnier avec tous ses soldats et ses parents. Bugha, après l’avoir tenu chargé de fers pendant plusieurs jours, l’envoya auprès de l’Amir-Abad, ainsi que sa femme et ses enfants. Il se rendit maître de toutes ses provinces, et ordonna qu’on lui amenât prisonniers tous les hommes de guerre qui avaient tiré l’épée ou qui s’étaient revêtus d’armes. Il se conduisit dans ce pays comme il s’était conduit dans celui de Daron. Il sépara les hommes qui avaient quelques qualités, et les livra à divers chefs pour les instruire ; il abandonna le reste à l’épée, et remplit tout le pays de sang. Lorsqu’il eut tout détruit et ravagé, il continua sa marche, et il agit de la même manière dans les environs de la métropole Tovin.

Le grand Sparapet d’Arménie, Sempad, voyant ces désastres et ayant eu connaissance de la proclamation que le dévastateur avait répandue dans la nation, préféra la mort à la vie. En conséquence, pour sauver son pays, il se rendit auprès de l’Ostikan, emportant avec lui une grande quantité de dons et de présents. Il fut reçu avec honneur par Bugha, qui remplit tous ses désirs et envoya des courriers au-devant de lui, sur toutes les routes par lesquelles on supposait qu’il pourrait passer. Sempad, par sa conduite très prudente, sut apaiser l’esprit du tyran et se concilier sa faveur : il devint son ami, et finit par obtenir que son titre de grand Sparapet serait reconnu. Après cela ils allèrent ensemble dans la ville de Tovin. Néanmoins on parcourut encore et on dévasta les provinces ; elles furent de nouveau tourmentées par le glaive des militaires et par les combats. Partout on gémissait sous le joug de fer des Arabes. Beaucoup d’Arméniens furent chargés de fers et amenés en cet état devant le tyran, et l’on fit un choix parmi eux tous comme on l’avait précédemment fait dans le pays de Daron et dans le Vasburagan. Quand ils furent en présence de Bugha, chargés de fers, il sépara ceux qui étaient remarquables par leur beauté, et les envoya prisonniers au loin, donnant sans pitié le reste pour aliment à l’épée. On les retint en prison, toujours chargés de fers, pour se rendre maître de leur esprit, et les porter à se soumettre à la communion de la religion de Mahomet.

Le tyran Bugha les ayant interrogés pour les engager à renier Jésus-Christ et à renoncer aux lois de leur culte, ils acceptèrent promptement comme vraie la détestable erreur qu’on leur présentait comme bonne ; ils se laissèrent dominer par le péché, et ils montrèrent qu’ils n’étaient pas dignes de souffrir des tourments temporels pour obtenir la gloire qui nous a été révélée.

[nouveaux martyrs….]

Cependant le grand patriarche Iovannès régla que l’on conserverait la mémoire du jour où ces saints s’étaient illustrés, et qu’on célébrerait une fête annuelle en l’honneur du martyre qu’ils avaient soutenu pour la gloire du Dieu tout-puissant : ce fut le vingt-cinq du mois de Meheki. Il y eut cependant plusieurs hommes qui n’eurent ni la force, ni le courage, ni la constance de soutenir le combat : abattus et languissants, ils embrassèrent l’infâme loi du tyran arabe, et renièrent la foi de Jésus-Christ, à cause de la colère des serviteurs de Satan. Leurs âmes seront précipitées dans les cendres de la fournaise. […]

Quand le tyran Bugha vit que tout réussissait au gré de ses désirs, il envoya des incendiaires pour prendre et pour lui amener Vasag, Ishkhan de Sisagan, et son frère Ashod. Beaucoup de princes et de gouverneurs se réfugièrent vers le fort imprenable de Paghkh, se rassemblèrent en cet endroit, et, par ce moyen, échappèrent aux oppresseurs. L’ishkhan Vasag se délivra des mains de ceux-ci par la force, et dirigea ses pas vers la province de Godaik’h. On en informa Bugha, qui aussitôt fit partir des troupes pour le prendre. Elles se mirent promptement à la poursuite de l’ishkhan. Les soldats et les hommes armés du tyran le suivirent de très près, et finirent même par l’environner de tous les côtés à la fois. Cependant l’ishkhan parvint à s’échapper, et s’enfuit du côté de l’est, dans la province de Gartman, auprès de l’ishkhan du pays, qui se nommait Gedridj. Vasag, au lieu de trouver dans cette province un lieu de refuge, y trouva des ennemis ; car l’ishkhan de Gartman le trahit, le prit, le chargea de fers, et l’envoya à Tovin pour être remis entre les mains de Bougha. Il croyait, en agissant ainsi, faire une action agréable au tyran. Celui-ci reçut Vasag et le retint prisonnier ; après quoi les troupes qu’il avait envoyées de tous côtés pour dévaster revinrent promptement, et lui amenèrent dans la ville de Tovin le frère de l’ishkhan, Aschod, avec la princesse leur mère, dont ces troupes s’étaient saisies.

Dans ce temps-là le grand patriarche Jean (Iouévannès), qui parcourait son diocèse, arriva dans la province de Gegharkurni et acheva le cours de sa vie : il mourut sur le grand et respectable monument religieux de sainte Gaiane, et on le déposa lui-même dans ce tombeau vénéré. Il avait occupé le siège patriarcal pendant 22 ans.

Cependant le tyran Bugha emmenant avec lui ses prisonniers, après les avoir chargés de fers, se mit en marche vers l’est, et envoya un message au grand Sparapet Sempad. Celui-ci partit promptement et vint se présenter à Bugha avec la plus grande rapidité ; mais auparavant il avait ordonné que l’on réunît une assemblée d’évêques dans le grand bourg d’Érazgavors : on éleva au patriarcat Zacharie (Zak’haria), du bourg de Dsag, dans la province de Godaïk’h ; et ce fut après s’être recommandé à ses prières que Sempad se rendit auprès du tyran Bugha. Dans le même temps, ce dernier alla prendre de force le grand ishkhan Adernersèh, qui habitait dans le fort de Khatchen ; il s’empara également de la personne de plusieurs de ses parents. De là il se rendit dans la province de Gartman., où il fit fortifier et environner d’une enceinte et d’un mur le fort de Gartman. Il prit, après cela, Gedridj, ishkhan de Gartman, le chargea de fers, et passa dans la province d’Oudie ; lorsqu’il fut dans le bourg de Dons, il prit Etienne (Stephannos), nommé aussi Kon, lequel était de la race appelée Sievkasievouertik’h. Il attira ensuite perfidement auprès de lui Isaïe (Iésaï), ishkhan des Albaniens, et le retint prisonnier avec plusieurs de ses parents ; il emmena encore avec lui plusieurs princes et ischkans de l’Albanie qu’il chargea de fers ; et il versa beaucoup de sang dans ce pays. Le tyran, traînant tranquillement à sa suite, tous les princes qu’on lui avait amenés prisonniers et qui étaient chargés de fers, se mit en route pour les conduire à la cour royale de l’Amir-Abad, ainsi que le Sparapet Sempad, à qui il fit croire que, s’il se montrait parfaitement d’accord avec lui, il serait comblé de grâces par l’Amir-Abad ; qu’il gouvernerait en souverain une grande partie de l’Arménie, et qu’il retournerait dans son pays après avoir reçu des présents et des honneurs royaux. Mais quand ils furent arrivés à la cour royale et que Sempad se trouva en présence de l’Amir-Abad, on l’assimila aux autres prisonniers, on le jeta en prison, et l’on oublia les services qu’il avait rendus. Quelques jours après on amena tous les princes et les ishkhans arméniens et albaniens pour leur faire subir un interrogatoire, pour les engager à embrasser l’infâme religion de Mahomet et à renier la foi de Jésus-Christ, leur promettant, s’ils le faisaient, de leur donner de riches présents et de grands honneurs, et de les renvoyer dans leurs maisons, dans le pays de leurs pères ; mais les menaçant, en cas de refus, de leur enlever la vie par de violents supplices, par les tourments et par une mort effroyable. En conséquence tous les jours on les exhortait à obéir, en les effrayant par l’appareil des plus terribles et des plus violents supplices, et l’on cherchait à prolonger la durée de leurs angoisses. Quelques-uns d’entre eux obéirent aux paroles royales et embrassèrent la religion des impies ; d’autres ne voulurent pas être immédiatement circoncis, et attendirent un moment favorable pour remplir les désirs de l’Amir-Abad.

XIV.

Le grand Sparapet Sempad, enflammé par la vérité, résista vaillamment au mensonge. […] Il se refusa constamment aux ordres qu’on lui donna pour abandonner tout à fait la foi chrétienne et renoncer à la faveur divine du baptême. Enfin on lui promit les plus grands présents s’il voulait embrasser la religion étrangère de l’impiété. On lui fit de semblables propositions, non seulement une fois ou deux, mais à plusieurs reprises, et toujours il donna avec courage des réponses négatives. Comme tout cela ne satisfaisait pas les désirs des infidèles, ils pensèrent dompter son esprit dépourvu de fraude, mais en déployant l’appareil des tourments. Par la faveur divine Sempad choisit la mort corporelle pour se délivrer de la mort éternelle de l’âme et mourir pour la foi. Il ne voulut pas se souiller en reniant la sainte religion de Jésus-Christ, et il fit le sacrifice de son corps. […]. Après lui son fils Aschod hérita de sa grande souveraineté.

Quant aux autres Ishkhans, il y en eut plusieurs qui restèrent fidèles et qui répondirent à l’appel de Dieu ; mais quelques-uns ne se révoltèrent pas contre la loi impie de Mahomet, parce qu’ils furent épouvantés et effrayés par la crainte d’une mort prompte ; il ne leur vint pas dans l’esprit de mériter une mort immortelle ; […] Seulement Etienne, qu’on appelait Kon dans le langage vulgaire, et qui avait été amené chargé de fers à la cour par Bugha, confessa le nom de Jésus-Christ au milieu des nombreux supplices par lesquels il fut éprouvé et tourmenté avec les autres nakharars arméniens. Il fut couronné par la lumière du père, et son nom écrit dans le livre de vie. Il mourut l’an 608 de l’ère des Romains.