Petahia de Ratisbonne, De Prague à Mossoul, v. 1180 n-è

Voici les voyages entrepris par Rabbi Petaḥiya, qui voyagea à travers tous les pays. Il partit de Prague, qui est en Bohême et alla en Pologne, puis de Pologne à Kiev en Russie, puis de Russie il se rendit en 6 jours au fleuve Dniepr.

[La Terre de Qedar]
De l’autre côté du fleuve il commença son voyage sur la terre de Qedar. Ils n’ont pas de bateaux, mais cousent 10 peaux de chevaux étendues cerclée d’une lanière puis ils s’assoient sur le cuir, plaçant également les chariots et tout le bagage. Ils attachent les lanières à la queue de chevaux, qui nagent, et c’est ainsi qu’ils traversent les eaux. Ils ne mangent pas de pain dans la terre de Qedar, mais du riz et du millet bouilli dans du lait, ainsi que du lait et du fromage. Ils placent aussi des morceaux de viande sous la selle d’un cheval qu’ils chevauchent et, en pressant l’animal, ils l’adoucissent. La viande se réchauffe et ils la mangent.
Ils ne voyagent dans la terre de Qedar qu’avec une escorte. C’est de cette manière que les Enfants de Qedar engagent leurs serments les uns envers les autres : on enfonce une aiguille dans son doigt, et on invite son compagnon de voyage à sucer le sang qui s’écoule du doigt. Il devient alors, avec la personne, comme s’ils étaient de même sang et de même chair. Il y a une autre manière de prendre un serment : ils remplissent un plat de cuivre moulé de la forme d’un visage humain, puis e voyageur et son escorte en boivent, après quoi il ne trahra jamais sa loyauté. Ils n’ont aucun Rois, mais seulement des Princes et des Gentes.
Rabbi Petaḥiya traversa la terre de Qedar en largeur en 16 jours. Les habitants vivent sous la tente, ils ont la vue perçante et des yeux magnifiques parce qu’ils ne consomment jamais de sel et se repaissent de plantes odorantes. Ils sont excellents archers, abattant l’oiseau au vol. Ils perçoivent et reconnaissent tout à plus d’une journée de route ! Il n’y a aucune montagne dans leur pays, tout est plat.

[Khazarie]
A une journée de distance en deçà de la Terre de Qedar s’étend un golfe qui sépare la Terre de Qedar de la Terre de Ḫazariya. Il y est coutumier pour une femme de pleurer et de se lamenter jours et nuits pour le décès de père et mère et elle poursuivent ainsi jusqu’à la mort d’un de leurs fils ou fille ou d’autre parents et leur dernier pleur est celui qui précède leur mort. Elles enseignent les lamentations à leurs filles. Durant la nuit, elles gémissent et hurlent ; et les chiens à leur cris, glapissent et gémissent aussi !
Il voyagea alors pendant 8 jours et à l’extrémité de la Terre de Ḫazariya 17 rivières se réunissent et c’est là que quiconque souhaite entreprendre un long voyage se repose. Il s’y trouve une mer d’un côté, d’où émerge une grande puanteur tandis que de l’autre côté elle n’a aucune mauvaise odeur ! Il y a, entre ces deux mers, environ une journée de parcours. Si quiconque passe par la Mer Putride, il meurt sans délai. Lorsque le vent souffle depuis la mer puante vers celle qui n’émet aucune mauvaise odeur, l’odeur peut tuer. On ne s’y rend que lorsque le vent souffle dans une autre direction !

[Tōgarma et Āraraṭ]
Rabbi Petaḥiya passa alors dans la Terre de Tōgarma, à partir de là et plus loin encore, les gens croient en la loi (ḥūqat) de Maḥamaṭ. Et depuis Togarma il entra dans la Terre d’Āraraṭ. En 8 jours il voyagea aussi loin que Nuṣaybīn, laissant sur sa droite les grandes montagnes d’Āraraṭ.

[Qaraites de la Terre de Qedar]
Dans la Terre de Qedar il n’y a aucun Juif, seulement des hérétiques (Qaraites), alors le Maître Rabbī Petaḥiya leur demanda : ‘Pourquoi ne croyez-vous pas dans la Parole des Sages ?’ Ils répondirent : ‘Parce que nos Pères ne nous les ont pas enseigné !’ A la veille de Šabat, ils coupent tout le pain qu’ils mangent durant Šabat. Ils mangent dans le noir, et restent assis la journée entière à un seul endroit. Leur prière consiste uniquement en psalmodie. Et lorsque Rabbī Pataḥiya leur fit connaître notre rite et notre prière après le repas, isl en furent satisfaits. Ils disent également ‘Nous n’avons jamais entendu parler du Talmud !’

[Nuṣaybīn]
Dans la Terre d’Āraraṭ il voyagea dans les Montagnes d’Āraraṭ aussi loin que Nuṣaybīn et la cité de Ḥūsn Kēffā [Hasankeyf] (ce qui veut dire la Forteresse du Grand Rocher). A l’extr^émité de la montagne d’Āraraṭ, il voyagea Deux jours dans la direction opposée.
A Nuṣybīn se trouve une large congrégation ainsi que la synagogue de Rabbī Yehuda b. Betēra et deux synagogues construites par ‘Ezrā le Scribe. Dans l’une d’elle se trouve une pierre roufe fixée dans le mur, qu’il apporta, c’est une pierre de Bēt ha-Maqdes [Jerusalem].
Depuis Nuṣaybīn et au-delà s’étend la Terre d’Āšūr. La Ḫazariya a un autre langage et le Tōgarma a un autre langage. Ils sont tributaires du Roi de Yōn. [byzantin]. Et Qedar a un autre langage.

[Nīnawa et la communauté autonome juive de Mossoul]
De Nuṣaybīn il se rendit en trois jours à Nīnawa. Le fleuve Tigre s’écoule devant Ninawa. De l’autre côté du fleuve, il marcha durant trois jours dans une autre direction jusqu’à la Vieille Ninawa qi est abandonnée. Toute la Tere de Nīnawa est noire comme de la poix. Le site de Nīnawa proprement dit, où se trouvait une forêt est dévasté comme Sodōm. Il n’y a nulle herbe ni aucun végétation. La Nouvelle Nīnawa, à l’inverse, est de l’autre côté du Fleuve.

A la Nouvelle Nīnawa [Mossoul] il y a une large congrégation se dénombrant à plus de 6000 âmes ! Elle a 2 Princes. L’un d’eux est appelé Rabbī David et l’autre s’appelle Rabbī Šmū’ēl. Ils sont les fils de deux frères et de la souche du Roi David. Quiconque y paie chaque année un Aureus comme tribut, de celui qui vient des Juifs, la moitié revient au Roi Šulṭōn, qu’ils n’appellent jamais Roi, mais Šulṭōn qui est sous l’autorité du Roi de Babel [le calife]. L’autre moitié du tribut revient aux princes qui ont des champs et des vignobles.
Dans ces pays il n’y a pas de Chantre ; non plus que dans aucun pays des Terres de Pars, Medī ni à Dimašq [Damas] et Babel ; mais parmi les familiers des Princes il y a de nombreux disciple de la Sagesse. Parfois ils leur demande, à l’un ou l’autre, de dire la prière. Le pince a aussi une prison où il enferme les malfaiteurs. Si un Gentil ou un Juif a une dispute, que le Juif ou l’Īšma‘ēlite soit coupable, il l’y enferme.

Rabbī Petaḥiya tomba malade à Nīnawa et les médecins du Roi déclarèrent qu’il ne vivrait plus. Il est de coutume que lorsqu’un Juif voyageur décède, le Šulṭōn prenne la moitié de sa propriété ; et parce que Rabbī Petaḥiya était vêtu de costumes magnifiques ils pensèrent qu’il était riche, sur quoi les notaires du Šulṭōn vinrent prendre possession de sa propriété en attendant sa mort. Mais Rabbī Petaḥiya prit la décision tout malade qu’il était, de se transporter de l’autre côté du Tigre. Le fleuve est large est aucun bateau ne la traverse, car le fleuve est brusque et impétueux et renverserait le bateau. Ils font donc des radeaux en roseaux que nous appelons ‘Floss’ sur lesquels ils placent homme et bagage. Les eaux étant très saines, il se remit immédiatement.

A Nīnawa se trouvait un éléphant. Sa tête n’est pas du tout protubérante. Il est grand, mange environ deux chariots de paille en un repas, sa bouche est dans sa poitrine et lorsqu’il veut manger il allonge ses lèvres de deux coudées, attrape avec la paille et les place dans sa bouche. Lorsque le Šulṭōn condamne quelqu’un à mort, ils disent à l’éléphant : ‘Cette personne est coupable’. Il le saisit alors avec ses lèvres le propulse en l’air et le tue. Tout ce qu’un homme peut faire avec les mains il le fait avec ses lèvres : c’est étrange et merveilleux à l’excès ! Sur l’éléphant il y a l’image d’une cité, sur laquelle se trouvent 12 guerriers armés : lorsque il déploie largement ses lèvres, ils grimpent comme sur un pont !

A Nīnawa se trouvait un Astrologue du nom de Rabbī Šlomō. Il fait partie des Sages de Nīnawa et, sur la Terre d’Āšūr, nul n’est aussi experts en astres que lui. Rabbī Petaḥiya lui demanda quand est-ce que le Mešiyaḥ allait venir. Il répondit : ‘Je l’ai vu bien distinctement dans les planètes !’ Mais Rabbī Yehūda le Pieux ne l’a pas consigné afin de ne pas être considéré comme un adepte des paroles de Rabbī Šlomō.