« Moi, Hasday b. Ishâq b. Ezra, appartenant au peuple juif exilé de Jérusalem au pays de Sefard, un servant de mon seigneur le Roi, je me plie jusqu’à terre devant toi et me prosterne vers la demeure de votre Majesté, à partir d’une terre lointaine. Je me réjouis de votre sérénité et magnificence, et je tends mes mains vers Dieu dans les cieux, afin qu’il prolonge votre règne en Israël…
Que le Dieu bienfaisant soit béni pour Sa grâce envers moi ! Rois de la terre, qui connaissez la magnificence et le pouvoir de [‘Abd-al-Rahman], apportez lui des cadeaux, conciliez-vous sa faveur par des présents coûteux, vous tels que le Roi des Francs, le Roi des Gebalim, qui sont un peuple allemand, le Roi de Constantinople, et les autres. Tous leurs cadeaux passent par mes mains, et je suis chargé de faire des cadeaux en retour. Ibn Shaprut, qui connaissait plusieurs langues, recevait ces ambassadeurs. Que mes lèvres louent le Dieu du Ciel, qui jusqu’à présent a étendu sur moi sa bonté, sans que je n’aie aucun mérite propre, mais dans la plénitude de Ses Grâces.
Je demande toujours aux ambassadeurs de ces monarques qui apportent des cadeaux, s’ils ont connaissance de nos frères les Israélites, le reste de la captivité, s’ils ont entendu quoi que ce soit au sujet de la délivrance de ceux qui ont langui en esclavage et n’ont trouvé aucun repos.
Finalement, un émissaire marchand de Khorassan m’a dit qu’il y a un royaume de Juifs appelé al-Khazar. Mais je n’ai pas cru ses mots, pensant qu’il me racontait ces choses afin d’obtenir ma bienveillance et mes faveurs. J’étais donc songeur, jusqu’à la venue des ambassadeurs de Constantinople [v. 950] avec des présents et une lettre de leur roi à notre roi, et je les ai interrogés à ce sujet.
Ils m’ont répondu :
“C’est tout à fait vrai, et le nom de ce royaume est al-Khazar. C’est un voyage de 15 jours par mer à partir de Constantinople, mais par terre, de nombreuses nations s’interposent entre nous ; le nom du roi qui règne actuellement est Joseph ; des bateaux arrivent quelques fois chez nous de leur pays, apportant poissons, peaux et marchandises de toutes sortes. Les hommes sont nos confédérés et sont honorés par nous ; il y a des relations entre nous par l’intermédiaire d’ambassades et présents mutuels ; ils sont très puissants, ils maintiennent des armées nombreuses qu’ils engagent occasionnellement dans des expéditions”.
Quand j’ai entendu ce rapport, j’étais excité, mes mains étaient fortifiées et mes espoirs confirmés. Sur ce, je me suis incliné pour adorer le Dieu des Cieux…
Je prie pour la santé de mon seigneur le Roi, pour sa famille et pour sa maisonnée, et que son trône soit établi pour toujours. Que ses jours et ceux de son fils soient prolongés au milieu d’Israël ! »
Lettre du Roi Joseph, fils d’Aaron le Roi, à Hasdaï, le fils d’Isaac, fils d’Ezra; Que le créateur le préserve à la tête de son assemblée.
« Je désire vous informer que votre lettre magnifiquement rédigée m’a été donnée par Ishaq b. Eliezer, un Juif de la terre d’Allemagne. Vous nous avez rendus heureux et nous sommes enchantés par votre compréhension et votre sagesse …. Renouons donc les relations diplomatiques qui existaient autrefois entre nos pères et transmettons cet héritage à nos enfants.
Vous nous demandez dans votre épître :
“De quel peuple, de quelle famille et de quel tribu vous êtes ? ”
Sachez que nous descendons de Japhet, par son fils Togarma. J’ai trouvé dans le livre généalogique de mes ancêtres, que Togarma avait 10 fils. Voici leurs noms: l’ainé était Ujur (Uyghur), le second Tauris, le troisième Avar, le quatrième Uauz (Oghuz), le cinquième Bizal, le sixième Tarna, le septième Khazar, le huitième Janur, le neuvième Bulgar, le dixième Sawir (Sabir). Je suis le descendant de Khazar, le septième fils.
Je possède un témoignage que bien que nos pères fussent peu nombreux, le Saint béni soit-il, leur a donné la force, la puissance et l’énergie de façon à vaincre, guerres après guerres de nombreuses nations qui étaient plus puissantes et plus nombreuses qu’eux.
Avec l’aide de Dieu, ils les ont chassées et pris possession de leur terre. Ils ont contraint certaines à des travaux forcés, même jusqu’à nos jours. Le territoire où je vis actuellement, était auparavant occupé par des Bulgares. Nos ancêtres, les Khazars sont arrivés et les ont combattus, et bien que ces Bulgares aient été aussi nombreux que les grains de sable de nos plages, ils n’ont pas réussi à contenir les Khazars. Aussi ils quittèrent leur territoire et s’enfuirent pendant que les Khazars les pourchassaient aussi loin que le fleuve Danube. Et depuis ce jour, les Bulgares campent le long du Danube et sont à proximité de Constantinople. Les Khazars ont occupé leur terre jusqu’à maintenant.
Après ceci, plusieurs générations se sont écoulées, jusqu’à ce qu’un certain roi apparaisse, du nom de Bulan. C’était un homme sage qui craignait Dieu, croyant en son Créateur de tout son cœur. Il chassa du pays les magiciens et les idolâtres et pris refuge à l’ombre de ses ailes. Sa renommée rapidement s’étendit à l’étranger. Le roi des Romains et celui des Arabes qui avaient entendu parler de lui, envoyèrent leurs ambassadeurs avec de grandes richesses et de somptueux présents pour le roi et pour ses conseillers dans le but de le convertir à leur religion respective.
Mais le roi, que son nom soit à jamais associé à celui du Seigneur, son Dieu, étant un sage, envoya aussi chercher un Israélite érudit. Le roi, après les avoir observés et interrogés, rassembla les sages des trois religions et leur demanda d’argumenter sur leur religion respective. Chacun réfuta les arguments de ses adversaires, si bien qu’ils ne purent se mettre d’accord. Voyant ceci, le roi leur dit que chacun rentre chez soi, et revenez dans trois jours…
Le troisième jour, il réunit les sages et leur demanda: “Parlez et argumentez entre vous, de façon à m’éclairer sur la meilleure religion.”
Ils commencèrent à se disputer entre eux sans arriver à un résultat, jusqu’à ce que le roi demande au prêtre chrétien : “Que pensez-vous ? De la religion des Juifs ou des Musulmans, laquelle est la préférable ?”
Le prêtre répondit: “La religion des Israélites est meilleure que celle des Musulmans.”
Le roi s’adressa alors au Qadi : “Que dites-vous ? Est-ce que la religion des Israélites est préférable à la religion des Chrétiens ?”
Le cadi répondit: “La religion des Israélites est préférable.”
La dessus, le roi dit : “Il en est donc ainsi; vous avez admis tous les deux que la religion des Israélites est meilleure. En conséquence, confiant en la miséricorde de Dieu et la puissance du Tout-Puissant, je choisis la religion d’Israël, c’est-à-dire la religion d’Abraham. Si ce Dieu, auquel je me confie, et où dans l’ombre de ses ailes je vais trouver refuge, m’aide, il peut me donner sans peine, les trésors d’or et d’argent que vous m’avez promis. Quant à vous, retournez en paix dans votre pays.”
À partir de cet instant, le Tout-Puissant aida Bulan, le conforta et le renforça. Il se fit circoncire, ainsi que ses serviteurs, ses gardes et tout son peuple. Puis Bulan envoya chercher de toute part des sages d’Israël, pour lui interpréter la Torah et pour mettre en place tous les préceptes religieux, et depuis lors, nous sommes soumis à cette religion. Que le nom de Dieu soit béni et que sa mémoire soit exaltée à jamais !
Depuis ce jour, où mes aïeux entrèrent dans cette religion, le Dieu d’Israël a humilié tous leurs ennemis, soumettant tous les peuples autour de nous, qu’ils soient chrétiens, musulmans ou païens. Aucun n’a été capable de se dresser contre eux jusqu’à aujourd’hui. Tous sont nos tributaires.
Après Bulan, un de ses descendants, du nom de roi Obadia, réorganisa le royaume et établit convenablement et correctement le judaïsme. Il construisit des synagogues et des yechivot, fit venir des savants juifs qu’il gratifia d’or et d’argent. Ils lui expliquèrent le Tanakh, la Mishna, le Talmud et les pratiques des services divins. Le roi était un homme qui révérait et aimait la Torah. C’était un des véritables serviteurs de Dieu. Que l’Esprit Divin lui assure le repos !
Hezekia son fils lui succède ; puis après lui, Manassê son fils; puis Hanukka, le frère d’Obadia ; puis Ishaq, son fils ; après lui, son fils Zebulôn ; puis son fils Môshê; puis son fils Nissi ; et après son fils Aharôn ; puis son fils Menahem ; puis son fils Benyamin ; puis son fils Aharon II ; et enfin moi, Joseph b. Aharon le roi ; je suis roi, le fils d’un roi, et le descendant de rois. Aucun étranger ne peut occuper le trône de mes ancêtres : le fils succède au père. Ceci a été notre coutume et la coutume de nos aïeux depuis le début de leur existence. Que ce soit Sa volonté bienveillante, lui qui désigne tous les rois, que le trône de mon royaume perdure pendant toute l’éternité.
Vous m’avez posé des questions concernant les affaires de mon pays et l’étendue de mon empire. Je veux vous informer que j’habite sur la rive d’une rivière connue sous le nom de Itil. A l’embouchure de la rivière se trouve la mer des Khazars. La source de la rivière se trouve vers l’est à une distance de quatre mois de voyage.
Le long de la rivière habitent de nombreuses tribus dans des bourgs et des villes ouverts ainsi que fortifiés…Gardez à l’esprit que j’habite dans le delta de l’Itil, et qu’avec l’aide de Dieu, je garde le delta de la rivière et interdit aux Rus’ qui arrivent avec leurs bateaux dans la Caspienne, d’avoir des contacts avec les Musulmans. De même, j’interdit à leurs ennemis [musulmans], qui arrivent par les terres, de pénétrer jusqu’à Derbent. Je dois faire la guerre avec eux, car si je leur laisse la moindre chance, ils dévasteraient toute la région des Musulmans jusqu’aussi loin que Bagdad.
Vous m’avez aussi posé des questions sur le lieu où j’habite. Je vous réponds, que par la grâce de Dieu, j’habite le long de la rivière où sont situées trois villes capitales. La reine habite une d’elles ; c’est ma ville de naissance. Elle est relativement importante, construite de façon circulaire, avec un diamètre de cinquante Parasange.
Les Juifs, les Chrétiens et les Musulmans vivent dans la seconde ville. Avec eux, il y a beaucoup d’esclaves de toutes les nations. C’est une ville carrée de taille moyenne de huit parasanges de long et de large.
Dans la troisième, je réside avec mes princes, mes officiers, mes serviteurs, mes échansons et ceux qui sont mes proches. La ville est circulaire de trois parasanges de diamètre. La rivière coule entre ses murs. C’est ma résidence pendant l’hiver. À partir du mois de Nissan, nous quittons la ville et chacun se rend à son travail, dans ses champs et vignobles…
Vous mentionnez dans votre lettre que vous aspirez à me rencontrer. J’aimerais aussi vivement voir votre plaisante contenance et la rare beauté de votre sagesse et de votre grandeur. Qu’il puisse en être selon votre mot. S’il m’était accordé d’être associé avec vous et de pouvoir contempler votre honorée, charmante et plaisante contenance, alors vous seriez mon père et je serais votre fils. Que tous mes gens soient gouvernés selon vos recommandations et que je conduise mes affaires selon vos consignes et discrets conseils. Adieu. »