Le Maroc (in)dépendant du traité de Rome (1958-1963) : hésitations et intérêts divergents

Introduction

A la signature du traité de Rome (25 mars 1957), le Maroc est un tout « jeune Etat »[1] qui a signé un an seulement auparavant son traité d’indépendance « dans l’interdépendance librement consentie »[2] avec la puissance protectrice française. Les forces politiques sont encore réunies autour du gouvernement de transition de Mbarek Bekkai, notable berbère passé par l’école militaire française de Dar Baida (Meknès).

Le pays n’est pas encore diplomatiquement autonome. Les délégués français négocient donc son statut commercial vis à vis du futur Marché Commun en fonction de leurs intérêts propres[3]. Le Traité de Rome garantit alors la préservation des contingents franchisés de la zone Franc vers la métropole, au moyen d’un « protocole » contraignant (au sens de l’article 239)[4]. A cette annexe s’ajoute une « déclaration d’intention » (non contraignante) qui vise «  à proposer à ces Pays des négociations en vue de la conclusion de conventions d’association économique à la Communauté. »[5].

Nous présenterons ici les informations extraites des archives de l’ambassade de France à Rabat ainsi que celles de la délégation française de Bruxelles ayant trait aux relations entre le Maroc et le Marché Commun. La période traitée s’étend de 1958 à janvier 1964, lorsque s’ouvrent les premières « conversations exploratoires ».

On s’interrogera en priorité sur les rivalités d’intérêts et les positionnements idéologiques des différents acteurs.

-Il s’agira de déterminer quelles forces politiques et économiques marocaines concourent à une association, et quelles forces s’y refusent.

Il faudra s’interroger sur les priorités qui concourent finalement à l’étalissement de l’agenda (communautaire, marocain, français, maghrébin…).

-On s’intéressera dans un second temps au rôle et aux objectifs de la France face aux questions du Marché Commun étendu au Maroc et à sa perception des différents groupes de pression marocains. On étudiera aussi la position de Paris par rapport à ses partenaires et aux grands émissaires européens (Van Offelen) dans ces pré-négociations.

-Les dimensions géopolitiques (l’Occident, le Tiers-Monde…) ne sont pas absentes de ces discussions et nourrissent (et justifient) les stratégies contradictoires des différents acteurs.

On ne peut laisser de côté la question centrale de la pertinence de l’espace maghrébin et de son rôle symbolique et discursif. On cherchera à montrer les causes de son irruption dans le débat et l’usage qui en est fait par les différents acteurs.

-Enfin, à la croisée des logiques et pratiques des acteurs et des arguties idéologiques et politiques, on abordera la question de l’emprise culturelle française et francophone sur les décideurs marocains face à l’arabité des indépendantistes.

Ces problèmes seront présentés de manière chronologique, en fonction des périodes d’intensité diplomatique. Une première partie se consacre à la période du gouvernement du Parti de l’Istiqlal (PI), de janvier 1958 à septembre 1959, avec comme décideur politique le progressiste Bouabid, ministre de l’Économie. Plus avant, ces même questions seront abordées dans le contexte du Conseil dirigé par Hassan II (1961-1962), regroupant autour de l’autorité monarchique des affidés personnels et l’aile conservatrice des nationalistes (1962). Enfin, l’évolution rapide du Conseil monarchiste, puis du gouvernement du tout puissant conseiller Guédira, vers des « discussions » avec la Commission, en 1963, sera l’objet d’une troisième partie.

1-Des Intérêts français face à politique de l’Istiqlal (1958-1959)

En 1958, le capitalisme marocain est largement dominé par les entreprises françaises et celles des notables marocains issus de l’élite bourgeoise Fassie ou Rabatie ou des familles caïdales du protectorat.

A.    Le programme d’industrialisation face à l’élite exportatrice

Ces groupes d’intérêts s’inquiètent très tôt des conséquences de la CEE sur leurs activités, car, « en 1956, les Six pays du M.C. et leurs territoires associés ont absorbé 80% du total des exportations […] et nous ont fourni 67 % du total de nos importations. »[6]. Ainsi, « La Vie française », titre le 3 janvier 1958 : « Le marché commun se met en route, que va faire le Maroc »[7].

Cette première vague de réactions doutent de la possibilité de combiner l’Acte d’Algésiras, (1906) qui impose la non-discrimination dans la politique tarifaire de l’empire chérifien avec la Déclaration d’Intention visant à l’association du pays. Ils craignent donc que la métropole ne finisse par modifier le régime des contingents de la zone franc et ne les abandonnent à la ruine.

En avril et mai 1958, le gouvernement de transition est renversé par le parti nationaliste de l’Istiqlal. Belafrej prend le poste de premier ministre tout en conservant la tête des Affaires Etrangères. Il nomme le « progressiste » Bouabid au poste de Ministre de l’Economie Nationale. Ce dernier entame alors une politique de réorganisation économique, de contrôle des importations et de promotion des exportations, notamment vers les pays de l’Est et l’Afrique. Ce projet vise à l’industrialisation du pays, afin de parvenir, sur des bases tiers-mondistes et neutralistes, à l’indépendance économique.

En juillet parait le rapport de  Maurice Ruet, commandé par le nouveau gouvernement intitulé « Le Maroc devant le Marché commun ». Il est publié dans la revue Maroc-Document et est rapidement communiqué à l’ambassade de France. L’auteur place d’emblée la question au regard de l’orientation économique du pays (et donc aux groupes qui la conduisent) : « Si le Maroc […] peut […] espérer […] un important développement industriel, l’association au M.C. risquera fort d’être regardée avec un préjugé défavorable fondé sur les aspects ‘néo-colonialistes’ du M.C. […] S’il s’avère au contraire qu’[…il] ne saurait espérer […] un puissant développement industriel [elle…] suscitera de beaucoup moins grandes réserves… »[8]

L’expert propose d’évaluer l’intérêt d’adhérer ou non à la CEE (une perspective qui ne parait pas du tout absurde à l’époque) en fonction des différents types de produits. Il repousse vivement l’intégration en tant qu’Etat membre, qui, selon-lui, ne peut que ruiner l’industrie naissante. Il préconise donc une association commerciale partielle, repoussant également le cadre de l’article 133[9], pour des raisons symboliques (« il ne vise aucun pays indépendant […mais seulement] des pays et territoires coloniaux »[10]), mais aussi parce qu’il ne garantit pas juridiquement les protections douanières (et parce que son paragraphe 4 en exclut juridiquement le Maroc en vertu de l’Acte d’Algésiras). Il invite donc à réfléchir à un accord basé sur l’article 238[11], qui inclurait un dédouanement important sur les produits agricoles exportés par le Maroc (50% de ses exportations dans la CEE) contre une libération de son tarif sur des produits industriels ou miniers qu’il ne serait pas en mesure de produire lui-même. Cependant, il invite implicitement le gouvernement Istiqlalien à laisser en place le statu quo laissant entendre que l’association ne deviendra urgente « pour rétablir l’équilibre » que si les pays concurrents (Espagne, Portugal, Grèce, Turquie) le précèdent[12].

 

B.     Zone franc et souveraineté commerciale

Durant cette année, la France cherche à accroitre ses contingents français dans le cadre de ses négociations avec l’Allemagne Fédérale. En janvier 1959, le Conseil transmet à la Délégation française à Bruxelles une note de l’ambassade du Maroc de décembre 1958[13]. Mehdi Ben Barka,  idéologue et économiste de l’Istiqlal prend acte du transfert par la France des contingents marocains du commerce franco-allemand dans le cadre de la « globalisation des contingents », il remarque que « les contingents bilatéraux de l’accord franco-allemand sont ouverts à la zone Franc, le Maroc y compris » et que « ce n’est pas la zone Franc […] qui a adhéré au Marché Commun, mais uniquement la France et certains des Territoires d’Outre-Mer […] » Il veut donc « attirer l’attention […] sur les graves conséquences pour les rapports entre nos deux pays d’un refus d’individualiser à notre profit les contingents que nous avons effectivement réalisés sur l’Allemagne, soit directement, soit via un port français. »

Cette situation hybride semble donc désormais intenable pour tous, le 15 janvier, la situation semble se débloquer : « La commission mixte franco-allemande est parvenue à un accord au sujet de la part à déduire des exportations de la zone franc […] pour tenir compte des exportations marocaines […] principalement l’orge et le vin […] la détermination des contingents accordés par les Allemands n’est désormais plus qu’une affaire bilatérale germano-marocaine […] ils ont d’ailleurs laissé entendre qu’ils réserveraient aux Marocains des contingents […] supérieurs. »[14]

C.     Des ambitions contradictoires : les Six et l’empire français

L’équipe menée par Bouabid, jusqu’à l’établissement du Conseil monarchiste en mai 1960, préfère tenter de développer de nouveaux marchés à l’exportation pour réduire sa vulnérabilité à l’égard de la politique commerciale et monétaire française.

Le député libéral de Bruxelles J. Van Offelen[15], est reçu dès l’automne 1958 par Ahmed Benkirane, secrétaire d’Etat au commerce du gouvernement Belafrej[16].[17]

Le « docteur en économie » livre alors sa vision du Maroc dans le Marché Commun, entre adhésion, association de type TOM et association d’avantages réciproquement négociés. « Faisant alors une profession de voie (sic) libre-échangiste, M. Van Offelen a affirmé que ses préférences allaient à la première de ces trois solutions […] Il n’ignore pas les nombreuses difficultés […] économiques [et…] l’infériorité dont le Maroc serait victime dans la compétition[…]puisque la productivité […] est relativement faible en raison du manque d’efficience de sa main d’œuvre. Mais, d’après lui, cette infériorité du Maroc pourrait être facilement compensée par un décrochage du franc marocain par rapport au franc français. Il concède que la seconde solution est symboliquement et politiquement impossible et se rabat sur la troisième, à l’instar de Maurice Ruet, comme le remarque la note. Il y a fort à parier que le « représentant quasi-officiel du Marché Commun » a lu au préalable le rapport commandé par le gouvernement pour l’inciter de la manière la plus intelligente à négocier avec la Commission.

Il semble aussi chercher à inviter le Maroc à s’ouvrir à la CEE pour sortir de la sujétion économique française. Ainsi, l’ambassadeur s’étrangle : « S’il est possible de se féliciter du fait qu’une personnalité non française vienne expliquer au Gouvernement et à l’opinion publique marocaine […] les avantages pour le Maroc d’une association avec le Marché Commun, il est regrettable cependant de voir un représentant quasi-officiel d’un pays du Marché Commun venir conseiller au Gouvernement Marocain le décrochage du franc marocain […] Je sais de source sûre qu’aux cours de conversations privées avec des Ministres Marocains et des personnalités des milieux économiques, il aurait non seulement conseillé le décrochage […], mais affirmé le caractère inéluctable, tant pour des raisons politiques qu’économiques, de l’abandon par le Maroc de la Zone Franc. » On sait que dès la fin de cette année, le décrochage du Franc Marocain est acté avec l’arrivée du gouvernement Ibrahim, encore plus « progressiste » qui entrait dans l’épreuve de force avec la métropole, ce qui allait lourdement impacter ses capacités d’exportations[18].

En avril 1959, Jean Rey est invité, sans en prévenir apparemment les autorités françaises (puisque c’est la commission qui prévient la Delfra), à l’inauguration de la foire de Casablanca. Il décline alors officiellement pour des raisons d’agenda[19] et se fait remplacer par son chef de cabinet accompagné d’un Français, M. Mafray, « chef de division à la Direction Générale des relations Extérieures [de la Commission, qui] s’occupe plus particulièrement des questions relatives à l’association des pays tiers à la CEE [mais…] a été désigné […] en raison de sa nationalité et non de ses fonctions ». Les autorités françaises paraissent singulièrement vexées de cette intrusion belge et communautaire dans un Maroc Istiqlalien qui joue l’épreuve de force et cherche sans doute à jouer les partenaires de la CEE contre Paris. La note ajoute ainsi, pour rassurer le ministre des affaires étrangères : « La lettre d’invitation […] est une de celles qui ont été [envoyées…] à de nombreuses autres institutions ou personnalités […]. »

A partir du 20 mai et jusqu’en juillet, les attachés commerciaux des ambassades des Six à Rabat se réunissent quatre fois sur le sujet de l’association du Maroc. Pierre Laurent, le Conseiller Commercial français, informe ainsi le secrétaire d’Etat aux affaires économiques du MAE le 29 juillet[20], qu’ « il est encourageant de constater que le climat […a]  été d’une grande cordialité […] mais on peut […] noter que les […] allemand[s] et néerlandais, interprétant à la lettre leurs instructions, font preuve d’une grande circonspection, alors que l’[…]italien et moi-même cherchons à explorer plus à fond […] » Au niveau multilatéral, la question de l’intégration du Maroc au marché commun reste donc bien plus une priorité française que communautaire. Ainsi, « Nos cinq partenaires […] ne se présentent guère comme demandeurs. Ils voudraient surtout que cela ne leur coûte pas trop cher […] ils réclameront, comme ils l’ont fait pour les T.A.O.M., […] la non-discrimination entre les Six. » Parallèlement, il serait habile politiquement et pécuniairement pour Paris de procéder à « un étalement sur les Six des contingents que nous consentons actuellement [ce qui] représenterait […] un soulagement en même temps qu’une justification. »

Pierre Laurent propose de réfléchir intelligemment aux intérêts des sept partenaires[21] ; le Maroc « croirait déchoir à s’assimiler aux T.A.O.M. [… ] mais il ne comprendrait pas d’être moins bien traité. ». En parallèle, il insiste sur le fait que cette discussion concerne en réalité en premier chef la France, qui craint le dirigisme et le protectionnisme marocain, et cherche à conserver et « rétablir » un commerce international dans son aire d’influence. Pierre Laurent et son équipe d’experts constatent que le libre échange est désormais le seul moyen de conserver les intérêts économiques au Maroc : Dans une atmosphère de plus en plus dirigiste, nos intérêts dans ce pays ne tarderaient pas à être gravement compromis car, dans le climat des années qui viennent, il est à craindre que toute discrimination ne joue conte nous (souligné dans le texte).[…] Il nous faut donc jouer à fond la carte de la non-discrimination ». L’attaché commercial n’est pas sans admettre que cette idée constitue un renversement complet de la doctrine française en Méditerranée : « A l’opposé de ce que nous avons soutenu jusqu’alors, il nous faudrait chercher à limiter la liberté du Maroc sur un plan multilatéral afin que nous puissions sans cesse nous prévaloir de l’égalité de traitement ». Il semble regretter désormais que les deux principaux obstacles à la France (Algésiras et le GATT) ne soient plus garantis au Maroc[22].

D.    Le prestige de la Communauté et la défense de l’Occident

En mars 1959, la Tunisie annonce sa volonté d’entamer des négociations avec le Marché Commun. Ce qui conduit à un courrier intéressant de la part du Ministre belge des Affaires Etrangères, Pierre Wigny à Couve de Murville[23] qui révèle d’abord que l’hypothèse de cette démarche avait été discutée entre les deux collègues durant « la dernière session du Conseil », et qu’elle était positivement perçue.

Pierre Wigny a une conscience accrue du besoin de prestige et de sécurité de la CEE. Il lui voue un rôle de moteur de développement afin de « défendre et consolider les positions politiques et stratégiques du monde occidental. » face aux « dangers que l’expansion scientifique et économique du monde soviétique fait peser sur les régions d’Afrique et du Moyen-Orient qui sont indispensables à notre rayonnement, à notre défense, et vitales pour notre économie ». Il estime que si la CEE pouvait prouver aux pays sous-développés « qui cherchent leur voie » par l’association d’un pays « d’Afrique du Nord par exemple », qu’il puisse obtenir « stabilité et prospérité » « sans sujétion politique nouvelle », alors « le prestige et l’influence qu’en retirerait la Communauté seraient indiscutables et correspondraient véritablement à sa position»

Mais cet argument résolument « occidental » et communautaire ne s’accorde pas avec l’idée française d’une (ré)intégration des protectorats dans le système impérial français, que le Belge traduit ainsi : « on envisageait tout naturellement à cette époque qu’une association prendrait une forme calquée sur celle prévue pour les Territoires d’Outre-Mer encore dépendants. […] maintenant nous apercevons toute la difficulté qu’il y aurait à donner à ce pays un traitement plus favorable que celui que nous réservons à la Grèce ou à la Turquie, nos alliés de l’OTAN. »

Pour Wigny, le seul moyen de concilier la position française et celle des autres puissances serait une intégration presque informelle, fonctionnaliste, de la Tunisie à un processus de désarmement tarifaire et contingentaire, afin de la faire rattraper le navire dont elle était descendue, mais sans obérer sa volonté de développement industriel propre. Le projet de Bruxelles imagine en fait une Communauté désireuse de parvenir à cette intégration dans un souci d’équité et de grandeur, sans prendre en compte le marchandage permanent. Il n’impose aucune contrepartie au maintien par les Tunisiens de barrières contingentaires et tarifaires sur leurs produits alors qu’à eux serait rapidement étendu le désarmement douanier intra-communautaire. Il suppose également que Paris laisserait la Tunisie profiter ainsi du libre-échange intra-communautaire sans imposer ses décisions politiques en priorité.

En plus du principe de non-discrimination, Paris insisterait également auprès de ses associés européens sur « l’intérêt supérieur de l’Occident » pour « lever les objections financières de la Communauté » [24].

Car « l’intérêt supérieur de l’Occident » n’est pas simplement un argument à servir aux Européens, mais un élément à prendre en compte dans la stratégie française : « Ne vaut-il pas mieux que la réorientation inévitable […] se fasse avec nos partenaires européens et africains plutôt qu’avec les pays de l’Est ? »

E.     Les intérêts commerciaux et agricoles franco-marocains

Au Maroc cependant, l’opposition des notables agrariens, menés par Nejjai, istiqlalien et lobbyiste agricole, président de l’Union Marocaine d’Agriculture (syndicat de grands exportateurs soutenu par Mohammed V) et ancien ministre de l’Agriculture du gouvernement Bekkai. Ce farouche partisan du maintien des liens avec la France pousse le gouvernement Ibrahim à emboîter le pas de Bourguiba. Une note du conseiller commercial de Rabat à la Delfra[25] fait état des pressions de son organe de presse « al-Ittihad »[26]. Le 26 juin ce journal affirme ainsi : « La non-association […] équivaudrait pour […] notre économie à un véritable suicide. […] Par rapport à certains de nos concurrents, nous prenons du retard[…]l’Espagne fera partie du marché commun d’ici quelques mois, après sa réorganisation économique et financière. L’Algérie est entrée en même temps que la France, en janvier dernier […] quant à la Tunisie, on sait qu’elle a déjà pris un premier contact […] le Maroc attend […] il n’a rien à gagner à se présenter à la suite de ses concurrents [et à…] se voir opposer des accords déjà passés »,

S’il est apparu que les partenaires européens ne sont pas particulièrement intéressés par une évolution du statut du Maroc, tandis que la France a pris cette entreprise à bras le corps : « Etant donné les nombreux contacts que j’entretiens avec les dirigeants marocains et leurs experts français en grande majorité –les échanges de vues […] ont également l’avantage d’aider mes partenaires […] à mieux comprendre notre politique économique vis-à-vis du Maroc » [27].

L’attaché commercial Pierre Laurent parvient notamment, grâce à ses « contacts » franco-marocains à se procurer les rapports de deux sous-commission au plan quinquennal istiqlalien qu’il présente dans une « note [qui] se propose d’analyser les rapports confidentiels dont mes services ont eu connaissance, d’en faire la critique et de rechercher quelles seraient les solutions les plus favorables aux intérêts français et qui soient également acceptables pour nos partenaires européens et marocains. »[28]

Car l’intérêt bien compris des Français doit conforter en premier lieu l’intérêt des entreprises franco-marocaines ; à commencer par le secteur des exportateurs de fruits et légumes : « La totalité des produits bénéficieraient de l’ouverture des frontières européennes » et « la protection du Tarif Extérieur Commun […] permettrait la conquête facile de marchés des Six […] il peut espérer concurrencer […] agrumes et vins espagnols, agrumes israéliens, céréales nord-américaines, conserves et liège portugais, etc ».

Les industriels franco-marocains désirent également préserver les secteurs sensibles, ce qui pourrait être obtenu en conciliant les règles des Six par un tarif non-discriminatoire sur certains produits, et en accordant aux Six l’égalité de traitement avec la France, en globalisant les contingents à l’entrée au Maroc (en respectant donc Algésiras qui porte sur les tarifs).

« Les investissements des Six et les libérations des importations marocaines seraient les gages d’une prospérité du Maroc et donc d’un certain libéralisme, dont profiteraient nos compatriotes et nos investissements… » Les entreprises franco-marocaines seraient ainsi financées plus aisément, mais aussi garanties contre un étatisme spoliateur : les investissements « assureraient une certaine solidarité européenne vis-à-vis des tentations démagogiques de ce jeune Etat. ».

Finalement, P. Laurent sait l’économie française gagnante à tous les coups (il évite soigneusement de considérer que dans ce cas de figure, il y aurait nécessairement des perdants), puisque finalement, « nos positions techniques et commerciales » au Maroc préserveraient les intérêts des places de négoces exportant vers les ex-colonies face à la concurrence des nouveaux entrants communautaires.

F.     Ménager les susceptibilités

Comme prévu, la sous-commission marocaine progressiste a repoussé « l’adhésion pure et simple » au M.C. et se refuse à prendre en compte l’établissement du Tarif Extérieur Commun (TEC), que les Européens négocient alors. Ce dernier provoquera un renchérissement des exportations marocaines vers le Benelux et l’Allemagne, et à plus ou moins brève échéance et conduira les Six à pousser la France à répudier ses contingents franchisés. Le statut de l’article 133, des T.A.O.M.[29], est renvoyé comme « incompatible avec la souveraineté et l’indépendance du Maroc ». Ce rapport confidentiel propose une formule juridique d’Union Douanière limitée à un certain nombre de produits, qui, pour être compatible avec les règles du GATT, serait liée à un engagement de non-exportation de la part des Six. En contrepartie, il propose l’admission en franchise et sans contingents des produits primaires et industriels indispensables.

Le Conseiller Commercial se livre alors à son commentaire personnel, il considère la contrepartie comme purement cosmétique, puisque les produits en question sont déjà libérés et franchisés en tout ou partie. « A y renoncer les mérites sont bien minces » ! Evaluant le coût d’un dédouanement sur les produits agricoles marocains à 15 MM de francs (dont 12MM pour la France seule), il affirme qu’ « il faudrait donc que le Maroc renonce à près de la moitié de ses recettes douanières […] il faudrait un courage politique, actuellement peu vraisemblable. » Il suppose également que pour la partie marocaine, c’est l’arrivée de capitaux d’investissements qui « constituent l’objectif essentiel de l’opération ». La plupart des rapports insisteront dans les années à venir sur la chute de l’investissement colonial ou étranger à la suite de l’indépendance et sur la frilosité des capitalistes marocains.

Mais les affaires étrangères françaises ont leur propre vision d’une association de leur ancien protectorat au Marché Commun : « la seule voie sûre passe par le régime des T.A.O.M., qui est rejeté presque sans analyse et avec des considérants qui révèlent une méconnaissance totale de la convention spéciale qui régit cette matière ». Le ton méprisant des rapports sur la politique Istiqlalienne n’est pas seulement colonial, il est aussi libéral : « En dehors de son irréalisme, la formule marocaine présenterait pour les Six et pour nous en particulier l’inconvénient majeur d’engager définitivement le Maroc dans une voie protectionniste et l’on sait combien il est difficile de revenir en arrière, chaque protection en appelant une autre. »

Pierre Laurent réfléchit aussi aux arguments idéologiques et pratiques pour convaincre l’Istiqlal. Il propose une première manœuvre diplomatique qui consisterait à se baser sur l’article 238 d’association avec des Etats souverains pour écarter « l’objection sentimentale » et satisfaire « toutes les susceptibilités » ; alors que l’accord visé serait calqué sur celui de l’article 133.

La contrepartie financière ainsi allégée avec la participation des Européens pourrait s’intégrer à la planification quinquennale ce qui « justifierait, aux yeux de l’opinion, les liens ainsi créés avec l’Europe Occidentale ».

Pour réconcilier le panafricanisme de l’Istiqlal avec la vision impériale française, P. Laurent propose simplement de l’inciter à se regarder comme un « pays semi-industrialisé » qui « se trouverait au point de vue industriel d’une confortable avance qui lui permettrait de développer […] ses exportations de textiles, chaussures » vers les TAOM africains. On ferait donc miroiter une position de prédateur des marchés africains, conciliable avec le tiers-mondisme idéologique pour « assister […] à la naissance d’un marché commun africain où […] le Maroc jouerait un rôle prédominant » et qui garantirait à la France son rôle clef au sein de cet ensemble économique.

2-Le conseil Hassan II et l’irruption de l’harmonisation « maghrébienne »

En dépit de l’avancement des discussions sur ces questions, le parti de l’Istiqlal semble avoir décidé, à partir de septembre 1959, de renoncer à toute poursuite dans ce sens. Les archives diplomatiques de Nantes font état, aussi bien à Bruxelles qu’à Rabat, d’un blanc de plus de deux ans sur les questions CEE-Maroc. On invoque régulièrement une certaine position vis-à-vis du conflit algérien, toutefois, lorsque le sujet ressurgit, début 1962, les accords d’Evian ne sont pas encore signés et la question de l’association au Marché Commun n’est entrevue que dans le cadre de l’établissement du Tarif Extérieur Commun, et du lancement de la première étape de la PAC, avec, notamment, la fermeture à l’importation de blé dur marocain. Il n’y est pas question d’Algérie.

En novembre 1959, l’Istiqlal fait scission et le chef du gouvernement et de la diplomatie (Ibrahim), assisté de Bouabid à l’économie fondent l’UNFP. L’Istiqlal se considère alors dans l’opposition avant de renverser le gouvernement « progressiste » en mai 1960, et d’appeler le roi Mohammed V à la tête d’un gouvernement composé essentiellement de nationalistes conservateurs. Ce gouvernement sera remanié par le jeune Hassan II à son accession au pouvoir en 1961.

A.    L’analyse de la diplomatie française : presse « économique » contre « politique »

Hassan II s’est accaparé la fonction de ministre des Affaires étrangères et a placé un de ses hommes au poste clef de l’intérieur et de l’agriculture, Ahmed Reda Guédira.

Le ministère du commerce reste entre les mains d’un leader nationaliste, Douiri, tandis qu’un personnage important de l’indépendance, une des clefs de l’avenir (il sera chargé des affaires économiques de 1964 à 1967), Mohammed Cherkaoui, issu du PDI, est envoyé comme ambassadeur en France.

Le 28 mars 1962, cinq jours après la conclusion des accords d’Evian, la diplomatie française s’intéresse de nouveau aux relations du Maroc avec le Marché Commun. L’ambassadeur Seydoux rédige ainsi une note à la « sous-direction Maroc-Tunisie », suivie d’un rapport complet sur l’état de la question dans l’opinion. La cause du retour du débat est immédiatement imputée au « passage à la deuxième étape du Marché Commun, annoncé en janvier dernier » qui a « suscité dans la presse marocaine de nombreux commentaires […] quant à une éventuelle association avec l’Europe des Six »[30]. Cette note affirme suivre une lettre du 22 février[31]. Elle décrit l’attitude ambiguë de l’Istiqlal, dont le journal ‘al-‘Alam’ critique « le caractère néo-colonialiste du Marché Commun » tout en se prononçant « en faveur des négociations avec la CEE » ; elle ajoute qu’« on peut penser que cette idée n’est pas non plus étrangère au gouvernement marocain, bien que celui-ci ait soigneusement évité jusqu’à présent de prendre position ». Car cet agenda nouveau arrive au même moment que la réflexion du Groupe de Casablanca[32] à établir un Marché Commun. « L’opposition ne manquerait pas de crier à la trahison de la cause nationale et africaine si les autorités de Rabat suivaient l’exemple récemment donné par l’Espagne ; cette conjoncture ne pourrait se modifier que si des liens se maintiennent, dans l’avenir, entre l’Algérie indépendante et le Marché Commun. »

C’est bel et bien la première intrusion de la question nord-africaine dans la relation avec la CEE.

Le rapport parle pour la décision du 14 janvier 1962 du Tarif Extérieur Commun (TEC) et du lancement des premières étapes de la PAC, d’un « effet de choc […] auquel le gouvernement marocain n’est pas resté indifférent ».

A propos de la presse, la faveur de la diplomatie française va bien sûr à la presse économique « qu’ils soient dirigés par des Français (Vie Economique) ou par des Marocains (Maroc-information) […ils] expriment les mêmes alarmes pour l’avenir de l’économie, au cas où le Maroc resterait à l’écart du Marché Commun ». De fait ces organes représentent les groupes de pression agrariens qui souhaitent conserver leurs marchés dans le cadre des « échanges traditionnels ». Ils se plaignent ainsi de la hausse des droits agricoles que le TEC implique sur l’Allemagne et le Benelux et redoutent la « précarité des contingents en franchise sur la France » qui, selon la presse franco-marocaine, « même s’ils seront confirmés pour une durée de trois à cinq ans […] ne pourront pas être renouvelés […] dans le cadre du Marché Commun ». Quant au journal de Benkirane, l’ancien secrétaire d’Etat au commerce du gouvernement Belafrej, du 16 janvier : « ces contingents peuvent être réduits, sinon supprimés si un des membres de la CEE voire un pays associé, s’avise de le demander. »

Sans surprise, ces feuilles recommandent donc vivement de passer à une association complète et l’attaché commercial Richard ajoute que l’angoisse s’est accrue dans ces milieux « au lendemain, le 9 février, de la demande d’association de l’Espagne » dont ils redoutent la concurrence. Ils sont naturellement repris par les organes officiels des lobbys agraires, l’Union Marocaine de l’Agriculture (du ministre de l’Agriculture du gouvernement de transition Bekkai), qui, précise la note, tire à 5000 exemplaires en français et 1500 seulement en arabe ! Ceci nous informe sur la dominante nationale et culturelle des grands exploitants mécanisés. D’ailleurs on ne cache pas que ces avis « traduisent aussi bien l’opinion des agriculteurs marocains intéressés par l’exportation que celles des milieux économiques français ».

En fin d’analyse, il rappelle que la presse de l’Istiqlal en français, en novembre 1961, « s’abstenant de donner dans la polémique et dans l’outrance, exposait des vues qui traduisent vraisemblablement avec assez de fidélité les sentiments de la plupart des dirigeants marocains ». Le projet du parti gouvernemental consistait alors à repousser le statut de T.A.O.M. « à la mode eurafrique », mais à « entamer une négociation commerciale pour préserver les marchés […] dans l’Europe des Six […] perspectives à long terme dont certaines pourraient ne pas être […] uniquement commercial ».

Richard explique ainsi la réaction virulente de « l’opposition, qui veu[…]t y voir une ‘orchestration singulière’ pour forcer la main au gouvernement ». A mots couverts, il explique que l’opposition a très bien cerné la nature franco-marocaine des lobbys pro-CEE, « la presse du colonialisme français » pour le journal communiste, « dont l’audience est très réduite », se rassure l’ambassade.

B.     L’évolution du PI et de l’UNFP

La dimension linguistique et culturelle est très visible lorsqu’on s’aperçoit que même les journaux pro-gouvernementaux (l’Istiqlal monarchiste de Allal el-Fassi), lorsqu’ils écrivent en arabe, sont aussi virulents que la presse de l’UNFP, et « font le même procès d’intention au Marché Commun en qui ils voient un instrument de néocolonialisme imaginé ‘par les maîtres d’hier qui aspirent à le redevenir’ et une atteinte à l’indépendance, économique aussi bien que politique, des pays afro-asiatiques. »

Avec une pointe de mépris cependant, le service commercial français de Rabat observe que l’opposition est consciente de la nécessité d’« envisager des conversations » ; ainsi « ‘At Tahrir’, organe de l’UNFP demande, dans un article embarrassé, le 17 janvier, aux gouvernements du Moghreb arabe, d’étudier sérieusement les répercussions possibles du MC su les exportations ». Un mois plus tard, « l’ancien ministre de l’économie nationale, M. Bouabib (sic) » signe un papier pour rejeter aussi bien l’adhésion (qui reste encore une perpective) et l’association […] mais « juge ‘souhaitable et nécessaire’ une coopération avec l’Europe ».

La note de l’ambassade constate le retard avec lequel le PI a finalement réagi dans sa presse, il publie son point de vue le 1er mars. Terrorisé par l’opposition, peut être également sensible à ses soutiens bourgeois francophones, il « emprunte » à ses rivaux une phraséologie tiers-mondiste mais admet qu’il faut « définir d’urgence » les rapports du Maroc au Marché Commun en raison des difficultés de diversification de débouchés, qui étaient jusqu’alors le modèle laissé par le gouvernement Ibrahim-Bouabid.

On voit apparaitre clairement dans cette revue de presse le thème de l’unité pour la négociation. Elle est aussi bien « afro-asiatique », que liée au Groupe de Casablanca, elle est déjà « moghrébienne » dans les colonnes de gauche. Bouabid affirme ainsi que « l’Afrique du Nord » doivent « former un Marché Commun moghrébien avant d’entrer en négociations avec l’Europe »

C.     La position du Palais

Ce rapport illustre aussi les véritables opinions et modes de décisions au sein du palais lorsqu’il constate que la seule voix gouvernementale à s’être exprimée est un certain Mohamed Benhima, ministre des Travaux Publics, donc a priori d’un secteur assez éloigné de ces questions[33]. Benhima, marié à une Française, est un francophile convaincu, il sera ministre de l’Éducation nationale en 1965, chargé de ralentir la politique d’arabisation et de démocratisation de l’enseignement, puis premier ministre : un personnage Makhzen dont les options illustrent les véritables idées du jeune roi.

Au début de 1962, il est de « passage à Marseille » et affirme « Le Maroc ne peut pas rester indifférent devant le Marché Commun […] nous comptons beaucoup sur la France pour [trouver…] sur cette question un terrain d’entente » ; Contrairement aux diplomates français, la presse marocaine, à l’exception des communistes qui ne la prennent pas au sérieux, ont « passé sous silence » cette sortie et n’ont pas compris qu’elle reflétait l’opinion des cercles de décision. En effet, l’Etat a décidé la création « d’une commission interministérielle » tandis que « le nouvel ambassadeur auprès du Bénélux, M. Filali, doit être également accrédité de la Commission ».

Le roi, dans une allocation publique du 14 mars garantie cependant que « sa tâche à Bruxelles serait principalement d’ordre économique ». L’attaché commercial Richard suppose pourtant que le gouvernement préférera conserver le statu quo, par « crainte de donner des armes à l’opposition ou de s’exposer à des remontrances des neutralistes du Tiers Monde […] aussi longtemps qu’il ne connait pas les rapports futurs de l’Algérie avec la CEE et le sort réservé à la demande de l’Espagne. ».

D.    L’intérêt français pour l’association

Nous disposons d’un autre projet de rapport plus technique du conseiller Richard[34] semble-t-il communiqué à la Direction Maroc-Tunisie du MAE sous le même pli. Il révèle que la position de la France prend à cœur d’associer le Maroc au Marché Commun. On comprend que la France refuse d’être contrainte par ses intérêts au Maroc à risquer sa politique communautaire, et aimerait ne pas craindre de devoir abolir ou diminuer les contingents en franchise, sous « les menaces de nos partenaires […] ou de pays nouveaux s’associant au Marché Commun, comprenant mal qu’un pays bénéficie de tels avantages en France sans donner de contreparties ». Paris ne peut se permettre de laisser cette arme à ses partenaires, et son agriculture intérieure pourrait avoir beaucoup à gagner à « la mise en application de la Politique Agricole Commune ». Elle est donc sans doute la plus intéressée à une évolution du statut du Maroc, pour y conserver ses positions sans avoir à les défendre contre les autres. Le rapport constate que les 2/3 des exportations marocaines agricoles se destinent à la France, produits qui seront de plus en plus discriminés par rapports à leurs concurrents algériens ou italiens (qui paient 7% de droits) sur le marché communautaire, et qui, sans la franchise tarifaire, feront perdre 150M de NF par an à l’économie marocaine. De plus, « l’organisation agricole commune […] dès le 1er juillet devrait toucher les céréales […] importé[e]s du Maroc ».

En fait, la France, pour profiter des avantages de la PAC, a dû se résigner à abandonner les blés durs marocains, elle ne veut pas que ce ‘chantage’ se renouvelle à l’avenir. Elle a donc un grand intérêt à accentuer la pression du le gouvernement marocain, leur faisant craindre la perte de leurs marchés et de leurs revenus budgétaires. Même les phosphates risquent d’être contingentés et concurrencés par ceux d’Afrique occidentale, qui entrent librement sous l’article 133 tandis que ses exportations dans la zone franc africaine seront limitées par des droits de douanes extérieurs. La catastrophe finale serait liée à l’association de l’Espagne et du Portugal, qui ruinerait les marges des exportateurs d’agrumes, de sardines et de liège, même si le Maroc était lui aussi associé, il ne pourrait supporter cette concurrence.

L’ambassade révèle que la France n’a toujours pas renoncé à une association « sur le modèle des pays d’Afrique Noire », politiquement inenvisageable, mais que Richard défend en remarquant que la Charte de Casablanca s’applique à l’un de ses membres (le Mali) sans contradiction[35]… Richard conçoit mal la création d’un « régime spécial » d’association pour les pays indépendants de la zone Franc, puisque la Déclaration est vague et non-contraignante, et que, sous-entend-il, la zone franc fait partie du passé (elle tenait « compte par hypothèse des relations privilégiées existant au moment du traité de Rome »). Il laisse aussi penser que le cadre de l’article 238 concerne des pays « n’ayant jamais eu de relations privilégiées avec l’un des Six », comme la Grèce et la Turquie, en cours de finalisation de leurs associations.

Le projet français souhaite étendre les avantages français à tout le marché des Six, ce qui permettrait une aide indirecte en investissement puisque « les capitaux étrangers hésitant moins à s’investir dans un pays lié à la Communauté » ; en revanche on garantirait la protection des industries marocaines par une clause de sauvegarde et on garantirait un « débouché européen pour la main d’œuvre marocaine ».

E.     Bouabid dénonce les intérêts conjoints du gouvernement et des français

Mais l’opposition est vent-debout ; un projet de note inachevé de l’ambassade de Rabat révèle les questions que se pose la France à la suite de la « conférence de Me Bouabib » (sic), à Tunis, « sur ‘le Maghreb face aux problèmes du Marché Commun’ » et à son discours à Rabat pour la revue Confluent[36]. L’Europe des Six, selon l’ex-ministre progressiste, « bouleverse l’équilibre des relations internationales ». La note résume cyniquement la pensée de l’économiste de gauche : « Il [lui] reproche de prétendre imposer aux pays du Tiers-Monde ses conceptions de la coopération économique, […] un monstre froid dictant avec condescendance […] les conditions d’une association dont il ne leur permet pas de discuter les termes. » Bouabid constate que la CEE « tend à l’autarcie, à ‘l’autosuffisance alimentaire’ » tandis que ses futurs associés européens sont destinés à « développer leur production d’agrumes et de sardines, par exemple, pour couvrir au maximum les besoin du marché commun. »

Sans attaquer frontalement la France, l’ex-ministre rappelle que si la réforme agraire prévue par le plan quinquennal lancé par le gouvernement Ibrahim entre en action, elle affectera nécessairement les « colons européens » et on devine bien que les concessions françaises et européennes seront alors moins grandes pour les débouchés agricoles marocains. Avec une certaine clairvoyance, il « manifeste son scepticisme sur les chances d’attirer ces capitaux qui, selon sa remarque désabusée, ont plus à gagner en s’investissant en Europe. »

Le conseiller commercial de l’ambassade critique sévèrement « l’irréalisme » des solutions de Bouabid pour sortir de la dépendance au marché des Six : les ventes dans le bloc communiste et la reconversion des cultures vers l’industrie textile et sucrière. Dans l’opposition, le leader de l’UNFP considère que le Conseil Hassan II évite d’ appliquer ces programmes commerciaux en raison « des liens d’intérêt entre certains ‘circuits’ commerciaux installés au Maroc et la France » qui rechignent à importer les produits industriels est-européens.

Cette dimension culturelle franco-marocaine joue sans doute un rôle réel, au-delà de la rhétorique politicienne de la gauche marocaine, dans le conservatisme économique du gouvernement et des capitalistes marocains.

En fait, c’est surtout le soupçon d’une communauté qui « vise à […] l’unité politique » et qui est donc clairement une part du bloc occidental, qui fonde le refus de s’y associer, pour ne pas rompre avec le neutralisme ; sans être « antieuropéen ».

L’ambassade de France exprime alors une certaine satisfaction à voir dans le discours de Bouabid une posture de dépit face à un gouvernement royaliste « renforcé par un rapprochement avec la Communauté Européenne dont les négociations franco-marocaines en cours lui paraissent un prélude ». Clairement, la France soutient le Conseil Hassan II et se réjouit de l’échec de l’opposition politique.

A nouveau la question du marché commun « maghrébien » commence à émerger, même si elle reste secondaire.

F.     Du tiers-mondisme à l’association Maghreb-CEE : l’évolution d’un expert français menacé d’expulsion

En juillet 1962, quelques jours après le plébiscite en faveur de la constitution monarchiste, Seydoux envoie à la direction économique et financière du MAE une note[37] résumant l’étude du professeur Tiano, juriste français détaché auprès de la faculté de droit de Rabat, pour Maroc-Information  Constatant le « succès de la CEE » et « les demandes nouvelles d’adhésion » (Grande Bretagne) « et les projets d’association de certains pays méditerranéens » (Grèce, Turquie, Espagne, Portugal…), il évalue l’impact d’une « abstention » et celui d’une « association ».

Plus modéré que les alarmes du début d’année, il suppose que la baisse général des tarifs liées au TEC ne créerait pas de risques majeurs face à une concurrence ibérique, même associée. Seule la moitié des produits serait impactée, et 6 à 7% de manière importante, ce qu’un régime d’aide aux exportations pourrait compenser, sans compter la possibilité pour la Commission d’accorder des « contingents tarifaires en franchise totale ou partielle à un Pays Tiers ».

Il semble pourtant apprécier positivement l’éventualité d’une association au titre des articles 131-136, à la condition qu’il puisse conserver ses droits de douane pour protéger « son industrialisation ». Il repousse donc le concept d’une Union Douanière, donc d’une adhésion complète au Traité de Rome. Il conclue que l’article 238, très vague, « laisse la porte ouverte à une association limitée qui reprendrait […] les principes des articles 131-136, si, juridiquement, ils ne pouvaient s’appliquer au Maroc. »

Etrangement, l’expert français, plutôt proche en rhétorique  des positions nationalistes de gauche, reprend finalement la position française d’une association de type TAOM déguisée sous l’article 238. Après avoir laissé entendre que l’abstention ne serait pas un si grave problème, il urge le Maroc à un démarche, « pour que la Communauté ne soit pas encore tenue de trop ménager les intérêts de la péninsule ibérique ».

Ce paradoxe est expliqué par l’ambassadeur lui-même, le professeur avait critiqué au printemps la gestion de la Promotion Nationale à l’Exportation par le gouvernement royal-nationaliste, en « rejoignant le point de vue de l’UNFP ». Soumis à la menace d’une expulsion administrative suspendue, il aura, nous dit Seydoux « peut être voulu marquer son indépendance vis-à-vis de l’opposition », qui pourtant l’avait soutenu. On comprend donc qu’il a tenté de concilier son point de vue avec « une seconde étude […] purement économique et objective » répondant auxs exigences de la France et du Palais.

C’est au sein de cet embroglio idéologique que la référence au Maghreb, jusqu’alors purement UNFP, est pour la première fois exprimée par un expert français dans le sens « d’une démarche commune des trois pays du Maghreb » auprès de la CEE. Ravi, l’ambassadeur cite : « ‘avec de la sagesse économique et beaucoup de solidarité maghrébine, on devrait prévenir à un accord où il n’y aurait pas de dupes ; et, cette association commune au Marché Commun aurait le mérite supplémentaire de favoriser l’unité maghrébine et africaine’ ».

3-Guédira et la marche vers Bruxelles

Pierre de Leusse[38], le nouvel ambassadeur, semble très inquiet puisqu’il informe la direction Maroc-Tunisie en octobre d’une conférence d’un professeur communiste de droit de Rabat sur la question du Marché Commun[39] ; en dépits de la « consistance […] discutable » des « arguments développés », il craint que les idéologues communistes français ne « produisent sur une élite peu nombreuse et généralement peu capable de se dégager des poncifs du nationalisme extrême et, en particulier, sur la jeunesse […] une contagion […] non seulement à l’UNFP, mais aussi dans d’autres secteurs de l’opinion ».

Cette inquiétude est sans doute excessive, mais elle révèle sans doute la grande fébrilité du pouvoir monarchique et des intérêts français, bien décidés à éliminer toute contestation nationaliste et progressiste. Pourtant, en cette automne 1962, Hassan II évacue de son gouvernement une première charrette de ministres « politiques », dont le ministre du commerce, pour ne conserver que ses affidés. Une fois la constitution monarchiste adoptée, en janvier 1963, il se débarrasse du ministre Istiqlalien de l’économie, Mohammed Douiri : le PI passe dans l’opposition et le ministère de l’économie est dissout. Le véritable homme fort du régime est désormais Ahmed Reda Guédira, ministre de l’Intérieur et de l’agriculture, il forme le parti de notables royalistes F.D.I.C.[40] en prévision des élections de mai, après quoi il deviendra ministre des Affaires étrangères. C’est donc lui qui est chargé de mettre le pays en ordre de marche vers les négociations.

A.    Un nouveau régime à l’écoute de Paris

Un télégramme de février 1963[41] assure que « passant outre aux critiques [de l’…] opposition […] le gouvernement marocain paraît résolu à engager des conversations avec Bruxelles ». Il ajoute que « Cet accord figure parmi les objectifs du FDIC, rassemblement politique animé par M. Guédira. »

Cependant la note de synthèse affirme que le pouvoir souhaite conserver une attitude conciliante avec l’Algérie (dont il espère des concessions de frontières), la problématique maghrébine semble devenu un lieu commun, et elle apparait, pour la diplomatie française, comme contraire à la marche vers l’association. Cependant, des « personnalités européennes » officieuses se pressent à Rabat ; Van Offelen, qui a obtenu (et perdu) depuis son dernier passage un poste de ministre du commerce extérieur, ainsi que George Villiers, leader du patronat français d’après-guerre, continuent d’inciter à « ne pas tarder plus longtemps », alors qu’Alain Savary conseille à Guédira, après des entretiens avec Rey et Mansholt (Commissaire à l’agriculture)[42] d’attendre la résolution de la crise qui divise les Six…

On constate que le sujet n’est pas d’une importance secondaire pour les acteurs français et marocains, car la note laisse clairement entendre que le palais consulte les dirigeants français pour sa politique européenne : « Les Marocains peuvent être amenés, à l’occasion du séjour du Roi à Paris, à poser […] les questions suivantes ».  : attendre ou non la fin de la crise, Maroc-CEE ou Maghreb-CEE, « avantages respectifs […] des diverses formules », évolution des relations avec les TAOM, procédure à suivre pour entamer les conversations[43].

La visite d’Alain Savary début mars a donné lieu à plusieurs TD de Leusse vers le ministère. Le 4 3 63, une note Confidentielle[44] rapporte le déroulé de cette mission. Alain Savary fut un député influent issu de la SFIO, d’origine « algérienne », il a négocié les accords d’indépendance du Maroc en tant que secrétaire d’Etat aux deux protectorats, puis s’est attiré la sympathie du FLN en démissionnant à la suite de l’arrestation de Ben Bella en 1958, avant de fonder le PSA contre le ralliement de la SFIO à De Gaulle. Il est donc un émissaire très utile pour les européens sur les questions nord-africaines. Et clairement, Guédira attend désormais le feu vert de la France et sa démarche ne pourrait être vue par les Pays-Bas ou l’Italie que comme une démarche française.

B. Elaboration d’un agenda :

i. priorités euro-françaises

Car effectivement, c’est avant tout la crise entre les partenaires européens qui doit freiner l’enthousiasme du nouveau régime. « De l’avis général, l’accueil […] ne pourrait être favorable. Les Hollandais pour des raisons politiques et de tactiques dans leur querelle avec nous, les Italiens pour des motifs analogues mais aussi parce qu’il existe chez eux certains courants peu favorables aux intérêts marocains, se mettraient à travers une éventuelle demande de Rabat. »

ii calendrier électoral

Les problématiques internes au Maroc comptent aussi pour l’établissement de l’agenda car « le Roi […] continue à estimer inopportune toute initiative de sa part au cours de la période électorale, [pour…] ne pas faire de l’association du Maroc un objet de dispute. ». Le calendrier est donc d’abord français dans les négociations multilatérales ente les Six, ensuite marocain et intérieur.

iii. Négociations de Yaoundé

Il s’accorde enfin avec un calendrier plus ancien, la reconduction (et la renégociation) de l’association des 18 ex-T.O.M.  « Dans l’intervalle, Savary suggère au gouvernement […] d’étudier cet accord qui pourrait […]  servir de base […] à celui qu’il devrait lui-même négocier. » Paris n’a plus aucune gêne à proposer au Maroc un accord imaginé pour des territoires dépendants de la France, d’autant qu’ils ne sont plus de véritables colonies.

iii. Maghreb

Ce n’est que dans un quatrième temps, « pour occuper les mois qui viennent », que l’agenda inclut la formule maghrébine : « des comité tripartites pourraient être institués avec l’Algérie et la Tunisie ». Pourtant, à lire cette note, il semble que ce soit le député français qui « cherche à convaincre le gouvernement marocain de l’opportunité d’une politique concertée des trois pays du Maghreb ». Il se heurte d’ailleurs à une résistance du roi lui-même, qui refuse d’associer Bourguiba à ses démarches européennes.

C. Le Maroc et ses voisins : Un maghreb français ?

Le lieu commun maghrébin, aussi séduisant intellectuellement qu’il soit pour la diplomatie française, n’est pas la priorité des Marocains. Le TD final du 7 mars[45], « très confidentielle » rapporte la rencontre de Savary avec Hassan II « Il a constaté chez Hassan II une répugnance très grande à associer la Tunisie à l’élaboration d’une approche commune, en revanche, une disposition favorable à agir en union avec l’Algérie. Il a vivement combattu cette attitude anti-tunisienne. C’est semble-t-il, du côté du Roi personnellement qu’il a rencontré le plus de réticence à cet égard. »

Juste avant d’entamer les conversations de janvier 1964, Guédira (devenu ministre des affaires étrangères) écrira une lettre en deux exemplaires pour ses homologues tunisiens (Slim) et algériens (Bouteflika)[46], il leur rappelle la réunion de février 1963 et qu’ils étaient convenus « notamment de la nécessité de l’harmonisation de la pol des trois pays à l’égard des grands ensembles éco, telle que la CEE »

Quant au « principal ministre » Guédira aurait, de lui-même « demandé à M. Savary d’agir comme une sorte de conseiller des pays de l’Afrique du Nord pour l’élaboration d’une politique économique commune ou tout au moins d’une planification commune. » Et c’est au français de poser ses conditions pour coordonner, en tant que français, le rapprochement maghrébin, entres autres « qu’il s’agisse bien des trois pays d’Afrique du Nord et non pas de deux d’entre eux seulement ». Rien de cette situation apparemment ubuesque ne semble surprendre De Leusse.

D. L’intérêt franco-marocain et le penchant culturel francophone

Le 20 mars, c’était au tour de l’ex-ministre belge du commerce de retourner au Maroc après 5 ans d’absence, l’attaché commercial Pierre Mouterde fait le bilan de son intervention dans une note au ministre des Finances[47]. « Il a eu de nombreuses conversations avec les dirigeants marocains et avec les milieux d’affaires tant européens que marocains »

Le tropisme pro-occidental de son interlocuteur principal, A. R. Guédira, transparait lorsqu’il introduit le prestigieux conférencier, à Casablanca, pour « une conférence sur ‘Maghreb et Marché Commun’ devant un auditoire de qualité. » Ce dernier « a insisté sur le caractère positif du marché commun ‘ travail que d’autres fournissent pour nous afin qu’une humanité meilleure naisse’ » ! Il corrige tout de suite sa position en intégrant « le cadre minimum du Maghreb » et semble supporter avec amertume que « la CEE comporte un aspect politique qui pourrait être en contradiction avec les engagements du Maroc ». Et bien sûr, c’est une aide qu’il attend de « nos amis européens » et d’ajouter, sans rire : « avec le désintéressement que nous leur connaissons ». Un dernier argument, dont Mouterde observe qu’il vise « l’auditoire et indirectement […] l’opinion marocaine » établi que la « solution » à trouver permettrait justement de trouver une véritable « indépendance », de ne plus dépendre de « la France qui est partie pour nous dans le Traité de Rome ».

L’attaché commercial conclut ainsi : « La publicité […] et la déclaration de Guédira, est considérée dans les milieux économiques casablancais comme la première prise de position publique en faveur du Marché Commun et le premier acte d’une négociation ».

E. La synthèse pro-européenne

Van Offelen est un véritable libéral, il considère que le privilège du protocole est condamné à court terme par l’union douanière européenne et sa PAC et que l’arrangement commercial est interdit par les règles de non-discrimination du GATT, qu’il est donc nécessaire d’étudier une formule d’association qui puisse lui accorder contractuellement « des avantages au moins équivalents » à ceux du Protocole, plus des « investissements tant publics que privés, sans compromettre sa politique d’industrialisation et d’union maghrébine ». Van Offelen, représentant officieux de la Communauté (« Son auditoire en a conclu qu’il était officieusement mandaté pour tenir ce langage »), formule ici la synthèse qui encadrera les discussions puis les négociations jusqu’en 1969.

Il est aussi semble-t-il le premier à parler de « contacts […] exploratoires » ; il réfléchit à la recherche du meilleur dénominateur commun, réduire les conversations au seul cas du blé dur (tout juste exclu des importations communautaires), et, au niveau politique, « sans écarter une discussion avec le Maghreb dans son ensemble, la Communauté serait prête à discuter aussi bien avec trois interlocuteurs qu’avec deux ou avec un seul. » On comprend très bien que là où le représentant français Savary pousse à une association CEE-Maghreb, le Belge préfère la solution la plus rapide, la plus efficace.

Une note de l’été 1963 fait état d’une dernière visite, celle d’un député centriste de l’Eure, R. Montagne, lors du colloque interparlementaire. Le fondateur de l’Association parlementaire ‘Europe-Afrique’[48] rencontre son homologue, député UNFP de Kénitra, Abd. Bouabid, le 16 juillet non sans avoir « pris la précaution d’avoir au prélable l’avis de M. Guédira qui l’a plutôt encouragé ».

Bouabid aurait alors laissé « entendre qu’il n’était pas hostile à une coopération entre le Maghreb et la CEE » La note précise que la discussion pour convaincre le leader « progressiste » doit continuer en France en octobre, démarche qui doit s’entourer du plus grand secret. On comprend que les pro-européens cherchent (ici avec le soutien du président de la commission des affaires étrangères du Bundestag) à envisager une alternance qui ne soit pas hostile à l’Europe. Cette idée même d’alternance n’est évidemment plus à l’ordre du jour côté marocain.

F. Vers une « conversation » : « aucune proposition à soumettre »

L’attention politique et diplomatique internationale se réoriente rapidement vers le conflit de la « Guerre des Sables (septembre-novembre 1963) entre l’Algérie et le Maroc. Par suite du règlement panafricain du 16 novembre, Hassan II n’a plus de concessions à faire à Ben Bella, il décide donc de partir seul ver les conversations exploratoires. Bensalem Guessous est accrédité comme Représentant auprès de la CEE dès le 14 octobre et Ahmed Réda Guédira devient ministre des Affaires étrangères le 13 novembre.

L’ambassade de France à Rabat semble être entré en possession d’une copie du document de travail de la délégation : le 13 décembre, Guessous[49] se voyait chargé de remettre à Hallstein la demande officielle d’ouverture des « conversations exploratoires », il reçoit également comme consigne de formuler oralement « un commentaire, en évoquant notamment le protocole du traité de Rome, reconnaissant les rapports particuliers existant entre la France et le Maroc ».

Le 19 décembre, l’ambassade de Rabat fait état du communiqué officiel[50] qui insiste sur la nécessité, face au TEC, de préserver les « courants d’échanges ».

Il apparait lors des débats au parlement[51] que les députés ne savent surtout pas quel serait le contenu de l’accord à négocier, ce à quoi le ministre répond qu’il conservera une « attitude extrêmement souple » et que ce n’est qu’ « à l’issue de ces premiers contacts qu’ils arrêteront leur position ». Mais le conseiller commercial a appris « de très bonne source » que « la délégation marocaine qui se rend à Bruxelles part sans avoir aucune proposition à soumettre à l’exécutif européen et sans connaître l’état des conversations engagées par celui-ci avec les Algériens et les Tunisiens ». Est-ce par opportunisme, ou par fainéantise, De Leusse semble savoir que Guédira souhaite simplement imiter l’accord de coopération avec Tunis, et, pour ne pas faire d’erreur, les laisser négocier au préalable.

G. Le lobby franco-marocain à la manoeuvre

Le 19 décembre également, le conseiller La Chevalerie communiquait une revue de presse sur les réactions de l’opinion politique[52].

Evidemment, c’est  le lobby des exportateurs, par la voie de Maroc-Information « le journal de M. Benkirane » qui réagit, « tandis que la presse istiqlalienne s’abstient jusqu’ici ». Il est amusant d’observer que ce média est qualifié par La Chevalerie de « journal indépendant ». La version officieuse transmise par Benkirane est celle d’un accord d’association pour l’exportation avantageuse des produits marocains « assorti de clauses de garde garantissant l’expansion industrielle » qui « ‘pourrait par ailleurs inciter les investisseurs européens à continuer à faire confiance au Maroc’ ». D’ailleurs, le journal considère que « ‘les milieux gouvernementaux autant que les hommes d’affaires enregistrent avec satisfaction l’accueil fait par la CEE.’ ».

Ce papier assume évidemment « l’impératif urgent » de négocier en dépit de m’opposition des « hommes politiques d’Afrique du Nord » et n’omet pas de regretter que les maghrébins ne soient pas unis face à la CEE. Mais il « rappelle aussi que les voisins du Maroc, ‘sans nous consulter avaient demandé avant nous à négocier avec le Marché Commun’».

Avec le recul, La Chevalerie considère que l’éviction de l’Istiqlal et notamment de Douiri en janvier 1963 leur a permis de « passer outre les critiques de certains éléments de l’opposition » [53], puisqu’ils ne s’inscrivent effectivement plus dans le débat idéologique et politique entre PI et UNFP. En fait, le pouvoir absolu de Guédira « qui n’avait plus à compter avec des ministres opposés à ses idées » explique simplement le passage à une politique plus sérieuse.

Car les lobbys patronaux franco-marocains (la CGEM) et la Chambre de Commerce Internationale (plus nationaliste) avaient vigoureusement réagi « dans des rapports rédigés par deux de nos compatriotes » à la « mise en vigueur de la réglementation […] sur les céréales et les rapprochements ers le tarif extérieur commun » en prenant clairement position pour l’association.

H. Le front commun maghrébin : une formule creuse

Dans une note d’un autre conseiller commercial, le même jour encore[54], on apprend que Guédira, chef de la prochaine délégation pour les conversations, à l’AFP, « a déclaré que la démarche effectuée à Bruxelles par le Maroc devait être considérée comme le début d’une action concertée avec le autres pays du Maghreb ». Le fonctionnaire français remarque cependant que cette rhétorique trahit les faits : « Pour le présent, l’initiative marocaine est certes le seul fait des autorités de Rabat, elle vient après des demandes similaires formulées par l’Algérie et la Tunisie. » Le « principal Ministre » estime que le « parallélisme » de fait « devraient conduire progressivement à une action concertée ». Fonctionnalisme ou cosmétisme ?

Le 20 janvier, De Leusse signe un rapport complet qui résume les évolutions de la question du « Maroc et le Marché Commun »[55] au cours de 1963, il considère de son côté que ce sont bien ces « démarches analogues d’Alger et de Tunis » qui mettent « un terme aux hésitations ». Il ajoute que « Bien que convaincu […] le roi souhaitait agir si possible de concert avec ses deux voisins ; à défaut il lui paraissait peut être préférable de laisser Alger et Tunis prendre les devants. » Mais Hassan II a bien été « Laissé à l’écart des contacts entre Algériens et Tunisiens […] ne désespère pas _M. Guédira en tout cas le déclare_ de voir les trois Etats Maghrébins présenter un front commun devant la commission […]».

Ainsi, on a laissé « prendre […] en particulier [aux] algériens […] l’initiative » ce qui a constitué une « caution tant vis-à-vis de l’opinion neutraliste que des partis politiques marocains ».

En revanche, le PI au même titre que l’UNFP dénonce le risque de la « dépendance politique » et de la mainmise « colonialiste » et invitent à réaliser « au plus vite l’unité économique maghrébine, arabe et africaine ». Mais ils sont clairement moins vindicatifs qu’auparavant, ainsi, il rappelle l’évolution sensible de Bouabid, mais aussi de Mohammed Torres, président de la Commission des Affaires Etrangères, qui ne l’a « pas reproché au gouvernement ». Nejjai, le lobbyiste agrarien a bien sûr « soutenu que son pays avait ‘le plus gand intérêt à négocier rapidement’ » pour « conserver sa position », alors que les pays voisins « avaient déjà ‘devancé’ » le Maroc.

Juste avant d’entamer les conversations, Guédira écrit un courrier en deux exemplaires pour ses homologues tunisiens (Slim) et algériens (Bouteflika)[56], il leur rappelle la réunion de février 1963 et ajoute être « convaincu de la communauté de destin des Pays du Maghreb » et que « l’harmonisation de notre politique […] est hautement souhaitable parce que nécessaire, utile et conforme aux intérêts bien compris du Maghreb ». En réalité, le négociateur marocain aimerait surtout obtenir « un échange régulier d’informations, mettant chaque gouvernement au courant des démarches entreprises par les autres », c’est-à-dire que le Maroc puisse rattraper son retard, recopier les avancées de ses partenaires, et éviter leurs erreurs, notamment vis-à-vis du protecteur français ou de ses partenaires.

Conclusion

Il apparait donc que le projet nationaliste des indépendantistes s’est heurté successivement à l’intransigeance française, puis à celles des groupes affairistes franco-marocains, obsédés par leurs marchés traditionnels d’exportation et enfin au pouvoir royal, qui, en faisant la synthèse des deux, est parvenu à rétablir son pouvoir.

Cette coalition d’intérêts en faveur d’une préservation de l’économie du protectorat s’est retrouvée finalement tributaire d’engagement tiers-mondistes (Club de Casablanca, neutralisme…) et d’une solidarité apparente avec les combattants algériens, au sein de laquelle apparait l’idée d’une union maghrébine.

Face à elle, l’opposition utilise ces engagements pour contester tout alignement géopolitiques et économiques sur un marché commun conscient de sa nature « occidentale » ; pourtant, le palais, qui évacue rapidement ses alliés conservateurs, est clairement décidé à obéir aux pressions des groupes agricoles marocains et à s’accorder les faveurs de la France. De fait, l’agenda leur est imposé par l’irruption du TEC et de la PAC.

Il joue pourtant la montre, et le Maroc semble devoir subir un agenda importé, celui du passage à la « seconde étape du marché commun » en 1962, et l’éviction de son blé dur du marché, puis celui de la crise entre les Six à l’été 1963. Parallèlement, Hassan II étend son pouvoir grâce à son conseiller Guédira, qui, par son double ministère, est à la fois chargé de faire respecter l’ordre intérieur contre toute contestation, et chargé de gérer la principale source de revenu du pays : l’agriculture.

Après la victoire de sa coalition, le FDIC, Guédira devient ministre des Affaires Etrangères et il entreprend immédiatement la prise de contact avec la Commission en vue des conversations. Entre temps, le vague projet d’unité maghrébine a été transformé en une idée d’harmonisation nord-africaine face aux relations commerciales avec Bruxelles. C’est finalement en ordre dispersés que les trois Etats entreprennent leur démarches, et c’est presque pour satisfaire les Français qu’ils se résignent à communiquer.

Parallèlement, la CEE reste un ensemble disparate de puissances aux intérêts divergents, ils refusent à la France ses relations privilégiées et exigent la non-discrimination, mais ils refusent de devoir payer pour cela, en termes de droits de douane et de contingents, de concurrence, d’assistance financière à l’investissement. Paris aimerait bien concéder à ses partenaires certaines de ses responsabilités tout en conservant son empire eurafricain. Désormais, faire avaler à Rabat un accord d’association de type TAOM n’est plus qu’une formalité à déguiser. Mais les partenaires européens ne sont plus de cet avis et préfèreraient un accord commercial partiel.

Les relations entre la CEE et le Maroc dépendent donc en premier lieu de l’état des négociations multilatérales intra-européennes. C’est cette évidence qui apparait bientôt, en 1965, lors de la crise de la chaise vide qui bloque et interrompt pratiquement toutes les négociations avec « le Maghreb » qui devient rapidement le groupe « Maroc-Tunisie ».

 

[1] Note du 21 8 59 Amba Maroc, Conseiller Commercial au président de la DELFRA, « L’association du Maroc à la CEE » (Delfra, 871).

[2] Dans la « déclaration de La Celle-Saint-Cloud » (Mohammed V et A. Pinay),  6/11/1955 : « Ce gouvernement aura […] pour mission […] de conduire avec la France les négociations destinées à faire accéder le Maroc au statut d’État indépendant uni à la France par des liens permanents d’une interdépendance librement consentie […]. » ; Dans le n° 0328 de la « Documentation française », 06/03/1956, Déclaration commune franco-marocaine : « Le Gouvernement de la RF et Sa Majesté […] déclarent que les négociations qui viennent de s’ouvrir à Paris entre le Maroc et la France, États souverains et égaux, ont pour objet de conclure de nouveaux accords qui définiront l’interdépendance des deux pays dans les domaines où leurs intérêts sont communs […] sur la base de la liberté et de l’égalité […] dans le respect de la souveraineté des deux États. » ; dans l’ « Accord diplomatique » TRA19560204/001, 28/05/1956, : « Le président de la république […] et Sa Majesté  […], désireux d’arrêter les principes selon lesquels les deux Etats entendent organiser, dans l’égalité complète et le respect de leur indépendance, les liens d’amitiés et de coopération qui servent l’intérêt réciproque de la France au Maroc, soucieux de définir les modalités d’interdépendance librement réalisée entre les deux pays dans le domaine des relations extérieures […] ».

[3] Une analyse approfondie sur les modalités de la négociation du protocole en 1956 et 1957 serait nécessaire, mais elle dépasse le cadre de cette étude. (voir G., Faire l’Europe sans défaire la France: 60 ans de politique d’unité, p. 62 et 338, et L’Europe des Français, 1943-1959 : La IVe République aux sources de l’Europe ; R. Girault, « La France, l’Europe et l’Afrique », in Etre historien des Relations Internationales, pp. 355-376 ; P.F. Gonidec, « L’Association des pays d’outre-mer au Marché Commun », AFDI,  1958, 4-1,  pp. 593-621.

[4] « 1. L’application du Traité instituant la Communauté Économique Européenne n’exige aucune modification du régime douanier applicable, à l’entrée en vigueur du Traité, aux importations […] b) en France, de marchandises originaires et en provenance du Maroc, de la Tunisie […] 2. Les marchandises importées dans un État membre au bénéfice du régime susvisé ne peuvent être considérées comme étant en libre pratique dans cet État au sens de l’article 10 du Traité, lorsqu’elles sont réexportées dans un autre État membre. 3. Avant la fin de la première année suivant l’entrée en vigueur du Traité, les États membres communiquent à la Commission et aux autres États membres les dispositions concernant les régimes particuliers visés au présent Protocole, ainsi que la liste des produits qui en bénéficient. Ils informent également la Commission et les autres États membre des modifications apportées ultérieurement à ces listes ou à ces régimes. 4. La Commission veille à ce que l’application des dispositions ci-dessus ne puisse porter préjudice aux autres États membres ; elle peut prendre, à cet effet, dans les relations entre État membre, toutes dispositions appropriée. »

[5] « DÉCLARATION D’INTENTION en vue de l’association à la Communauté Économique Européenne des Pays indépendants appartenant à la zone franc LES GOUVERNEMENTS PRENANT EN CONSIDÉRATION les accords et conventions de caractère économique, financier et monétaire conclus entre la France et les autres Pays indépendants appartenant à la zone franc. SOUCIEUX de maintenir et d’intensifier les courants traditionnels d’échanges […], et de contribuer au développement économique et social de ces derniers, SE DÉCLARENT PRÊTS, dès l’entrée en vigueur du Traité, à proposer à ces Pays des négociations en vue de la conclusion de conventions d’association économique à la Communauté. »

[6] M. RUET, « Le Maroc et le Marché Commun », in Maroc-Document (revue officielle), 2, 7/1958, p. 2.

[7] éd. Marocaine du 3 1 58, voir aussi Y. Famchon, « Le Maroc. D’Algésiras à la souveraineté économique. Analyse du statut juridique de l’économie marocaine », RIDC, 1958, 10, 4, pp. 835-7.

[8] Op. Cit., p. 3.

[9] « 1. Les importations originaires des pays et territoires bénéficient à leur entrée dans les États membres de l’interdiction des droits de douane qui intervient entre les États membres conformément aux dispositions du présent traité. […]
3. Toutefois, les pays et territoires peuvent percevoir des droits de douane qui répondent aux nécessités de leur développement et aux besoins de leur industrialisation ou qui, de caractère fiscal, ont pour but d’alimenter leur budget. [ils…] ne peuvent excéder ceux qui frappent les importations des produits en provenance de l’État membre avec lequel chaque pays ou territoire entretient des relations particulières. […] 4. Le paragraphe 2 n’est pas applicable aux pays et territoires qui, en raison des obligations internationales particulières auxquelles ils sont soumis, appliquent déjà un tarif douanier non discriminatoire. »

[10] Op. Cit., p. 14.

[11] « La Communauté peut conclure avec un ou plusieurs États […] des accords créant une association caractérisée par des droits et obligations réciproques, des actions en commun et des procédures particulières. »

[12] Op. Cit., p. 18.

[13] Delfra, 871, 12 1 59 Bruxelles, CEE, le Conseil, note de l’ambassade du Maroc au MAE allemand (12 12 58).

[14] Id. 15 1 59 Delfra, note pour Carbonnel de la part de Cabouat.

[15] Ancien directeur de cabinet (au ministère belge de l’économie) du nouveau Commissaire aux Relations Extérieures, Jean Rey, destiné au poste de ministre du Commerce Extérieur dès novembre.

[16] Ambafrance, 559, Conseiller Commercial (P. Laurent) au Directeur Relations économiques extérieures, sans date.

[17] Benkirane est aussi vice-président du patronat marocain, la CGEM, dont le président est jusqu’en 1969 un Français, il est aussi propriétaire, on le verra, d’un journal de presse économique très favorable au Marché Commun.

[18] Situation de la zone franc, A. Garcia, L’information géographique, 1961, 25, 1,  p. 29.

[19] Delfra, 871, 13 4 59 Delfra au MAE.

[20] Id., 24 8 59.

[21] Delfra 871, 21 8 59 Note au président de la DELFRA, « sur l’association du Maroc à la CEE ».

[22] Ibid.

[23]Id. 27 3 59.

[24] Delfra 871, 21 8 59 Note au président de la DELFRA, « sur l’association du Maroc à la CEE ».

[25] Delfra 871, 21 7 59.

[26] Voir Th. Desrues, « Le corporatisme agrarien au Maroc La trajectoire de l’Union marocaine de l’agriculture », REMM, 111-2, aut./2006, p. 197-217.

[27] Id., 24 8 59.

[28] Delfra 871, 21 8 59 Note au président de la DELFRA, « sur l’association du Maroc à la CEE ».

[29] Territoires Associés d’Outre Mer.

[30] Ambafrance Rabat, 559, n°441.

[31] n°893, que nous n’avons pas pu consulter.

[32] Qui réunit le Ghana, la Guinée et le Mali au Maroc, au GPRA et à l’Egypte nassérienne depuis janvier 1961, mais est une création des derniers mois du gouvernement UNFP.

[33] Il avait été nommé près la prise de fonction de Hassan II, et allait être remplacé un cours laps de temps dans ce ministère par Bensalem Guessous (de janvier à juin 1963, personnage central des relations CEE-Maroc, puisqu’il est envoyé dès l’automne à Bruxelles comme Représentant auprès de la Commission).

[34] RR/CS/622-2, Le Maroc et le Marché commun.

[35] A ce moment le renouvellement quinquennal du dispositif est en cours de travaux, qui s’achèveront à la conférence de Yaoundé en 1963.

[36] Ambafrance Rabat, 559, Printemps 1962 (?).

[37] Id. 16 7 62, n°40.

[38] De Gaulle échange alors les postes de son ambassadeur à l’OTAN, Pierre de Leusse, avec celui de Roger Seydoux, opération qu’il renouvellera en 1965 et 1967 !

[39] Id. TD n°x06 ?:  du 6 10 62, « Le parti Communiste contre le Marché Commun ».

[40] Fédération pour la Défense des Institutions Démocratiques.

[41] Id., « Le Maroc et la Communauté Economique Européenne », note non datée, non signée, avant juin 1963.

[42] Id., Note de travail confidentielle du 4 3 63

[43] Id., « Le Maroc et… »

[44] Op. Cit.

[45] Id. Ambafrance à diplo paris, n°1129-1132

[46] Id., le 28 1 64, Annexes 6 et 7 du rapport de 2 64

[47] Id. « Voyage au Maroc de M. Van Offelen », n/ref : PM/EdC/307/1683

[48] Id., Note « très secret », 1963.

[49] Id. annexe I du rapport du 6 février.

[50] Id. TD 5183, 19 12 63.

[51] Id. ,°41, Delfra, 871, « classé 50 », reçu le 30 1 63.

[52] Delfra Bruxelles, 871, TD 5185,  19 12 63.

[53] Id. ,°41, Delfra, 871, « classé 50 », reçu le 30 1 63.

[54] Ambafrance Rabat, 559, Note 2052, 19 12 63.

[55] Id. ,°41, Delfra, 871, « classé 50 », reçu le 30 1 63.

[56] Amba France Rabat 559, le 28 1 64, Annexes 6 et 7 du rapport de 2 64.