Chevalier d’Arvieux, 1660 :
Nous fortîmes de BaalbecK pour allerr à Hama , que le vulgaire appellent Aman. Nous y arrivâmes après avoir passé par de grandes campagnes, des montagnes, & avoir laissé à droite & à gauche des Khans, de petits Villages et quantité de jardins.
Cette Ville a été autrefois très-confiderable, elle étoit fituée fur trois collines peu éloignées les unes des autres.. Elle ne fubfifte plus que fur deux de ces collines. Les édifices qui étoienr. fiu la troifiéme , font à prefent ruinez entierement aussî bien que le Château.
Il y a une riviere qui passe au pied de la Ville, dont on tire l’eau avec des: roiies à godets, que l’on partage enfui* te dans la plûpart des maifon», &. dans» un réfervoir public.
Il y a un Khan pour loger les Voyageurs qui eft très-beau & très commode , avec des bains auffi propres que ceux de Tripoli.
La Ville eft bien peuplée, lés maifons aflez propres^ Elle eft très-mar~ chande. L’on y fait une grande quantité de futaines & des toiles de cotton! bleuës & blanches3 pins fines Se plttslarges que celles de Baalbeck , & qai par confequent font beaucoup plus cheres, nous y couchâmes & y trouva1660. mes toutes les provifions dont nous avions befoin. Nous en partîmes le jour fuivant , Se après avoir p.flé le pont de Cufram- Pacha , nous allâmes à Khams. C’étoit autrefois une grande & belle Ville , qui a eu le fort d’une infinité d’autres de l’Empire Ottoman, c’eft-à-dire, qu’elle eft à prefent presque ruinée. Les Turcs croyent qu’elle a été la patrie de Jobj, qu’ils mettent au nom-. bre de leurs Saints Patriarches. Ils font peifu.idez que la Mofquée de Khams, eft bâtie fur les fondemens de la maifonde Job le plus patient des hommes. En fortant de cette Ville ruinée , nous trouvâmes un Pais plat, qui ne nous parut pas trop bon , & qui ne laifie pas d’être cultivé , avec plufieurs Villages à droite & à gauche du grand chemin jufqu’à une montagne, dans laquelle on a taillé un chemin pour la commodité des Voyageurs. Dès que nous eûmes franchi ce pas, »o s découvrîmes îa grande, belle & feuile plaine de Damas.
De la Ville de Damas.
La Ville de Damas est située dans une grande plaine toute environnée de montagnes , qui a 8 à 10 lieues de longueur , sur 5 à 6 de largeur. Elle a une colline mediocre à l’Orient. La plaine eft d’une fertilité merveilleufe , parce qu’elle eft arrofée par fept petites rivieres , & par quantité de ruisseaux dont les eaux fe perdent dans la même plaine , après avoir porté dans
les terres & les jardins qui y ont répandus de tous cotez une fécondité admirable.
On peut dire que ces jardins quoique ruftiques , font des lieux enchantez. Ils font environnez d’arbres fruitiers, qui fournissent la Ville & celles des environs de toutes fortes de fruits, tant pour manger dans leur saison , que pour être confervez pendant toute l’année.
Les Caravannes portent de ces fruits à Seïde, à Barut, â Tripoli & aux autres Villes , & comme les Turcs, auffi bien que tous les autres Peuple qui y font établis, aiment extrêmement les fruits , on ne peut s’imaginer la contamination prodigieuse qui s’y fait de pommes, de poires, d’abricots, de grenades , de raisins de plufieurs efpeces , de prunes , de pruneaux,, de citrons, d’oranges , de limons , de figues d’Adam qu’ils appellent Afttouz, et de tous les autres fruits que nous avons en France, et de quantité d’autres que nous n’y avons pas.
Le froment y eft excellent. On en fait du pain blanc comme la neige , & des bifcuits en forme de gros anneaux , qui fe confervene fort longtems. En un mot , on y trouve tout ce qui eft necessaire au plaifir de la vie, et à très-bon marché.
Cette Ville passe pour une des plus anciennes du monde etavec raifon, il feroit difficile de trouver la véritable éthimologie de fon nom, cela est d’ailleurs peu important ; mais il faut remarquer qu’elle a été autrefois bien plus confiderable qu’elle ne l’eft aujourd’hui , quoiqu’elle le foit encore beaucoup. Elle a été 2 fois ruinée par les Tartares. Elle a été le théâtre de la longue & cruelle guerre entre les Sultans de l’Egypte & les Turcs, qui s’en rendirent maîtres sous Selirn premier leur Empereur. Ils l’ont confervée jufqu’à prefent, et en ont fait un Beg-li-Argebit ou Gouvernement général de Province. Elle eft fituée entre Antioche et Jerufalem, à diftance prefqu’égale de ces 2 Villes , dont elle eft éloignée d’environ 50 lieues. Elle eft à 80 lieues d’Alep , à 20 de Barut.
Damas eft environnée de murailles modernes, excepté du côté où St-Paul fut defcendu dans une corbeille , qui sont encore les mêmes, et beaucoup plus fortes que les autres. Elles sont doublées prefque partout avec des tours carrées assez grandes, qui sont cantonnées de tours rondes plus petites.
Les maifons ne sont que de terre la plupart. Elles paraissent peu au dehors ; mais les dedans sont toute autre chofe. Les appartemens sont grands & bien ménagez , ils sont propres , bien meublez , lambrissez , plafonés etpeints à la mode du Pays. L’or et l’azur n’y sont pas épargnez. Il y a très-peu de ces maifons qui n’ait une fontaine pour son ornement & sa commodité.
Marchés, Khâns :
Il y a des Lieux où l’on vend toutes fortes de marchandées précieuses , comme pierreries , orfévries, draps d’or , d’argent, de foye.
Les marchez couverts y sont en grand ,nombre , ils sont de pierres de taille bien voûtez , avec des ouvertures d’espace en espace , qui les rendent fort clairs.
Les cotez de ces Marchez couverts, aussi bien que les rues, ont des banquettes relevées, qui fervent pour les gens de pied, et le milieu est plus Bas, et sert aux charois et aux animaux. Cette précaution fait que le chemin des gens de pied eft toujours propre, & qu’on peut aller en tout tems dans ces Marchez , fans être expofé aux injures de l’air.
Il y a un nombre confidérable de Khans grands & petits, pour loger les Marchands et les Voyageurs. Ils sont très-bien bâtis, et tous fur le même modèle. Ceux dont j’ai parlé dans d’autres endroits, doivent faire connaître la figure & la difpofition de ceux-ci. Les magazins font à rez de chauffée , avec des galeries au-dessus, qui donnent entrée dans les chambres, qui dans ceux-ci ont chacune un petit dôme couvert de plomb.
-Château :
Le Château eft un grand carré long, bâti de pierres de taille, taillées en pointes de diamant. Il eft flanqué de 14 tours carrées, 5 fur chaque long côté , & 2 fur chacun des petits, avec un fossé d’environ 10 toifes de largeur sur 3 de profondeur, que l’on peut remplir de l’eau de la riviere qui passe dans la Ville, ou des ruifleaux qui en font voisins.
La porte du Château eft ornée en dehors de 2 chaînes de pierres qui y font attachées contre la muraille. La premiere a 16 anneaux ovales , d’1,5 pied dans le grand diametre , fur un pied dans le petit. Ils ont environ 2 pouces de diametre. Ils ont été taillez les uns dans les autres dans une même pierre. La seconde n’a que 14 anneaux. Les Turcs regardent ces deux chaînes comme des chefs-d’œuvre de l’Art. Peutêtre sont-ils en effet les chefs-d’œuvre de quelque Tailleur de pierres habile & patient ; car il faut l’être beaucoup pour un tel ouvrage. J’ai vû de ces chaînes de bois dans plufieurs endroits; mais il faut convenir que celles de pierres font bien plus difficiles à faire.
On ne permet l’entrée de ce Château que très difficilement aux étrangers. Il faut pour en obtenir la permission, se déguifer , avoir des amis, et sçavoir la Langue du Pays. J’avois des amis à Damas , je sçavois les Langues qu’on y parle, & j’étois habillé à la Turque. J’y entrai sans difficulté. J’y vis en entrant un grand et spacieux corps de garde bien voûté & fort propre , dont les murailles font toutes couvertes d’armes antiques & modernes en bon ordre , & fort bien entretenuës. II y a devant la porte 3 pieces de canon de fonte de 12 pieds de longueur , fort belles et bien montées.
Un peu plus avant on voit un corps de logis appelle Gassaba , où l’on bat la Monnoye (on n’y travailloit pas alors) à côté duquel il y a un dôme assez vafte & tout ouvert, qui eft soutenu par 4 pilliers d’une grosseur si démesurée , que je crois qu’ils porteroient la coupolle de St-Pierre de Rome.
La grande falle du Confeil eft au fond de la cour \ elle eft voûtée & peinte en or & en azur, avec quelques paflages de l’Alcoran , qui regaxdeiu l& Jufticc qu’on y tend. On l’appelle à caufe decela le D.van.
Les deux cotez de la cour font desbâtimens assez propres, féparez les uns des autres par de petites rues ; ils fervent de logemens aux Officiers et aux Janissaires qui compofent la garnifon. Et comme ils sont voûtez & en terrasses , & appuyez la plûpart contre les murs du Château , ils leur fervent de rempart. Au refte ces murs n’ont qu’environ une toise d’épaisseur, & les pierres de taille font parpain.
Mosquée :
En sortant du Château nous allâmes voir une Mofquée d’environ 20 pas en carré, couverte d’un, dôme revêtu de plomb. Ses murs font incruftés de Mofaïque, avec des ornemens d’or et d’azur qui la rendent des plus brillantes. Elle eft pavée de marbre, & l’on y voie le tombeau d’un Sultan d’Egypte appelle Melek Dhabor.
La maifon du Dester-dar ou Sur-Intendant des Finances de Damas n’en eft pas éloignée. Elle eft accompagnée d’une petite Mofquée, où le marbre, l’or & l’azur n’ont pas été épargnés, Aussi a-t-elle été bâtie par un Sur-Intendant qui a voulu faire une reftitution à Dieu de ce qu’il avait volé au monde. Elle eft d’une Architecture Orientale moderne,qui ne laisse pas d’avoir bien du goût, de la délicatesse & de la beauté.
Un Officier du Desterdar, ami de mes amis , nous fit voir tout ce qui eft vifible dans la maifon d’un Seigneur Turc. Les appartemens sont grands, bien diftribués, fort commodes, ornés & meublés magnifiquement. Ce qui la rend très-agréable, ce font des jets d’eau qu’il y a darrs toutes les fenêtres. Elles ont des treillis de cuivre bien travaillés.
Ce fut par ces fenêtres que je vis ce que les Chrétiens peuvent voir de la grande Mofquée ; car il leur eft défendu d’y entrer sous peine de la vie.
La grande Mofquée de Damas étoit autrefois une Eglise que l’Empereur Heraclius avoit fait bâtir en l’honneur de S. Zacharie pere de S. Jean-Baptiste. On prétend que ce Saint Patriarche y eft enterré , & que c’eft pour cela que les Turcs ont une vénération particuliere pour ce lieu.
C’eft un des plus beaux édifices qui soit dans l’Empire Ottoman. Cette Mofquée eft conftruite à la maniere de nos Eglifes , les Turcs n’y- ont prefque tien changé. Elle a 300 pas de longueur fut 60 de largeur. Ses 3 nefs font loutenuës par des colomnes de marbre et de porphyre , & fes murailles incruftées est couverts de cuivre cizelé. Elles sont ornées de très-belles colomnes. La porte principale donne fur un Parvis pavé d’un marbre blanc si poli et fi éclatant, qu’il semble des glaces de miroir, & les côtes de ce Parvis ont des galeries ouvertes, soutenuës par 2 rangs de colomnes de marbre & de porphyre , dont les ornernens sont fort délicatement travaillez. Ces galeries font peintes & dorées , Se sont des fontaines et des bassins de marbre, où les Turcs font leurs ablutions. Le refpect qu’ils ont pour cette Mofquée va si loin, qu’ils ôtent leurs souliers avant d’entrer dans le Parvis. C’eft dommage qu’on n’y peut pas entrer, la confidérer à loifir, & en deflmer les beautés. Il eft certain que les curieux & les habiles gens en seroient contents. Voilà ce que j’en ai pu voir Sc apprendre par des Mahométans de mes amis.
Divers lieux :
La Ruë droite à préfent un Bâzar couvert. Nous y remarquâmes une fontaine adosse à un gros pilier.On prétend que ce fut là où S. Paul fut baptifé par Ananias, & où il recouvra la vuë. On appelle ce pilier la Colomne antique. On dit qu’Ananias a été enterré fous sa base, ou tout auprès. Nous allâmes enfuite voir la maifon de ce Judas chez qui S. Paul fe retira pour être inftruit dans la Religion Chrétienne. La petite chambre où cet Apôtre jeûna 3 jours & 3 nuits, a une porte assez grande dont les ventaux sont couverts de lames de fer attachées avec de gros doux. Si la porte qu’on voit aujourd’hui eft la même que celle qui y étoit du tems de l’Apôtre, ce lieu a plus l’air d’une prifon que de toute autre chofe.
En fortant de la Ville par la Porte appellée Babel Cherky, ou Porte Orientale , on voit les reftes d’une Eglife que les Chrétiens avoient bâtie à l’honneur de Saint Paul; il n’y a plus que le clocher qui foit encore debour, entier & fort ancien. Les Turcs fe font fervis du refte pour faire un Khan pour loger les Voyageurs.
A 150 pas de cette porte, en iuivant les fossez , on trouve une grosse tour quarrée, détachée et isolée, sur les murs de laquelle il y a 2 Fleurs de Lys, & 2 Lions taillez de relief, au milieu defquels il y a une grande table de marbre, avec une infcription en caractères Arabes , que je n’eus pas le tems de copier, parce qu’il n’eft pas permis de s’arrêter à coniîdérer les murailles & les faibles fortifications de cette Ville ; et à 300 pas plus loin on voit une porte murée, auprès de laquelle S. Paul fut defcendu dans une corbeille, pour le tirer des mains des Juifs qui le vouloient faire mourir.
Vis-à-vis cette porte murée eft la fepulture de Georges Ie Portier,qui fut accusé d’avoir favorisé l’évasion de S. Paul & d’être Chrétien , et pour ces 2 cas il eut la tête coupée. Les Chrétiens du Pays le regardent comme un Martyr, & entretiennent une lampe allumée sur son tombeau.
Ananias :
La maifon vraie ou fuppofée d’Ananias, eft entre la porte Orientale et celle de S. Thomas , on y voit une Grotte où l’on prétend qu’il instruisit ce grand Apôtre. Je ne vois pas quelle necessité il y avoit de se mettre dans un soûterrain pour lui donner des intrustions. Mais il a plu à la traditionde donner quelque relief à cette Grotte, en la faisant servir à un usage si saint.
On voit dans le même endroit -l’entrée d’un soûterrain , qui eft à prefent bouché, par lequel on communiquoit à la maison de Judas. Les Turcs ont cette maifon en vénération , & y avoient voulu faire une Mofquée; mais les Chrétiens du Pays assurentent qu’ils n’en ont jamais pû venir à bout: de sorte que la Grotte eft demeurée commune aux uns & aux autres. Si on n’y met ordre , elle se remplira de pots de terre, qu’on y apporte avec du feu pour faire brûler de l’encens en l’honneur de cet Apôtre, que les Turcs respectent presque autant que les Chrétiens.
J’allai à l’endroit où S. Paul fut renversé par terre, quand il venait à Damas pour perfecuter les Chrétiens. Ce lieu eft presqu’au bout de la plaine fur le grand chemin d’Egypte, vis-à-vis d’un Village appellé Kawkâb qui fignifie Aftre ou Etoile, il eft fitué fort agréablement entre deux petites collines.
Faubourgs :
Il y a une Maladrerie hors de la Ville, où l’on met ceux qui font atteints de la lèpre. On tient qu’elle a été bâtie fur la maifon de Naaman, ce Prince qui avoir été guéri de la lèpre par le Prophete Elifée. Il y a aussî un Hôpital où l’on renferme les fols qu’on appelle le Morestan.
Il y a au delà un grand Village nommé S(ah)alhié, il eft fur le penchant d’une colline, dont la vûe s’étend fur toute la campagne,quieft très belle & très-diverfifiée. La plûpart des Grands de Damas y ont des maifons de plaifance, qui font belles & très-agréables , tant pour la vûë que pour les jardins dont elles font accompagnées, et par les belles eaux qui courent de toutes parts de cette colline.
Il y a un Hermitage de Derviches qui gardent avec refpect la Grotte, où l’on dit que les 7 Dormâns dormirent depuis l’Empire de Decius jufqu’à celui de Theodose le Jeune. Si l’Histoire eft vraie, c’eft à bon titre qu’on leur a donné le nom de Dormans ou de Dormeurs. Je ne crois pas que personne du monde le leur puisse contester.
Montagne :
La campagne que l’on trouve à 2 lieuës de Damas, en tirant vers Baalbeci eft extraordinairement séche. Il n’y tombe jamais de rofée. Les Turcs difent que c’est l’endroit où Caïn tua son frere Abel, & où ils faisoient leur sacrifices. Les Juifs nient le fait, & disent que cet execrable fratricide fut commis dans le territoire de Beithima, où croulent ces raifins excellens dont on fait la panacée de Damas. Entre eux le débat , peut-être que les uns & les autres se trompent. Ce qui eft vrai, c’eft que ces raifins , quoique crus dans un Païs fec, sont fort beaux, fort gros et fort doux, & qu’ils n’ont qu’un seul pepin, ils se confervent long-tems, parce qu’ils renferment peu d’humidité.
Les Juifs assurent que la fécherefle de ce terroir , eft une suite de la malédiction que Nembroth attira fur lui, pour avoir entrepris de bâtir la Tour de Babel. Ce ne fut pas Nembrorh feul qui entreprit l’édifice de cette Tour , il n’aurait pû en venir à bout avec fa famille , quelque nombreufe qu’on la puifle fuppofer. Tous les Peuples qui étoient venus de Noé et de ses trois enfans, formerent ce dessein quand la neceffité les obligea de se séparer, pour aller s’établir et peupler les autres parties du monde. Leur dessein n’étoit pas de faire une Tour fi haute qu’elle pût garantir d’un fecond Déluge. Dieu avoit promis à Noé qu’il ne fe ferviroit plus de cet horrible fleau pour châtier les hommes , et il lui avoit donné l’arc-en-Ciel, comme le gage de saparole. Ce n’est pas à dire qu’il n’y eût point d’arc-en Ciel avant ce tems-là la maniere dont il fe forme, a toûjours été la même avant le Déluge et après ; mais Dieu s’en fervit pour assurer le Patriarche & fes enfans, qu’il see Conviendrait de la parole qu’il lui donnoit toutes les fois qu’il verrait ce signe de fa clemence.
La vûe de ces Peuples qui étoient déja fort nombreux , fut de laisser un monument à la pofterité , qui fit connoître qu’ils n’avoient tous qu’une même origine , & qu’ils defcendoient d’un même pere , mais comme ils n’avoient pas confulté Dieu avant de l’entreprendre , & qu’il entroit une vanité excessive dans ce dessein, Dieu confondit la Langue qui leur étoit commune à tous , & d’une feule Langue il en fortit 72 selon quelques Ecrivains, & par cette multiplication de Langues ils ne s’entendirent plus les uns les autres, & cette confusion les obligea de fe féparer , & de se répandre de tous cotez. Ce fut ainsi que toute la terre se peupla , & que se formerent peu à peu ces differens Peuples qui l’habitent aujourd’hui , qui n’ayant tous qu’une même origine et un même pere, sont à prelent si differens en mœurs, en coutumes, en Religions, & même en configurations de visage, de taille , de couleurs & autres chofes, qui fembleroient être une faîte d’origines differentes , si la Foi & les Ecritures Saintes ne nous assuroient pas du contraire.
Le Village appellé jubar , eft à ½ lieue de Damas , il n’eft habité que par des Juifs fans mélange d’aucune autre Nation. Ils y font voir une Grotte où ils difent que le Prophete Elie fe cacha , lorsqu’il fuyoit la perfecution de Jezabel. L’entrée de cette Grotte eft un trou mediocre , par lequel on defcend 7 marches taillées dans le roc, qui conduifent dans une Grotte d’environ 4 pas en quarré. Il y a 3 petits enfoncemens comme des armoires ouvertes , où les Juifs entretiennent trois lampes allumées.
Il y a un autre trou par où les corbeaux lui apporterent à manger pendant 40 jours qu’il y demeura.
Les Juifs ont leur Synagogue auprès de cette Grotte. Ils ont eu assèz d’efprit pour perfuader aux Turcs fuperftitieux qu’ils mourroient s’ils entreprenoient de s’établir dans ce Village et par ce mensonge ils ont privé leur Grotte de l’honneur qu’ils n’auroient pas manque de loi rendre.
La plaine où Abraham combattit & défit les 5 Rois qui emmenoient Loth et fa famille, eft proche ; à 1 lieuë de cette plaine , il y a une petite Ville fituée fur une montagne mediocre, qui n’eit habitée que par des Chrétiens, fans mélange de Turcs ni de Maures. Ils fe sont imaginez qu’ils y mourroient au bout de l’année : foit que cette idée leur foit venue d’eux-mêmes, foit qu’elle foit une pieufe fraude des Chrétiens, ils sont débarassez de ces hôtes importuns.
Il y a une Eglise dédiée à Notre Dame sur l’endroit le plus élevé du Village. Elle eft desservie par les Syriens. Les Turcs ont une grande dévotion àcetre Eglife, & la visitent avec refpect après s’être purifiez, comme quand ils entrent dans leurs Mofquées. Elle eft grande , voûtée & bien bâtie. Il y a une niche fur l’Autel, qui renferme une Image de la Sainte Vierge, qui dans de certains tems répand une huile miraculeufe, dont on fe fert avec fuccès pour guérir toutes fortes de maladies.
Commerce et Consulat :
Damas eft une des Villes la plus marchande de l’Empire Ottoman. Il y a des Manufactures de velours plein, cizelé, de fatins, de taffetas, de damas, de brocards , de tabis , de moires , et d’autres étoffes unies, rayées & tabisées, des écharpes de soye, des toiles de cotton , de futaines , et autres efpeces de toiles de cotton.
Les Caravannes de la Mecque y apportent des drogues de toutes sortes , des épiceries, des marchandises de Perse & des Indes , & les Francs y portent des draps de foye , de laines et d’or, du papier , des bonnets , de la cochenille, de l’indigo, du fucre , & quantité d’autres marchandises qu’ils débarquent à Seide, à Barut & à Tripoli. On les tranfporte de ces Echelles à Damas par les Caravannes.
Le Peuple de Damas eft communément beau , blanc & bienfait. Ils ont tous de l’efprit, ils font fins, adroits & fourbes ; mais ils vivent fort poliment avec ceux qui les sçavent ménager. Il y a un certain air de grandeur & même de liberté dans cette Ville, qu’on ne voit pas ordinairement dans les autres , aussi les Peuples y font plus riches , & bien moins exposez aux tyrannies des Pachas. De quelque Nation ou Religion qu’ils foient, bien meublez, & ils aiment leur liberté. Ils font sujets du Grand Seigneur ; mais ils n’en sont point délaves, & sçavent fort bien le faire sentir aux Pachas, quand ils veulent les traiter durement & trop despotiquement.
La plûpart des Chrétiens qui y demeurent sont Grecs. Il a peu de Maronites & encore moins de Chrétiens Francs. Il ne laisse pas d’y avoir des Missionnaires Cordeliers de la TerreSainte . des Jesuites & des Capucins , qui y ont chacun leurs Maifons & leurs Chapelles domeftiques.
Le Consul qui eft à prefent à Seïde réfidoit autrefois à Damas avec toute la Nation ; mais l’incommodité & les rifques qu’il y avoir pour le tranfport de l’argent pendant 3 journées d’un chemin dangereux , & fouvent impratiquable, à caufe des courfes des Arabes & des Druzes, a fait juger à propos de tranfponer le Confulat & le commerce principal à Seïde. Il y a pourtan ttoûiours quelques Marchands François à Damas, & souvent quelque Medecin & quelque Chirurgien qui y vont faire des experiences en gagnant de l’argent.