Le Maghreb relève du premier climat et même de ce qui le précède; c’est une contrée peuplée et incommensurable. Sa plus grande ville est la cité de l’Éléphant, que l’on appelle aussi Catane ; c’est une ville considérable qui renferme de nombreuses églises et des merveilles sans nombre. Le Çofar al-Aqalim nomme encore Ghana, Qamrât, Qaçr el-Foloûs et d’autres grandes villes qui sont situées dans le Maghreb, non loin de l’Equateur.
[A] Sofala ez-Zendj est une caverne qui a près de cinq cents parasanges de largeur dans tous les sens. A cause de la masse de sables mouvants que l’on trouve dans ce pays, de la chaleur et de la sécheresse, il n’est pas très peuplé. Certains récits appellent cette caverne Magharat el-Alidj ; et à propos de ce dernier nom, on rapporte cette tradition du Prophète : « Celui qui dit au moment de se mettre au lit : Je demande pardon à Dieu, l’unique, le vivant, le stable, et je viens à résipiscence vers lui, Dieu lui pardonne ses péchés quand même ils seraient au nombre des bulles de l’écume de la mer et du sable d’Alidj. »
Un passage du Djâmi el-hikayat nous apprend que sur un côté de cette caverne est un désert de sable mouvant qui n’offre qu’un seul chemin, et cette route même ne donne passage aux voyageurs qu’un seul jour dans la semaine, le samedi. Au milieu de ce désert de sable s’élève une ville qui n’est habitée que par des femmes. Si un homme va s’y établir, il perd, par suite de l’effet du climat, toutes ses qualités viriles et meurt au bout de peu de temps. La propagation de la race est assurée au moyen d’une source où les femmes vont se baigner, ce qui les rend enceintes, et elles mettent au monde des filles; s’il survient un garçon de temps en temps, il meurt toujours en bas âge. Lorsque ces femmes sont purifiées de leurs menstrues, celles-ci réapparaissent le second jour après qu’elles ont été se baigner dans cette source, et il coule tant de sang quelles sont en danger de mort.
Par un effet de la toute puissance du Dieu très Haut, ces femmes n’ont point de passions; c’est à un tel degré que si une femme d’entre elles arrive à cette province, quand un homme a commerce avec elle, elle devient gravement malade ; mais quand elle y est restée longtemps et s’est habituée à ce climat, le désir de la passion la prend aussi.
Ces femmes appartiennent à la religion musulmane et ont même atteint un rang élevé dans la pratique de l’obédience et de la dévotion. Les œuvres qui dans l’organisation du monde appartiennent aux hommes, telles que l’agriculture, l’industrie, etc., ce sont des femmes qui les accomplissent. Elles sont associées entre elles pour le partage des produite; il n’y a point entre elles de différence entre petits et grands, ni de dispute pour le profit ou le dommage. Il est interdit, d’après leurs croyances, de chercher à augmenter son avoir, de songer aux délices de la vie, de courir après les ornements, d’emporter à la maison les mets du repas. Réellement, leur rite et leur conduite sont bons, et de telles femmes sont bien préférables à beaucoup d’hommes — que Dieu nous fasse désirer leur situation !
Sur un autre bord de celle caverne, et également dans le sable mouvant, est une autre ville où habitent les débris d’une des [douze] tribus d’Israël. Après la noyade de Pharaon et des Egyptiens, ils adressèrent à Dieu la demande suivante : «Seigneur, ne nous ramène plus au milieu des hommes, et fais que nous ne nous occupions plus d’eux ; envoie-nous en un lieu où nous puissions le servir sans trouble et sans avoir à crainte les suggestions de Satan. La grâce divine les délivra en effet des suggestions du démon et les conduisit dans ce territoire, où le désert de sable les sépare du reste du monde, car le chemin qui le traverse ne laisse passer les voyageurs qu’un seul jour dans l’année, et cela afin que les autres hommes aient de temps en temps avis de leur existence et se conforment à leurs actes dans le culte du Dieu très Haut. C’est à eux que fait allusion le Coran dans le passage où il est dit : « Il y a dans le peuple de Moïse un certain nombre d’hommes qui prennent la vérité pour leur guide et qui pratiquent l’équité. »
Dans la littérature consacrée à l’ascension de Mahomet, on trouve que le Prophète est arrivé jusqu’à cette ville, a vu ce peuple, l’a converti à l’islamisme et lui a adressé des questions auxquelles il a répondu. Le Prophète a dit à ces gens : « Je vois que toutes vos demeures sont sur une seule mesure et d’une seule manière : il n’y a ni supériorité, ni excellence de l’une sur l’autre; quelle en est la cause? — Ils répondirent : « La cause en est que nous sommes tous d’une seule race, que nous ne sommes nés de nos parents que pour servir Dieu; dans ce service nous n’admettons pas que l’un de nous dépasse l’autre; nous ne faisons que passer dans ces hôtelleries, et dans une route de passage et de voyage, attacher son cœur à un relais et l’orner est pure sottise. — Je vois, reprit le Prophète, des tombeaux à la porte de toutes les maisons; pourquoi cela? — C’est, répondirent-ils, pour que nous n’oubliions pas la mort et que nous travaillions avec zèle pour pouvoir goûter le repos dans le tombeau. — Il n’est pas permis de se livrer à la dévotion dans le but intéressé de pourvoir à sa subsistance et à son vêtement, et cette dévotion, dans un cas pareil, ne saurait être agréée ; d’où vous viennent la subsistance et le vêtement, de manière à ne pas provoquer ce doute ? — Ils répondirent : « Nous sommes tous les habitants d’une maison dont le maître est chargé de pourvoir à la subsistance de ses hôtes; le maître de cette maison est Dieu, et notre entretien est à sa charge; quand nous semons dans la campagne les graines de blé, de coton ou d’autres plantes, c’est Dieu qui envoie, de l’atmosphère, l’eau nécessaire ; nous moissonnons, nous rassemblons la récolte en un seul endroit, et chacun de nous en prend la quantité nécessaire à ses besoins; Dieu nous en donne en abondance, et la récolte nous suffit pour vivre jusqu’à l’année suivante, — D’où vous vient la viande de boucherie ? dit le Prophète. — Nous avons des moutons dans la campagne, qui sont propriété commune de même que la récolte et les autres produits; mais la plupart d’entre nous mangent rarement de la viande. — Avez-vous, dit le Prophète, des balances et des mesures afin que chacun connaisse la quantité qu’il emporte? — Non, répondirent-ils ; comme personne n’emporte plus que ce dont il a besoin, quelle nécessité d’avoir des mesures? — Y a-t-il ici des artisans, demanda Mahomet? — Tout le monde est artisan, répondirent-ils, mais les produits qu’ils fabriquent ne se vendent pas; ils les font les uns pour les autres, selon la quantité nécessaire.
« Qui est votre cadi ? reprit le Prophète. — Le cadi et le juge sont nécessaires à des gens qui ont des disputes entre eux; comme nous sommes tous les enfants de Dieu, qui nous donne ce dont nous avons besoin, quelle dispute pouvons-nous avoir entre nous! Seulement il faut pratiquer l’équité, pour ne pas avoir besoin de cadi et de juge. — Puisque, dit le Prophète, vous n’avez ni cadi ni juge, si l’un d’entre vous commet un crime, comment le jugez-vous ? — Ils répondirent : « Avant même que nous fussions musulmans, la grâce divine avait fermé pour nous la route des suggestions du démon; or sans la suggestion du démon l’homme ne commet pas de péché. Maintenant que nous avons le bonheur d’être musulmans, nous espérons que notre rang dans la dévotion deviendra encore plus élevé qu’auparavant, et qu’aucune désobéissance ne se produira de notre part. — Y a-t-il des médecins ici? interrogea le Prophète. — Non, répondirent-ils; la maladie et le repos viennent par l’ordre de Dieu; si c’est une maladie mortelle, il n’y a point de doute que le médecin ne pourra la guérir; et si elle n’est pas mortelle, le médecin est inutile, la nature suffit à la chasser. — J’entends, dit le Prophète, un bruit de pleure d’un côté et un bruit de rires d’un autre : qu’est-ce que cela veut dire? — Les rires, dirent-ils, proviennent de ce qu’une personne vient de quitter le monde en vrai croyant, et les pleure de ce qu’un enfant vient de naître; or nous ne savons pas s’il sera vrai croyant, ou non. »
Quand le Prophète les eut trouvés tous agissant bien et d’une croyance pure, il fit des vœux pleins de bienveillance à leur égard et continua sa route. — Grand Dieu! pardonne-nous par la considération de leurs bonnes actions et fais que nous nous occupions de t’adorer selon leur exemple, par ta souveraineté, tes anges, tes prophètes, et par ta miséricorde, é très miséricordieux !
LES PYRAMIDES.
Elles se trouvent sur la limite de l’Égypte et font partie du troisième climat. C’est une des merveilles du monde, et d’après l’auteur de l’Histoire du Maghreb, certains ont dit que le prophète Idris les avait construites, et que, à l’extérieur, sur les pierres mêmes, il a montré et disposé cet ouvrage extraordinaire; il a gravé la plupart des opérations, de sorte que s’il arrivait au monde une destruction telle que celle du déluge ou autre du même genre, que la propagation de l’espèce fut interrompue et que les arts disparussent, les nouvelles générations qui paraîtraient pussent prenne ces dessins et ces gravures comme modèles de ces arts.
Certains ont dit qu’elles ont été bâties par les Pharaons, et sont leur [dernière] couche. L’intention qu’on a eue en élevant des édifices aussi solides est de les faire résister à l’action du temps et d’empêcher que les morts qu’ils renferment ne viennent à être découverts et dévoilés. D’autres ont dit : « A cause de leur antiquité, on ne peut connaître leur constructeur; l’écriture qui y est gravée en creux a des caractères que personne aujourd’hui ne peut lire; et pour ce motif le véritable sens de ces inscriptions ne peut être connu. »
Leur date est donnée par un proverbe [arabe] qui circule sur les bouches, à savoir : « Ces deux pyramides ont été construites alors que l’Aigle volant était dans la constellation du Scorpion, ce qui prouve, attendu que maintenant l’Aigle volant est à l’extrémité du Capricorne, et qu’il ne peut traverser une constellation zodiacale en moins de deux mille ans, que si même un cercle complet n’a pas été parcouru, il s’est au moins écoulé plus de doute mille ans depuis leur construction jusqu’à ce jour; — mais la vraie science est auprès de Dieu !
Ce sont sept édifices dont le plus grand s’appelle pyramide de Méïdoûm. Dans le Mésalik el-Mémalik, dans l’Histoire du Maghreb et dans d’autres outrages, l’auteur nous apprend que cette pyramide a une base carrée de 400 coudées de côté; elle s’élève perpendiculairement à la hauteur de 30 coudées, au-dessus desquelles elle prend une forme de coupole, de sorte que chaque côté paraisse un triangle ; sa hauteur totale est de 400 coudées. Au milieu se trouve une coupole de 20 coudées sur 20; sa partie basse est carrée, sa partie haute octogonale , et se termine par une coupole circulaire. Les pierres ont été tellement bien placées les unes sur les autres qu’on dirait que c’est un seul morceau de pierre et qu’il n’y a ni couture ni jointure. Au bas est une cave qui a une grande profondeur : on peut y descendre au moyen d’une corde, et on y trouve des tombeaux qui contiennent encore des membres et des os bien conservés, grâce à une particularité du sol de l’Egypte. Le reste des murailles de cette pyramide est absolument plein : il n’y a d’autre creux à l’intérieur que la coupole dont nous venons de parler. Elle est construite en pierres taillées, dont chacune a plus on moins 25 coudées [de long] sur 3 de large; ce sont des pierres rouges tachetées de noir. Les [autres] pyramides sont de la forme carrée qui vient d’être décrite, de 100 coudées de côté, plus ou moins. Il est écrit que la grande pyramide a été construite en trois cents ans, la plus petite en soixante-dix, et les autres en proportion.