Bertrandon de la Broquière, Edirne, Macédoine, Bulgarie, Serbie et retour en Flandres par Belgrade, Buda et Vienne, 1432

PLOVDIV-SOFIA-NISH-SERBIE:

Et tout ce que ledit esclave ordonnoit à nous faire baillier, il estoit obéi sans nulle difficulté. Et chevaulchasmes une journée le long de la rivyerc de la Maresche par très beau pays et passasmes ladite rivyere à un bac et puis alasmes une journée par boys, très beau chemin, et par la Grèce et puys entrasmes au pays de Macédoine.

 

Item, je chevaulchay par une très belle plaine qui est entre deux montaignes et court ladite Maresche de long et a bien 40 miles de large. Et trouvay en mon chemin environ 15 hommes qui estoient loyez de grosses chaînes par le col et bienx femmes qui nouvellement avoient esté prins au royaulme de Bossene à une course que les Turcz avoient taite et les menoient vendre deux Turcz à Andrenopoly ; et tantost après, je arrivay à Philipopoly qui est le chief de Macédoine et est ceste dicte ville en ceste belle plaine sur ladite rivyere de la Maresche et se passe là à ung pont et est en très bon pays et bien fertile de tous vivres et bons et à bon marchié’. Ce fu jadis une bien grant ville et est encoires et y avoit ung très bcau chastel sur une montaigne qui est emmy celle plaine et estoit fait ung pou en manière d’un croissant, long et estroit. Et au bout, vers le midi, estoit la maison dudit roy ainsi qu’il me fu monstre, car les murs y sont encoires, car il a esté tout rué jus et le grand chastel aussi et si a deux autrès montaignes ung pou plus grant que celle là où estoit ledit chastel, en l’autre bout, ung pou plus bas que le midi, et est peuplé ung pou selon la montaigne qui estoit, par samblant,très grande chose: et est peuplée ceste dicte ville en grande partie de Vulgaires qui tiennent la loy greguesque.

 

Et quant je party de Philipopoly, je passay ladite rivyere de la Maresche à ung pont et chevaulchay encoires au long de ladite champaigne presque une journée, jusques au pié d’une montaigne et me logeay en ung villaige qui est sur ladite montaigne là où est une grant forcst. Et pour ce qu’elle souloit estre moult dangereuse à passer, pour larrons et murdriers qui y demouroient, le Turc a fait une ordonnance que tous ceulx qui la vouldroient habiter fussent francz. Et par ceste raison, il y a maintenant deux villaiges habités de gens de Vulgairie ; de quoy l’ung desditz villages est sur les confins de la Macédoine et de Vulgairie. Etest ladite montaigne bien aysiée à passer, et a bien 16 ou 20 miles de long.

 

Quant j’eus passé ladite montaigne, j’entray en une plaine qui a bien vi miles de long et deux de large.

Et après, trouvay une forest de bien 14 ou 15 miles de long, et est très belle, et puys,entray en une très belle plaine et grande et toute close de haultes montaignes et est assés bien peuplée de Vulgaires et y passay une rivyere de long.

 

En après, je vins à une grosse ville en trois jours qui est la millieure de Vulgairie et a nom Sophie et fu jadis une très grande ville ainsi qu’il appert par la muraille qui est toute abatue jusques à terre et fu toute destruicte ; et a ceste ville ung petit chastel qui est en ung très beau pays et est près de la montaigne devers midi et dure bien ceste plaine environ 60 miles de long et environ 10 de large.

Et sont en ceste dite ville, la plus grant partie Vulgaires et par les villages, on ne treuve que ung pou de Turcz, que tous ne soient des gens dudit pays qui ont grant voulente d’estre hors de servage, s’ilz trouvoient qui les aidast.

 

Je veis des Turcz qui venoient défaire une course en Honguerie. Et je veis ung Jennevois nommé Nicolas Ciba, lequel les vit revenir quant ilz passèrent la Dunoe, et dit que de 10 l’ung n’avoit arc et espée ensamblc, et de ceulx que je veys, j’en veys la pluspart sans arc, qui avoient leur espée seullcment et plus que de ceulx qui portassent arc et espée. Et les mieulx habilliez portent une petite targe de bois et me samble que c’est grant pitié que la Crestienté soit soubzmise par telles gens, et est moins de chose beaucop que l’on ne cuide d’eulx et de leur fait.

 

Item, quant je me party de Sophie, je chevaulchay par celle plaine que j’ay dit, qui dure bien l miles, et est celluy pavs bien peuplé de Vulgaires qui sont Crestiens à la lov greguesque, et puis, j’entray en un pavs de montaignes qui est bel et aysié a chevaulchier et vins en une autre plaine ou il y a une ville nommée Pirotte qui est assise sur une rivyere qui a nom Nissave, et n’est point fermée, mais il y a ung chastel à ung bout qui a ladite nvyere d’une part et un grant marescaigc de l’autre et est asses petite place prés d’une montaigne vers la tramomane, et n’a en ladite ville que ung pou de Turcz.

 

Item au partir de ladite ville de Pirotte, je passay encoires ung pou de montaigne et revins arrière sur ladite rivyere qui court au long d’une belle plaine qui est entre deux assés haultes montaignes. Il y a une ville qui siet au pié de la montaigne laquelle a esté toute destruicte et les murs abatus et a nom Ysmoure et chevaulchay ung pou par icelle plaine, selon ladite rivyere, et passay une assés haulte montaigne ung pou mal aysiée à passer, non obstant on

y maine chars et charettes.

 

Item, quand j’eus passé ladite montaigne, je descendis en ung beau pays qui est entre montaignes et court au long ladite rivyere de Nissave et a une ville nommée Nisce, laquelle est sur ladite rivvere qui se passe là à ung pont et souloit estre ceste dite ville au dispot de Servie. Et depuis 5 ans le Turc l’a prise par force et l’a toute destruicte et est en ung très beau pays et y croist moult de ris. En ceste ville, souloit avoir ung beau chastel par avant et estoit sur ladite rivvere. Et quant je party de Nisce, je chevaulchay par très beau pays, selon ladite rivyere, et passay ladite rivyere à un bac, et trouvay encoires très beau pays et plain et bien peuplé de gens et de villaiges. Et puis laissay ladite rivyere et celluy plain pays et passay une bien grande forest qui est en pays de montaignes non pas grandes ne mal aysiées à passer, que de boys. Et vins en une ville que l’on nomme Corsebech et furent 10 journées depuis Andrenopoly. Ceste dite ville est à un mile prés de la rivyere de la Morave qui vient de Bossene et est une grosse rivyere qui départ la Vulgairie et la Rascie ou Servie, qui est une mesme chose. Et la conquist le Turc depuis 6 ans, et est ceste ville petite et très bien fermée de double muraille, laquelle est abatue par dessus, selon les creneaulx, et si y avoit ung petit chastel lequel est maintenant abatu : et estoit en ceste ville de Corsebech le capitaine de celle frontière qui tient depuis la Walaquie jusques en Esclavonie qui est bien grant pays et a nom cedit capitaine Ceynann bay lequel est seigneur de la plus grant partie de toute celle contrée et demeure le plus du temps en celle ville où je veys une grant pitié d’une très belle gentile femme du royaulme de Honguerie laquelle ung Hongre renié de bas estât avoit gaigniée en une course en Honguerie et la tenoit comme sa femme. Et quant elle nous vist, elle se print à plourer moult piteusement, et n’avoit point encoires renié nostre foy. Et m’a l’en dit que cestuy Ceynann bay a esté Grec et est homme saige et ne boit point de vin ainsi que font les autres, et luy a donné le Turc toute celle contrée, et ne laisse passer nul ladite rivyere s’il n’est homme de cognoissance ou qu’il aye lettre du Turc ou du seigneur de la Grèce en son absence, et est homme bien obey et craint. Et m’a l’en dit qu’il est vaillant homme.

 

Item, au partir de ceste ville de Corsebech, je passay ladite rivyere de la Morave à ung bac et entrayen la terre du dispot de Rascie ou de Servie. Et ce qui est du costé de delà la rivyere c’est au Turc, et ce qui est du costé de dechà est audit dispot lequel en paye 50 000 ducatz de tribut tous les ans. Et quant je fus passé oultre ladite rivyere, je trouvay ung très beau pays et bien peuplé de gens et passay auprès d’ung chastcl que l’on nomme Estalache et fu jadis une très forte place et belle sur la pointe d’une montaigne là où la rivyere de la Nissave entre dedans la Morave et sont encoires une partie des murs drois et il y a une grosse tour à guise d’un donjon et autre chose n’y a, car tout est abatu et souloit estre audit dispot.

 

Item, il y a au pié de ceste montaigne là où ces rivyeres s’assamblent de 4 à c fustes que le Turc y tient c’est assavoir galiotes et griperies pour passer chevaulx et son ost ; et les fait garder en tous temps par trois cens hommes, lesquels les gardent de deux mois en deux mois, ainsi que le m’a dit personne creable qui a tout veu et je ne les ay point veu, car ilz ne souffrent que nul Crestien y voit.

 

Et a bien dudit Estalache jusques à la Dunoe 100 milles et n’y a nulles forteresses que ung villaige et une maison que ledit Ceynann bay a faite ainsi que une musquée qui est le contremont de la montaigne.

 

Item, de là je chevaulchay par ung très beau pays et très bien peuplé et selon ladite rivyere de la Morave, et trouvay ung passage moult mal aysié à passer pour la perfonde boe qui y est et est la rivyere d’une part et une petite montaigne de l’autre, et dure bien ? mille.

 

Item, en après, je chevaulchay une journée en assés mauvais pays, c’est assavoir d’une grande forest et mal aysié chemin de boys, de montées et de vallées; mais par samblant de pays de boys et de montaignes, il est très bien peuplé de villaiges et est très bel : et tienne l’en ce qui est de nécessité par tout celluy pays de Rascie ou Servie qui est tout ung.

 

Item, depuis que j’entray audit pays de Macedonie, de Vulgairie et de Rascie, je trouvay que le Turc faisoit crier son ost, c’est assavoir que ceulx qui ont accoustumé de aler en l’armée, qu’ilz fussent pretz. Et logasmes en aucuns lieux où trouvasmes des Vulgaires qui sont Crestiens qui nous dirent que ceulx qui tenoient cheval pour aler en l’armée qu’ilz ne payoient point de comarch et se aident moult de ces gens pour accroistre leur nombre, lesquels y vont par force et les autrès paient l aspres par teste.

Et m’a esté dit qu’il y a ung capitaine nommé Disem bay lequel a la garde de la frontière depuis le confin de Walaquic jusqucs à la mer Maiour et Ceynann bay depuis celluy confin jusques au confin de Bossene, et Ysaach bay depuis là jusques en Esclavonie et tout est par de là la Morave. Et ceci m’a esté dit en Rascie depuis que je fus venu en la court du dispot : pour ceste cause, je ne l’avois point escript.

 

Et pour revenir à mon chemin je vins à une ville nommée Nicodemie qui est une ville champestre en très beau pays et bon. Et se tient ledit dispot de Rascie en ceste dite ville pour ce qu’elle est en très beau déduit de boys et de rivyeres pour toutes chaces et pour toutes voleries. Et trouvasmes ledit seigneur aux champs qui aloit pour veoir voler sur la rivyere et avoit avecques luy 3 de ses enffans et environ 50 chevaulx et ung Turc qui l’estoit venu mander de par le Grant Turc qu’il envoiast son fils et ses gens à l’armée ainsi qu’il a accoustumé. Car oultre le tribut qu’il paye, il doit envoyer quant le Turc le mande, son fils second et 1000 ou 800 chevaulx en sacompaignie ; et avecques cela, il luy a donné une de ses filles à femme et encoires est ung doubte qu’il ne luy tou e tout son pays; et me fu dit que aucuns l’ont dit au Turc, et il a respondu qu’il en a plus de chevaulx que s’il estoit en sa main, car il fauldroit qu’il le donnast à ung de ses esclaves, et n’en auroit riens. Et me fu dist aussi que ceste armée que le Turc faisoit estoit pour aller en Albanie pour ce que les 10 000 qu’il y avoit envoyé, luy estant à Lesseres, avoient esté desconfis, ce disoit-on.

 

Ce seigneur dispot est de l’aage de 58 à 60 ans et est très beau prince et grande personne et a trois enfans masles et deux filles, dont l’une est mariée au Turc et l’autre au conte de Seil et sont ses enfans très beaux, et l’ainsné puet avoir 20 ans ; les autrès, deux, l’ung 16, l’autre 14; les filles, je ne sçay quelles elles sont. Et quant ledit ambaxadeur avecques qui j’estovs luy fist la révérence aux champs, il luy baisa la main, et moy aussi je luy baisay la main, car la coustume est telle. Et lendemain, ala le dessus dit ambaxadeur en sa court pour luy faire la révérence, et je y fus avecques luy et assés de gens des siens qui sont moult belles gens et grans et portent longz cheveulx et grant barbe, car ils tiennent tous la loy greguesque. Et veys en ccste dite ville ung evesque et ung maistre en théologie qui aloient en ambaxade devers l’empereur de Constantinoble de par le sainct Consille de Basle. Et en après, je vins à une ville que l’en nomme Belgrade laquelle est au roy de Honguerie et passay de moult iirans bovs et tout montées et vallées, et en ces vallées a grant foison de villaiges et bons vivres et par especial bons vins. Et vins de Corscbech à Nicodem en deux jours et de là à Belgrado en ung et demi. Ccste ville et chastel de Belgrado est en Rascie et est en très beau pays et y passe une très grosse rivyere que l’on nomme la Save qui vient de Bossene et court selon les murs de l’une partie et la Dunoe touche aucunement près d’une forte basse court qui est au pié du chastel et là entre ceste dicte rivyere de la Save dedans la Dunoe. Et est ceste ville de Belgrado sur ceste pointe de ces deux rivyeres et est en assés hault lieu de trois pars : et l’autre qui est devers le pays est tout plain et pucton venir jusques sur le bort du fossé et y a ung villaige de celle part qui tient depuis la rivyere de la Dunoe jusques à celle de la Save, en tournant la ville à ungtraict d’arc près. Et est habité de gens du pays Rasciens auquel villaige je ouys la messe le jour de Pasques en langaige esclavonien et estoit de l’obéissance de Romme, et leurs cerimonies de l’église sont telles que les nostrès. Cette dite place est très belle et forte et est partie en y forteresses. Les trois en ce hault que j’ay dit et les deux sur la rivyere en la subgection de celles d’en hault : et l’une des deux d’en bas est fortefiée contre l’autre, en laquelle a ung petit havre pour mettre XV ou XX galées pour la garde de deux tours où il y aune chaîne de l’une à l’autre, ainsi que on m’a dit, car la rivycre estoit si grande que n’ay peu veoir ladicte chaîne. Geste dite place est très forte de très beaux fossés tous glacissez et à double muraille, très belle et bien tourée tout autour selon la terre.

 

Le capitaine deceste place est ung chevalier de Aragouse que l’on nomme Messire Mathico et est lieutenant ung sien frerc, nommé le seigneur frère. Et n’entre en ceste place nul Rascien puisqu’elle est en la main du roy de Honguerie, lequel l’a eu du dispot de Rascie dcpuis 4 anspour doubte qu’il ne la perdist, ainsi qu’il fist Coulumbach qui fu grant dommaige pour les Crestiens. Et est encoires autant ou plus de ceste place, car il y a logis pour mettre y ou vr chevaulx. I:tm’a l’en dit que ceste ville et forteresse est très bien garnie d’artillerie. Touteffois j’ay veu dedans celle citadelc que j’ay dit nii bombardes de metail, dont les deux sont de deux pièces. Et l’une est la plus grosse que je veisse oncques et a xLii poulces de large dedans où la pierre entre, mais à mon advis, elle est bien courte selon sa grandeur.

 

Item, je veys vi galces et y galiotes qui estoient là sur la rivyere de la Save, auprès de ceste basse court que j’ay dit, en laquelle demeurent la plus grant partie des gens de Rascie et n’entrent point en nulle des autrès un forteresses, non obstant qu’elle est bien forte, mais non mie si très forte que les autrès sont. Et m’ont dit gens qui le sçavent bien que le dispot a une ville que l’on nomme Nyeuberghe qui est sur la rivyere de la Morave sur la marche de Vul

gairie et de l’Esclavonie et d’Albanie et de Bossene.

1-t en ceste ville a mine d’or et d’argent tout cnsamble, et en tire tous les ans plus de if mille ducatz, et se n’estoit cela, je tiens qu’ils fust ores chacié hors de son pays de Rascie’.

 

Le Turc tient sur la Dunoe ledit chastel de Coulumbach lequel fu audit dispot qui est deux journées au dessus de Belgrado et m’a l’en dit qu’il est forte place, mais il se peut très bien assiéger et batrc de bombardes et d’autrès engins et garder qu’il ne porroit avoir secours que à très grant desadvantage. Et en ce chastel tient le Turc bien cent fustes pour passer en Honguerie quant bon luy samble, car nul ne luy résiste à l’encontre. Et en est capitaine celuy Ceynnan bay que j’ay dit cy devant. Et de l’autre part de la Save, à l’opposite de Belgrado, a une ville et chastel sur une pointe sur la Dunoe et est audit dispot de Rascie et est en Honguerie et luy a donné l’empereur ensamble plusieurs autrès villes jusques au nombre de 50 000 ducatz de revenue, par ainsi qu’il est tenu de devenir son homme. Touteffois,il est plus obéissant au Turc qu’à l’empereur.

 

BELGRADE

 

Le II*-‘ jour depuis que je fus arrivé enceste ville de Belgrado, je veis venir environ 25 hommes armez selon la guise du pays pour demourer en garnison en ladite ville de par le conte Matico lequel en avoit le gouvernement. Je demanday quelz gens c’estoient et on me dist que c’estoient Alemans ; lors, je demanday pourquoy on faisoit venir les Alemans qui sont si lomg et se on ne trouvoit point des gens de Honguerie ou de Servie pour garder ladite place.

 

Il me fu dit au regart de ceulx de Servie, on ne les laisseroit point y entrer, pour ce qu’ilz sont subgectz obeissans et tributaires au Turc; et les Hongres, les craignent et doubtcnt tant, que si le Turc venoit devant, ils n’oseroient garder ladite place contre luy à tout sa puissance : pour ceste cause, on commet gens estrangiers à la garder, car l’empereur ne tient nulle autre place oultre la Dunoe pour passer ou se retraire, si mestier estoit.

 

Et quant je ouys cecy, il me samblaune chose bien merveilleuse et me souvint de la grant subgection en quoy le Turc tient l’empereur de Constantinoble et tous les Grecz Macédoniens et Vulgaires et aussi le dispot de Rascie et tous ses subgectz, qui est une chose moult piteuse à toute la Crestienté.

 

Et pour ce que j’ay ung peu hanté les Turcz et veu leur manière de faire, tant en leur façon de vivre que en leurs habillemens de guerre, et aussi que j’ay ouy parler de notables gens qui les ont veuz en leurs grans affaires, je me suis enhardy, saulve la correction de ceulx qui se congnoissent en ceste chose mieulx que je ne fais, d’en parler ung pou selon mon entendement. Et principalement pour ce qu’ilz ont eu autreffois de grans victoires sur les Crestiens, les manières qu’il faudroit tenir pour les rompre et deffaire en bataille, et avecques quelles gens, et gaignier leurs seigneuries.

 

Et pour parler premièrement de leur estât : Ilz sont gens moyens et de moyenne force et assés belles gens et portent tous grans barbes; et pour ce que on dist en commun langaige : Il est fort comme ung Turc, j’ay veu trop sans comparison des Crestiens plus fors que eulx pour (ahc des choses de force, et j’en ay trouvé plus de plus foibles quemoy que je n’ay vu de plus fors, quant venoit à faire quelque chose. Hz sont gens diligens et se leevcnt tousiours matin, et sont de petite despence quant ilz sont aux champs, et vivent de pou de chose, comme ung pou de pain mal cuit, et de char crue ung pou sechiée au soleil ou de lait quaillié ou autre et du miel ou frommage ou raisins ou fruictz ou herbes ; ou d’une poignié de farine ilz font une brouée pour vivre eulx vi ou eulx viii, pour ung jour.

 

Se ung de leurs chevaulx ou camelz est ung pou malade de vives ou d’autre chose qu’ilz ne le puissent guérir, incontinent ilz luy coppent la gorge et le mengent. Et ainsi leur ay je veu faire aucunes fois. Hz couchent à terre; ilz portent deux ou trois robes de cottonin l’une sur l’autre, longues jusques au pié. Et portent une robe de feutre en guise d’ung mantcaul qu’ilz appellent capinat et est legiere et forte contre la pluye. Et y en a de moult beaux et fins, comme on diroit ungfin drap contre ung bureau.

 

Et portent des bottes jusques aux genoulx et ont grandes braves, les aucuns de veloux, les autrès de fustenne ou de leurs autrès drapz là où ilz enveiopent toutes leurs robes par dessoubz qu’elles ne les empeschent pointen fait de leur guerre ou au chemin, quant ilz ont affaire, et s’en habillent très bien.

 

Hz ont de moult bons chevaulx qui sont grans coureurs et longuement et les tiennent fort maigres et sont de petite despense et ne mengent que la nuyt et ne leur donnent que environ y ou vi joinctées d’orge et deux foys autant de paille piccadée et mettent tout en une besache et leur pendent aux oreilles pour mettre le museau dedans.

 

Dès le point du jour, ilz leur mettent la bride en la bouche et les nectoient et estrillent très bien et ne boivent qu’il ne soit le midi passé et après leur donnent h boire à toutes heures, quant ilz tiennent de l’eaue. Et encoires le soir, ilz se loigent voulcntiers de bonne heure et sur rivvere s’ilz peuvent bonnement et donnent à boire à leurs chevaulx et les tont dcmourer une heure la bride en la bouche comme une mule, sans leur donner à menger. Et à une heure, tous ensamble, chascun donne à menger à son cheval, lesquelz aussi ilz coeuvrent de nuyt de feutre ou d’autrès belles couvertures qu’ilz portent avec eulx.Et pareillement ai je veu de leurs lévriers couvcrs, desquelx ilz ont de très beaulx et bons. fors qu’ilz ont longues oreilles pcndans et grandes queues feuillies et la portent bel. Leurs chevaulx sont tous chastrez, fors aucuns qu’ilz gardent pour estalons, comme je croy, car je n’en ay nulz veus. Hz portent brides à la jenette et les selles sambhblement. Hz n ont que ung archon devant et ung derrière et sont parfons. Ils ont des selles moult riches et ont larges estriers et courtes estrivieres.

 

Et au regart de leurs habillcmens de guerre, je me suis trouvé deux foys là où les Grecz renioient la foy de Jhesucrist pour prendre celle de Mahomet, de quov ilz font grant feste, et se habillent, en armes le mieulx qu’ilz peuvent et chevaulchent parmy les villes en assés grant compaignie et grant nombre de gens. Et les ay veu porter des brigandines assés belles de plus menue escaille que celles que nous portons et des garde-bras de mesme, et sont de la façon que on voit en peintures du temps de Julie César et sont de la longueur jusques auprès de la demie cuisse et au bout atachent des draps de soye tout autour qui va jusques à demie jambe; et portent en la teste blanc harnoys tout rond selon la teste, en aguisant le contremont d’un demi pié de hault au plus, et y avoit nii clinques, une devant et une derrière et une à chascun costé, qui couvroient le col, les joes et le visage devant contre ung coup d’espée, ainsi qu’on en porte une aux salades en Erance et se ployoit pour mettre dessus ung de leurs chappcaulx ou sur une toque et de cela n’ay je guieresveu. 11 y a d’autrès habillemens qu’ilz portent communément sur leur teste et sur leurs chapeaulx et sur leurs toques et sont coiffes faictes de fil d’archal desquelles il y a de moult riches telles qui costent XL ou L ducats et y a de l’or beaucop et y en a de telles qui ne costent que ung ducatz ou deux et sont fortes contre ung coup d’espée de taille et les autrès sont beaucop plus fortes. Je les ay veus aux champs en armes et pour ce que j’avoye ouy dire qu’ils s’armoient de blanc harnoys, je y prins garde, mais je n’en vcys nuls : aussi ne me sambly point qu’ilz s’en sceussent ne peusscnt bonnement aidier. Hz ne portent nulz pourpoins ne nulles chances ne autre habillement qui puisse à ce servir.

 

Leurs selles sont telles comme j’ay dit, et sont assiz dedans à courtz estriers comme en une chayere et les genoulx bien haultz, et ne pourroient si peu estre rencontrez d’une lance que on ne les portast jus. Et aussi comme j’ay entendu, ne eulx ne leurs leurs chevaulx, combien qu’ils en ont de bons, ne pourroient endurer les grans traictes qu’ilz font aucunes foys, quant aucune grant affaire leur survient.

 

Il m’a esté dit par ceulxqui les ont veus et hantez, que quant les Crestiens font et ont fait grans armées pour venir en leur pays, le Turc le scet tousiours assés à temps pour faire son assamblée, laquelle il fait à deux ou à trois journées de là où il vouldra aler combatre les Crestiens. Et quant il est prest et qu’il scet leur venue et où il/ sont, car il a gens proprès à ce taire, il part soudainement et a une manière de parlement que cent hommes d’armes des Crestiens feront plus de bruyt à un parlement d’un logis que ne feront x” Turcz et ne font que sonner un gros tabour, et cculx qui doivent partir se mettent les premiers et tout le demourant à la file, sans rompre le train. Et ont, comme dit est, les chevaulx bons à ce faire. Ils sont legierement armez et, en une nuyt, ilz font autant de chemin ou plus qu’ilz feront en trois jours, en alant ainsi qu’ilz vont. Car combien qu’ilz font grandes journées, s’il ne leur est de nécessité, ilz ne vont jamais que le pas.

 

Ainsi que nous desirons les chevaulx qui trotent bien et aysié, ilz désirent les chevaulx qui vont grant pas et qui courent longuement. C’est la cause pourquoy je diz qu’ilz ne pourroient porter le harnoys blanc comme on fait en France ou en Lombardie.

Mais quant ilz ont affaire, chascun qui a de quoy porte l’arc et le tarquais et une espée dont ilz ont de bonnes et une mâche grosse sur le rond, de plusieurs quarrés à court manche qui est un périlleux baston quant il assené sur les espaules ung homme desarmé ou sur les bras et je croy que qui en pourroit ferir à son aise, il estourdiroit ung homme en une salade. Les pluseurs portent de petis pavais de boys de quoy ilz se couvrent très bien à cheval en tirant de l’arc, de quoy ilz se sçavent bien tousaidier, au moins ceulx que j’ay veus et le m’ont dit ceulx qui les ont plus hantez que moy. Hz sont gens très-obeissans à leur seigneur et n’est nul si grant soit il que, pour sa vie, osast très passer son commandement. Et je croy que c’est une des choses qui luy a fait faire de plus grandes exécutions et conquestes en fait de guerre, de quoy il a fait plus beaucop que ne monte le royaulme Je France en grandeur, qui est grant pitié à veoir. Il m’a esté dit et conté la manière que ce Turc et ses prédécesseurs ont tenu au fait des batailles par quoy il a tousiours desconfi les Crestiens. Et mcsmc, quant ilz desconfirent l’empereur Sigcmond et Monsieur le duc Jehan que Dieu veuille pardonner, ils firent la diligence telle que j’ay dit cy devant. Et samblablement firent ik dernièrement quant ils desconfirent ledit empereur devant Coulumbach là où Messire Advis, chevalier de Poulaine, moru comme dit est.

 

Quant ilz viennent es lieux et places où ils veullent combattre, ils ont une manière de faire. Hz se mettent en pluseurs batailles, selon ce qu’ilz sont de gens et s’ ilz sont en pays de bois ou de montaignes, pour ce qu’ilz se treuvcnt tousiours en grant nombre, ilz fant une manière d’embusche et envoient gens expers à ce et bien montez, car ilz sont legicrs, et quant ilz ont trcuvé les Crestiens mal à point, ijz congnoissent bien leur party et le sçavcnt prendre. Et s’ilz les treuvent en bataille en bonne ordonnance, ilz vont courant au loing des batailles aussi loing que leoars flesches peuvent venir ded.ms la hatailk des Ciiesti.exis, soit aux gens, soit aux chevaulx. Et cela font ilz tant et si longuement qu’il a fallu que par force et par tanance, ilz aient mis du desroy; et incontinent que on fait sambkint de les chacier qui ne seroit que le quart moins de gens qu’ik ne sont au plus, incontinent ilz fuyent et se départent. Et quant on lésa volu chacier, ainsi qu’ilz fuyent tousiours, ontdesconfî les Crestiens et est à doubter que cncoires feissent que ainsi le feroit, car ilz ont une manière de faire que, en fuyant, ilz tirent très bien de l’arc et ne fauldront point d’attaindre les gens ou les chevaulx. Et puis, chascun porte ung tabolzan attachié à l’arçon de la selle, et s’ilz voient que ceulx qui les chacent soient en desroy, celluy ou ceulx qui les conduisent commencent à sonner trois coupz : chascun sonne le sien et à coup se rassamblent comme pourceaulx au cry l’un de l’autre.

Et s’ilz les tiennent en desroy, ilz le sçavent bien recepvoir. Et se par adventure, ilz chacent en arroy et tous ensamble, et viennent jusques là où est la grosse route, lesquelz sont en plusieurs batailles, ilz leur courentsus de toutes pars. Et se, en ceste manière, ilz ne peuvent mettre les Crestiens en desroy, on to’a dit qu’ik ont une autre manière de faire, c’est assavoir qu’ilz se viennent présenter à grant puissance devant les batailles des Crestiens et ont pluseurs manières de jetter feus pour espoventerles chevaulx, ou mainent descoraelz ou dromadaires en grant nombre desquelz y en a de fiers et de hardis.

Et les chacent et font approchier le plus près qu’ilz pevent deschevauk des Crestiens pour les espoventer et mettre en desroy. Ce sont les manières que on m’a dit qu’ilz ont tousiours tenu quant ilz ont eu affaire aux Crestiens. Et combien qu’ilz soient aucunesfois en grant nombre comme de c ou vi”” ou de 11= mil, se ne sont ilz point la plus part habilliez, comme j’ay dit, de tarquais, de coiffe, de mâche et d’espée, et seront la plus part à pié. Et en y a de telz qui n’ont que une grosse machue; et de ceulx qui auront le tarquais qui n’auront point d’espée, et si en y a qui n’auront point de tarquais. 11 y a aussi, comme j’ay dit par avant, beaucop de Crestiens qui par force servent le Turc comme Grecz, Vulgaires, Macédoniens, Albanois, Esclavons, Rasciens et de Servie subjectz au dispot de Rascie et Wallaques, lesquelz, comme il m’a esté dit, s’ilz veoyent les Crestiens et par especial les François en grant puissance contre le Turc, ce seroient ceulx qui luy porteroicnt plus de dommaige et luy tourneroient le dos, car il les tient en grant servitude : et n’en sont point les Turcz, à mon entendement, tant à craindre ne à redoubler que j’ay autreffois ouy dire et que

J’eusse cuidié combien que je ne les vueil pas blasmer, car je les av trouvé franches gens et loyaulx.JEt croy et appert que là où ilz se sont trouvez, ilz ont fait vaillamment jusques icy. Mais il me samble que à gens de bon gouvernement, il ne scroit point chose forte ne difficile à les rompre et desconfire veu qu”ilz vont desarmez. Et me samble que je oseroys bien estre avecq la moitié et moins beaucop de gens qu’ilz ne sont pour les combatrc, mais qu’il y eust ung prince bien obey et qu’il voulsist faire par le conseil de ceulx qui congnoissent leur manière de faire. Car en m’a dit que derrainement qu’ilz combatoient l’empereur Sigemond, s’il eust voulu croire, il ne luy estoit nul besoin de abandonner sa place. Car il avoit avecq luy xxv ou xxx Hongres et n’avoit que 11*^ arbalestriers Lombars et Jennevois qui entretindrent les Turcz jusques à ce que ledit empereur fu entré en ses galécs qu’il avoit sur la Dunoe. Et les vi” Wallaques ensamble le chevalier de Poulaine que j’ay cy dessus nommé s’estoient mis sur une petite montaignette à part ung pou loing de ceux de l’empereur, et là furent tous tailliés en pièces. Et pour ce que j’ay ung pou veu et ouy parler des choses dessusdites et ne sçay se cy après aucun prince ou autre avoit voulenté d’entreprendre laconqueste de la Grèce, et aler plus avant semestier estoit, j’en parleray selon mon entendement et prie que se je dis mal ou chose qui desplaise à aucun, qu’il me soit pardonné et que on la ticngne pour non dicte. Il me samble que si ung prince crestien se vouloit mettre sus, il fauldroit premièrement disposer que la conqueste qu’il vouldroit faire seroit en l’onneur et révérence de Dieu et pourroit tant de âmes qui sont en voye de pcrdicion mettre en voye de salut, et non pas pour la loenge ne pour la vaine gloire de ce monde; et devroit quérir gens de congnoissance et de bonne voulenté et qu’ilz ne feussent point pilleurs, et trouvast manière de les payer, et me samble que une telle chose se devroit faire par l’ayde et moyen de Xostre Sainct Père. Et par especial, que jusques au pays où on trouveroit le Turc et sa puissance, on ne prinst riens sans payer, car chascun peut penser que nul n’est content quant on luy prent le sien et autrès fois en est mesadvenu à ceulx qui ainsi l’ont fait, comme j’ay ouy dire de cecy, je me attens aux princes et à messeigneurs de leur conseil. Et mearreste aux gens qu’il me samble qu’ilz seroient propices avec lesquelz je vouldroys bien estre pour entreprendre ladite conqueste, c’est assavoir des gens d’armes de Erance et de trait, archiers et arbalcstriers , au plus grant nombre que on en pourroit tenir de telz, comme j’ay dit cy devant.

 

Item, mil hommes d’armes et x*’ archiers d’Angleterre,

 

Item, le plus grant nombre que on pourroit tirer des nobles hommes d’Allemaigneet de leurs crennequiniers à pié et à cheval. Et se ces trois nations se pouvoient trouver bien unies jusques au nombre de XV ou XX” hommes de trait, archiers et crcnnequiniers, je vouldroys bien que Dieu me fist la grâce pour estre avecqeulx. Et se pourroit très bien servir et se les pourroit on bien mener aussi ii ou in’^ ribaudequins sur roes, lesquelz on meneroit bien de Bclgrado jusques à Constantinoblc. Et pour ce que j’ay parlé d’estrc armé legierement, il me samble que le plus legier blanc harnois ou brigandines, ce seroit le millieur et salades à visière ung pou large, et des banieres et le harnois de jambe legier, car le traict des Turcz, comme on peut sçavoir, n’est point fort, combien qu’il y ait de fors arcz. Hz sont courtz, comme on scet, et leur traict est court aussi et délié et se boute le fer dedans le bois et ne pourroit souffrir grant coup. Et me samble qu’il ne puet mal faire, s’il ne atteint à descouvert et, en nécessité, nos archierz se pourront bien aidier de leur traict, mais les leurs ne se pourroient aidier du nostre pour les coches qui sont trop estroictes et les cordes de leurs arcz sont trop grosses qui sont de ners. Et ne tirent point leurs archierz à beaucop prés que font les nostrès, mais à tirer de prés, il va tost et se sont justes et soubdains. Pour ceste cause, je dis que le blanc harnois legier ou brigandines me samble le millieur. Car ilz ont des arcz et du traict que je cuide qu’ilz fausseroient ung haubergeon.

 

Et me samble que les gens d’armes qui vouldroient estrc à cheval devroicnt avoir legieres lances et les fers trenchans, espées roides et trenchans et seroient bien seans petites hachetes à une main. Et ceulxqui seroient à pié auroient guisarmes ou bons espieux trenchans et que chascun eust les mains armées; et au regart de moy, je auroye aussi cher des ganteletz que on fait en Allemaigne de cuyr boully que d’autrès. Et me samble que qui auroit place large et convenable pour combatre tout ensamble, que on ne devroit faire que une bataille, et que on fist de l’avant garde et de l’arriére garde les eles et que les gens de traict fussent entrelardés parmy, selon ce que on en auroit, qui n’en vouldroit mettre aucuns dehors pour escarmouchier, mais non point nuls hommes d’armes, et qu’il leur fust défendu sur peine de la hart de les chachier; et que on mist les ribaudequinsjous clers semez devant la bataille, et le plus sur les eles pour ce que j’ay ouy dire que quant les Turcz se assamblent pour combatre, ilz sont tousiours en grant nombre, plus bcaucopque ne le sont les Crestiens. Et c’est là où ilz prennent leur hardement et font pluseurs batailles. Et affin qu’ilz ne commenchassent aux deboutz, me samble il que on doibt mettre le plus desditz ribaudequins car s’ilz povoient une foys entrer dedans, ilz sont si grant nombre que ce seroit une grâce de Dieu s’ilz ne venoient au dessus de leur affaire, pour ce qu’ilz sui- vent tous l’un l’autre, de quoy ilz sont d’ung très grant encombrement. Pour ceste cause, me samble il qu’on se doibt entretenir ensamble sans les laissier entrer dedans la bataille, et me samble aysiée chose à garder, veu qu’ilz ne sont point armez pour soustenir ung grant fais à poulser à pié, et aussi ilz n’ont nulles lances qui riens vaillent; et le plus fort de leur fait est de leurs archiers, lesquelz ne tirent point si loing ne se fort comme font les nostrès.

Et combien aussi que à cheval se trouveront en plus grant nombre que les Crestiens et que leurs chevaulx ont plus grant alaine pour courre et escarmouchier plus longuement que ceulx des Crestiens, touteffois ne sont ilz pas si fors ne si puissans pour endurer un grant fais, et me samble que pour quelque chose on ne se doibt point desmouvoir que tousiours on ne se teingne joint ensamble. Et quant lesTurcz se seront retrais, laquelle chose fault qu’ilz ficent, ou qu’il/ combatent à leur grant desavantage et par abandonner de leurs vies, ou qu’ilz se retraient une journée ou deux arrière, et se ainsi est qu’ilz se retraient, que on ait tousiours chevaulcheurs sur leurs venues et que on aille toudis avant en belle ordonnance pretz à les recevoir quant ilz viendront. En ce faisant, n’est point à doubler que on ne les deflface, et faisant au contraire, me samble qu’ilz deflferont tousiours toutes gens qui viendront en leur pays.

 

Aucuns pourroient dire que puisque on seroit ainsi les uns devant les autrès qu’il ne seroit pas chose honnestc aux Crestiens, se ilz ne aloient assaillir les Turcz. Et à ce que j’ay dit par avant, les Tarez qui sont de legiere despense et vivent de pou de chose affameroient les Crestiens s’ilz ne partoicnt hors de leur fort pour les aler combatte. J’ay ouy dire que aussi soubdaincmcnt que les Turcz viennent, aussi soubdainements’en revont ilz, une journée ou une journée et demie loing. Et aussitost arrière, ilz reviennent. Et qui ne se prent bien garde, ilz font de très grans dommaiges. J’entens que depuis que on les a veu une foys que on doit estretousiours sur sa garde, chevaulchier ou aler prest pour combatre à toutes heures et tous ensamble tant que on puet, et quant on est en aucun passaige de quoy il y en a de bien mauvais, on puet envoïer des gens d’armes et de traict, autant que on pourra, veoir les places où ilz se pourront employer pour combatre et tout en bonne ordonnance, sans desroy, et ne se tault point travaillier d’aller en fourraige, car ce seroit la perdicion de ceulx qui le feroient et aussi on ne trouveroit riens aux champs. Les Turcz font tout mener aux bonnes villes lesquelles ne sont point fortes. Il faut par nécessité qu’ilz combatent à leur grant dcsavantaige qui le pourra endurer ou qu’ilz abandonnent le pays, ce qu’ilz n’ont point fait jusques icy. Et pour ce, me samble il que gens notables et de bon gouvernement comme ces m nations que j’ay nommé cy dessus, c’est assavoir François, Anglois et Allemans, sont assés souffisans, et eulx bien unis ensamble en nombre compétent, pourroient aler par terre jusques en Jherusalem. Et dont ce n’est pas grant fait d’entreprendre la conqueste de la Grèce, mais qu’ilz se veuillent bien entretenir ensamble sans chachier ne courre sus aux Turcz à leur desavantaige. Et pour ce que aucun pourroit demander où on prendroit vivres, il y a des rivyeres en Rascie et en la Grèce pour porter navires; et si est le pays de Rascie bien fertile de tous vivres, comme il me samblc. Aussi est assés la Vulgairie, Macedonie et la Grèce. Et fault aux Tarez qu’ilz combatent comme dit est, ou qu’ilz s’en fuyent oultre le destroit que nous appelions le bras Sainct Georges, et qu’ilz abandonnent leurs femmes et leurs enfans et leurs biens, ainsi qu’il me puet sambler, selon ce que j’en av veu la disposicion des villes et du plat pays Icsquelz sont comme j’ay dit par avant. Et est assés vraysamblable, car on l’atousiours veu jusques icy que toutes et quantes foj’s que le Turc a fait venir armée pour passer la rivyere de la Dunoe, il s’est toudis ordonné et a esté prest pour combatre et ainsi faut qu’il le face ou qu’il perde tout, comme dit est.

 

Au partir de Belgrado, je passay la Dunoe qui à celle heure avoit bien x miles de large et me fu dit qu’il n’estoit de mémoire d’homme que oncques on l’eust veue si large ne si parfonde à une toyse de hault. Et ne povoit on aler à Boude par le droit chemin. Et puysarrivay à une ville champestre que l’en nomme Pensey’. Et de là, chevaulchay par le plus plat pays que je veisse oncques, sans treuver montée ne vallée, et passay une rivyere à ung bac à ung villaige.

 

Item, de là, je vins à une ville que l’en nomme Beuxquerel qui est audit dispot’ et je passay là deux rivyeres à pont’. Et de là, je vins à une ville qui est audit dispot qui a nom Verchet ” et là passay une très grosse rivyere et moult parfonde, que l’en nomme la Tisce\ Et delàje vins à Segadingquiest une très grande ville champestre et est sur ladite rivyere de la Tisce ‘. Et jusques cy je suis venu sans treuver nulz arbres que deux pctis boys enclos de rivyere, et ne font feu encelluy chemin oùj’ay passé que de paille ou de roseaulx qui sont sur les rivyeres ou sur les marescaiges, de quoy il y a de très grans en aucuns lieux parmy celles grandes plaines, et n’y mengeoit on pain que de gasteaulx tendres et pou.

Cette ville de Segading n’a que une rue laquelle, il me samble, peut bien avoir une lieue de long et et est moult fertile de tous vivres, par especial de poissons, des plus gransque j’aye oint vcu prendre sur nulles autrès rivyeres; et je veys grant marchié de grues et de bistardes que on y prent communé- ment, mais on les y appoincte et mengue ordement.

Et y a pou de litz et ceulx qui y sont sont ors et couche on en pailles sur sacz de cuyr plains de vent que on souffle et sont de la longueur d’un homme. Il y a en ceste ville grant foison dcchcvaulx à vendre et est estrange chose de les veoir donter et aprevoisier, car ilz sont tous saulvaiges. Et, me a on dit que on en y trouveroit ni ou un” à vendre et à très grant marchié, car pour x flourins de Honguerie, on auroit là ung très beau rouchin. Il y aune assés belle église de Cordeliers. Je ouys le service qu’ilz font ung peu sur le hongre. Et me fut dit que l’empereur avoit donné ceste ville à ung evesque que je vej’s là : et me sambla homme de grosse conscience. Je me partis dudit Segading et puis vins à une ville nommée’ Et de là je vins à Paele qui est sur la Dunoe devant Boude’. Et ay treuvé jusques cy ung iresbon pays et plain et y a grant foison de haras de jumens qui, en tous temps, sont aux champs comme bestes sauvaiges et c’est ce qui y fait avoir si grant marchié de chevaulx.

 

Item, de là, je passay la Dunoc et entray à Boude qui est la millieure ville de Honguerie’. Il y a ung très beau palais et grant mais qu’il fut assonny. Et me fu dit que l’empereur Sigemond l’avoit encommencié. Cette ville de Boude est assise sur une montaigne non pas trop haulte et est beaucop plus longue que large. Et de l’un des costez, devers soleil levant, y passe la Dunoc tout en long, et devers le ponant a une vallée et au bout, devers le midi, est ledit palais qui est bel et fort et est maistre de celle porte de la ville. Et auprès dudit palais, hors de la ville, a un très beau baing chauld ; et de l’autre costô entre la ville et la Dunoe en a d’autrès non pas si beaulx. Geste dite ville de Boude est bien marchande et fertile de tous biens. Et y croist plus de vins blancz que autrès, lesquelz sont un pou ardans. Et dist on que ce vient à cause de ces baingz chaudz qui sont là autour, qui passent par lieux plains de soulfre. Et est ceste ville gouvernée par Allcmans en tous estas, tant au faict de la justice et de la marchandise que aussi au faict des mestierz, comme cousturierz, charpentier;^, maçons et orfèvres, ainsi qu’il me fu dit parung marchant d’Arras que je treuvav, nommé Clays Davion, lequel l’empereur Sigemond avoit mené avecques pluseurs autrès gens de mestier du royaulme de France, et est ledit Clays ouvrier de haulte lice. Il y a en ceste ville beaucop de Juifz qui parlent très bon françoys, et en y a de ceulx qui furent chaciés hors du royaulme de France.

Et si est le corps de sainct Pol hermite gisant à une lieue prés de ceste ville et est tout entier.

 

Le pays de autour ceste ville est moult bel et plaisant. Et de là retournay arriére à Paele qui est une assés grosse ville champestre. Et y treuvay vi ou VIII mesnaiges de gens de France lesquelz l’empereur Sigemond y avoit envoyez ; auxquelz il fist encommencier une très belletouret forte sur le bort de la Dunoe, à l’endroit de sondit palais, à l’cntencion dey mettre une chaisne pourclorre ladite rivyere de la Dunoe, qui mesamble une chose mal faisable, car ladite rivyere est moult large, et peut samblcr qu’il eust prins exemple à la tour de Bourgongne devant le chastel de l’Escluse. Je ne sçay s’il y fu oncques, combien que ladite rivyere est trop plus large que la largeur depuis ledit chasteau jusques à ladite tour.

 

Je fus dedans ladite tour de Paele. Elle est bien espesse et de la haultcur de trois lances ou environ, et y a grant foison de pierres tailliez pour tousiours la faire, mais il me fu dit que les maçons qui y sont maintenant ne les sçavent mettre en euvre : car ceulx qui la commencèrent sont très passés. Il y a autour de ceste ville de Paele moult beau pays et y demeure grant foison de marchans de chevaulx. Et qui en auroit affaire, on y en treuveroit deux mil de bons à vendre; et les vendent par estables et sont x chevaulx en chascune, et le prix est deux cens flourins 1 estable : de quoy j’en veys pluseurs que les deux ou trois valoient tout l’argent. Car la pluspart viennent du pays de Transsilvan qui sont les montaignes qui séparent le royaulme de Hongueric et la Walaquie devers soleil levant. Et en ces montaignes sont les mines d’or et de sel lesquelles valent tous les ans au roy de Honguerie chascune c” flourins, comme il me fu dit. Et avoit baillié les mines d’or au seigneur de Prusse’ pour garder la frontière contre le Turc et au conte Mathico pour garder Bclgrado.

Et la royne prenoit le fait du sel lequel est moult beau et samble pierre, et est de la façon d’une pierre d’ung pié de long ou environ et de quatre quarres et aguc dessus et se tire d’une roche. Et qui le voit sur ung chariot, ce samble que ce soient pierres. On le fait mouldrc en ung mortier et me samble le plus bel et le millieur et le plus deslyé sel que je veys oncques et est assés blanc.

 

Je achetay ung cheval en ceste ville pour ce qu’il couroit bien tost et, par coustume, la pluspart sont très bons coureurs. Je rencontray en mon chemin des gens qui aloient sur charios vi en aucuns, vu, VIII en ung autre ainsi que la chose la donne, qui n’ont que ung cheval qui les naine. Et quant ilz vuellent faire grant journée, ilz font ainsi. Il y a d’aucuns charios couvers à la manière du pays qui sont très beaulx et ont moult legieres roes et tout ; et me samble que ung homme le porteroit bien à son col s’il estoit bien loyé, et sont les roes de derrière beaucop plus haultes que celles de devant et se puelt on très bien dormir et reposer dedans, car le paj’s est si très unny que on ne treuve point d’empeschement que le cheval puisse tousiours bien troter. Et quant ilz labourent les terres, ilz font si très- longues royes que ce me fu une merveilleuse chose à veoir; et y a grant foison d’herbes pour nourrir les chevaulx et les jumens lesquels sont, par coustume, ung pou merveiUieux et par especial mal aysiés à ferrer. Et en ay veu pluseurs qu’il failloit abatre quant on les vouloit ferrer. Et icy je prins ung de ces compaignons maçons françois lequel me dist qu’il estoit de Bray sur Somme pour mener avccqucs moy, car, jusques là, je n’avois point eu de serviteur.

Et de là, je repassay la rivyere et m’en retournay à Boude où ledit ambassadeur de Milan avecques lequel je fus devers le grant conte de Honguerie au palais qui estoit comme lieutenent de l’empereur, lequel me fist très grant honneur de venue, pensant que je fusse Turc.

 

Et quant il sceut que j’estoye Crestien, il ne m’en fist point tant. Et me fu dit qu’il est homme de petite foy et ne tenoit point bien ce qu’il disoit et ainsi le font la pluspart des Hongres en gêneral, et autant que je les ay hantez, je me fieroys plus en la promesse d’ung Turc que je ne ferois d’ung Hongre. Et jousta le filz dudit grant conte’ en basses selles sur petis chevaulx à la guise du pays, qui est belle chose à veoir et congnoist on bien ceulx qui sesçavent bien tenir sur la selle. Car, par coustume, quant ilz joustent, les deux ou l’un du moins fault cheoir en bas. Et joustent de fortes lances et courtes et sont très bien et gentiment habilliés. Et quant ilz joustent à l’estrivie pour verges d’or, ilz prendent selles pareilles, parties aux lotz et chevaulx d’une haulteur et ne joustent que ung contre ung et tousjours per, et s’ilz sont pluseurs, quand l’un est cheu, luy et son compaignon se tirent à part et ne joustent plus.

 

Ledit filz dudit conte estoit nouvellement marié à une très belle dame du pays. Et est ce grant conte aagié homme, lequel autreffois prist le roy de Behaigne et de Honguerie Sigemond qui, depuis, a esté empereur et le mist en prison. Finablcment, il le délivra par appoinctement, comme il me fu dit.

 

Et vins de Belgrade à Boude en 7 jours. Je vcys aussi à Boude le grant conte de Honguerie et pluseurs autrès seigneurs barons du pays. Et quant je me deus partir de Boude, mon ambaxadeur me dist qu’il me abandonneroit en chemin pour s’en alcr devers le duc de Milan. Et adoncques je parlay au dit Clays Davion qui estoit d’Arras comme dit est, lequel me bailla unes lettrès adreçans à ung marchant qui estoit de sa cognoissance à Vienne en Austriche. Et quant je y arrivay, je treuvay à grant peine nul qui me voulsist logier, pour ce qu’ilz cuidoient que je fusse ung Turc. Adventure me mena logier à une grande hostelerie, là où on me recueillit et avoys mon homme que j’avoys prins à Paele qui parloit hongre et hault alemant. Et incontinent qu’il demanda icelluy marchant, on le ala quérir. Et vint vers moy. Et quant il eust visité les lettrès que je luy portois, il se ofFry de moy faire tout plaisir qui luy seroit possible et pour ce que je m’estoye descouvert audit Clays Davion, il escripvit par ses lettrès mon nom et dont je venoye et comment j’estoye serviteur de Monseigneur le duc. Et prestement ledit marchant s’en ala devers Monseigneur le duc Aubert de Austriche ‘ lequel est cousin germain de mondit seigneur et luy dist la manière de ma venue et mon nom aussi. Lequel envoya incontinent ung poursuivant lequel estoit au conte de Xil ‘ que on appeloit Senich et tantost après vint Messire Albrech de Potandorf ” lequel n’avoit pas long temps avions prins moy et aultrès entre Flandres et Brabant, cuydans qu’il fustsubgect du duc Frédéric d’Austriche, lequel avoit deffié mondit seigneur. Et vint ledit Messire Albrech à mon logis à cheval deux heures après ce que je fus arrivé et me fist demander, lequel véritablement je cuidoye qu’il venist pour moy prendre prisonnier, mais je trcuvay le contraire. Et me dit que mondit seigneur d’Austriche l’envoyoit vers moy qui avoit sceu quej’estove serviteur de mondit seigneur le duc pour moy bienveignier. Et me dist que Monseigneur d’Austriche me mandoit que se avoie de riens aflfaire, que je le demandasse aussi franchement que se j’estoye devers mondit seigneur le duc, car il voudroit faire pour tous ses serviteurs comme pour les siens mesmes. Et ledit Messire Albrech me offrit or et me présenta argent et chevaulx et autrès choses, et me rendit bien pour mal, combien que je ne luy avoye fait chose que, par honneur, je ne deusse et peusse bien faire. Et au bout de deux jours, mondit seigneur d’Aultriche envoya ledit Messire Albrech me quérir pour aler luy faire la révérence et parler à moy. Et vins vers luy au partir de sa messe, et estoit accompaignié de VIII ou X notables chevaliers anciens. Et quant je luy feis révérence, il me print par la main et ne souffrit oncques que je parlasse à luy à genoulx et me fist demander des nouvelles, et plus de Monseigneur et

de son estât que d’autrès, lequel me sambloit qu’il avoit moult chierement. Et estoit mondit seigneur d’Austriche grant par raison et estoit brun et prince bénin et doulx et vertueux en toutes choses, comme on disoit. Il estoit vaillant et large et avoit avecques luy aulcuns seigneurs de Behaigne que les Houltz’ avoient chaciez hors du pays, pour ce qu’ilz ne vou- loient point tenir leur loy. Et à celle foys, estoit venu vers luy un grant baron de Behaigne que on appeloit Paanepot” et autrès en sa compaignie pour trouver manière d’avoir aulcun appoinctement avecques luy pour ce que les Houltz vouloient aler, comme il me fu dit, au secours du roy de Poulaine contre les seigneurs de Prusse et luy firent de grans oufFres, ausquelz mondit seigneur d’Austriche respondi ques’ilz ne se reduysoient en la foy de Ihesucrist, que avecq luy n’auroient jamais ne paix ne accort, aussi longuement qu’il vivroit. Et à celle heure avoit jà conquis mondit seigneur d’Austriche tout le pays de iMorave et avoit desconfi les Houltz par deux fois. Et me fu dit que sa conduite, sa vaillance, sa largesse luy proffita lors beaucop. Au partir de là, on me mena veoir la duchesse qui estoit très belle dame et grande, et fille héritière de l’empereur du royaulme de Honguerie et de Behaigne et des autrès seigneuries qui en dépendent, et n’avoit que ung pou qu’elle estoit relevée d’une belle fille et plus n’en avoit eu encoires’, de quoy on faisoit très bonne chiere et joustoit on souvent; laquelle duchesse me fist samblablement très bonne recueillote, et pareillement me demanda de mondit seigneur et de madame la duchesse, et puys m’en retournay à mon logis et fus accompaignié de seigneurs et gens qui valoicnt mieulx de moy. Et le lendemain, me manda mondit seigneur d’Austriche par ledit Alessire Albrech que je alasse pour disner avecq luy et me fist mengier à sa table et ung grant seigneur de son pays et ung seigneur de Honguerie, et mengeoit on ù une table quarrée et ne porte on que ung plat de viande à la foys; et le plus prochain est celluy qui plustoty met la main, car la coustume est telle et est en manière d’assay ; et avoit toutes ses gens à gaiges et ne demouroit nul à mengier en sa sale que ceulx qu’il ordonnoit à son maistre d’ostel, comme il me fu dit.

Hz appointent grant foison de viandes et y mettent beaucop d’espices et servent de char et de poisson, plat après autre. Au partir du disner, on me mena devers la duchesse pour veoir les danses là où il avoit de très gracieuses gens, gentilzhommes et gentilz femmes portant les plus beauk cheveulx que je veisse oncques. Et me donna lors madite dame ung chaperon de fil d’or et de soye et ung anel à tout ung bon dyamant pour mettre sur ma teste selon la coustume du pays. Et là me print ung gentilhomme bien noble que on appeloit Paiser et n’est que escuier et est comme chambellan et garde des joyaulx et a grant gouvernement et auctorité autour de mondit seigneur, lequel par l’ordonnance de mondit seigneur d’Austriche mealamonstrer ses joyaulx, entre lesquelz me monstra la couronne du royaume de Behaignc où il y a des asscs bonnes pierres; entre les autrès, y a ung rubis le plus gros que je veisse oncques et est plas gros, comme il me samble, que une grosse date, mais il n’est point net, pour aucunes faussettes où il y a des choses noires par dedans. Ht de là, me mena veoir les wagucsbonnes de mondit seigneur d’Austriclie, lesquelles il avoit fait fliire pour combatre les Bchaignois : et n’en vevs là nulles où y puet combatre plus de xx hommes: et me dist que mondit seigneur en auroit fait faire ung où il pourroit combatre m’ hommes et n’y fauldroit que XVIII chevaulx pour la mener.

 

Je treuvay là Monseigneur de Valse’, lequel est le plus grant seigneur d’Austrice après le duc et est gentil chevalier. Et se y treuvay Messire Jaques Trousset qui est un gentil chevalier de Chouave” lesquelz me firent très grant chiere et bonne. Il y estoit ung que Fen nomme le Chanc lequel estoit cschançon de l’Empire par heritaige’, lequel sceut que j’estoye à Monseigneur le duc et me fist espier pour me prendre quant je vindroys en Bavière pour ce qu’il avoit perdu ung sien frère et autrès de ses amis en la bataille de Bar”. De quoy mondit seigneur d’Austriche fu adverty et me fist attendre plus que je n’eusse fait, et donnacongiéà celluy,moy estant icy. Je veis jouster par trois fois sur petis chevaulx et à basses selles comme j’ay dit par avant. L’une à la cour de mondit seigneur d’Austriche et les deux autrès sur les rues, où ils se blessent très bien et lourdement aucunes fois. Et veis mondit seigneur d’Austriche ferir l’un de ses gens, et veis là la première fois armer en ceste manière ledit Messire Jaques Trousset. Et sy trouvay ung poursieuvant breton bretonnant avecques mondit seigneur d’Austriche que on appelle Toutseul qui avoit esté à l’amiral d’Espaigne, lequel poursieuvant venoit tous les jours pour me accompaignier à la messe et là où je voulois alcr. Et quant je me party, il me présenta I. marcz d’argent qu’il avoit en esmaulx pour les vendre, pensant que j’eusse despendu tout mon argent et me vouloit promettre que jamais il n’en diroit mot, pour ce qu’il veoit que je ne vouloye riens prendre ne de don, ne d’emprunt de nuUuy, car il savoit bien que mondit seigneur d’Austriche m’en avoit fait présenter secrètement. Et aussi ledit Messire Albrcch m’en avoit présenté à prcstcr et aussi Messire Robert d’Avrestorf ‘ qui, l’an devant, avoit esté en Mandre desguisé, lequel est bien grand seigneur au pays et avoit veu mondit seigneur le duc et son estât, duquel il disoit du bien beaucop.

 

Et revenant à mon chemin, je vins de Boude à Tliyatc’qui est une ville champestre et s’y tient voulentiers le roy, ce dist on. En après, je vins à une ville que l’en nomme Javir et en alemant Rave et siet sur la rivyere de la Dunoe”. Et au partir de là je passay devant une petite ville qui est une isle dedans la Dunoe et laquelle on me dist que l’Empereur l’avoitautreffois donné à ung des gens de Monseigneur le duc de Bourgongne, et croy que ce fu à Messire Renier Pot’. Et de là, je vins à une ville que l’en nomme Bruc’qui est ung très fort passaige et y a une chaucée longue et estroite sur une rivyere en ung grant marescaige qui départ le royaulme de

Honguerie et la duchié d’Ausîriche, et me samble que ung petit nombre de gens le garderoient bien du costé d’Austriche que on n’y passeroit point. Et environ deux lieues oultre, l’ambaxadeur de Milan print son chemin pour s’en aler devers le duc de Milan, son maistre. Et de là je vins à Vienne en Austriche et furent y journt^es depuis Boude. Geste ville de Vienne est assés grande, et très fort peuplée de riches marchans et de gens de tous mestiers. Elle est très bien fermée de bons fossés et de haulte muraille et de l’un des costez, devers le north est sur la rivyere de Dunoe, laquelle court selon les murs, et est une ville bien joyeuse et de bcaucop de esbatemens et est assise en très beau pays et bon. Les gens sont mieulx habilliés et plus honnestement qu’ilz ne sont en Honguerie, combien qu’ilz portent tous gros pourpoins et larges par dessoubs et bien fors, et ung bon haubergon dessus et ung glaçon quand ilz vont

à la guerre et ung grant chappeau de fer et autrès harnois, selon la coustumc du pays.

 

Et en la marche d’Austriclie et de Behaigne sont crennequinicrs, et en Honguerie sont archiers et leurs arcz sont de la façon de ceulx des Turcz, mais ilz ne sont pas si bons ne si fors aussy, ne les peuples si bons archiers. Les Hongres tirent à m doigs et les Turcz au poulce et à l’anel.

 

Et quant je prins congié de mondit seigneur d’Austriche et de madame, il me fîst demander se j’avoye besoing de riens, auquel je respondis comme j’avois fait autrefFois à ceul.x. qui m’en avoient présenté, que mondit seigneur le duc m’avoyt si trèsnbien fourny et si très bien pourveu que j’avoys encoires assés d’argent pour autant de temps que j’avoye à aler devers luy, et puis il me recommanda à Monseigneur de Valse qui s’en aloit en son pays qui est sur la frontière de Behaigne de laquelle il avoir la charge. Et aussi me recommanda il à messire Jacques Trousset.

 

Geste dite ville de Vienne est sur la Dunoe et y estoit le duc Aubert d’Austriche, cousin germain de mondit seigneur le duc, auquel je feys prier qu’il me fist donner ung sauf conduit pour passer par son pays et il m’en fist avoir ung.

 

Et me fu dist que les Houltz l’estoient venus requérir de paix, mais il n’en a voulu riens fiiire, et c’es toit pour aler au secours du roy de Poulaine à rencontre des seigneurs de Prusse. Et au partir de Vienne je vins à une ville que l’en nomme Sainct Polquin ‘, et là se font les millieurs cousteaulx de tout le pays et ce fu en deux journées de chemin.

 

Item, de là je vins à une ville que l’en nomme Melich’ qui est sur la Dunoe et y a ung très beau moustier de chartreux et y fait on les millieures arbalestrès du pays. Et jusques à Vienne et m journées oultre, la Dunoe vient contre soleil levant et au dessus de Boude retourne contre midi jusques à la pointe de Belgrado,et delà rcprent son cours contre soleil levant entre Vulgairie et Honguerie et va, comme on dist, cheoir en la mer Majour à Montcastre’. Je m’en rapporte à ceulx qui y ont este. Et de là je vins à Valse” qui est audit seigneur où il y a ung assés fort chastel sur une roche assés haulte sur la Dunoc. Et me fist monstrer ledit seigneur les plus riches vestemens d’autel que je veisse oncques, de brodures et de perles. Et là, je veys mener des vaisseaulx contremont la rivyere de la Dunoe à force de chevaulx.

 

Et lendemain, vint un gentilhomme de Bavière veoir mondit seigneur de Valse lequel ledit Messire Jaques Trousset vouloit pendre à une aubespine qui estoit à la porte en ung jardin, de quoy ledit seigneur fu adverty et pria Messire Jaques qu’il ne feist pasceste honte. A quoy il respondit que s’il venoit jusques à luv qu’il failloit qu’il le feist. Adoncques ledit seigneur ala ung peu au devant dudit gentilhomme et luy fist ung signe, et il s’en retourna. La cause pourquoy ce fu : ledict Messire Jaques estoit de la secrète compaignie et aucuns de ses gens qui estoient avecques luy ; aussi en estoit ledit gentilhomme lequel s’estoit mesusc.

 

Item, de là je vins à une ville que l’en nomme Oens’ qui est sur une rivyere nommée Oens”. Et delà je vins à une ville que l’en nomme IZvresperch qui est à l’evesque de Passot qui est aussi assise sur ladite rivyere.

 

Item, de là je vins à Lins ‘ qui est une très bonne ville et y a ung très beau chastel assis sur la Dunoe et est à Monseigneur d’Austeriche et en est gouverneur ledit seigneur de Valse et est bien près de la frontière de Bchaigne. Je vcis en ceste ville madame de Valse qui est une très belle dame, laquelle me fist de l’onneur beaucop et est du pays de Behaigne\ Elle me donna ung rouchin qui trotoit bien aysic et ung chapeau de perles où il y avoit ung anel à tout ung rubis et ung dyamant pour mettre sur mes cheveulx, selon la coustume du pays, et là demoura Monseigneur de Valse. Et je me party en la compaignie de Messire Jaques Trousset et m’en vins à une ville que l’on nomme Hrfort qui est au conte de Chambourch ‘. Et là fault le pays d’Austeriche. Et furent vi journées depuis Vienne jusqucs icy.

 

Item, de là je vins à une ville que l’on nomme Riet qui est en Bavière et qui est au duc Henry”.

 

Item, de là je vins à une ville que l’on nomme Prenne qui est sur la rivyere de Sceine’.

 

Item, de là je vins à une ville que l’on nomme Bourchaze’, et là estoit le duc Henry de Bavière et là passay ladite rivyere de Sceine et y a ung très-

beau chastel sur ladite rivyere.

 

[tem, de Bourchaze je vins à Mouldrouf et là passiiy une grosse rivyere nommée Ting.

 

Item, de là je vins en la terre du duc Loys de Bavière, mais je n’entray point en ses villes.

 

Item, je vins à la plus belle petite ville que je veisse oncques que on appelle Munecque et est au duc Guillame de Bavière. Et de là je vins à une ville que l’en nomme Lansperch” et au partir de Lansperch^ je yssi hors du pays de Bavière et entray au pays de Souave et vins à une ville qui est au duc et a nom Meindelahan’, Et de là, je vins à une ville de l’Empire que l’en nomme Mamines\

 

Item, de là je vins en la terre dudit Messire Jaques Trousset et de ses frères lequel me fist mener en ungdeses chasteaulx que l’en nomme Walpourch et là dcmouray deux ou trois jours attendant ledit Messire Jaques qui estoit aie voir aucuns de ses amis : et commanda à ses gens que on fist pour moy comme pour luy propre.

 

Item, de là je alay à une ville de celles de l’Empire que l’en nomme Ravespourch’. Et de là je vins à une ville que l’en nomme Martorf ^ Et de là, je vins à une ville qui est à l’evesque de Constance que l’en nomme Merspoch^ et est sur le lach de Constance, et passay là ledit lach qui peult bien avoir m miles latines de large à cel endroit.

 

Item, de là je vins à une ville de Constance qui sur ledit lach et là passay le Rin qui part dudit lach et prent là son nom. Et jusques cy me mena seurement ledit Messire Jaques en sa compaignic, lequel me fist de l’onneur et du plaisir beaucop, pour l’onneur de mondit seigneur le duc. Et là demoura et me bailla ledit poursieuvant du conte de Xil pour me conduire aussi longuement que je voulJroys. Et prins congié dudit Messire Jaques Trousset à grant regret, qui est ung très gentil chevallier et vaillant entre les Alemans, lequel m’eust voulentiers convoie plus avant, mais il failloit qu’il s’en retournastpour unecntreprinse qu’ilz dévoient faire ledit seigneur de Valse et luy qui sont comme

frères. Et dévoient jousterde fer lance xm contre xiii, tous parens et amis ensamble, selon la coustumc du pays, à targcs et chapcaulx de fer, lequel harnois et autrès de quoy il est très bien fourny pour joustes et pour armes il m’avoit monstre en son chastel de Walpourch. Et de là, je vins à une ville que l’en nomme Estran’ : et là repassay ladite rivyere du Rin.Etde là je vins selon ladite rivyere de l’autre part en une ville que l’en nomme ChaufTouze” qui est à l’Empereur et sur le Rin. Et de là je vins en une ville que l’en nomme Walsquot’ et est au duc Federic d’Austeriche et est sur le Rin. Et de là, je vins à une ville que l’en nomme Lausemberch’ et est audit duc et est assise sur la rivyere du Rin.

 

Item, de là je vins à une ville que l’en nomme Rinbel’ et est audit duc et sur le Rin. Ht de là je vins à Basle qui est à l’Empereur et là estoit le Sainct Concilie et est aussi sur le Rin. Ht estoit en ladite ville de Basle le duc Guillame de Bavière, lieutenant de par l’Hmpereur, et me manda quérir pour parler à luy et parlay à luy et à madame la duchesse sa femme’. Ht vcys le Sainct Concilie assis où estoit ledit duc pour l’Empereur et monsieur le Cardinal de Sainct Ange, légat de Notre Sainct Père le Pape Eugène’, et autrès cardinaux jusqucs au nombre de sept, et pluseurs patriarches, archevesques et evesques. Et là treuvay des gens de mondit seigneur, l’evesque de Chaslon, maistre Jehan Germain et Messire Guillebert de Lannoy’, seigneur de Willerval, ambaxadeurs de mondit seigneur le duc. Je parla}’ audict légat et au cardinal de Rouen’ et me enquist fort mondit seigneur le légat du pays de Grèce entre les autrès et nie chargea de dire aucunes choses à mondit seigneur touchant la conqueste d’icelluy pays, laquelle il me samble qu’il désire moult et a très fort au cuer. Et au partir de Basic, je laissay mondit poursicuvant lequel s’en retourna et me partis en la compaignie du grant Chanery presenteur de Lyon’ et entray en la conté de Ferete qui est au duc Frédéric d’Austcriche et vins à une ville que l’en nomme GrantviUe’.

 

Item, de là je vins à Montbeliart, qui est à la contesse de Montbeliart ‘.

 

Item, de là je entray en la conté de Bourgongne, qui est à Monseigneur le duc de Bourgongne et de Brabant.

 

Item, de là je vins à la cité de Besançon et de la tiray à Vezou et à la Ville Neufve’ avecq Guillaume de Seillaz pour m’en venir en Flandres par les marches de Bar et de Lorraine devers mondit seigneur le duc; et avant que je partisse d’illec, je sceus que mondit seigneur estoit à l’entrée de Bourgongne et avoit mis le siège devant Mussy l’Evesque”. Adonc, je me party de Ville Neufve et m’en alay à Aussone et de là à Dijon. Et là, treuvay Monseigneur le chancellier de Bourgongne avecq qui je alay devers mondit seigneur le duc, lequel je treuvay en l’abbaye de Potières et ses gens estoient au siège, et de sa grâce me fist très bonnc chierc et vins devant luv en tout tel estât que j’estove party de Damas et luv menay mon cheval que j’avoye acheté et luy baillay tous mes habillemcns, ensamble l’Alkoran et les fais de Mahomet que le chappellain du consul des Venissiens à Damas m’avoit baillés par escript en latin, qui contenoit beaucop d’escripturc, lequel mondit seigneur bailla à maistre Jehan Germain, docteur en théologie, pour le visiter et oncques puis je ne le veys. Ledit maistre Jehan Germain a depuis esté evesque de Chalon sur la Sone et chancellier de la Toyson. Je me passe de parler plus au long de la situation du pays depuis Vienne jusquesicy pour ce que pluseurs sçavent bien quel il est et se je dis vray ou non. Et au regart des autrès pays dont j’ay parlé par avant et des passaiges que j’ay nommés ci dessus, je prie aux liseurs qu’ik ne me le vuellent imputer à vaine gloire, ne à orgueil, ne à vantance, mais je l’ay fait pour deux raisons, l’une se aucun noble homme yvouloitalcr, il pourra demander ce chemin et trouvera se je disverité, l’autre raison pour ce que mon très redoubté seigneur Monseigneur le duc m’a commandé que je feisse mettre en escript, selon une petite mémoire que j’en avoit fait en ung petit livret, quant j’avoye eu loissir d’escripre. S’il n’est si bien dict que autrès le pourroient bien faire, je supplie qu’il me soit pardonné.

 

Cyfine le voyage de Bertrandon de La Broquiere qui très passa à Lille en Flandre le ix= jour de may l’an mil CCCC cinquante et IX.

 

Cy commence Yaclvis de Messire Jehan Tori^h, chevallier, serviteur et chambellan, comme il dit, de l’empereur de Constantinoble, lequel advis il fist à Florance le seTJesme jour de mars l’an mil quatre cens trente neuf et puis j ut envoyé à mon très redobté seigneur. Monseigneur le duc Phelipe de Bourgoigne et de Brabant,par Messire André de Pellaiago, florentin.

 

Cy parle ledit Messire Jehan Tor::^eto. — Pour nng chascun très devot et très loyal chreslien : « En me trouvant à la court du Grant Turc par l’cspasse d’envyron douze ans et pensant à enquérir la puissance dudit Grant Turc et la manière comment on la pourroit defFaire, affin que j’en peusse advcrtir les seigneurs chrestiens, m”a samblé bon de noter la manière et condicion dudit Turc et la conduicte de ses affaires, et icelles signifier aux princes chrestiens et devotz à la religion clirestienne, auxquels je prie qu’ilz mettent leur cueur à ceste cuvre pour le salut de leurs âmes.

 

« Je dis doncques premièrement que les gens que le Grant Turc peult avoir pour aller contre le peuple chrestien et pour le conquester seroit environ cent mil hommes de cheval desquelz y en a vingt mil qui sont souldoyez de luy. Et entre ceulx cy, s’en peuvent trouver dix mil bien armez : le demourant est sans armes, fors seullement escus, espées, arcz et flesches.

Et avec ce, il y a environ dix mil gens de pié : et ceulx ci ne sont sans armes fors seullement espées, arcs et tiesches. Et les aulcuns ont escus et les aultrès non. C’est cy toute la puissance du Grant Turc, laquelle rompue et conquestée, on peut en moins d’un mois, conquester la saincte Terre de promission. Et à voloir conquester le Turc, il seroit besoin avoir premièrement quatre vingtz mil combatans et aller pr.r la Hongrie et à la rivière de la Dunoe, et là avoir les fustes ou naves en ordre pour passer les clievaulx, lesquelles fustes se trouveront bien en Hongrie.

 

« Il fauldroit partir ceste puissance en trois parties : l’une et la principalle passeroità Vidinc qui est une ville sur la rive de la Dunoe et seroit de cinquante mil combatans ; l’autre de vingt mille passeroità Bellegrade qui est aussi à la rive de la Dunoe. Et la Dunoe passée, la puissance dessus dicte seroit en la Grèce; et pour donner à cognoistre la condicion de la Grèce, diray ce quis’ensuyt.

 

« La Grèce a en soy encores trois seigneurs chrestiens. L’un est le seigneur de la Rascie qui est tributaire au Turc et peult mettre sur les champs quarante mil combatans à cheval très bien en point, et lequel confine à la Hongrie. Il est très vaillant cappitaine et conduycteur de faitz d’armes, especialement à combattre les Turcz : et tantost qu’il verroit une telle p’jiss.ince de chrestiens à ses pies, il se tourneroit incontinent et seroit luy mesme guyde et conducteur pour destruyre le Turc.

 

« Il y a après Albanye où sont deux seigneurs qui pourroyent mettre sus vingt mil hommes à cheval qui p.ircillement, tantost qu’ilz verroient puissance de chrestiens, prestement se tourneroyent contre le Turc.

 

«Il y a la seigneurie de la Morée qui est de Monseigneur l’empereur qui mettroit sus quinze mil hommes très bien en point et toute ceste puissance se pourroit trouver ensamble en huit jours avec la parc des vingt mil combatans que j’ay dict qui passeroyeni à Bellegrade.

 

«Etoultre ces seigneurs cy, il y a plus de cinquante mil hommes chrestiens qui sont subjectz au Turc et incontinent qu’ilz verroyent la puissance des chrestiens se rebelleroyent contre le

Turc et seroyent ceulx qui plus le destruiroyent.

 

« Et oultre tous ceulx cy, il y a une grande multitude de chrestiens subjectz au Turc par tribut qui tous se rebelleroyent contre luy.

 

« Les cinquante mil que j’ay dict qui doibvent passer parcontre Vidinc devroyent tousiours venir avant ensamble et en bon ordre et faire le chemin de Andrenopoly où est le principal siège du Turc, pour luy donner siège non pour autre chose sinon pour le garder de venir à dos aux autrès puissances. Et ce principal exercite, en estant cinquante mil, jamais ne perdra bataille contre le Turc, car il n’aura point puissanc; de résister pour l’empeschement de son secours qui sera empesché des autrès puissances.

 

« De Vidinc à Andrenopoly sont quinze journées de cheval. Les dix mil que j’ay dict qui passeroyent par la Pedra auroyent avec eulx le seigneur de la Walaquie qui peust mettre sus quinze mil hommes à cheval des plus vaillans gens qui soyentau monde, et lequel seignourie le bms de Zagora qui est une province de la Grèce.

 

« Et en tenant ceste manière, le Turc seroit perdu et très brief. Car considéré lacondicion delà Grèce, comme j’y dict, et que lesditz gens d’armes vinsent en la manière que dict est, en moins d’ung mois, tout seroit finy par 1a grâce de Dieu.

 

« Et selon l’opinion d’aulcuns, il seroit encores besoin d’avoir par mer 20 gallées armées qui empeschassent la Turquye de en donner secours à la Grèce et suis assez de ceste opinion, combien qu’il ne me samble pas trop nécessaire, mais il ne peust nuyre; lesquelles gallées se porroyent avoir des Venissiens et des Cathelans et qui très voluntiers le feroyent pour la deslivrance de leurs lieux et seigneuries que ont prins les Turcz, et que journellement leur font des molestes : et en volant faire ladite entreprinze, seroit chose très legiere de la povoir faire et je diray la manière : que Nostrc Sainct Père le Pape donne la conqueste à aucun noble et vaillant prince à ce souffissant et mette indulgences par toute chrestienté pour assambler argent tant pour souldes de gens comme pour autrès choses.

 

« Et l’Allemaigne, la Hongrie, la Behaigne, la Cratonye qui sont tous voisins et batus des Turcz porroyent mettre dans les champz 100 000 combatans. Et de la Hongrie à passer dans la

Grèce n’y a à passer sinon la Dunoe et tantost on est en la Grèce ; et par ceste manière est très legiere à qui en aura bon volloir.

 

” Item, conquestant la Grèce comme j’aydict, conquesteroit la Terre Saincte en moins d’un mois, car la Grèce en demeurant en la seigneurie des chrestiens est souftisante sans nul doubte de rachepter tout le demeurant, car elle j^orra faire plus de cent gallées et de 100 000 hommes combatans.

 

« De Vidinc jusques à Andrenopoly a 15 journées : de Andrenopoly jusques à Constantinoble a 3 journées et de Andrenopoly jusques a Galipoly qui est port de mer et le passaige de Turquie a 3 journées. Et si la puissance peut joindre à Andrenopoly, il n’est plus riens à dobter, car tout le pays se rebellera contre le Turc et ceulx du pays propre seront ceulx qui le destryront.

 

« JOHANNES TORZELO, « chevallier, serviteur et chambellan de l’empereur de Constantinoble. »

 

Sensnyi Tadvis et advertisseiiient de ce qu’il samhh à moy Bertrandon de La Broqiiiere, seigneur de Viel Castel, conseiller et premier escuycr treiicbûiit de mon Iresredohté seigneur Monseigneur Je duc de Bourgoigue et de Brahaut, touclmut l’advis cy dessus escript, lequel Messire Jehan TorÂclo, chevallier, serviteur et chambellan de l’empereur de Constantinoblc, a faict, en amonestant les seigneurs chrestiens pour la conqueste de la Grèce, de la Turquie et de la Terre Saincte, lequel advis mon très redobté seigneur me bailla après que je fus revenu de mon voyaige par terre de Jherusalem jusques en France, pour le faire translater de langaige florentin en françois, et puis ordonna qu’il fust attaché à la fin de mon voyaige, mis par escript cy dessus par Maisire Jehan Mielot, chanoyne de Sainct Pierre de Lille et le moindre des secrétaires de mon très redohté seigneur.

 

 

Il me samble donc que le dit advis et advertissementde Messire Jehan Torzelo est très bon et vray en aucuns poins comme je puis avoir veu et eu en souvenance et aussi sceu pour ouyr dire par autrès que par ledit Messire Jehan Torzelo, et par especial de la puyssance du Turc. Le Turc a de 100 à 120 000 hommes à tout le plus ; de quoy les 40 000 seront à pié, sans tarquais ne autrès harnois que espées et aucuns bastons sans fers, et le surplus achevai. Et au regard des 20 000 hommes d’armes que Messire Jehan dit que le Turc tient continuellement à gaiges pour la garde de son corpz, je n’en ouys oncques parler que de 10 000 qui sont esclaves dudit Turc, portans blancz chappeaulx, desquelz j’en ay veu une partie. Car du temps que je vins là où le Turc estoit es marches de Thezale ces 10 000 esclaves que les aulcuns appellent Jehaniceres, en qui il se fie le plus, avoyent esté desconfis par les Albanois, comme plus avant au long est dict audit livre cy dessus. Au regart de l’autre puissance, je me accorde bien à l’advis de Messire Jehan Torzelo par ouyr dire. Car je n’ay point veu le Turc ensamble sa puissance es champs, en armes, ne en batailles : et quant aux trois chemins qu’il samble à Messire Jehan que on doibve prendre pour entrer en la Grèce, je ne sçay à parler que de celui de Bellegrade tirant à Sophie ; et ne sçay se par celluy de Vidinc, on pourroit mener, par charriotz, les vivres nécessaires à une grande armée ou se on treuve autant de villes entre Vidinc et Andrenopoly que par la voye et chemin de Bellegrade et Sophie.

 

Et quant aux puissances qu’il dict qui se porroycnt joindre avec les 20 000 combatans, qu’il samble à Messire Jehan p.ir son advis que on devroit faire aller par la voye de Bellegrade, ceste chose a despuis changé, car le dispot de Rascie a esté despuis dechassé par le Turc hors de la plus grant partie de ses pays de Rascie et de Servie : et n’a point telle ne si grande puissance de gens qu’il soulloit du temps que Messire Jehan feist son advis. Et si les Esclavons et Albanois se voloient joindre avec l’armée des princes chrestiens, il seroit plus prochain et en moins de dangier des Turcz que feroit la voye de Bellegrade qui est plus prochaine d’Esclavonye et Albanye que celle de Vidinc.

 

Et samble que aincois que la puissance des princes entrast en la Grèce, on devroit advertir les Esclavons et Albanois pour savoir où ilz se voldroyent et porroyent joindre avec l’armée et en quel lieu et quel nombre de gens, lequel je cuyde qu’il ne soit pas si grant à présent que Messire Jehan escript et baille par son advis, et qu’ilz fussent advertis d’eulx pourveoir de

vivres, selon leur manière de faire.

 

En outre, Messire Jehan ne advertit point du plus grant nombre de gens qu’il me semble qu’il est nécessité aux princes chrestiens d’avoir pour comb.attre et destruyre le Turc et sa puissance.

Et me samble que le plus grant nombre d’archiers de France, d’Angleterre et d’Escosse que on pourroit finer et que une partie fussent duytz à tyrer à cheval et portassent petits pavais du costé où ilz tendroient l’arc; et crennequiniers d’Allemaigne à cheval, et arbalestriers genevois, françois, gascons, catellans, et toutes gens de traict, le plus grand nombre que l’on porroit hner, ce sont les gens qui plus feront dommaige aux Turcs lesquelz ne sont point armez que de petis pavais, espées et tarquais : et les aulcuns ont de grosses masses qui ont bien courtz manches, et fault qu’ilz en soient prez, s’ilz en veulent ferir. Et ont leurs coiffes faictes de til d’archal assez fortes contre le coup .d’une espée, sous leurs chappeaulx ou tocques, comme j’ay dict par avant. Et me samble aussi que qui auroit un nombre competant de ryb.iuldequins pour mettre devant la bataille des chrestiens ainsi que Monseigneur a accoustumé de s’enayder, ilz y seroient nécessaires, bien seantz et mouh protfiitables.

 

Et ne advertit point Messire Jehan les princes bien au long de la manière et ordre de combatrc le Turc et d’aller avant. Si me samble, comme je l’ay ci-devant touché en mon livre, selon que j’ay ouy parler ceulx qui ont veu les Turcz en bataille et la manière que selon les places où ilz se peuvent treuver, larges ou estroictes, ilz doibvent ordonner et mettre leurs gens, et eulx préparer pour combatre selon la manière d’Auterice, de France, c’est assavoir avant garde, bataille et arrière garde, et que en allant avant, soyent tousiours prez l’un de l’autre, car les Turcs sont moult diligens et soudaynement viennent sur les gens aucunes fois.

 

Et s’il vient à combatre. que l’advant grande et arrière garde, saulve le millieur advis de ceulx qui en sçavent plus et mieulx parler que moy, doibvent faire les clés de la bataille, et l’advant garde du costé droict. Et ung ru de pierre d’un plain point devant la bataille en laquelle porroit estre un grunt nombre de crennequiniers à cheval, entrelardez avec les gens d’armes et des archiers. si mestier est.

 

Et samblablement en l’arriére garde qui sera au bout de la senestre de l’autre costé ung bien pou séparé de la bataille et non trop, que en la dite avant garde ait des gens notables qui cognoissent l;i condicion des Turcz et la manière qu’il fault tenir pour les combatre et desconfire : et que les cliiefs de la dite avant garde et arrière garde soyent crains et obbeys de ceulx qui seront soubz eulx.

 

Et me samble qu’ilz doibvent attendre que les Turcz leur courent sus : lesquelz ont une manière de faire comme on dict qu’ils faignent eulx enfuyr, affin que on les chasse. Et qui ainsi le feroit, ce seroit la perte et destruction des chrestiens. La raison si est: ilz ont leurs chevaux legiers et tousiours en aleyne pour courre et les hommes sont legiers et sans empeschement de harnois et tirent en fuyant, mieulx, plus fort et plus royde et plus droict qu’ilz ne font en chassant.

 

L’autre cause est que les chrestiens sont armez et leurs chcvaulx gros et pesantz qui ne vont si fort que ceulx des Turcz, et quant ilz les ont mis en desroy, et que en fuyant, ilz blecent les chevaulx et les gens qui les chassent. La plus grant part des Turcz portent tousiours ung tabolçan à l’arçon de la selle et le sonnent, et s’en rassamblent comme porceaulx, quant ilz or.yent crier l’un l’autre. Et quant ilz sont assamblez et treuvent les chrestiens en desroy chascun peut penser et cognoistre quelle fin en peut estre. Et au regard de la bataille me samble que les princes doibvent là estre et la conduyre, en hiquclle doit estre la baniere de la croix et de Nostre Dame et celles des princes et aultrès seigneurs et nobles hommes qui en portent.

Et seront en ladite bataille au moins de nombre que bonnement faire se porra, afin que moins de gens en soyent occupez et qu’ilz puissent combatre, si mestier est. Et samblc que pareillement une grande partie d’archiers et de gens de traict doivent estre entrelardez entre les gens de bataille pour ce que les Turcz sont tous archiers pour la plus grant part : et pourroient tirer dedans la dite bataille si n’estoit pas la résistance etdobte du traict des archiers et crennequiniers des chrestiens qui seront comme dict et parmy les gens d’armes ou ung pou devant si mestier est : et ainsi que on porra veoir que sera de nécessité pour ce que les archiers et crennequiniers chrestiens tirent plus loing : et porroient avoir tiré deux ou trois flesches et traicts au moins dedans la bataille des Turcz avant que les flesches des Turcz puissent venir dedans la bataille des chrestiens. Les trois batailles seront prez l’une de l’autre comme dict est, et laisseront venir les Turcz contre eulx. Et si estoit ainsi, et que ce fust la voulenté et grâce de Nostre Seigneur que les Turcz se missent en fuyte par cautelle pour mettre les chrestiens en desroy, samblequeles batailles ne se doivent point pourtant desroyer, mais tous ensamble aller avant le pas sans troter et tousiours en ordonnance.

 

Et si par adventure, les Turcz estoyentprez d’ung destroict qu’il fallit qu’ilz passassent à peyne et en desroy, et quant une grande partie seroyt passée oultre, que on verroit qu’ilz s’enfuyeroient à bon escient, lors l’advant garde les porroit charger et ferir au doz : et que la bataille soit prez pour tousiours soubstenir le tais et secourir l’advant garde, si mestier est.

 

Et samblablement pourroit faire l’arriére garde de son costé. Et est de nécessité que chascun soit adverty que on ne chasse point oultre ledit destroict et que la puissance ne chasse point oultre que on ne sache la convine des Turcz ; car en telles choses ilz sont assez cautelleux et subtilz et ozeroit bien le Grant Turc perdre ung nombre de ses gens pour mettre en desroy, pour deffaire et desconfire les chrestiens.

 

Et samble que qui se conduyra saigement et par bonne ordonnance, que le Turc sera contrainct de combatre les chrestiens à songrant desadvantaige ou de perdre et abandonner la Grèce, pour ce qu’il n “y a nulles forteresses que aucunes sur les frontières lesquelles par où j’ay passé ne sont pas bien fortes. Et les murs de toutes les grosses villes dedans le pays de la dite Grèce sont abatus. si ce n’est Constantinoble et le chastel de Dymoticque qui est sur la Marescc près de Ypsala tirant à Henie.

 

Et ainsi fault qu’il garde ledit pa3S de la Grèce par puissance ou qu’il l’abandonne et perde.

 

Et samble que tous les gens d’armes devroyent porter espées trenchans. ung pou roides de pointe, et courtes lances legieres et les fers trenchans un pou roides sur la façon d’un fer d’espieu pour en ferir, comme on feroit de ces menues lances que on appelle langues de beuf : et quant les batailles iront avant, qu’on soit tousiours en ordonnance, comme pour attendre la

bataille d’heure en heure.

 

Et que on envoyé des gens du pays à ce cognoissans, tousiours ung pou devant les batailles affin que par la grant dilligence des Turcz ilz ne puissent surprendre les chrestiens en aucun dcstroit demy passé ou à passer. Et si n’estoit que le Turc eust perdu quarante ou cinquante mille hommes, par ainsi les princes et les batailles se pourroycnt eslargir si bon leur sambloit.

 

En oultre, Messire Jehan Torzelo ne parle point en son advis du grant rigueur de justice qu’il me samble que les princes chrestiens devront tenir et faire s’il leur plaist, sans laquelle samble que ladite conqueste ne se pourroyt faire ne onduyre.

 

Et premièrement des cdits et ordonnances que les princes feront: que nuls de leurs gens ne prennent ne dérobent riens l’un à l’autre et ne prennent riens de aultruy sur peynes cappitalles et par especial sur les chrestiens. Car qui le leroit autrement, il seroit en grant dangier que grans inconveniens et dommaiges s’en pourroient ensuyvre comme autrès fois ont faict. Et pareillement, par samblabies deffences et ordonnances que les marchans, qui mèneront les vivres et autrès denrées pour fournir la dite armée, soyent gardez et conduite seurement sans leur prendre ne oster leurs vivres que en payant le pris qui sera ordonné par ceulx qui à ce seront commis par les princes et chiefz. Et avec ce samble il que les princes devroient ordonner et deffendre sur les peynes dessus dictes que nul, de quelque estât qu’il soit, ne fasse noyse ne debatz, par quoy aucune difficulté ou dissension puist estre entre les princes et leurs gens, car c’est une chose moult périlleuse, cominc chascun peut sçavoir.

 

Item, est de nécessité de deffendre que nul n’aille en fouraige et sur peyne qui samblera bonne aux princes, depuis que on entrera en la Grèce, si ce n’est par l’ordonnance des princes et chiefz jusques à ce que on sera au dessus delà conqueste.car les dangiers y seroient grans, considéré la grant dilligence des Turcz qui font souvent en ung jour autant de chemin ou plus qu’ilz n’ont faict en deux ou trois jours quant ilz ne vont que le pas.

 

Et pour advertir, il est assez notoire que le Grant Turc tient grant pays et seigneuries et me samble qu’il est le plus obbey de ses subjectz que seigneur que je cognoisse, ne veisse onques, ne de qui j’aye ouy parler ; car il n’y a nul de ses gens, de quelque estât qu’il soit, qui l’osast desobbeyr ne très passer son commandement et ordonnances sur leurs vies. Et n’espargne nul quant le cas y eschct : et avec ce sont les Turcz gens de grant dilligence et obbeyssant, comme dictest, et cognoissent et sçavent prendre leur party, quant il leur est besoin et necescité.

 

Et quant à la conqueste de la Terre Sainctc de quoy iMessire Jehan Torzelo met en son advis qui se feroit ung mois par apprez, il me samble que la chose n’est pas si legiere à faire, au moins par terre comme le dit Messire Jehan : et ne sçay s’il a faict le chemin par terre. Au regart de la mer, je m’en rapporte à ceulx qui cognoissent mieulx la chose qu’il ne foict.

 

Au regart des exortacions et amonestemens de bien fan^e et de faire service à Nostre Seigneur en grant humilité, dévotement et de boncueur et laisser toutes pompes et vaines gloires arrière et ne penser à nul mal, fors seullement à servir Dieu dévotement et à l’augmentacion de nostre foy, estre confez et repentant de tous ses péchez et en volenté de non plus y rencheoir, je m’en atens aux confesseurs et prescheurs de le remonstrer aux princes et à chascun chrestien, tant par predicacion que en confession. Nostre Seigneur par sa grâce doint que tous qui yront audit voyaige pour faire celle conqueste contre les Turcz soyent de telle volenté.

 

Sy plaise à mondit seigneur très redobté prendre en gré cestuy mon advis et advertissement de ce qu’il me samble sur l’advis dudit Messire Jehan, et s’il y a aucune chose qui samble à mondit seigneur qui puist servir ne proftiter, que de sa grâce luy plaise estre content de mondit advis que j’ay faict grossièrement, selon mon petit sens et entendement, tout le mieulx que j’ay sceu. Dieu par sa grâce veuille conduyre le surplus au bien de la chresiienté et à l’honneur de mon très redobté seigneur, Monseigneur le duc de Bourgoigne.