Basile de Césarée, Légende des 40 Martyres, v. 350 n-è

[…] Nous avons aujourd’hui à admirer, non un seul martyr, non 2, ni même 10, mais 40, qui, ayant une même âme dans différents corps, animés du même esprit de la foi, ont montré la même patience dans les tourments, ont soutenu le parti de la vérité avec la même constance. […]

Patrie universelle du christianisme :

[…] Les saints que nous célébrons n’avaient pas la même patrie ; ils s’étaient rassemblés de plusieurs endroits différents. Quoi donc ? dirons-nous qu’ils étaient sans villes, ou citoyens de l’univers Les effets d’une même communauté appartiennent également à tous ceux qui ont mis leurs biens en commun : ainsi, les bienheureux, tels que nos martyrs, se regardent tous comme d’un même pays ; quoique sortis de divers lieux, ils se communiquent chacun la patrie qui leur est particulière. […] La patrie des martyrs est la cité de Dieu ; cette cité dont Dieu est le fondateur et l’architecte, « la Jérusalem d’en-haut » ; cette ville libre, la mère de Paul et de tous ceux qui lui ressemblent. L’origine temporelle est différente pour tous les hommes ; mais tous n’ont qu’une même origine spirituelle. Dieu est leur père commun ; ils sont tous frères, non point nés d’un homme et d’une femme, mais unis ensemble par la charité, fruit de l’adoption divine. Le chœur auquel les saints doivent se réunir est toujours prêt : c’est une grande troupe d’êtres qui glorifient le Seigneur depuis le commencement dit monde, qui ne se sont pas rassemblés à un, mais qui ont été transportés tous ensemble.

De la persécution de Dioclétien :

Nos 40 martyrs se sont distingués dans leur temps, par la hauteur de la stature, par la vigueur de la jeunesse, par la grandeur du courage. Inscrits pour servir, leur science et leur bravoure leur méritèrent les premiers grades de la part des princes, et leur acquirent dans le monde une grande réputation. On publia un édit injuste et coupable qui défendait sous les peines les plus graves, de confesser Jésus-Christ. On menaçait les fidèles de tous les supplices, les juges signalaient contre eux leur fureur et leur rage ; on employait, pour les surprendre, les ruses et l’artifice ; on disposait tous les genres de tortures, […] Quelques-uns, avant le combat, étaient effrayés par les seules menaces ; d’autres se décourageaient à la vue des supplices ; d’autres, au milieu du combat, ne pouvant résister jusqu’au bout à la douleur, abandonnaient la partie ; et, semblables à ceux qui sont surpris par une tempête au milieu de la mer, ils perdaient, par un triste naufrage, ce qu’ils avaient amassé par la patience. C

Ce fut alors que nos généreux et invincibles soldats de Jésus-Christ, paraissant en public, après avoir entendu la lecture de l’édit de l’empereur et l’ordre d’y obéir, confessèrent qu’ils étaient chrétiens, avec une intrépide assurance, sans être épouvantés par aucunes menaces, sans être intimidés par l’appareil des supplices.

[…] nos saints athlètes, oubliant le nom qu’on leur avait imposé à leur naissance, s’annonçaient tous sous un nom pris du Sauveur commun. Tous, l’un après l’autre, prenaient le même nom, et sans songer à celui sous lequel ils étaient connus dans le monde, ils s’appelaient tous chrétiens.

[…sur la tactique du Juge]

Cruauté du Tyran

Le tyran superbe et barbare ayant entendu ces paroles des martyrs, fut outré de leur sainte hardiesse; et se livrant à toute sa fureur, il cherche un moyen de leur faire subir une mort aussi cruelle que longue. […] Le climat était naturellement très froid ; on était au fort de l’hiver, il choisit le temps de la nuit où le froid redouble, et où le vent de nord soufflait : il commande qu’on dépouille les martyrs, qu’on les expose nus à l’air au milieu de la ville, et qu’on les laisse mourir de froid. […] Le corps pénétré de froid devient livide, parce que le sang se fige ; il tremble et il frémit; les dents battent les unes contre les autres, les nerfs se retirent, toutes les parties du corps se rétrécissent avec violence. Une douleur aiguë, une douleur qu’on ne peut exprimer, cause au malheureux transi de froid un mal insupportable. Les extrémités se détachent comme si le feu les avait brûlées, parce que la chaleur, se réfugiant au-dedans, laisse mortes les parties qu’ elle abandonne, en même temps qu’elle fait souffrir celles où elle se rainasse; enfin, la mort s’avance peu à peu avec le froid qui gagne sans cesse.

Paroles des Martyrs :

[…] « Ce ne sont pas nos vêtements que nous dépouillons, mais le viril homme, qui se corrompt en suivant l’illusion de ses désirs. Nous vous rendons grâces, Seigneur, de ce qu’avec nos habits nous déposons le péché. Le serpent antique nous les avait fait prendre, nous les quittons pour Jésus-Christ. Laissons-les pour recouvrer le paradis que nous avons perdu. » […]«  Puisqu’il faut absolument mourir, mourons pour vivre éternellement. Que notre sacrifice se consomme devant vous, Seigneur (Dan. 3. 40.), et daignez l’agréer. Recevez-nous comme une hostie vivante agréable, comme une offrande magnifique (Rm., 12, 1), comme un holocauste d’une nouvelle espèce, consumé par le froid, et non par le feu. »

Allégorie militaire :

[…] Ils passèrent toute la nuit comme dans une sentinelle militaire, supportant généreusement leurs maux, se soutenant par l’espérance de l’avenir et insultant au démon leur adversaire […]Un seul de la troupe, se laissant abattre par les maux, abandonna son poste, et causa une douleur infinie à ses compagnons.[…] Lorsque nos soldats intrépides étaient an fort du combat, leur gardien qui en observait l’issue, fut témoin d’un spectacle extraordinaire; il vit des anges qui descendaient du ciel, et qui distribuaient de grandes récompenses aux combattants, comme de la part du Roi suprême. Ils négligèrent d’en donner à un seul qu’ils jugèrent indigne des honneurs célestes. Ce malheureux ne pouvant tenir davantage contre le froid, passa aussitôt à l’ennemi. Triste spectacle pour les justes, de voir un soldat déserteur, un brave fait prisonnier, une brebis de Jésus-Christ dévorée par le loup! […]Le bourreau l’ayant vu perdre courage, abandonner son poste et courir au bain, quitta ses vêtements pour aller se mettre à sa place ; il se mêla parmi les martyrs, s’écriant avec eux: « Je suis chrétien ». […] Ainsi dans la mêlée on voit des soldats prendre aussitôt la place de ceux qui meurent à la première ligne, polir remplir les rangs et empêcher qu’ils ne s’affaiblissent; c’est ce que fit notre néophyte. […] Judas déserta, Mathias prit sa place ; il fut imitateur de Paul qui, hier persécuteur, était aujourd’hui évangéliste ; […]

Conclusion :

Dès que le jour parut, les martyrs qui respiraient encore furent livrés au feu, leurs cendres furent jetées dans le fleuve, afin que tous les éléments servissent à leur triomphe. […]

Ce sont les protecteurs de notre pays et de notre ville ; semblables à de fortes tours, ils nous défendent coutre les attaques de nos ennemis. Ils ne se sont pas renfermés dans un même lieu, mais ils servent d’ornement à plusieurs contrées dans lesquelles ils se sont répandus. Ce qu’il y a de surprenant, c’est qu’ils marchent étroitement unis ensemble, sans se séparer pour ceux qui les adoptent pour patrons. ils ne sont jamais ni en moindre nombre, ni en plus grand nombre : divisez-les en cent, ils ne seront pas plus de quarante ; réunissez-les en un, ils ne seront pas moins de quarante

[…] Que les jeunes gens les imitent ; que les pères souhaitent d’avoir de pareils enfants ; que les mères prennent pour modèle la mère courageuse d’un de nos généreux athlètes. Cette femme voyant que les autres étaient presque morts, et que son fils, qui, plus robuste, avait tenu contre le froid, était laissé par les bourreaux dans l’espérance qu’il pourrait changer de sentiment, le prit elle-même entre ses bras, et le mit sur le char qui conduisait les antres au bûcher.

[…] C’était un spectacle digne de l’armée des anges, digne des patriarches, des prophètes, des justes, un spectacle, en un mot, pour le monde, pour les anges et pour les hommes, que des jeunes gens qui, dans la fleur de l’âge, lorsqu’on espère le plus de vivre, ont méprisé la vie temporelle, ont aimé le Seigneur plus que leurs parents et leurs enfants, ont glorifié Dieu dans leurs membres. Par leur constance admirable, ils ont relevé ceux qui étaient tombés, rassuré ceux qui balançaient, redoublé l’ardeur des fidèles ; et, élevant tous ensemble un trophée à la Religion, ils ont reçu tous ensemble la couronne de justice, en Jésus-Christ notre Seigneur, à qui soient la gloire et l’empire dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.