Maltais
Quoique soumis sans cesse à différentes nations, les Maltais ont toujours conservé un caractère qui décèle leur origine, et prouve qu’ils se sont fort peu mêlés avec elles.
Leur physionomie annonce qu’ils sont africains ; comme eux ils sont petits, forts, charnus ; leurs cheveux sont crépus, leur nez écrasé; leurs lèvres sont relevées, la couleur de leur peau est la même que celle des nations qui habitent les régences barbaresques; leurs langues diffèrent très peu, et ces peuples s’entendent fort bien entre eux.
Ils doivent peut-être autant à leur situation qu’aux étrangers, qui ont fréquenté leur isle, ou qui les ont subjugués, d’être devenus industrieux, actifs, fidèles, économes, agiles, sobres, valeureux et d’avoir acquis la réputation méritée d’être les premiers matelots de la Méditerranée. En gagnant ces bonnes qualités, ils n’ont pas entièrement perdu les défauts que l’on reproche aux Africains, comme d’être intéressés, violents, vindicatifs, jaloux, pillards ; ils ont rappellé quelquefois fidem punicam. On les accuse aussi d’être fanatiques, superstitieux à l’excès et très ignorants, quoiqu’avec des dispositions pour réussir dans les arts et les sciences.*
Le vêtement du Maltais, je ne parle point des bourgeois, avocats, ecclésiastiques, qui portent l’habit français et qui sont en petit nombre relativement à la généralité du peuple; le vêtement du Maltais, dis-je, consiste dans une large chemise de coton, dans un gilet aussi fort large, avec des boutons en argent, ou même en or, dans un caban avec capuchon, qui dépasse un peu les reins, dans une longue ceinture, qui fait plusieurs fois le tour de son corps, et soutient un couteau à gaîne, qu’il ne quitte jamais, dans des pantalons assez amples, dans une chaussure appellée kozch, dont il se sert rarement, étant habituellement la jambe et les pieds nuds, et qui n’est qu’une simple semelle de cuir de bœuf, dans laquelle sont passés des cordons, pour l’attacher à la jambe; il ne porte jamais de chapeau, mais des bonnets blancs, rouges, bleus ou rayés. Les gens aisés marchent avec un éventail à la main, et des lunettes garnies de verres bleus ou verts; la chaleur excessive jointe à la réverbération du soleil sur des pierres et un tuf blanchâtres, oblige de se servir de ces dernières, ce qui n’empêche pas qu’on ne rencontre beaucoup d’aveugles, et un plus grand nombre de gens avec la vue extrêmement faible.
Aucun peuple n’est plus sobre que le Maltais; une gousse d’ail ou un oignon, des anchois trempés dans de l’huile, du poisson salé, sont sa nourriture ordinaire.Les jours de grandes fêtes, il mange du porc. Ces animaux étaient fort communs dans les villes et villages; il y en avait qui appartenaient à des églises et à différents couvents ; on les laissait parcourir en liberté les rues et les places, ils y restaient de jour et de nuit, y cherchaient leur nourriture. Il était rare qu’on les tourmentât et jamais il n’y en eut de volés.
Aucun peuple ne poussait plus loin que celui de Malte, l’attachement pour son pays natal; jamais il ne perdait l’espoir de venir y terminer ses jours, et il l’appellait par excellence fiore del monde.
Femmes
Les Maltaises sont généralement petites ; elles ont de belles mains, un joli pied, de beaux yeux noirs ; elles paraissent quelquefois loucher, ce qui provient de l’usage où elles sont de ne regarder que d’un œil, ayant la moitié du visage couvert d’une étoffe de soie noire, appellée faldetta, dont elles jouent avec beaucoup de grace et qu’elles ajustent avec recherche.
Différentes en cela de leurs maris, les femmes les plus riches n’ont jamais quitté leurs costumes, et l’on remarquerait celles qui adopteraient les modes françaises. Elles aiment extrêmement les ornemens d’or et d’argent; aussi n’est-il pas rare de voir des paysannes couvertes de bijoux de ces deux métaux. Elles sont vêtues d’une chemise très-courte, appellée kmis, d’un jupon de toile ou de coton Ideil, d’une jupe de couleur le plus souvent bleue, ouverte d’un côté Gkesuira , d’un corset avec des manches Sidria. Elles attachent derrière leur tête une partie du mouchoir qui couvre leur sein leurs cheveux lisses sont bien poudrés et pomadés, arrangés sur leur front en forme de pain de sucre et semblables aux toupets appellés Grecs, que les hommes ont porté longtems en France. Leur cou est couvert de chaînes d’or et d’argent, quelquefois garnies de pierres précieuses ; leurs bras sont chargés de brasselets, et à leurs oreilles pendent des ornemens souvent plus remarquables par leur valeur que par leur goût; leurs boucles de souliers sont fort grandes et toujours d’or ou d’argent massif.
Les Baronnes maltaises vivaient fort retirées, et de la manière la plus exemplaire.
Les mœurs des femmes de la campagne s’étaient conservées dans toute leur pureté, et si le libertinage s’était glissé quelque part, c’était dans la classe des femmes qui habitaient les villes, et qui, n’ayant d’autres ressources pour vivre, que les emplois dont étaient pourvus leurs parents, étaient obligées de les solliciter et fesaient peut-être un usage illicite de leurs charmes, pour les obtenir.
Afin de compléter ce portrait des Maltais et mieux faire connaître leur caractère, je parlerai de quelques unes de leurs coutumes et cérémonies, anciennes et modernes. Les Maltais, soit par imitation des mœurs orientales, dont les Arabes leur avaient montré toute la sévérité, soit que, persuadés par la force de l’exemple, la jalousie espagnole les eût ensuite gagnés, faisaient mener autrefois à leurs femmes une vie très-retirée.
Les sages du pays répétaient avec complaisance à leurs enfants, que les femmes ne devaient paraître que deux fois en public , le jour de leurs noces et celui de leurs funérailles ; aussi, toujours occupées dans l’intérieur des maisons, elles n’en sortaient que pour aller de très-grand matin à l’église, vêtues alors d’une longue et large mante, dont l’usage était venu de Sicile.
Les mantes, qui recouvrent les femmes de la tête aux pieds, et ne laissent à découvert que le front et les yeux, différaient dans la partie supérieure et distinguaient les filles, des femmes mariée s: pour les ainées elle était coupée en rond, pour les autres elle se terminait en pointe.
Mais dans la suite, les femmes en acquérant, avec une honnête liberté, les grâces que le désir de plaire multiplie, lorsqu’il est soutenu par l’espoir de profiter de ses succès, se sont débarrassées du vêtement énorme qui les gênait en les cachant, et sans renoncer à la couleur noire, la seule que, par modestie, elles pussent porter hors de chez elles, ni proscrire l’usage d’un voile que la décence exigeait encore, elles se sont composé un habillement qui laisse admirer à la fois la délicatesse des traits du visage, des yeux vifs et superbes , la finesse de la jambe, la petitesse du pied, et qui, par une ampleur qui n’est point incommode, peut encore sauver les défauts de la taille.
Mariage
Les pères concluaient entre eux les mariages de leurs enfans, ne consultaient jamais leurs inclinations, mais leurs propres intérêts et les convenances. Quand les articles du contrat étaient réglés, et la dot stipulée, le jeune homme envoyait â sa future un présent de poisson entouré de guirlandes de rubans, et un anneau d’or placé dans la gueule du poisson le plus recherché. On réglait ensuite le jour de l’entrevue, qui devait se passer en présence des parens et des amis communs, qu’on régalait de confitures et de rafraîchissemens. Avant l’instant de l’entrevue, les mères des deux époux se retiraient ensemble dans une cabane placée au milieu du jardin de la maison, ou dans un appartement séparé, pour préparer une composition d’anis, de plantes aromatiques, de sel et de miel, dont elles frottaient les lèvres de la jeune personne, afin que. ses paroles fussent douces, sages et prudentes/ on la menait ensuite dans la salle où son époux l’attendait; il lui offrait un anneau, sur lequel étaient gravées deux mains entrelassées, en signe de benne foi, des bracelets, des colliers, et une chaîne d’or; elle lui présentait à son tour un mouchoir garni de dentelles, et des rubans noués ensemble.
Le jour destiné pour célébrer les nôces, le plus respectable des parens de l’époux, plaçait sur la tête de la future un voile blanc très fin. Elle était ce jour-là fort parée et vêtue d’une Simarre de velours. Les autres parens fesaient quelques déchirures à la simarre, et y attachaient de petites coquilles d’or. On allait ensuite à l’église pour la Haddara ou cérémonie; des joueurs d’instrumens et des chanteurs célébraient, dans des couplets, les louanges des nouveaux époux. Ces musiciens étaient précédés de 3 hommes, dont l’un portait sur sa tête un bassin de terre blanche, vernissée et peinte en arabesques jaunes, rempli de brioches fraîches ; sur la plus grande étaient placées deux petites figures et ce porteur avait une écharpe, d’où pendait un gâteau rond nommé Collora. Le second tenait une corbeille pleine de dragées ou de noix confites, qu’un des parens distribuait aux gens de sa connaissance, qu’il rencontrait ; au milieu était un mouchoir plié en forme de pyramide et orné d’une image de la Vierge, de St. Joseph ou de l’enfant Jésus. Le troisième brûlait continuellement des parfums. Les deux époux marchaient les derniers sous un dais de damas cramoisi festonné, porté par quatre des principaux personnages de la noce; enfin les parens fermaient le cortège.
L’usage du dais a été conservé jusqu’en 1668, que l’évêque défendit de s’en servir. Le carillon de toutes les cloches annonçait l’arrivée de la noce à l’église et on y offrait au curé un bassin, contenant un gâteau, un mouchoir et deux bouteilles de vin ; c’était son présent. La bénédiction donnée, on sortait de l’église dans le même ordre qu’on y était venu. La cérémonie durait ordinairement quatre heures en tout un domestique placé à une des fenêtres de la maison jettait, sur la tête des nouveaux mariés, lorsqu’ils y entraient, quelques poignées de grains et de petites monnaies. Le préjugé des Maltais de ce tems-là, était que si la femme en revenant de l’église mettait la première le pied sur le seuil de la porte du logis, elle gouvernerait son mari. On juge d’après cela cela qu’il s’en trouvait peu d’assez polis, pour faire passer leurs femmes devant eux. Au retour de l’église, on fesait le festin nuptial ; l’épouse mangeait dans une chambre séparée, ou dans un coin de la salle, préparé et entouré de toiles pour la cacher. A la fin du repas, elle venait s’asseoir à côté de son époux et buvait à la même tasse.
Dans les casaux on dansait pendant le repas ; chaque danseur jettait une monnaie aux ménétriers, et pour le repas, chaque convié apportait une poule.
Dans la ville, jusqu’au commencement du XVIIIème siècle, les bals qu’on donnait le jour des noces, étaient à l’espagnole ; on y dansait, les castagnettes à la main.
La jeune personne passait encore les huit premiers jours de ses noces, dans sa maison paternelle ; elle était ensuite ramenée avec pompe dans celle de son époux, dont les parens lui donnaient un festin et un bal.
Les Maltaises ne se mariaient jamais dans de mois de mai ; ils auguraient si mal des ouvrages de tout genre commencés durant son cours, qu’ils ne se fesaient pas même couper d’habits pendant ce mois. Cette superstition rappelle la division de l’année en jours heureux et malheureux. C’est ainsi que l’on retrouve dans les anciens usages maltais, beaucoup de coutumes de divers peuples de l’antiquité.
Deuil
Lorsqu’un maltais mourait, deux femmes gagées, nommées Nevicha, vêtues d’un manteau de deuil traînant, entraient dans la maison en chantant des moralités, d’un ton bas et triste, coupaient les pampres de vignes qui garnissaient les treilles placées dans les cours, parcouraient toutes les chambres, renversaient les vases de fleurs placés sur les fenêtres, brisaient quelques meubles d’ornement et en emportaient les morceaux dans un lieu Tetiré, les jet» taient dans une chaudière d’eau bouillante, en y mettant de la suie de cheminée et des cendres; elles teignaient ensuite avec ce mélange toutes les portes de la maison , en poussant de longs soupirs. Les Nçvichas. venaient ensuite dans la chambre du mort, déjà placé dans sa bière, et entouré desj femmes de ses parens, toutes vêtues d’un manteau noir de soie, et la tête couverte d’un voile. La chambre était en entier tendue d’une étoffe noire, et sans meubles. Les Nevichas se mettaient à genoux au pied de la bière, chantaient les louanges du mort; à la fin des couplets, les autres femmes se frappaient la poitrine, criaient et se coupaient des poignées de cheveux qu’elles plaçaient sur la bière. On distribuait ce jour-là à tous les parens, des gâteaux et du grain bouilli, et l’on coupait les crins de la queue aux chevaux qui se trouvaient dans l’écurie de la maison.
Le convoi était toujours composé des parens en deuil, précédés de joueurs de hautbois, de gens sonnant de la trompette, et des Nevichas. Lorsqu’on ensevelissait le corps, on mettait dessous sa tête, un oreiller plein de feuilles d’orangers et de laurier. Cet arbre était regardé chez les Païens comme expiatoire. On plaçait sur la tombe un tapis qu’on y laissait plusieurs jours, afin d’indiquer que, pendant ce tems, il était défendu d’y marcher. On n’allumait point de feu pendant 3 jours dans la cuisine de la maison du défunt. Son parent le plus éloigné, ou son ami le plus intime, envoyait à ceux qui l’habitaient, un diner qu’ils mangeaient assis à terre sur une natte, et les jambes croisées; les femmes restaient enfermées pendant quarante jours; les hommes sortaient à la fin du septième, et le deuil durait un an ou deux, selon le degré de la parenté.
Changement des moeurs
La maladie contagieuse qui désola l’isle de Malte en 1676, interrompit la pratique des cérémonies dont on vient de lire les détails, et depuis, elles n’ont pas été renouvellées.
Un peuple qui perd ses anciens usages change ordinairement de caractère; c’est à ce signe qu’on reconnaît que les mœurs des étrangers ont influé sur les siennes, et que dans le cas où les étrangers sont maîtres et les nationaux sujets, ceux-ci vivent contents sous l’empire des lois qui les régissent. La nation maltaise qui, sous la domination des Vandales et des Goths, avait perdu avec son commerce, ce caractère de sociabilité qu’il donne, et qui, depuis lors, se vit en proie à l’injustice et à la cupidité qui la gouvernèrent, s’attacha plus que jamais à ses anciens usages, dont la pratique, qui l’isolait de ses oppresseurs, était du moins une consolation pour elle.
L’éloignement des Maltais pour les étrangers, qui régnèrent successivement sur eux, cessa à l’arrivée de l’Ordre de St.-Jean de Jérusalem. L’occasion la plus importante mit heureusement bientôt le souverain et le sujet à portée de se juger mutuellement; ce fut la nécessité de s’unir pour repousser l’ennemi commun. Dans cette circonstance, la valeur et l’exemple généreux des Chevaliers excitèrent d’abord l’admiration des nationaux, qui, par une active fidélité, méritèrent leur estime; dans la suite, la renaissance du commerce, les encouragemens donnés à l’agriculture, les bienfaits répandus à propos, les richesses de l’Ordre qui circulaient dans l’île par l’achat des consommations, la solde des troupes, les gages des employés multipliés à l’infini, et de tant d’autres manières, apprivoisèrent peu à peu les Maltais, dont les malheurs avaient aigri le caractère; enfin le peuple content abandonna ses anciens usages , pour se lier davantage à des maîtres, dont il n’eut jamais qu’à se louer.
Les cérémonies des Noces étaient à Malte les mêmes que dans le reste de la chrétienté.
La première visite, que fesait la nouvelle mariée à ses parens, était seulement célébrée par une fête, qu’on nommait Hargia, et qui consistait en une grande conversation à la mode d’Italie, pendant laquelle on distribuait à la compagnie des raffraichissemens de toute espèce.
Les anciennes cérémonies des funérailles avaient aussi été supprimées; on ne voyait plus de Nevicha suivre le convoi, mais deux femmes en manteau noir, qui portaient sur leurs têtes des réchauds, où brûlaient des parfums.
Cucciha
Le seul usage particulier à Malte, et qui ne s’était même conservé que dans les maisons riches, était celui de la Cucciha ; on appellait ainsi une assemblée de parents et d’amis qni se tenait chez les pères et les mères de famille, le jour anniversaire de la naissance de leurs enfans.
Lorsque tout le monde était réuni dans la grande salle, qui était toujours l’endroit de la maison le plus décoré , on présentait à l’enfant, si c’était un garçon, deux corbeilles, dans l’une desquelles étaient du blé et des confitures, et dans l’autre des bijoux, des monnaies , une écritoire, une épée, etc. le choix qu’il fesait déterminait, dit-on, la vocation ou le caractère qu’il devait prendre en grandissant ; s’il choisissait le blé, c’était signe de générosité ; s’il préférait l’écritoire on le destinait au commerce ou au bareau ; s’il se saisissait de l’épée on espérait en son courage ; ainsi Achille, par un choix pareil, révéla à la cour du roi Lycomède, que la robe qu’il portait déguisait un héros. Si l’enfant était une fille, on substituait à l’épée et à l’écritoire, des aiguilles, des soyes, des rubans.
Mat de Cocagne
Le Grand-Maître donnait au peuple avant-dernier jour du carnaval, une fête dans la grande place de la cité Valette. On appuyait contre le corps de garde en face du palais de longues poutres, dont les intervalles étaient remplis par des échelles de cordes qui y tenaient; le tout était recouvert par des branches d’arbres feuillées, sur lesquelles on attachait, depuis le haut jusqu’au bas, des animaux vivans, des paniers d’œufs, des jambons, saucissons, des guirlandes d’oranges, enfin toute sorte de comestibles. Cet édifice qu’on nommait Cocagne, était terminé par un globe fait de toile, sur lequel s’élevait en relief une renommée tenant en main un drapeau aux armes du GrandMaître. Tout le peuple remplissait la place ; et un seul homme armé d’une baguette le contenait et l’empêchait de courir à la cocagne, jusqu’à l’instant du signal que donnait le Grand-Maître. Cet Homme portait le titre de grand Vicomte, et était chargé de la police de la ville. Le peuple maltais était si soumis aux lois, la crainte que cet officier de justice lui inspirait était si grande, qu’à son ordre, un jour où sur un faux signal le peuple avait déjà assailli la cocagne, la foule qui couvrait la moitié des échelles redescendit en silence.
Les Maltais ne permettaient ni aux étrangers, ni aux soldats, de partager avec eux les profits de cette fête, et les maltraitaient s’ils s’y présentaient. Les provisions de la cocagne appartenaient à ceux qui les saisissaient et savaient assez bien les défendre, pour les emporter au travers de la foule; cela donnait lieu à une longue bataille de partis, qui se choquaient se heurtaient, s’attaquaient ou se soutenaient. L’homme , qui parvenait le premier à la Renommée, recevait un présent en argent. Au moment qu’il enlevait l’étendard pour le rapporter au Grand- Maître, le globe de toile qui était de deux parties se divisait, et il en sortait une volée de pigeons.
Cette Fête, pendant laquelle les cris de joie, que poussaient les matelots empêchaient heureusement qu’on entendit ceux des malheureux animaux, attachés à la cocagne, qu’on tirait, qu’on arrachait, qu’on dépeçait même en vie, plaisait infiniment aux gens du pays.
Langue
Si les Maltais perdirent presqu’entièrement leurs anciens usages, ils conservèrent toujours un langage, qui leur fut particulier. Celui que l’on parle à Malte et au Goze est plutôt un patois qu’une véritable langue. En vain la ressemblance de quelques mots de ce patois avec des mots Puniques , avait-elle fait naître, à l’abbé Agius, la fantaisie de vouloir persuader à ses lecteurs que le corps de cette langue ancienne, dont on avait perdu l’alphabet, se trouvait dans la langue maltaise, qui elle-même n’a point d’alphabet. La base qu’il avait établie, trop faible pour l’édifice qu’il élevait, lui a manqué, et son imagination ne lui à fourni rien de spécieux qui pût, en quelque sorte, suppléer au défaut de preuves. D’autres auteurs de cette Nation plus habiles ont cherché à établir la même opinion par des raisons plus plausibles en apparence, et il en est un qui nous promet sur ce sujet un ouvrage, qui ne pourra qu’être intéressant
Tout en convenant avec lui que l’étude de la langue maltaise, telle qu’elle est aujourd’hui, peut être de quelques secours pour la connaissance de l’ancienne langue phénicienne, nous croyons cependant bien difficile, qu’avec son secours on puisse parvenir à déchiffrer les inscriptions phéniciennes, qui se voyent sur les monumens ou sur les médailles.
La langue, que parlaient les premiers habitans de Malte, a dû nécessairement se perdre dans les révolutions fréquentes que cette isle a éprouvées par le changement successif des peuples, qui l’ont dominée. Les Grecs en ayant chassé les Phéniciens, en bannirent aussi l’usage de leur langue ; si les Carthaginois l’y rapportèrent, les Romains, qui eurent l’ambition d’effacer jusqu’au souvenir de Carthage, ne permirent certainement pas qu’il se perpétuat par l’idiome phénicien, dans un pays qu’ils venaient de conquérir ; la faveur, qu’ils accordèrent à la langue grecque, peut en servir de preuve. Les Vandales et les Goths, qui vinrent ensuite, en donnant aux habitans de l’isle un nouveau langage, firent tellement oublier l’ancien, que les Grecs du bas empire, qui succédèrent à leur puissance, furent regardés à Malte comme absolument étrangers.
Enfin les Arabes parurent, et les Maltais adoptèrent pour toujours l’idiôme des vainqueurs auxquels ils se soumirent, et dont ils eurent à se louer; ils conservèrent toutefois quelques expressions grecques; dominés ensuite par de nouveaux maîtres, ils n’empruntèrent que quelques mots de leurs diverses langues. La prononciation arabe s’altéra cependant par ce mélange, et les habitans de Malte n’ayant plus à cet époque ni commerce, ni motif d’émulation pour les sciences, perdirent avec l’usage de l’écriture la connaissance de l’alphabet arabe dont probablement ils se servaient.
Maintenant pour écrire le patois maltais il faut emprunter des caractères étrangers chacun, libre d’ortographier à volonté, tâche, en multipliant les lettres qu’il emploie, ou de toute autre façon, de rapprocher le lecteur de la véritable prononciation du mot qu’il lui présente. Cet inconvénient est peu senti, parce que la langue maltaise se trouve restreinte dans les bornes de l’isle, et que là, les distances sont trop peu considérables pour que les affaires s’y traitent par écrit de particulier à particulier. Il serait cependant intéressant que quelqu’un parvint à fixer toute incertitude sur cet article, en déterminant invariablement un alphabet.
M. Court de Gebelin juge ainsi la langue maltaise dans son ouvrage sur le méchanisme des langues : » C’est, dit-il, » une langue indéfinissable, parce qu’elle » est composée da toutes, de l’Arabe , » de l’Allemand, du Grec. …»
On doit cependant observer, que la plupart des mots qui la composent sont arabes ou moresques, d’où il arrive que les Maltais et les Barbaresques s’entendent très-aisément entre eux. J’ai vu moi-même plusieurs esclaves Tripolitains, Marocains… se faire comprendre au moment de leur arrivée sur les galères, et être aussi compris des Maltais qui les commandaient, Bosio assure que dans le rapport des commissaires envoyés par l’Ordre, pour prendre connaissance de Malte, que voulait leur céder Charles-Quint, il est dit que la langue des habitans est la moresque.
Quelque corrompu que soit le patois maltais, il ne manque cependant pas d’une certaine grace, et comme toutes les langues orientales, celle-ci est remplie de figures, de proverbes et d’expressions très animées ; ce qui la rendait propre à la poésie.
Les monuments les plus anciens qui en restent, et que la tradition seule peut faire rapporter à une époque reculée, sont des chansons, des adages, des moralités et des proverbes.
Les chansons sont ordinairement de 4 vers, et le second rimant toujours avec le dernier.
Le goût de l’ancienne poesie nationale s’était entièrement perdu, et les derniers rimeurs maltais ne furent que de faibles imitateurs des chansonniers et improvisateurs italiens, dont ils ne purent atteindre ni le naturel, ni la facilité, seuls mérite de ce genre de composition.