PAYS DES ZENDJS.
C’est une vaste province, bornée au nord par les villes de la province du Yémen; au sud, par des déserts inhabités; à l’est, par la Nubie, et à l’ouest, par l’Abyssinie. Les habitants de cette contrée ne sont jamais soucieux, comme le Cheikh Abou-Sa’id, fils d’Abou’l-Khéïr l’a montré dans ses vers :
Qui a le cœur sans chagrin pour que j’aille frotter ma main sur lui ?
Le cœur sans souci est celui des Zendjs amoureux et ivres.
Les philosophes ont trouvé la cause de la joie habituelle de cette sorte d’hommes dans l’apparition de l’étoile Canopus, qui chaque nuit se lève pour eux. Tous les Zendjs descendent de Zendj, fils de Koûch, fils de Chanaan, fils de Cham; on les appelle les hommes sauvages, parce qu’ils mangent la chair de l’ennemi qu’ils ont vaincu; de même, quand ils sont mécontents de leur souverain, ils le tuent et le mangent. Bien que l’or soit abondant chez eux, la matière qu’ils préfèrent pour leurs ornements et leurs bijoux est le fer. Ils disent que toute personne qui porte du fer sur elle échappe aux étreintes du démon et sa bravoure en est accrue. Le bœuf de ce pays vaut le cheval arabe au combat. Leur nourriture habituelle est la chair de l’éléphant et de la girafe. On dit que dans cette province se trouve un arbre dont les feuilles, quand on les jette dans l’eau et que les éléphants boivent de cette eau, rendent ceux-ci tellement ivres qu’on les prend aisément à la chasse.
LA NUBIE.
Ce pays se trouve placé sur les deux rives du Nil; il faut huit jours et huit nuits pour le traverser dans sa longueur. Les habitants sont chrétiens et se nourrissent surtout d’orge; la viande de chameau leur est aussi très utile. On y trouve beaucoup de girafes. La Nubie comprend également le Soudan, où l’or croît dans le sable ; le climat en est excessivement chaud ; les habitants passent leurs journées sous la terre; à la nuit, ils sortent de leurs retraites et s’emparent de l’or. Ce métal est l’objet de leur commerce; leurs vêtements sont faits de peaux de bêtes; les négociants se rendent au Soudan au prix de mille difficultés; une fois qu’ils y sont arrivés, ils battent de la timbale et disposent leurs marchandises séparément dans un endroit. Les habitants, avertis de l’arrivée des négociants par le bruit de la timbale, se rendent de nuit à l’endroit où sont exposées les marchandises et laissent de l’or, formant le prix de l’objet, en face de chaque denrée; au matin, les négociants arrivent au même endroit et s’ils ne sont pas satisfaits de la quantité d’or qui a été laissée, ils éloignent la marchandise de la contrevaleur offerte et s’en vont ; la nuit, les habitants reviennent et augmentent la quantité d’or jusqu’à ce que les marchands soient satisfaits.
Nouba était un fils de Cham, fils de Noé, et ce pays est devenu célèbre sous son nom. Cham est rangé parmi les prophètes, mais aucun de ses fils n’a atteint ce rang, pour la raison que voici, ainsi que cela a été écrit : Un jour, Noé s’était endormi et avait découvert ses parties honteuses ; Cham vint à passer et ne le recouvrit pas, mais tout au contraire se mit à rire ; c’est à cause de ce manque de respect que la couleur de ses descendants fut noire et que le don de prophétie disparut de sa lignée. II eut neuf fils, que voici : Hind, Sind, Zendj, Nouba, Chanaan, Koûch, Qibt, Berbèr, Habèch.
L’Égypte (Miçr) est ainsi appelée de Miçr, fils d’Abîm, fils de Cham, fils de Noé — que le salut soit sur lui ! Parmi les raretés qui distinguent ce pays est le fleuve du Nil qui, contrairement aux autres rivières, coule du sud au nord. Sa source est située au-delà de l’Équateur, dans les montagnes de Qomr, et son embouchure est dans la Méditerranée. Ses eaux croissent à la saison où toutes les autres rivières sont en décroissance. La cause en est, dit-on, que l’été en Egypte correspond à l’hiver au delà de l’Equateur, car le soleil est alors plus éloigné du zénith du premier de ces pays et plus rapproché des contrées australes; [au contraire,] quand l’hiver règne sur les pays du Nord, les contrées du Sud sont plongées dans l’été. Cependant l’auteur du Rauzat-ouç-Çafa rapporte, d’après ‘Abd-ouç-Çamad Ibrahim Riqâ’î, auteur de l’Asbab-el-Adjaïb, que la cause de l’élévation et de l’agitation de l’eau du Nil est que la Méditerranée est agitée en automne et que ses vagues, s’élevant au- dessus de son niveau habituel, forment comme une digue en face de l’eau du fleuve et l’empêche de s’écouler; l’eau du Nil, ainsi contrainte, retourne en arrière.
Les Égyptiens ont un miqyas qui leur sert à déterminer la quantité de l’augmentation et de la diminution de l’eau; il est installé au milieu du fleuve; il y a là un certain nombre de lignes qui servent à indiquer la règle de la quantité suffisant aux besoins de la population. Quand la crue atteint seize lignes, cela produit beaucoup de bien et de profit; l’extrême limite de la crue [probable] est dix-huit lignes; quand elle les dépasse, c’est la ruine pour l’Egypte. On dit que ce miqyas a été institué par Joseph le Véridique — que le salut soit sur lui !
Une autre merveille, ce sont les pyramides, c’est-à-dire trois coupoles bâties par les sages d’autrefois. L’auteur de l’Adjaïb el-Makhloûqât [Qazwîni] rapporte, d’après Ibn-Ghafir, que c’est Himyar le Mou’téfik qui les a construites et les a entièrement terminées dans l’espace de soixante-dix ans ; soixante-dix mille hommes y ont travaillé. Certains ont dit qu’Idris avait connu, par une révélation surnaturelle, qu’il y aurait un déluge au temps de Noé, et que ce déluge couvrirait le monde entier. Il fit enfouir dans cet endroit plusieurs tombeaux de ses pères et de ses ancêtres avec de l’or en abondance et des joyaux nombreux, et fit élever les pyramides au-dessus de ces tombeaux. On dit que le fer et l’acier ne peuvent aucunement entamer ces monuments. Un souverain, poussé par le désir de trouver de l’or et des joyaux, déploya des efforts considérables pour démolir l’une de ces pyramides; mais finalement il renonça à son entreprise sans avoir atteint son but.
Quelques individus croient que cet état est dû à un talisman, et que toute personne qui y participe peut en obtenir un don.
Quoique ces discours ne paraissent pas trop raisonnables, cependant nous les avons reproduits, à cause de leur singularité, parce que nous les avons rencontrés dans nos lectures. On rapporte que le fils d’un grand personnage d’Égypte était tombé dans la misère et que la gêne et la pauvreté l’avaient rendu sans protection. Dans l’idée qu’il pourrait obtenir une portion de ce talisman, il se rendait chaque jour aux pyramides et regardait attentivement de tous côtés. Un jour il- trouva un morceau de papier où était écrit ceci : « Quand on mesurera huit coudées sur telle face de la petite pyramide, on trouvera sûrement quelque chose. Ayant agi selon ces directions, il apparut un coffre de fer dans lequel, quand il l’ouvrit, il trouva une coupe au milieu de laquelle était un disque d’or. Il laissa le coffre, prit la coupe avec le disque d’or et se rendit à la ville. Il porta l’or à un changeur qui lui remit en échange quelques pièces d’or. Rentré à la maison, il aperçut le disque d’or au milieu des pièces ; il le revendit à un changeur et le retrouva encore au milieu des pièces d’or qui lui avaient été données. Il reconnut alors que ce disque possédait la propriété de rester entre les mains de celui qui l’avait une fois vendu. Par ce moyen il se procura des richesses sans pareilles. La coupe avait, elle aussi, la propriété de changer l’eau qu’on y versait en un vin qui n’avait pas son pareil dans toute l’Égypte. Cet individu se construisit une maison sur les bords du Nil et se mit à y vendre du vin; comme son vin était meilleur et qu’il le vendait meilleur marché, les clients se dirigèrent vers son établissement et les autres marchands furent ruinés. Ceux-ci s’étant livrés à une enquête, firent connaître la vérité au roi qui le fit venir et confisqua la coupe et le disque d’or.
On raconte, dans l’Athar oul-bilâd, qu’une personne se procura, en Egypte, une clef talismanique, qu’elle creusa la terre dans les environs de la grande pyramide et qu’il apparut un puits dans lequel chaque personne qui y jetait les yeux voyait apparaître des dragons. Cet individu lança dans ce puits la clef talismanique qu’il possédait et tous les dragons disparurent. Accompagné de dix de ses amis, il entra dans le puits et aperçut quatre estrades sur chacune desquelles on avait posé dix vases d’or pleins d’or; au goulot de chaque vase était accroupi un lion d’or qui blessait de ses griffes la main de quiconque l’étendait vers ces vases. Sur chaque estrade il y avait également un lit de pierres précieuses; un des gens de la bande, plein d’audace, en enleva trois; immédiatement il disparut aux yeux de ses compagnons. An bout d’une heure, le mur de la chambre se fendit et on vit apparaître la tête coupée de l’homme disparu. Cette troupe de gens, ne sachant comment entrer en possession de ces trésors, s’en retourna toute déconfite.
L’auteur du Târîkh Elfî dit, d’après Ibn-Kéthîr le Syrien, que sous le règne de Mélik-‘Adèl, en 587 [de l’hégire], il y eut en Egypte une famine telle que, dans l’espace d’un mois, il mourut deux cent mille personnes de faim. Mélik-‘Adèl leur fournit à tous des linceuls aux frais de » cassette particulière, mais la foule de ceux dont le roi n’eut aucune connaissance dépassa toute analogie. A la fin, il ne resta en Egypte ni chats, ni chiens, et les hommes dévorèrent leurs propres enfants; et quand il n’en resta plus, on se mit à manger les médecins; en effet, tout médecin qu’on amenait à la maison sous le prétexte d’y visiter un malade se voyait entouré de tous côtés par des couteaux ; on dépeçait alors cet infortuné comme l’on fait de la viande des victimes des sacrifices, et l’on s’en arrachait les membres.
Il n’y a pas de cours d’eau dans toute l’Égypte, à la seule exception du Nil. La neige y est inconnue et la pluie n’y tombe que par intermittence. Lorsqu’il pleut beaucoup, c’est un signe de famine, parce que les grains pourrissent dans le sol.
Dans certaines localités croit une herbe dont on fait les cordages des gros navires; elle donne une lumière à la façon d’une chandelle; quand elle s’éteint, on la fait tourner plusieurs fois et elle redevient lumineuse. On voit encore dans ce pays un bassin où tombe l’eau d’une fontaine ; toutes les fois qu’une femme en état d’impureté place sa main dans l’eau de la fontaine, celle-ci s’arrête et l’eau du bassin prend une mauvaise odeur ; la source ne recommence à couler que quand le bassin est entièrement vidé.
Il y a, en Egypte, des ânes et des mulets de prix en grand nombre. Quand on prend ceux-ci de la saillie des onagres, ils deviennent vites et bons coureurs. Dans un canton du même pays il croît des melons si grands qu’il suffit de deux pour former la charge d’un chameau; ils ont une tête tordue à la façon d’un serpent, de près d’une demi-coudée, et une queue qui est aussi très longue, de sorte qu’il y a une distance considérable entre la queue et le ventre.
Dans ce même pays il y a un lac dont l’eau est saumâtre ; quand le Nil déborde cette eau devient douce ; au moment de la décroissance du fleuve l’eau du lac recommence à être saumâtre. Ce lac renferme quelques espèces de poissons qu’on ne rencontre nulle part ailleurs. Depuis cet endroit jusqu’à la Syrie, tout l’intervalle est de sable mouvant; on l’appelle Djifâr.
Il y a, dans ce Djifâr, de nombreux serpents qui mordent et qui sautent; si quelqu’un se trouve dans un palanquin, ces animaux sautent et se jettent à l’intérieur de la litière; leur morsure est mortelle. Ce désert est borné d’un côté par la mer des Grecs et de l’autre par le désert de l’Egarement des Israélites.
Celui-ci s’étend sur une distance de quarante parasanges; il est entièrement sablonneux, et en partie pierreux; on l’appelle aussi le désert des Arabes. On y voit deux arbres qui ont des oiseaux en guise de feuilles, comme des alouettes. Cet état se prolonge pendant quarante jours, puis cesse. Le désert des Israélites s’étend entre la Palestine, Aïla, le Jourdain et l’Egypte. Les Israélites y ont été éprouvés pendant quarante ans : ils étaient au nombre de six cent mille, dit-on. Quand leurs provisions furent épuisées, le Donneur de pâture absolu (Dieu) leur accorda la manne et les salwâ; la manne est quelque chose qui ressemble au terendjoubin, et le salwâ un oiseau aquatique qui ressemble à la perdrix. Des traditions juives nous apprennent que pendant la durée du séjour des Israélites dans le Tîh, leurs vêtements ne vieillissaient pas et ne tombaient pas en lambeaux: tout enfant qui naissait venait au monde tout habillé; quand il grandissait, ses vêtements s’allongeaient à proportion.
Les dimensions de l’Égypte, en long et en large, sont de quarante jours et de quarante nuits de route. Son ancienne capitale est Fostât, située au nord du Nil; cette ville a des rues et des quartiers élevés où habitent des gens appartenant à toutes sortes de tribus; ses maisons sont toutes à trois et quatre étages. Le tombeau de Châfé’i est à Fostât. L’auteur du Mésalik o-Mémalik rapporte que cette ville se partage en deux parties : la haute, appelée Moçafîd, et la basse, nommée Zouîf. Le Gharaïr oul-Asrar mentionne que le Ça’îd est au sud de Fostât. Dans la campagne qui entoure cette ville sont des cavernes où sont enterrés des morts, ensevelis dans des linceuls de grosse toile frottés de médicaments, de telle sorte que les corps ne tombent pas en morceaux et ne pourrissent pas. On dit qu’une fois on enleva leur linceul à ces morts ; aucun changement ne s’y voyait; il restait encore des traces de henné sur les mains et sur les pieds de ces morts.
Il est écrit, dans l’Adjaïb el-Boldân, que la momie d’Egypte vient de ces corps et que c’est la meilleure momie Près de Fostât est une montagne appelée Moqattam, d’où l’on tire des chrysolithes.
Actuellement la capitale de l’Egypte est le Caire de Mo’izz. Le Habib ous-Siyèr rapporte qu’au temps de Mo’izz lidîn-illâh, un eunuque nommé Ismâ’îl Djauhar, qui était l’un de ses esclaves, s’empara de l’Égypte en l’an 357 et construisit entre Fostat et ‘Aïn-ouch-Chèms, une ville qu’il appela le Caire de Mo’izz. En 361, Mo’izz vint d’Afrîqiya au Caire et fit de cette ville sa capitale. Dans son voyage il était accompagné de quinze mille chameaux et de dix mille mulets chargés d’or. Chaque jour on lui présentait un certain nombre de coffres qu’il donnait à ses courtisans et aux habitants de la ville. Quand ce fut au tour des Ayyoubides de régner, on construisit au Claire de nombreux établissements de bienfaisance et des édifices élevés.
Le Caire est situé sur le bord du Nil; ses édifices sont è quatre et cinq étages, ornés de sculptures et de peintures; on y voit des coupoles merveilleuses et des portiques agréables; les variétés de ses demeures sont hors de toute description et limite.
Une autre ville célèbre est Alexandrie, qui est aussi sur les bords du Nil ; tous ses édifices sont bâtis de marbre de diverses couleurs. Ses fortifications sont percées de quatre portes ; l’une est toujours fermée; l’autre s’appelle porte de Bosette, et la troisième, porte de la Mer, parce qu’elle s’ouvre du côté de la mer des Grecs.
Sur le rivage de cette mer est bâtie une citadelle extrêmement forte. Les navires du Maghreb, de l’Asie-Mineure et de la Syrie vont et viennent dans ce port, où l’on trouve toutes les marchandises et toutes les étoffes que l’on peut désirer. On va, par la voie de la mer, à Constantinople en cinq jours, tandis qu’il faut trois mois de chemin par la terre ferme.
La quatrième porte est la porte du Lotus, ainsi appelée d’un buisson de lotus qui croît en face de cette porte ; on dit que cet arbre est un reste du temps d’Alexandre. Le Adjaïb el-Makhloûqat dit que dans les temps anciens cette ville fut construite en trois cents ans et resta florissante pendant mille ans, et qu’ensuite elle fut ruinée. Une des particularités d’Alexandrie, c’est que les bêtes malfaisantes, telles que les serpents et les scorpions, en sont absentes. Chaque matin, les gens du pays, en se levant, nettoient et balayent leurs demeures, puis les regardent, et on ne voit pas de trace de la fumée qui s’élève dans le ciel. C’est dans cette ville qu’Apollonius de Tyane construisit une colonne par l’ordre de Dhou’l-Qarnéïn; on y inventa un miroir qui gêna considérablement les Européens; finalement les principaux d’entre ceux-ci envoyèrent à Alexandrie une compagnie de gens qui se montrèrent au peuple revêtus du vêtement de l’ascétisme et de la crainte de Dieu ; quand ils furent acceptés par les esprits, ils se mirent à crier qu’Alexandre avait caché un trésor derrière le miroir, et ‘Amr ben el-Aç, malgré son intelligence et la clarté de son esprit, fut trompé par ces paroles et ordonna d’arracher le miroir de sa place; mais comme il n’y trouva rien en dehors de la ruse et des machinations [qui l’avaient fait inventer], on le remit en place; seulement il avait perdu la qualité spéciale qui le distinguait.
Parmi les hommes célèbres d’Alexandrie est Ptolémée, unique dans la géométrie et l’astronomie ; il a composé de nombreux livres, entre autres un traité de logique qu’on appelle Almageste en arabe. Il mangeait peu et jeûnait fréquemment. Voici quelques-uns de ses apophtegmes : «L’homme heureux est celui qui prend conseil d’après l’état d’autrui, et l’infortuné est celui de l’état de qui autrui prend conseil. — Quiconque possède une parcelle de raison sait que l’ombre des nuages, la durée des hommes du commun, et l’injustice des tyrans ne font que passer, s Un autre personnage célèbre de cette ville est le guide des mystiques, le cheikh Ali ben ‘Abdallah ech-Châdhilî, l’un des plus parfaits des gens de son époque, qui a atteint, dans la science, la vertu, l’ascétisme et la dévotion, un rang qu’on ne peut s’imaginer plus élevé. Durant le cours de sa carrière monastique, des miracles et de nombreux faits extraordinaires ont été accomplis par lui. Sa généalogie se rattache au second imâm, Hasan fils d’Ali — que le salut soit sur lui! Il vécut la totalité de sa vie à Alexandrie; il mourut en se rendant en pèlerinage à la Mecque, dans un désert où il n’y avait que de l’eau saumâtre; après qu’on l’eût enterré, l’eau de ce désert devint douce.
Ikhmîm est située dans le désert, et entourée par les sables; il y a de nombreuses plantations de palmiers, et les impôts rentrent aisément. De braves gens sont nés dans cette ville, comme Dhou’n-Noûn, qui marcha dans la voie du mysticisme et de la vérité. C’était un parfait derviche; il avait un regard subtil. La plupart des Égyptiens croyaient qu’il était zindiq; quelques-uns ne savaient que penser à son endroit; jusqu’à sa mort on ne sut rien de son véritable état. Une fois, il se trouvait à bord d’un navire [où était monté] un négociant qui perdit une perle; tout le monde fut d’accord que c’était Dhou’n-Noûn qui l’avait par devers lui; on le soumit à des vexations, et on le considéra avec mépris. Quand ces traitements eurent dépassé toutes les bornes, on vit mille poissons mettre la tête hors de l’eau, chacun tenant une perle dans sa bouche; le saint prit une de ces perles et la donna au marchand. Quand les gens du navire furent témoins de ce miracle, ils tombèrent à ses pieds et offrirent leurs excuses. On rapporte, d’après lui-même, l’anecdote suivante : « Dans un de mes voyages, je rencontrai une femme; je lui demandai quel était le terme extrême de l’amour ?—Elle me répondit : L’amour n’en a pas. — Pourquoi ? répliquai-je. — Parce que l’objet aimé est lui-même infini, « Voici quelques-uns de ses adages : et Aie pour ami celui qui ne change pas quand tu changes.— La crainte du feu, à côté de la crainte du Coran, a la valeur d’une goutte d’eau que l’on jetterait dans la mer. « — et Qu’est-ce que le mystique ? » lui demanda-t-on. — « C’est un homme, répondit-il, qui appartient à l’espèce humaine et pourtant en est séparé. » — La vraie adoration de Dieu consiste à être son esclave en toute circonstance, comme il est ton maître en toute circonstance. — Les gens du commun se repentent de leurs péchés, et les gens distingués de leur négligence. — S’abandonner à Dieu, c’est renoncer à disposer de soi-même. — « Qui a le plus de soucis?« lui demanda-t-on. II répondit : «L’homme qui a le plus mauvais caractère. «— « Qu’est-ce que le monde?« — «Tout ce qui t’occupe loin de la pensée de Dieu très Haut. « Quelqu’un lui demanda un conseil. « N’envoie pas ta pensée devant et derrière, répondit-il. » — Cette réponse a besoin d’un commentaire, lui répliqua-t-on. — « Ne vous souciez pas, dit-il, ni de ce qui est passé, ni de ce qui n’arrivera pas. Soyez la monnaie prête pour le payement. »
Il mourut en l’an 245 de l’hégire ; cette même nuit, soixante-dix personnes virent en songe le Prophète, — que Dieu le bénisse et le sauve ! — qui disait : « Dhou’n-Noûn viendra cette nuit; nous sommes allés à sa rencontre.« Quand on enleva le cercueil, une troupe d’oiseaux avaient entrelacé leurs ailes les unes dans les autres, de sorte que tous les assistants marchaient à l’ombre; jamais, jusqu’alors, personne n’avait vu d’oiseaux de cette espèce. Sur la route parcourue par le cortège, un muezzin prononça l’appel à la prière ; quand il fut arrivé à la formule du témoignage, Dhou’n-Noûn leva l’index; les assistants crurent qu’il était encore vivant et déposèrent le cercueil ; mais malgré tous leurs efforts pour faire rentrer l’index qui s’était levé, ils ne purent y parvenir. A sa mort, on vit écrit sur son front, avec une écriture de couleur verte, ces mots : « Celui-ci est l’ami de Dieu, mort dans l’amour de Dieu par le sabre de Dieu. » Cependant le Nafahàt oul-Ons dit que le lendemain on trouva écrit sur la pierre placée au chevet de son tombeau : « Dhou’n-Noûn, l’ami de Dieu, tué par Dieu en récompense de son désir. » Toutes les fois qu’on grattait ces mots, on les retrouvait écrits à nouveau.
Abou-Tâlib est encore un autre personnage connu de la même ville ; il est rangé dans le nombre des grands cheikhs. On rapporte, d’après Abou-‘Othmàn Maghrébî, qu’Abou-Tâlib parlait toujours aux oiseaux et comprenait leur langage ; dans ses supplications, il disait: « Mon Dieu, sans votre ordre, personne n’aurait pu prononcer votre nom. »
Une autre ville célèbre de l’Egypte est Aïn ouch-Chems, située au sud de Fostât, qui fut la capitale du Pharaon de Joseph. Le pavillon que Zoléïkha fit élever pour Joseph était dans cette ville. On dit que l’arbre du balasan s’y trouve ; ses vertus proviennent de l’eau d’un puits où l’on avait baigné Jésus; on arrose toujours l’arbre avec l’eau de ce puits. Parmi les merveilles de cette ville est un obélisque fait d’un seul morceau de pierre rouge marquée de points noirs; il a plus de cent coudées de haut; à son sommet est la figure d’un homme faite de cuivre, à sa droite et à sa gauche sont deux autres figures desquelles suinte constamment de l’eau; partout où celle-ci parvient, l’endroit devient verdoyant et couvert de plantes. Cet obélisque a été élevé du temps de Salomon, dit-on.
Il y a encore la ville de Hamrâ, qui fut la capitale d’Ahmed ben Toûloùn ; ses dattes sont renommées ; il y en a une espèce que l’on appelle merdjoûsî, qui mûrit un mois avant les autres ; le dattier qui la produit est haut et droit; il ne se recourbe pas. On dit que Merdjoûs était un derviche dont l’influence se traduit par les qualités susdites.
La ville de Faramâ, quoique petite, est extrêmement verdoyante , fraîche et florissante; on y voit le tombeau du sage Galien.
Deux parasanges séparent Faramâ de Teliîs, qui est bâtie sur un terrain élevé; d’un de ses côtés est un monticule que l’on appelle Ther-kôm. La cause de cette surélévation [autour du terrain environnant] est qu’on y enterrait les hommes les uns au-dessus des autres, jusqu’à ce qu’elle arriva au degré [qu’elle atteint aujourd’hui]. Cette coutume était, prétend-on, répandue avant le temps de Moïse — que le salut soit sur lui !
Fayyoûm est une ville située à l’occident du Nil, dans la région de la Haute-Égypte ; son territoire est plat ; l’opium d’Égypte s’y récolte; le pavot qui le produit est noir.
Voilà ce que nous avons pu savoir de vrai au sujet des villes d’Egypte, qui sont celles que nous avons inscrites ; les autres ont été passées sous silence à cause de l’insuffisance de nos moyens d’information.